Communisme contre Démocratie
- Thèses -
Ces thèses doivent être
considérées comme une tentative de synthèse
des acquis programmatiques de notre organisation
sur cette question fondamentale.
* * *
I.
La démocratie ne peut nullement être réduite
à une simple forme (même la plus "adéquate") de la
domination capitaliste. Au contraire, la démocratie s'affirme toujours
plus comme la substance de la dictature capitaliste et ce, du fait même
de son lien intrinsèque et historique avec la marchandise, "forme
élémentaire de la richesse capitaliste" (Marx).
II.
La genèse de la démocratie, son développement
historique (culminant dans le mode de production capitaliste - A-M-A')
est intimement lié à l'apparition de la marchandise et donc
à l'apparition, au développement, à l'apogée
capitaliste et à la disparition de la valeur (la révolution
communiste mettant fin au cycle de la valeur).
III.
La démocratie apparaît avec la sphère
politique comme nécessité de constituer une communauté
d'individus -les citoyens- soumis aux intérêts de la classe
dominante. Si l'Etat est l'organisation de la classe dominante pour se
maintenir en tant que telle, la démocratie est cette organisation
pour l'ensemble de la société. L'Etat démocratique,
l'Etat capitaliste est donc bien l'apogée, la synthèse supérieure
de toutes les sociétés de classes car il est le plus nettement
et
l'organisation dictatoriale et terroriste de la classe dominante
et
l'organisation de tous les individus libres, égaux et propriétaires,
organisés au sein d'une communauté non-humaine (et en ce
sens, fictive) -la démocratie- dans l'intérêt exclusif
de la classe dominante. La mystification est pour la première (et
la dernière) fois totale: l'homme individu, citoyen atomisé
n'existe plus en tant qu'être humain (c'est-à-dire en tant
qu'être générique), il n'est plus qu'une marchandise
parmi d'autres et à ce titre, libre et égal au sein de la
circulation. Il n'est donc, en tant qu'individu singulier, qu'une simple
particule politique du capital. C'est dans la sphère de la circulation,
l'Eden démocratique, selon Marx, que les classes et en particulier
la classe révolutionnaire -le prolétariat- sont le plus niées,
le plus détruites, le plus inexistantes. Il n'y a plus que des citoyens
organisés dans et par l'Etat démocratique.
IV.
Cette situation extrême de non-existence de la classe
révolutionnaire se retrouve dans les périodes de contre-révolution
intense où l'Etat démocratique parvient à atteindre
un degré élevé de purification, à prétendre
être le seul sujet de l'histoire. Les formes de cette purification
se retrouvent tant dans les divers Fronts Populaires que dans les différentes
formes de Bonapartisme: du stalinisme au nazisme, du fascisme au péronisme.
En ce sens, l'apparition des formes "fachoïdes" (putschs militaires
de gauche comme de droite,...) ne sont en rien un changement de nature
de la dictature capitaliste; au contraire, il s'agit de son renforcement,
conformément à sa substance démocratique: la négation
dictatoriale des antagonismes de classes au profit de la domination impersonnelle
de la classe capitaliste.
V.
De là, découle le rejet principiel de toute
alliance, front,... visant à lier le prolétariat à
la défense de telle ou telle forme de la dictature capitaliste contre
telle ou telle autre. Leur substance étant commune et identique,
il s'agit bien pour le communisme révolutionnaire, de détruire
la démocratie sous toutes ses formes, non seulement sous celles
"méchantes", "dictatoriales" et "militaires" mais tout autant celles
"meilleures", "parlementaires" et "électives". La révolution
communiste sera anti-démocratique ou ne sera pas.
VI.
La démocratie étant l'organisation des citoyens
(c'est-à-dire la désorganisation, négation de la classe
révolutionnaire) au profit de la classe capitaliste dominante, dès
que le prolétariat commence à se constituer en classe, commence
à reconstituer une autre communauté d'intérêts
dans et par sa lutte, il commence à détruire la démocratie,
la communauté fictive du capital, au profit de son projet propre:
la communauté humaine mondiale, le communisme.
VII.
La lutte ouvrière organisée, centralisée
et dirigée par son avant-garde communiste tend toujours plus à
affirmer son être propre, sa substance, la nouvelle communauté
qu'elle porte en elle et qui ne pourra s'épanouir que dans la destruction
de fond en comble de la société bourgeoise, de son Etat et
de ses rapports sociaux -le salariat-. Dès que s'affirment, même
de manière extrêmement minoritaire et élémentaire,
les intérêts et besoins prolétariens au sein de la
plus petite action de classe, cette affirmation est déjà
affirmation dictatoriale et anti-démocratique car elle vise et nécessite
la force organisée d'une classe pour imposer à l'ensemble
de la société, un projet social qui ne peut exister au sein
du capitalisme qu'en tant que négation violente de tout l'ordre
existant. Dès que se manifeste une action de classe, cela signifie
à la fois une fissure même minime dans le consensus démocratique,
dans la communauté fictive, et l'apparition, même embryonnaire,
de la classe révolutionnaire, c'est-à-dire d'une communauté
basée sur les intérêts historiques de cette classe:
la société communiste. Le mouvement communiste et la démocratie
sont donc en opposition directe; ils représentent, au plus haut
point, la contradiction présente à tous les niveaux de la
société, entre communisme et capitalisme.
VIII.
Lorsque cette contradiction éclate et que le prolétariat
révolutionnaire parvient à s'organiser en classe dominante
(la révolution communiste menant à la dictature du prolétariat
pour l'abolition du travail salarié), cette organisation du prolétariat
en classe dominante, dirigée par les communistes, réalise
dictatorialement le programme communiste, impose toujours plus profondément
à l'ensemble de la société la destruction de la valeur,
l'extension de la classe dominante et donc l'extinction de cette dernière
en tant que sphère séparée (négation de la
négation). L'aboutissement de ce processus social signifie l'éclosion
de la société communiste sans classe et sans Etat. Au plus
s'affirme la dictature du prolétariat pour l'abolition du travail
salarié, au plus s'affirme le fameux semi-Etat (semi parce qu'il
tend à son dépérissement en tant que médiation,
sphère particulière et séparée), au plus est
détruite la démocratie, au plus est détruite l'atomisation
des individus, au profit de l'apparition/généralisation de
la communauté nouvelle préfigurée par le parti communiste
dirigeant l'ensemble du processus transitoire. Ainsi, au plus la révolution
communiste triomphe, au plus est détruite la substance de la dictature
capitaliste: la démocratie.
IX.
Ce processus dictatorial et terroriste d'affirmation/négation
du prolétariat comme classe dominante détruisant toujours
plus les bases de sa propre domination et fondant ainsi une société
sans domination, sans classe, sans Etat, sans violence,... n'a donc rien
à voir avec une quelconque démocratie "ouvrière".
Au contraire, la dictature du prolétariat pour l'abolition du travail
salarié est la plus complète négation de la démocratie
et à fortiori de celle dite ouvrière. L'assimilation entre
dictature du prolétariat et démocratie "ouvrière"
est l'une des déviations contre-révolutionnaires les plus
graves, détruisant la base même de la dictature du prolétariat
au profit de la réapparition du système d'esclavage salarié
sous une forme plus "ouvrière".
X.
La démocratie "ouvrière" ne fait que prolonger
et approfondir toutes les médiations du capital (entre politique
et économie, entre homme et société,...) en remplaçant
le culte du parlement, des libertés, des individus atomisés,...
par le culte identique quant au fond, des "soviets démocratiques",
des "syndicats libres", des ouvriers atomisés,... Au mythe a-classiste
du peuple, de la nation, version "démocratie bourgeoise", correspond
celui tout autant a-classiste des "ouvriers sociologiques", de la "majorité
exploitée", des "masses populaires", version "démocratie
ouvrière". L'addition de l'adjectif "ouvrier" à la réalité
de la démocratie, à sa liaison historique à la marchandise,
à l'argent et au capital, ne change pas d'un iota la substance de
la démocratie; cette addition ne sert en fait qu'à essayer,
une fois de plus, de faire passer la réalité capitaliste
sous un vocable "ouvrier". La démocratie "ouvrière" se veut
le représentant du pôle positif de la dictature capitaliste
(de même que le pôle "richesse" s'oppose au pôle "pauvreté")
niant en cela la totalité que constitue cette dictature, à
savoir, la production/reproduction de la valeur sur base de l'esclavage
salarié. Comme Proudhon et les socialistes bourgeois voulaient maintenir
le capitalisme en en supprimant les aspects les plus "déplaisants",
les démocrates "ouvriers" veulent à tout prix maintenir la
démocratie et son cortège de "Liberté-Egalité-Fraternité"
en donnant à la classe ouvrière la tâche impossible
d'en supprimer le corollaire plus "déplaisant" du cortège
exploitation-prison-aliénation. La démocratie "ouvrière"
n'est en fait rien d'autre que le vieux mythe capitaliste de la gestion
"ouvrière", de la prise en charge par les ouvriers atomisés
de leur propre exploitation. Les prolétaires atomisés, broyés,
noyés, niés en tant que classe seraient ainsi dictatorialement
déterminés à démocratiquement voter la continuation
de leur propre exploitation, la perpétuation de l'esclavage salarié.
L'utopie du capital sous couvert de démocratie "ouvrière"
est ainsi mise à jour: le capital sans contradiction: une "humanité"
composée uniquement d'ouvriers n'existant que comme producteurs
de valeur.
XI.
Pour le marxisme, il existe une contradiction fondamentale
entre communisme et démocratie, la victoire de l'un implique nécessairement
la destruction de l'autre.
"Le présupposé élémentaire
de la société bourgeoise est que le travail produise immédiatement
la valeur d'échange, donc de l'argent, et qu'ensuite l'argent achète
tout aussi immédiatement le travail et n'achète donc le travailleur
que pour autant qu'il aliène lui-même son activité
dans l'échange. Le travail salarié d'un premier côté,
le capital d'un second, ne sont donc que d'autres formes de la valeur d'échange
développée et de l'argent en tant qu'il est son incarnation.
L'argent est ainsi immédiatement à la fois la communauté
réelle, dans la mesure où elle est la substance universelle
de l'existence pour tous et en même temps le produit collectif de
tous. Mais dans l'argent, comme nous l'avons vu, la communauté est
à la fois pure abstraction, pure chose extérieure et contingente
pour l'individu singulier et en même temps pur moyen de sa satisfaction
en tant qu'il est individu singulier isolé. La communauté
antique présuppose une tout autre relation de l'individu pour soi.
Et donc le développement de l'argent dans sa troisième détermination
brise cet individu. Toute production est une objectivation de l'individu
mais dans l'argent (valeur d'échange), l'objectivation de l'individu
n'est pas celle de l'individu dans sa déterminité naturelle,
mais celui en tant qu'il est posé dans une détermination
(dans un rapport) sociale qui lui est en même temps extérieure."
Marx - Grundrisse