Une fois de plus retentissent les clairons, une fois de plus les éléments de destruction les plus sophistiqués que le capitalisme a pu créer sont utilisés pour procéder au dépeçage massif des êtres humains et de tout ce qui fait la vie; une fois de plus cette société montre où l’amènent son progrès, sa technologie, sa science; une fois de plus des milliers de prolétaires domestiqués sont envoyés sur le front pour y assassiner leurs frères; une fois de plus il s’agit d’imposer à l’arrière l’union nationale et même l’union mondiale entre exploités et exploiteurs pour défendre cette immonde société bourgeoise en putréfaction. Et c’est dans cette conjoncture-là, alors que l’on tente de nous soumettre par tous les moyens possibles aux intérêts des plus forts en nous «invitant» (pour un grand nombre, par la carotte mais pour la majorité, par le bâton) à partir en croisade pour la défense de la civilisation et du monde actuel, que, comme toujours nous situant à contre-courant, nous partons du plus élémentaire, de ce qui nous fait le plus mal en tant que parias de cette terre, de ce qui nous attaque le plus directement, c’est-à-dire la généralisation du terrorisme capitaliste, la guerre qui se développe sur les cinq continents contre nous, les prolétaires.
La bourgeoisie mondiale, qui n’a jamais cessé de faire la guerre et de bombarder les populations d’Irak, de Palestine, de Tchétchénie, de Colombie,... décide maintenant de s’attaquer à l’Afghanistan (*). Au moment où l’on annonce la possibilité d’autres frappes, les criminels armés des grandes puissances pénètrent au Pakistan qui en avait justement tant besoin pour renforcer son terrorisme d’Etat contre la rage prolétarienne. Et simultanément, tout est mis en oeuvre en vue de renforcer la répression contre le prolétariat en Arabie Saoudite, en Algérie, au Liban, en Iran, en Syrie, en Indonésie, en Egypte, en Malaisie, en Jordanie,... mais aussi en Espagne, en Tunisie, au Mexique, au Brésil ou en Thaïlande, et la situation est pire encore dans les pays dont les Etats sont à la tête des massacres actuels: les Etats-Unis, Israël ou l’Angleterre,... La répression terroriste de l’Etat est principalement dirigée contre les prolétaires de couleur «arabe». La chasse aux arabes, suscitées par les lamentations anti-terroristes, se concrétise dans chaque contrôle d’identité, à chaque frontière ou aéroport. Dans la rue, le seul fait d’être d’origine marocaine ou pakistanaise, soudanaise, algérienne ou palestinienne constitue pour la police une présomption suffisante pour se voir accusé de terroriste. Les policiers ont-ils des éléments prouvant la validité de la liste des présumés auteurs de l’attentat du 11 septembre ou ont-ils simplement recherché parmi les voyageurs ceux dont les noms avaient une consonance arabe?
Partout dans le monde, de nouvelles lois punitives sont édictées, on améliore les traités de coopération policière, de nouveaux espaces géographiques sont créés dans lesquels toutes les forces terroristes des différents Etats nationaux collaborent, des mandats d’arrêt à validité internationale voire mondiale sont établis, les fameux droits de l’homme sont soumis à un nombre croissant d’exceptions et le fait même d’être accusé de «terroriste» est suffisant pour se voir privé des garanties les plus élémentaires... Tout sujet est, avant tout, présumé coupable (surtout s’il est d’origine arabe) tant qu’il n’a pas prouvé son adhésion au système. Il ne reste même plus l’once de cette fameuse division des pouvoirs, si chère aux bourgeois d’antan: les pouvoirs exécutifs, les polices et les forces armées décrètent la culpabilité de qui bon leur semble, pendant que toutes les procédures répressives se mettent en branle... jusqu’aux extraditions. Des droits aussi élémentaires que l’«habeas corpus» existant depuis l’époque romaine, s’estompent peu à peu: être accusé de terroriste constitue une raison suffisante pour que tout cela soit relégué aux oubliettes.
Pour nous, cette exacerbation de toutes les tendances criminelles du capitalisme constitue la réponse de la bourgeoisie et du terrorisme de l’Etat démocratique mondial au développement du mouvement du prolétariat international et à sa croissante remise en question de la monopolisation, exercée par l’Etat, des moyens de violence et de terreur.
Face à l’exacerbation des campagnes bourgeoises actuelles, campagnes militaires, terroristes et de défense de la civilisation judéo-chrétienne, nous tenons à réaffirmer, plus que jamais, la validité des positions de toujours des révolutionnaires:
• ton ennemi, prolétaire, se trouve dans «ton propre» pays, c’est «ta propre» bourgeoisie, c’est «ton propre» Etat national.
• opposons à la guerre capitaliste et au terrorisme national et international d’Etat, la lutte révolutionnaire pour la destruction du capitalisme mondial.
• contre la dictature du taux de profit, contre la loi de la valeur, imposons les nécessités humaines, la communauté humaine mondiale.
Mais comment en est-on arrivé à une telle situation? Comment est-il possible qu’il y ait tant de terreur dans le monde? Cet article veut répondre à ces questions et constituer ainsi, par la délimitation des positions révolutionnaires, un outil pour la lutte du prolétariat mondial contre le terrorisme du capital.
New-York, 2001? Non, Santiago du Chili, 11 septembre 1973. Avec la complicité des Etats-Unis, coup d’Etat du général Pinochet contre le socialiste Salvador Allende, et pilonnage du palais présidentiel par les forces aériennes. Des dizaines de morts et le début d’un régime de terreur long de quinze ans...».
C’est de cette manière que le Monde Diplomatique d’octobre 2001 introduit son article à propos du 11 septembre.
Il est intéressant de mettre ici en relief ce que dit et ce que tait la social-démocratie, la gauche bourgeoise (1). L’analyse de ces positions face aux événements actuels s’avère extrêmement instructive, tant pour ce qu’elles dénoncent que pour ce qu’elles cachent, dans la mesure où ces positions sont directement destinées à contrôler les prolétaires déterminés à lutter contre le capitalisme. Attardons-nous d’abord un instant sur cette analyse avant d’en dénoncer le point de vue de base et de classe.
Ainsi, Eduardo Galeano affirme: «Henry Kissinger fut parmi les premiers à réagir face à la récente tragédie. «Quiconque apporte aux terroristes appui, financement et source d’inspiration, sera considéré comme étant tout autant coupable qu’eux,» condamnation que le président Bush répéta quelques heures plus tard. Si tel est le cas, pourquoi ne pas commencer tout d’abord par bombarder Kissinger lui-même. Il s’avère être coupable de bien plus de crimes que ceux commis par Ben Laden et par tous les terroristes qui existent en ce monde. Et ce, dans bien des pays: il a ainsi agi au service de plusieurs gouvernements des Etats-Unis, apportant appui, financement et inspiration à la terreur de l’Etat d’Indonésie, du Cambodge, de Chypre, d’Iran, d’Afrique du Sud, du Bangladesh, ainsi que dans les pays sud-américains, qui eurent à souffrir de la guerre sale du Plan Condor».
Comme on peut le constater, tout le spectre de gauche (où prédomine l’anti-impérialisme si pas l’anti-américanisme primaire) s’est évertué à ridiculiser et à démontrer le caractère criminel et terroriste de la politique de toujours des Etats-Unis (2). Avec humour et s’appuyant sur des faits réels, plusieurs expressions de la bourgeoisie, ne s’alignant pas sur la politique du principal centre capitaliste mondial, ont dénoncé les différents changements (jusqu’à 180 degrés) de la politique nord-américaine durant ces dernières décennies et, plus particulièrement, les définitions simplistes du Bien et du Mal élaborées par le Pentagone et la Maison Blanche. On peut mettre en évidence que, comme dans le livre de Georges Orwell «1984», ils essayent de nous convaincre que les méchants ont toujours été méchants mais il suffit d’un peu connaître l’histoire des années antérieures pour vérifier qu’en bien des cas, ces méchants ont été financés, rendus puissants, militarisés par l’Etat des Etats-Unis, parce que, pour lui, en ces moments-là, ils incarnaient le Bien. Evidemment en ce qui concerne les degrés de folie et de délire dans les variétés de définitions du mal, on dépasse ici largement la fiction orwellienne.
Le Monde Diplomatique nous rappelle ainsi que, pendant toute la période de la «guerre froide» (1948-1989), les Etats-Unis «s’étaient déjà lancés dans une «croisade» contre le communisme qui prit parfois des allures de guerre d’extermination: des milliers de communistes liquidés en Iran, deux cents mille opposants de gauche supprimés au Guatemala, près d’un million de communistes anéantis en Indonésie,... Les pages les plus atroces du Livre Noir de l’impérialisme américain furent écrites au cours de ces années, marquées également par les horreurs de la guerre du Vietnam (1962-1975). C’était déjà «le Bien contre le Mal». Mais à l’époque, selon Washington, soutenir des terroristes n’était pas forcément immoral. Par le biais de la CIA, les Etats-Unis préconisèrent des attentats dans des lieux publics, des détournements d’avion, des sabotages et des assassinats. A Cuba, contre le régime de M. Fidel Castro, au Nicaragua contre les sandinistes ou en Afghanistan contre les soviétiques. C’est là, en Afghanistan, avec le soutien de deux Etats très peu démocratiques, l’Arabie Saoudite et le Pakistan, que Washington encouragea, dans les années 1970, la création de brigades islamiques recrutées dans le monde arabo-musulman et composées de ce que les médias appelaient les «freedom fighters», «les combattants de la liberté!»
Galeano dit encore: «Non seulement les fanatiques religieux ont besoin d’ennemis pour justifier leur folie, mais l’industrie des armes et le gigantesque appareil militaire des Etats-Unis en ont également besoin pour justifier leur existence. Bons et Méchants, Méchants et Bons: les acteurs changent de rôle, les héros se transforment en monstres et les monstres en héros, selon les besoins des auteurs du drame. Et cela n’a rien de nouveau. Le scientifique allemand Werner Van Braun tint le rôle du méchant quand il inventa les fusées V-2, les mêmes qu’Hitler balança sur Londres, mais se convertit en bon, le jour où il mit ses talents au service des Etats-Unis. Staline, c’était le bon durant la Seconde Guerre Mondiale, mais le méchant, un peu plus tard, lorsqu’il se mit à diriger l’Empire du Mal,... Et ensuite, on vit les Russes se bonifier, et Poutine déclarer à son tour: ‘Le Mal doit être châtié’. Saddam Hussein était bon et bonnes étaient les armes chimiques qu’il employait contre les iraniens et les kurdes. Ensuite, il se malifia. Il ne s’appelait plus que Satan Hussein lorsque les Etats-Unis qui venaient d’envahir Panama, envahirent l’Irak puisque l’Irak avait envahi le Koweit. Bush père endossa la responsabilité de cette guerre contre le Mal. Avec l’esprit humanitaire et pieux qui caractérise sa famille, il massacra plus de cent mille irakiens, civils dans leur grande majorité. Satan Hussein continue aujourd’hui d’être ce qu’il a été, à la différence près que cet ennemi numéro un de l’humanité a rétrocédé de place pour n’être plus que l’ennemi numéro deux. Le nouveau fléau de ce monde s’appelle aujourd’hui Oussama Ben Laden. C’est la CIA qui lui a enseigné toutes ses connaissances en matière de terrorisme: Ben laden, aimé et armé par le gouvernement des Etats-Unis, constituait l’un des principaux «guerriers de la liberté» contre le communisme, en Afghanistan. Bush père était vice-président, lorsque le Président Reagan affirma que ces héros devaient être considérés comme «l’équivalent moral des Pères Fondateurs de l’Amérique». Hollywood marqua son accord avec la Maison Blanche. C’est durant cette période que se filma Rambo III: les Afghans musulmans étaient les bons. Ils incarnent aujourd’hui les méchants les plus maléfiques, 13 ans plus tard, à l’ère de Bush fils».
Et si l’on rétrogresse dans le temps: «Avant la Seconde guerre Mondiale, l’Union Soviétique, par son athéisme collectiviste qui faisait dresser les cheveux sur la tête des chauves de Wall Street, était déjà un repoussoir suffisant pour qu’on fasse des risettes à un petit moustachu qui venait d’être élu «meilleur anti-communiste de l’année» en Allemagne, un certain Hitler, dont nos lecteurs les plus anciens ont peut-être le souvenir. Du Vatican à la Maison Blanche, en passant par une bonne partie des chancelleries européennes, on s’est frotté les mains devant l’aubaine. Avec un tel ennemi, notre ennemi Staline n’avait qu’à bien se tenir. Et puis, Hilter a déçu par ses caprices imprévisibles. Qu’il se mette à bouffer la moitié de l’Europe et qu’il assassine les juifs, les démocrates, les artistes n’a pas gêné grand monde, à part quelques échevelés intellectuels fermés au réalisme politique. Le pacte germano-soviétique, en revanche, a sérieusement entamé le crédit dont les nazis jouissaient dans les milieux démocrates. On connaît la suite. Notre ami Hitler, finalement, a exagéré, au point de déclencher une petite crise qui a fait soixante millions de morts.» (3)
D’autres secteurs, plus radicaux, en ont profité pour réaliser des comparaisons quantitatives qui tournent en ridicule les appels incessants à la compassion en faveur des «innocentes victimes citoyennes» puisqu’ils sont parvenus à mettre en évidence que si pour les 4.000 victimes (4) du Pentagone et du World Trade Center on faisait trois minutes de silence, pour ce qui est des massacres imputables au Pentagone et à tous les centres de commerce mondial, c’est durant vingt-quatre heures qu’il faudrait se taire.
• accepte la définition de terrorisme que donnent les terroristes d’Etat à ceux qui tentent de les critiquer; elle identifie terrorisme aux actes violents qui rompent avec l’ordre légal existant.
• pose les choses en termes de pays et non de classes sociales. Elle voit ainsi dans les Etats-Unis «...un pays qui n’est pas innocent», amalgamant «un pays» avec les massacres réalisés pour les intérêts de la bourgeoisie mondiale sur base des forces régulières et irrégulières du gendarme étatique du monde: les «Etats-Unis»;
• En conséquence, elle considère le problème comme un affrontement entre différents terrorismes qui génèrent de chaque côté d’innocentes victimes et elle présente au passage ceux qui partent de ce point de vue comme les véritables anti-terroristes et défenseurs de l’ordre démocratique.
• La politique qui résulte de tout cela est, bien entendu, le renforcement des institutions démocratiques et, au lieu de l’hégémonie des Etats-Unis, une hégémonie partagée avec d’autres puissances supposées moins enclines à ces «excès yankees»;
• Il ne fait aucun doute que cette position exprime avant tout une position de classe; une position qui correspond aux intérêts et défend la formation sociale bourgeoise mondiale, et qui, secondairement, est favorable aux fractions moins hégémoniques du capital (non concurrentielles), opposées par conséquent au libéralisme économique. Parmi ces dernières, bon nombre ne cachent d’ailleurs pas leur impérialisme européiste, leur volonté de faire tourner la roue de l’histoire à l’envers pour, ensuite, revenir à une hégémonie européenne.
Il ne pouvait en être autrement. Au delà des discussions internes qu’elle peut avoir, la social-démocratie a fondamentalement les mêmes intérêts de classe que le coeur de l’empire nord-américain. Ainsi, la force de cette dénonciation de «l’impérialisme nord-américain» se voit ridiculisée par la «compassion» générale «envers les innocentes victimes». Comme si cette «compassion» pouvait être comparée qualitativement à celle qu’on ressent pour «les millions d’autres victimes», qu’eux-mêmes reconnaissent! Comme si la différence n’était que quantitative!
Si pour l’Etat d’Israël, un terroriste, c’est un enfant avec une pierre, alors que le tank qui tire contre la population est anti-terroriste, pour les social-démocrates, il est indistinctement question de «terrorisme». Ainsi, en bons humanitaires, ils se situent contre «tout type de terrorisme», assimilant ni plus ni moins le terrorisme des bombes atomiques, du bombardement systématique des populations de dizaines de pays, de l’enfermement, de la torture et de l’extermination systématique de militants sur les cinq continents, au terrorisme de ceux qui n’ont que des pierres, des molotovs ou des couteaux de cuisine pour se battre et défendre leur vie.
Ainsi, le social-démocrate Galeano, qui ne parle jamais de lutte de classes mais bien de contradictions entre pays et cultures, décide enfin de le faire au bénéfice des «travailleurs»... du World Trade Center (!): «Les terroristes ont tué des travailleurs de 50 pays différents». De la même manière, le Monde Diplomatique déclare: «Au-delà de la légitime compassion envers les innocentes victimes des attentats de New-York, comment ne pas convenir que les Etats-unis ne sont pas -moins que n’importe quel autre- un pays innocent? N’ont-ils pas participé à des actions politiques violentes, illégales et du moins clandestines en Amérique Latine, au Moyen-Orient ou en Asie,...? Dont la tragique conséquence fut un nombre incalculable de morts, de «disparus», de torturés, d’emprisonnés, d’exilés,...»
La condamnation du terrorisme par la social-démocratie se base sur le plus cynique humanitarisme bourgeois et se réduit à condamner tout ce qui échappe à la légalité et à l’ordre démocratique bourgeois. Dans de nombreux endroits, de façon toute intuitive, le prolétariat refusa de participer à cette indignation généralisée de la bourgeoisie qui, pour la première fois, exigeait d’aussi longues minutes de silence. Plus tard, ce fut par l’intermédiaire de blagues que le prolétariat se moqua de tout cette solennité qui préparait, en réalité, plus de militarisation et de répression.
Pour le prolétariat, au contraire, ce sont avant tout les bases mêmes du système de propriété, les règles légales et tout le système démocratique qui sont terroristes. C’est la séparation opérée entre l’humanité et les moyens de reproduction de l’espèce humaine qui est terroriste, la propriété privée d’un côté et les prolétaires dépossédés de tout de l’autre. Toutes les catastrophes dites écologiques sont précisément provoquées par cette loi de la propriété privée que constitue l’insatiable quête de maximalisation du taux de profit.
C’est ce monde basé sur la propriété privée qui, quotidiennement, tue dans tous les coins de la planète. Le système capitaliste est, de haut en bas, du passé le plus reculé au présent le plus moderne, basé sur la terreur. Seule la terreur qu’inspirent la prison, le tribunal, la police et l’armée peut expliquer que l’être humain soit dépourvu de tout, jusqu’à en mourir d’inanition, tout en regardant l’abondance de marchandises pourrir sur les étals. Seule cette terreur fondamentale, base de la privation de la propriété des moyens de vie peut expliquer que l’être humain vende sa force de travail et perde sa vie en tentant de la «gagner».
Voilà l’abc qu’«oublient» toutes les fractions du
capital ou, mieux dit encore, qu’elles occultent systématiquement
pour protéger les fondements de ce système, qui ne fonctionne
que par la terreur. De cette occultation systématique, de cette
complicité avec le terrorisme légal et quotidien qu’est le
capitalisme on en arrive «naturellement» à une définition
du terrorisme basé sur la moralité bourgeoise. Ainsi, le
monde se diviserait entre les innocents et les coupables, entre pacifistes
et honnêtes citoyens d’un côté et les terroristes de
l’autre. Les premiers seraient ceux qui respectent la légalité
bourgeoise, les seconds, ceux qui la violent, ceux qui commettent des actes
violant les principes du droit, etc... Bien entendu, cette conception est
celle qui domine tant au sein de la droite qu’au sein de la gauche du capital.
Elle part de la base que cette fameuse légalité bourgeoise
bénéficie à tout le monde et que les exploiteurs ont
les mêmes intérêts que les exploités à
défendre ce système (5).
Contre le terrorisme d’EtatRien de plus « naturel » pour ce système que des millions d’êtres terrorisés face aux forces répressives crèvent de faim et ne puissent s’approprier les moyens nécéssaires à leur subsistance; rien de plus « naturel » pour cette société terroriste que ses droits de l’homme s’appliquent de façon aussi carnassière aux combattants prolétariens, à tel point que le nombre de disparus pour la seule Amérique Latine approche le chiffre impressionnant de 100.000 et que les torturés et emprisonnés dans le monde se comptent par millions. Rien de plus « naturel » pour le Capital que la production de la planète ait partout comme centre dynamique la production de moyens de terrorisme collectif, de mort et de destruction, alors que la majorité n’a pas de quoi vivre. Rien de plus « naturel », pour le terrorisme démocratique officiel, que la défense de la loi de son système implique des années de prison, la torture ou la mort, pour ceux qui attentent à sa sacro-sainte propriété privée ou à son économie nationale, en s’appropriant ce dont ils ont besoin, en paralysant la production ou en s’organisant contre la liberté de travail (répression des jaunes, piquets de grève). Le citoyen, réceptacle et reproducteur de cette naturalité sociale, défenseur des lois de l’économie nationale et sa démocratie, est donc préparé à franchir un pas de plus dans l’évolution inéluctable de la société actuelle: la mobilisation nationale pour la défense du terrorisme d’Etat, la collaboration et la délation systématique, la guerre capitaliste. Pendant l’ère capitaliste, il y eut de nombreuses formes idéologiques utilisées pour consolider les avancées décisives de l’Etat vers le terrorisme généralisé: défense de la civilisation, lutte pour la démocratie ou le socialisme, lutte contre le fascisme, contre le communisme, contre le chaos et le désordre... Mais par excellence, la forme la plus appropriée au principe de monopole de la violence en faveur de l’Etat démocratique, est la forme qui attaque directement, tout questionnement de ce monopole, c’est-à-dire tout questionnement violent du terrorisme d’Etat. Le summum de la démocratie, sa purification, c’est ce monopole exclusif et total, l’Etat libre (clé de tout le programme social-démocrate - cf. Marx: « Critique du Programme de Gotha »), libre de tout ennemi. Pour cela, l’anti-terrorisme est par excellence l’idéologie de l’Etat terroriste, et cela qu’il doive se présenter en association à d’autres valeurs propres à tous les Etats (la démocratie) ou particuliers à chacun: défense de la révolution islamique, du monde libre, du socialisme, de la libération nationale. Toute campagne anti-terroriste en général, quels que soit ses auteurs, contribue au maintien et au renforcement indispensable du terrorisme d’Etat et convertit ses instigateurs, quelle que soit leur volonté, en agents objectifs du terrorisme d’Etat. Extrait de notre revue centrale "Contre le terrorisme d’Etat, de tous les Etats" in Le Communiste N°26 (février 1988). |
En réalité, il s’agit de convaincre le dépossédé, l’affamé, l’humilié, l’exploité,... que le patron qui, en fonction de la rentabilité de son entreprise, prend une décision (comme toutes celles prises quotidiennement dans les centres de l’industrie, du commerce et du capital financier mondial) qui, par exemple, aura pour conséquence la désertification, des centaines de milliers de personnes sans eau potable, ni nourriture, le poulet à la dioxine, la vache folle, la destruction de la biodiversité de la mer ou des forêts entraînant la mort par inanition de millions de personnes,... que ce patron donc n’est pas un terroriste mais un parfait et honnête citoyen. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est protégé par toutes les lois de tous les Etats du monde et par toutes les armes que ces Etats monopolisent. Au maximum, ce que proposent certains de ses idéologues, tels les membres de Attac et consorts, c’est de changer un tant soit peu la législation pour rectifier ce qu’ils considèrent comme excès du capital, «pour limiter l’action du néo-libéralisme» mais, quoi qu’il en soit, quiconque respecte ces lois, réformées ou non, ne sera pas considéré comme terroriste. Ce qu’ils occultent ainsi, c’est que c’est précisément cette maximalisation tant convoitée du profit, dans tous les secteurs, qui extermine la vie (des forêts, des mers, des animaux, des êtres humains) sur les cinq continents de cette planète.
Pour la social-démocratie au contraire, est terroriste le noir, l’indien, l’arabe, le latino ou autrement dit le dépossédé de n’importe quelle partie de ce monde et de n’importe quelle couleur, lorsqu’il tire une balle dans la nuque d’un si respectable entrepreneur ou, plus encore, quand il s’organise avec d’autres camarades pour attenter au monopole de la violence exercé par l’Etat dans n’importe quel endroit. Lorsque l’action du premier attaque et met en danger l’un de ces messieurs, une usine, un parti ou la centralisation de tout cela, le spectre politique idéologique bourgeois dans son entièreté (des «néo-libéraux» à la «nouvelle gauche») s’unifie pour «condamner l’action terroriste contre les pacifiques et honnêtes citoyens».
Ne sont pas considérés comme terroristes, ni le légitime et démocratique conseil d’administration d’une société anonyme qui fabrique des armes chimiques ou biologiques capables de détruire l’humanité toute entière, ni les grands pontes des centres financiers et commerciaux dont l’accumulation de plus-value implique inévitablement la faim et la misère de la plus grande part de l’humanité, ni les polices, ni les armées régulières. Mais, par contre, que des agitateurs lancent un molotov contre une réunion de ces mêmes grands manitous ou le fait que, fatigué par tant d’exploitation et d’extermination, un prolétaire s’arme d’un revolver et attaque une banque, s’empare d’un avion ou descend un bourgeois, ça, c’est considéré comme terroriste.
Finalement, toute la social-démocratie admet que les décisions que prennent les grandes institutions internationales (comme le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale, la Banque Inter-américaine du Développement, l’Union Européenne, les gouvernements et les partis politiques, ainsi que les unions d’entreprises, les «World Trade Centers»,...) peuvent impliquer des millions de victimes directes ou indirectes (même ce commerçant de roquefort français qu’est Bové a déclaré: «le système tue 800 millions de personnes par an») mais elle ne traite jamais ces institutions pour ce qu’elles sont: des institutions terroristes, des centres du terrorisme de l’Etat mondial. Par contre, elle élèvera la voix pour condamner «l’action terroriste» de ceux qui incendient une banque (car aussi locale et petite soit une banque, elle n’en reste pas moins une agence du capital financier mondial et, pour cette raison, elle fait partie intégrante du terrorisme général du capital!) exécutent un patron ou un tortionnaire (6).
Pour la social-démocratie, le juge, le militaire, le policier,... ne sont pas des terroristes du moment qu’ils respectent la loi. Pour nous, prolétaires, il ne s’agit pas d’une question de terminologie, nos vies sont ce qu’elles sont du fait de la terreur que nous imposent toutes ces institutions. C’est-à-dire que pour cette question comme pour toutes les autres dans ce monde, il y a deux manières de voir (ou mieux dit, de vivre, de ressentir dans ses tripes), deux conceptions totalement incompatibles qui s’affrontent lorsqu’on parle de terrorisme.
Il n’est donc pas très difficile de savoir à quelle conception obéit cette «condamnation générale du terrorisme», de «tous les terrorismes», de «toute action provoquant d’innocentes victimes» que l’on peut voir au travers de tous les grands moyens de diffusion et dont se rendent complices des groupes s’auto-définissant marxistes, anarchistes, communistes, libertaires, trotskistes, etc...
Cette condamnation générale et moraliste du terrorisme constitue aujourd’hui la meilleure propagande pour la consolidation générale du terrorisme du capital et de l’Etat, pour la guerre généralisée contre toute lutte prolétarienne, que ce soit sous forme d’une répression ouverte ou d’une guerre impérialiste contre le prolétariat.
Lorsque Bush parla de «nouvelle croisade», les conseillers du coeur même du terrorisme mondial lui intimèrent de se taire. C’est que le mythe des bienveillantes croisades, chères aux héros cinématographiques de Hollywood ne résistent pas à la plus petite des analyses historiques. Seuls peuvent y croire encore Bush et l’honnête citoyen des Etats-Unis, qui s’imaginent que le monde dépend de leurs impôts et de leur vote. Ayant déjà contre eux le prolétariat de tous les pays arabes, ils ne pouvaient se permettre, par ces déclarations, de se mettre à dos également des secteurs importants de la bourgeoisie. La répression sanguinaire que la bourgeoisie nord-américaine veut imposer internationalement requiert l’accord le plus large possible de tous les Etats, de toutes les bourgeoisies.
Les croisades! Des villes entières incendiées, des hommes, des femmes, des enfants brûlés vifs, des viols, des destructions,... le christianisme (mû déjà par la dynamique du capital commercial et armé de l’épée de l’absolutisme) et ses croisades constituèrent sans aucun doute une des plus grandes catastrophes humaines que notre espèce eut à connaître. Cette histoire, c’est la véritable histoire, souvent présentée d’une idyllique façon, de l’accumulation originaire du capital. Plus tard, le développement du capital impliqua des oeuvres aussi civilisatrices et chrétiennes que la mise au bûcher des «infidèles», l’inquisition avec la systématisation de la torture, de l’esclavage...
Bien des fois, on oublie que l’esclavage ne fut pas seulement une vieille forme de production (comme le dit la social-démocratie en général); il constitua également une forme subsidiaire et nécessaire (tant dans le passé qu’aujourd’hui) du développement du salariat et, plus généralement, de l’accumulation capitaliste, non seulement de l’«accumulation primitive» mais de l’accumulation capitaliste actuelle également.
Ainsi, aux origines de l’industrialisation, «dans le même temps que l’industrie cotonnière introduisait en Angleterre l’esclavage des enfants, aux Etats-Unis elle transformait le traitement plus ou moins patriarcal des noirs en un système d’exploitation mercantile. En somme, il fallait pour piédestal à l’esclavage dissimulé des salariés en Europe l’esclavage sans phrase dans le nouveau monde. (...) Si, d’après Augier, c’est «avec des taches naturelles de sang sur une de ces faces» que «l’argent est venu au monde», le capital y arrive suant le sang et la boue par tous les pores» (7).
«La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquêtes et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore.» (8)
Ceci continue d’être le modèle civilisateur de ceux qui, aujourd’hui, se plient à la guerre que développe le Pentagone, au nom de l’anti-terrorisme, de Bush et de ses croisades pour une «justice infinie», de Berlusconi et de sa civilisation supérieure, enfin de tous ceux qui, au nom de l’anti-terrorisme, contribuent au terrorisme généralisé d’Etat à l’encontre du prolétariat, partout dans le monde.
La population européenne a t-elle été mieux traitée au moins? Mais pas du tout, ni hier, ni aujourd’hui. Le terrorisme d’Etat constitua également le tremplin indispensable pour imposer l’esclavage salarié qui se développa parallèlement à l’esclavage tout court: «La création du prolétariat sans feu ni lieu -licenciés des grands seigneurs féodaux et cultivateurs victimes d’expropriations violentes et répétées- allait nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes. D’autre part, ces hommes brusquement arrachés à leurs conditions de vie habituelles ne pouvaient se faire aussi subitement à la discipline du nouvel ordre social. Il en sortit donc une masse de mendiants, de voleurs, de vagabonds. De là vers la fin du XV° et pendant tout le XVI°, dans l’ouest de l’Europe, une législation sanguinaire contre le vagabondage. Les pères de la classe ouvrière actuelle furent châtiés d’avoir été réduits à l’état de vagabonds et de pauvres. La législation les traita en criminels volontaires; elle supposa qu’il dépendait de leur libre arbitre de continuer à travailler comme par le passé et comme s’il n’était survenu aucun changement dans leur condition.» (9)
Et pour exemplifier le développement de notre classe en Europe citons quelques éléments de cette législation progressiste qui vit le jour en Angleterre sous de le règne de Henry XIII: «Les mendiants âgés et incapables de travail obtiennent des licences pour demander la charité. Les vagabonds robustes sont condamnés au fouet et à l’emprisonnement. Attachés derrière une charrette, ils doivent subir la fustigation jusqu’à ce que le sang ruisselle de leur corps; puis ils ont à s’engager par serment à retourner, soit au lieu de leur naissance, soit à l’endroit qu’ils ont habité dans les trois dernières années, et à «se remettre au travail». (...). En cas de première récidive, le vagabond doit être fouetté de nouveau et avoir la moitié de l’oreille coupée; à la deuxième récidive, il devra être traité en félon et exécuté comme ennemi de l’Etat.» Sous le règne d’Edouard VI, «Un statut de la première année de son règne (1547) ordonne que tout individu réfractaire au travail sera adjugé comme esclave à la personne qui l’aura dénoncé comme truand. (Ainsi, pour avoir à son profit le travail d’un pauvre diable, on n’avait qu’à le dénoncer comme réfractaire au travail). Le maître doit nourrir cet esclave au pain et à l’eau, et lui donner de temps en temps quelque boisson faible et les restes de viande qu’il jugera convenable. Il a le droit de l’astreindre aux besognes les plus dégoûtantes à l’aide du fouet et de la chaîne. Si l’esclave s’absente une quinzaine de jours, il est condamné à l’esclavage à perpétuité et sera marqué au fer rouge de la lettre S [= «slave», esclave] sur la joue et le front; s’il a fui pour la troisième fois, il sera exécuté comme félon. Le maître peut le vendre, le léguer par testament, le louer à autrui à l’instar de tout autre bien meuble ou du bétail. Si les esclaves machinent quelque chose contre les maîtres, ils doivent être punis de mort. Les juges de paix ayant reçu information sont tenus à suivre les mauvais garnements à la piste. Quand on attrape un de ces va-nu-pieds, il faut le marquer au fer rouge du signe V sur la poitrine et le ramener à son lieu de naissance où, chargé de fers, il aura à travailler sur les places publiques. (...). Le premier venu à le droit de s’emparer des enfants des vagabonds et de les retenir comme apprentis, les garçons jusqu’à vingt-quatre ans, les filles jusqu’à vingt. S’ils prennent la fuite, ils deviennent jusqu’à cet âge les esclaves des patrons, qui ont le droit de les mettre aux fers, de leur faire subir le fouet, etc. à volonté. Chaque maître peut passer un anneau de fer autour du cou, des bras ou des jambes de son esclave, afin de mieux le reconnaître et d’être plus sûr de lui.» (10)
Quelques deux siècles plus tard, toujours en Angleterre, exemple même de l’industrialisation capitaliste, la législation ordonnait: «les mendiants sans permis et âgés de plus de quatorze ans devront être sévèrement fouettés et marqués,... au fer rouge à l’oreille gauche. (...) En cas de récidive, ceux âgés de plus de dix-huit ans doivent être exécutés, si personne ne veut les employer pendant deux années. (...) En France, où vers la moitié du XVIIème siècle les truands avaient établi leur royaume et fait de Paris leur capitale, on trouve des lois semblables. Jusqu’au commencement du règne de Louis XVI (...), tout homme sain et bien constitué, âgé de seize à soixante ans, et trouvé sans moyens d’existence et sans profession, devait être envoyé aux galères. Il en est de même du statut de Charles Quint pour les Pays-Bas, du mois d’octobre 1537. (...). C’est ainsi que la population des campagnes, violemment expropriée et réduite au vagabondage, a été rompue à la discipline qu’exige le système du salariat par des lois d’un terrorisme grotesque, par le fouet, la marque au fer rouge, la torture et l’esclavage» (11). La voilà l’histoire réelle de la civilisation capitaliste et du christianisme pratique. Comment oublier l’histoire quand on nous dit que les terroristes sont uniquement ceux qui ont attaqué les tours de New-York et non ceux qui se trouvaient à l’intérieur?!
Comme l’ont affirmé certains journaux à cet égard: «Berlusconi prétend que la civilisation occidentale est supérieure. La preuve, on a eu Hitler et Mussolini» (12). En effet, la civilisation au nom de laquelle on fait la guerre au terrorisme aujourd’hui est la synthèse de tout le terrorisme historique qui fut nécessaire pour imposer le travail et l’exploitation, la synthèse de toute la barbarie de la civilisation. Celle des croisades, celle de l’extermination en Amérique des indigènes qui ne se soumirent jamais au travail, celle de la sanguinaire sujétion au travail de tous les autres natifs d’Amérique, celle de la réduction en esclavage de tout le continent africain, celle de l’exploitation industrielle avec comme conséquence l’esclavage d’enfants, celle du tsarisme et du bonapartisme, celle des grandes guerres mondiales, celle des camps de concentration nazis et staliniens, celle des déportations forcées et des épurations ethniques, celle des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, celle des massacres au Vietnam, Laos, Cambodge,... celle des escadrons de la mort et celle de la disparition systématique de personnes en Indonésie, à Chypre, au Guatemala, en Argentine, au Chili, au Brésil, au Paraguay, en Uruguay, en Colombie, au Pérou,... celle qui continue aujourd’hui même à bombarder l’Afghanistan, l’Irak, la Palestine,...
Quelle démonstration plus évidente encore de la supériorité de cette civilisation que l’existence au sein même des Etats-Unis de plus de deux millions d’êtres humains emprisonnés?
Le célèbre travail libre des salariés de ce monde continue de se baser sur la terreur qu’inspirent les armes de la police, les prisons, les tortures! Et que dire des 200 millions d’esclaves recensés aujourd’hui!
Comment osent-ils nous parler, à nous prolétaires, de terrorisme, alors que le monde dans lequel nous vivons continue de se baser sur le terrorisme quotidien du travail sous la menace de crever de faim?
Face à la catastrophe du monde capitaliste, la question centrale pour l’humanité est, aujourd’hui plus que jamais, la destruction de la société bourgeoise, la révolution sociale. Voyons maintenant comment s’exprime actuellement et mondialement la critique historique globale du capital, l’action prolétaire révolutionnaire de destruction de cette formation historique.
Mettant l’accent sur les aspects positifs et de rupture prolétarienne de ces deux types de combats de classe, nous constations en particulier la tendance à une critique de plus en plus générale et explicite du capitalisme, qui s’est également affirmée à Gênes. Parallèlement, nous critiquions des déviations et manque de ruptures que manifestait le mouvement et nous appelions à assumer «...cette tendance historique du prolétariat à se reconstituer et à se reconnaître en tant que classe, à affirmer le programme révolutionnaire...».
Nous voulons insister maintenant sur d’autres aspects de l’actualité qui, bien qu’ils soient encore disparates, affirment cette même tendance du prolétariat à se reconstituer en force mondiale. Autrement dit, nous désirons mettre en évidence qu’au-delà des drapeaux et mots d’ordre fort différents et malgré la falsification générale de l’information effectuée partout, il existe d’autres expressions de cette même tendance historique, même s’il s’avère difficile d’en percevoir le niveau d’affirmation. Concrètement, nous nous référons à la lutte du prolétariat international sur les cinq continents qui se développe de façon hétérogène et adopte divers drapeaux plus ou moins confus (et parfois même bourgeois), comme celui de l’«antiracisme», de l’«anti-impérialisme», «contre le massacre historique des indiens», «pour la récupération des terres de nos ancêtres», «contre l’esclavage», «pour que tous les coupables historiques de l’esclavage payent», «contre le sionisme international», «contre les USA et Israël», «contre la Russie»,...
Il est clair que vu le manque de conscience de classe du prolétariat international tant en ce qu’il y a de plus basique (inconscience d’appartenir à une même classe ayant les mêmes intérêts) qu’en ce qui concerne la perspective (unification classiste en vue de détruire le capital sur toute la planète et constituer une véritable communauté humaine mondiale), nos ennemis peuvent continuer à nous présenter ces luttes comme vides de tout intérêt commun, de toute perspective commune.
Cependant, peu à peu, ces luttes vont mettre en évidence que les ennemis sont les mêmes: la société mercantile généralisée au niveau mondial, c’est-à-dire le capital et tous les Etats. Simultanément et sous des formes bien différentes de celles du passé (14), l’affrontement à une échelle chaque fois plus planétaire contraindra le prolétariat à se reconnaître lui-même.
Ce qui aujourd’hui peut apparaître encore comme une relation établie de manière théorique, comme par exemple celle qui existe entre la révolte en Algérie (15) et la lutte contre les centres du capital mondial et les sommets de ses grands pontes, va tendre à s’imposer comme antagonisme général entre prolétaires et bourgeois au niveau mondial, parce que ces intérêts antagoniques sont déjà aujourd’hui contenus dans les intérêts et les pratiques de chaque classe. Mais, du fait de la domination idéologique et du monopole total de la bourgeoisie sur les moyens de diffusion, ce processus réel n’apparaît pas en tant que tel, il se trouve être totalement camouflé, défiguré. C’est pour cette raison qu’il peut être intéressant de passer en revue, même de façon synthétique, d’autres exemples exprimant cette tendance internationale.
Depuis quelques années, et en particulier depuis 1992, date anniversaire célébrant les 500 années de terrorisme capitaliste, un peu partout en Amérique un ensemble de luttes éclatent qui dénoncent la colonisation européenne, l’esclavage et le massacre de la population autochtone qui débuta avec cette invasion initiée en 1492... (16). Dépossédés et exploités indigènes américains (bien souvent en compagnie de prolétaires d’origine européenne, africaine et même asiatique), associés en une variété d’organisations qui dénoncent d’un point de vue historique la colonisation et présentent divers drapeaux revendicatifs (qui vont de la réclamation des terres de leurs ancêtres jusqu’au combat, toujours d’actualité, contre l’imposition de la culture judéo-chrétienne) ont développé différentes formes de lutte. En effet, du Canada au Chili, en passant par le Brésil et le Mexique, ce mouvement est allé en s’affirmant et prend forme. Il dénonce le capitalisme depuis ses origines, pose des actes symboliques pour dénoncer «l’épée, la bible, la croix», tributs des colonisateurs, il réclame et occupe la terre, incendie et détruit des locaux de l’Etat. Dans bien des cas, ce mouvement fait partie de la lutte contre l’austérité imposée par les gouvernements nationaux et les mesures imposées par la politique économique du Fond Monétaire International et il se généralise à l’intérieur de tout un pays. Les moyens de désinformation publique informent le moins possible sur de telles actions et, quand ils se décident à nous informer, ce n’est que pour affirmer les particularismes des «indiens de chaque pays», pour insister sur les déclarations à propos de la culture de telle ou telle tribu historique, pour regarder paternellement de haut les gesticulations de ces «ethnies primitives» et, d’une manière générale, pour tenter de prouver que leur lutte n’a rien de commun avec ce qui se passe ailleurs (17). La social-démocratie, dans toutes ses variantes (socialistes, «communistes», «anarchistes»,...) théorise que ces indiens appartiennent non pas au prolétariat mais à la petite bourgeoisie (!) ce qui est bien entendu complémentaire au travail de la droite pour isoler (et réprimer) ce mouvement des autres secteurs combatifs du prolétariat. Cette idéologie, que partagent tous les scientifiques sociaux, correspond, en toute logique, aux intérêts dominants. Cependant, dans les pays où le prolétariat indigène a de l’importance, il a joué (et il ne pouvait en être autrement) un rôle décisif au sein de toutes les grandes luttes: dans les affrontements massifs au régime de Banzer en Bolivie, dans les luttes contre l’austérité et la répression en Equateur, au Pérou,... dans la lutte contre les tortionnaires et contre l’impunité au Guatemala, Chili, Mexique,..., dans l’occupation des terres au Brésil, Canada,... Plus encore, l’unité réelle qui émerge de la lutte du prolétariat rend totalement absurde et réactionnaire la différenciation entre prolétaires métis ou indigènes, américains, africains, européens... (différenciation également défendue bien des fois par certaines organisations indigènes qui tombent dans le nationalisme voire le racisme). Comme nous manquons de matériaux et d’une presse propre (il serait extrêmement intéressant d’effectuer une chronologie et de constater les éléments de coïncidence dans le temps ainsi que le développement croissant de ces luttes), la falsification du mouvement est totale. Pour pouvoir reconnaître notre propre mouvement, il nous faut toujours détruire le voile avec lequel on l’occulte et, dans bien des cas, savoir lire entre les lignes et même derrière les lignes qu’écrivent nos ennemis.
C’est pourquoi il est très difficile de connaître les manifestations violentes ou les occupations de terres au moment où celles-ci ont lieu. Et cette difficulté s’avère encore plus grande quand il s’agit des assemblées ou des réunions organisées par les noyaux qui préparent ces actions. En général, dans la presse, n’apparaissent que les aspects juridiques bourgeois de ces luttes, comme par exemple, la réclamation de terres par un représentant d’un tel «quilombo» (18) dans tel Etat du Brésil, ou la reconnaissance juridique obtenue à tel endroit du monde. C’est ainsi que l’on a appris, par certains journaux, qu’au Canada et aux Etats-Unis, les droits des indigènes seraient reconnus et qu’on irait même jusqu’à leur octroyer des indemnités pour les massacres et les expropriations dont leurs communautés ont souffert aux siècles passés.
Ils nous contraignent à ne reconnaître notre lutte qu’au travers des applications juridiques, puisque c’est l’unique chose qui est divulguée. Et s’il en est ainsi, c’est bien entendu en vue d’isoler ceux qui luttent et, parallèlement, de nous convaincre que le but de la lutte, c’est précisément d’obtenir ces applications juridiques. C’est exactement la même chose que lors du spectacle Pinochet et du procès de certains flics tortionnaires en Argentine (19). Les médias n’ont fait référence qu’au spectacle juridique et non à la lutte prolétarienne contre ces tortionnaires. Ce show avait pour objectif de désarmer la lutte du prolétariat mais, paradoxalement, il est le seul qui apparaisse comme réel aux yeux des prolétaires des autres pays. La réalité, on ne peut la deviner que derrière ce spectacle. Seul un développement encore plus puissant de la lutte prolétarienne, dans tous les pays, brisera ce voile spectaculaire et mettra à nu les intérêts uniques d’une classe qui ne peut s’organiser qu’à l’échelle internationale.
Comme dans le cas de la lutte contre l’impunité, ce que tous les appareils de désinformation nous cachent ce sont précisément les éléments de rupture et de développement du mouvement prolétarien. Cependant certaines données sont impossibles à cacher. Dans le cas de la lutte du prolétariat indigène, il est difficile d’occulter le fait que la majorité des associations en lutte (malgré des éléments particularistes sur lesquels s’appuie toujours la gauche du système en vue de récupérer ces luttes), marquant leur totale opposition au capitalisme et à la culture qui les réduisit en esclavage, se définissent particulièrement contre tout pays et toute frontière. En effet, les caractéristiques les plus répandues de ces organisations d’indigènes en lutte sont: le refus de reconnaître le pays dans lequel elles vivent et le fait qu’elles considèrent clairement l’Etat national comme un agent local de l’oppression et de l’exploitation historique dont leur communauté a souffert et continue à souffrir.
Malgré le fait que l’action directe de résistance et d’affrontement aux différents appareils de l’Etat dans certains pays puisse encore être enfermée par la bourgeoisie au sein des frontières nationales, malgré le fait que l’action directe du prolétariat contre les sommets de la bourgeoisie mondiale puisse encore être réduite à et caricaturée comme une simple «lutte de jeunes» ou «de libertaires», la généralisation de la lutte historique de ces communautés indigènes pourrait s’avérer bien plus difficile à circonscrire que prévu. Parce que, précisément, à l’instar des «jeunes» et des moins jeunes, les réapparitions successives du prolétariat indigène mettent à chaque fois plus clairement en avant, en même temps que la lutte contre le capital colonisateur, la nécessité d’abolir les nations et les Etats nationaux qu’ils dénoncent comme facteurs de division et de répression. Et ce, surtout parce qu’il se passe la même chose dans d’autres continents et que, là-bas aussi, le principal accusé est chaque fois plus clairement le capitalisme mondial, la sanguinaire histoire du capital.
Pour approfondir le sujet, il faut ici aussi procéder à
une «lecture» de ce qui se cache derrière les décisions
juridiques dont nous parle la bourgeoisie. On nous dit, par exemple, que
les Etats-Unis et Israël ont été accusés, à
Durban, de constituer des puissances racistes; que dans divers pays d’Afrique
et d’Amérique, des noirs ont intenté des procès en
vue d’obtenir des indemnités historiques qui les dédommageraient
des préjudices dont ont souffert leurs familles, réduites
en esclavage; que les mouvements islamiques à l’encontre des chrétiens
et des juifs continuent de se généraliser,... Ces explications
ont évidemment pour fonction de justifier toutes les contradictions
et les guerres à travers le monde, comme étant des contradictions
raciales, nationales, religieuses,...
Elle voulait «trouver la liberté»Mais un prolétaire qui résiste, l’Etat le terrorise. Pour casser sa résistance, bien sûr, mais aussi pour empêcher d’autres de naître. Alors, quand Semira Adamu, en 1998, lors de sa sixième tentative d’expulsion, hurle une nouvelle fois son refus de monter dans l’avion, les flics belges l’embarquent de force. Menottée dans le dos, ils l’asseyent brutalement entre eux et, tout en lui tirant violemment les bras en arrière, comprime son visage sur le coussin qu’un des gendarmes a placé sur ses genoux. Pour être sûrs que les cris de détresse ne gêneront pas les autres passagers, ils maintiennent Semira, face contre le coussin, jusqu’à ce qu’elle étouffe. Sa mort, comme celle de tant d’autres prolétaires, permet à l’Etat de terroriser tous les autres prolétaires qui seraient tentés de refuser d’être ballottés, selon l’intérêt du capital, d’un côté ou de l’autre du monde marchand. La terreur, c’est bien celle qui essaye chaque jour de nous soumettre, de nous faire courber l’échine, de nous faire renoncer à nos rêves, nos envies, nos besoins; celle qui nous fait taire, nous isole, nous empêche de nous reconnaître dans les souffrances et les besoins de nos frères de classe, celle qui étouffe nos cris, nos larmes, nos appels, celle qui nous tue quand nous essayons de résister, enfin, de vivre. Semira Adamu est morte comme bien d’autres de nos frères et soeurs de classe, parce qu’elle a voulu vivre. Que sa lutte nous relie et nous fasse défier le terrorisme de nos ennemis, la terreur de l’ordre bourgeois. |
Mais en quoi ces mouvements se différencieraient-ils du mouvement général du prolétariat? Que tente-t-on d’occulter systématiquement?
Ce que l’on cache, par exemple, c’est que la lutte du prolétariat en Palestine ne s’affronte pas uniquement aux capitalistes et aux flics de l’Etat raciste d’Israël (construit sur la base de la ségrégation et de la répression raciale) des Etats-Unis et d’un ensemble de pays européens qui contribuent également au terrorisme d’Etat dans la région mais aussi aux flics palestiniens, aux corps répressifs de l’OLP (et à d’autres organisations palestiniennes comme le Hamas ou le FLP) ainsi qu’à divers Etats arabes qui, maintes fois ont pactisé avec Israël pour organiser le massacre des masses prolétaires (souvenons-nous par exemple des massacres commis par le roi Hussein de Jordanie). Et parallèlement, on cache tout autant l’existence d’une résistance prolétarienne en Israël, des faits de désertion et des difficultés rencontrées au sein des corps répressifs pour faire appliquer les ordres. Mais ce qui semble si difficile à comprendre en Europe ou aux Etats-Unis apparaît très clairement aux prolétaires de pays tels la Jordanie, l’Egypte ou l’Iran où manifestations et affrontements à la bourgeoisie et aux Etats respectifs se succèdent sans répit. Manifestations et affrontements qui non seulement dénoncent la complicité des fractions bourgeoises locales avec les Etats d’Israël et des Etats-Unis dans la répression du prolétariat en Palestine mais qui brandissent également des mots d’ordre centraux, telle la nécessité de l’armement et de la rupture des frontières pour combattre aux côtés des enfants palestiniens qui affrontent les tanks de la répression avec des pierres. Manifestations et affrontements qui expriment clairement l’identité de contenu et de lutte avec le prolétariat indigène sur le continent américain: destruction des frontières nationales et affrontement au même ennemi.
Dans le même ordre d’idée, signalons encore la convergence
qui existe entre les luttes dont nous venons de parler et celles du prolétariat
noir s’affrontant à ces mêmes Etats et au capital en général.
Gorée, Elmina, Cabo Costa,... centres historiques du trafic d’esclaves
sont aujourd’hui devenus des lieux de pèlerinage, comme Auschwitz
et les camps de concentration nazis. Quelques 400.000 visiteurs annuels,
rien que pour le Ghana (selon la presse). Bien qu’il y en ait qui viennent
d’ailleurs, la majorité de ces visiteurs sont des noirs en provenance
des Etats-Unis. Bien entendu, le massacre des noirs et le trafic d’esclaves
qui ont duré pendant des siècles, ne jouissent pas de la
même publicité que les camps de concentration nazis auxquels,
avec le temps, on a continué à ajouter des atrocités
(on en arrive même à «relativiser» Nagasaki ou
Hiroshima!). En effet, il faudrait se poser la question de savoir qui,
plus que le prolétariat, a intérêt à dénoncer
le rôle de l’esclavage dans la société capitaliste,
contrairement à la dénonciation des nazis qui est objectivement
de l’intérêt de la fraction bourgeoise ayant gagné
la dite seconde guerre mondiale et qui est la bourgeoisie la plus puissante
de ce monde. Il est évident que c’est pour cette raison que ce que
firent les nazis, particulièrement contre les juifs, est reconnu
comme crime contre l’humanité alors que l’on ne reconnaît
pas la même chose en ce qui concerne l’esclavage des noirs ou des
massacres des indigènes. Et de leur point de vue, celui du droit
bourgeois, la question est centrale, car s’il y a «crime contre l’humanité»,
il ne peut y avoir prescription. Parler de crime contre l’humanité
dans un cas et pas dans l’autre constitue une reconnaissance implicite
du fait que pour la civilisation capitaliste et la culture occidentale
et judéo-chrétienne, les noirs et les indiens continuent
d’être considérés comme moins humains que les blancs,
les blonds et, particulièrement, les juifs... et ce, malgré
les sacro-saintes liberté et égalité démocratiques.
Et, au beau milieu du choeur d’indignations et de lamentations consécutif
aux attentats perpétrés le 11 septembre 2001 contre les centres
du pouvoir international du capital, on constate une fois de plus que,
aujourd’hui, pour eux, les morts n’ont toujours pas la même valeur.
Qu’est-ce que le terrorismeMais quand une entreprise détruit la vie de milliers de personnes comment appelez-vous ça? Du terrorisme? Du terrorisme économique peut-être? L’entreprise en question n’a pas besoin de fabriquer une bombe ou de brandir une arme. Elle se contente de vider poliment tous les travailleurs avant que ce soient eux qui fassent sauter la baraque. Mais, quand je passe devant les restes de cette usine, à Flint, qui ressemblent étrangement à ceux du bâtiment administratif victime de l’attentat d’Oklahoma City, je m’interroge: qu’est-ce que tous ces gens vont devenir? Traumatisés par la disparition de leur gagne-pain, certains d’entre eux se suicideront. D’autres seront tués par leur conjoint - ça commence par une scène pour une offre d’emploi ratée ou pour un peu d’argent perdu aux courses, et tout d’un coup ça tourne mal, très mal (en général c’est la femme qui le paye de sa vie). D’autres, encore mourront à petit feux, victimes de la drogue ou de l’alcool, qui passent pour les meilleurs moyens de lutter contre la douleur d’une existence bouleversée, d’une vie précipitée dans un trou noir. Nous n’accuserons pas ladite entreprise de meurtre, encore moins de terrorisme, mais, ne vous y trompez pas, ses victimes seront tout aussi mortes que ces pauvres gens d’Oklahoma City, sauf qu’elles seront tombées sur l’autel du profit». Dégraissez-moi ça!, Michael Moore, p29, Ed. La Découverte. |
Cela fait des siècles que la liberté et l’égalité légales existent entre les noirs et les blancs, ce qui, au passage, s’avère d’une grande utilité pour les Etats-Unis lorsqu’ils envoient massivement les afro-américains à la guerre (20). Néanmoins, de manière objective, le massacre des noirs continue pourtant à contenir nettement moins de valeur d’échange que celui des juifs, même si certains ont l’audace de défier ce monopole du génocide que le sionisme international et les grandes puissances triomphantes veulent s’approprier, en affirmant: «L’Afrique regorge d’Auschwitz tel que Gorée. Le monde occidental prétend que tout cela s’est déroulé il y a bien longtemps mais, pour nous, c’était hier» (21). Soixante millions, nonante millions... A vrai dire, personne n’en sait rien, mais sans aucun doute, un nombre de morts supérieur à celui causé par ce que l’occident chrétien nomme «guerres mondiales». Et l’on peut dire exactement la même choses concernant le massacre des indiens.
A Durban, les manifestants arboraient des affiches et des pancartes déclarant: «Esclavage, traite des noirs, colonialisme = crimes contre l’humanité». Mélange bizarre d’activisme radical et de démocratisme bourgeois, les manifestants interviewés à Durban ne semblaient pas affirmer des positions prolétariennes et internationalistes (ce qui, bien entendu, ne signifie pas qu’il n’y en avait pas: les journalistes n’interviewent jamais que les syndicalistes) mais s’apparentaient plus, selon les informations dont nous disposons, à «nos» syndicalistes et gauchistes, de sorte que la lutte s’exprime non pas contre le capital mais contre ses excès, la canalisant sous forme de procès juridique: «Luttons contre le capitalisme sauvage avec ses propres armes, dans les tribunaux» (sic) (22), déclara Humberto Brown, reconnu par toute la presse comme le porte-parole des militants pro-indemnisations présents à Durban: «Quoi qu’il arrive à Durban, les indemnités constituent un fait que, tôt ou tard, nous obtiendrons. A l’amiable ou dans les tribunaux». Ici aussi tout indique la nécessité de distinguer d’un côté le mouvement prolétarien de dénonciation de l’esclavagisme historique du capital, la lutte historique contre le capital aujourd’hui, et de l’autre, les déclarations des délégués et des représentants.
Si pour les esclaves et leurs descendants, tout paiement peut être perçu comme un affront, une insulte, en ce qui concerne le capitalisme, la réclamation de ces indemnités constitue une menace de faillite générale qui terrorise la bourgeoisie internationale. Selon la presse, le montant effectif de ces indemnités serait phénoménal: de l’ordre de quelques sept mille milliards de dollars. C’est pourquoi, même si on ne pourra jamais réparer le mal provoqué par l’esclavage avec de l’argent et sans entamer le débat sur le fait d’accepter ou non un dédommagement, lorsque, dans leurs luttes les descendants d’esclaves exigent que les Etats incriminés remboursent une partie des bénéfices tirés de l’esclavage, ils soulèvent une contradiction de classe profonde vu que, hier comme aujourd’hui, la base du capitalisme fut et continue d’être l’esclavage. Et cela est valable pour toutes les communautés indigènes de la planète.
Des listes sont en cours d’élaboration qui reprennent les entreprises et les gouvernements négriers ou ayant bénéficié directement ou indirectement de l’esclavage: «Dans tous les secteurs économiques, toutes les grandes entreprises des Etats-Unis ont utilisé des esclaves... Le Capitole lui-même fut construit par des esclaves dont les maîtres percevaient cinq dollars par mois et par esclave» (23). Dans différentes villes des Etats-Unis (Chicago, Détroit, Washington,...) des résolutions municipales ont été acceptées qui exigent du gouvernement fédéral une analyse de l’impact de la traite des noirs, une étape en vue d’aborder l’épineuse question des indemnités. Depuis début 2001, en Californie, les compagnies d’assurance se voient obligées de donner les informations qu’elles détiennent sur les polices d’assurance des propriétaires d’esclaves. Simultanément, dans plusieurs Etats du pays, on recueille les auto-critiques de plusieurs grandes familles bourgeoises historiques, alors que les éditoriaux de certains journaux expriment leur «repentir» pour les gains obtenus sur les petites annonces concernant l’achat et la vente d’esclaves (comme le Hartford Courant du Connecticut). On voit également de grandes entreprises d’assurance se repentir de leur passé. C’est le cas pour Aetna qui a publiquement admis que, dans le passé, elle assurait les propriétaires de noirs pour leur précieuse marchandise. Soit dit en passant, depuis ces aveux et à cause d’eux, la chute des cours des actions des compagnies d’assurance, surtout aux Etats-Unis, était toute tracée. Il est donc totalement absurde de l’attribuer aux attentats du 11 septembre ou à la spéculation de tel ou tel islamiste comme on a essayé de nous le faire croire. Inutile d’être un expert émérite en la matière pour savoir qu’à la veille de ce que l’on appelle déjà le «procès du siècle» que prépare le Groupe d’Etude sur les indemnisations, dirigé par Harvard Charles Obletree, toutes les grandes familles et entreprises de l’empire étatsunien ont commencé à comptabiliser au passif les millions dont ils auront besoin pour faire face aux inévitables procès qu’ils devront affronter et aux probables indemnisations qu’il leur incombera de rembourser.
Mais ce ne sont pas uniquement les entreprises et le gouvernement des Etats-Unis qui se voient accusés d’esclavagisme. Sont également concernés les gouvernements et entreprises de tout le reste de l’Amérique (qu’elle soit du Nord, Centrale ou du Sud) qui bénéficièrent directement de l’exploitation des esclaves. En outre, le mouvement prolétarien qui dénonce le rôle historique de l’esclavage comme base du développement du capitalisme, affirme ouvertement que l’exportation d’un si grand nombre de noirs en tant qu’esclaves, ne fut possible que grâce à la complicité des capitalistes et gouvernements d’Afrique qui, quand ils ne percevaient pas de commissions pour ce trafic, chassaient et vendaient eux-mêmes directement les esclaves. Dans toutes les enclaves portuaires où l’on agglutinait les noirs avant de les embarquer pour le «nouveau continent» comme à Elmina, Cabo Costa ou encore Goree, les prisonniers subissaient des vexations, des tortures, des viols,... infligés par des flics tout autant noirs qu’eux. Les guides qui aujourd’hui font la visite de ces centres de réclusion et de torture, construits pour la plupart par les gouvernements locaux en collaboration avec la bourgeoisie européenne (le centre de trafic de Cabo Costa fut, par exemple, construit en 1652 par des entreprises publiques et privées suédoises!) expliquent que parfois les bateaux prenaient des semaines de retard et que, du coup, les prisonniers pourrissaient sur place, croupissant dans leurs propres excréments qui leur montaient jusqu’aux chevilles. Et ils voudraient que les prolétaires se plient à leurs campagnes «contre le terrorisme»!
Chaque gouvernement européen, chacune de leurs entreprises historiques, chacune de leurs banques privées et centrales (en particulier celles de Londres et d’Amsterdam) se voient accusés de ce trafic et, plus largement, d’avoir fondé toute l’accumulation «primitive» de capital sur la base de l’esclavage. Voilà pourquoi, à la suite des Etats-Unis et d’Israël, tous les gouvernements européens faillirent quitter la Conférence de Durban.
Quelles pourraient être les limites de ces accusations historiques? Il n’y en a pas, parce que le terrorisme historique du capitalisme n’a jamais connu (ni ne connaît) de limite. La seule limite que le capital, dans son immonde soif de profit et son conséquent asservissement de l’espèce humaine, puisse rencontrer est la force de son ennemi historique, le prolétariat en lutte contre l’exploitation.
D’autres puissances et cultures firent également le commerce d’esclaves noirs et en tirèrent bénéfice. Dès leur origine, les Etats des pays arabes se montrèrent particulièrement actifs dans ce trafic. La religion musulmane, tout comme la religion chrétienne, ne s’est pas opposée à l’esclavage, elle l’a même justifié et légitimisé. Dans le courant du XIXème siècle, Zanzibar (Tanzanie) fut le plus grand centre d’esclaves du monde. Il s’y vendait annuellement entre 20.000 et 40.000 esclaves destinés à l’Arabie, la Turquie et l’Egypte. Zanzibar et le Soudan, à l’autre extrême du continent africain, constituèrent les pôles les plus importants du commerce ultra-rentable de capture, de transport et de vente d’esclaves de l’intérieur des terres à la côte du continent. Et aujourd’hui encore, bien des bourgeois islamiques continuent leur commerce de chair d’esclave, bénéficiant du silence de tous les Etats.
On pourrait bien entendu affirmer exactement la même chose en se référant à d’autres régions et d’autres races soumises elles aussi à l’esclavage des siècles durant, esclavage qui fut tout aussi décisif à l’accumulation capitaliste de grandes fortunes de Chine, du Japon, de Singapour,...
C’est pour cette raison que, sans la pression de la rue (24), la Conférence de Durban se serait contentée, comme c’est généralement le cas, de quelques déclarations platoniques et vides et aurait fonctionné même en présence des Etats-Unis et d’Israël. Si la question de l’esclavage comme crime contre l’humanité fut posée, si on en vint à ébaucher le thème délicat des indemnisations, ce ne fut, en dernière instance, grâce à aucun Etat. En effet, ce sujet ne dérange pas seulement les Etats-Unis, Israël et touts les Etats d’Europe mais aussi l’ensemble de Etats africains, du Moyen-Orient (et particulièrement les Etats musulmans) d’Extrême-Orient et du reste de l’Amérique.
Bien qu’il soit absurde de parler d’une conscience prolétarienne internationale de la lutte qui se développe de toutes parts contre le capital, il apparaît de plus en plus évident que la vie de tous les jours amène le prolétariat à un questionnement toujours plus généralisé du capitalisme dans son ensemble, de son passé et de son présent esclavagiste, raciste, criminel, destructeur de la vie et de la nature. De manière encore limitée, ces luttes mettent en évidence le rapport qui existe entre la catastrophe quotidienne et les lois de l’économie mondiale (loi de la valeur) et entre celles-ci et les guerres que le capital impose un peu partout (Yougoslavie, Irak, Afghanistan,...). Le fait que la haine de classe s’exprime chaque fois plus sur base de l’action directe sans frontière et que, dans l’affrontement inévitable contre les bourgeois et l’Etat de chaque pays, on en revienne à identifier le capital comme ennemi historique, constitue une tendance très importante et très prometteuse.
Au même moment, toutes les formes de centralisation de la bourgeoisie mondiale pour la défense de ses intérêts se voient peu à peu identifiées en tant qu’ennemies. Même les prolétaires qui ne savent pas qu’ils luttent contre la même chose et pour la même chose commencent à reconnaître les mêmes ennemis. Ainsi, les centres de dictature internationale de l’économie se voient répudiés de tous côtés (sommets de Davos, Organisation Mondiale du Commerce, Banque Mondiale, Fond Monétaire International, unions d’Etats,...) et sont rendus responsables de la destruction systématique de la nature: mers, forêts, fleuves, atmosphères, alimentation,... Au même moment, on affronte et on dénonce sur les cinq continents les mêmes organismes de répression internationale (OTAN, Pentagone, CIA, NSA, les Etats des Etats-Unis, d’Israël, de Russie, de France,...) et nationale (renforcement de la répression dans chaque pays, augmentation du nombre de prisonniers et du nombre de personnes incarcérées dans les hôpitaux psychiatriques, renforcement de la présence policière et militaire). Comme les attentats du 11 septembre s’en sont pris à une partie de ces objectifs, ils ne pouvaient que susciter une énorme sympathie d’une partie considérable du prolétariat international, ce qui n’implique cependant pas qu’elle sympathise avec l’idéologie de ceux qui ont pu réaliser de tels attentats.
Au-delà de la réalité immédiate des récents événements, il y a donc un questionnement généralisé du capital et un début d’identification des ennemis. Bien qu’un ensemble de fractions bourgeoises parviennent encore à parcelliser et à cantonner ce questionnement à des frontières nationales, des programmes de réformes, des luttes pour des conquêtes juridiques ou pour la perception d’indemnités, des procès spectaculaires à l’encontre de grands répresseurs, des grèves et des manifestations pacifistes de protestations,... ce questionnement recèle un contenu révolutionnaire. L’action à contre-courant des révolutionnaires dans les batailles que ce mouvement est amené à livrer permettra l’assumation chaque fois plus consciente de ce contenu.
Les points de vue de la bourgeoisie et du prolétariat sont toujours antagoniques. Mais cet antagonisme s’avère plus évident et déterminant encore lorsque c’est de terrorisme que l’on parle, pour la «simple» raison que la bourgeoisie se sent terrorisée dès que l’ordre et la légalité bourgeoise, démocratique, sont rompus, elle définit donc le terrorisme comme la rupture par excellence de cet ordre. Du point de vue du prolétariat, par contre, le terrorisme, c’est essentiellement le monde du capital, l’ordre légal et démocratique.
Les fractions bourgeoises de droite, du centre et de gauche fraternisent et communient aujourd’hui dans le discours contre le terrorisme; discours qui ne fut et ne pourra jamais être que l’affirmation du terrorisme d’Etat, que l’affirmation du monopole étatique de la violence. Tout ceux qui maintenant se plient à ces campagnes (nous pensons particulièrement à tous les soi-disant anarchistes dont la presse titra à la une Contre le terrorisme) collaborent implicitement à cette gigantesque opération mondiale militariste et belliqueuse qui, malgré tout ce qu’ils en disent, n’a d’autre ennemi que la lutte prolétarienne.
Aujourd’hui, alors qu’il est devenu impossible de cacher la putréfaction sociale du capitalisme, le programme bourgeois tout entier peut se résumer à «plus de police», «plus de prisons»,... Quel joli système social que celui dont l’unique perspective n’est autre que «plus de flics»! Le secret de la pérennité de l’esclavage salarié et de l’Etat se retrouve aujourd’hui plus que jamais dans le monopole total de la violence et de la terreur pour la défense de l’ordre actuel.
C’est sans aucun doute au XXème siècle que la catastrophe du capital s’est le plus vérifiée dans la chair des prolétaires: guerres généralisées, misère relative et absolue (les plus grandes famines de l’histoire de l’humanité), augmentation générale du taux de profit (qui se concrétise également par la détérioration de la nourriture, de l’air, de l’eau,...), destruction du milieu dans lequel vit l’être humain (air, eau, terre, forêts, mers, fleuves,...), camps de concentration, bombes atomiques, systématisation de la torture et de la disparition des personnes en tant que mécanismes de l’Etat démocratique...
La société bourgeoise pourrit sur pied, de haut en bas et met en danger la survie même de l’homme sur Terre. Seule la révolution sociale peut sortir l’humanité de cette catastrophe, seule la remise en question généralisée du terrorisme capitaliste par le prolétariat en armes et la destruction généralisée de la communauté mondiale de l’argent qui en résulte peut ouvrir une perspective véritablement humaine. Mais comme nous l’avons si souvent répété, tant que cette perspective ne se concrétisera pas, il n’y aura que plus de misère, plus de guerres, plus de prisons, plus de tragédies humanitaires,...
En outre (et malgré ce que nous affirmions auparavant à propos du développement actuel du mouvement contre le capital), le fait que la lutte se développe de manière encore si peu structurée, si peu centralisée, si peu consciente et si peu organisée au niveau international et le fait qu’elle ne s’affirme pas sur base d’une perspective unique et unifiée fait que, dans la plupart des cas, la guerre des classes s’exprime encore majoritairement de façon individuelle et individualiste. Le développement exponentiel et à échelle mondiale du vol avec violence, de la vengeance individuelle, de l’action désespérée, des bandes organisées dans les banlieues, de la fameuse insécurité régnant dans les villes du monde entier qui terrorise tant la bourgeoisie font partie de ce phénomène. Contre ces formes primaires de la guerre des classes, l’unique solution bourgeoise consiste à accroître la répression. La défense de la propriété privée prend des formes de terrorisme jusqu’ici inusitées.
Pire encore, la complémentarité entre ce terrorisme, la concurrence capitaliste qui prend chair dans la concurrence entre prolétaires, l’action des organisations nationalistes complétée par celle des ONG et autres plaies humanitaristes transforment cette réponse primaire du prolétariat en de criminelles luttes intestines entre prolétaires dirigés par des projets bourgeois: guerres de bandes au sein et entre des quartiers pauvres, guerres des mafias de la drogue dans les favelas, guerres entre cultures supposées ou réellement différentes, guerres entre supporters de football, guerres linguistiques, religieuses, entre clans, ethnies (généralement inventées et développées pour servir des intérêts bourgeois) entre nations,... et finalement guerres impérialistes. C’est la putréfaction de cette société qui, sans issue révolutionnaire, entraîne la putréfaction humaine.
Il est indéniable que l’évolution actuelle de la société capitaliste mène à l’exacerbation inévitable de la contradiction entre d’une part, la reproduction élargie de cette putréfaction et la dislocation de toute la société dans des guerres entre prolétaires encadrés par des intérêts bourgeois et, d’autre part, l’unification et la guerre du prolétariat contre toute la société bourgeoise. En tous points de la planète, avec des différences de niveaux et d’intensité, se reproduit la même contradiction entre guerre impérialiste et révolution sociale.
Mis à part le spectacle censuré du 11 septembre, le public ne connaît absolument rien: ni les réels auteurs, ni leurs revendications, ni leur projet social. La version officielle (de tous les Etats confondus) est comme toujours celle de la police. Quelle que soit son ampleur, il s’agit toujours pour eux d’un problème entre bons et méchants, entre le shérif et l’assassin; Bush, déguisé en shérif déclare haut et fort qu’il veut Ben Laden, «mort ou vif». De même, la chute des tours! On se croirait au cinéma!
C’est-à-dire que malgré que tout soit en train de s’effondrer, que leurs symboles, leur richesse et leur technologie soient réduits en poussière et en décombres par l’action de quelques «retardés», «archaïques», «fanatiques», «sous-développés», «hors-la-loi», ils ne remettent absolument pas leur monde en question. Au contraire, ils ne pensent qu’à se venger et à massacrer ces individus et quiconque passerait par là. Eux, qui parlent tant d’attentats indiscriminés. Est-ce qu’en balançant des missiles du haut des nuages ils pensent agir de manière discriminée?
Même lorsqu’il déclarent que ce «terrorisme» est le fait d’hommes qu’ils ont eux-mêmes formés, entraînés et armés, ils ne se posent pas de question. Pas plus que quand ils constatent que la menace chimique qui est brandie sort directement de leurs laboratoires et est le fruit de leurs expériences assassines.
Ils sont évidemment d’autant plus terrorisés, traumatisés qu’avec une police si nombreuse et une technologie si performante, ils ne parviennent pas à empêcher une poignée de pauvres fous «terroristes», armés de simples ciseaux et de cutters de mettre à mal leurs valeurs morales et matérielles. Mais l’unique solution qu’ils envisagent, c’est plus de police, plus de technologie répressive, plus de fusées et missiles, plus de guerres, plus de sang et de massacres. Ils ne se demandent même pas s’ils ne sont pas en train de former, aujourd’hui même, les auteurs des prochains attentats? S’ils ne sont pas entrain de produire les armes des crimes à venir? De former leurs propres assassins?
Du point de vue révolutionnaire, les choses se conçoivent d’une manière totalement opposée. Nous ne pouvons partir de la vision policière, ni du choeur d’indignations et de lamentations injecté à l’opinion publique en vue de justifier leurs campagnes terroristes. Avant de parler de l’hypothèse officielle, il est nécessaire d’affirmer que les attentats sont objectivement une concrétisation gigantesque de la catastrophe de la société capitaliste. Ils constituent un authentique produit du capital, ils sont le fruit des contradictions sociales dans la situation actuelle: produit de la rage du prolétariat à l’encontre de toute la société, mais également de la tendance capitaliste à encadrer cette haine de classe dans des luttes inter-bourgeoises, des guerres impérialistes.
Dès le début, la version officielle devait désigner des ennemis étatiques et para-étatiques; quels que soient les auteurs, il fallait pousser à la guerre impérialiste, la guerre entre pays, races, religions. Pour l’humanité, la catastrophe de la société bourgeoise réside précisément en ceci: tant qu’il n’y aura pas de révolution, ils inciteront toujours à plus de guerres.
On ne peut absolument pas croire à la version officielle qui prétend que la guerre actuelle est menée contre Ben Laden et sa bande. La guerre contre le terrorisme, c’est avant tout une gigantesque campagne mondiale contre le prolétariat, comme nous l’avons précisé au début de cet article. En ce qui concerne la guerre contre l’Afghanistan, tout indique qu’elle était déjà prévue et qu’elle correspond aux intérêts internationaux de la bourgeoisie pétrolière américaine représentés depuis toujours par la famille Bush.
L’épais rideau de fumée de la guerre contre Ben Laden tente de masquer la signification des attentats du 11 septembre. Perpétrés à l’aide de moyens techniques et financiers ridicules, ce qui dérange le plus dans ces attentats, c’est avant tout, qu’ils aient mis en évidence que la remise en question du monopole de la terreur exercé par les Etats peut être le résultat d’un groupe décidé, qu’ils aient démontré à la face du monde que, malgré tous les moyens technologiques et policiers que les puissants développent, ils ne sont pas invulnérables.
Ces attentats attaquent directement les symboles les plus notoires du capital et des puissances impériales et portent un coup brutal à la centralisation la plus importante du terrorisme économique, politique et militaire du capital.
Bien des efforts ont été prodigués pour occulter le caractère des objectifs attaqués et les présenter comme une attaque de guerre (à l’image de celles qu’ils réalisent!) contre d’«innocents civils». Il s’agit de convaincre le citoyen moyen que c’est lui la cible du terrorisme (avec la campagne sur l’antrax, ils font de même) de le terroriser à l’idée que dans n’importe quel avion peut se cacher un groupe «terroriste». On parle le moins possible des dommages causés aux organismes de terrorisme de l’Etat mondial. Peu à peu, l’attaque du centre historique de tous les escadrons de la mort que constitue le Pentagone est reléguée au second plan. Tout vise à accoutumer les gens à ne plus parler que des «attentats contre les tours». Et simultanément, on cache le fait qu’à l’intérieur des tours la CIA avait son principal bureau secret de la côte est ou que telle banque y détenait une partie de son trésor, non seulement en devises, ce qui fut réduit en poussière, mais aussi en or. On occulte la mort de généraux, d’épouses de généraux, de présidents et de gérants d’entreprises multinationales. De la même façon qu’on ne fait aucune mention de l’importance stratégique mondiale de ces centres économiques, ni des organismes, institutions et entreprises réellement touchés.
Et pourtant si ce n’est pas là que se trouvaient les responsables de la barbarie capitaliste, c’est qu’ils ne se trouvaient nulle part! Depuis l’époque où les patrons se sont dilués en conseils d’administration de sociétés anonymes, le capitalisme est devenu une grande société à responsabilité limitée. Ou mieux dit, d’une irresponsabilité totale face à l’espèce humaine! Seules les publications spécialisées pour entreprises multiplient les condoléances aux multinationales, aux grands spéculateurs et aux magnats de la finance morts ou touchés économiquement par la destruction des tours. Ce n’est que dans cette presse (et sans doute aussi, dans celle interne aux armées), non destinée à l’opinion publique, que l’on peut prendre connaissance de l’importance qualitative des personnes et des intérêts touchés. A titre d’exemple, mentionnons que dans les deux tours se trouvaient les locaux centraux de trois des principales entreprises mondiales de spéculation de Wall Street et des bourses du monde: Merrill Lynch, Canton Fitzgerald Securities et Morgan Stanley. Encore une fois, on se croirait dans un film: qu’avec autant de multimilliardaires présents sur Manhattan, on ait réussi à imposer un blocus de l’information tel qu’on ne parle plus que d’un seul d’entre eux (Ben laden) alors que tout semble indiquer que lui-même ne s’y trouvait pas.... Est-ce que, par hasard, ils auraient peur que le prolétariat en vienne à s’imaginer que ce sujet est un des leurs?
Ne pouvant occulter l’incapacité de toutes les mesures de sécurité et de terrorisme à empêcher ces attentats, ils en occultent, tout au moins socialement, la signification. Malgré le caractère terroriste de cette campagne mondiale anti-terroriste, malgré l’imbécilisation de l’opinion publique, malgré le fait que cette propagande obtienne l’adhésion de couches entières du prolétariat, une part significative de celui-ci a ressenti que c’était bien ses ennemis que l’on frappait, qu’ils n’étaient donc pas omnipotents mais vulnérables et, dans bien des lieux, a été ressenti et revendiqué le fait que, après des siècles d’impunité, les coupables commençaient enfin à payer leurs fautes. Du Bronx à Calcutta, de Santiago du Chili (où chacun avait à l’esprit la signification historique du 11 septembre) à Dakar, du Caire à Jérusalem, de Paris à Gênes (suite à ce que l’on nomme déjà «le massacre de Gênes»), de la bande de Gaza à Tokyo, dans les quartiers de prolétaires, il y eut des transports de joie, des élans festifs.
Dans les premières heures qui suivirent les attentats (et avant que la censure ne devienne totale) des scènes de joie dans les quartiers new-yorkais s’infiltrèrent sur les écrans de télévision tandis que, interviewés dans des quartiers pauvres de Paris, des «marginaux» disaient qu’ils feraient volontiers la même chose s’ils en avaient les moyens! En Argentine, au Chili, au Guatemala,... l’allégresse des prolétaires s’est directement liée à la lutte historique contre l’impunité. Combien d’ «apprentis Pinochet» ou de leurs financiers étaient morts en ce jour? Dans les discussions à propos de la signification de ces attentats, un lien tout naturel fut immédiatement établi avec les horribles souvenirs des séquestrations, tortures, emprisonnements... On s’est souvenu des combattants disparus et de ce qu’ils auraient dit s’ils étaient encore en vie. On s’est souvenu des scènes d’horreurs vécues, on a recommencé à parler de ce qu’on avait vu, de ce qu’on avait souffert. On a pleuré de rage, de joie. On a dénoncé ceux qui jamais ne parlaient de «victimes innocentes» ou de «terrorisme» à propos des innombrables disparus, ceux qui aujourd’hui, alors que «ceux d’en haut» commencent à trembler, exigent des minutes de silence. On a discuté de ceux qui, morts au Pentagone et dans les tours, sont coupables directement ou indirectement, de la répression sanglante des prolétaires. Qui plus que les riches du monde, qui plus que les hommes du Pentagone ont pu commander l’exécution massive des combattants sociaux? Même Maradona a eu le courage d’affirmer publiquement sa joie.
Et ce n’est pas pour rien! Bien plus que le coup porté aux appareils centraux répressifs, politiques et économiques du capital mondial, ce sont les symboles de tout le système capitaliste mondial qui ont été réduits en cendres. Si toutes les bourgeoisies du monde ont reproduit des tours identiques dans leur centre de pouvoir (plus de 60 tours jumelles dans le monde!), c’est précisément parce qu’elles jouent le rôle de véritables totems modernes de la religion de l’argent et du capital. Symboles du pouvoir de l’argent, emblèmes de la religion la plus omniprésente du monde (celle du capital!) leur chute se devait de susciter autant d’inquiétude et de terreur chez les capitalistes que de joie et de bonheur dans les quartiers ouvriers. Mais il est évident que cette joie s’ancre également dans le désespoir et le manque de perspective de la situation de masses considérables de prolétaires qui, comme nous le disions, luttent de façon dispersée, ne sont pas conscients de leur force et ne se reconnaissent pas comme une seule et même classe en lutte. Ainsi, s’il est vrai que ces attentats frappent les ennemis du prolétariat, ils ne développent pas nécessairement la force prolétarienne, ni ne l’organisent, ni ne donnent de perspective révolutionnaire.
Avant de nous référer au programme explicite des possibles auteurs de ces attentats, il nous paraît central d’affirmer que le capitalisme ne sera pas détruit par une guerre d’attentats, qu’on ne le remet pas en question avec une guerre d’appareils, que la révolution sociale n’a rien à voir avec la guerre d’une armée contre une autre, que le capitalisme ne peut être anéanti sans le développement du prolétariat comme force mondiale, sans la violence sociale organisée contre la dictature de la valeur qui mène ce monde. La joie que ressent le prolétaire à la vue de ces symboles ennemis rasés au sol ne fait que le conforter dans son rôle désespéré de spectateur isolé.
Pris du point de vue de la critique du capital, ces attentats démontrent non pas le développement de la force et de la direction prolétarienne mais le désespoir de ceux qui n’ont pas d’autres armes et qui, à l’image des indiens qui préféraient se tuer et tuer leurs propres fils plutôt que de continuer à supporter le calvaire de l’exploitation, préfèrent mourir en même temps que leurs ennemis. Affirmant ainsi le non-programme, la non-perspective, le nihilisme le plus impressionnant. C’est-à-dire que, bien qu’on s’attaque à ceux qui nous attaquent, on démontre fondamentalement non pas la perspective d’une révolution humaine mais, bien plus brutalement, la putréfaction réelle de la société capitaliste. Une preuve palpable de ce manque de perspective est contenue dans le fait que, passé le premier moment de désorganisation, les forces répressives sont réorganisées et accrues à échelle mondiale sans que se manifeste une résistance conséquente à leur développement.
C’est-à-dire que, bien que ces attentats mettent en évidence la vulnérabilité du capitalisme et de ses Etats, non seulement ils ne développent pas d’alternative révolutionnaire mais ils peuvent faire partie et/ou servir au développement de l’exact opposé: la pérennité de cette société, la possibilité d’une interminable guerre capitaliste. En outre et malgré la clarté des objectifs choisis, ces attentats frappent également des prolétaires, ce qui bien entendu réintroduit une importante discussion autour de ce type d’actions.
Quelques jours plus tôt, un père palestinien dont les deux fils étaient prisonniers (et donc torturés) en Israël, confronté à l’impuissance et au désespoir de sa situation, se faisait exploser avec sa bombe en Israël, tuant quelqu’un qui passait par là. Il mourut en tuant n’importe qui. La situation imposée par le capital dans cette région (par l’Etat d’Israël mais aussi par la police et le projet d’Etat palestinien) est si désespérante que ce prolétaire en vient à tuer sans raison quelqu’un qui pourrait être son frère! Voici le type d’action que stimulent les organisations nationalistes bourgeoises, à l’instar des groupes palestiniens dont nous parle la presse: les nationalistes, les bourgeois. En plus de donner sa vie, ce pauvre type n’est que la chair à canon d’une guerre qui n’est pas la sienne, d’une guerre impérialiste. Cet attentat fut revendiqué par une organisation bourgeoise palestinienne. Cette tendance n’affirme en rien une quelconque alternative à la catastrophe sociale actuelle, au contraire, elle la renforce: le capitalisme ne peut vivre que du développement de ces guerres.
Le point de départ réside toujours dans l’épouvantable situation dans laquelle vivent chaque fois plus de prolétaires, dans le désespoir et le manque de perspective révolutionnaire, dans la faiblesse de la révolution internationale, dans les conditions insupportables des prolétaires face à l’impressionnant déploiement policier et militaire et à ses vexations inhérentes permanentes. Et le point d’arrivée que donnent les organisations bourgeoises est, lui aussi, toujours invariant: la guerre bourgeoise, le massacre indiscriminé.
C’est pour cette raison qu’il est extrêmement important de dénoncer aujourd’hui, face aux attentats du 11 septembre, la perspective de guerre de libération nationale, de guerre anti-colonialiste qu’on tente d’attribuer aux auteurs des attentats, tentant ainsi de canaliser le refus prolétarien de la situation actuelle vers une guerre «anti-impérialiste». En effet, certaines organisations trotskistes, maoïstes, «anarchistes» et toute la gauche radicale en général ont salué ces attentats comme faisant partie d’une guerre anti-coloniale. Nous avons déjà largement expliqué, dans divers matériaux, notre opposition générale aux guerres de libération nationale, étant donné que celles-ci ne sont rien d’autres que les couvertures des guerres impérialistes, des guerres dont le capitalisme a besoin pour son développement (25). Ce dont il est question aujourd’hui, c’est de canaliser la rage prolétarienne contre le système social vers l’appui à la guerre «contre les Yankees», ce qui favorise invariablement d’autres fractions bourgeoises impérialistes. Cette tendance à transformer la guerre de classe en guerre inter-impérialiste ne favorise pas la destruction du système, au contraire: la survie même du capitalisme implique le développement de ces guerres.
Le fait que ceux qui explosèrent dans les avions soient des «prolétaires» (aujourd’hui ou demain, la sociologie bourgeoise ne manquera pas de nous expliquer qu’ils faisaient en fait partie de la «classe moyenne») ne confère pas pour autant un caractère révolutionnaire à ces attentats. Dans la guerre impérialiste, ceux qui vont mourir sont toujours des prolétaires. Et ils ne meurent pas en tant qu’héros de leur classe mais comme chair à canon utilisée par les bourgeois.
Le peu d’éléments dont nous disposons indiquent que, même
si les attentats furent perpétrés par des prolétaires,
ces derniers n’agirent pas sous la direction de forces révolutionnaires,
ils étaient très probablement encadrés par des forces
étatiques, bourgeoises. En premier lieu, parce que cela ne correspond
pas réellement au développement du prolétariat en
tant que force et qu’il n’existe pas d’organisation prolétarienne
qui inscrive son action dans cette perspective. S’il est vrai que toute
la société bourgeoise incite le prolétariat à
l’action désespérée, s’il est vrai qu’on peut trouver
un bon nombre d’exemples où des prolétaires meurent en tuant
des tyrans ou des policiers parce qu’ils ne trouvent pas d’autre moyen
pour imposer leur force, il n’en demeure pas moins que dans l’histoire
du prolétariat, il n’y a pas de structures organisées, ni
de positions programmatiques qui revendiquent ce type d’actions dans laquelle
les auteurs planifient et exécutent leur propre mort (26).
Le terrorisme au quotidien11 septembre 2001Ce jour même, le terrorisme capitaliste a causé la mort de 2.880 ouvriers au travail (source: BIT). Ce jour même, la terreur d’Etat a fait sauté 72 prolétaires
sur une des 119 millions de mines antipersonnel disséminées
dans le monde (source: association contre les mines antipersonnel).
Editions spéciales des grands quotidiens: zéro.
Social forums organisés: zéro.
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La division des rôles implicitement présente dans ce type d’action où certains sont envoyés à la mort par d’autres qui sont les chefs se situe également, selon nous, en dehors et contre le programme révolutionnaire. Pour nous, un acte politique organisé qui inclut préalablement la mort de tous ses auteurs ne peut être étranger à la pensée religieuse et à la croyance en une existence post-mortem. On trouve là également une différence qualitative avec les révolutionnaires. Ceux-ci ne croient pas qu’après cette chienne de vie il y ait un paradis. C’est pourquoi ils luttent pour changer radicalement cette vie et refusent de mourir en tuant. Les révolutionnaires ne se divisent pas non plus entre ceux qui dirigent et ceux qui vont mourir. Ces caractéristiques sont spécifiques aux guerres inter-bourgeoises et, bien que cela ne suffise pas pour affirmer le caractère non prolétarien des auteurs des attentats (ou de leurs intentions), cela nous permet pourtant de considérer que leur encadrement est inter-bourgeois et très probablement religieux.
Il est vrai que l’utilisation de prolétaires comme chair à canon est quelque peu différente de celle qui s’opère généralement dans les guerres impérialistes: les prolétaires se massacrent entre eux et, par un ensemble de conventions, chacune des parties garantit de ne pas toucher aux grands chefs, aux centres vitaux. Le pauvre malheureux qui porte une bombe, tue n’importe qui et meurt en même temps est un cas d’une clarté exemplaire: de chaque côté, seuls meurent les pauvres malheureux. Les organisations bourgeoises palestiniennes sont un bon exemple de cela: devenues spécialistes de ce type d’attentats, elles ne s’attaquent jamais aux puissants (27). S’il y a quelque chose de sui generis dans les attentats de New-York et de Washington, c’est le non respect des conventions de guerre, caractéristiques générales de toutes les guerres classiques. C’est peut être cela qui terrorise tant la bourgeoisie mondiale et qui a provoqué une si belle unanimité bourgeoise à se soumettre à la réponse des Etats-Unis. Ce ne furent pas des attentats perpétrés contre n’importe qui ou n’importe quoi, ces attentats s’en sont pris au centre de la terreur économique et militaire mondiale. Mais, cette différence soulignée, il n’en reste pas moins que là aussi le rôle des «prolétaires» peut se résumer littéralement à celui de chair à «avion» utilisée comme projectile contre des objectifs prédéterminés par une direction non prolétarienne. Contrairement à ceux qui considèrent qu’il s’agit de groupes révolutionnaires, exprimant «la lutte de l’humanité, des opprimés de l’humanité contre le pouvoir» (28), nous, de notre côté, nous ne voyons aucune direction révolutionnaire implicite dans ces actes.
D’autre part, au-delà de l’importance et du choix des objectifs attaqués, le détournement d’un avion (non comme action défensive, pour fuir ou échapper à la police), sans aucune considération pour ceux qui mourront, indique également qu’il ne s’agit pas de groupes révolutionnaires. Cela montre encore une fois le désespoir et le manque de perspective des auteurs, leur crétinisme dévot tout comme la position politique de ceux qui les commandent. Un tel mépris de la vie humaine appartient sans équivoque à la société bourgeoise et relève du même acabit que celui des caïds de toute guerre impérialiste, pour qui tout cela ne sont que des «effets collatéraux».
Bien sûr, certaines actions prolétariennes ou de groupes révolutionnaires du passé, provoquèrent et provoqueront encore des morts non désirées. Le prolétariat ne développe pas ses révoltes comme les révolutionnaires le voudraient (29), il est contraint à la révolte par les terribles conditions de terrorisme d’Etat que lui impose la société bourgeoise. Il est bien entendu totalement absurde de rendre le prolétariat en révolte responsable des morts qui sont en réalité provoqués par la société capitaliste (ce que ne manque jamais de faire la bourgeoisie). Mais les révolutionnaires (qui savent pertinemment bien que c’est la société bourgeoise l’unique responsable) ne planifient pas les actions sur la base de cette indifférenciation, ils tentent de l’éviter. Et s’ils n’y parviennent pas, ils s’expliquent publiquement. Dans les attentats du 11 septembre, c’est tout le contraire qui s’est passé, non seulement à propos du manque d’explication concernant la mort de personnes qui ne peuvent être considérées comme responsables de la barbarie et du terrorisme de la société bourgeoise (30) mais aussi en ce qui concerne le suicide de leurs auteurs et le choix des avions comme arme pour planifier aussi la mort de n’importe qui. Avoir projeté un tel plan, comme s’il était implicite que l’on peut tuer n’importe qui, confirme une fois de plus, de notre point de vue, non seulement qu’il ne s’agit pas d’un acte commis par des révolutionnaires mais qu’en plus, il facilite l’encadrement vers la guerre impérialiste dont c’est précisément une des caractéristiques.
Ce sujet repose une vieille et classique discussion entre prolétaires. Certains considèrent responsables des massacres perpétrés par les Etats-Unis, l’Etat des Etats-Unis y compris les prolétaires qui vivent dans ce pays, tandis que d’autres insistent sur la contradiction centrale de ces prolétaires contre l’Etat, sur le fait qu’ils sont eux-mêmes brutalement réprimés et que toute attaque indifférenciée peut aussi attaquer nos frères en lutte dans ce pays. En ce qui nous concerne, chacune de ces positions comporte des éléments indiscutablement vrais. Le prolétariat est responsable de ce que fait «son propre» Etat, car sans son adhésion active ou passive, ce dernier ne pourrait fonctionner comme gendarme. Mais rendre tous les prolétaires d’un pays responsables constitue une absurdité et, toute attaque indifférenciée, au lieu de favoriser la lutte du prolétariat contre «sa propre» bourgeoisie, renforce l’unité nationale. Ainsi, si la bourgeoisie tend irrémédiablement à enfermer le prolétariat dans la violence et la destruction, comme moment de sa propre décomposition (c’est précisément cela la guerre impérialiste), le développement de la violence révolutionnaire, au contraire, luttera pour délimiter les camps de la façon la plus classiste possible, en poussant les prolétaires du monde entier à la lutte contre «leur propre» bourgeoisie, transformant ainsi la guerre capitaliste en guerre révolutionnaire.
Il semble indispensable de développer quelque peu cette explication. Les puissances gendarmes de ce monde ne peuvent développer leur criminelle fonction de répression de tout mouvement social prolétarien, ni dans leurs pays ni ailleurs, sans une relativement importante unité nationale, sans la passivité et/ou la complicité du prolétariat de leur pays. En conséquence, il est inévitable que la lutte prolétarienne se confronte à cette unité. Ainsi, face à la mort indifférenciée qu’impliquèrent les attentats, il est normal que les prolétaires du monde établissent une relation avec le rôle historique joué par les Etats-Unis en tant que principal flic mondial et ce, dès sa constitution comme puissance. A l’encontre de ceux qui évoquent tous les «pauvres», morts de ces attentats, beaucoup soulignent, en plus du choix qualitatif des objectifs, la responsabilité historique de ces mêmes «pauvres» devant le nombre de massacres organisés par «leur propre» Etat. Et en effet, dès leur constitution, les Etats-Unis ont partout imposé leur pouvoir par le feu et le sang, et cette action systématique, qui s’est étendue sur tout le XXème siècle (voire même avant!) n’aurait pas été possible si le prolétariat étatsunien avait lutté contre «son propre» Etat, comme cela se faisait dans les pays où les Etats-Unis intervenaient. En ce sens, il est compréhensible que contre tous les médias, appelant à adhérer aux campagnes de l’Etat au nom des «pauvres et innocentes victimes des attentats», certains prolétaires aient rappelé le fait que «les attentats s’attaquaient au pouvoir central de cet empire et, en toute logique, à ce peuple (31) qui s’est tu et a applaudi les guerres.»
L’une des meilleures preuves de la résistance intuitive du prolétariat (dont nous nous réjouissons) s’est exprimée par le refus de se plier aux lamentations et minutes de silence, imposées de tous côtés par «sa propre» bourgeoisie, par «son propre» Etat. Ajoutons à cela que ceux qui proposent ces sanglots, ces larmes, ces minutes de silence massacrent, en un jour, bien plus de personnes que les attentats du 11 septembre.
On peut même encore aller plus loin et expliquer que globalement, si les grandes puissance sont ce qu’elles sont et si certains Etats sont devenus les gendarmes du monde, c’est parce qu’ils ont gagné la guerre de classe qui les oppose à «leur» prolétariat. La paix sociale y règne souveraine, les prolétaires sont soumis et dociles et le taux d’exploitation et de profit d’autant plus attractif et rentable. Les puissances européennes historiques, les Etats-Unis, le Japon,... constituent de parfaits exemples de cette dynamique capitaliste qui favorise non seulement la reproduction des capitaux originaires de ces régions mais attire également des capitaux du monde entier qui trouvent là plus de sécurité.
A ce propos, il ne faut pas oublier que la puissance des Etats-Unis n’est pas uniquement produite de la bourgeoisie de ce pays mais aussi de celui de capitaux venus du monde entier, qui y trouvent la sécurité qu’ils n’ont pas ailleurs et que bon nombre de bourgeois vivant ailleurs y possèdent aujourd’hui plus de capitaux que dans leur propre pays (32). Ces pôles peuvent en même temps se permettre, tant grâce au développement des forces productives que ces rapports de classe favorisent que grâce à l’adhésion relative du prolétariat à ce modèle de développement, de réprimer à la fois dans ce pays mais aussi dans une région beaucoup plus vaste et même dans le monde entier, comme le firent et continuent à le faire les Etats européens.
Nul Etat ne possèdera une capacité de répression des révoltes prolétariennes où qu’elles éclatent, aussi grande que celle dont ont fait preuve, par exemple, les Etats-Unis tout au long du XXème siècle, s’il ne peut compter sur la collaboration et la complicité active ou passive non seulement de la bourgeoisie mondiale mais également de ses esclaves salariés: participation à la guerre et à la répression, travail, payement des impôts, adhésion idéologique, contribution citoyenne et électorale,...
Ceci explique la haine qui s’exprime à l’égard de n’importe quel américain dans bien des régions du monde, tout comme celle ressentie en Asie contre «les anglais», en Afrique contre «les français», «les belges», ou encore en Palestine contre «les israéliens», ainsi que les actions indifférenciées à l’encontre des «citoyens» de ces pays.
Cependant (et au-delà du fait tragique qui voit des prolétaires en révolte s’attaquer à d’autres prolétaires qui sont peut-être, eux aussi, en lutte ouverte contre «leur propre» Etat!) les grands bénéficiaires de cette canalisation a-classiste de la haine à l’encontre des forces répressives du capital mondial sont les Etats de ces pays qui n’hésitent pas à utiliser n’importe quelle action indifférenciée pour fortifier plus encore l’unité nationale, soutenant ainsi le développement de la guerre impérialiste entre pays, peuples,...
La révolution sociale qui part de la communauté humaine et a pour objectif la communauté humaine, la destruction de toute violence entre êtres humains, ne peut en aucun cas développer ni soutenir la violence indifférenciée. Lorsque celle-ci se produit, même si elle est issue de la rage prolétarienne, c’est l’essence même de la société bourgeoise qui prédomine, ainsi que sa tendance à transformer toute cette rage en lutte entre fractions bourgeoises et/ou forces impérialistes.
En tant qu’éléments les plus décidés du prolétariat, les révolutionnaires luttent de toute leur force contre cette tendance, opposant à la guerre entre pays, la guerre sociale contre le capital. Ce qui sert et intéresse toute la bourgeoisie mondiale, c’est que cette haine légitime envers le système social et ceux qui le défendent, soit canalisée contre les habitants de tel ou tel pays. L’ignoble sujet qui exécute la répression partout dans le monde avec l’aval de la bannière étoilée, exécutant la répression dans le monde entier, même s’il a des origines prolétariennes, agit en tant que bourgeois et fait partie de la terreur globale du capital. Tandis que la bourgeoisie tente de transformer la haine que le prolétariat éprouve pour elle en haine des habitants de tel ou tel pays, les révolutionnaires luttent pour le développement de la haine prolétarienne contre tout le système social bourgeois. Les militants révolutionnaires ont toujours tenté d’éviter qu’on tue un prolétaire parce que «son Etat» est impérialiste, car cela conduit à un antagonisme entre pays qui favorise la guerre impérialiste. Par contre, ils poussent le prolétariat de ces puissances impérialistes à lutter contre «son propre» Etat. On ne détruira pas les armées impérialistes du capital en les affrontant les unes aux autres. Seul le défaitisme révolutionnaire du prolétariat, la décomposition révolutionnaire de l’armée peut atteindre cet objectif comme on a pu en voir l’ébauche lors de la guerre du Vietnam quand les soldats commencèrent à tirer contre leurs officiers et que les recruteurs s’affrontèrent violemment à la jeunesse prolétarienne. A la fin de cette guerre, les forces armées nord-américaines évaluaient le déficit de recrutement à un million de personnes!
Il est certain que cette lutte fut également favorisée par les coups infligés à la puissance impérialiste dans son action en tant que police internationale. Ainsi, la résistance prolétarienne à la guerre du Vietnam, au sein même des Etats-Unis, n’acquît de puissance et de force réelle que lorsque le nombre de cadavres ramenés du front se mit à augmenter, contre-partie inévitable des millions de cadavres de prolétaires vietnamiens.
La barbarie du capitalisme ne peut, en ce sens, avoir d’autre limite que la révolte prolétarienne. S’il est donc bien entendu logique que le prolétariat mondial considère avec beaucoup de sympathie toute décomposition de la puissance impérialiste des Etats-Unis, jusqu’à s’enthousiasmer de la mort de prolétaires soumis à cette puissance, cela ne traduit pas nécessairement l’expression du développement de la puissance du prolétariat mondial contre le capital. Pour cela, il faut que le développement de l’activité révolutionnaire dans d’autres pays s’accompagne, se complète de l’activité révolutionnaire du prolétariat nord-américain contre l’Etat. Au vu de l’actualité, se pose évidemment la question de la tragique faiblesse internationale de l’associationnisme prolétarien, la question de l’organisation et de la centralisation de l’action révolutionnaire, en l’absence desquelles la bourgeoisie de cette puissance, se basant sur l’indifférenciation de l’action, pourra toujours la transformer et l’intégrer à la guerre impérialiste.
C’est pour cette raison que, s’il est bien compréhensible que face aux attentats du 11 septembre, beaucoup de prolétaires aient expliqué les morts indifférenciées par la complicité du «peuple des Etats-Unis», il faut souligner que l’organisation qui a perpétré ces attentats ne part même pas de ce type de préoccupations: c’est comme s’il était implicite que n’importe quel américain est un ennemi et cette position se situe, elle aussi, aux antipodes du programme prolétarien.
Le fait même que les attentats ne furent pas revendiqués, le nihilisme politique, l’occultation des buts de l’action (33), trahit une façon d’agir correspondant à la décomposition sociale en vigueur et non à une classe révolutionnaire. Il est vrai que le nihilisme n’est pas nécessairement d’origine bourgeoise, qu’il peut découler du désespoir et du manque de perspective sociale révolutionnaire (généralement dans des époques pré-révolutionnaires) mais même dans ce cas, il laisse le champ libre à une récupération et une structuration de la part des forces bourgeoises, aussi réactionnaires et contre-révolutionnaires que celles qu’il combat. Par conséquent, bien qu’annonciateurs de l’effondrement d’une société (et c’est sans aucun doute ce qu’ils font) les attentats du 11 septembre 2001 font partie d’une décomposition encore négative de cette dernière. Ils ont beau attirer la sympathie, ils n’en affirment pas moins le modus vivendi du capital et de ses guerres.
En effet, les révolutionnaires ne dissimulent pas leur perspective.
La confusion générée par la non revendication permet
que s’affirme la thèse de la lutte entre Etats ennemis, entre cultures
et civilisations, entre religions et, plus particulièrement, celle
d’une guerre entre la civilisation actuelle et l’islamisme radical, le
fondamentalisme religieux qui, comme le savent tous nos lecteurs, constitue
une force totalement contre-révolutionnaire. C’est pour cela que,
dès les premiers instants et très probablement sans avoir
la moindre idée de l’organisation responsable de ces attentats (il
faut tenir en compte que jamais, dans ce pays, on ne découvre les
auteurs d’attentats: aujourd’hui encore les instigateurs des assassinats
des deux Kennedy, de Luther King et de bien d’autres restent inconnus)
l’Etat des Etats-Unis déclara une guerre concrète contre
des forces étatiques. Si les attentats avaient bel et bien frappé
les bourgeois et leur centralisation, la guerre contre leurs auteurs allait
quant à elle les fortifier et en cela, le silence de ces derniers,
en tant qu’organisation, les rend complices de la campagne bourgeoise et
de la guerre impérialiste. Par conséquent, que les responsables
soient ou non Ben Laden et ses amis (34), le vide revendicatif ajouté
à la passivité prolétarienne encourage objectivement
la guerre impérialiste.
Autocritique, opportunisme ou les méandres du fédéralisme«Passons à l’action directe. [...] C’est au coeur d’un empire de multinationales que se dressent les forteresses arrogantes et voraces de la Banque Mondiale et du FMI. Pour les garder, des milliers de Robocops sont entraînés à la guerre chimique. Dans ces gigantesques pawnshops [bureaux de prêteurs à gages], bien planqués, les plus féroces requins capitalistes s’engraissent sans cesse de leurs différents programmes économiques, ces « offres » qui ne se refusent pas (...). Nos défilés et manifestations ne vont nulle part. Nous tournons en rond. Nous courons de sommet en sommet dans l’espoir d’être aperçus par les puissants ou, du moins, remarqués par les médias à leurs bottes. On ignore nos pancartes. On ridiculise nos marionnettes (...). Mais le bruit des pas ne change pas le monde. Le spectacle des manifestations est vite oublié. Une confrontation symbolique à coup de matelas ou de cocktails molotovs reste une confrontation symbolique. Se nourrir de miettes ne satisfera jamais notre appétit. Manifs, manifs, manifs... pouvons-nous passer à autre chose? Oui, à l’action directe. Nous agirons sans intermédiaire: il ne peut y avoir de médiateurs dans la lutte de classe. Nous défierons l’autorité de l’Etat: leurs lois sont nos chaînes. Nous violerons la propriété des capitalistes: ils ne sauraient en rien nous offrir ce qui nous appartient déjà. Nous passerons à l’action directe. Pour l’anarchie! Pour le communisme!» Communiqué de la NEFAC après les attentats: «Après les attaques terroristes du 11 septembre dernier, plus de 6000 personnes sont mortes... Nous, anarchistes, désirons exprimer, comme la majorité des gens, notre profonde tristesse et notre incrédulité face à cette dévastation qui a frappé New-York, Washington et la campagne pennsylvanienne... Nous sommes de tout coeur avec les familles et les amis des victimes.» Ces deux communiqués émanent de la NEFAC et furent publiés par A-infos, bien qu’ils ne semblent pas provenir du même collectif au sein de la fédération. Seuls les méandres du fédéralisme peuvent expliquer la coexistence de positions aussi antagoniques. |
Au tout début, on entendit parler d’une revendication en provenance de groupes gauchistes japonais (non confirmée par la suite), on pensa également à des groupes «incontrôlés» d’origines diverses (palestiniens, d’Extrême-Orient,...) ou encore, à cause de la date, à des groupes latino-américains et plus particulièrement chiliens. Mais le manque de revendications explicites, le fait que les auteurs aient trouvé la mort en tuant, le fait que l’attentat suicide soit un peu partout la panacée de l’islamisme radical, que la formation idéologique exhortant à mourir ainsi se soit transformée en modèle pour cette religion et pour cette force bourgeoise luttant pour le partage du monde, tout cela confirmerait la thèse officielle attribuant ces attentats à l’islamisme radical.
Sur la thèse officielle qui accuse Ben Laden, son organisation et l’Etat des talibans d’Afghanistan, nous préférons ne pas spéculer. C’est pour cela que nous n’insisterons pas ici sur le caractère répressif de ce régime, sur la répression de la femme, sur le terrorisme d’Etat qui le caractérise. Ce thème est déjà suffisamment à la mode pour que cette dénonciation corresponde maintenant aux intérêts de ceux qui dirigent les grandes puissances et imposent la guerre et le massacre en Afghanistan. Nous dirons simplement que ces forces sont ennemies de l’espèce humaine, à l’égal de toutes les forces capitalistes et que, bien qu’elles soient aux prises avec d’autres puissances capitalistes pour le partage du monde, elles n’offrent pourtant pas d’autre perspective que le capitalisme, la guerre, la répression. Rien donc de plus logique donc que le fait qu’hier, elles aient été les alliées des criminels de guerre nord-américains, Bush en tête.
Malgré la joie que ces attentats ont suscitée dans de larges franges du prolétariat parce qu’ils s’en prenaient à son ennemi, ils ne constituent cependant ni un affaiblissement de la société capitaliste en général (même si cela a porté un sérieux coup à beaucoup de ses fractions) ni un développement de la force du prolétariat. La théorie de la lutte appareil contre appareil, comme celle du foquisme ou, en général, les conceptions militaristes conduisent à des culs-de-sac (généralement à la guerre impérialiste) et, en tant que telles, sont des théories contre-révolutionnaires. Leur point commun est la théorie du transfert des forces d’un appareil à un autre, au rythme des coups portés par l’un ou l’autre camp. Indépendamment du fait que les combattants soient ou non des prolétaires, cette théorie correspond effectivement à la guerre entre puissances bourgeoises mais ne se rapproche en rien du développement de la lutte des classes. Cela peut fonctionner entre différentes armées mais pas entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre la révolution et la contre-révolution, car dans ce cas, les deux forces se développent et se dressent l’une contre l’autre de façon chaque fois plus puissante (35).
De la même façon qu’on arrêtera pas la révolution en augmentant les forces de police, on ne peut pas non plus la faire reposer sur des attentats, la guérilla ou, plus généralement, le développement d’une autre puissance. Ce schéma-là, c’est celui de la guerre impérialiste. La destruction de l’organisation sociale actuelle, quant à elle, ne peut être que l’oeuvre d’une autre organisation sociale, de l’action révolutionnaire des producteurs organisés.
Une chose est certaine: toutes les luttes du prolétariat, où qu’elles éclatent, s’affrontent aux mêmes ennemis que les auteurs des attentats, ce qui développe une énorme confusion. A Seattle, Prague, Gênes, en Algérie, Palestine ou Equateur, le prolétariat dénonce et s’affronte aux mêmes gendarmes de l’ordre mondial, l’OMC, le Pentagone et les centres du commerce mondial (World Trade Center veut précisément dire cela!) même s’il en coûte à tous les social-démocrates, partisans de la lutte «contre le néolibéralisme» et «contre la mondialisation» (ou en faveur d’«une autre mondialisation»).
Ainsi avec les attentats, la soumission générale à l’ambiance de condoléances et de larmoiements dont a besoin l’Etat pour développer ses campagnes terroristes s’impose même au sein des groupes en rupture classiste, porteurs de positions correctes.
Jamais dans l’histoire, il n’y aura eu autant de «marxistes» et d’«anarchistes» déclarant leur anti-terrorisme et se pliant aussi objectivement au terrorisme de la guerre capitaliste. Et justement, ce sont précisément ces social-démocrates là qui, par leurs lamentations et leurs critiques de tous les terrorismes (même s’ils ajoutent d’«Etat» ils ne critiquent jamais le terrorisme légal et démocratique du capital) collaborent au terrorisme généralisé, à la guerre du capital contre le prolétariat.
C’est pour cette raison qu’il leur semble tout à fait cohérent de croire intégralement à la vision des agences policières des Etats-Unis. C’est tellement facile d’agiter l’épouvantail de la cruauté et de la fourberie des terroristes islamiques, la terreur imposée par les talibans et leur fanatisme religieux pour ensuite pleurer les «innocentes victimes» et contribuer ainsi à la campagne militariste de la bourgeoisie mondiale. On évite ainsi d’analyser les déterminations sociales et objectives qui conduisirent à ces attentats!
Du point de vue du prolétariat, au contraire, il est important d’affirmer la contradiction sociale qu’expriment ces attentats, car ces attentats s’attaquent à des objectifs que le prolétariat affronte dans sa lutte, sans pour autant développer ces luttes, ni en général la force prolétarienne, sans donner non plus de perspectives contre la société actuelle. Au contraire, l’idéologisation de ce type d’action peut (comme cela s’est souvent passé) conforter le prolétariat dans le rôle de spectateur d’une guerre d’appareil contre appareil, spectateur qui, sans s’en rendre compte, est en train de se faire tondre: c’est lui qui paye cette guerre, c’est lui qui finira chair à canon. Enfin, du point de vue révolutionnaire, ce qui s’avère décisif, c’est le développement de l’action directe du prolétariat mondial combattant toute croyance qui laisserait penser que quelqu’un pourrait faire la révolution sociale en lieu et place de l’organisation du prolétariat comme classe, comme force internationale. L’idéologie selon laquelle un groupe d’élus, martyrs ou «révolutionnaires» pourrait changer la situation sociale catastrophique s’oppose également à l’organisation du prolétariat en parti, en puissance sociale mondiale pour la destruction du monde capitaliste.
Bien que l’action puisse sembler directe, comme nous le développions dans l’article sur les sommets et les anti-sommets, elle n’a rien à voir avec l’antagonisme historique de l’action directe du prolétariat contre le parlementarisme. L’action directe prolétarienne est celle qui peut se faire ici et maintenant, celle qui peut être reproduite n’importe où et par de plus en plus de groupes de prolétaires. Par ailleurs, l’action individuelle et spectaculaire correspond aussi à l’idéologie, également dénoncée dans ce texte, de la mystification de l’importance de ces centres mondiaux du capital ou des sommets réunissant leurs représentants. Les décisions du capital, soumettant l’humanité à la plus grande barbarie de toute son histoire, ne se prennent dans aucun centre, ils sont l’application en tous lieux de l’aveugle loi qui l’anime: la loi de l’obtention du plus grand taux de profit possible.
La révolution sera tout le contraire de l’action d’une poignée de héros constituant une armée tandis que le prolétariat regarde la télévision et applaudit. La révolution se développe, à l’inverse, dans l’action directe du prolétariat, dans l’assumation chaque fois plus généralisée de cette action et dans le processus conséquent d’organisation en tant que classe, même si bien entendu, cela implique des groupes organisés, l’action de minorités révolutionnaires.
Oui, la violence ou l’attentat politique font partie du mouvement historique du prolétariat dans les conditions de violence imposées par la société bourgeoise. Ce n’est pas une option théorique mais une détermination éminemment pratique de la vie de ceux qui sont soumis à l’exploitation et à l’oppression. Par contre, le suicide ou l’action spectaculaire consistant à mourir en tuant, n’est pas une méthode qui appartient à la trajectoire révolutionnaire. Même les organisations d’origine prolétarienne qui ont soutenu les conceptions (que nous critiquons) de l’action exemplaire, de la propagande par le fait, du transfert de force, du foquisme, du guérillérisme (qui se situent bien loin des attentats suicides des islamiques), dégénèrent politiquement lorsqu’elles plongent dans ces conceptions et, tôt ou tard, elles tombent dans le piège de la lutte appareil contre appareil et servent des forces nationalistes, bourgeoises.
Si les révolutionnaires (à commencer par Marx) ont toujours revendiqué le terrorisme révolutionnaire comme seul moyen d’éliminer le terrorisme du capital, aujourd’hui, les seules revendications de «terrorisme révolutionnaire» à l’égard de ces attentats émanent d’organisations bourgeoises qui s’alignent sur la défense des guerres impérialistes, c’est-à-dire des guerres contre tel ou tel impérialisme. Pour nous, il s’agit là de la perspective capitaliste et, malgré les apparences, elle se trouve en totale opposition avec le terrorisme révolutionnaire.
L’unique position révolutionnaire valide est la lutte contre toutes ces forces. Elle ne se trouve ni derrière ceux qui pleurent ces attentats et préparent à la guerre, ni derrière les organisateurs des anti-sommets, ni derrière les libérateurs nationaux, ni derrière les organisateurs des attentats du 11 septembre. Même si ces derniers paraissent beaucoup plus radicaux, le prolétariat ne peut affirmer ses intérêts et sa perspective que contre eux tous.
Ben Laden, les talibans, les ayatollahs et en général les islamiques radicaux sont nos ennemis au même titre que tous les Etats, toutes les religions. Cependant, il nous faut reconnaître que les attentats les ont auréolés d’une radicalité encore plus forte que celle qu’ils avaient auparavant. Négliger cela nous mettrait dans l’incapacité de comprendre ce qui se déroule dans les pays et les zones à prédominance musulmane et équivaudrait à ne pas tenir compte de la capacité de ces forces à canaliser et liquider le mouvement prolétarien, comme ce fut le cas en Iran en 1979. Ce qui, en Occident, passe pour être de droite accomplit la fonction d’extrême gauche dans cette zone; ce qui est considéré comme un archaïsme et que la social-démocratie définit comme un retour au passé (jusqu’à parler de féodalisme!) est un produit tout à fait moderne du développement du capital dans ces régions et assume un rôle d’extrême gauche contre le prolétariat. Le soi-disant primitivisme, tel qu’on l’«observe» depuis l’Occident, dans la mesure où il apparaît comme une critique du progrès, apparaît comme une alternative aux yeux d’un prolétariat qui a pu constater dans sa chair que le progrès du capitalisme s’est toujours affirmé contre sa vie. C’est le développement même des forces productives du capitalisme qui produit la modernité du «primitivisme», l’attirance du prolétariat pour des conceptions de plus en plus à la mode, qui préconisent de faire tourner la roue de l’histoire à l’envers, de revenir en arrière. Et, tous ces prolétaires occidentaux supposés «supérieurs» ne devraient pas tant rire de ce «primitivisme», eux qui, de plus en plus et avec raison, tentent d’échapper aux hôpitaux et aux médecins pour se tourner vers les guérisseurs et se soigner avec les plantes comme le faisaient leurs grands-parents, eux qui cherchent illusoirement une nourriture qui ne soit pas chaque fois pire, une nourriture comme celle d’antan, sans pesticide ni produit chimique,... En Occident également, sous d’autres drapeaux, entretenue et nourrie par la tragédie qu’entraîne le progrès du capital pour la majorité de l’espèce humaine se développe cette tendance à croire au mythe du «retour en arrière». C’est en fait une des tendances les plus modernes de la catastrophe capitaliste! Même si elle se développe comme résistance au progrès, c’est bel et bien un produit de ce dernier. L’attribuer au manque de développement, au supposé féodalisme attardé des talibans, c’est croire dans le pôle positif du progrès que montre le capitalisme, c’est accepter ce que le capital dit de lui-même, c’est adhérer à la conception dominante et bourgeoise du progrès. Le capitalisme mourra précisément parce que son progrès s’oppose toujours plus aux nécessités humaines, parce qu’une part chaque fois plus grande de l’humanité lutte et luttera ouvertement contre lui.
D’autre part, les discours de certains islamiques radicaux peuvent s’avérer bien plus sérieusement contestataires que ceux de nos social-démocrates de gauche occidentaux. Au lieu d’agiter les drapeaux de la social-démocratie occidentale et chrétienne (plus de démocratie, gouvernement populaire ou ouvrier, démocratie populaire ou de base, luttes pacifiques pour obtenir tel ou tel droit) et connaissant la radicalité de la lutte de classe dans la région, ils n’hésitent pas à faire de claires allusions à des éléments du programme révolutionnaire (abolition de l’argent, des frontières, appels à l’action directe et à la violence, critique de la démocratie,...) même si, bien entendu, leur fonction reste de consolider la contre-révolution. Et justement, ce discours radical correspond à leur perspective qui est de jouer le rôle d’ultime rempart contre la révolution.
Il ne fait aucun doute que ces forces canalisent (ce que ne peuvent faire dans cette région ce qu’on appelle en Occident les forces de gauche) une très importante partie de la haine du prolétariat mondial contre ses oppresseurs et la transforment en lutte religieuse, lutte démocratique, lutte contre telle ou telle puissance. Nous ne croyons pas, comme on l’entend déjà, que Ben Laden puisse jouer un rôle similaire à celui de Che Guevara. Non pas parce que l’un serait de gauche et l’autre de droite, mais parce que Ben Laden ne développe aucun projet universel susceptible d’attirer le prolétariat de tous les pays. Au contraire, Ben Laden part d’une revendication religieuse et de la défense d’une civilisation particulière contre une autre; le Che qui, par contre et malgré ses critiques, défendait objectivement les intérêts d’un bloc impérialiste (jamais il ne rompit programmatiquement ni avec le stalinisme ni avec les partis staliniens, comme le mettent en évidence ses absurdes espérances à leurs égards, avant sa mort) (36), se revendiquait de la lutte universelle pour la révolution du prolétariat dans le monde entier.
Malgré cela, il ne fait aucun doute que Ben Laden et sa bande armée jouent déjà un rôle contre-révolutionnaire de premier plan, accréditant les thèses officielles à propos des attentats, thèses qui poussent la contradiction entre impérialisme et résistance islamique et qui incitent à la guerre impérialiste anti-terroriste versus islamique, encadrant le prolétariat dans une guerre qui n’est pas sienne, dans laquelle il a tout à perdre et rien à gagner.
Il est évident que nous ne faisons pas uniquement référence à la situation désespérée dans laquelle on enferme les prolétaires en Afghanistan, où l’on tente de les envoyer à la boucherie au nom de l’islamisme alors qu’ils sont en train d’encaisser les bombes, les missiles et les massacres des forces impérialistes coalisées. Nous ne nous référons pas uniquement à ces prolétaires en Afghanistan qui, objectivement, se trouvent pris entre deux forces qui aspirent à les transformer en chair à canon et qui, dans les deux cas, les menacent de mort. Nous voulons également souligner que cette situation est de plus en plus présente aux quatre coins du monde: Palestine, Pakistan, Tchétchénie,... Plus globalement encore, cette polarisation inter-bourgeoise implique la généralisation de la perspective militariste de tous les Etats et la répression généralisée du prolétariat mondial qui en découle.
Bush et Ben Laden, hier alliés, s’accusent aujourd’hui mutuellement et à juste titre de terrorisme dans la lutte pour le même objectif: transformer la guerre de classe en guerre impérialiste.
Notre objectif à nous se situe à l’opposé du leur: transformer la guerre impérialiste en révolution sociale. Seul le développement des luttes prolétariennes actuelles contre la bourgeoisie et les Etats de tous les pays (luttes qui, comme nous l’avons vu, apparaissent encore sous des formes différentes voire hétéroclites, ce qui empêche notre classe de se reconnaître en chacune d’elles), seule leur organisation et leur centralisation pourra développer la révolution contre toutes les guerres actuelles, contre le terrorisme du capital dans le monde entier.
Dans notre précédente revue centrale, nous avons longuement analysé le mouvement prolétarien qui a explosé suite à l’assassinat de plusieurs jeunes par la police en Kabylie, et sa généralisation à toute l’Algérie en quelques semaines.Au regard des diverses informations qui nous sont récemment parvenues, force est de constater que la contestation prolétarienne ne s’est pas vraiment estompée, que du contraire... Jamais, jusqu’à présent, notre consigne «en dehors et contre les elections» n’a pris autant de force et d’ampleur qu’en Algérie en ce printemps 2002.
Ce mot d’ordre central va alimenter toute l’action directe et violente que les prolétaires vont diriger durant tout le mois de mai pour saboter les élections.
Dès le début de la campagne, les panneaux publicitaires et affiches des candidats sont systématiquement arrachés et détruits par les prolétaires: aucun parti, aucun candidat n’ose se manifester publiquement, ni tenir un meeting dans la région kabyle... Louiza Hanoune, présidente du Parti des Travailleurs (PT) (1), dénonce le fait que ses candidats ont fait l’objet de menaces et d’appels au lynchage de la part des prolétaires de cette région.
D’un autre côté, les prolétaires organisent de nombreuses rencontres pour étendre leur lutte contre les élections dans la région.
A partir du mardi 29 mai, la grève est générale en Kabylie. Aux dires de certains, celle-ci est sans précédent car en plus de la fermeture des magasins, les fonctionnaires de l’administration arrêtèrent également le travail, fait extrêmement rare en Algérie (2). Aucune desserte n’est assurée, tant sur les axes routiers que ferroviaires. L’activité est également à l’arrêt au niveau des ports en Kabylie et de l’aéroport Abane Ramdane. Les accès au réseau routier sont tous bloqués par les prolétaires: les barricades, faites de troncs d’arbres, de carcasses de voitures, de pierres, d’énormes buses et de blocs de béton ont avant tout pour but d’empêcher l’acheminement de tout ce qui concourt à l’organisation des élections, à savoir les bulletins de vote et les renforts de services de sécurité.
Dans la nuit de mardi à mercredi, des manifestants mettent le feu au siège de l’APC (service administratif) de Tizi-Ozou, lieu de stockage de matériel électoral. La même nuit, le siège d’un parti local a été la cible des mêmes manifestants à l’aide de cocktail Molotov (3).
Pour contrer le sabotage des élections, le gouvernement a dépêché mardi soir d’Alger, de Tipiza et de Blida des cars entiers de «faux électeurs» vers diverses régions de Kabylie. Ces bus ont été immédiatement repérés grâce à un système de surveillance du trafic routier mis en place par les prolétaires: les «vigiles des routes» (4). Aussi, mercredi matin, dès l’arrivée de ces premiers convois insolites, la réaction des prolétaires fut à la mesure de leur colère: immédiate et radicale.
A Abkou, ils mirent le feu à trois bus de «faux électeurs payés pour aller bourrer les urnes». Des affrontements très violents ont également éclaté très tôt le matin dans un quartier de la ville suite à l’arrivée d’un convoi des Compagnies Nationales de Sécurité (CNS), équivalentes aux CRS français. Elles se sont rapidement étendues à toute la ville. Selon une source hospitalière, certains blessés auraient été atteints par balles réelles, dont l’usage est «normalement» interdit aux brigades anti-émeutes. On signale cependant également des blessés parmi les agents anti-émeutes (5).
A Tizi-Ozou, les dizaines d’autocars immatriculés à Alger qui convergeaient vers la gare routière durent rebrousser chemin sous une pluie de pierres.
A Sidi-Aich, quatre bus ont été incendiés par les prolétaires armés de cocktails Molotov. Certains bus transportaient également des renforts de police.
Dans la région d’Azazga, un prolétaire d’une trentaine d’année, chômeur comme plus de 30% de ses frères de classes dans la région, blessé au pied, raconte qu’après avoir brûlé une voiture du commissariat d’Azazga, lui et ses copains ont décidé de réserver le même sort à la coquette villa coloniale du commissaire, celui-là même qui «hier, nous a ramené des bus bondés de faux électeurs venus d’Alger». Ce convoi a été assiégé pendant des heures par des manifestants qui le bombardèrent de différents projectiles. Dans cette ville, cinq foyers d’affrontement ont été recensés dans les différents quartiers, notamment devant le tribunal situé au centre-ville et la mairie.
Le jour du vote, malgré la mise en place d’un important dispositif de brigades anti-émeutes, la plupart des locaux ont été contraints de fermer après avoir été pris d’assaut par plusieurs centaines de prolétaires. Les bureaux les plus importants furent gardés toute la journée par des manifestants cagoulés qui en empêchaient l’accès, encerclant les bâtiments de pneus enflammés... Un peu partout, les urnes et fichiers électoraux ont été directement brûlés ou alors confisqués, pour être ensuite incendiés publiquement.
Résultat: à Tizi-Ozou seuls 175 bureaux sur les 880 prévus ont ouverts leurs portes, à Bejaïa 33 sur 488!... Dans les villages plus reculés des montagnes, aucun électeur ne s’est présenté pour accomplir son «devoir électoral», les accès aux localités où ils auraient dû se rendre étant empêchés par des barricades. La Kabylie enregistre ainsi le record historique mondial de la plus faible participation électorale jamais recensée: pas plus de 2%!
A Alger, «comme il est de tradition» selon les dires de la presse, les électeurs n’ont pas été nombreux à voter, 30% en l’occurrence. Finalement, sur l’ensemble de l’Algérie, le Ministère de l’Intérieur annonce un taux de participation de 46,09% - émigrés compris. D’autres sources remettent en cause ce chiffre officiel qu’ils jugent «surréaliste» et dénonçant la «fraude». Selon eux, le taux réel n’a pas dépassé les 20% et c’est pourquoi ils demandent l’annulation du scrutin. Quoi qu’il en soit, c’est de toute façon le taux de participation le plus faible jamais réalisé en Algérie depuis l’Indépendance du pays (6)! A titre indicatif, le taux de participation de 1997 s’élevait à 65,49%.
Ces chiffres montrent, à défaut d’informations sur des actions bien précises, que le rejet du vote par les prolétaires du reste de l’Algérie fut bien réel. Un professeur en Kabylie explique: «La Kabylie, c’est le miroir de l’Algérie. Ici, vous voyez clairement ce qu’ailleurs on ne peut que deviner» (7)... Même certains journalistes reconnaissent que «la Kabylie crie ce que le pays pense» et que «cette région est devenue une sorte de baromètre de la participation, comme du rejet du pouvoir dans tout le pays. Alger redoute plus que tout l’effet de contagion dans un contexte où exaspération, humiliation, désespoir et révolte sont tels que le seul mode d’expression est devenu l’émeute. Partout et pour tout» (8).
Les partis «de gauche» (9), soucieux de leur crédibilité mise à mal, ont estimé plus utile de s’associer formellement à un abstentionnisme façon «dissidence citoyenne» (dixit le FFS) plutôt que d’appeler à voter pour eux, d’autant que l’ampleur de la lutte contre les élections - ajouté au rejet dont il font eux-mêmes l’objet en tant que partis politiques (10) - leur laissait peu de plumes à perdre dans l’aventure. Ils assument ainsi le rôle social-démocrate, consistant à faire l’apologie des faiblesses du mouvement pour mieux dénigrer et tenter d’isoler les véritables ruptures, en l’occurrence l’action directe et autonome contre les élections, contre la démocratie.
Ainsi, les partis d’opposition se sont rassemblés dans une unité interbourgeoise... - dont le FFS, le RCD et le MDS - ont seulement appelé au boycott, pour se démarquer de toute action directe contre les élections. Aujourd’hui comme hier, la social-démocratie court invariablement derrière les mouvements qui lui échappent. Aujourd’hui comme hier, elle tente de les vider de leur contenu subversif pour les ramener dans le champ de la démocratie, dénonçant ici uniquement les irrégularités du processus électoral qu’ils qualifient de «scrutin mascarade» pour mieux réhabiliter... le principe même des élections.
Plus à gauche dans l’échiquier politique, le comité des Aarouchs (pluriel de «Arch», comité de village) a appelé à des opérations «anti-vote». Mais il demeure difficile de trancher ici ce qu’expriment ces structures: les contradictions du mouvement, ou leur encadrement à un certain degré de radicalité... social-démocrate.
De l’autre côté de la barricade, les fractions les plus décidées de notre classe ont organisé le sabotage des élections, la destruction systématique de tout le matériel nécessaire à la tenue du scrutin. Elles n’ont nullement tenu compte de la liberté citoyenne d’aller voter ou non. De fait, le refus du vote était imposé par la terreur aux éléments encore hésitants du prolétariat tandis que d’autres s’y sont ralliés de manière très active.
La tension générale ainsi créé découragea les plus fidèles serviteurs de l’Etat d’assumer leur mission. Ainsi, plus aucun fonctionnaire de mairie n’a voulu tenir les bureaux de vote:
«Je te placerai dans une commune loin de chez toi» a supplié un notable de Tazmalt. L’employé de la mairie a secoué la tête: «Et en plus tu veux que je meure loin de mes enfants!» (11).
Deux jours avant le scrutin, il fallut encore dépêcher des convois de scrutateurs depuis le centre du pays. Il faut également savoir que les prolétaires n’ont pas hésité à procéder à des expéditions punitives contre les établissements privés de ceux qui participaient aux élections. Le mardi 29, à Azazga, quatre magasins ont ainsi été pillés et saccagés.
Pour les prolétaires en lutte, tous ceux qui participaient de quelque manière que ce soit à l’organisation du scrutin ou plus simplement annonçaient qu’ils iraient voter étaient dénoncés comme «des traîtres aux martyrs du printemps noir» (12), en référence aux meurtres perpétrés par la gendarmerie en avril 2001, élément déclencheur du mouvement... plus encore, comme des complices de la répression étatique! Ainsi ce prolétaire de Tizi-Ozou qui explique qu’il n’ira pas voter pour ne pas devenir «un complice des meurtriers de mes fils» (13).
Les prolétaires expriment ouvertement qu’ils ne nourrissent plus aucune illusion quant à la solution du moindre de leurs griefs par les urnes:
«Les votes précédents n’ont rien réglé et les élus qui se sont succédé n’ont guère apporté de solutions à nos multiples problèmes.» (14)
Faisant référence au passé, les prolétaires plus âgés tirent également des leçons qu’ils transmettent aux plus jeunes, tel ce prolétaire qui avait été embrigadé dans la guerre d’indépendance: «Nous les vieux, on nous a leurré depuis l’indépendance de 1962, mais je ne pense pas que ce sera le cas avec nos jeunes maintenant, ils sont trop politisés.» (15)
Les illusions - traditionnellement mobilisatrices - sur le jeu électoral sont littéralement balayées: «Pensez-vous que les gens vont se soucier du vote alors qu’ils n’ont de l’eau dans les robinets que quelques heures par semaine» (16) s’interroge un chauffeur de bus... Un infirmier à la retraite déjà certain du résultat du scrutin déclare: «Le pouvoir va avoir un vote zéro en Kabylie. Moi-même je ne voterai pas, ainsi que ma femme et mes sept enfants, tout le monde en a marre de cette vie indécente» (17).
Ce rejet des élections est un aspect, une manifestation d’une critique beaucoup plus globale que le mouvement porte dans son essence, même si cette globalité est aujourd’hui seulement contenue en germe, en perspective. Contre les séparations social-démocrates (immédiat/historique, économique/politique, etc), nous affirmons toute la richesse des déterminations de la négation dont le prolétariat est le sujet dès qu’il développe sa lutte de manière autonome. La prise de conscience de ces déterminations n’est ni un pré-requis ni un élément externe au mouvement (tel que l’envisage la social-démocratie), leur assumation consciente constitue bien plutôt un saut de qualité fondamental dans le cours de la lutte.
Aujourd’hui en Algérie, et plus particulièrement en Kabylie, le rejet des élections est déjà en rupture avec nombre de contingences sans cesse remises en avant par la social-démocratie: «déficit démocratique», «Etat de droit bafoué», «magouilles», «fraude», «corruption» etc. Cette rupture est directement porteuse d’un élargissement du mouvement, d’une critique plus globale de la social-démocratie et du parlementarisme, et au-delà, de la médiation démocratique. Mais il nous faut aussi constater que cette critique n’est pas encore ouvertement affirmée, revendiquée, voire assumée dans toutes ses conséquences.
Quant à la bourgeoisie, elle n’a pas d’autre choix que d’avancer des propositions et des pions politiques pour tenter de ramener le mouvement sur son terrain à elle, car même sa capacité à organiser une répression brutale qui ne se dissolve pas dans le défaitisme révolutionnaire en dépend. C’est donc dans la lutte farouche contre toutes les options social-démocrates présentes et à venir que se décidera l’avenir du mouvement, son développement ou son arrêt.
Aujourd’hui, une des forces du mouvement réside dans le rejet du traditionnel «moindre mal», brandi une fois de plus par la social-démocratie pour convaincre les prolos d’aller voter, avec «l’intégrisme islamiste» dans le rôle de la bête immonde. Une fois encore, diverses informations concordent pour attribuer aux fractions bourgeoises au gouvernement l’organisation de la «terreur islamiste armée» (18). Parmi les méthodes de l’Etat, il n’est pas nouveau de combiner l’organisation de la répression avec ce que l’on a appelé la stratégie de la tension. En exerçant son propre terrorisme sous le drapeau d’une soi-disant «fraction islamiste armée», la bourgeoisie au pouvoir en Algérie exacerbe une polarisation tout à son avantage, car destinée à rabattre les prolétaires terrorisés dans le giron parlementariste et électoral. Cela semble d’ailleurs confirmé par le récent calendrier des attentats et massacres perpétrés autour des élections de juin.
A cette terreur bourgeoise, les prolétaires étaient bien décidés à répondre par leur propre terreur, affirmant de façon ouverte leur refus de la tenue des élections. Le bras de fer entre classes s’est une fois de plus durci dans la région.
Par la défense intransigeante de leurs besoins de classe, par leur action directe, violente et décidée, les prolétaires sont parvenus:
1) à empêcher concrètement les élections de se dérouler, non par la passive attitude abstentionniste mais par le rejet radical (par le feu!) du processus électoral lui-même.
2) à montrer aux prolétaires du reste du monde (même si ceux-ci, on le sait, ne s’y reconnaissent encore que très minoritairement) la force de leur organisation, de leur volonté et de leur décision. «A travers cette démonstration de force -coordonner des actions de rue sur un territoire aussi vaste-, le mouvement prouve qu’il demeure encore un cadre de mobilisation et ce, en dépit des arrestations, de la répression, du travail de sape», reconnaît un journal bourgeois (19).
Aujourd’hui, le mouvement continue à se radicaliser, il revendique ouvertement l’action violente comme seule réponse possible et efficace contre la violence de l’Etat:
«Nous étions un mouvement pacifique, les autorités nous ont forcés à devenir un mouvement cassifique (allusion à la casse)» (20)...
Le succès du mouvement général et violent de rejet des élections nous semble démontrer la forte volonté qui anime les prolétaires de continuer la lutte, de la mener plus loin, de l’autonomiser toujours plus des fractions social-démocrates qui tentent de l’encadrer.
Nous reproduisons ici un tract élaboré et diffusé par des camarades sud-américains contre les célébrations bourgeoises du premier mai. La clarté avec laquelle ces camarades affirment les positions invariantes du prolétariat révolutionnaire, contre l’Etat, contre la démocratie, contre la libération nationale, contre l’esclavage salarié, contre le travail, contre le capital, contre les commémorations bourgeoises du premier mai, etc. rendent toute autre observation inutile. Nous voulons juste souligner l’importance du fait que ces camarades défendent le véritable sujet historique de la révolution, le prolétariat, à un moment historique où toutes les idéologies s’emploient à diluer et diviser notre classe dans un magma de catégories diverses, comme nous l’avons vu dans «Amérique, vivent ceux qui luttent contre l’Etat et le capital!» Avec ces camarades nous affirmons à contre-courant que le Premier Mai fut et sera un moment et un drapeau de la lutte contre l’exploitation, et avec eux nous lançons la consigne «pour la constitution du prolétariat en classe révolutionnaire». |
Le 1er mai commémore la journée internationale du prolétariat, journée qui rappelle l’assassinat légal de quatre militants anarchistes de Chicago perpétré par l’Etat yankee en 1887. Il y en a qui, en ce jour, tente de concilier les contradictions de classe, vociférant que le 1er mai est la fête du travail ou le jour du travail, paroles si pathétiques qu’elles ne peuvent venir ni plus ni moins que des agents contre-révolutionnaires (gauchistes de tous bords) qui se mêlent à nous et s’approprient nos drapeaux pour nous faire prendre le chemin du pacifisme de la démocratie, c’est à dire de la dictature légale du capital. Les anarchistes de Chicago ne sont pas morts pour cela, ils sont morts pour un monde nouveau à gagner, sans Etat ni démocratie ni capital.
Renforçant la ligne historique de la Révolution, dont font partie Marx, Bakounine, Flores Magon, Gonzales Prada et tous ceux qui sont parvenus à identifier l’Etat, la démocratie et le capital comme les ennemis suprêmes qui nient notre humanité, nous continuerons de clamer que le 1er mai est «la journée internationale de la lutte prolétarienne», et que ce n’est PAS la fête du travail. Fêter le travail c’est fêter l’exploitation, c’est fêter l’action permanente de vendre jour après jour notre force de travail pour de l’argent, c’est fêter et lancer des vivats à la putain de «Communauté de l’argent» de l’Etat bourgeois. C’est pour cela que de l’ONU qui est l’Organisation Internationale du Capitalisme (où sont représentées toutes les dictatures démocratiques) émanent les harangues à la fête du travail afin que nous fêtions l’inhumanité de vivre heureux au sein de l’exploitation de l’Etat et du Capital.
Dans ces périodes de réaction généralisée du capital, le 1er mai, doit être le jour où «la ligne historique de la révolution» recommence à prendre vie, tranchant les positions et démystifiant l’opportunisme bourgeois radical peint en rouge représenté par toutes les gauches (la fraction intellectuelle de la petite bourgeoisie radicale) léninistes, stalinistes, trotskistes, maoïstes, guevaristes, castristes, mariatéguistes, apristes (2) etc., etc., qui, partout dans le monde, nous inculque qu’il faut célébrer le travail, continuer le raisonnement réactionnaire de la gestion du capital par les ouvriers et le recyclage de la démocratie Populaire et de la libération nationale, par lesquels on boycotte la constitution du prolétariat en classe révolutionnaire et la détourne continuellement vers les canaux de la mentalité capitaliste.
Entre gauche et droite il n’y a pas d’opposition, ni idéologique ni pratique, toutes deux sont des lignes démocratiques et donc soeurs capitalistes se différenciant uniquement par les modèles économiques de gestion du capital aux mains de l’Etat. Ainsi, au sein de la démocratie dans laquelle jouent les gauchistes et les droitistes, il n’y a pas d’opposition, il y a uniformité dans le cloaque de la gestion du capital et du travail, générant toutes leurs tares: marchandise, accumulation et commerce; patries et guerres; frontières, exploitation et misère; démocratie et esclaves salariés. Pour cela et pour toujours, en nous rappelant Gonzales Prada, célébrer le 1er mai comme la fête du travail c’est jouer le rôle des ingénus, des malheureux et des inconscients défendant la misère et le rôle d’esclave salarié (3), c’est jouer le rôle des dindons qui se réjouissent sur la table du festin de Pâques. Le prolétariat conscient célèbre dans le 1er mai le jour de la révolution (4).