COMMUNISME

Dictature du prolétariat pour l'abolition du travail salarié

Organe central en français du Groupe Communiste Internationaliste (GCI)


COMMUNISME No.52 (Février 2002):

Tentatives bourgeoises de canalisation des luttes prolétariennes à l'échelle internationale et Lutte invariante pour la rupture prolétarienne

Tentatives bourgeoises

de canalisation des luttes prolétariennes à l'échelle internationale

et

Lutte invariante

pour la rupture prolétarienne

CONTRE LES SOMMETS ET LES ANTI-SOMMETS (1)

* * *

Caractéristiques générales des luttes d'aujourd'hui

Il y a une dizaine d’années, en octobre 1993 précisément, nous avons présenté un bilan général faisant état des luttes qui caractérisent la phase actuelle du capitalisme, en faisant abstraction des éléments particuliers propres à tels ou tels affrontements (2). Depuis lors, rien de fondamental n’a changé en ce qui concerne ces caractéristiques générales. L’actualité confirme les traits généraux que nous tracions à l’époque: tentatives internationales de canalisation des révoltes prolétariennes et signes évidents de rupture encore et toujours caractérisés, d’un point de vue prolétarien, par des forces et faiblesses identiques à celles que nous avions soulignées. La catastrophe de la société capitaliste, qui continue à se préciser et à s’accentuer (3), ainsi que la tendance à la radicalisation des contradictions et des affrontements, remettent à l’ordre du jour la problématique de la direction révolutionnaire et de la destruction de la dictature internationale capitaliste. Face à l’actuelle barbarie, la question du projet social du prolétariat, de la révolution sociale, de la destruction de la société marchande resurgit comme unique alternative possible.

Ce texte, tout en apportant une brève analyse du développement du rapport de forces international entre bourgeoisie et prolétariat, est une arme de dénonciation des "nouvelles" tentatives de canalisation des énergies prolétariennes, et plus particulièrement celles qui se concrétisent par le biais de ces sommets et anti-sommets qui semblent dominer la réalité internationale; différentes idéologies pseudo-radicales que l’affrontement fait surgir. Produit direct de discussions entre prolétaires qui se posent ouvertement la question internationale du pouvoir et de la destruction de la dictature universelle du capital, ce texte est aussi une contribution à la lutte du prolétariat mondial pour son autonomie. Il constitue donc une arme de lutte pour la constitution d’une direction propre, en rupture avec toutes les idéologies qui prétendent nous maintenir enchaînés au vieux char social-démocrate, décoré pour l’occasion de nouveaux atours.

Dans Communisme n°39, nous signalions déjà que les formes traditionnelles d’encadrement bourgeois avaient perdu tout attrait pour le prolétariat. Nous notions que les formes traditionnelles de lutte, comme les "grèves" organisées par les syndicats, les manifestations pacifistes, et même le système politique national et son cirque électoral, ne soulevaient plus beaucoup d’enthousiasme: "les vieilles médiations de l’Etat ne font plus office de soupape de sécurité, et lorsque réapparaît ce prolétariat que certains voyaient déjà mort et enterré, il resurgit brusquement et avec force: sans accepter les médiations, sans que l’on puisse le stopper par d’insignifiantes petites grèves, des "promenades" pacifistes ou des promesses d’élections".

Nous constations également que les luttes de la période actuelle se caractérisaient par des explosions prolétariennes violentes et incontrôlées contre la propriété privée et contre toutes les forces sociales et politiques qui la défendent. Depuis, ces explosions de rage prolétarienne contre le capital n’ont cessé de se répéter, des explosions qui se distinguent par l’action "violente et décidée du prolétariat qui occupe la rue et s’affronte violemment tous les appareils de l’Etat", comme nous le disions dans notre texte. Le nombre de pays –Irak, Venezuela, Birmanie, Algérie, Maroc, Roumanie, Argentine, Etats-Unis (Los Angeles)– où ce type d’explosions s’est produit n’a pas cessé d’augmenter: Albanie, Indonésie (plusieurs villes), Bangladesh, Equateur, Argentine à nouveau (Santiago del Estero, Neuquen,...), Bolivie, Algérie (Kabylie).

Ces exemples révèlent à chaque fois la même incapacité de la bourgeoisie à encadrer les luttes, des luttes marquées par un affrontement violent à tout ce qui représente la société actuelle (y compris les partis et les syndicats de l’opposition démocratique), et par l’expropriation, plus ou moins organisée de la propriété bourgeoise, par des groupes d’avant-garde. "Balayant les préjugés ancestraux, défiant le terrorisme d’Etat, les prolétaires prennent ce dont ils ont besoin, tentant de détruire ainsi toutes les médiations auxquelles les condamne le capital: argent, salaire, travail,...".

Face à cette tendance de l’être humain à se réapproprier de façon directe sa propre vie, nous constations, toujours en 1993, que la bourgeoisie contre-attaquait invariablement à l’aide du sempiternel "carotte, bâton et désinformation". La manipulation de l’information et l’occultation systématique du contenu universel de ces révoltes, présentant ces dernières comme des révoltes "estudiantines", "de mineurs", "de palestiniens", "de kurdes", "de musulmans", "de berbères" (4)... Nous faisions également observer que la contre-attaque bourgeoise se basait toujours sur l’octroi de quelques concessions et sur le développement d’une répression sélective, avec toujours en toile de fond la volonté d’isoler le prolétariat de ses éléments d’avant-garde. Dans ce texte, nous analysions également les faiblesses des luttes prolétariennes actuelles (révoltes de courte durée, défaites de ces révoltes, manque d’associationnisme prolétarien permanent, absence de presse ouvrière, de mémoire historique, méconnaissance du programme révolutionnaire,...), ainsi que les nécessités et possibilités de combattre ces mêmes faiblesses et de transformer ce processus discontinu de révoltes en un processus ascendant menant à la révolution sociale (5).

Besoin de réorganisation de la gauche bourgeoise: tentatives de rénovation

La gauche bourgeoise actuelle a le programme que la social-démocratie a toujours défendu: moindre mal, démocratisme, populisme, parlementarisme, syndicalisme, pacifisme, aide au dit "Tiers-Monde",... Mais dans cette société, où la dévalorisation du capital se poursuit à un rythme effréné, où les marchandises doivent porter la mention "new" pour se vendre et où la production idéologique fait partie intégrante de la production marchande, les vieilles idées de la classe dominante ont sans cesse besoin d’être recyclées pour être efficaces pour endiguer l’assaut social. Plus que toutes autres, les tentatives de rénovation de la gauche bourgeoise obéissent à cette tendance, appliquant à tout va la mode du "néo": "néo" marxisme, "nouvelle" gauche, anti-"néo"-libéralisme,... (6).

La raison immédiate de ces rénovations est directement générée par le besoin du capital de donner réponse au vide que ressent la bourgeoisie à chaque fois que la colère prolétarienne s’exprime en dehors et contre les mesures traditionnelles de contention de la lutte de classes.

Un troisième élément qui a contraint la gauche bourgeoise à se recycler et à endosser de nouveaux vêtements pour camoufler son corps en putréfaction et son horrible visage, réside dans la catastrophe socio-économique des pays que la bourgeoisie a appelé socialistes, ainsi que dans la détérioration conséquente de l’image de cette gauche: ni l’appui critique du trotskisme, ni le maoïsme radical n’ont échappé au naufrage. Avec une implacable clarté, le système que ces courants avaient tant défendu (de façon critique ou non) confirma n’avoir jamais rien été d’autre que la plus brutale des exploitations pour le prolétariat, et sans que n’intervienne aucune révolution, ni contre-révolution sociale –pourtant si souvent annoncée!– (7), la classe dominante de ces pays déclara ouvertement préférer "le capitalisme et la démocratie". La totalité de la gauche bourgeoise internationale se vit dès lors obligée de reléguer ses amours de toujours au fond du grenier et de partir à la recherche d’autres fables pour rester crédible. Seules quelques fractions gauchistes du spectre social-démocrate continuent, par leur appui au castrisme, à s’accrocher obstinément à la défense (critique ou non) de ce monstrueux rejeton staliniste que fut le "socialisme en un seul pays" (8).

Mais la gauche bourgeoisie ne jouit d’aucune autonomie face à la droite, même sur le plan terminologique, elle demeure dans son sillage. Les accoutrements dont elle s’affuble ont toujours été déterminés par l’évolution et les contradictions du cycle du capital mondial, et même lorsqu’ils semblent différents, à y regarder de plus près, il ne s’agit la plupart du temps que des vieilles mêmes loques, simplement mises à l’envers. Ainsi, aux idéologies de la bourgeoisie mondiale, victorieuse de la seconde guerre mondiale –démocratie, droits de l’homme, antiterrorisme, anti-autoritarisme, antifascisme,... (9)–, s’ajoutèrent les idéologies des fractions les plus lésées par le libre-échange, des idéologies qui n’étaient en réalité que l’antithèse vulgaire de ce qu’impose encore aujourd’hui la bourgeoisie internationale dominante et libre-échangiste. A mesure que la politique libérale classique (qui n’a rien de "néo") adopte une terminologie différente (mondialisation, village global, globalisation,...), la vieille gauche bourgeoisie pseudo anti-impérialiste se définit sur base du préfixe "anti": antinéolibéralisme, antimondialisation, antiglobalisation... Même les partisans de la libération nationale, au vu de leurs résultats catastrophiques et de la caducité de leurs discours, commencèrent à se recycler dans l’antiglobalisation...

En réalité, il n’y a rien de neuf sous le soleil capitaliste. Tout cela n’est que du baratin à bon marché, une terminologie inventée par le capital international, épaulé par des agences publicitaires, en vue d’améliorer l’image du capital et d’imposer ses objectifs actuels en les faisant passer pour quelque chose de neuf. Le capitalisme est par essence mondial et a toujours été global. Historiquement, le point de départ du capitalisme n’est pas la nation (comme le dit Marx, le marché mondial précède le marché national), mais la révolution du marché mondial (qui existait lui, déjà depuis bien longtemps), qui s’est opérée à la fin du 15ème siècle par la généralisation de la valeur à échelle mondiale et s’est conclue au 16ème siècle par l’impossibilité d’une accumulation capitaliste sans conquête de la production, et enfin, par la subsomption historique de l’humanité dans le capital. Dans l’histoire du capital, le global précède toujours le particulier et le local. Le libéralisme est la politique générale de la fraction hégémonique du capital et ce bien avant l’origine du marché mondial ou de l’argent mondial, ce qui nous reporte à plus de mille ans en arrière, et depuis lors, cette politique n’a cessé de s’opposer aux intérêts des fractions protectionnistes. Le libéralisme et l’antilibéralisme (qu’on y ajoute le préfixe "néo" ou non), le globalisme et l’antiglobalisme, le mondialisme et le régionalisme,... ne sont rien d’autre que expressions différentes de la lutte qui oppose depuis toujours les fractions bourgeoises, l’une défendant le maintien du protectionnisme, source de son accumulation, l’autre, plus cohérente dans l’application stricte de la loi de la valeur au niveau international, désireuse de briser ce protectionnisme (10).

Si les moyens de fabrication de l’opinion publique internationale font aujourd’hui autant de bruit autour de ces tendances, représentées tant bien que mal et caricaturalement par les sommets internationaux et les anti-sommets bourgeois, c’est précisément pour fourvoyer le prolétariat dans une lutte qui n’est pas la sienne, et tenter d’offrir une réponse aux explosions de rage prolétarienne dans lesquelles les exploités cherchent à rétablir la lutte sur un véritable terrain classiste. La social-démocratie, en tant que parti historique de la contre-révolution pour le prolétariat, tente d’arracher ce dernier à la rue et à l’action directe, de le maintenir soumis à un ensemble de médiations qui font de lui une masse de manœuvre et une force d’appui à la lutte interbourgeoise (11).

Idées et personnalités de la gauche "Néo"

Durant les années ’70 et ’80, elle s’appelait la "nouvelle gauche" et regroupait un large spectre d’idéologies social-démocrates, réclamant plus de démocratie, plus de socialisme, plus d’anti-impérialisme, plus d’étatisme, plus de populisme, maugréant contre les grandes entreprises, les monopoles,... A l’heure actuelle, elle se nomme antiglobalisation, antinéolibérale, antimondialisation, anti-Fond Monétaire International, anticommerce mondial,... Elle parle au nom de la société civile et de la citoyenneté diffuse et se définit par une lutte contre le capital financier et multinational et, dans sa grande majorité, pour l’application de la taxe "Tobin"... Mais en réalité, c’est toujours le même chien, même s’il porte des colliers différents.

De fait, la bourgeoisie de gauche dans son ensemble a pu constater son incapacité à encadrer le prolétariat, mais à l’instar de ce papier recyclé et grisouille qu’on nous vend pour neuf, elle a décidé de se mobiliser autour de ce qu’elle appelle la "globalisation" ou la "mondialisation". Elle tente de tout focaliser sur les réunions les plus importantes de la Banque Mondiale, du Fond Monétaire International, de l’Organisation du Commerce Mondial, ou de toute autre instance de l’Etat mondial du capital.

Syndicats et partis politiques en décrépitude, féministes et écologistes en perte de crédibilité, économistes keynésiens, mouvements pacifistes et libertaires de tous bords (12), philanthropes, journalistes, tiers-mondistes et "anti-impérialistes", organisations non gouvernementales et organismes humanitaires, agriculteurs en faillite et associations de protections animales,... tous, sans exception, cherchent, en appelant à se mobiliser autour de ces réunions, une nouvelle virginité politique. Les stars politiques passées, totalement décrédibilisées, réapparaissent en public et appellent à de véritables messes citoyennes censées s’opposer aux sommets organisés par les représentants officiels. Dans le contexte carnavalesque de ces cortèges peinturlurés et folkloriques, pacifiques et dociles, encadrés par les forces de l’ordre et les syndicats (telle la puissante Confédération Européenne des Syndicats), des personnalités aussi disparates que les animateurs des comités d’appui à la pseudo-guérilla de Marcos ou à cette caricature de paysan radical appelé Bové (que l’on a déjà rebaptisé le "Walesa du roquefort" pour sa cohérence dans ses objectifs bourgeois), en passant par d’antiques personnages de la gauche caviar,... tentent ainsi de constituer une "option globale", qui n’a réellement rien d’original comparé au vieux socialisme bourgeois du 19° siècle. Et n’oublions pas non plus de rajouter à ce charmant tableau, les appuis "antiglobalisation" et "antimondialisation" fournis par des personnalités et organisations ouvertement de droite, nationalistes, fascistes et pro-nazis, tel Charles Pasqua, ex-ministre de l’Intérieur en France, ou encore la jeunesse lepéniste du Front National.

Le dénominateur commun du fourre-tout antiglobalisation, c’est la prétention d’instaurer un capitalisme soi-disant "plus humain", plus démocratique, autrement dit le renforcement de la domination démocratique et citoyenne sur l’espèce humaine. Les mots d’ordre contre la globalisation, le FMI, la Banque Mondiale et le néolibéralisme mettent clairement en évidence que ce dont il est question n’est pas la destruction du capitalisme, mais sa perpétuation.

Idéologies antiglobalisation

L’Association Attac (Action pour la Taxe Tobin d’Aide aux Citoyens) –le nom constitue déjà tout un programme–, est le point de rencontre d’anciennes structures et personnalités social-démocrates, auxquelles on n’a fait que donner une nouvelle physionomie. Elle représente, sans aucun doute, l’institution internationale la plus importante de ce qu’on appelle l’antiglobalisation. A ses côtés, on trouve d’autres réseaux, fédérations et organisations, où se mélangent mouvements idéologiques, syndicats, partis politiques, œuvres de charité, organisations religieuses, ONGs,... tels le Centre Tri-Continental, la Marche Mondiale des Femmes, le Jubilé 2000, l’Alliance Sociale Continentale, l’Action Globale des Peuples, "Le Monde Diplomatique", l’"Association Ya Basta", le Mouvement de Résistance Global, la Confédération Paysanne (13).

Bien qu’elles se présentent sous différents faciès et diverses plates-formes, ces organisations sont, comme nous le disions précédemment, le résultat d’un recyclage de la gauche bourgeoise qui essaye par tous les moyens de retrouver un peu de crédibilité et de présenter, face à la catastrophe actuelle du capitalisme, une alternative réformiste répondant aux explosions, à chaque fois plus incontrôlées, du prolétariat international. Juste pour se faire une idée et démontrer à quel point le programme de ces organisations ne constitue rien d’autre que le vieux programme réformiste bourgeois, nous allons citer et mettre en exergue quelques considérations extraites de la plate-forme constitutive de l’association Attac et du Forum Social Mondial de Porto Alegre.

Ainsi, Attac ne prétend pas lutter contre le capitalisme, mais bien contre ce qu’elle appelle la globalisation financière. Pour ce faire, elle propose d’utiliser la Taxe Tobin et de faire obstacle à la spéculation. Cette plate-forme débute ainsi:

"La mondialisation financière aggrave l’insécurité économique et les inégalités sociales. Elle contourne et rabaisse les choix des peuples, les institutions démocratiques et les Etats souverains en charge de l’intérêt général. Elle leur substitue des logiques strictement spéculatives exprimant les seuls intérêts des entreprises transnationales et des marchés financiers".

Sa conception du monde se base sur la bonne vieille méthode social-démocrate qui consiste à ne s’intéresser qu’aux conséquences, à refuser de voir les causes déterminantes, et à n’analyser que certaines manifestations particulièrement notoires et néfastes du capitalisme, en omettant qu’elles sont le produit nécessaire et inévitable de ce système social. Tout comme la social-démocratie basa son révisionnisme sur l’impérialisme qu’elle présentait comme une nouveauté (14), Attac l’échafaude aujourd’hui sur la pseudo-nouveauté de la globalisation financière. Hier comme aujourd’hui, il fallait trouver quelque chose de neuf pour justifier une politique de réformes du capital. Dans les deux cas, ce dont il s’agit en réalité, c’est de détourner le prolétariat de sa lutte contre les fondements mêmes de la société capitaliste.

A propos du mythe de la globalisation:

"Bretton Woods était un système global, et ce qui c’est réellement passé dès lors, c’est un changement d’un système global (organisé hiérarchiquement et contrôlé politiquement, dans sa grande majorité, par les Etats-Unis) à un autre système global, plus décentralisé et coordonné par le marché, rendant les conditions financières du capitalisme beaucoup plus volatiles et instables. La rhétorique qui accompagna ce changement s’impliqua intensément dans la promotion du terme "globalisation" en tant que vertu. Dans mes moments de profonds cynismes, je me retrouve à penser que c’est la presse financière qui nous amena tous (moi y compris) à croire en la "globalisation" comme en un phénomène nouveau, alors qu’elle n’était rien qu’un stratagème promotionnel permettant un meilleur ajustement nécessaire dans le système financier international."
 
David Harvey, Globalisation in question, 1995.

La théorie social-démocrate sur l’impérialisme et l’ultra-impérialisme (Kautsky) constitue la clé de voûte de cette manœuvre. Hier comme aujourd’hui, cette théorie conçoit le capitalisme comme s’il était entré dans une nouvelle phase, différente de celle du passé, et qui aurait transformé sa nature propre. Selon elle, le capitalisme dans sa phase impérialiste se centralise formellement en un centre de décision mondiale (ou différents centres en dispute), sur base de la concentration du capital financier (défini comme la fusion du capital bancaire et du capital industriel), des grandes entreprises monopolistes internationales, de l’exportation de capitaux et de la lutte entre les entreprises et les gouvernements pour la répartition du monde.

Au début du 20° siècle, tout comme aujourd’hui, la nouveauté serait donc la domination mondiale du capital financier et des monopoles, comme cela fut théorisé explicitement à l’époque par le social-démocrate de droite Rudolf Hilferding. Cette théorie fut reprise à son compte par Lénine dans son célèbre pamphlet sur l’impérialisme. Aujourd’hui comme hier, avec Attac et tous les groupes "anti-globalisation", la social-démocratie prétend s’opposer à ce capital financier, revendiquant plus de démocratie et plus de contrôle étatique de la part du capital: "l’opinion des peuples, des institutions démocratiques et des Etats souverains".

On constatera aisément que derrière ces associations, ces anciennes et ces nouvelles physionomies, derrières ces plates-formes, il n’y a rien, absolument rien de neuf: ce qu’on y retrouve c’est le vieux programme pourri de la social-démocratie, qui depuis toujours revendique un capitalisme "plus social" (sic), "plus humain" (sic), contre la déshumanisation notoire produite par le capitalisme lui-même. Aujourd’hui comme hier, tous revendiquent "l’opinion des peuples", c’est-à-dire le populisme en opposition au classisme prolétarien, "les institutions démocratiques" en opposition à la position classique de la lutte contre ces institutions pour imposer la dictature du prolétariat, et finalement "les Etats souverains chargés de veiller à l’intérêt général" contre la position classique des révolutionnaires pour la destruction de l’Etat bourgeois, pour qu’il disparaisse totalement et, avec lui, toute cette merde sur la souveraineté de l’Etat (comme l’ont affirmé Marx et Bakounine), plus l’Etat est souverain, plus ses sujets sont opprimés, les frontières, les nations, les lois sur l’immigration, les passeports, les guerres,...

Attac est une expression ouvertement social-démocrate qui, en tant que telle, dénonce l’augmentation de la richesse et de la pauvreté et voudrait que l’opinion citoyenne et la pression sur les Etats régulent les excès du capitalisme. Historiquement parlant, elle se définit comme une expression de la droite social-démocrate, puisqu’elle ne revendique aucune opposition au capitalisme en tant que tel et s’affirme au contraire en faveur de la liberté que développe le capitalisme pour réaliser ses objectifs. Elle appelle les gouvernements à contrôler cette liberté (qu’elle ne veut même pas abolir!). Elle ne critique en rien le capital productif, ni bien entendu l’exploitation capitaliste (l’extorsion de plus-value est implicitement légitimée), elle s’attaque aux profits du capital qu’elle juge excessifs comparés à l’augmentation indéniable de la misère, et à la spéculation non productive. Comme si, répétons-le, il était possible de s’attaquer aux conséquences sans s’attaquer aux causes.

La plate-forme constitutive d’Attac énonce: "La liberté totale de circulation des capitaux, les paradis fiscaux et l’explosion du volume des transactions spéculatives acculent les Etats à une course éperdue aux faveurs des gros investisseurs... Une telle évolution a pour conséquences l’accroissement permanent des revenus du capital au détriment de ceux du travail, la généralisation de la précarité et l’extension de la pauvreté."

Attac n’essaye même pas de cacher qu’elle craint la révolution sociale par-dessus tout et que sa fonction est de tout faire pour l’éviter, même si elle l’exprime à l’aide d’une terminologie à la mode: "Répondre au double défi d’une implosion sociale et d’un sentiment de désespoir politique exige un compromis civique et militant".

"Une partie de la bourgeoisie cherche à pallier les tares sociales, afin de préserver la société bourgeoise. On peut ranger dans cette catégorie: économistes, philanthropes, humanitaires, améliorateurs du sort de la classe ouvrière, organisateurs de la bienfaisance, protecteurs des animaux, fondateurs des sociétés de tempérance, réformateurs marrons de tout poil. Et on n’a pas hésité à ériger en système ce socialisme bourgeois."
Karl Marx, Manifeste du Parti Communiste, 1848
in La Pléiade, Œuvres I, p.189-

Profitons-en pour signaler, puisque c’est également une mode, qu’au sein de l’actuelle social-démocratie tendance libre-penseur, ou dans les milieux libertaires, l’ensemble des concepts classiques ont été révisés, réinterprétés et remis au goût du jour, en leur ôtant tout contenu de classe. Parce qu’elle est d’une importance décisive, nous tenons à souligner la falsification existant autour du concept même d’exploitation, clé de voûte de la constitution du prolétariat comme classe mondiale homogène. Ainsi, l’exploitation ne serait pas l’extorsion de plus-value qui, de façon évidente et objective, unifie dans la misère toute l’humanité prolétarisée et qui, historiquement, fut décisive pour que le prolétariat mondial se reconnaisse en tant que classe, mais serait selon eux réellement... n’importe quoi.

Ce qui explique qu’on entend parfois dire: "ils me font travailler tellement que c’est de l’exploitation", comme si le travail n’était pas toujours de l’exploitation! Ou "les travailleurs de tel pays sont exploités", comme si ceux des autres pays ne l’étaient pas! Ou encore: "les multinationales sont des institutions exploiteuses", comme si les entreprises locales ne l’étaient pas! On prétend aussi que "les monopoles exploitent et détruisent les ressources de la terre", comme si ce n’était pas le capital lui-même qui exploite et détruit tout! Comme si ce n’était pas lui qui dictait l’action de toutes les entreprises! On entend aussi: "les impérialistes nous exploitent", comme s’il pouvait y avoir des bourgeois qui ne soient pas impérialistes et des patrons qui n’exploitent pas! Et finalement, on essaye de nous faire croire que ce que nous vivons n’est pas de l’exploitation, que l’exploitation n’est pas la règle de ce monde, mais constitue une exception, le cas extrême qui en général se rencontre loin, très loin,... et plus loin elle se trouve, mieux se porte la social-démocratie: "en pleine campagne, dans un pays du tiers-monde". La remède magistral à cette situation serait de "se solidariser avec leur misère, d’accepter l’austérité et de moins protester ici". A cela, précisons encore que pour eux, l’action de "se solidariser" n’a plus rien en commun avec le concept classiste de lutte, mais appartient en réalité au concept judéo-chrétien de culpabilité et péché et fait appel à un comportement charitable. Ce dont il est question, c’est donc bien d’une vision du monde typique de la classe dominante et de son socialisme ouvertement bourgeois.

Cette falsification en entraîne évidemment beaucoup d’autres, telle celle du concept même de prolétariat, qu’ils mentionnent le moins possible. Et lorsqu’ils y font référence, ils se bornent à l’envisager comme une simple catégorie sociologique (les ouvriers, comme l’a imposé le stalinisme), jamais comme sujet révolutionnaire en devenir, ce qui enlève au prolétariat toute perspective révolutionnaire et nie le fait qu’il contienne en lui l’unique projet social alternatif au monde actuel: le communisme, la communauté humaine mondiale.

Pour en revenir à Attac, on ne peut que constater que les mesures proposées démontrent une totale cohérence avec leur vision social-démocrate du monde: taxation du capital financier, contrôle étatique majeur des profits et des paradis fiscaux, revendication de plus de démocratie: "A cette fin, les signataires se proposent de créer l’association, ATTAC (Action pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens)... En vue d’entraver la spéculation internationale, de taxer les revenus du capital, de sanctionner les paradis fiscaux, d’empêcher la généralisation des fonds de pension et, d’une manière générale, de reconquérir les espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière et de s’opposer à tout nouvel abandon de souveraineté des Etats au prétexte du "droit" des investisseurs et des marchands".

Le Forum Social Mondial de Porto Alegre de janvier 2001, que les organisateurs se proposent de rééditer chaque année, constitue un des exemples de réunions au sommet (parallèle et par excellence anti-sommet de la gauche bourgeoise internationale), une expression élargie de la vieille idéologie social-démocrate, élégamment affublée des oripeaux à la mode que constituent les congrès et les contre-congrès. Le programme de ce Forum ressemble comme deux gouttes d’eau au programme invariant de la gauche bourgeoise: "demandant une réforme agraire démocratique avec usufruit destiné aux cultivateurs de la terre, l’eau et les semences, exigeant l’annulation de la dette externe et la réparation des dettes historiques, sociales et écologiques que provoque la dette externe, l’élimination des paradis fiscaux, l’application effective des droits de l’homme, l’opposition à toute forme de privatisation des ressources naturelles et des biens publics, la demande de souveraineté pour les peuples, une planète démilitarisée" (15).

La Proclamation des mouvements sociaux contient le programme de toutes les associations, réseaux, syndicats, partis,... qui se trouvaient à Porto Alegre, et constitue un véritable concentré de perles de la bourgeoisie. On y fait l’apologie d’un capitalisme dépourvu de toutes les conséquences néfastes inhérentes à son existence, d’un capitalisme qui ne génère ni pauvreté, ni misère, ni chômage, d’un capitalisme qui ne détruit pas la nature, d’un capitalisme qui n’exclut pas, d’un capitalisme non patriarcal, d’un capitalisme sans racisme, bref d’un capitalisme juste et équitable dans lequel tout le monde vit en parfaite harmonie. "Nous demandons un système commercial juste qui garantisse le plein emploi, la souveraineté alimentaire, un échange équitable et le bien-être". Voici par excellence le discours de la bourgeoisie, selon lequel, après correction de quelques excès et injustices, le capitalisme constituerait... la société du bien-être! Cyniques apologies de la société bourgeoise dans lesquelles ne s’aventurent même pas la droite aujourd’hui, qui reconnaît ouvertement que tout cela est impossible!

Un autre aspect récurrent de cette idéologie antiglobalisation est la requête d’une augmentation de l’aide à ce que cette idéologie appelle le Tiers-Monde, certains allant jusqu’à solliciter quelques 0,7 pour cent du PIB. Ce qu’occultent évidemment les défenseurs de ce programme, c’est qu’une telle aide au développement ne va pas principalement aux hôpitaux, écoles et autres projets d’entreprises propres au développement même du capitalisme, comme la plupart des gens se l’imaginent, mais qu’elle est aussi dirigée (presque dans sa totalité dans certains pays) vers le financement des armées locales (afin qu’elles achètent des armes aux pays dont émane l’aide), le financement de la formation d’officiers de police antisubversifs et anti-émeutes (c’est par ce biais qu’on offre aux tortionnaires algériens, congolais, péruviens,... une formation en France, en Belgique,...), le payement des gaz lacrymogènes que fabrique Shell grâce à la matière première des pays du dit Tiers-Monde, l’aide à la réalisation de massacres ("génocides", "holocaustes"), comme ceux du Rwanda,...

Telle est donc, dans ses grandes lignes, l’idéologie antiglobalisation développée par la social-démocratie, ou, plus exactement, par la droite de ce parti. Mais il existe des expressions bien plus à gauche, qui correspondent à d’autres fractions de ce parti historique de la bourgeoisie destiné au prolétariat. En effet, le gauchisme bourgeois qui, auparavant, se définissait par le soi-disant socialisme de tel ou tel pays, ou par la défense de tel ou tel "Etat ouvrier", considéré comme plus ou moins dégénéré, fait aujourd’hui profil bas, ne parle plus de pays socialiste en terme positif, et encore moins de bloc socialiste, mais continue à se définir par un anticapitalisme de bon aloi. Comme nous l’analyserons tout au long de ce texte, ces gauchistes, ainsi que l’extrême gauche des libéraux, aujourd’hui baptisés libertaires, tentent de répondre au développement des contradictions de classe, et plus particulièrement aux tendances qui expriment au sein du prolétariat une rupture avec la société bourgeoise. Nous reprendrons donc notre analyse de ces contradictions de classe pour mieux évaluer et comprendre l’ensemble de ces expressions.

Sommets, contre-sommets et lutte prolétarienne

Sans doute mystifie-t-on l’importance de ces sommets et contre-sommets, dans la mesure où, pour son bon fonctionnement, le capital n’a besoin ni de conférences internationales, ni de réunions au sommet. La clé de voûte de l’homogénéité dans la prise de décision du capital repose beaucoup plus essentiellement sur le fait que la dictature du taux de profit existe partout, qu’elle est l’origine de toute décision, l’essence de chaque directive économique, la raison de vivre du capitalisme, toujours et partout dans le monde. La Banque Mondiale et le Fond Monétaire International, les multinationales et les gouvernements, les parlements et les administrations locales, les associations d’Etats et les consortiums, les trusts et les petites entreprises appliquent tous, quelle que soit l’importance de la décision à prendre, le critère de rentabilité du capital (leur propre capital ou celui de leurs administrés) et de la même manière, au sein même des entreprises, du plus haut dirigeant au dernier des travailleurs, tous sont contraints d’appliquer ces critères s’ils veulent garder leur poste, et cela indépendamment du fait que cette situation soit agréable pour les uns, alors qu’il s’agit d’une souffrance et de l’aliénation quotidienne de la vie, pour les autres. Le capital se caractérise précisément par sa démocratie, par sa capacité à coopter ceux qui, parmi ses sujets, montreront le moins de scrupules à servir son appétit de profit, ceux qui seront les mieux capables d’imposer son despotisme sans pitié, qu’ils soient directeurs, gouverneurs, fonctionnaires internationaux, administrateurs locaux, chefs syndicaux, ou tortionnaires,... Il suffit de se remémorer les dirigeants ouvriers qui, à toute époque, furent cooptés par le gouvernement du capital, de Noske à Lula, en passant par Walesa! L’autre face de cette démocratie grâce à laquelle on coopte les dirigeants ouvriers pour servir le capital est le despotisme quotidien qui impose la valeur en procès, contre la vie humaine. Dictature omnipotente du taux de profit qui, en plus, développe la concurrence entre prolétaires et pousse à la lutte de tous contre tous, toujours au service de cette imposition du plus grand rythme d’accumulation possible.

Mais au-delà de la mystification existant autour de l’importance du centralisme formel dont peut se doter le capital, il est clair que le capitalisme dispose de centres de décisions (réunions, institutions, lieux, organismes, personnes,...) qui, au moment voulu, centralisent certaines décisions globales, obéissant à cette dictature omniprésente du taux de profit. On y annonce en général en leur sein des mesures qui attaquent le niveau de vie des prolétaires, en même temps qu’on y signe des accords entre les fractions les plus déterminantes de la bourgeoisie. Quand ces réunions au sommet du pouvoir capitaliste sont annoncées publiquement dans les médias, c’est parce qu’elles cherchent à gagner une certaine adhésion de la population vis-à-vis des dirigeants du capital et des mesures qui s’y dégagent. Et tout naturellement, ces réunions obéissent également aux aléas des négociations entre les différentes fractions du capital et à la nécessité de constituer des constellations et des alliances qui cherchent à améliorer leur rapport de forces face aux autres, comme c’est le cas pour les marchés communs régionaux. Ces sommets et anti-sommets ont encore pour fonction de mettre en scène sur l’importance de ces polarisations bourgeoises dont le capital a besoin pour canaliser toute protestation prolétarienne.

Par conséquent, bien que l’importance décisionnelle de ces sommets soit mystifiée, et même si leur spectacularisation et leur pseudo-contestation constitue une nécessité de la reproduction de la domination bourgeoise, il est normal que le prolétariat les ait depuis toujours considérés comme une attaque contre sa propre vie, et cela, que ces réunions se déroulent dans un seul pays ou qu’elles rassemblent les bourgeoisies de différents pays, qu’elles soient gouvernementales, organisées par des partis politiques, des syndicats, ou qu’elles soient issues de la structuration de ces forces à échelle internationale. Quelle que soit l’époque, ces sommets ont toujours suscité de grands mouvements de protestation, de violentes manifestations, des combats de rue, des bombes, d’intenses affrontements, souvent armés. Contre le mythe qui tente de présenter comme une nouveauté les affrontements qui éclatent aujourd’hui un peu partout dans le monde lors de ces sommets (la manipulation de l’opinion publique requiert toujours de faire du neuf avec l’ancien), nous pourrions citer de nombreux exemples, sur les cinq continents, qui démontreraient l’inverse. Il suffit de penser aux grandes batailles de rue des années ’60 et ’70, déclenchées par le prolétariat en Amérique contre les divers sommets internationaux organisés sur ce continent, contre les réunions de l’OEA, de l’Alliance pour le Progrès, de la Banque Mondiale, du Fond Monétaire International et du GATT, ou encore contre les Conférences des Présidents,... Il suffit de se rappeler les incendies d’entreprises, les occupations d’usines et de campus, les manifestations violentes, les explosions de bombes sur des sites de l’Etat, les déclarations de grèves, les affrontements aux forces de police, aux corps spéciaux de répression, et dans bon nombre de pays, à l’armée,...

Au regard de l’actualité, les affrontements de classe se font de plus en plus manifestes: Davos, Seattle, Nice, Prague, Göttegorg, Naples, Gênes,... (16) en sont l’expression. Une fois de plus, à l’endroit précis où les différentes fractions du capital international se réunissent pour savoir à quelle sauce ils vont bouffer les prolétaires du monde entier, le prolétariat réémerge. D’un côté, on trouve les sommets officiels et les contre-sommets social-démocrates, les conférences dans les salons officiels et les cortèges carnavalesques dominés par la social-démocratie, autrement dit, la pseudo-protestation officielle. De l’autre, surgit le prolétariat, débordant les cortèges, tentant d’imposer son action directe (17), cassant des vitrines et expropriant tout ce qui peut l’être, attaquant locaux officiels et propriété bourgeoise en général, incendiant tout ce qui peut représenter l’Etat, critiquant et dénonçant à haute voix, par des tracts, des pamphlets et des revues les ONG, Attac, les partis et les syndicats.

Comme on le voit, y compris dans ces repaires de bourgeois, et malgré la présence de toutes sortes de forces de récupération, s’affrontent une fois de plus les deux classes de la société, la bourgeoisie et le prolétariat, la conservation de l’ordre social bourgeois et sa remise en question globale. Droite et gauche peuvent monter tous les spectacles de lutte qu’ils veulent, les médias peuvent bien se charger de valider les options "mondialisation" et "antimondialisation", mais inévitablement, la critique du capitalisme que portent les prolétaires présents les poussent à rompre l’encadrement, et resurgissent alors inévitablement les deux projets sociaux antagoniques: perpétuation de la catastrophe capitaliste ou révolution sociale.

Indépendamment de la discussion que nous aborderons plus loin et qui se développe aujourd’hui au sein de notre classe sur la façon dont le prolétariat doit se situer, sur sa participation ou non à ces cortèges, sur la signification du mot d’ordre "se situer en dehors et contre les conférences et anticonférences" (ce qui est notre position!), sur l’évaluation de cette action directe (exprime-t-elle bien l’unification et le développement de la force internationale contre le capital ou, au contraire, présuppose-t-elle une soumission à un spectacle qui éloigne de la véritable action directe?) Indépendamment donc de cette discussion, il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que ces explosions expriment la rage de notre classe face aux bourgeois réunis là, pour "décider du sort de la planète" (18). En ce sens, le processus d’autonomisation prolétarienne que notre classe ébauche lors des sommets et des contre-sommets s’avère être extrêmement encourageant. Il se concrétise par une rupture avec l’encadrement syndicaliste, par d’importantes expressions de violence contre celui-ci, contre la propriété privée, contre les différentes structures étatiques en présence, et tout cela met de plus en plus en évidence le fait que la véritable opposition ne se situe pas entre Davos et Porto Alegre, entre l’Organisation Mondiale du Commerce, le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale et Attac,... mais bien, comme toujours, entre le capital (tant de droite que de gauche) et le prolétariat.

Bien que l’autonomie du prolétariat reste encore très relative lors de ces luttes, celles-ci n’en expriment pas moins la guerre de classe et donc l’antagonisme toujours croissant entre l’humanité et le capitalisme, et permettent de remettre à l’ordre du jour, au sein de la communauté de lutte qui se développe –particulièrement au sein des minorités d’avant-garde– certaines questions centrales dont l’internationalisme prolétarien, la nécessité internationale de se constituer en force, la question de la lutte internationale contre le pouvoir du capital et de l’Etat mondial. Bien entendu, sur le plan social, on est encore loin de trouver les solutions. Mais le fait que des milliers de militants, à travers le monde recommencent à réfléchir et à discuter des questions centrales de la révolution sociale constitue un fait résolument encourageant. Si l’on ajoute à cela la continuité des explosions à répétition en différents endroits du monde, on peut dire qu’il s’agit d’un pas important du mouvement révolutionnaire.

Canalisation bourgeoise, spectacularisation et falsification

Il est clair que jamais les médias ne vont présenter les choses sur base de la véritable polarisation bourgeoisie/prolétariat. Au contraire, leur fonction est de dissimuler les antagonismes de classe de les canaliser dans des contradictions interbourgeoises, de rendre ces dernières suffisamment spectaculaires que pour camoufler les antagonismes réels, de transformer le prolétariat mondial en une masse de spectateurs assistant passivement aux conférences et contre-conférences, et, pour les secteurs qui seraient plus actifs, existe également la possibilité d’applaudir ou de huer le spectacle. Sont aussi autorisés (ce qui accroît la crédibilité du dit spectacle) les cris, les mots d’ordre, les slogans et même certaines actions plus ou moins violentes tant qu’elles ne remettent en question ni le spectacle ni leur propre fonction d’exutoire. Pour les moyens de falsification de l’information, seules entrent en ligne de compte les conférences officielles et la contestation organisée par Attac et ses acolytes, et bien sûr aussi, cette même contestation exprimée de façon plus violente par quelques exaltés de la taxe Tobin. Pour les médias, la seule opposition qui ait de l’importance est celle qui oppose sommets et anti-sommets, comme par exemple Seattle et Porto Alegre et ce, même s’il faut bien, de temps en temps, montrer quelques images de révoltés et d’anticonformistes.

Rappelons cependant qu’en aucun cas ce genre de spectacles de sommets et de anti-sommets ne représente une quelconque nouveauté. Durant les préparatifs de ce que l’on a appelé les premières et secondes guerres mondiales, par exemple, les discussions entre les puissances mondiales à propos de la paix (qui, bien entendu, conduisirent à la guerre) se réglaient à coups de congrès plus ou moins parallèles, organisés par les pacifistes et les social-démocrates, et comme aujourd’hui, ils avaient alors pour fonction de s’exhiber et de jeter de la poudre aux yeux des prolétaires afin de leur ôter toute velléité d’action directe. Depuis une quinzaine d’années, le rythme de ces spectacles de réunions et de contre-réunions au sommet est devenu de plus en plus frénétique: la réunion de Rio sur le devenir de la planète avec son anti-réunion parallèle, les festivités et contre-festivités pour les 500 ans commémorant la "découverte" de l’Amérique, les conférences sur la destruction de la planète suivies d’anticonférences écologiques sur les cinq continents,...

Le Forum Social de Porto Alegre de janvier 2001 est un excellent exemple de spectacle médiatique monté de toutes pièces par le capital en vue de présenter les oppositions passées, présentes et à venir comme une simple question interbourgeoise. Selon les fabricants de l’opinion autorisée, le Forum de Porto Alegre serait la véritable réponse à la réunion de Davos et, pour lui donner toute la "réalité" qu’un spectacle est capable de générer (à l’image de ces savons à la pomme qui dégagent plus l’odeur de pomme que les pommes elles-mêmes, le spectacle semble toujours plus réel que la réalité!), ils vont aller jusqu’à construire ce qu’ils nommeront "un plateau symbolique de la passion", basé sur un débat direct "par le biais de téléconférence entre la froide Davos et la chaude Porto Alegre"... (19).

"L’équipe de Davos, conduite par le financier et spéculateur Georges Soros, est en costumes noirs, cravates et gominas, sérieux et silence. Du côté de Porto Alegre, un éventail de races, de vêtements bigarrés, de langues, de voix,... et du public. La discussion a duré quarante minutes. Quarante minutes durant lesquelles des centaines de personnes, agglutinées devant les téléviseurs, applaudirent à tout rompre, huèrent, rirent ou hurlèrent des mots d’ordre. Soros et son équipe (formée par Mark Malloch, consultant aux Nations-Unies, John Ruggie, lui aussi consultant aux Nations-Unies et Bjorn Edlud, président d’une multinationale suisse) conseillés par des connaisseurs de l’image, s’efforcèrent de maintenir un calme olympien, tout en affirmant être préoccupés par la pauvreté et en signalant que bien avant la globalisation actuelle et la dette externe, les enfants mourraient déjà de faim en Afrique. Depuis Porto Alegre, Bernard Cassen (Attac) répondait avec beaucoup de précision, exigeant l’imposition de la taxe Tobin sur les opérations financières et spéculatives et la suppression de la dette externe. Rafael Alegría (Via Campesina) énonça les effets de la globalisation sur la désarticulation des services de l’Etat, sur l’augmentation des pertes d’emploi et sur l’impossibilité pour les paysan d’accéder à la terre. Mais la passion se déchaîna durant deux minutes magiques: Hebe Bonafini (20), des "Mères de la place de Mai", affirma d’une voix entrecoupée, mais ferme: "Messieurs, vous êtes en train de lutter contre nous. Vos réponses sont hypocrites. Répondez! Combien d’enfants tuez-vous chaque jour?". Depuis Davos, Georges Soros esquissa un sourire et resta silencieux. Alors Bonafini lui cria: "Monsieur Soros, vous tordez-vous de rire devant la mort de milliers d’enfants?". Devant les téléviseurs, les gens à Porto Alegre applaudissaient à tout rompre en l’honneur de la Mère de Mai. Soros gardait la pose, offrant son image pour une publicité satellisable".

Telle est l’œuvre des médias: faire disparaître le prolétariat et la lutte contre la société capitaliste derrière ce spectacle entre Soros et la gauche, entre le FMI et Attac, entre "mondialisation" et "antimondialisation". Ainsi, autre exemple, lors du sommet de Nice, comme l’affirme à juste titre un tract qui circula internationalement: "La presse bourgeoise a menti. Elle a menti effrontément. Selon elle, les manifestants contre la globalisation capitaliste s’étaient unis au cortège citoyen, convoqué par la Confédération Européenne des Syndicats (CES). Que pouvaient désirer de plus les capitalistes et ses gouvernants, ses porte-parole et ses laquais, que de voir la jeunesse prolétarienne en lutte contre le capitalisme s’unir aux défilés trompeurs organisés par l’opposition légale au système bourgeois? En réalité, dans les rues de Nice, se sont distingués deux mouvements différents, opposés,... Deux mouvements qui sont ainsi entrés en scène... Le premier, bourgeois (bien qu’il draine encore bon nombre de prolétaires dupés) arrive en renfort de l’Etat capitaliste, conduit par les dirigeants réformistes au service de ce dernier. Le second prolétaire, dénonçant à corps et à cris le capitalisme et attaquant ses intérêts." (21)

Il s’avère extrêmement important de dénoncer, à l’instar de beaucoup de camarades et de groupes à contre-courant, l’opposition réelle existant entre le mouvement du prolétariat et tous ces contre-sommets et messes citoyennes, organisés par Attac et compagnie. Cependant, prétendre, comme le fait plus loin le tract, que ces deux manifestations distinctes coïncident avec deux mouvements sociaux différents, l’un réformiste, l’autre anticapitaliste, c’est envisager les choses de manière absolue et insuffisamment dialectique. En effet, malgré les différences évidentes qui distinguent les deux manifestations, elles contiennent, l’une et l’autre, la contradiction de classe. La manifestation social-démocrate encadre les prolétaires, comme de gentils petits moutons. L’autre (qui débuta 3 heures plus tard), par ses consignes radicales, tend à la rupture prolétarienne, mais contient, en son sein, un ensemble de positions et d’idéologies centristes propres à la social-démocrate, comme nous le verrons plus loin. Cela se concrétise, par exemple, par le fait que l’immense majorité de ces manifestants croient pouvoir affronter le capitalisme, sans affronter en même temps et de la même manière à la social-démocratie (qui constitue également le capitalisme), ou par le fait qu’ils sachent s’organiser en dehors de la social-démocratie, mais qu’ils éprouvent beaucoup plus de difficultés à s’organiser contre elle.

Fièvre des sommets officiels ou parallèles et mensonge des projets bourgeois alternatifs

Ces deux dernières années ont vu la mode des sommets et des anti-sommets marquer un pas qualitatif en même temps que se radicalisaient les protestations prolétariennes à leur égard. Aujourd’hui, organiser un sommet ne consiste plus uniquement à prévoir les réunions générales et les commissions, le logement des congressistes et des contre-congressistes, les messes officielles et celles des citoyens démocrates organisées par les militants "anti-globalisation", il faut également anticiper les débordements et les ruptures prolétariennes et, par conséquent, prévoir les forces répressives spécialisées, le renforcement des contrôles des frontières, la concentration des troupes de choc, les équipes de tournage, de fichage, de diffusion, les services spécifiques comme les gardes du corps pour les congressistes et les contre-congressistes, les véhicules pour le transport des troupes, les tanks, les grillages antimanifestations, l’installation préalable des services secrets du monde entier. Il faut également préparer les procédures d’accès ou d’évacuation des congressistes, au cas où les attaques atteindraient les centres officiels, la mobilisation extraordinaire des services de santé publique à l’attention des blessés. Il faut encore rassembler des armes, des gaz, des masques, tout comme il faut penser à préparer les cachots et les centres de détention pour y recevoir un nombre élevé de détenus. A titre d’exemple, à l’occasion du Congrès du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale de Prague, pas moins de 170 policiers et 123 manifestants furent blessés, et quelques 900 personnes furent arrêtées, tandis que les dommages matériels à l’encontre de la propriété privée s’élevaient à un million de dollars, ce qui reste malgré tout insignifiant en comparaison de ce que coûte chacune de ces petites réunions, pour lesquelles, selon ce qu’on entend, serait même prévue l’évacuation par hélicoptère des personnalités importantes et la défense aérienne et antimissiles de la zone (22). Bien entendu, toutes ces informations (y compris les déformations et falsifications de rigueur) ont été répercutées dans le monde entier, donnant l’impression que nous nous trouvions effectivement face à un conflit historique d’ampleur exceptionnelle qui, pour certains opposeraient les défenseurs de la globalisation et ceux de l’antiglobalisation, le néolibéralisme et l’antinéolibéralisme, tandis que d’autres y voyaient plutôt un conflit entre capitalisme et anticapitalisme, entre le capital international et la révolution internationale.

Si ces affrontements font effectivement partie des affrontements de toujours, entre la préservation du monde de la propriété privée et la lutte prolétarienne pour la révolution sociale:

• s’imaginer qu’un rapport de forces serait en train de s’imposer pour empêcher le développement de la politique internationale actuelle du capital mondial, c’est bien mal connaître le fonctionnement même du capitalisme;

• s’imaginer qu’il s’agit d’un véritable affrontement entre projets différents (néolibéralisme et antinéolibéralisme, globalisation et antiglobalisation) et que la gauche bourgeoise aurait réellement un projet capitaliste différent, c’est également faire preuve d’une méconnaissance totale de l’essence même de la formation sociale bourgeoise et d’une incompréhension de la fonction de ce conglomérat de fractions capitalistes;

• et enfin, s’imaginer que grâce à la dite "action directe", le prolétariat aurait enfin découvert le chemin de l’internationalisme prolétarien, ou que, comme certains groupes le prétendent, grâce à ces actions, nous serions entrés dans une phase d’affrontement direct entre l’internationalisme capitaliste et l’internationalisme révolutionnaire, démontre non seulement une méconnaissance du fonctionnement du capitalisme, mais revient aussi à oublier, déformer, falsifier le programme de la révolution, la stratégie révolutionnaire, et conduit inévitablement à œuvrer dans le sens de la confusion, en exerçant un rôle centriste (empêcher la rupture nécessaire) au sein du mouvement prolétarien.

Expliquons sans tarder les deux premiers points ci-dessus. Le dernier, relevant du développement même du prolétariat et de son affirmation révolutionnaire, nous y reviendrons dans les chapitres suivants.

La politique internationale, qu’on appelle aujourd’hui néolibérale ou "globalisation", n’a pas d’alternative bourgeoise viable à long terme. Cette politique obéit aux lois intrinsèques du système qui est mondial et global depuis qu’il existe, et qui fonctionne fondamentalement sur base de la fameuse main invisible du marché, autrement dit la loi de la valeur. Contrairement à ce qu’on entend, il ne s’agit pas d’"une" des politiques du capital, mais bien de son fonctionnement "naturel", de la loi qui, en dernière instance, va s’imposer. Les différentes politiques économiques dites alternatives peuvent uniquement, très partiellement et de façon limitée dans le temps et/ou l’espace corriger ou réduire son application. Les populistes (de Getulio Vargas à Perón, de Cardenas à Nasser), les dits pays socialistes, mais également le fascisme, le nazisme, le franquisme,... en furent les expressions les plus durables. Ces tentatives historiques d’affirmer un projet capitaliste différent à long terme (en limitant l’application de la loi de la valeur sur base du protectionnisme) ne pouvaient avoir qu’une durée limitée, au-delà de laquelle l’échec était inévitable.

C’est pour ces mêmes raisons qu’on ne peut rendre "plus humain" un système qui ne l’est pas. De la même manière, on ne peut créer un capitalisme protégeant la nature ou un capitalisme sans guerre. Ce qui s’est fait avec la prise de conscience bourgeoise de l’"écologie", par exemple, n’a en rien constitué une amélioration de la production capitaliste en général pour protéger la nature; tout au contraire, cela a transformé le "vert" et le "naturel" en marchandises. La recherche constante de la rentabilité maximale et la capacité d’adaptation impressionnante des entreprises, disposées à vendre n’importe quoi sous le label écologique, rendent la dictature capitaliste à l’encontre de la nature encore plus aiguë et sont une menace pour toutes les espèces, et pour l’espèce humaine en particulier. De la même manière, il est absolument impossible de pacifier le monde capitaliste, l’ensemble des politiques pacifistes du capital ne faisant qu’utiliser la paix comme arme de guerre.

Il est de plus en plus difficile de cacher cette réalité. La catastrophe du capital a atteint des proportions telles que les marges de manœuvre qui, hier encore, permettaient de réaliser des politiques économiques un tant soit peu différentes se sont fortement réduites: le capitalisme tend aujourd’hui mondialement et irréversiblement à unifier sa politique, la gauche et la droite démontrent chaque jour plus clairement qu’il n’y a qu’une seule politique capitaliste possible (c’est d’ailleurs ce que ne cessent d’affirmer les gauchistes parvenus au pouvoir!). Ainsi, dans la mesure où ils sont cooptés pour participer aux décisions, les "antinéolibéraux et les antiglobalistes" d’opposition se transforment inévitablement en "néolibéraux", en "pro-globalisation" et sont contraints d’appliquer le contraire de ce qu’ils défendaient jusque là. On ne peut pour autant considérer que c’est l’expression de leur volonté, ou qu’il s’agisse simplement d’une bande de menteurs et de cyniques parce qu’il est vrai que le capital les force à réaliser sa politique d’une manière bien plus puissante que ce que ces gauchistes avaient pu imaginer.

Avec le développement du capital, la capacité de modérer, à un niveau régional, l’application de la loi de la valeur internationale s’est amenuisée dans le temps et dans l’espace. Un capitalisme ultra-protectionniste, à l’image de celui qui a régné pendant de nombreuses années en Russie, en Chine, en Albanie,... est aujourd’hui inconcevable. Les jours du régime capitaliste cubain et des leaders réactionnaires castristes sont désormais comptés. Le stalinisme, modèle ultra-réactionnaire de développement du capital (dans le sens où les frontières sont fermées pour tenter de s’opposer au progrès dans le développement des forces productives, progrès auquel tend naturellement le capital international, la loi de la valeur), n’a pas été rayé de la surface de la terre par des idées démocratiques ou parce qu’il utilisait massivement les camps de concentration (le capitalisme y a toujours eu recours!), mais tout simplement parce qu’on ne peut pas éternellement empêcher la stricte application de la loi de la valeur. En effet, plus le décalage est important entre, d’un côté le développement des forces productives au niveau mondial et la dévalorisation internationale qu’il provoque et, d’un autre côté, la restriction protectionniste de cette dévalorisation en un espace productif donné (ou un secteur déterminé), plus la catastrophe et l’implosion économico-sociale de cet espace est rapide (cf. ce qui s’est produit en Europe de l’Est).

Avec le développement des contradictions du capital, ce processus s’accélère, et il est de plus en plus difficile de maintenir des espaces productifs et des secteurs entiers de l’activité économique, à l’aide de subsides. Du point de vue des gouvernements locaux, dont la mission est d’offrir le meilleur taux de profit pour attirer les capitaux (une politique toujours en accord avec les organismes de crédits internationaux et particulièrement avec le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale), cela signifie qu’il faut non seulement augmenter le plus possible le taux d’exploitation, mais qu’en plus, il ne faut surtout pas taxer les secteurs rentables pour financer les secteurs non rentables (redistribution de la plus-value). C’est ce processus qui explique la tendance à l’homogénéisation de la politique bourgeoise à grande échelle. Ainsi, si les politiciens bourgeois tiennent encore des discours quelque peu distincts (quoique de moins en moins!), lorsqu’il est question de gouverner, ils appliquent tous, avec plus ou moins de nuances, la politique du Fond Monétaire International. C’est une des raisons expliquant la soi-disant "trahison" des gauchistes au gouvernement qui en viennent à appliquer "une politique de droite", ou celle des écologistes qui finissent par participer à l’effort de guerre national et international (celui de l’OTAN inclus) et, plus globalement, à la destruction de la terre et de la vie humaine. S’ils font "la politique de la droite", c’est tout simplement parce que, du point de vue du capital, c’est la seule politique valable (23): il faut être rentable et attirer des capitaux sur base de cette rentabilité. S’il y a encore des différences dans le discours, ce n’est donc pas parce que les politiques économiques sont différentes, mais parce que, en certaines occasions, face au prolétariat, il n’est possible de faire passer les mesures d’austérité qu’au nom de la gauche ou de l’écologie.

Voilà pourquoi, même du point de vue capitaliste, il n’y a rien d’autre à attendre de ce conglomérat de fractions qui, dans leurs discours, fustigent le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale. Ces fractions bourgeoises ne diffèrent que dans la façon dont elles prétendent canaliser les prolétaires qui, attaqués de toutes parts par les progrès du capital, développent pour leur part une sorte de nostalgie pour un monde "moins agressif et moins destructif", un monde à jamais disparu (24). Cette nostalgie imbécile manifeste la volonté naïve de protéger une production locale, débarrassée de la mainmise de ces gigantesques entreprises internationales qui, sans état d’âme, détruisent tout, au nom du capital. Il ne s’agit pas d’un autre projet, mais de la lamentation impuissante typique du gestionnisme locale et "plus écologique". Un tract, émis par la CNT espagnole de Barcelone, en date du 23 septembre 2000, se terminait précisément sur une telle consigne, expression parfaite des revendications idéologiques, utopiques et réactionnaires de ce conglomérat de fractions bourgeoises se définissant "contre la globalisation": "Appui à l’économie locale, écologique et autogestionnée".

De plus, il est clair que le développement de ces pseudos projets constitue l’expression idéologique des intérêts protectionnistes de diverses fractions bourgeoises, particulières et localistes qui, en tant que telles, encouragent à la lutte (et aux guerres) impérialiste. Il ne s’agit donc pas pour ces fractions (contrairement à ce que leurs déclarations pourraient laisser entendre) de réaliser un capitalisme plus humain –le capitalisme a toujours été inhumain et l’antagonisme entre capitalisme et humanité ne peut aller qu’en s’aggravant-, il s’agit d’encadrer le prolétariat par le biais de ces utopies réactionnaires et de le pousser à défendre leurs intérêts locaux, régionaux, nationalistes,... Rien d’étonnant dès lors, à ce qu’en de nombreux pays, l’extrême droite s’affirme également en faveur de l’"antiglobalisation", son véritable projet social étant de se recrédibiliser aux yeux des exploités afin de diriger et de canaliser la rage prolétarienne croissante à l’égard de ce qui se passe dans le monde, afin d’amener les prolétaires sur le terrain de la lutte interbourgeoise, de la guerre impérialiste.

Rôle du prolétariat dans le cirque des sommets et de ses dérives: question de l'autonomie prolétarienne

Toute cette mise en scène des sommets et des anti-sommets vise à présenter les protestations de Davos, Seattle, Prague, Gênes... comme la véritable alternative au monde actuel. Même en dehors des fractions ouvertement social-démocrates, il est de bon ton de considérer les journées où ont lieux les sommets, les batailles de rue,... comme l’essence même de la lutte qui s’opposerait au développement actuel du capitalisme, comme la quintessence de l’internationalisme prolétarien, enfin trouvé. Dans ce chapitre, nous nous concentrerons par conséquent sur le rôle que l’on attribue actuellement à l’action du prolétariat au sein de ces sommets, dans le but de préciser nos intérêts et de définir la politique prolétarienne à adopter face à ce grand cirque.

Pour approfondir cette question il est indispensable de s’interroger sur la différence existant entre la façon dont la lutte de notre classe s’exprime contre les sommets et les anti-sommets, et les luttes prolétariennes qui, comme nous le disions, se caractérisent actuellement par des sauts qualitatifs fulgurants (bien que sporadiques et sans continuité), par des luttes extrêmement violentes qui s’attaquent à tout le spectre politique et qui se développent hors de toute médiation, à l’image de celles qui se sont déroulées ces dernières années en Roumanie, au Venezuela, en Albanie, en Algérie,... ou plus récemment, en Indonésie, en Equateur,... Il faut s’interroger sur l’interaction existante entre chacune de ces luttes ou formes d’expressions prolétariennes.

A titre d’exemple, et pour faciliter la compréhension globale, comparons les luttes qui se sont déroulées à Seattle, avec celles qui se produisirent, au début de l’année 2000, en Equateur (25). Dans les deux cas, des fractions entières du prolétariat s’affrontent au capital, des milliers de prolétaires s’opposent aux différentes structures nationales et internationales de l’Etat capitaliste mondial. Dans les deux cas, ils s’affrontent aux corps répressifs qui protègent la propriété privée et aux centres de décisions du capital. Dans les deux cas, ils combattent autant les dirigeants locaux que les dirigeants internationaux du capital.

Poursuivons maintenant en nous attardant sur les différences (26). Bien que nous fassions cette comparaison pour combattre des conceptions plus subtiles, nous commençons par mettre en évidence les préjugés les plus bêtes et les plus bornés dérivant de l’idéologie social-démocratie. Selon la vision d’Attac et Cie, les luttes de chaque pays ne peuvent aller plus loin puisque les centres de décision du capital, ou mieux dit du capital financier, sont la Banque Mondiale et le FMI et que c’est lors de réunions au sommet que ces institutions décident du sort de la planète. Attac et Cie ne reconnaissent donc pas que le mouvement prolétarien est le même à Seattle et en Equateur; mais même dans le cas où ils accepteraient cette idée, ils prétendraient qu’à Seattle le mouvement est international et décisif, alors qu’en Equateur, il est local, indigène, économiciste et sans grand impact. Concrètement, ils affirmeraient que c’est grâce aux protestations de Seattle, Davos, Washington,... qui s’en prennent au centre du système, que le capitalisme rencontre des difficultés pour imposer les mesures préconisées par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International.

Nous répondrons à cela qu’en Equateur, les prolétaires se sont affrontés non seulement à la bourgeoisie locale, mais également à la bourgeoisie internationale. Par son action, le prolétariat s’est opposé aux plans d’austérité patronnés par ces fameuses institutions que constituent le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale. La généralisation de ce mouvement aurait permis d’imposer un rapport de force international remettant en question toute augmentation du taux d’exploitation, son développement qualitatif aurait remis en question l’exploitation elle-même. Par contre, la seule chose qu’on peut attendre du mouvement prolétarien qui lutte contre les sommets et contre-sommets, contre les plans du FMI, etc., c’est que ces réunions n’aient pas lieu, que les congressistes, ou plus généralement les représentants du capitalisme mondial, soient terrorisés dans leurs prises de décision. Mais cela n’empêchera pas que les décisions soient prises. Cela se fera discrètement, sans tambour ni trompette, dans des alcôves secrètes ou via des contacts interbourgeois "confidentiels",... mais d’une manière ou d’une autre, les décisions seront prises!

Bien que les actions du type de celles qui se sont déroulées en Equateur soient limitées géographiquement, elles sont capables (un grand nombre d’exemples historiques l’atteste) d’imposer un rapport de forces international contre le capital, de bloquer les mesures attaquant le prolétariat (comme cela c’est passé en Bolivie où les mesures sur l’eau courante que le capital national et international voulait imposer ont été retirées).

De son côté, l’action de Seattle, bien que plus générale et certainement plus spectaculaire, n’en demeure pas moins incapable d’imposer un rapport de forces permettant, par exemple, d’empêcher une augmentation du taux d’exploitation.

La suspension de la réunion de la Banque Mondiale, prévue en juin 2001, à Barcelone, a incité nos ennemis à parler de triomphe. Pour notre part, nous considérons que même si on parvenait à éliminer toutes les conférences de la surface de la terre, même si on détruisait l’ensemble des édifices abritant les réunions de ces organismes internationaux, on ne parviendrait pas à empêcher l’application des mesures, pays par pays. Il faut l’affirmer clairement pour récuser le mythe inverse. Cela ne dévalorise nullement la lutte des prolétaires contre les sommets et les anti-sommets, lutte qui inspirent aux congressistes, aux flics, aux gouvernements et aux social-démocrates une réelle panique. Comme nous le verrons plus tard, ces secteurs du prolétariat pourraient jouer un rôle décisif dans la généralisation de la lutte, dans la conscience et la direction internationale du mouvement.

Poursuivons donc notre comparaison. En Equateur, ce mouvement résulte d’un ensemble de luttes partielles, menées par différents secteurs du prolétariat pour défendre leurs intérêts, contre "leur propre bourgeoisie", "leurs propres" syndicalistes, "leurs propres" partis social-démocrates,... Au début, les exigences étaient différentes, puis le mécontentement a grandi et s’est propagé. La lutte prolétarienne a occupé la rue et les revendications particulières se sont généralisées (27). Des centres décisionnels de l’Etat (parlement, pouvoir judiciaire, présidence, lieux de réunions des partis politiques,...) ont été attaqués.

A Seattle, le mouvement est composé de ceux qui veulent s’attaquer à ce qu’ils considèrent comme les centres de décisions du capital et de l’Etat mondial. Et ceci est valable, tant pour les prolétaires qui marchent comme de gentils petits moutons dans les défilés social-démocrates, que pour ceux qui les débordent et qui vont s’affronter à la social-démocratie, s’organisant en dehors d’elle, et même souvent contre elle. Le point de départ des prolétaires qui vont à Seattle est apparemment plus global, plus politisé (28) et plus déterminé par la volonté politique que par l’intérêt immédiat, l’intérêt social. Ils partent de leurs positions, de leurs idées révolutionnaires, même si ces dernières sont, à leur tour, le résultat de la conscience des intérêts immédiats généralisés du prolétariat.

Par son opposition aux expressions du capital et de l’Etat auxquelles il s’affronte, le mouvement en Equateur, produit social des intérêts prolétariens se généralisant, contient, représente et assume directement les intérêts du prolétariat international contre le capital et l’Etat mondial. La lutte conséquente pour leurs intérêts amènent les prolétaires à s’opposer pratiquement aux tentatives d’encadrement social-démocrates, et ce, indépendamment de ce qu’en pensent les protagonistes. En Equateur, le mouvement prolétarien dont les intérêts ont surgi et se sont développés au cours de ce mouvement, est poussé à la rupture avec tout type d’encadrement social-démocrate. A Seattle, au contraire, seules les positions politiques et la clarté programmatique permettent de développer et d’approfondir la rupture avec la social-démocratie.

En Equateur, le prolétariat ne peut défendre les intérêts pour lesquels le mouvement s’est déclenché qu’en rompant avec l’encadrement social-démocrate et en assumant son autonomie de classe. Lorsqu’il décide de se rendre à Quito qu’il considère comme le centre décisionnel du capital, c’est parce qu’il n’en peut plus, parce qu’il veut en finir avec ceux qui l’affament. Il s’agit d’une attaque! Parce qu’à ce moment tout le monde conseille le calme et le "retour au foyer". Personne n’a convié ces prolétaires à Quito, et il n’y a ni sommet, ni anti-sommet pour les "accueillir". Seules les forces de l’ordre seront présentes, et feront d’abord tout pour les empêcher d’atteindre la capitale. Et malgré cela, le prolétariat imposera sa détermination. L’encadrement syndical et la gauche bourgeoise tenteront bien de prendre le train en marche, mais ils parviendront tout juste à le suivre.

A Seattle, par contre, les sommets sont la raison initiale du mouvement. C’est en fonction des sommets que sont déterminés les lieux et dates de rassemblement. Ce n’est pas une force prolétarienne qui décide de se rendre à Seattle; les prolétaires sont convoqués à participer en troupeau docile aux défilés en fonction de l’agenda des réunions. A côté de ces défilés, et dans une certaine mesure en dehors et contre eux, on trouve des groupes de prolétaires prêts à se battre contre cet encadrement. Bien entendu, ceux-là ne sont pas convoqués,... on les craint, plutôt. C’est contre eux que les forces répressives s’organisent. C’est contre eux que les contrôles aux frontières sont renforcés. Ces fractions prolétariennes en rupture vont à Seattle du fait de leurs positions programmatiques; elles y vont pour marquer et développer leur rupture avec le capital dans son ensemble. Seule la perception des intérêts du prolétariat international, transformée en conscience de classe et en positions (filtrées par l’idéologie bourgeoise, malgré une lutte contre cela), leur permettra de s’opposer à la social-démocratie et de développer l’autonomie prolétarienne. De plus, la majorité des prolétaires qui se rendent à Seattle pour développer la lutte prolétarienne appartiennent à une organisation, un réseau (expression fort à la mode aujourd’hui), un mouvement, un groupe, ou sont considérés comme faisant partie de leur périphérie organisée.

Ceci marque une différence de taille entre les deux exemples que nous avons comparés. La rupture en Equateur est déterminée par le développement inévitable d’intérêts antagoniques. A Seattle, elle dépend quasi exclusivement des programmes et des drapeaux des groupes en présence. Ceci détermine que, lors des mises en scène du style de Seattle, la discussion politique avec les groupes et les organisations participantes acquiert une grande importance. De même, la critique programmatique des organisations qui prétendent développer et impulser une rupture prolétarienne devient décisive tout comme la dénonciation de toutes les idéologies centristes qui empêchent la rupture et/ou qui veulent, au nom des limites de la conscience prolétarienne, pousser en avant le prolétariat en donnant un caractère plus violent à la protestation de la gauche bourgeoise. Comme nous verrons plus loin, le fait de rendre plus violente la protestation de la gauche bourgeoise ne peut pas en aucun cas constituer le programme d’action du prolétariat.

La critique camarade que nous portons à ces expressions fait partie intégrante du mouvement de rupture qui se développe actuellement, que ce soit à Seattle, en Equateur ou dans n’importe quel coin du monde. Nonobstant les différences que nous avons soulignées dans l’un ou l’autre cas, il est pourtant question ici d’un seul et même mouvement, dont nous assumons la pratique. C’est notre mouvement, celui de notre combat mondial contre le capital. Mais lorsque de l’intérieur nous tentons de faire un bilan critique des forces et faiblesses d’un mouvement comme celui qui s’est déclenché en Equateur, nous ressentons que l’aspect le plus important réside dans sa dynamique pratique et non dans l’analyse des drapeaux, groupes et positions, que nous considérons dans ce cas comme secondaires. En revanche, à Seattle, comme les positions politiques sont le point de départ du regroupement des forces, leur analyse et leur critique doivent être prise en considération au premier chef, sans cependant oublier que, là aussi, ce qui est en train de se jouer, c’est la lutte autonome du prolétariat international contre la société bourgeoise et tous les recyclages proposés par la gauche. Dans les chapitres suivants, nous analyserons comment, lors de ces sommets, la lutte pour l’autonomie du prolétariat tente de prendre corps et nous donnerons priorité aux positions politiques des protagonistes par rapport à leur autonomie dans chaque manifestation de rue.

Toutefois, avant d’entamer cette analyse, il nous semble impérieux de préciser que l’autonomie dans la rue est extrêmement importante, et c’est pour cette raison que le mot d’ordre "en dehors et contre les sommets et anti-sommets", et la critique des prolétaires que l’on fait marcher comme des gentils petits moutons est fondamentale. Le Groupe Communiste Internationaliste, au travers de plusieurs tracts et actions de propagande, a clairement exprimé cette position au cours de ces luttes.

Il est tout aussi fondamental (et nous l’assumons dans la mesure de nos forces) de critiquer la pratique des colonnes radicales de ces manifestations, pour les engager à ne plus participer à ces cortèges social-démocrates, même pour y "déborder la manifestation" ou pour "la radicaliser". Vu qu’en de telles occasions la rupture prolétarienne ne peut s’opérer que par la rupture programmatique, par l’avancée programmatique et organisative des fractions les plus radicales, nous allons maintenant nous concentrer sur les positions programmatiques exprimées lors de ces manifestations.

Violence de classe: révolutionnaires ou activistes et opportunistes?

Approfondissons maintenant le terrain de la rupture classiste. Laissons de côté les moutons bêlants et concentrons-nous sur les franges prolétariennes radicales qui nous intéressent, sur les militants ou groupes de militants qui nous sont les plus proches, ceux qui se rendent à ces manifestations pour affronter le capital et l’Etat, qui estiment qu’il est décisif de s’attaquer à la social-démocratie, ceux qui se revendiquent comme révolutionnaires et sont présents pour développer la lutte révolutionnaire.

Il est clair que se considérer révolutionnaire exprime un réel saut de qualité: c’est assumer de façon volontaire, organisée et consciente une activité destinée à la destruction du capitalisme et de l’Etat. A ce propos nous devons signaler, pour en revenir à la comparaison antérieure, que lorsque le mouvement en Equateur décroît, il ne reste, dans le meilleur des cas, que quelques petits noyaux de militants révolutionnaires qui tentent de tirer les leçons et d’entrer en contact avec d’autres révolutionnaires à travers le monde. A Seattle, au contraire, il existe déjà des minorités qui s’organisent de façon permanente et qui donneront une continuité à leur organisation indépendamment des sommets, ce qui constitue une affirmation extrêmement importante de la tendance du prolétariat à s’organiser en force et une affirmation historique de la militance révolutionnaire. Nous faisons partie de ce processus et c’est en son sein qu’il nous semble indispensable de pratiquer la critique camarade.

On ne devient pas révolutionnaire par un simple fait de volonté, mais en fonction de la pratique sociale, du rôle pratique que l’on joue, de ce qu’on défend dans la pratique. Ceci est valable tant pour les militants que pour les organisations politiques. C’est la pratique sociale, le projet social réel qui situe un groupe, un militant, de l’un ou l’autre côté de la barricade.

L’histoire est saturée d’exemples d’organisations qui, au nom de la révolution ont défendu la contre-révolution, de structures politiques nationales et internationales qui, au nom du socialisme, du communisme et/ou de l’anarchisme, ont défendu exactement le contraire: le capitalisme et son Etat. A la base de tous les opportunismes, de tous les renoncements au programme de la révolution, comme facteur décisif de la trahison, on trouve toujours l’idéologie du moindre mal, la politique "réaliste", le "n’effrayons pas le prolétariat avec des propositions radicales", "les masses ne comprendraient pas", il faut procéder "étape par étape", dissoudre le programme révolutionnaire pour "aller aux masses", et finalement, substituer au programme communiste un ensemble de réformes partielles ou de programmes ponts qui conduisent toujours à la défense du capital. Pour s’imposer la contre-révolution utilise toujours les mêmes artifices, et ceux-ci ne sont pas très nombreux. C’est pourquoi il est important d’analyser les luttes du passé et d’en tirer les leçons.

Au sein des organisations et groupes présents à Davos, Seattle, Prague,... dans les pamphlets, tracts et publications, comme dans les discussions, ce que nous constatons en premier lieu, c’est que, pour ceux qui se prétendent révolutionnaires, le principal élément unificateur et démarcatoire est l’assumation et la revendication de la violence de classe, et naturellement, la violence organisée des minorités de classe (29). Contre l’idéologie de la "non-violence", si répandue dans les cortèges officiels et qui facilite le travail des policiers puisqu’elle permet aux agents de l’ordre de ficher, rouer de coups, gazer et humilier des milliers d’êtres humains sans provoquer de réaction de leur part, il est logique et très important que les groupes se revendiquant de la révolution assument et exhortent à la violence révolutionnaire. Il s’agit d’une nécessité invariante, d’un élément de base de la rupture avec l’idéologie social-démocrate et, à un niveau international, d’une affirmation objective de la tendance prolétarienne à rompre avec le théoricisme et les idéologues de salon.

L’assumation sociale de la violence, comme fait élémentaire, comme nécessité humaine indispensable contre la société du capital, revient à l’ordre du jour dans tous les mouvements du prolétariat. Il est évident qu’il existe une prise de conscience internationale de la nécessité de la violence minoritaire de classe contre l’idéologie pacifiste social-démocrate. Cette prise de conscience est et sera décisive pour la structuration du prolétariat en force mondiale. Cette tendance actuelle est déterminée par l’exacerbation de toutes les contradictions du capital, mais également par l’action et la dénonciation que comme tant d’autres minorités révolutionnaires, nous mettons en avant depuis des décennies. Nous tenons à souligner cela car il s’agit d’un point fort du mouvement et de ses expressions d’avant-garde, que l’on retrouve à Seattle, en Equateur, à Paris, à Moscou,...

Aujourd’hui comme hier, tout groupe ou organisation qui s’oppose à la violence des minorités prolétariennes en invoquant l’antisubstitutionisme, l’antiterrorisme, la mythique "violence de classe dans son ensemble", appartient de fait à la social-démocratie et à l’Etat bourgeois.

Cependant, la violence à elle seule ne peut être considérée comme l’élément suffisant d’une rupture. Prise isolément, en soi, elle ne permet pas de tracer une ligne démarcatoire entre réforme et révolution, comme tente de nous le faire croire le gauchisme bourgeois. Entre la réforme (qui utilise aussi la violence pour défendre le système) et la révolution, il y a un abîme de classe, de projet social, de programme. Le prolétariat doit s’organiser pratiquement en dehors et contre la social-démocratie, délimiter le plus clairement possible les camps en présence. L’affirmation pratique du prolétariat en tant que classe indépendante implique, simultanément la définition théorique de méthodes et d’objectifs démarcatoires par rapport aux forces bourgeoises. Croire que cette démarcation peut s’opérer exclusivement sur base de l’opposition entre violence et non-violence est absolument insuffisant et développe la confusion.

Cependant, au sein du mouvement contre les sommets, on constate un grand mépris pour la théorie révolutionnaire, le programme de la destruction du capitalisme, la lutte en faveur d’accords programmatiques précis, pour la question du parti, pour la question du pouvoir. Ainsi, à l’ombre de la social-démocratie et comme expression violente de son être, s’est développée une idéologie qui, au nom de la liberté ou du "libertaire", de l’"action directe" et de la "pratique révolutionnaire", nie ou minimise l’importance de ces questions. Cette conception repose sur l’"activité", "le pratique", l’union basée sur "les luttes dans la rue". Nous critiquons impitoyablement cette conception car, depuis toujours, elle conduit à l’opportunisme.

Premièrement, nier l’importance de la théorie révolutionnaire, de la discussion programmatique constitue évidemment une théorie "révolutionnaire" bien précise, même si ses partisans s’en défendent. Le refus de définir le programme révolutionnaire du prolétariat, conjugué à l’apologie de l’"action directe" dans l’activité immédiate et du "libertaire" dans le domaine politique, est un programme très concret qui n’a rien de neuf. Les opportunistes de 19ème et du début du 20ème siècle, en commençant par Bernstein lui-même, basaient déjà leur conception sur cette maxime: "le but n’est rien, le mouvement est tout".

Plus grave encore, ce mouvementisme, cet empirisme se sent fort parce qu’il est capable d’amener des masses à l’action, sans les effrayer avec des positions telle celle de la nécessaire dictature du prolétariat pour l’abolition du travail salarié. Or, du point de vue du prolétariat, cette absence de direction, de programme et de perspective, d’organisation permanente et d’assumation de la nécessité de se centraliser, constitue une grande faiblesse historique permettant, une fois de plus, que l’on continue à nous manœuvrer. Du point de vue des groupes qui développent, soutiennent et impulsent cette pratique empirique et antiprogrammatique, il s’agit d’une porte ouverte à l’opportunisme, au frontisme, à l’idéologie du moindre mal, et en général, au passage dans le camp de la social-démocratie, de la contre-révolution.

Etant donné les caractéristiques des luttes prolétariennes aujourd’hui dans le monde ce qui manque précisément au mouvement c’est la perspective, la continuité, la direction révolutionnaire, la préparation insurrectionnelle, c’est-à-dire l’affirmation d’une force qui sait où elle va, qui lutte pour se doter d’une centralisation et d’une direction. Le prolétariat ne s’affirme comme classe que lorsqu’il réapparaît violemment et de façon fulgurante dans la lutte, ce qui est aujourd’hui géographiquement très limité. C’est, à l’heure actuelle, la grande faiblesse de notre classe: elle est incapable de se reconnaître dans les luttes qui se déroulent à l’autre bout de la planète. C’est comme si, à chaque fois, le mouvement repartait à zéro, sans avoir accumulé la moindre expérience historique. Ne pas se percevoir comme classe mondiale, ne pas reconnaître son propre passé, engendre l’incapacité d’affirmer (et, pire encore, de connaître) le programme de destruction du capitalisme. C’est pour cela que l’ensemble des idéologies libertaires, practicistes, mouvementistes,... qui opposent l’"action directe" au programme révolutionnaire, sont aujourd’hui plus néfastes que jamais. Elles ont repris le rôle des opportunistes de toujours: empêcher la rupture révolutionnaire avec la social-démocratie.

Le fait que ces groupes et organisations se considèrent comme révolutionnaires, ne suffit pas à les ranger dans le camp de la révolution. En effet, leur pratique réelle consiste précisément à défendre cette idéologie empiriste, cette antithéorie révolutionnaire qui va toujours de pair avec la pratique activiste.

La majorité de ces militants qui se prétendent révolutionnaires considère que l’activité centrale de la révolution consiste à agiter, activer, susciter la lutte du prolétariat, mener des campagnes permanentes contre telle ou telle multinationale ou institution du capital et, bien entendu, contre les sommets bourgeois. Nous ne critiquons pas le fait que ces activistes se considèrent comme des professionnels de la révolution, qu’ils s’organisent et essayent de toutes leurs forces de la développer, nous critiquons le fait que, selon eux, la révolution résulterait, non pas des luttes historiques d’une classe sociale, mais de la généralisation de leurs actions, de cet activisme (30). Cette idéologie basée sur la spécificité de l’action agitatrice, du recrutement en sa faveur et sur l’illusion de pouvoir détruire le capitalisme grâce à la généralisation de l’activisme (il y en a même qui vont jusqu’à associer la victoire au nombre d’autobus qui iront au prochain sommet, met en évidence une méconnaissance et un mépris objectif non seulement du mouvement historique auquel ces groupes appartiennent, mais surtout du rapport existant entre les luttes qu’ils mènent et d’autres luttes prolétariennes actuelles ou passées, c’est-à-dire du programme révolutionnaire. L’activisme ferme ainsi les yeux sur l’arc historique de la lutte communiste contre le capital, il défend l’"activité" contre la théorie révolutionnaire, l’"action directe" contre la nécessité de s’organiser en force politique, en parti révolutionnaire, en force centralisée pour l’abolition de l’ordre social capitaliste. Même lorsqu’il parle d’organisation, l’activisme n’envisage jamais de se constituer en force mondiale, de développer la permanence et la centralisation, le parti mondial; il se réfère au contraire à des réseaux informels, à l’union par l’action, à des accords sur telle ou telle campagne. Réitérant la vieille séparation social-démocrate entre pratique et théorie, dépréciant la théorie et prétendant agir au nom de la masse, de la volonté de ceux qui luttent, de la démocratie des ouvriers,... l’activisme conduit toujours à la dégénérescence des groupes politiques. Ces adorateurs de l’immédiatisme finissent par courir derrière les masses et sacrifier l’essentiel du programme révolutionnaire.

Comme disait Amadeo Bordiga: "Une déviation banale qu’on trouve à l’origine des pires épisodes de la dégénérescence du mouvement, c’est le fait de sous-estimer la clarté et la continuité des principes (31) et d’inciter "l’être politique" à se plonger dans l’activité du mouvement qui indiquera les voies à suivre. C’est de ne pas s’arrêter pour décider, en se référant aux textes, les passant au crible de l’expérience antérieure, mais de continuer sans arrêt dans le vif de l’action... Jamais un traître ou un vendu à la classe dominante n’a abandonné le mouvement, sans avoir argumenté, premièrement, qu’il était le meilleur et le plus actif défenseur "pratique" des intérêts ouvriers, et deuxièmement, qu’il agissait ainsi du fait de la volonté manifeste de la masse de ses disciples..." (32).

Internationale révolutionnaire? Mensonge activiste!

L’activisme part de la conception selon laquelle l’internationale révolutionnaire se constitue sur la base de l’action immédiate. Aujourd’hui, différents groupes remettant en question les positions social-démocrates classiques, participent au cirque des sommets et des anti-sommets, dans leur propagande, soutiennent qu’il s’agit d’un affrontement entre l’internationale capitaliste et l’internationale révolutionnaire. A titre d’exemple, le secrétaire international de la FSA-AIT n’hésite pas à intituler son document concernant Prague: "L’Internationale Capitaliste contre l’Internationale Anarcho-Syndicaliste".

Pour nous, malgré la puissance de certains affrontements de notre classe contre les sommets et les anti-sommets, malgré la violence des débordements, des affrontements contre la police, malgré les vitrines brisées, etc. il est tout à fait inadéquat de parler d’internationale révolutionnaire. Une internationale révolutionnaire, c’est bien plus que tout cela, non seulement en termes quantitatifs, relativement aux expressions de violence, mais aussi en termes qualitatifs. Glorifier ces actions prolétariennes et les identifier à une internationale révolutionnaire constitue une grossière distorsion des faits et propose une image complètement fausse de ce que doit être une internationale révolutionnaire. Et ce, pour différentes raisons.

La première, c’est que le degré d’autonomie du prolétariat, reste très relatif. Avant tout parce que les lieux, dates et modalités,... des affrontements ne sont pas déterminés par le prolétariat; ils lui sont imposés par l’ennemi de classe (33) et décidés lors des sommets et/ou des sommets parallèles. Et même si essayer d’empêcher leur réalisation ou manifester à leur encontre fait partie de notre protestation, on ne peut pas parler d’autonomie d’action si nous dépendons entièrement de ces sommets pour nous manifester.

Et de fait, plusieurs groupes ou militants ont tiré de Seattle les leçons suivantes: "il ne faut pas se jeter dans la gueule du loup", "c’est à nous de décider où, quand et comment nous manifesterons" (34). La prise de conscience de cette réalité constitue l’un des aspects les plus forts, développés par les minorités impulsant l’action violente, et plusieurs organisations et groupes manifestent la nécessité de s’organiser indépendamment du cirque que sont les sommets et anti-sommets. Différentes associations, réseaux et assemblées commencent à revendiquer cet objectif, façonnant ainsi l’embryon d’une communauté de lutte qui pourrait être décisive dans le futur et préfigurer, par sa pratique, la direction dont le prolétariat a besoin.

Toutefois, et il faut l’affirmer très clairement, lors de ces sommets, même si la violence de classe se développe, le degré d’autonomie du prolétariat reste faible, extrêmement faible. Ce qui soulage grandement les flics dans leur travail de préparation et de connaissance du terrain tant en cas de "combat" que pour disposer des caméras, filmer, ficher et identifier "les éléments plus dangereux".

La bourgeoisie a déjà remporté d’importants succès lors de telles opérations. Force est de constater l’excellente division du travail qui a été réalisée, pour canaliser, disperser et réprimer le prolétariat: un maximum de personnes sont convoquées, on endort la grande majorité d’entre elles par des ballades "moutonnières" derrière les éternels groupes pacifistes et on veille à ce que "ceux qui en veulent" forment des cortèges à part ou de couleurs différentes, avec comme objectif déclaré de s’exprimer violemment et de casser des vitrines, ce qui facilite évidemment l’action de la police. Cure de sommeil pour la grande majorité, matraques et fichages pour ceux qui cherchent l’affrontement, voilà comment nos ennemis opèrent pour diviser le prolétariat. C’est comme s’ils filtraient le mouvement, sélectionnant et identifiant à la perfection ceux qu’il faut ficher, ceux qu’il faut arrêter.

L’idéologie prédominante dans un grand nombre de ces groupes activistes facilite cette division du travail. Le fait qu’ils ne se définissent pas en dehors et contre les cortèges officiels de protestations et qu’un grand nombre accepte de constituer d’autres colonnes au sein même de ces cortèges contribue au travail de l’Etat. En plus, dans certains cas, ceux qui prennent la tête des débordements ne sont autres que les "sections jeunes" des groupes ou fractions gauchistes de la social-démocratie (maoïstes, trotskistes, guérilleristes...) qui ne se situent évidemment pas contre cette même social-démocratie, contre les propositions visant à humaniser le capitalisme, mais qui par leurs actions soi-disant "radicales" (en réalité spectaculaires) donnent une plus grande crédibilité à la social-démocratie" (35).

Il en irait tout autrement si les secteurs les plus décidés du prolétariat agissaient pour empêcher cette division du travail, s’ils rejetaient la séparation entre ceux qui défilent gentiment et ceux qui "cassent", s’ils organisaient la violence pour combattre les cortèges et les protestations officielles et amener ainsi l’ensemble des prolétaires à protester violemment et affronter non seulement la police officielle, mais aussi les flics syndicaux et de gauche qui, en collaboration avec les premiers, garantissent la division du travail et le terrorisme d’Etat.

On pourra nous rétorquer qu’on n’a pas le rapport de force pour affronter la bourgeoisie de gauche, que les troupes de choc de la gauche et des flics syndicaux assurent toujours l’ordre pacifique de leurs manifestations, mais ces affirmations ne font que confirmer le manque d’autonomie dont nous parlions plus haut.

Cela démontre que l’idéologie qui domine dans ce milieu est celle du moindre mal; que, du fait de cette idéologie, l’organisation de la violence prolétarienne ne s’exprime jamais ouvertement contre la social-démocratie et les anti-sommets mais toujours contre la droite et les sommets officiels; que, du fait de cette idéologie, l’organisation de la violence prolétarienne se constitue sur le terrain de la social-démocratie (comme si le prolétariat pouvait conquérir son autonomie de cette façon!) et qu’elle éclate non pas contre la social-démocratie (qui dans l’ensemble s’en sort plutôt bien, malgré les critiques verbales l’accusant de "pacifisme et autres déviations"), mais contre le rempart qui protège la bourgeoisie: la police officielle (36).

Tout ceci relève du gauchisme bourgeois et vise clairement à détourner le prolétariat de sa critique de la société. Une direction révolutionnaire doit lutter pour le contraire, pour empêcher que la division du travail opérée par la bourgeoisie entre discours et marches anesthésiants, et bâtons et fichages, soit couronnée de succès. Plutôt que d’affronter des policiers super-entraînés et qui n’attendent que cela, il serait plus judicieux d’attaquer par surprise les social-démocrates, nettement moins préparés, ou de combattre les policiers quand ils ne s’y attendent pas et que c’est nous qui le décidons. Marcher aux côtés de la social-démocratie ou dans des colonnes de différentes couleurs, mais toujours dans son sillage, comme pour donner une radicalité à ses manifestations, a, pour le prolétariat, un résultat catastrophique. Il faut s’organiser en dehors et contre ses ballades social-démocrates, se constituer en force pour y faire obstacle, et les empêcher eux aussi de réaliser leurs forums styles Porto Alegre. Structurer la force prolétarienne, décider nos propres objectifs, arrêter de considérer, à l’instar d’Attac, du forum de Porto Alegre et tutti quanti, que l’ennemi, c’est la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International, voilà ce qui sera décisif pour le futur.

S’affronter aux mêmes objectifs que la social-démocratie, même de façon violente et radicale, c’est tomber dans l’idéologie du moindre mal et accepter le principe du frontisme, principe qui, au nom de l’antifascisme, amenèrent les marxistes-léninistes, les anarchistes syndicalistes et les trotskystes, à se situer du côté de l’Etat bourgeois contre la révolution (d’abord en 1936/37 en Espagne, et ensuite partout dans le monde).

Jusqu’à maintenant, la seule chose dont il est question c’est d’empêcher, par la violence, les réunions du Fond Monétaire International, de la Banque Mondiale,... on ne parle jamais de celles d’Attac, de l’Internationale Socialiste, ou des Forums Sociaux..., ce qui met en lumière la faiblesse de notre classe et, surtout, la prédominance du centrisme, même dans les manifestations les plus radicales du prolétariat.

Dans ces manifestations, et malgré la présence de colonnes et de couleurs différentes, le prolétariat s’associe à la social-démocratie et marche seul contre les ennemis de cette dernière, révélant ainsi qu’on en est toujours aux premiers balbutiements de l’autonomie de classe. Le prolétariat, pour s’autonomiser, doit également rompre avec les (prétendus) "autonomes" qui l’entraînent dans ces cortèges et messes citoyennes, organisées par les social-démocrates (même si c’est pour les radicaliser) et qui l’empêchent ainsi de parvenir à une véritable autonomie de classe.

Guérilla urbaine? Insurrection?

Certains prétendent également que ce type d’affrontement correspondrait à une espèce de "guérilla urbaine, une sorte d’insurrection, ou de pratique insurrectionnelle". Cette conception pourrait être intéressante si, réellement, elle s’organisait sur des bases qui lui étaient propres, ce qui n’est pas le cas actuellement. La véritable lutte révolutionnaire insurrectionnelle ne peut reposer ni sur le fait de se rendre là où on nous attend pour y recevoir des coups de bâtons, ni sur l’affrontement à un ennemi hyper-préparé et qui n’attend que cela. Le scénario est bien ficelé: la bourgeoisie et les chefs de la répression envoient une troupe de mercenaires surentraînés contre laquelle on se casse les dents pendant qu’eux restent planqués, et bien à l’abri. Que peuvent-ils désirer de plus que de voir notre force se cogner aux boucliers qui les protègent tandis qu’eux s’en sortent indemnes.

En plus, les lois de l’insurrection se situent exactement à l’opposé de ce scénario: concentration des forces prolétariennes contre un ennemi qui ne s’y attend pas; choix du lieu et du moment en fonction des objectifs, et attaque où et quand on nous attend le moins; refus du combat militaire quand l’ennemi nous est supérieur; propagation d’une date d’attaque, et passage à l’action avant, quand l’ennemi ne s’y attend pas, ou après, lorsqu’il est fatigué d’attendre; éviter de s’ancrer dans une résistance basée sur des points fixes; se disperser face à un ennemi qui avance et se regrouper uniquement pour une attaque surprise; rendre inutilisables les casernes et les lieux dans lesquels sont cantonnées les troupes, là où on les concentre pour les faire obéir; frapper les capitalistes, les gouvernants et les chefs de la répression dans leur foyer, les empêcher de diriger les opérations terroristes répressives soit en les capturant, soit en les isolant, ou encore en leur ôtant toute possibilité de diriger leurs troupes...

Allons plus loin encore: du point de vue de l’insurrection, nous n’avons pas intérêt à affronter et détruire les policiers en général (même s’il nous faut être impitoyables avec tous les agents de l’ordre qui exercent la terreur!), ce qu’il faut c’est anéantir la cohérence de corps de la répression (appeler à ne pas tirer contre les siens mais contre les officiers); s’affronter dans leur ensemble aux forces que la bourgeoisie utilise comme rempart ne fait que favoriser ce fameux esprit de corps.

C’est pourquoi la conception "guérilleriste" qui est aujourd’hui tellement à la mode mérite toute notre critique. Cette conception fait une caricature de la guérilla en incitant à la lutte appareil contre appareil, qui toujours favorise l’Etat. Il semblerait que la "direction des opérations insurrectionnelles" –peut-être par manque de perspectives révolutionnaires– se vante de la quantité de policiers blessés tout autant que du nombre de personnes blessées et fichées dans nos rangs. Les comptes-rendus de gauchistes bourgeois qui circulent sur Internet et sous forme de vidéos, comptabilisent et glorifient le nombre de blessés et les images spectaculaires d’affrontements, laissant croire que c’est cela qui ferait avancer la révolution sociale. Il suffit d’aller consulter les sites du genre d’Indymedia pour se faire une idée de l’engouement pour les foires aux échanges d’images d’"actions" et de "révoltes" qui s’est emparé des activistes, et de la manière dont ils entreprennent ce travail qui, en définitive, ne peut servir qu’au spectacle et... à la police.

La lutte révolutionnaire fera des blessés, des prisonniers et des morts parmi les prolétaires, mais notre intérêt c’est qu’ils soient le moins nombreux possible. Nous avons déjà trop de victimes! Tous les exemples historiques démontrent que lorsqu’une insurrection prolétarienne se développe, il y a très peu de victimes, et que quand on s’attaque aux chefs de la répression et à l’Etat bourgeois, le nombre de camarades qui tombent est limité. Inversement, le nombre de victimes s’élève dès qu’on appelle à résister ou à manifester contre la puissance répressive de l’Etat (37) .

Manque de programme révolutionnaire, spectacle de la violence.

Ce que nous venons de décrire exprime une fois de plus, le manque de programme et de perspective révolutionnaire existant dans ces affrontements; le manque de critique profonde et réelle de la société bourgeoise; l’absence d’une stratégie visant à liquider la société capitaliste. Dès lors, parler d’une internationale de la révolution s’opposant à une internationale du capital équivaut à falsifier la nature même d’une internationale révolutionnaire. A quelle internationale révolutionnaire font-ils allusion? A cette colonne rouge vif ou bleu azur, à ces groupes aux couleurs bigarrées qui participent à la même manifestation social-démocrate? Qu’est-ce qui différencie ces colonnes de celles ouvertement social-démocrates? Le fait que certaines s’affrontent violemment aux monstres FMI ou BM?

Le sieur Wohlmuth, secrétaire de la FSA-AIT, n’éprouve aucune honte à déclarer que son regroupement, le blue block, doit montrer aux pauvres du monde entier –par le biais de la télévision (38)– qu’en Europe, il y a des gens qui luttent contre le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale: "Ce fut une tornade déchaînée de guerre de classe, nous savions que ce n’était pas là notre méthode de travail, mais nous savions tous que nous devions montrer aux prolétaires pauvres et moribonds du monde, qu’ici, en Europe, il y a des gens courageux qui, non seulement, sermonnent et critiquent, mais ne craignent pas de s’affronter physiquement au FMI et à la BM, qui sont déterminés à empêcher leurs congrès, qui risquent leur vie et leur santé pour en finir avec les macabres agissements des ingénieurs de la faim et de la destruction écologique."

On voit à quel point cette violence est syndicalement encadrée afin d’éviter que des débordements ne soient dirigés contre la gauche bourgeoise. Par contre lorsque la manifestation prolétarienne n’est pas encadrée par les syndicalistes (qu’ils s’appellent libertaires ou anarcho-syndicalistes), les choses se déroulent autrement et, comme cela s’est passé en Kabylie, en Algérie, la presse est obligée de reconnaître que les révoltés s’en prennent tant aux partis officiels, qu’aux partis d’opposition (39). On remarquera aussi la suffisance avec laquelle ces prétentieux opèrent une différence entre les spécialistes du changement social, les anarcho-syndicalistes, et les prolétaires du monde entier. On notera également la distinction euro-raciste effectuée entre le caractère décisif de ce qui se passe en Europe, et le reste du monde où il n’y a que misère et soumission. Comme si les prolétaires du monde entier n’étaient que des morts-vivants, dont le seul espoir serait que ces messieurs les syndicalistes européens leur montrent le bon chemin! C’est une des plus colossales falsifications du mouvement prolétarien de notre époque!

Et Wohlmuth continue: "Mais la rue en lutte s’est avérée très surprenante par rapport à ce qui se passe habituellement. Peu à peu, on a commencé à connaître tous ceux qui, avec beaucoup de courage, chargeaient les rangs des policiers, et nous avons constaté qu’en ces instants, les forces du capital et de l’Etat n’étaient pas attaquées par des punks, des hooligans ou des adolescents désabusés, bref par des passants turbulents sans le moindre sens politique; au beau milieu de ces groupes d’assaillants, on voyait partout des drapeaux rouges et noirs, des boucliers et des masques à gaz portant le sigle de l’AIT-IWA." Et pour qu’il soit bien clair qu’il ne s’agit pas ici d’un débordement authentique, de la destruction de la propriété privée, comme c’est le cas quand le prolétariat attaque toutes les forces bourgeoises, pour insister sur le fait qu’il s’agit d’une attaque dirigée contre la droite, Wohlmuth poursuit sous forme d’excuse: "Ce n’est pas notre façon de travailler (...) mais confrontés au fait que 10.000 politiciens et économistes sont en congrès au centre de Prague, négociant et planifiant la misère et la mort de millions de personnes, c’était peut-être la seule chose que nous pouvions faire. Ce sont les politiciens et les capitalistes qui devraient avoir honte des dommages matériels et personnels qui ont eu lieu, et non les valeureux révolutionnaires du bloc ‘Rouge et Noir’, qui ont démontré, dans la rue Lumir, que Seattle n’est plus valable comme symbole. Il est ici le nouveau symbole, c’est Prague!"

Rien à voir donc avec une internationale révolutionnaire contre le capital. Rien à voir avec une organisation prolétarienne dont l’ABC serait au contraire de mettre en évidence le rôle que joue la droite et la gauche du capital, de démontrer que s’en prendre au Fond Monétaire International sans attaquer ses compléments indispensables que sont Attac et compagnie, contribue en dernière instance à la fortification de l’ennemi du prolétariat. L’internationale révolutionnaire organisera sa pratique en dehors et contre les manifestations social-démocrates et ne s’affrontera pas à une seule fraction du capital, puisque cela ne fait que le fortifier, mais au capital dans son ensemble.

Il faut évidemment définir les objectifs de la manière la plus précise possible. Il nous faut affirmer la lutte du prolétariat contre le capital et l’Etat, sans oublier la social-démocratie qui est la partie du capital destinée à dompter les prolétaires. A Seattle, Prague, Buenos-Aires,... nous avons rencontré des groupes de prolétaires qui prônaient ce genre de mots d’ordre, mais le manque d’autonomie politique et organisative du prolétariat provoque, même au sein des secteurs les plus en rupture, la réapparition de vieilles consignes syndicalistes qui, bien qu’elles radotent sur le capital, n’en jouent pas moins le jeu. Le slogan le "plus intense", issu du dit blue block à Prague, fut selon Wohltmuth: "Contre le capital, le travail anarcho-syndicaliste!".

Aujourd’hui nous, prolétaires, ce dont nous avons le plus besoin, c’est de développer un associationnisme de classe, ce qui n’a rien à voir avec les syndicats (qu’ils s’appellent anarchistes ou non!), c’est d’affirmer le cœur du programme révolutionnaire, la lutte pour la révolution prolétarienne internationale, la question centrale de la lutte contre le pouvoir de l’Etat, la lutte pour sa destruction, l’insurrection prolétarienne, la dictature contre le marché et le taux de profit. Parler d’internationale révolutionnaire sans inclure ces éléments de base nous semble contre-productif, trompeur et nous affirmons que ce la ne sert qu’à la réaction. Que certains le fassent consciemment ou d’autres en pensant sincèrement faire avancer la révolution ne change malheureusement rien à l’affaire!

A propos de la critique des fausses ruptures: rupture prolétarienne contre centrisme

Avant de poursuivre notre critique sur la question essentielle des fausses ruptures, resituons-la dans le contexte actuel du rapport de force entre les classes. Dans tout ce cirque des sommets et des manifestations de toutes les couleurs, l’invité d’honneur, convié à applaudir et à marcher dans les cortèges officiels, c’est le prolétariat.

Comme l’imposture est trop grossière, comme ceux qui prétendent se situer à la tête des manifestations sont toujours les mêmes figures, les mêmes structures, les mêmes programmes social-démocrates, et bien qu’ils parviennent encore à assujettir un grand nombre de prolétaires (il y aura toujours des moutons), le prolétariat déborde et tend, dans la mesure où il s’autonomise, à se situer en dehors et contre ces messes citoyennes.

Mais cette rupture ne se fait pas du jour au lendemain. Ses affirmations restent encore partielles, et c’est cette faiblesse dans la rupture de notre classe qui permet à différentes fractions social-démocrates d’interpréter, de canaliser la rupture et surtout d’empêcher qu’elle soit totale. Evidemment, ces fraction qui reprennent des points décisifs de la critique communiste et disent défendre la révolution, tentent par tous les moyens d’enchaîner le prolétariat, de le rendre dépendant et de le maintenir sous la férule social-démocrate. C’est le rôle classique des fractions que les révolutionnaires désignent comme centristes parce que, bien qu’elles reprennent des points fondamentaux du programme révolutionnaire, elles entravent l’indispensable saut de qualité qui consiste précisément à se situer en dehors et contre toute organisation capitaliste.

Aujourd’hui comme hier, le centrisme se développe contre le vieil opportunisme et le révisionnisme de la social-démocratie qui soutiennent que le développement du capital serait favorable aux prolétaires et qu’il faudrait donc délaisser la révolution au profit de l’évolution (40). Reprenant la critique prolétarienne à l’encontre de la social-démocratie, une critique qui oppose la lutte révolutionnaire contre le capital et l’Etat au réformisme ouvert de la social-démocratie, le centrisme semble mener son action sous la bannière de la lutte contre le capital et l’Etat, mais il s’oppose à l’appel pour la constitution d’un parti à part, en dehors et contre la social-démocratie: un parti opposé aux élections, au parlementarisme, au syndicalisme, au frontisme,... et qui mène la guerre sociale à ses ultimes conséquences. En ce sens, même s’il reprend certains aspects centraux de la critique prolétarienne, dans la mesure où il ne porte pas ses critiques jusqu’à leurs ultimes conséquences et où il ne s’oppose pas de toutes ses forces à la social-démocratie, le centrisme en fait partie intégrante et constitue de fait le dernier rempart du capital.

De par sa nature, le centrisme oscille entre les drapeaux révolutionnaires qu’il agite et une politique empêchant la rupture avec la social-démocratie historique, d’où le fait que beaucoup le considèrent comme suspendu entre les classes. Mais en réalité, cette politique oscillante, réalisée au nom du prolétariat, n’est et ne peut être suspendue dans le vide. Elle freine la constitution du prolétariat en force et remplit une fonction objectivement contre-révolutionnaire, constituant dans les faits une fraction extrême de la social-démocratie.

Un bon nombre de groupes et d’organisation présents dans le cirque contre les sommets portent un ensemble d’idéologies qui entravent la nécessaire rupture prolétarienne, et ce, malgré le fait que ces groupes et organisations revendiquent la lutte contre le capital et l’Etat. Ce sont précisément ces barrières centristes que nous voulons dénoncer.

Anticapitalisme? Contre l'Etat?

Face à la rage prolétarienne contre les sommets et anti-sommets, face au caractère ridicule et timoré d’Attac et d’autres structures social-démocrates –qui sont en tous points complices des autres fractions– des milliers de prolétaires ont opposé l’ABC de la critique de notre classe à ces critiques bourgeoises. Des dizaines de groupes en provenance des cinq continents, des centaines de tracts, de pierres lancées, de cocktails molotovs, de pamphlets et d’articles dénoncent les critiques faites par les social-démocrates au Fond Monétaire International et à la Banque Mondiale, et y opposent la lutte contre le capital et l’Etat. Mais il ne suffit pas de dire que l’on est contre le capital pour lutter contre le capitalisme, il ne suffit pas de se dire anarchiste ou communiste pour lutter contre l’Etat. Lorsque l’on pénètre au cœur même du contenu de cette critique, on constate de nombreuses confusions quant au sens et l’idéologisation d’un ensemble de pseudo-ruptures qui, dans les faits, constituent une position centriste empêchant la véritable rupture prolétarienne et sa pratique insurrectionnaliste.

Il y a ainsi une mode "anticapitaliste". Un grand nombre de groupes et d’organisations se revendiquent "anticapitalistes". Pourtant, dans leur pratique, on constate très souvent qu’ils se bornent à dénoncer les multinationales, les monopoles, le capital financier, l’"impérialisme" (41), certains pays ou le Fond Monétaire International et les institutions similaires, ce qui revient en fait à soutenir de façon à peine voilée l’idéologie social-démocrate de l’humanisation du capitalisme. L’"anticapitalisme" de cet acabit n’est pas neuf, c’est une vieille histoire social-démocrate. Déjà du temps de Marx, ce genre d’idéologies anticapitalistes, socialistes étaient en vogue, et il les dénonçait comme socialisme bourgeois et petit-bourgeois. Par la suite, la social-démocratie théorisera que "le capitalisme est désormais monopoliste et impérialiste" (42) justifiant ainsi l’opportunisme et le réformisme, et contribuant à la guerre impérialiste au nom d’un capitalisme plus démocratique.

Aujourd’hui, les anticapitalistes bourgeois qui défendent invariablement un Etat bourgeois contre un autre sont monnaie courante. Mieux encore, on voit des fractions entières de la bourgeoisie internationale qui, au nom du socialisme, ont de tout temps appuyer la politique capitaliste et impérialiste du bloc russe (quand elles n’en faisaient pas directement partie), tenter maintenant de se recycler. Il suffit de penser aux nombreux secteurs gauchistes qui ont toujours parlé d’anticapitalisme afin de mieux défendre une fraction contre une autre dans la confrontation impérialiste, comme lors de la Guerre du Golfe où, dans leur opposition "aux yankees", ces gauchistes soutenaient non pas le prolétariat mais le parti baasiste, la garde républicaine et Saddam Hussein.

Pour nous, il est indispensable de dénoncer ces positions, et c’est ce que fait un tract signé "Libertaires" diffusé au Canada au mois d’avril 2001:

"Mais plus insidieuse parce que proche de nous, marchant à notre pas, est cette nouvelle tendance à l’extrême du citoyennisme respectable: il s’agit bien entendu de cette mouvance qui se proclame "anti-capitaliste", "anti-autoritaire", "autogestionnaire", et tutti quanti. Sous le nouvel anti-capitalisme: le capital!!!"

"A cette aile radicale qui s’y connaît en rhétorique anti-capitaliste et manie bien les déclarations de principes on serait porté à répondre: cause toujours, mon lapin! En fait, ils en veulent au capital financier, aux corporations; c’est le vieil anti-impérialisme qui revient par la porte d’en arrière. Le socialisme puéril d’hier s’est transformé en un anti-capitalisme de bon aloi assorti d’une exigence de démocratie totale. Toutes les séparations capitalistes y sont magnifiées comme autant d’identités réelles à sauvegarder et à promouvoir (sexe, âge, race, nationalité, rôles sociaux ou économiques, minéraux, végétaux et cosmos, la liste est infinie...). Cette aile turbulente brasse bien, timidement, la cage de leurs aînés plus respectables mais c’est pour les accuser, devant la galerie médiatique, de trahison. En outre elle agit le plus souvent comme troupe de choc des partis et syndicats qui s’en servent à leur tour comme épouvantail."

La critique de l’idéologie affinitaire actuellement à la mode, réalisée par nos camarades "libertaires", nous paraît particulièrement pertinente. Au lieu de pousser le prolétariat à l’unification sur base de l’homogénéité d’intérêts, de perspectives et de projet social, cette idéologie affinitaire en vogue aujourd’hui fortifie toutes les divisions et les séparations du capital en les magnifiant comme identités réelles à sauvegarder: culture, sexe, race, âge, région,... et parfois même croyances, sectes, opinions, religions,... La musique à la mode peut elle aussi être un critère d’affinité, mais le regroupement sur cette seule base ne peut que séparer les prolétaires pour les ranger dans des catégories développées par la société bourgeoise alors que ce dont on a besoin, c’est de briser toutes ces petites boites et de développer une force homogène contre le capital (43).

Expressions contradictoires de la rupture prolétarienne

Mais cet "anticapitalisme" typiquement bourgeois et gauchiste coexiste encore (bien que nous luttions contre cette coexistence) avec une critique profonde de la social-démocratie qui exprime, bon an, mal an, la rupture naissante et difficile que le prolétariat porte face à la social-démocratie au niveau international. Cette rupture est bien sûr enrayée, freinée par cette idéologie gauchiste de la social-démocratie qui est, elle aussi, en plein processus de recyclage (comme pour les immondices) et se teint d’"anticapitalisme" et d’"anti-étatisme".

Dans certains cas, les ruptures prolétariennes sont claires et démarcatoires; dans d’autres, on y trouve encore toute l’idéologie gauchiste des années soixante et septante, qui traîne derrière elle le marxisme-léninisme, le trotskisme, le castrisme, le guévarisme, l’anti-impérialisme bourgeois, et la conciliation de tout ce cocktail sous la bannière libertaire, toujours à la mode.

Pour exprimer cette contradiction, nous avons choisi l’exemple du Manifeste des jeunes anticapitalistes contre le Forum Social Mondial (voir encadré page 33).

Ce document fait une critique prolétarienne du Forum Social Mondial organisé par la social-démocratie à Porto Alegre, et affirme clairement qu’"un autre monde est possible" –slogan phare du contre-sommet de Porto Alegre– "seulement en détruisant le capitalisme". Il nous semble très important que ce point décisif se concrétise aussi dans la dénonciation des partis et syndicats de la social-démocratie, dans la dénonciation de leur pratique sociale quotidienne répressive et antiprolétarienne, particulièrement en ce qui concerne les partis social-démocrates brésiliens tel le Parti des Travailleurs de ce Walesa brésilien qu’est Lula. Il faut aussi souligner la dénonciation frontale de l’idéologie de l’humanisation du capitalisme, omniprésente dans les sommets et anti-sommets, ainsi que l’affirmation du fait que c’est le capitalisme qui assassine et qu’il faut donc assassiner le capitalisme.

Cependant, ce manifeste, bien qu’il constitue une contribution à la critique de ce monde (et c’est pour cela que nous le publions) et sans doute parce qu’il est le produit d’un grand nombre de groupes aux programmes politiques différents, est confus et dénote un manque de rupture sur d’autres points. Par les exemples que nous donnerons ici, nous tenterons d’affirmer la critique faite par le prolétariat et nous pousserons à l’approfondissement de la rupture avec la social-démocratie et ses expressions centristes. Ces critiques, nous tenterons de les faire parvenir aux différents groupes qui ont signé le manifeste.

• On ne parle pas de prolétariat contre le capitalisme mais de "jeunes anticapitalistes" (et même de "peuple pauvre"), ce qui est une concession à la mode (et pour le terme "peuple", à la social-démocratie front-populiste!).

• On rend le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC et l’Union Européenne responsables de "l’exploitation de millions de travailleurs", ce qui est une concession typique à l’anti-impérialisme et à l’antimonopolisme social-démocrate dominant le FSM de Porto Alegre. Ce ne sont pas ces institutions qui sont "les responsables" de l’exploitation, comme la social-démocratie tente de nous le faire croire, c’est le capitalisme lui-même, chaque entreprise capitaliste qu’elle soit grande, moyenne ou petite, ce sont les bourgeois de chaque pays, que ces pays soient grands, moyens ou petits (44).

• On dit "Vive l’Intifada Palestinienne" et non la lutte du prolétariat en Palestine contre le capital et l’Etat. On parle comme si, en Palestine, n’existaient pas les mêmes contradictions de classe que partout ailleurs, ce qui, vu le point précédent, est problématique. En Palestine, cette consigne n’est pas une consigne de classe, pire encore, c’est la consigne de la bourgeoisie de l’OLP et des Etats nationaux arabes (tel la Lybie). Au Brésil, et ailleurs dans le monde, et pour les mêmes raisons, elle ne peut pas non plus être une consigne prolétarienne. Au contraire, elle favorise la bourgeoisie, ses alliés impérialistes et même la police qui torture dans cette région, et qui eux aussi soutiennent l’"Intifada Palestinienne".

• On y trouve des consignes typiques des luttes entre fractions bourgeoises telles "Non au payement de la dette externe" (45), qui, comme nous l’expliquons, relèvent de la négociation entre fractions du capital international. En effet, le fait de ne pas payer la dette n’altérerait en rien le taux d’exploitation et n’améliorerait donc nullement le sort du prolétariat. Seule la bourgeoisie nationale en bénéficierait. Encore une fois, ce sont les gouvernements (de gauche ou de droite) qui prétendent que notre misère est due à l’endettement de "notre Etat" et de "notre bourgeoisie"; ce sont eux qui essayent de nous convaincre que la dette n’est pas celle des bourgeois mais celle "du peuple de tel ou tel pays". Autre exemple: "Non à la privatisation". Comme si le fait que le capital change de main pouvait augmenter ou diminuer la misère de notre classe! C’est la social-démocratie qui a toujours soutenu que l’étatisation du capital améliorait la situation de la classe ouvrière! Comme si dans les pays où le capital est juridiquement plus étatique il y avait moins de misère, ainsi que le soutiennent les fractions léninistes, trotskistes et staliniennes de la social-démocratie.

Il est clair qu’il existe un dénominateur commun aux points que nous avons critiqués ci-dessus: le fait que la critique révolutionnaire du capital reste imprégnée d’une critique "anti-impérialiste", tiers-mondiste, c’est-à-dire d’une critique bourgeoise. On retrouve en effet et malgré une pseudo-radicalisation, les revendications de la social-démocratie:

• la social-démocratie parle de peuple; le manifeste parle de peuple pauvre

• la social-démocratie concentre la responsabilité sur le libre-échange et les politiques du FMI et de la Banque Mondiale...; le manifeste affirme que le capitalisme assassine mais considère ces institutions comme responsables de l’exploitation

• la social-démocratie a toujours soutenu la libération nationale et donc aussi les guerres impérialistes; le manifeste appuie l’"Intifada Palestinienne" et non le prolétariat en lutte contre le capitalisme en Palestine (contre l’Etat d’Israël, contre celui de l’OLP, contre le capital et l’Etat tout court)

• la social-démocratie - comme la droite - a toujours présenté la dette des bourgeois comme un problème national afin de susciter la solidarité des prolétaires avec les bourgeois de chaque pays; le manifeste considère la question de la dette comme un problème de tous, et pas uniquement des bourgeois. Il revendique le "Non-payement de la dette" qui ne sert qu’à mobiliser le prolétariat pour qu’il soutienne certaines fractions nationales et internationales qui bénéficieront de l’annulation de la dette, alors que lui n’a rien à y gagner

• pour finir, le manifeste oppose les privatisations aux étatisations et défend celles-ci. Il défend donc l’Etat capitaliste comme propriétaire face au capital privé. C’est la position classique de la social-démocratie (si chère aux marxistes-léninistes) qui défend l’étatisation juridique des moyens de production (46).

Certains de ces points, les deux derniers par exemple, ont été abandonnés par de larges secteurs de la social-démocratie par pur opportunisme, mais cela ne leur confère nullement un caractère prolétarien; les défendre ne fait pas avancer d’un millimètre la lutte contre le capital et l’Etat.

Manifeste des jeunes anticapitalistes contre le Forum Social Mondial

De Seattle en passant par Washington, Londres, Minau, Melbourne, Séoul, Prague et jusqu’à Nice, de façon répétée, des dizaines de milliers de jeunes anticapitalistes ont dénoncé, par l’action directe, les grands monopoles et les organismes internationaux comme le FMI, la Banque mondiale et l’Union Européenne. Ces institutions sont responsables de l’exploitation de millions de travailleurs, de la destruction de l’environnement et de la soumission de millions de personnes aux pires conditions de pauvreté. La dénonciation de ces jeunes anticapitalistes est très claire lorsqu’ils hurlent dans les rues du monde "le capitalisme tue, tuons le capitalisme" et "A bas le FMI".

Maintenant, ici à Porto Alegre, au Forum Social Mondial, les ONGs, les bureaucraties syndicales et les directions des partis institutionnalisés changent le contenu de la lutte des jeunes anticapitalistes et y substituent la politique réactionnaire de "l’humanisation du capital". Humaniser le capital avec les ministres français qui persécutent les immigrés et qui font partie du gouvernement qui, avec l’OTAN, a bombardé la Yougoslavie, assassinant des milliers de personnes et réprimant les anticapitalistes à Nice; humaniser le capitalisme avec les banquiers et les multinationales, humaniser le capitalisme aux côtés des gouvernements qui, comme le PT, continuent à payer la dette, répriment la grève des professeurs de Rio Grande do Sul et l’occupation d’un domaine public fédéral à Porto Alegre par le MST (Mouvement Sans Terre), répriment les marchands ambulants et les sans-abri lors des occupations urbaines de Porto Alegre, et qui continuent à donner de l’argent aux multinationales.

En vérité, l’étoile [référence à l’étoile qui est le symbole du PT –Parti des travailleurs– de Lula] guidant cette préfecture et ce gouvernement qui se disent démocratiques et populaires en vue des élections de 2002, a décidé de servir de base expérimentale pour une nouvelle forme de gestion du capitalisme basée sur une social-démocratie (47) qui permette l’exploitation bourgeoise et plaise aux classes moyennes avec des illusions de démocratie, tel le Budget Participatif qui cherche à empêcher la protestation sociale en cooptant les mouvements populaires. Et pour compléter le tableau, il y a tous les autres partis de "gauche" qui, même lorsqu’ils critiquent cette politique, capitulent plutôt que de la remettre en question de façon plus tranchante.

Humaniser le capitalisme est utopique et réactionnaire. C’est pourquoi, nous, jeunes anticapitalistes du Campement de la Jeunesse, nous nous sentons partie prenante du mouvement anticapitaliste et solidaires des jeunes qui, à Davos, dénoncent le Forum Economique Mondial. Et nous disons que: le Forum Social Mondial est une imposture créée par ceux qui désirent dévier la lutte anticapitaliste vers une politique de collaboration de classe et des élections, poursuivant ainsi l’application de la misère du capitalisme. C’est pourquoi, nous réalisons nos propres ateliers centrés sur la construction d’un réseau national anticapitaliste au cri de "A bas le Forum Economique Mondial, le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC" auxquels le Forum Social Mondial n’est pas une alternative, "A bas le Plan Colombie", "Vive l’Intifada Palestinienne", "Non au payement de la dette extérieure", "Non aux privatisations".

Le capitalisme tue, tuons le capitalisme. C’est à la jeunesse, aux travailleurs et au peuple pauvre capitaliste, fidèle à l’esprit de Seattle, Nice, Prague et Davos d’empêcher que l’intervention anticapitaliste soit distorsionnée et utilisée par leurs ennemis (48).

Destruction de la marchandise?

Il est logique que les révolutionnaires reprennent aujourd’hui la critique de la marchandise que le prolétariat a toujours mise en avant; il est logique qu’aujourd’hui, les luttes du prolétariat tentent, de façon toujours plus claire, d’atteindre leur objectif: la destruction de la société marchande.

Mais la plupart du temps, cette tendance est comprise et répercutée de manière totalement immédiatiste, et l’on prétend détruire le monde marchand et l’empire de la marchandise sur base d’actions du genre de celles menées à Seattle.

Ainsi, l’Appel d’un Black Bloc au Sommet des Amériques du 20 au 22 avril 2001 disait: "Un spectre hante l’Amérique, c’est le spectre du casseur anarchiste. Son masque noir bien connu, rendu nécessaire par la montée en flèche de la surveillance électronique, est désormais reconnu comme le symbole d’un terrorisme social qui nous apparaît maintenant plus que jamais, comme un impératif humain et un devoir moral.

Les casseurs et casseuses de Seattle, nous l’espérons, auront ouvert la voie à la destruction de l’empire marchand. En s’attaquant au cœur même de la forteresse américaine, que nul ne soupçonnait si fragile, à l’objet du culte moderne capitaliste, bref en fracassant les vitrines reflétant notre statut de consommateurs et de consommatrices fidèles, les émeutières et les émeutiers ont donné le seul contenu libérateur possible à la lutte contre la mondialisation des marchés.

Soudain, une lutte qui, semble-t-il, allait définitivement s’enfermer dans le précipice du compromis servile que nous présentent depuis 60 ans les mêmes syndicaleux collaborateurs et les mêmes bureaucrates de la sous-traitance étatique communautaire, soudain cette lutte devenait un danger... En s’attaquant directement aux objets envitrinés, les casseurs et les casseuses de Seattle n’ont pas fait qu’assouvir leurs désirs de posséder ces produits trop souvent inaccessibles que la publicité nous fait mijoter comme le summum du bonheur. Elles et ils se sont surtout attaqués au but principal vers lequel tend tout le système d’oppression actuel, elles et ils se sont attaqués à la principale réalisation de notre société: la marchandise."

Dans toutes ces actions, le prolétariat exprime de façon élémentaire sa critique de la société bourgeoise et des programmes qui proposent un capitalisme plus humain. Et il est correct d’affirmer que cette critique exprime la réémergence de l’antagonisme prolétarien au monde de la propriété privée et de la marchandise. Mais croire que l’on détruit ainsi la marchandise ou que c’est la voie qui mène à cette destruction, c’est se fermer les yeux à toute perspective révolutionnaire, c’est confondre une action tout à fait limitée, une protestation élémentaire, avec la révolution elle-même.

L’appropriation et/ou la destruction de marchandises particulières est un acte élémentaire de toute révolte prolétarienne. Comme acte de protestation, comme attaque de la propriété privée, cela a toujours fait partie des révoltes, mais ce n’est pas un acte de destruction de la marchandise. La marchandise ne peut être détruite par l’attaque physique de la chose, il faut en détruire l’autre pôle: la valeur. On ne peut abolir la marchandise en attaquant son immédiateté comme objet. Pour abolir la marchandise il faut détruire la forme sociale dont elle est l’essence. Entre cette forme élémentaire de démonstration de la haine du capitalisme et la destruction de ce dernier, il manque tout simplement l’essentiel: la révolution sociale, l’insurrection prolétarienne, la dictature révolutionnaire du prolétariat, la destruction despotique du marché, "de l’égalité, la liberté, la fraternité" qui lui sont inhérentes, l’éradication de la propriété privée, de la démocratie, de la loi de la valeur, et avec elles, l’organisation indispensable de la production sociale en fonction des besoins humains (49).

On dira que le texte s’exprime de façon symbolique, qu’il s’agit d’une parabole, qu’on veut bien sûr revendiquer une véritable direction, que c’est ça qu’on veut dire quand on parle de destruction de la marchandise (50). Il n’en est rien. L’optimisme aveugle et l’immédiatisme sont évidents et contre-productifs lorsque le texte affirme: "Nous anarchistes (pas touTEs casseurs et casseuses quand même!), révoltéEs, ou tout simplement citoyenNEs responsables, casserons tout sur notre passage. Et lorsque le matin nous balayerons les éclats de verre et les marchandises que nous aurons transformées en projectiles, les rendant par ce fait au moins une fois utiles, ce seront aussi les ruines de l’oppression qui seront ainsi balayées."

Quels que soient les kilos de pierres qui seront lancés, le nombre de marchandises et de vitrines qui seront détruites,... imaginer que les ruines de l’oppression puissent être balayées sans une révolution sociale, que le capitalisme puisse être détruit sans révolution, sans dictature révolutionnaire est aussi utopique que de rêver d’un capitalisme plus humain comme le font Attac et les bourgeois du forum de Porto Alegre. Cela relève de la même illusion imbécile que de prétendre détruire la police en s’affrontant à quelques dizaines ou centaines de représentants de l’ordre. Impossible! Le capitalisme dans son fonctionnement normal détruit en permanence (et depuis toujours) des marchandises (en général pour empêcher la dévalorisation de tel ou tel type de marchandise en particulier): liquidation et incendie de stocks, destruction durant les guerres,... et cela ne porte nullement atteinte à la marchandise. Au contraire, la destruction particulière d’une marchandise affirme toujours plus le monde de la marchandise et de la valorisation.

Enfin, soutenir que, durant ces sommets et contre-sommets, sur base de la dite "action directe", le prolétariat aurait finalement découvert la voie de l’internationalisme prolétarien ou que, comme le disent déjà certains groupes, par ces actions nous serions entrés dans une phase d’affrontement direct entre l’internationale capitaliste et l’internationale révolutionnaire, c’est méconnaître totalement le fonctionnement du capitalisme et le programme de la révolution, la stratégie révolutionnaire. Cela conduit inévitablement à faire œuvre de confusion, en jouant un rôle centriste (en empêchant la nécessaire rupture) dans le mouvement prolétarien.

Pour démontrer comment ce type d’idéologie activiste mène à "oublier" les aspects fondamentaux du programme révolutionnaire, nous allons prendre une fois de plus un extrait de l’appel cité plus haut qui prétend lutter contre le capital, l’Etat et le patriarcat, et qui dit cependant dans un texte intitulé "A bas les réformistes":"L’ordre social devrait se faire par la solidarité d’intérêts et la libre association, et non par l’oppression des idées et des gens. L’Etat, même s’il est composé de gens "élus", est aussi formé de fonctionnaires. Il faut comprendre que ces fonctionnaires n’existent pas par nécessité, mais bien comme résultat de l’absence de démocratie dans notre système."

Le texte ne critique pas la démocratie, pire, il attribue les maux de l’Etat à l’absence de démocratie, comme le fait n’importe quel réformiste. On nous dira que de nombreux militants organisés dans la mouvance nommée Black Bloc ne partagent pas cette position social-démocrate, et nous sommes certains que c’est vrai. Ce qui est triste cependant, c’est que sur des questions aussi importantes et centrales du programme social-démocrate, telle la fumeuse dénonciation de l’absence de démocratie, des positions aussi antagoniques puissent coexister. C’est là une des conséquences inévitables de l’idéologie libertaire, de la liberté de penser. Pour nous, au contraire, la critique de la démocratie est la clé de la critique de l’Etat bourgeois. Ce n’est pas en revendiquant plus de démocratie mais, au contraire, en abolissant pratiquement et autoritairement la fameuse démocratie, aussi pure soit-elle, que l’on détruira l’Etat (51).

Communisation?

Une autre idéologie centriste soi-disant neuve, consiste en ce qu’on appelle aujourd’hui la "communisation". On affirme par exemple, dans le tract cité plus haut pour son intéressante critique au pseudo-anticapitalisme, et qui est signé "des libertaires": "Pour tendre à la production de nouveaux rapports sociaux, les attaques contre le capitalisme doivent déjà contenir une communisation de la lutte et des rapports qui s’en dégagent. Il n’y a plus aucun projet positif, aucune affirmation prolétaire possible à l’intérieur du Capital."

Bien sûr, nous sommes d’accord avec le fait que dans la lutte contre le capital nous devons développer des relations nouvelles et qu’il n’y a aucune affirmation prolétarienne possible à l’intérieur du capital. Le problème, c’est ce "petit mot", devenu à la mode dans certains milieux pseudo-révolutionnaires: "communisation". Comme si le communisme se faisait peu à peu, comme s’il pouvait se développer sans détruire préalablement le capitalisme, comme s’il pouvait surgir sans anéantir totalement le capitalisme , comme si le marché capitaliste pouvait disparaître sans qu’un despotisme humain ne s’exerce contre lui. Au fond, cette théorie n’est pas neuve non plus. Dès le début du 20ème siècle certains secteurs de la social-démocratie développèrent ce qu’ils dénommèrent alors "socialisation": la société devait se "socialiser" peu à peu.

Il est clair que les défenseurs de la théorie de la "communisation" considéreront ce parallèle comme une offense et protesteront en disant qu’il s’agit de quelque chose de tout à fait différent. Cependant, dans la pratique on introduit dans les deux cas une conception gradualiste, et on nie ouvertement le saut de qualité que constitue l’insurrection, la dictature contre le taux de profit et la valeur, sans lequel parler de communisation ou de socialisation ne peut que semer la confusion et servir la réaction.

D’autre part, l’idéologie actuelle de la "communisation" surgit d’un groupe qui n’a jamais rompu avec la social-démocratie, avec le léninisme et l’eurocentrisme. Théorie Communiste est un groupe typiquement eurocentriste pour qui, tout ce qui se passe en Europe est le fait du prolétariat, et tout ce qui se passe loin d’Europe est le fait de masses populaires (ils ont été jusqu’à qualifier la révolte prolétarienne en Irak en 1991 de "soulèvement populaire"!). De même, Théorie Communiste soutient ouvertement qu’en Russie, à l’époque de Lénine, régnait la dictature du prolétariat! Pour les révolutionnaires internationalistes, il est clair que cette dictature s’exerça contre le prolétariat et qu’il s’agissait de la vieille dictature capitaliste, comme nous l’avons démontré dans différentes analyses (52). Sur ces bases (qui assimilent le programme du prolétariat au développement du capitalisme défendu par Lénine) et sur base de la théorisation selon laquelle la question de la transition révolutionnaire serait historiquement dépassée parce que le programme du prolétariat aurait été réalisé par le capital (53), on considère que le prolétariat pourrait se nier lui-même et réaliser le communisme sans se fortifier comme classe et imposer sa dictature (ce qui est ouvertement révisionniste).

Cette théorie pourrait sembler moderne et attirante, mais elle n’est absolument pas claire sur la question essentielle de la révolution, de l’insurrection et de l’action révolutionnaire et dictatoriale de destruction de la société bourgeoise. Comment le prolétariat pourrait-il se nier sans se constituer en force? Certainement pas à l’intérieur du capitalisme, comme le prétend la social-démocratie. En s’organisant en dehors et contre lui. En s’organisant en dehors de ses structures, parlementaires, syndicales et contre ses cortèges et ses manifestations de moutons, en se constituant en force antagonique à tout ce cirque. Ce n’est qu’en se constituant en force internationale, en parti révolutionnaire de destruction du monde bourgeois que le prolétariat peut, dans le même processus, se nier et détruire le capital et l’Etat. Faire croire que le monde pourrait être communisé en dehors de la puissance organisée du prolétariat en parti, c’est collaborer avec tout le spectre politique gauchiste bourgeois qui s’applique à nier justement le plus important: la rupture violente et totale de l’ordre capitaliste par la révolution; le saut de qualité, la conspiration révolutionnaire et l’insurrection, l’organisation internationale du prolétariat en parti communiste, son œuvre destructrice de toute la société bourgeoise. Parler de communisme sans se référer à tout cela est utopique et réactionnaire.

Si la terminologie classique des révolutionnaires en lutte pour le parti révolutionnaire, pour la dictature révolutionnaire du prolétariat ou pour un semi-état prolétarien,... dérange les camarades "libertaires" qui écrivent ce tract, qu’ils en choisissent une autre, mais surtout qu’ils ne renoncent pas à l’essentiel: la lutte insurrectionnelle, la destruction par la violence du capitalisme. De nombreux révolutionnaires, de Bakounine à Flores Magón utilisèrent des termes tels que dictature des frères internationaux, dictature de l’anarchie, dictature des conseils ouvriers et même "parti libéral", sans pour autant (et c’est en cela qu’ils étaient révolutionnaires) renoncer à l’essentiel: la nécessité de la concentration de la violence révolutionnaire, de la lutte armée révolutionnaire, la nécessité de liquider le capitalisme par la violence de classe.

Dans le milieu où évoluent nos camarades "libertaires", il ne s’agit pas d’une question de mots. En envisageant une communisation sans dictature révolutionnaire du prolétariat, ces camarades renoncent réellement à la révolution sociale (54).

Action directe?

Historiquement, face à la social-démocratie, cette force fondamentale de contention et de canalisation de la lutte prolétarienne dont la stratégie repose sur la représentation et la médiation dans les syndicats, les parlements, les élections, l’appui aux délégués et leaders politiques..., le prolétariat a toujours opposé l’action directe. Par action directe, il faut entendre l’action sans intermédiaire ni délégué, assumée par tous, la grève et la manifestation, l’occupation de la rue, la violence révolutionnaire, l’insurrection, la dictature révolutionnaire, l’action qui ne requiert aucune médiation, aucune délégation et qui, en ce sens, constitue historiquement l’opposé de l’action démocratique, de la vie citoyenne.

Aujourd’hui, à Davos, Seattle, Prague, Göteborg, Naples, Gênes,... certains groupes de militants se gargarisent des termes action directe qu’ils assimilent simplement à l’action violente dans la rue. Or, si la violence est bien l’une des composantes de l’action directe, elle ne suffit pas, à la définir.

L’action directe du prolétariat contre le parlementarisme, le syndicalisme, l’électoralisme,... de la social-démocratie, n’a besoin ni de médiation, ni de délégation, ni d’élections de représentants, elle est généralisable, reproductible partout et par tous.

Cela veut dire que pour être directe, au sens historique du mot, l’action violente ne peut reposer sur des délégations et doit être réalisable par les prolétaires où qu’ils soient. La clé de l’action directe, que nous opposons à la social-démocratie, réside précisément dans le fait que n’importe quel groupe prolétarien puisse l’assumer là où il se trouve, et s’opposer, par cette pratique, à la délégation, à la médiation qui sont des éléments déterminants de la démocratie et donc de toute domination politique bourgeoise.

L’action directe revendiquée à Seattle, Prague, Davos, Göteborg, Naples, Gênes,... n’est pas de cet ordre. En effet, la violence y est mystifiée car on l’utilise comme synonyme d’action directe, alors que dans la pratique, pour pouvoir agir, on envoie des délégués dans ce qu’on définit comme le centre où est censée se développer l’action directe par excellence.

Cela ne signifie pas que l’action menée contre le cirque des sommets et anti-sommets ne fait pas partie de l’action directe du prolétariat. Ce que nous critiquons, c’est que les organisations présentes ne poussent pas à lutter au quotidien, là où on se trouve (le capital est partout), mais magnifient leur propre activisme et présentent leur "action directe" comme la plus valide.

La mystification qui consiste à considérer Davos, Seattle, Prague, Göteborg, Naples, Gênes... comme des centres décisionnels du capital, ajoutée au fait qu’ils attribuent aux affrontements des caractéristiques semi-insurectionnelles qu’ils ne possèdent pas, fait que ces groupes considèrent que l’"action directe" par excellence consiste à aller se battre contre le capitalisme selon le calendrier des congrès bourgeois, comme si toute autre lutte n’avait qu’une portée locale et donc de moindre importance. Ils oublient qu’à part les prolétaires qui vivent dans les villes où se tiennent les sommets et contre-sommets et qui descendent évidemment dans la rue, seule une poignée de militants, de délégués du prolétariat de différents pays peuvent se rendre aux conférences pour y développer l’"action directe", et que de la sorte le principe de délégation est maintenu. Que ces délégués lancent plus de pierres et de cocktails molotovs ne changera rien au fait qu’il s’agit d’une médiation au travers de laquelle la majorité du prolétariat devrait se sentir représenté. Comme le dit le syndicaliste cité précédemment "pour que les pauvres du monde voient..." qu’en Europe il y a des syndicalistes... qui les représentent!

Il est évidemment encourageant de voir que dans chaque pays où se déroulent les sommets, le prolétariat dénonce avec hargne ces fêtes capitalistes et descend dans la rue, il est stimulant de voir que des groupes de prolétaires venus d’autres pays collaborent à l’organisation de ces actions, et plus encore, qu’ils les organisent (et/où coordonnent et centralisent l’organisation) également dans d’autres pays. Ce n’est pas cela que nous critiquons, la coordination et l’organisation au-delà des frontières est fondamentale pour l’affirmation et la fortification de la communauté de lutte qui détruira le capital.

Ce que nous affirmons c’est que la majorité des prolétaires d’autres pays ne peuvent pas, et n’ont d’ailleurs pas intérêt à se rendre sur les lieux où se déroulent ces événements. Contrairement à ce que publient les centristes de tous poils qui évaluent les prochains "triomphes" en fonction des milliers d’activistes ou les centaines d’autobus qui se rendront au prochain sommet, cela ne peut constituer notre perspective.

D’autant plus que ceux qui se rendent à de tels événements ne sont qu’une minorité et se trouvent dans des conditions très particulières, notamment des conditions de travail exceptionnelles qui, sur le plan du temps libre et de la rémunération, leur permettent d’effectuer le déplacement. Dans certains cas, des centaines de prolétaires et de militants révolutionnaires font un effort énorme pour envoyer quelques dizaines de militants à ces grand-messes capitalistes, mais il est évident qu’en général seuls les appareils syndicaux et les partis politiques, prévus pour fonctionner par délégation, peuvent se permettre ce type de déplacements de façon régulière. Il ne faut dès lors pas s’étonner si en plus de la police et des services secrets de plusieurs pays, les délégués politiques et syndicaux pullulent dans les rues des villes qui accueillent les sommets et anti-sommets.

Non, mille fois non, du point de vue du prolétariat, la véritable action directe est d’abord et avant tout l’action menée tous les jours contre le patron, contre la bourgeoisie qui nous fait face, contre les partis et syndicats qui veulent nous encadrer. Il faut la généraliser, la rendre mondiale; il faut la coordonner, encourager les échanges militants entre pays; il faut lutter ensemble partout contre le capital mondial, mais il est absurde d’imaginer qu’au plus nombreux on sera dans un même endroit au mieux ce sera. Lors de l’insurrection, le prolétariat mondial ne se concentrera pas en un endroit, parce qu’il ne s’agira pas de détruire la marchandise dans telle ville ou tel pays, mais sur la planète entière et, pour cela, il ne faudra pas s’affronter à une force de police locale ni même nationale, mais détruire le pouvoir bourgeois dans sa totalité et dans tous les coins du globe.

Croire que les prolétaires vont se rassembler et s’exprimer de plus en plus massivement contre les conférences jusqu’à ce que le capitalisme explose est non seulement néfaste et contre-productif pour le mouvement, mais relève d’illusions stupides et déforme le concept même d’action directe. Même si on l’y invite, le prolétariat combatif ne participera pas à ces manifestations bourgeoises. S’y rendront tout au plus quelques groupes qui le représentent, et des délégués syndicaux qui voudraient parler en leur nom. De toute façon, l’intérêt des groupes révolutionnaires qui décideraient d’y aller n’est pas de faire l’apologie de l’"action directe" que développent ces représentants, mais plutôt de centraliser l’action directe du prolétariat que nous devons impulser partout.

Intérêt prolétarien et idéologie centriste

Résumons quelques aspects de la contradiction entre l’intérêt prolétarien et l’idéologie centriste.

L’intérêt du prolétariat réside dans l’unification programmatique et la décentralisation opérationnelle, l’unité de direction et de perspective révolutionnaire et, contradictoirement, le morcellement, la dispersion de l’action, tout en ciblant le même ennemi.

Mais l’idéologie dominante, même dans les groupes en rupture avec la social-démocratie, semble impulser le contraire: concentrons toutes les forces à tel endroit du globe, tel jour, à telle heure (en suivant les diktats des sommets et contre-sommets!), mais que politiquement chacun fasse ce qu’il veut, que chaque groupe se constitue selon ses affinités, s’unifie selon ses idées (et, évidemment, sans centralisation).

L’intérêt du prolétariat est unique et mondial, et il ne peut l’imposer qu’en s’unifiant contre toutes les divisions produites par la société du capital, dont le credo, la règle est la lutte de tous contre tous. Femmes, vieux, enfants, sans-emploi, arabes, noirs, mineurs, ouvriers agricoles, étudiants, jeunes, asiatiques, latino-américains, européens, africains, jaunes, écoliers, "sans terre", habitants des bidons-villes,... ont tous, indépendamment de ce qu’ils croient, pensent ou de ce qu’on leur a fait croire et penser, le même intérêt à abolir la société bourgeoise.

Mais l’idéologie dominante utilise n’importe quel prétexte pour imposer les divisions de race, de sexe, de culture, de religion, d’ethnie,... et même parmi les groupes en rupture, l’idéologie de la liberté et de l’affinité continue à prédominer. Au lieu de développer l’unité prolétarienne, on reproduit, au nom de la spécificité locale, de la liberté de chacun toutes les séparations de la société bourgeoise et on appelle à se constituer en autant de regroupements basés sur des divisions imposées par le capital en fonction de la culture, de la race, de la religion, ou des goûts et des coutumes, à l’image de ces groupes qui rassemblent les amateurs d’un style de musique particulier, des homosexuels, des protecteurs des animaux, des collectionneurs de boites de Coca-Cola...

L’intérêt de la révolution communiste est de remettre à l’ordre du jour la critique du capital jusque dans ces fondements, la destruction du travail salarié, de la marchandise, de l’Etat,... et donc, de mettre comme toujours au centre de ses préoccupations la question du pouvoir, la nécessité de l’insurrection prolétarienne, de la destruction de l’Etat.

Mais l’idéologie qui prédomine dans ce milieu pousse chacun à imaginer les changements comme il l’entend, à critiquer le capitalisme comme bon lui semble, à élaborer des plans et à se regrouper par affinité,... Comme si la destruction du capitalisme n’allait pas forcément de pair avec l’abolition du pouvoir armé de la bourgeoisie, comme s’il y avait trente-six manières de détruire la société bourgeoise, comme si les siècles d’affrontements de classe n’avaient pas tranché, dans la pratique, ce qui est révolutionnaire et ce qui ne l’est pas.

L’intérêt de la révolution communiste c’est, quel que soit l’endroit, l’action prolétarienne contre le capital mondial, l’action directe contre la bourgeoisie et l’Etat qui nous font face (55), la généralisation de ces affrontements contre le capital et l’Etat mondial.

Une autre idéologie prédominante dans de nombreux groupes prolétariens en rupture avec la social-démocratie consiste à faire de gros efforts pour envoyer des activistes aux manifestations.

L’intérêt du prolétariat est de rompre totalement et de façon irréversible avec la social-démocratie et tout son programme, ce qui implique la rupture avec la démocratie, l’anti-impérialisme et le tiers-mondisme.

L’idéologie dominante, au nom de la liberté, pousse les prolétaires à une unité sans principe, sans programme, sans rupture claire et, souvent, ils tombent dans le piège social-démocrate de l’appui critique à la démocratie. L’intérêt du prolétariat est de s’organiser en tant que force, en tant que puissance internationale coordonnant et centralisant programmatiquement les actions éclatant aux quatre coins de la planète.

Plus l’action sera décentralisée et la direction centralisée, plus la lutte du prolétariat sera puissante (56).

L’idéologie activiste impulse au contraire la décentralisation politique et la centralisation opérationnelle, l’absence d’unité de direction et le fait que tous aillent au même cirque.

Le mouvement du prolétariat est un

Cependant, le mouvement du prolétariat mondial, notre mouvement, est un et ce, que les protagonistes en aient conscience ou pas: ceux qui sont entrés dans Quito en se battant qu’ils le sachent ou non, mènent le même combat que ceux qui cassent des vitrines à Seattle et que ceux qui s’affrontent en ce moment à l’Etat bourgeois en Algérie et, pourrions-nous rajouter en guise de provocation, que les sans terres au Brésil, les déserteurs et les défaitistes révolutionnaires du monde entier ou les "anticapitalistes" et "anti-étatistes" qui constituent de petits groupes pour affronter le capitalisme sur des barricades.

Et pourtant, aucun de ces mouvements ne perçoit à quel point il fait partie d’un même mouvement d’abolition des conditions existantes. Le prolétariat comme classe ne s’est encore réapproprié ni son expérience, ni sa force. Dans d’autres articles nous expliquons les raisons de cette inconscience généralisée de classe et nous en expliquons les raisons historiques qui peuvent se résumer au triomphe de la contre-révolution au XXème siècle et à l’occultation de toute l’histoire de la lutte révolutionnaire.

Ici, nous avons décidé de nous concentrer sur les barrières qui empêchent aujourd’hui le prolétariat, dans ses différentes expressions internationales, de percevoir son appartenance à une seule et même classe révolutionnaire. Nous n’irons pas plus loin dans le thème du "que faire", de l’"ici et maintenant". Pour cela, revenons à nos exemples de l’Equateur et de Seattle, afin d’illustrer l’actuelle séparation existant entre des mouvements en apparence si différents.

Malgré la séparation existante et l’inconscience du fait qu’il s’agisse d’un même mouvement, dans les deux cas, le prolétariat s’affronte aux mêmes ennemis et rencontre, dans une certaine mesure, les mêmes limites idéologiques. Dans les deux cas, l’affrontement au capitalisme, la rupture accomplie sur le terrain et qui tend à s’organiser en dehors et contre la fraction social-démocrate locale, n’est ni théorisée ni assumée pratiquement de manière permanente. C’est pour cela que, lorsque le mouvement quitte la rue, la social-démocratie parvient toujours, quoique de manières différentes, à rattraper le mouvement qui lui échappe pour y réintroduire toutes les séparations.

Or, la question de la rupture avec la social-démocratie et celle de l’assumation du mouvement du prolétariat mondial en tant que mouvement unique constituent un seul et même problème. Seule une rupture permanente et organisée, amenant à ses ultimes conséquences la critique développée ici, permettra au prolétariat du monde entier de se reconnaître comme tel. Et réciproquement, seul le fait de se reconnaître comme un seul mouvement, en s’organisant en conséquence au niveau international, permettra au prolétariat d’assumer une fois pour toute la rupture avec la social-démocratie. C’est la seule possibilité pour que chaque action directe du prolétariat dans un endroit précis soit vécue ailleurs comme l’affirmation du même être organique et puisse se doter d’une véritable direction internationale. Parler d’affrontement historique entre internationale du capital et internationale révolutionnaire prendra alors tout son sens.

Que faire?

L’analyse du rapport de force objectif n’a pas pour objet la contemplation du monde "tel qu’il est". Elle constitue, au contraire, pour les révolutionnaires la base de l’action subjective. Il ne s’agit pas de décrire le monde, mais de le transformer.

De l’Equateur à Seattle, nous sommes tous dans la même galère, tous dans la même société capitaliste contre laquelle on se bat comme on peut. Il s’agit d’une communauté de lutte qui s’affirme et se démarque.

Nous sommes profondément impliqués dans ces deux types de mouvement à travers le monde; nous luttons pour que chaque expression du prolétariat assume cette opposition à tout le capital et prenne donc conscience d’appartenir à un même mouvement mondial d’abolition du capital et de l’Etat. Quand nous disons "nous", nous ne nous référons pas seulement à notre petit groupe formel, mais aux minorités révolutionnaires organisées qui, à contre courant, luttent pour la constitution du prolétariat en classe, et donc en parti au niveau mondial, et qui, contre la mode et les éternels inventeurs du "néo" qui disent que cela est dépassé, n’ont pas peur de l’affirmer.

Ce qui est développé ici est en même temps une centralisation du débat qui grandit au sein de ces minorités révolutionnaires, qui part de leur action, et qui, bien ou mal coordonnées entre elles, de l’Albanie à la Bolivie, de la Russie à l’Iran,... luttent à contre-courant pour affirmer cette force unique du prolétariat mondial. Dénoncer la social-démocratie comme nous le faisons dans ce texte, dans n’importe quelle assemblée ou sur les barricades, fait partie de cette même communauté de lutte. La critique sans concession de l’activisme et du centrisme faite par nos camarades aux quatre coins du monde aussi.

Mais cela ne nous empêche pas de donner des consignes positives pour participer au processus de gestation de la direction dont le prolétariat a besoin. Que faire alors pour pousser à la réunification du prolétariat et à sa rupture avec la social-démocratie? D’où proviendra le saut de qualité?

En principe, il peut surgir n’importe où. La généralisation géographique d’un mouvement comme celui qui s’est développé en Irak il y a quelques années, en Albanie, en Equateur plus récemment, peut être décisive. Si ces mouvements ne se sont pas plus étendus, c’est à cause de l’incapacité du prolétariat des autres coins de la planète à se reconnaître en eux et à prendre le même chemin. Et pourtant, dans une période qui se caractérise par l’inexistence d’associations permanentes de prolétaires au niveau mondial, seule la coordination et la centralisation des minorités communistes des régions en lutte ouverte avec celles des autres parties du monde pourront assumer une continuité à ce mouvement et tendre à unifier sa direction.

Cela veut dire que, même dans ce cas, l’action volontaire et consciente des minorités révolutionnaires sera décisive. Concentrons-nous donc sur ce qu’elles ont à faire.

Et plus concrètement, devons-nous impulser ces déplacements massifs aux sommets et contre-sommets "pour affronter le capital et l’Etat" ou au contraire devons-nous nous organiser d’une autre manière et impulser une autre perspective?

Même si nous reconnaissons notre mouvement dans le mouvement prolétarien de rupture contre les sommets et anti-sommets, à l’intérieur de celui-ci et vu tout ce qui est exposé plus haut, nous défendons la nécessité de s’organiser en dehors et contre, et de développer notre force d’une autre manière, à d’autres dates, avec une total autonomie organisative et politique vis-à-vis de la droite et de la gauche du système. Mais, nous dira-t-on, comment alors internationaliser le mouvement? Comment unifier la lutte si ce n’est en concentrant nos forces en un lieu, un jour déterminé?

Malgré toutes les critiques émises jusqu’ici, nous considérons ces tentatives d’organisation des minorités pour l’action directe, qui pour le moment dépendent de ces sommets et anti-sommets, comme fondamentales; mais dans ce mouvement, nous défendons une perspective beaucoup plus démarcatoire au niveau du programme et de l’action, comme nous l’avons exposé. Nous défendons la perspective de décider des moments, des dates auxquels les prolétaires descendront dans la rue pour s’affronter au capital, affirmant la conscience d’appartenir à une seule et même classe ayant exactement les mêmes ennemis partout, comme ce fut le cas pour le premier mai! Et comme nous continuerons à lutter pour qu’il en soit à nouveau ainsi! A ce sujet, nous devons signaler que différents groupes et organisations qui rompent avec l’activisme stérile et contre-productif s’opposent au fait d’"aller tous dans telle ville, à telle date", et proposent déjà de s’organiser d’une autre manière, sans dépendre des calendriers des sommets.

Seulement, il faut que tout cela aille de pair avec une rupture totale contre tout le spectacle activiste mis en scène lors du cirque des sommets et des contre-sommets. Il faut refuser de "montrer aux prolétaires pauvres et moribonds" par le biais de la télévision que, "ici, en Europe, il y a des gens courageux" comme le prétendent les syndicalistes. Il ne faut pas partir de cette séparation avec les "moribonds" d’un côté et "ceux qui savent" de l’autre. Il ne faut pas consacrer le dualisme entre "ceux qui ne peuvent rien faire" et "les activistes" qui luttent dans tel ou tel rassemblement spectaculaire sur le mode voulu par cette mise en scène.

Au contraire, dans chaque action, nous défendons la nécessité de s’organiser partout dans le monde, nous défendons que toute action peut se mener, se développer même là où jamais ne se réuniront les sommets, même là où jamais la social-démocratie n’aura à organiser de anti-sommets. L’action directe s’oppose totalement à la logique du spectacle. Le spectacle montre des acteurs et paralyse les spectateurs, qui pour beaucoup, applaudissent. Il provoque un affrontement spectaculaire entre spécialistes de la répression et spécialistes du changement social. L’action directe de l’avant-garde prolétarienne, quant à elle, pousse à sa reproduction partout.

Dans ce sens, le saut de qualité réside dans la rupture avec le concept de solidarité qui exprime, dans le fond, un concept fondamentalement caritatif et qui émerge de l’idéologie judéo-chrétienne: on agit pour les pauvres et les moribonds qui vivent à l’autre bout du monde. Nous devons ouvertement affirmer face à cela, que ce que nous faisons, nous ne le faisons pas "pour les pauvres du monde", mais parce que nous sommes tous et partout exploités et opprimés par le même système social; parce que nous avons tous et partout les même intérêts et les mêmes ennemis; parce que nous sommes la même chair et la même lutte historique des exploités de toujours contre tous les systèmes d’exploitation et d’oppression. La révolution sociale est une nécessité du prolétariat mondial et non de tel ou tel groupe d’activistes.

Nous n’avons rien à montrer et surtout pas à la télévision ou sur Internet (même si nous utilisons l’un ou l’autre moyen de communication), au contraire, nous devons pratiquer un type d’action directe qui soit parfaitement reproductible par le prolétariat où qu’il se trouve.

Si nous, et les militants et révolutionnaires qui aujourd’hui se définissent par leur lutte contre le capital et l’Etat et savent l’importance historique de la rupture avec la social-démocratie, au lieu de rassembler des forces pour participer au cirque des sommets et des anti-sommets, nous concentrons nos efforts dans le temps et non dans l’espace, cela pourrait constituer une avancée décisive pour le mouvement. Parce que, en effet, nous considérons cela bien plus pertinent, fort et efficace que d’envoyer "tout le monde" dans telle ou telle ville, parce que c’est en cohérence avec l’action directe et que cela pousse à son développement partout, nous défendons qu’il faut coordonner les dates et heures de l’action dans tous les pays contre les mêmes objectifs. En différents endroits, existe déjà une tendance révolutionnaire embryonnaire qui pousse en ce sens. En Espagne par exemple, dans les journées appelées "journées de lutte sociale" ou "journées anticapitalistes" s’exprime déjà, de manière minoritaire, une tendance à définir d’autres objectifs, à fixer d’autres dates, à développer d’autres formes de lutte qui ne soit ni la lutte contre les sommets, ni le spectacle activiste.

Mais le saut de qualité nécessaire sera franchi lorsque la puissance de lutte qui se manifeste pour le moment exclusivement dans les manifestations contre les sommets et les anti-sommets s’assumera en tant que partie d’un seul et même mouvement du prolétariat, qu’il éclate en Equateur, en Albanie, en Indonésie ou ailleurs. Le saut de qualité se jouera dans le fait que demain, quand éclaterons d’autres expressions de ce mouvement, nous sachions alors concentrer nos forces pour affirmer notre solidarité avec ce mouvement. Mais pas une solidarité de façade, pour le spectacle, pas une démonstration qu’ici nous faisons des choses pour les prolétaires "moribonds" de là-bas. Mais tout au contraire, en nous rendant forts partout, en généralisant le mouvement prolétaire qui se développe dans un pays; en sortant dans la rue et en s’affrontant à la bourgeoisie et à l’Etat qui nous fait face, pour affirmer pratiquement que nous sommes le même mouvement d’abolition de la société bourgeoise, que nous avons exactement les mêmes objectifs que ceux pour lesquels luttent les prolétaires de ce pays qui est à ce moment en pleine effervescence contre le système social bourgeois.

En effet, comme nous l’avons déjà répété à plusieurs reprises, le grand drame des explosions prolétariennes qui éclatent en différents endroits du monde, dans différents pays et différentes langues, c’est précisément leur isolement. C’est lui qui permet à la bourgeoisie mondiale de continuer à attaquer le prolétariat paquet par paquet, pays par pays, c’est lui qui empêche, lorsque des réponses prolétariennes éclatent violemment en un endroit, que les prolétaires des autres pays se rendent compte de la lutte que mène leurs frères de classe. Et nous insistons sur le fait que c’est la bourgeoisie mondiale qui affronte le prolétariat dans chaque pays. En effet, la faiblesse de l’action prolétarienne, par exemple dans les pays européens et aux Etats-Unis, a permis que l’OTAN intervienne allègrement, sans un défaitisme révolutionnaire conséquent dans leur pays d’origine, pour désarmer et réprimer le prolétariat insurgé en Albanie. Et le pire, c’est que toute cette force prolétarienne qui s’exprime contre les sommets et les anti-sommets, à cause de l’idéologie activiste dominante, n’est même pas consciente que notre force est aussi celle-là, et qu’ici et maintenant on peut empêcher que le prolétariat reste seul pendant que la bourgeoisie reçoit l’appui inconditionnel de ses pairs.

L’aspect fondamental de la lutte contre le cirque des sommets et des anti-sommets, c’est que de nombreux prolétaires s’organisent pour affronter le capitalisme mondial, qu’ils parviennent à concentrer leurs forces, à frapper en même temps le même ennemi; c’est qu’il y aie des minorités qui, au nom de la révolution, descendent dans la rue pour affirmer l’internationalisme prolétarien et que l’on recommence à discuter du comment et du que faire. L’important, c’est que les questions centrales de la lutte prolétarienne, de la destruction du capitalisme et de l’Etat, de la stratégie révolutionnaire redeviennent un terrain de polémiques.

Mais nous ne sommes pas encore capables de bien diriger cette force que nous avons réussi à concentrer, nous ne sommes pas encore capables d’empêcher que la carotte et le bâton ne liquident le mouvement de tel ou tel pays, en le soumettant à un cruel et pathétique isolement.

Utilisons cette force capable de manifester, de casser, d’attaquer la bourgeoisie et l’Etat dans chaque pays, faisons-la coïncider avec les mouvements qui éclatent en différents endroits pour empêcher qu’on l’isole, brandissons dans ces luttes le drapeau révolutionnaire de l’unification de la lutte contre le capital, mondialisons la réalité et la conscience de notre mouvement, développons la force unique du prolétariat international.

Assumons cette tendance historique du prolétariat à se reconstituer et à se reconnaître comme classe, à affirmer son programme révolutionnaire, à se constituer en force, en parti mondial pour la destruction du capitalisme.

Notes

1. Tout au long de cet article, nous utilisons les termes "sommet" et "congrès", pour parler des grandes réunions d’organismes capitalistes internationaux qui suscitent les protestations prolétariennes. Et quand nous parlons des "anti-sommets", nous nous référons plus précisément aux protestations officielles de la gauche bourgeoise, de ses partis et syndicats officiels; protestations caractérisées par des manifestations de rue, des congrès parallèles, ou encore des réunions ou des forums alternatifs.
2. Cf. "Caractéristiques générales des luttes de l’époque actuelle" in Communisme n°39, octobre 1993.
3. Voir à ce propos: "La catastrophe capitaliste" in Communisme n°38, avril 1993.
4. Voir à ce sujet: "Amérique Latine: Contre le mythe de l’invincibilité des forces répressives" in Communisme n°51.
5. Voir notre article: "Caractéristiques générales des luttes dans l’époque actuelle", in Communisme n°39.
6. Prétendre que des vieilles histoires sont "nouvelles" n’est pas non plus un phénomène nouveau. Dans ce domaine, la prétention bourgeoise à produire autant d’idées que de marchandises se retrouve tout au long du 20eme siècle; cf. idées modernes, économistes néo-classiques, néo-classicisme, nouvelle vague, new age,...
7. Il est difficile d’imaginer les volte-face et les pirouettes idéologiques qu’ont dû faire ces marxistes-léninistes pour expliquer que le passage du "capitalisme au socialisme" nécessite une révolution violente, mais que cela n’est pas valable dans l’autre sens!
8. La qualification de "gauchiste" n’a en réalité aucune base objective et se base sur quelque chose de totalement idéologique, qui varie en fonction des régions. Ainsi, en Amérique Latine ou en Europe, la défense du stalinisme ou du castrisme passe encore pour une politique de gauche, alors que dans les ex-pays de l’Est, elle est assimilée au fascisme et en général à l’extrême-droite.
9. Postulats de base du terrorisme de l’Etat mondial qui deviendront universels à partir de là.
10. Pour une explication plus détaillée des contradictions générales entre fractions capitalistes voir Communisme n°51 "Le Kosovo et les bombardements de la Yougoslavie par l’OTAN. Enième épisode de la guerre dans les Balkans".
11. Ce qui n’est pas une tâche aisée puisque, comme nous le verrons, ces tentatives d’encadrement social-démocrate se voient régulièrement débordées par le prolétariat qui développe ses propres ruptures, cf. Seattle, Washington, Prague, Götteborg, Naples, Gènes,...
12. Nous ne voulons ni ne prétendons ici formuler de critique à l’égard des camarades révolutionnaires qui s’auto-proclament libertaires ou anarchistes. Nous avons déjà expliqué longuement notre position à ce propos, qui se veut indépendante de toute dénomination ou idéologie et, dans de prochaines publications, nous nous pencherons plus globalement sur la relation existant entre communisme et anarchisme. Ce que nous voulons ici, c’est combattre l’idéologie dominante basée sur la fameuse libre-pensée bourgeoise et sa célèbre maxime "chacun fait ce qui lui plaît", valable pour les individus comme pour les groupes, et la non moins fameuse "liberté de critique". Cette idéologie a eu une énorme influence dans les coulisses de Seattle, Davos, Porto Alegre,.... Elle s’accompagne presque toujours de l’idéologie activiste et immédiatiste qui, dans tous les cas de figure, constitue une entrave à la nécessaire organisation du prolétariat en force politique unifiée, capable de se doter d’une direction unique pour l’action et la préparation insurrectionnelle.
13. A titre d’exemple, le Forum Social Mondial de Porto Alegre, dont nous parlerons plus tard, fut élaboré par l’ensemble de ces organisations, presque toutes internationales, avec l’appui du Parti des Travailleurs du Brésil, de la Centrale Unique des Travailleurs et la représentation officielle du "Mouvement sans Terre", également brésiliens.
14. L’impérialisme est un phénomène bien antérieur à la date à laquelle la social-démocratie le rendit célèbre. Le capitalisme a toujours été impérialiste. Et la lutte impérialiste que se livrent les classes dominantes afin de s’approprier les forces de production, précède même le capitalisme en tant que mode de production. Si la social-démocratie, et le marxisme-léninisme en particulier (toutes formes confondues, du stalinisme au trotskisme, du maoïsme au castrisme), ont fait de l’impérialisme un phénomène nouveau, ce n’est que pour justifier les changements opportunistes de leur politique, et ce précisément sous prétexte que les choses avaient changé. Ainsi, le renoncement à la lutte contre le capitalisme et sa substitution à la lutte contre l’impérialisme (que l’on confond en général avec la lutte contre tel ou tel pays) est devenu la norme générale. Cf. sur ce sujet, Théories de la décadence, décadence de la théorie: le pire produit de l’impérialisme: l’anti-impérialisme, in Le Communiste n°25, novembre 1986.
15. Cf. le numéro spécial dédié par le magazine Hika au Forum Social Mondial sous le titre "Un autre monde est possible", (P.K.871, 48080 Bilbao Espana ou hikadon@telenis.es).
16. La version originale de ce texte a été publiée dans notre revue centrale en espagnol, avant la réunion du G8 et les manifestations anti-sommet qu’il a suscitées à Gênes. Cette traduction, par contre, en est postérieure. Nous faisons un commentaire sur la répression de ces manifestations à la fin de ce texte.
17. Plus loin, le lecteur comprendra pourquoi nous précisons "tentant d’imposer son action directe" et non "assumant son action directe".
18. Nous avons déjà précisé que c’est un mythe de croire que le futur du capital mondial puisse se décider dans ce type de conférences. Ceci dit, les bourgeois sont aussi obligés de se centraliser formellement pour passer des accords, pour tenter de tracer des perspectives et imposer des politiques économiques plus uniformes, telles celles qui caractérisent la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International. La bourgeoisie de chaque pays utilise d’ailleurs de plus en plus les négociations et les exigences de ces institutions pour justifier leur propre politique d’austérité. D’où cette rage prolétarienne "naturelle" contre tout cela, et le fait que dans chaque pays, on s’affronte également aux missions de ces organismes et aux paquets de mesures qu’ils veulent ajouter.
19. Ce qui se trouve entre guillemets n’est pas le fruit de nos propres élucubrations, mais de celles issues des virtuelles passions des protagonistes de Porto Alegre. Nous les avons extraits textuellement de la presse des protagonistes de ce Forum, en particulier du numéro que la revue Hika a dédié au Forum Social Mondial, déjà cité dans la note 14.
20. Avant d’imprimer ce texte, certains camarades ont marqué leur désaccord quant à notre critique envers Hebe Bonafini, qu’ils considèrent comme une prolétaire en lutte depuis bien des années, menant une lutte particulièrement difficile à contre courant de la récupération démocratique d’une fraction des "Mères de la place de Mai". Nous répondrons simplement que notre objectif est ailleurs. Nous voulons dénoncer un spectacle contre-révolutionnaire et nous regrettons amèrement qu’une personne comme Hebe Bonafini, remarquable par sa lutte, se soit prêtée à ce cirque. Comme nous le mentionnons tout au long du texte, notre intérêt est d’appeler les militants à ne pas se rendre complice de la social-démocratie et du spectacle de la contestation, à se situer en dehors et contre eux. La présence de militants révolutionnaires tels que H. Bonafini tombe à point nommé pour ces pseudo-contestations social-démocrates, elle apporte un cachet de radicalité au Forum de Porto Alegre et à l’antiglobalisation dirigée par Attac et consorts... Toute l’histoire du front-populisme est jalonnée de ces utilisations de militants prolétariens: en 1936, en Espagne, le Front Populaire, qui plus tard liquidera la révolution sociale, s’affirma de fait grâce à la présence de militants tels que Durruti qui, contre la position historique des révolutionnaires, appela à voter pour le Front Populaire.
21. Extrait d’un tract signé par le Mouvement Anti-capitaliste Révolutionnaire (Ap. de Correos 265, 08080, Barcelone, Espagne) qui exprime clairement l’opposition réelle entre bourgeoisie et prolétariat. Nous ne pouvons nous empêcher de signaler cependant que, selon nous, le terme "jeunesse prolétarienne" (au lieu de "prolétariat") relève d’une concession à la mode. Dans ce même document, on recommande également la lecture du numéro 144, troisième année, du Bulletin de contre-information de Barcelone (http://www.sindominio.net/zitzania) "pour une véritable information sur ce qui s’est passé à Nice".
22. Selon une estimation publiée lors du sommet de Washington, les dépenses en matière de sécurité se montaient à 32 millions de dollars. Nous n’avons aucune idée de ce que comprend une telle somme, et encore moins de ce que ce chiffre cache pour des raisons de sécurité.
23. Le régime de Saddam Hussein, en Irak, ou celui de Chavez, au Venezuela peuvent représenter des nuances dans cette politique générale, mais nous le répétons, cela n’est en rien comparable avec un phénomène généralisé et ancré dans le temps, tel que le fut le stalinisme.
24. La catastrophe capitaliste s’approfondit. Inverser la roue de l’histoire est une utopie réactionnaire. Seule la destruction du capital ouvrira à l’humanité la possibilité de construire un autre monde, un monde qui n’aura rien avoir avec le capitalisme d’il y a quelques dizaines d’années.
25. En ce qui concerne le mouvement du prolétariat en Equateur, nous renvoyons à la lecture de "Nous Soulignons: Amérique Latine: Contre le mythe de l’invincibilité des forces répressives" in Communisme n°51. La comparaison que nous proposons ici pourrait s’appliquer à n’importe quelle grande révolte prolétarienne, comme au Venezuela, en Albanie, en Irak,...
26. Nous n’avons aucun intérêt à séparer ces mouvements. Ce que nous voulons, c’est insister sur le contenu unique du mouvement du prolétariat et sur la nécessité de sa centralisation révolutionnaire. Cependant, le fait que pour le moment la séparation et la distinction existe, le fait que, dans les deux exemples que nous avons pris, les protagonistes eux-mêmes ignorent qu’il s’agit d’un seul mouvement, nous a incités à nous appesantir sur les différences, à pousser les tendances en présence jusqu’à leurs expressions extrêmes (quitte à présenter les différences d’une manière beaucoup plus pures qu’elles ne le sont en réalité), afin de les analyser. En effet, analyser les différences les plus extrêmes permet de développer une critique camarade précise pour chacune de ces expressions, et en même temps, de montrer que nous sommes face à un même mouvement. La caricature suivante permet de comprendre notre méthodologie: admettons que le mouvement en Equateur parte de la misère économique et celui de Seattle, de la conscience politique, il apparaît alors évident que cette séparation est une caricature, mais cela peut nous aider à débroussailler les différentes actions propres à chacun des cas et à comprendre, ou mieux dit, à assumer qu’il s’agit, comme nous le réaffirmons à la fin du texte, d’un seul et même mouvement, le mouvement social pour l’abolition du capital. Si nous insistions seulement sur le fait que toute lutte fait partie d’un seul mouvement, que tout est égal, ce qui est vrai en dernière instance, il serait presque impossible de formuler une explication basée sur la comparaison, telle que nous le faisons ici.
27. La social-démocratie, le marxisme-léninisme, l’anarcho-syndicalisme parlent du passage de l’économique au politique, ou de la transformation des luttes immédiates en luttes historiques, comme si elles étaient de nature différente. Ils attribuent en général ce changement à l’apport de la conscience, ou à l’action politique du parti. En ce qui nous concerne, nous qui refusons cette séparation (voir les Thèses d’orientation programmatiques, GCI, numéros 15, 31, 32 et 33), nous préférons parler de généralisation des revendications immédiates. Les contradictions de classe contiennent en elles leur généralisation, ce qui implique que toute lutte contre les conditions concrètes d’exploitation, contre les mesures bourgeoises d’austérité (augmentation du taux de plus-value), même si elle ne se développe que de façon géographiquement limitée, contient la lutte contre cette société d’exploitation dans son ensemble. Ce qui détermine le passage à la généralisation n’est pas l’action politique des éléments d’avant-garde mais, au contraire, le développement des intérêts du prolétariat qu’aucune lutte particulière ne peut mener à la victoire, qu’aucune revendication particulière ne peut satisfaire et qui tend, y compris contre l’intervention des activistes politiques, à se généraliser en lutte contre le capital et l’Etat. En général, comme nous le mentionnons dans la thèse n°15, le saut qualitatif se concrétise par le dépassement des organisations exprimant des revendications partielles (organisations de travailleurs, associations classistes, comités d’usines,...) et par le passage à des organisations territoriales où se retrouvent tous les prolétaires -femmes et hommes, travailleurs et sans emploi, vieux et enfants,...-, comme les conseils ouvriers, les comités d’approvisionnement, les assemblées d’une ou de plusieurs villes.
28. Au milieu du 19° siècle, Marx critiquait déjà la prétention visant à évaluer qu’un mouvement serait plus global par le fait qu’il serait plus politique et d’ainsi se baser sur la volonté politique révolutionnaire. Marx démontrait au contraire que la rébellion prolétarienne, même si elle ne se déroule que dans une seule région, contient en elle la totalité. Voir à propos de cette discussion avec Ruge: Notes critiques à l’article "Le Roi de Prusse et la réforme sociale. Par un prussien", Karl Marx.
29. Qu’ils en soient conscients ou non, les prolétaires qui assument et revendiquent l’action minoritaire violente rompent avec la démocratie, même si elle s’appelle "démocratie ouvrière". Ils assument le fait que l’action révolutionnaire n’a rien en commun avec les référendums démocratiques et les congrès, que le prolétariat ne peut se constituer en force qu’en coordonnant et centralisant les différentes expressions qui assument, sans consultation préalable, les différentes tâches révolutionnaires. C’est au travers de ce processus, de cette affirmation de la communauté d’intérêts et de lutte, que le prolétariat se reconstitue en tant que classe et, par conséquent, s’organise en parti opposé à tous les partis existants.
30. On peut lire une critique de cette idéologie et de la façon dont elle se présente aujourd’hui dans le texte "Abandonne l’activisme", publié en anglais, dans "Reflections on June 18. Contribution on the politics behind the events that occured in the city of London on June 18, 1999" Edit. Collective, Octobre 1999. Ce texte rassemble plusieurs contributions intéressantes, mais il faut cependant signaler deux choses. Tout d’abord, la conception idéologique et intellectualiste des auteurs. Ces derniers n’analysent l’activisme ni comme faisant partie de la pratique sociale du prolétariat international, de ses forces, de ses faiblesses (et donc de rapport de forces par rapport au capital), ni comme un produit objectif du mouvement. Ils le considèrent comme le produit subjectif exclusif des "activistes". Il faut également signaler le manque de contre-proposition révolutionnaire, de revendication de l’activité révolutionnaire spécifique qui depuis toujours a caractérisé les fractions les plus décidées du prolétariat, l’activité révolutionnaire internationaliste.
31. Nous n’utilisons jamais le mot "principe" pour définir notre mouvement historique car celui-ci ne part pas de principes. Souvenons-nous que la première formulation de ce qui plus tard sera le "Manifeste du Parti Communiste" de 1847, réalisé par Engels, portait le titre de "Principes du Communisme", et que Marx et Engels considérant cette formulation inadéquate, décidèrent de la changer.
32. Voir à ce propos: "Faux recours à l’activisme", dans Invariance, numéro 3.
33. On pourrait nous rétorquer que la classe exploitée agit toujours en fonction des déterminations de la classe dominante, que le capital est le sujet de cette société et que le prolétariat ne peut surgir qu’en tant que négation. C’est exact mais, dans ce cas précis, il ne s’agit pas d’une réaction spontanée et généralisée du prolétariat face à une attaque bourgeoise qui, même si elle détermine également l’action du prolétariat par son agression, ne peut prévoir comment il réagira, à quel moment il décidera de passer à l’action, ni quelle action il développera. Dans le cas des sommets et anti-sommets, c’est l’inverse, l’action du prolétariat est complètement déterminée et connue publiquement à l’avance.
34. Extraits de tracts, de conversations et de lettres de camarades.
35. Pour la majorité de ces groupes (en réalité pseudo-radicaux) qui l’utilisent dans un sens immédiat et erroné, le terme "radicaliser" signifie donner un caractère violent au cortège social-démocrate, déborder les messes d’Attac par l’"action directe" (voir la critique de l’utilisation du terme "action directe" plus loin), ce qui dans le fond s’oppose à la seule politique qui intéresse le prolétariat, et qui consiste à se situer en dehors et contre ces manifestations contre-révolutionnaires. Pour nous, radicaliser signifie aller à la racine, lutter pour détruire les racines mêmes de la société bourgeoise, autrement dit détruire ses fondements, la valeur, le travail salarié,... tous ces "petits détails" programmatiques dont ne font jamais mention tous ces groupes.
36. Et c’est là un des problèmes majeurs du prolétariat. La social-démocratie ne doit pas être critiquée pour ses déviations, mais parce qu’elle fait partie du capital; il ne faut pas dénoncer son pacifisme, mais l’affronter par la violence révolutionnaire, parce que ce pacifisme n’est qu’un élément idéologique qui lui permet de mieux nous infliger sa violence contre-révolutionnaire (souvenons-nous que la social-démocratie a depuis toujours utilisé la violence... contre la révolution!).
37. Rappelons que cet article a été écrit avant la réunion du G8 à Gènes. Les manifestations qui se déroulèrent à cette occasion montrent à suffisance ce que nous dénonçons ici: un mort, des centaines de blessés dans nos rangs et l’impunité pour les corps répressifs
38. Au travers de cette médiatisation, l’"action directe" se transforme également en une caricature!
39. Et c’est une des grandes préoccupations de la bourgeoisie, et plus particulièrement des partisans de la libération nationale, qu’exprime un journaliste français: "(...) Les jeunes en Kabylie ne croient plus à rien, ils ne croient plus qu’en la violence, ils ne sont absolument pas intéressés par l’indépendance, et les organisations indépendantistes, bien qu’elles fassent tout leur possible, ne parviennent pas à les contrôler."
40. En son temps déjà, Bernstein voulait supprimer l’"hégélianisme" de Marx parce que la question de la transformation de la quantité en qualité, de la transformation de l’évolution de la contradiction en révolution, le dérangeait fortement...; il entendait escamoter son "blanquisme" également, parce qu’il détestait encore plus le fait que cette révolution prolétarienne implique nécessairement la conspiration révolutionnaire et l’insurrection. Aujourd’hui, on retrouve dans le mouvement cette tendance à éluder la rupture, le saut de qualité, la révolution, l’insurrection...
41. L’"anti-impérialisme" est en réalité toujours la défense du capitalisme impérialiste. Etre anti-impérialiste sans être anti-capitaliste est absurde non seulement parce que tout capitalisme est nécessairement impérialiste, parce que tout Etat (capital organisé en force impérialiste), tout en assurant l’exploitation et l’oppression de "son "prolétariat, représente dans le camp de la lutte impérialiste une fraction bourgeoise contre une autre, mais aussi parce que, en tant que capital, il est par nature pro-capitaliste. Cela se traduit par l’opposition exclusive à telle ou telle fraction, à telle ou telle institution (FMI, OTAN, BM, comme avant la signature du Pacte de Varsovie), à tel ou tel pays, ce qui, dans les faits est capitaliste et de surcroît totalement impérialiste.
42. L’essence du capitalisme est invariante. Toutes les oppositions entre phases compétitives et phases monopolistes, entre période de libre concurrence et période impérialiste du capitalisme n’ont jamais été que des couvertures idéologiques de l’opportunisme pour la défense du "bon côté" du capitalisme: "démocratie", industrialisation, et, en réalité, soutien à l’un des blocs dans la guerre impérialiste.
43. L’organisation du prolétariat en force historique requiert une structuration totalement antagonique à ces divisions bourgeoises. Plus riche sera l’organisation prolétarienne, plus elle parviendra à mélanger, dans ses cellules, les prolétaires de cultures, sexes, origines, âges, races, pratiques antérieures, différentes et à dépasser les barrières et le morcellement que le capital nous impose pour reformer la communauté humaine mondiale.
44. Considérer que ce sont ces institutions qui exploitent constitue évidemment une révision, une falsification du concept même d’exploitation comme nous l’expliquons ailleurs dans cet article.
45. Voir notre article La question de la dette: assez de prose in Le Communiste n° 25, Juillet 1998.
46. Ce qu’on nomme de façon erronée capitalisme d’Etat, comme si le capitalisme changeait de nature du fait de son étatisation juridique, qui ne coïncide pas nécessairement avec la réelle concentration, centralisation et étatisation économique du capital, ainsi que nous l’avons déjà exposé à plusieurs reprises.
47. En quoi est-elle nouvelle?
48. Les organisations qui ont signé ce tract sont les suivantes: Juventude Em Luta Revolucionaria, Jornal Espacio Socialista, Comité Marxista Revolucionario, Anarcho-Punks, Movimiento Che Vive (RJ), Coletivo pela Universidade Popular (Porto Alegre), Secretaria Estadual de Casas de Estudiantes de Goiás, Grupo Cultural Semente de Esperança, Açao Global por Juticia Local, Resistencia Popular - RJ/PA, Núcleo Zumbi Zapatista - Abc Paulista, Estrategia Revolucionaria, Socialismo Libertario-Brasilia, Federación Anarquista Uruguaya, Açao Revolucionaria Marxista (RJ), Frente de Luta Popular, Juventude Avançar na Luta, Liga Bolchevique Internacionalista, Agrupación En Clave ROJA, Espaço Popular. Dirección de contacto: gnilock@hotmail.com
49. Lors de différentes insurrections prolétariennes comme en Allemagne en 1919 ou en Espagne dans les années trente, lorsqu’ils imposaient la violence de classe dans une ville, les révolutionnaires, dans leur combat contre l’argent et le capital, brûlaient l’argent. Mais cette situation était totalement différente: il s’agissait d’un acte symbolique en plein développement insurrectionnel de la révolution.
50. Sans entrer ici dans les nombreuses confusions que ces "anarchistes" acceptent et qui proviennent de l’idéologie dominante, nous citerons un seul exemple: s’insurger "contre la mondialisation des marchés" révèle d’énormes concessions à l’idéologie de la nouveauté, développée par la social-démocratie.
51. Il est impossible de citer ici les différents travaux de critique de la démocratie dans lesquels nous mettons en évidence son rôle clé dans la domination capitaliste. Nous n’en mentionnerons que deux: "Contre le mythe des droits et libertés démocratiques" in Le Communiste n°10/11, août 1981 et Mémoire ouvrière: La mystification démocratique in Le Communiste n°19, février 1984.
52. Voir à ce sujet notre série d’articles sur la période 1917-1923 in "Le Communiste: Russie, contre-révolution et développement du capitalisme" n°28, décembre 1988, et plus particulièrement les articles intitulés "La conception social-démocrate de la transition au socialisme" et "Contre le mythe de la transformation socialiste. La politique économique et sociale des bolcheviques".
53. Voici une perle qui se passe de commentaires: "De toute façon, le programme du prolétariat avait été réalisé par le capital! La république démocratique universelle on l’avait: c’était l’ONU (Organisation des Nations Unies) plus le FMI (Fond Monétaire International). Le développement des forces productives aussi: c’étaient les cadences infernales plus l’automation."
54. Il ne nous semble pas important, ni pertinent d’approfondir les élucubrations de Théorie Communiste, parce que ce petit groupe d’initiés s’est amusé a redéfinir tous les concepts, et entrer dans les détails nécessiterait de trop longs éclaircissements terminologiques. Disons simplement que les aspects les plus caricaturaux de leur programme, tels la théorie du dépassement du programmatisme, le dépassement historique de la transition, la théorie de l’auto-négation du prolétariat sans son affirmation en tant que classe, découlent du fait que, par "programme", Théorie Communiste entend le programme de la social-démocratie; par "transition", la transition léniniste, par "affirmation du prolétariat", l’affirmation du pouvoir des bolcheviques en Russie... Toute cette construction se base sur les concepts social-démocrates, et perd tout intérêt dès le moment où on définit ces termes en fonction de la critique communiste des bolcheviques, telle qu’elle fut notamment reprise au sein de la Troisième Internationale par ce qui s’appelait la Gauche Communiste allemande, italienne,... et en général internationale.
55. C’est la lutte de toujours qui, durant la guerre, se concrétise dans le défaitisme révolutionnaire. Voir "Invariance de la position des révolutionnaires face à la guerre. Signification de la consigne de toujours de défaitisme révolutionnaire", dans Communisme n°49.
56. Centralisation de la direction, direction centralisée ne signifie pas (quoiqu’en dise l’idéologie anti-autoritaire qui prédomine aujourd’hui) petits chefs, bureaucratie, hiérarchie,... comme dans le capitalisme et même dans les groupe marxiste-léninistes ou libertaires. Au contraire, plus décentralisée sera l’action, mieux le prolétariat révolutionnaire saura où diriger le mouvement. Que chaque partie du mouvement sache où concentrer ses forces et comment frapper l’ennemi et qu’elle le fasse ensemble, que chaque partie ou fraction locale du prolétariat mondial agisse comme partie d’un même corps, voilà ce que les révolutionnaires entendent par "centralisme organique", par opposition au centralisme démocratique du capitalisme.



Nous soulignons

Gênes 2001:

le terrorisme démocratique en pleine action

* * *

"Ce ne sont que passages à tabac sauvages, massacres improvisés. Les manifestants sont poursuivis par des matraqueurs qui se défoulent sur ceux qui fuient, qui frappent ceux qui sont à terre, qui matraquent des femmes ("salopes, putains") et des hommes ("salopards de communistes"). Les flics attaquent les manifestants en lançant des grenades lacrymogènes à partir des hélicoptères. Des Dinkys de la marine coincent ceux qui se sont réfugiés sur les rochers. Les flics utilisent de nouvelles matraques qu’ils ont fait venir spécialement de Los Angeles, accompagnées d’un expert, et qui ont comme particularité de déchirer la peau et de casser les os. C’est un véritable massacre."
La bataille de Gênes, Angelo Quattrocchi
 
"Une infirmière, réfugiée derrière un portail essaye de soigner un manifestant blessé lors des affrontements, mais une patrouille de flics lui tombe dessus et, avant même qu’elle ne parvienne à fermer le portail, elle est traînée dehors et frappée sous les yeux des caméras et de divers témoins: sur la vidéo on n’entend que sa voix qui crie ‘à l’aide, à l’aide!’. (...) D’autres médecins visitent les jeunes qui ont été interpellés la nuit précédente. La situation est tragique: deux blessés graves, l’un a un poumon perforé, l’autre un énorme hématome cérébral, et tous les autres ont les dents brisées par les coups de matraque qui leur ont été assénés en pleine figure."
La bataille de Gênes, G.P.
"Je vois le gendarme dans la camionnette qui pointe son arme vers l’extérieur au cri de "Je vais tous vous descendre, salopards". J’entends deux coups de feu rapprochés, puis un troisième. Un mort gît sur l’asphalte dans une flaque de sang; j’apprendrai plus tard qu’il s’agit de mon ami Carlo Giuliani."
La Repubblica, Marisa Fumagalli
 
"Je termine dans la dernière grande pièce de la caserne et je reçois une nouvelle pluie de coups de pieds et de coups de poings. Je reste à terre, je ne parviens plus à me relever: j’ai le pied cassé et les côtes douloureuses. J’assiste à un spectacle horrible: une suédoise est traînée par les cheveux à l’extérieur de la pièce, les flics éteignent leurs cigarettes sur les mains d’un français. Plus personne ne peut bouger. Un énorme flic entre dans la pièce et se met à massacrer un jeune parce que "je l’ai vu m’insulter pendant la manif". La colonne sonore de l’horreur est une ritournelle que les flics connaissent par cœur, et que moi aussi j’ai apprise maintenant: ‘un deux trois, vive Pinochet, quatre cinq six, mort aux juifs, sept huit neuf, pas de pitié pour les nègres’."
Alfonso De Munno, photographe romain de 26 ans
"De 18 heures à 6 heures du matin, le jour suivant, moi et les autres jeunes avec qui je partageais une des grandes pièces, avons du rester debout, les jambes écartées, sur la pointe des pieds, le front appuyé sur le mur. Ceux qui, épuisés, ne tenaient plus la position, étaient sauvagement frappés. Avec une régularité d’horloge, nous recevions des coups de pied, des coups de matraque dans les reins, des insultes et des coups à la nuque, ce qui fait que le mur sur lequel nous devions nous appuyer s’est rapidement orné d’une énorme traînée de sang. Ils nous ont obligés à marcher dans le couloir en faisant le salut fasciste."
Riccardo, Famiglia Cristiana


Ces quelques témoignages de la terreur qui a régné à Gênes lors de la réunion du G8 se suffisent à eux-mêmes : assassinats, tabassages, tortures, humiliations en tout genre. De l’avis de tous ceux qui étaient présents, la parole la plus adéquate pour définir l’œuvre des défenseurs de l’ordre est "massacre". Les flics ne se sont pas contentés de contenir le front de la manifestation comme ils en ont l’habitude, ils ont chargé, à l’avant et à l’arrière, le "mou" des 200.000 manifestants, matraquant indistinctement des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux ; les voitures de police passaient toutes sirènes hurlantes et à pleine vitesse au beau milieu des groupes de manifestants, obligeant ceux-ci à se jeter sur les trottoirs pour ne pas être écrasés ; des descentes des forces spéciales ont eu lieu en pleine nuit dans des dortoirs où, toutes issues bloquées, les flics ont tabassé deux heures durant sans discontinuer ; des images montrent le commissaire de la Digos de Gênes frapper la tête d’un jeune étendu au sol, comme s’il s’agissait d’un ballon ; les flics ont été chercher les manifestants blessés dans les hôpitaux et les ont ramenés dans les casernes pour les torturer toute une nuit, etc.

Mais pourquoi donc, a-t-on entendu obstinément, les flics étaient-ils à ce point sûrs de leur impunité qu’ils n’ont pas hésité à tabasser allègrement tout le monde, femmes et enfants compris, sans même se cacher des journalistes, des photographes, des cameramen? Qui donc leur a donné cette assurance? Cette question sur laquelle ont buté tant de manifestants témoigne encore des illusions de tous ceux qui sous-entendent que l’action de la police à Gênes procéderait de "bavures" ou de "débordements", d’une influence de l’extrême-droite, du peu d’expérience des jeunes gendarmes ou de la présence de l’un ou l’autre "berlusconien" à la direction de la police, voire d’une particularité de la police italienne.

Or, la réponse à la question de l’assurance des flics dans leur œuvre de répression se trouve au cœur même de l’Etat, dans sa nature organique, dans l’entière collaboration des forces de gauche et de droite, et plus globalement ici, dans l’impressionnante cohésion de l’ensemble de ces forces, toutes tendances politiques confondues. Ainsi, l’organisation de la répression à Gênes est le fruit d’un plan élaboré à l’origine par les différents gouvernements de gauche, celui de D’Alema puis celui d’Amato, avec la collaboration des services secrets des 6 autres gouvernements occidentaux présents à Gênes. Ce plan "pour la sécurité" sera ultérieurement poursuivi par le gouvernement de droite Berlusconi-Fini-Bossi. De même, la création du corps spécial qu’est le Groupe Opérationnel Mobile (GOM), et qui n’a pas peu contribué à la brutalité policière sur le terrain, est le fruit direct d’une initiative du ministre "communiste" Diliberto (PDCI) sous le gouvernement D’Alema. Et pour bien se rendre compte que la répression résultait d’une décision centrale de l’Etat, et non de quelques débordements de flics trop zélés, il faut savoir qu’au plus fort des massacres policiers à Gênes, étaient présents au QG même des forces de l’ordre, l’ensemble des chefs des différentes forces de police, accompagnés du Vice-premier ministre Fini en personne.

Il reste à ajouter que la facilité avec laquelle la police a pu réprimer sur le terrain n’aurait pas pu être possible sans la collaboration ouverte et déterminante de cette gauche social-démocrate qui, à l’instar du Genova Social Forum, prônait la non-violence, la désobéissance citoyenne et la manifestation pacifique au moment même où les flics tabassaient, tiraient, tuaient. Et cette gauche "humaniste et démocratique", comme elle aime à se définir, ne s’est pas contentée de mener les manifestants comme des moutons à l’abattoir, ou de répandre passivement son venin pacifiste, non, ses militants ont activement collaboré à la répression en participant à une véritable course à la délation, leurs services d’ordre bloquant l’entrée du cortège aux militants jugés trop "offensifs", les coinçant entre leur propre cordon de sécurité et les rangs des gendarmes, les offrant littéralement en cible aux grenades lacrymogènes tirées à hauteur d’homme. Les flics tabassaient partout, mais le GSF faisait la chasse aux "provocateurs" et dénonçait les violents. Le fait qu’un mort gise sur le pavé, n’a pas empêché cette gauche "anti-sommet" de continuer à discuter s’il était juste ou non de brûler des voitures !

En définitive, à Gênes, ce que le terrorisme bourgeois –de droite comme de gauche- a voulu rappeler aux prolétaires, c’est que leur véritable place est le lieu où on les exploite, et pas dans la rue, à perturber les réunions de bourgeois. Un jeune manifestant emprisonné à Gênes témoigne : "Ils ont déchiré la carte d’identité de certains des prisonniers en leur disant: ‘tu vois, ici tu n’es personne, tu n’as aucun droit.’ ". (Riccardo, Famiglia Cristiana). Dans le cadre d’une action répressive, il n’est pas rare que des défenseurs de l’ordre révèlent ouvertement ce que cherche généralement à dissimuler la gauche du capitalisme, à savoir que le droit démocratique est une force au service de la bourgeoisie, une simple codification des rapports d’exploitation existants qui, pour le prolétaire, se résume au droit de vendre sa force de travail et de n’exister que pour autant qu’il ne se révolte pas. Comme citoyen obéissant, comme marchandise donc, il a une existence démocratique -il a la liberté de travailler ou de crever-, mais s’il quitte le monde marchand et ses droits, si d’ouvrier docile il se transforme en agent subversif et se permet de perturber, ne fut-ce que de manière minime, le bon déroulement de l’exploitation, il perd alors très simplement toute identité. Et tout cela démontre une fois de plus que la véritable identité du prolétaire ne se trouve ni à gauche, ni à droite, ni dans la démocratie, ni dans la nation, et encore moins dans son travail. Elle surgit des liens de solidarité que fait naître l’assaut collectif à la citadelle capitaliste et à l’ensemble des forces politiques qui la défendent. C’est sur ce chemin, et par la lutte de classe, en s’associant, en s’organisant en force, que les prolétaires prennent conscience de leur appartenance à une même classe sociale, porteuse du seul véritable projet alternatif actuel : l’abolition des classes, l’être collectif, la communauté humaine, le communisme.

La réunion du G8 qui s’est tenue à Gênes cet été fut le théâtre d’une violente répression, telle que nous le décrivons par ailleurs dans cette revue, mais cette répression n’avait pas attendu l’ouverture formelle du G8 et le début des manifestations pour s’abattre. Ainsi, de nombreux groupes et militants avaient été interpellés lors de leurs réunions préparatoires. C’est le cas du groupe " Precari Nati " qui se proposait de distribuer un tract à Gênes pour donner sa position sur cette énorme mise en scène que sont les sommets et contre-sommets. Il en a initialement été empêché, parce que les flics ont arrêté treize camarades et les ont gardés à vue durant sept heures au commissariat central de la gendarmerie de Bologne. Deux militants ont été accusés de possession d’armes (des couteaux suisses !) et plus d’un millier de tracts ont été confisqués. Les militants arrêtés faisaient partie des groupes suivants : Precari Nati (Italie), Kolinko (Allemagne), Workers Against work (Grande-Bretagne).

Nous reproduisons ici intégralement le contenu des tracts confisqués, en soulignant la clarté avec laquelle ces camarades se démarquent de l’idéologie antiglobalisation, et plus globalement la force avec laquelle ils dénoncent les courants social-démocrates qui ne visent qu’à " moderniser le capitalisme en espérant que leurs propositions (par exemple la taxe Tobin) pourront sauvegarder les rapports sociaux capitalistes, c’est-à-dire les mêmes rapports qui perpétuent notre aliénation et notre exploitation."

Brûler toute illusion ce soir...

Si nous sommes ici, ce n’est pas en tant qu’activistes professionnels de l’anti-globalisation, à la recherche d’une position de médiation entre les marionnettes de l’économie et ses "victimes", agissant au nom de l’Autre ("l’Invisible", les prolétaires révoltés contre le FMI ou la banque mondiale, les réfugiés, les travailleurs précaires). Nous ne voulons représenter personne, et nous crachons au visage de ceux qui souhaitent nous représenter. Ce que nous appelons exclusion, ce n’est pas l’exclusion des centres de prise de décision économique, mais la perte de notre vie et de notre activité quotidienne par la faute de l’économie.

Si nous sommes ici, ce n’est pas parce que nous préférons le commerce équitable au libre-échange, ni parce que nous croyons que la globalisation affaiblit l’autorité des états-nations. Nous ne sommes pas ici parce que nous pensons que l’état est contrôlé par des institutions non démocratiques, ni parce que nous voulons plus de contrôle du marché. Nous sommes ici parce que toute forme de commerce est le commerce de notre misère, parce que tous les états sont des prisons, parce que la démocratie camoufle la dictature du capital.

Si nous sommes ici, ce n’est pas parce que nous voyons les prolétaires comme des victimes, ni parce que nous voulons nous poser comme leurs protecteurs. Nous ne sommes pas venus ici pour nous laisser impressionner par des émeutes spectaculaires, mais pour apprendre la tactique de la guerre de classe quotidienne menée par les grévistes d’Ansaldo et par les prolétaires insoumis de l’industrie métallurgique. Nous sommes venus ici pour échanger nos propres expériences, comme les dépossédés du monde entier.

Si nous sommes ici, ce n’est pas comme membres des nombreuses ONG, des lobbies officiels, d’Attac ou de tous ceux qui souhaitent simplement être inclus dans les discussions sur la modernisation du capitalisme et qui espèrent que leurs propositions (telle la taxe Tobin) pourront sauvegarder les rapports sociaux capitalistes, c’est-à-dire les mêmes rapports qui perpétuent notre aliénation et notre exploitation.

Si nous sommes ici, c’est bien comme prolétaires qui n’identifient pas le capitalisme aux réunions de ces gangsters, mais au vol quotidien de nos vies - dans les usines, dans les centres d’appels (1), au chômage - pour les besoins de l’économie. Nous ne parlons pas au nom de qui que ce soit, nous partons de nos propres conditions d’existence. Le capitalisme n’existe pas à cause du G8, c’est le G8 qui existe à cause du capitalisme.

Le capitalisme n’est rien d’autre que l’expropriation de notre activité, qui se retourne contre nous comme une force étrangère. Notre fête contre le capitalisme n’a ni début ni fin, ce n’est pas un spectacle prédéterminé, il n’a pas de date fixe. Notre futur se trouve au-delà de toute médiation, au-delà des états-nations, au-delà de toute tentative de reformer le capitalisme. Notre futur se situe dans la destruction de l’économie.

Pour l’abolition totale de l’état et du capital.
Pour la communauté humaine mondiale
Des prolétaires contre la machine.

Precari Nati (E-mail: ti14264@iperbole.bologna.it)
Kolinko, Workers Against Work
1. Centres d'appels: lieux où se retrouvent les travailleurs employés pour vendre par téléphone.



Prolétaires de tous les pays,

La lutte des classes en Algérie est la nôtre!

* * *

Les premiers assauts prolétariens d'avril 2001 en Kabylie

Le 18 avril, les premières émeutes éclatent à Beni-Douala (région de Tizi Ouzou, en Grande Kabylie, 100 km à l'Est d'Alger) suite à l'assassinat d'un jeune lycéen par des gendarmes. Selon la version officielle, le jeune lycéen aurait été tué "par une rafale (6 balles!) de pistolet-mitrailleur tombé accidentellement des mains d'un gendarme".

Dès le lendemain, "les émeutes s'étendent à plusieurs villages de Kabylie, faisant, dans certains cas, des dizaines de blessés et causant d'importants dégâts matériels" (1).

Entre-temps, "l'interpellation musclée de trois lycéens scandant des slogans hostiles au pouvoir à Amizour (région de Béjaïa, en Petite Kabylie, 250 km à l'Est d'Alger) a également dégénéré en émeutes et affrontement dans toute la Petite Kabylie" (2).

Samedi 21 avril: "ils sont des centaines, très jeunes, souvent lycéens, à manifester leur colère en lançant des pneus enflammés, des pierres, des cocktails Molotov contre le siège de la gendarmerie à Beni-Douala, El-Kseur et Amizour" (3).

Le dimanche 22, à Amizour, malgré les appels au calme lancés par les familles des victimes et par les dirigeants du FFS (Front des Forces Socialistes, actuellement parti de l'opposition) venus "en pompier", "Des manifestants attaquent la brigade à coups de pierres, incendiant deux véhicules de gendarmerie, le siège de la Daïra (sous-préfecture), les services de l'Etat civil de la mairie et saccageant le tribunal." (nous soulignons) (4)

L'action du prolétariat en Algérie fut dès les premiers jours directement violente et dirigée contre sa propre bourgeoisie. A partir d'un événement particulier et local, vécu comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, le prolétariat affirma subitement son existence. Partout, la rue fut occupée. Rapidement, la gendarmerie cessa d'être la cible exclusive et la vindicte du prolétariat se généralisa à l'ensemble des institutions de l'Etat, qu'elles soient civiles ou militaires. La violence de classe fut sans concession pour la bourgeoisie (incendies, saccages, destructions, pillages, réappropriation directe des marchandises, entraves à la répression, etc).

Comme toujours face à ces événements, la bourgeoisie tenta tant bien que mal de calmer l'effervescence prolétarienne en jouant simultanément du bâton et de la carotte. Dès le lundi 23, des unités anti-émeutes furent dépêchées de Tizi Ouzou (capitale de la Kabylie) vers Beni-Douala, située à 20 km. Parallèlement, "dans un souci d'apaisement", les autorités annoncèrent le 24, la suspension du chef adjoint de la Sûreté de la wilaya (préfecture) de Bejaïa, l'arrestation du gendarme auteur des coups de feu mortels à Beni Douala et la mise en place d'un "programme spécial d'aide économique à cette région", tout en diffusant les appels au calme des parents du lycéen assassiné, décidés à "entamer des poursuites judiciaires".

Mais ni les promesses, ni les appels au calme des parents de la victime et des partis et organisations social-démocrates (RCD, FFS, MCB...) (5) ni le déploiement de forces répressives n'ont empêché les émeutes de se poursuivre. Au même moment, l'attaque du tribunal reflétait le peu d'illusion que se font ces prolétaires des résultats de "poursuites judiciaires", bien décidés à mener leur lutte de manière autonome. Les partis social-démocrates apparaissent incapables de modifier cette détermination et cette orientation violente. En écrivant sur leurs banderoles "vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts", ces prolétaires affirment que c'est le dénuement total auquel le capital les a condamnés qui les poussent à lutter sans concession.

Quelques chiffres peuvent donner une idée de la situation. De 1991 à 1999, en huit ans, le "pouvoir d'achat" du prolétariat en Algérie a baissé de 60%. Entre 1999 et 2001, le nombre de personnes déclarées "vivant au-dessous du seuil de pauvreté" est passé de 10 millions à 14 millions... sur les 30 millions que compte l'Algérie. Près de la moitié de la population vit ainsi avec moins 300 francs par mois alors que les loyers des appartements privés dans les quartiers populaires oscillent entre 800 et 1000 francs par mois. Pas étonnant dès lors que le taux moyen d'occupation atteigne plus de sept personnes par logement.

Le FMI, institution internationale du capital, débloqua une aide financière au gouvernement algérien en échange d'une restructuration du secteur public industriel. Cette satisfaction aux nouvelles normes productives entraîna la suppression de 400.000 employés. Ceux-ci, pour la plupart ouvriers, n'ont aucun espoir de reconversion compte tenu du déclin de la production industrielle dans cette région.

A la veille des émeutes, le taux de chômage atteignait officiellement 40 % de la population active. Fait révélateur de la situation sociale tendue, le seul secteur qui embauche est celui des sociétés de sécurité privées. Plus de 80 sociétés de ce type existent en Algérie, occupant parfois jusqu'à 1500 travailleurs. Et les plus nombreuses, c'est symptomatique, sont les sociétés de gardiennage industriel...

En Algérie, même les besoins les plus élémentaires des prolétaires ne sont aujourd'hui plus couverts: l'eau potable, le logement, l'électricité font défaut pour bien des familles. Les plus touchés par ces conditions sociales sont les jeunes de moins de 30 ans, qui composent 70% de la "population active". Ils sont 300.000 à arriver chaque année sur un marché du travail qui n'a pas besoin d'eux. Attaqués jusque dans leurs possibilités de survie, ils s'inventent des stratégies de débrouille. Vu le montant des loyers, il leur est impossible d'envisager de quitter le foyer familial. Alors, ils redoublent volontairement à l'école pour repousser l'échéance du service national et celle du premier jour de chômage. On comprend également la part qu'ils vont prendre dans la révolte, et l'on ne s'étonnera pas que les journalistes en profitent pour aligner leurs clichés sociologiques favoris. Partant de la réalité du dilemme entre l'exil et le chômage, les journaux nous resservent du grand "malaise de la jeunesse" et de la "soif de justice et de démocratie", niant que c'est le prolétariat, tous âges confondus, qui s'affronte à la justice et à la démocratie.

Balayant toute thérapie citoyenne, ces prolétaires qui n'ont que leurs chaînes à perdre renouent avec la seule arme de lutte efficace pour notre classe, l'action directe: "Les jeunes manifestants n'ont pas envie de parler avec un pouvoir qui les méprise. Eux-mêmes méprisent le pouvoir, ce qu'ils ont envie pour l'instant, c'est de casser. Alors on casse tout ce qui symbolise l'Etat. Les manifestants n'ont pas envie pour l'instant de dialoguer" (6).

Cette colère ne se fixe pas vraiment sur des revendications particulières. Le ras-le-bol est général et porte sur les aspects "économiques", "politiques" et "sociaux" de la survie qui leur est imposée. L'absence de revendications précises, concrètes ou de propositions positives rend d'autant plus ardue la tâche liquidatrice des réformistes de tout genre. Seule l'opposition à tout ce qui vient du pouvoir en général est explicite. La NÉGATION de tout ce qui existe constitue indubitablement l'élément-force du mouvement. Depuis le début des émeutes et malgré toutes les tentatives bourgeoises d'appel au calme, de polarisations idéologiques, de conciliations, de réformes, de négociations, les prolétaires s'accrochent résolument au terrain de la lutte de classe, assumant diverses nécessités s'imposant dans le développement de cette lutte.

Au bout d'une semaine d'affrontement seulement, la lutte est quasiment parvenue à s'étendre à l'ensemble de la Kabylie. Le nombre de cibles visées n'a cessé en même temps de s'élargir. Les expropriations de la propriété bourgeoise se sont multipliées. Les prolétaires pillent les marchandises dont ils ont besoin et détruisent volontairement ce qui, pour eux, a toujours signifié plus de répression et de misère (incendie de l'hôtel des impôts, de la préfecture, des sièges des partis identitaires, etc.). En quelques jours, la totalité des villes et villages de Kabylie sont en ébullition.

Le samedi 28 avril, "une marée humaine a envahi les rues de Béjaïa, même si les affrontements les plus meurtriers ont eu lieu dans les petites villes, voire les villages... Une fois de plus des bâtiments publics ont été saccagés. A Bejaïa, les manifestants ont détruit la maison de la culture, la direction des domaines, la gare routière" (7) (nous soulignons). Bien que cette journée du samedi 28 avril fut la plus sanglante depuis le début des émeutes avec une trentaine de victimes, le rapport de force tendait globalement à s'inverser en faveur du prolétariat. Un journaliste note que "de 40 à 60 membres des forces de sécurité auraient été tués jeudi 26 avril dans un accrochage au sud de Tébessa" (8). Notons que nous n'avons trouvé cette information qu'une seule fois... Révélerait-elle un armement plus conséquent du prolétariat?

La bourgeoisie désarçonnée

L’angoisse et la surprise que suscita dans les rangs de la bourgeoisie locale le développement rapide du mouvement, la paralysèrent plus ou moins dans son action. Ayant déjà tâté sans succès plusieurs terrains de riposte, elle n'arrivait plus, en définitive, à se doter d'une ligne claire et précise de réponse.

Les structures d'encadrement et de médiation sociale se sont révélées complètement débordées. Au gré du développement de la lutte, elles furent de plus en plus clairement dénoncées pratiquement, comme en témoignent les saccages des permanences des partis indépendantistes. Ces faits démontrent clairement qu'aucune formation politique de ce type n'est apte à canaliser les débordements, mais aussi, et surtout, que la lutte des prolétaires en Kabylie n'est ni nationale, ni indépendantiste, comme tout lutte prolétarienne. Le mot d'ordre de la "libération nationale" exprime toujours une manœuvre de la bourgeoisie mondiale pour casser notre lutte, pour isoler le prolétariat dans chaque pays et rendre ainsi possible sa défaite pays par pays face à "sa" bourgeoisie nationale (9). Cette idéologie est aujourd'hui dépassée dans le mouvement en Algérie, mais le contexte mondial est encore marqué par une grande faiblesse de l'internationalisme, impliquant que cette lutte ne soit pas reconnue, vécue, partagée, assumée par le prolétariat dans les autres pays. En France en particulier, la non-lutte globale du prolétariat l'amène à ne voir du mouvement en Algérie que l'image qu'en donne la bourgeoisie, réagissant alors par l'indifférence, le rejet, voire la défense de putrides mots d'ordre social-démocrates. Fort de cette passivité du prolétariat, l'Etat français peut impunément continuer à apporter soutien et encadrement aux forces de l'ordre en Algérie.

Sur le terrain toutefois, la capacité de répression et de contrôle militaire de la situation s'est trouvée amenuisée du fait de l'ampleur prise par le mouvement. Les troubles ne cessant d'éclater dans d'autres régions -séparées de plusieurs centaines de kilomètres de distance- les forces de l'ordre ne peuvent matériellement pas être présentes en suffisance sur tous les fronts. Les prolétaires ont su tirer parti de la topographie accidentée de la région pour entraver sérieusement le déplacement des troupes répressives, bloquant des routes. Ajoutons à cela que les autorités des villes où s'est maintenue jusqu'à présent la paix sociale craignent que l'extension du mouvement ne les gagne, et hésitent de ce fait à répondre aux appels de renforts des autres villes.

A la mi-juin, la bourgeoisie ne pouvait que constater la perte de tout contrôle de la situation en Kabylie. Celle-ci était, toute entière, zone assiégée par les insurgés, les forces répressives étant contraintes de se barricader dans des camps fortifiés: "Que ce soit à Tadmaït, Ouadhias, Boghni, Akbou, Aïn el-Hammam, Mekla, Larbaa-Nath-Irathen, Azazga, Bejaïa,... toutes les brigades de la gendarmerie nationale offrent le même spectacle de fortins assiégés, portails défoncés, murs éventrés, façades incendiées, portes embouties. Tout autour, des restes de pneus calcinés, des pylônes arrachés, des arbres abattus bloquent toutes les rues menant à la brigade. Partout les commerçants refusent de servir les gendarmes. Le boycott est total. Les 36 brigades que compte la Kabylie sont approvisionnées d'Alger. Par hélicoptère ou par route avec des convois puissamment armés. Un jeune de Tigzirt qui a jeté un paquet de cigarettes à un gendarme par-dessus le mur d'enceinte de la brigade a failli être lynché par la foule. Le soulèvement est devenu une insurrection généralisée. [...] Depuis trois semaines, il n'y a plus aucun gendarme dans la rue en Kabylie. Barricadés dans leurs locaux, la mission des gendarmes est de rester sur place défendre leur brigade, leur vie. La région est livrée aux émeutiers." (10)

Contre le "particularisme Kabyle": l'extension de la lutte à d'autres régions

Comme chaque fois que la bourgeoisie se trouve face à une radicalisation de la lutte en un endroit précis, elle met tout en œuvre pour l'y enfermer.

"Les autorités craignent que le mouvement fasse tache d'huile, des heurts ayant déjà eu lieu aux abords de Sétif, aux confins Est de la Kabylie. Samedi 28 avril, une tentative de manifestation a eu lieu à Oran, à Boumerdès, près d'Alger, tandis qu'une forte tension règne dans la capitale" (11), constate un "envoyé spécial". La tactique du gouvernement va alors être de présenter la lutte des prolétaires en Kabylie comme un "combat identitaire berbère", au point que ce même journaliste fut amené à le pointer d'un doigt prudent: "La peur de voir le mouvement déborder de Kabylie a amené le pouvoir à tenter de le cantonner à une revendication strictement linguistique en gommant l'ensemble des revendications sociales et politiques qui s'y expriment et qui sont communes à tout le pays. En isolant la Kabylie, Alger espère ainsi monter le reste de la population contre le "particularisme kabyle", afin d'empêcher toute jonction dans la contestation" (12). Les fractions bourgeoises installées au gouvernement espéraient aussi utiliser les 250 km qui séparent Alger de la province insurgée pour juguler les risques de contamination.

Si c'est tout le contraire qui se produisit, il faut comprendre que c'est dû à plusieurs éléments:

• la bourgeoisie avait imposé des conditions de survie misérable similaires dans toute l'Algérie, créant ainsi elle-même des conditions favorables au rapprochement.

• les prolétaires en Kabylie s'étaient attaqués à des cibles qui, de par leur signification, rendaient difficile ce type d'amalgame bourgeois. Les journalistes eux-mêmes furent bien forcés de reconnaître que "l'embrasement que connaît aujourd'hui la Kabylie est sans rapport avec les tensions qui agitent régulièrement la région. Point de revendications culturelles et linguistiques cette fois-ci, mais une véritable explosion sociale [...]. Même les formations politiques fortement implantées en Kabylie, qui contrôlaient et encadraient naguère les revendications identitaires, ne sont pas épargnées par les manifestants. Ils ne veulent plus entendre parler de revendications pacifiques et ne se gênent pas pour le faire savoir aux responsables du Front des Forces socialistes (FSS) et surtout à ceux du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) qui paie là sa participation au gouvernement." (13)

Le 25 avril, "Les villes de Sidi Aïch, El-Kseur, Tazmalt, Barbacha, Seddouk et Timezrit ont été livrées au pillage de jeunes survoltés, hurlant des slogans antigouvernementaux. Les voitures des particuliers n'ont pas été épargnées, tout comme les permanences de partis défendant la cause berbère et kabyle, qui ont été saccagées. [...] Les émeutiers ont incendié le siège de la daira d'Ouzellaguen [...] Les manifestants ont incendié le bâtiment des impôts à Abkou et Barbacha, en Petite Kabylie. La route nationale entre Béjaïa et Alger a été jalonnée de barrages dressés par les émeutiers, empêchant toute circulation sur une soixantaine de kilomètres." (14) (nous soulignons).

En s'attaquant aux partis nationalistes, en affichant clairement leur rejet de la lutte identitaire, en dénonçant directement le "pouvoir assassin", ces prolétaires ont œuvré concrètement pour l'extension et la reconnaissance universelle de leur lutte. De fait, la carte identitaire ou autonomiste n'a pu s'imposer. Dès la fin du mois d'avril, l'ensemble de la classe dominante fut visé, tant ses fractions autonomistes que ses fractions gouvernementales, socialistes ou non, dans ou hors de l'opposition... Aussi, le 1er mai, lorsque le RCD annonce le retrait de ses deux ministres du gouvernement d'Alger, cela ne suffit pas à recrédibiliser ce parti auprès des prolétaires.

Durant les mois de mai et juin, des manifestations ont lieu un peu partout en Algérie (dont deux à Alger même), malgré que plusieurs d'entre elles aient été interdites par les autorités. Selon les organisateurs, la manifestation se voulait pacifique. Il est coutumier de la part des fractions social-démocrates, encore aujourd'hui, d'organiser des manifestations afin de rattraper le mouvement qui leur échappe. Cela semble avoir été le cas durant une "période d'accalmie", où les manifestants suivaient docilement les organisateurs, porteurs de lettres de doléances adressées au gouvernement. Mais le "calme" de cette période était tout relatif et ne fut, finalement, que de courte durée. La tentative démobilisatrice échoua puisque dès la mi-juin, les affrontements reprirent avec vigueur, prenant des allures quasi-insurrectionnelles et qui s'étendaient cette fois, c'est à souligner, à de nombreuses autres régions d'Algérie.

Le mardi 12 juin, des émeutes éclatent à Khenchela (550 km à l'Est d'Alger), dans les Aurès (1 mort), à Aïn Fakroun (500 km à l'Est d'Alger) et à Sour El Ghozlane (130 km au Sud d'Alger).

Deux jours plus tard, le jeudi 14, c'est à Alger même que de violents affrontements vont éclater vers 13h, place du 1er mai, entre les prolétaires et la police anti-émeutes: "Aux pierres et projectiles lancés par des manifestants ont répondu les grenades lacrymogènes, les canons à eaux. Et les balles réelles. Certains hangars du port d'Alger ont été pillés. Ce rassemblement est le plus important depuis le début de la révolte née le 18 avril en Kabylie [...] Dans les rues d'Alger, des noms de villes [sont] jetés comme les nouvelles d'un front dont nul n'arrive à prévoir les flambées. "Kenchela, 1 mort" dit l'un. "Skikda, derrière les barricades", répond l'autre. "Sour El Gozlan détruit". "Et Annaba aussi". Maintenant la révolte a largement dépassé la Kabylie, où elle ne s'apaise pas depuis 45 jours." (15) Cette manifestation du 14 juin a réuni dans la capitale de 500.000 à 2.000.000 personnes selon les sources. Toutes les manifestations dans la ville durant les deux mois précédents avaient suivi un seul itinéraire imposé par l'Etat. Celle-ci fut la première à être illégalement détournée, sous la détermination des prolétaires, vers le siège de la présidence de la république.

Forces et faiblesses du mouvement

En Algérie, il faut remonter à 1988 pour retrouver une explosion similaire (nous y revenons dans la suite). Dans un contexte mondial encore globalement marqué par la faiblesse des luttes de notre classe, les derniers mouvements importants à l'échelle du continent africain datent également d'il y a plusieurs années (17). Comme à d'autres endroits de la planète, des îlots d'intense valorisation (extraction d'or, de diamant, d'uranium, mais aussi pétrole, gaz...) et des chapelets de concentrations industrielles côtoient en Afrique de larges zones désertées par les capitaux, réservoirs de main d’œuvre à bon marché où sévissent des records de misère absolue. Quant à l'élimination du prolétariat excédentaire, si les mal nommées "catastrophes naturelles" ne suffisent pas (en réalité pénuries, famines et maladies directement liées au mode de production, parmi lesquelles la destruction du système immunitaire cataloguée sous le nom de "SIDA"), les massacres et guerres impérialistes exotiquement attribués aux "haines tribales" et "conflits inter-ethniques" achèveront la besogne. Comme partout ailleurs, les chimères de "croissance" et de "développement" ne sont que des appels déguisés à se sacrifier aux intérêts du capital. Et contre toute idéologie glosant sur les rapports entre "pays pauvres et pays riches", nous affirmons que la misère mondiale du prolétariat n'a de solution que mondiale et révolutionnaire.

Une des forces majeures du mouvement actuel en Algérie consiste justement dans sa négation vivante du mythe défaitiste bourgeois selon lequel la lutte du prolétariat n'est pas ou plus d'actualité. La situation décrite ici corrobore d'ailleurs en divers points la "caractérisation générale des luttes actuelles" (18) que nous avons dégagée dans l'une de nos précédentes revues, à savoir:

• le prolétariat supporte aujourd'hui, sans riposter, des dégradations extrêmes de sa situation et des massacres en série;

• dans les moments où le prolétariat manifeste son existence, sa lutte est directement violente, elle s'impose par l'action directe et tend à s'affirmer hors de tout terrain particulier (lieu de travail, quartier,...), à nier les divisions entretenues par la bourgeoisie (travail, âge, origine...), elle tend à se généraliser et elle porte un rejet global de l'Etat et de tout cadre social-démocrate et revendicatif (contre toute médiation de l'Etat, des partis et organisations bourgeoises, contre les mots d'ordre légalistes, pacifistes, électoraux...).

Ces traits essentiels de l'affirmation de la lutte du prolétariat aujourd'hui caractérisent également le mouvement prolétarien en Algérie en ce sens que:

• le vieil arsenal social-démocrate n'a aucun effet face à l'action décidée et violente du prolétariat

• la révolte est exempte de tout objectif précis et explicite, et ne propose rien de positif

• les prolétaires exproprient directement la propriété bourgeoise pour satisfaire immédiatement leurs besoins.

Outre ces "traits caractéristiques des luttes actuelles", la lutte en Algérie présente des forces dénotant un niveau d'affrontement au capital supérieur à celui généralement atteint par les luttes actuelles du prolétariat.

La première expression de cette force réside dans le fait qu'ici, même une fois l'effet de surprise estompé, la bourgeoisie n'est pas parvenue à mener efficacement sa contre-offensive. Contrairement à ce qui s'est passé par exemple lors des émeutes à Los Angeles (19), toutes les tentatives bourgeoises de casser le mouvement, en séparant la majorité des prolétaires de leurs avant-gardes, ont jusqu'à présent échoué.

Il est bien réel qu'à la tête des actions se sont trouvés majoritairement des "jeunes prolétaires" (60% de la population a moins de 25 ans et elle est la première touchée par le chômage), et il est vrai aussi qu'ils purent parfois mener leur lutte sous le drapeau islamiste, mais les tentatives bourgeoises de particulariser l'action directe du prolétariat sur base de ces réalités partielles n'ont jusqu'à présent pas eu prise réelle sur le mouvement. La pratique de l'amalgame qui consiste à présenter la lutte des avant-gardes du prolétariat comme celle de "jeunes émeutiers", de "casseurs", de "bandits", voire d'"islamistes radicaux", n'a pas eu l'effet espéré auprès du reste du prolétariat en Algérie. Le mouvement s'est montré plus fort que toutes les divisions qu'impose la société. Car c'est bien l'ensemble du prolétariat qui aujourd'hui lutte en Algérie.

Les quelques "divisions des tâches" que la bourgeoisie aimerait nous faire appréhender comme politiques, ne sont que techniques et organisatives. Jusqu'ici, la solidarité et l'unité sont des réalités concrètes du mouvement. Notons que des actions comme le blocage des routes présupposent un certain niveau d'organisation, de centralisation du mouvement. Même si elles sont aujourd'hui développées par une poignée de prolétaires seulement, ces actions constituent une ébauche d'assumation d'aspects militaires de la lutte.

Dans la période actuelle, une autre spécificité du mouvement en Algérie est sa durée exceptionnelle et son extension. Contrairement aux expressions actuelles du prolétariat qui généralement fusent le temps d'un éclair, celui-ci perdure depuis le mois d'avril... et le ciel est toujours lourd pour la bourgeoisie! Depuis le 18 avril, le mouvement prolétarien n'a cessé de s'étendre tant en largeur qu'en profondeur et aujourd'hui encore, la lutte continue:

• Elle tend aujourd'hui à toucher de nombreuses régions en Algérie

• Les cibles attaquées sont de plus en plus globales - tout symbole de l'Etat est cible potentielle

• L'action directe est affirmée de plus en plus exclusivement comme seule arme du prolétariat face à l'Etat

• Le prolétariat tend à tracer de plus en plus clairement la frontière de classe qui le sépare de l'ensemble de la bourgeoisie, y compris ses fractions "de gauche" (FFS, RCD).

Cette force, cette persistance du mouvement actuel est à situer dans un processus de continuité avec les forces des luttes passées. Il y a plus d'une décennie, nous avons souligné dans nos revues centrales que le mouvement d'octobre 1988 en Algérie fut un mouvement de négation, d'attaque du capital et de ses défenseurs.

En 1988...

• les prolétaires s'en étaient pris aux bâtiments et biens officiels (mairies, voitures des représentants du gouvernement, différents sièges du FLN, commissariats de police, palais de justice et hauts lieux de l'accumulation capitaliste tels les hôtels d'impôts, les banques,...);

• partant du ras-le-bol de leurs conditions de survie insupportables, les prolétaires ne formulèrent pas de revendications précises. Ils ne réclamaient pas de réformes, se lançant dans les expropriations directes par voie d'émeutes afin de se réapproprier le produit social dont ils étaient privés;

• le mouvement de 1988 est parti de la rue et non d'entreprises précises, ce qui n'a pas laissé à l'encadrement social-démocrate, dont les syndicats, la possibilité de prendre pleinement sa place habituelle de casseurs de luttes.

Il est clair que le mouvement qui embrase aujourd'hui plusieurs régions d'Algérie présente de flagrantes similitudes avec la lutte d'octobre 1988. Reprenons ici des extraits du commentaire de Libération, en avril 2001: "Erigeant des barricades, ils détruisent les symboles de l'Etat et les postes de gendarmeries." "C'est la révolte d'une jeunesse radicalisée [ô catégories a-classistes!] qui n'a plus rien à perdre, car écrasée de misère et sans espoir. "Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts", lancent ainsi les manifestants." "Lançant pierres, pneus enflammés, cocktails Molotov, ils échappent totalement au contrôle de tous les partis politiques et expriment une colère que rien ne semble pouvoir canaliser: trois sièges du FFS et de très nombreux locaux du RCD ont d'ailleurs été brûlés." (nous soulignons).

Le processus de négation en œuvre depuis avril 2001 dans la région renouvelle trois aspects qui avaient fait la force du mouvement de 1988:

1. l'attaque des institutions et des forces de l'Etat.

2. L'absence de revendications précises, expression d'un ras-le bol général de la part de prolétaires conscients qu'ils n'ont rien à perdre... et rien à gagner en négociant avec l'Etat.

3. Le peu de prise de l'encadrement social-démocrate traditionnel sur le mouvement (20).

Ce bref détour historique suffit à montrer clairement que le rejet des structures d'encadrement social-démocrates et du combat identitaire ne tombe pas du ciel et ne provient pas uniquement des conditions d'exploitation immédiates. Tirer les leçons des luttes passées a toute son importance, et cette continuité est malheureusement rarement assumée aujourd'hui. Nous ne disposons pas à ce propos d'expressions claires, de textes de minorités, mais l'on sait que des manifestations ont eu lieu autour de "monuments" mis en place par les prolétaires à la mémoire de leurs frères et sœurs de classe qui ont lutté contre l'Etat notamment lors du dit "printemps berbère" au printemps 1980, et lors du mouvement de fin 1988. Notre classe a ainsi réussi à maintenir vivante une mémoire ouvrière malgré les multiples tentatives d'en éliminer toute trace. En tout cas, l'usure progressive des idéologies bourgeoises au cours de chacune de ces luttes amène le prolétariat à les rejeter de plus en plus ouvertement.

Sur ces bases, le mouvement actuel a dépassé en certains points son prédécesseur:

• L'"affirmation identitaire" et la "libération nationale" ne sont plus porteuses d'espoir chez ces prolétaires pour qui 40 années d'indépendance (dont 20 ans de gouvernement du FLN) n'ont apporté que misère et massacres supplémentaires.

• L'idéologie islamiste a perdu de son poids, consécutivement à la décrédibilisation de la fraction social-démocrate qui la porte, le FIS (21). "Aujourd'hui, les islamistes n'ont pas réussi à exploiter les revendications de la jeunesse algérienne", note un historien (22). Les prolétaires eux-mêmes dénoncent les "concessions du président Bouteflika aux islamistes", notamment dans la récente directive gouvernementale interdisant de s'embrasser sur les bancs publics et dans les parcs.

• Les mouvements indépendantistes sont décrédibilisés quant à leur capacité à apporter des changements réels. Malgré les accents berbères de son programme, l'arrivée du RCD au gouvernement n'a rien changé aux conditions de vie en Kabylie. Au contraire, le prolétariat dénonce aujourd'hui leur participation à l'exécution des plans d'austérité.

Chaque vague de lutte passée pose ainsi directement les conditions d'un affrontement de classe à venir toujours plus violent. Chaque affrontement révolution/contre-révolution est un moment d'exacerbation du rapport de classe au cours duquel des masques tombent, des idéologies se compromettent, des illusions se dissipent,... ouvrant la voie à l'expression prolétarienne toujours plus claire des déterminations historiques de sa lutte.

De la même manière, le rôle de l'armée dans la répression féroce en 1988 (emprisonnement, torture, assassinat...) se retourne aujourd'hui contre elle car bien des soldats ont participé aux émeutes à l'époque. Avec les contradictions qu'exacerbe jusqu'en son sein le mouvement actuel, cela constitue une limite pour la répression militaire, au moins quant à l'ampleur qu'elle devrait prendre si le mouvement poursuivait son développement. Un sociologue remarque même: "je ne pense pas qu'ils tireront sur le peuple algérien. Par contre, les services spéciaux ou la gendarmerie peuvent tirer. L'armée de base, pas celle de généraux, a ses cousins et ses frères qui sont dans la merde. Et s'il y a des morts, les jeunes vont tout casser et là c'est l'aventure." (23) Si cette réalité surgit indéniablement comme produit de la continuité historique de la lutte de classe, il n'empêche que rien n'est encore joué! Aucun indice de fraternisation ou de défaitisme ne nous est encore parvenu, pas plus que de réappropriation par le prolétariat des armes de l'Etat, dans les bâtiments des forces de l'ordre attaqués. Et puis il ne faut pas oublier des pans entiers des forces contre-révolutionnaires, telles les fractions droits-de-l'hommistes qui, elles aussi, préparent la répression sous couvert de la dénoncer en essayant d'enfermer le prolétariat dans une "lutte pour la démocratie contre les généraux sanguinaires". Il faudrait, selon ces apôtres du pacifisme et du parlementarisme, libérer Bouteflika de l'emprise des onze généraux-majors (dont neuf sont des anciens officiers de l'armée de libération) qui dirigent l'Algérie, pour permettre au "processus démocratique de se dérouler normalement"... Ce qui signifierait une nouvelle fois que le couperet parlementaire trancherait la tête à la lutte du prolétariat! Il est clair qu'entre le sabre et le goupillon, les urnes peuvent encore se tailler une place honorable!

Les solutions démocratiques proposées par la bourgeoisie

On le voit, la bourgeoisie tente également de tirer les leçons des luttes passées. Par exemple, comme en 1988, la presse va nous parler de "désespoir algérien", comme d'un effet spécifique du gouvernement en place. Or, il est évident pour nous que la condition faite au prolétariat n'est pas l'exclusivité d'un gouvernement particulier, d'une nation particulière.

Historiquement, toutes les fractions bourgeoises qui se sont succédé au gouvernement ont œuvré à la gestion sanglante de l'Algérie coloniale et post-coloniale, avec le soutien permanent de l'Etat français se gargarisant d'être "la patrie des droits de l'homme". Fragilisé par la lutte ascendante des prolétaires dans la région depuis 1944, l'espace de valorisation algérien fut d'abord cimenté par des massacres (Sétif, etc.), puis par "l'indépendance nationale" et enfin par le renforcement du rôle joué par l'armée dans la bonne marche des affaires. Cela fait ainsi des décennies qu'en Algérie des prolétaires excédentaires se font massacrer de façon directe, crue et brutale. Des villages entiers sont régulièrement incendiés, les pratiques de torture sont monnaie courante. Il n'y a que la justification évoquée qui varie. Depuis 10 ans, ces massacres ont pu se poursuivre grâce à la mise en place d'une polarisation "gouvernement contre intégrisme islamique", avec l'apparition du FIS, fraction social-démocrate se revendiquant de l'islam.

Confrontés successivement à la fraction coloniale (toujours présente), indépendantiste puis islamiste, les prolétaires tendent progressivement à les identifier globalement comme "leur propre bourgeoisie". En s'opposant à la fois à l'Etat français, à Bouteflika, aux généraux, au FIS, au FFS, au RCD, au FMI, ces prolétaires affirment pratiquement cette reconnaissance de plus en plus claire de leur ennemi de classe: l'Etat du capital en général, sous toutes ses formes et à tous ses niveaux d'organisation.

De fait, la succession des fractions bourgeoises au gouvernement repose sur leur capacité à organiser des conditions de production qui maximalisent la valorisation du capital, notamment par l'augmentation incessante du taux d'exploitation des prolétaires. Le maintien ou le remplacement de ces fractions dépend non seulement de leur capacité à s'imposer et se maintenir dans la guerre permanente qu'elles se livrent entre elles afin d'accroître leurs capitaux respectifs, mais aussi de leur efficacité dans la gestion de l'antagonisme de classe, plus ou moins exprimé selon les circonstances historiques. Ces deux aspects sont indissociables du rôle social de la bourgeoisie comme classe dominante. L'engagement de l'Etat français s'inscrit ainsi dans la nécessité du maintien de la cohésion sociale dans la région.

Le FIS est quant à lui le produit d'une centralisation de groupes structurés autour de l'idéologie islamique. Il s'est renforcé dans le contexte du mécontentement grandissant des prolétaires en Algérie depuis le début des années 1980. La pratique de cette organisation a dès le départ été de canaliser la combativité prolétarienne en la déplaçant sur le terrain religieux: seul un combat pour la souveraineté d'Allah permettrait de recouvrir les joies dont la vie païenne les a dépossédés. Le FIS encadre donc les luttes réelles du prolétariat et en dénature le contenu. L'avantage que représente l'encadrement religieux était reconnu jusque dans les rangs du gouvernement FLN ("Front de Libération Nationale") qui, ces mêmes années, ne cessa de financer la construction de nouvelles mosquées et écoles musulmanes, favorisant de fait le développement du FIS.

Ni "les Généraux", ni Bouteflika, ni le FMI!

Fin août, le président Bouteflika organisa un "Festival mondial de la jeunesse et des étudiants", dédié "à l'amitié entre les peuples et à l'anti-impérialisme". Il pensait visiblement qu'avec un discours anti-américain et populiste, il redorerait son blason auprès des jeunes prolétaires. Leur réaction fut de boycotter et dénoncer ouvertement cette mascarade: "Les organisateurs de ce carnaval soi-disant antimondialisation et pro-jeunes sont précisément ceux qui négocient avec le FMI et font tirer sur la jeunesse." (Le Vif/L'Express, semaine du 24 août 2001.) En dénonçant la collusion bourgeoise dans la mise en œuvre de la répression et de la politique d'austérité du FMI, le prolétariat identifie de plus en plus clairement l'ensemble de la bourgeoisie qui lui fait face comme son ennemi de classe. L'exploitation n'est pas uniquement le fait des généraux ou d'ennemis extérieurs que d'autres fractions montrent du doigt, elle est le fruit de la coalition de toutes les fractions bourgeoises contre le prolétariat. L'échec de Bouteflika à mobiliser le prolétariat dans une lutte anti-américaine montre que le mouvement en Algérie se révèle de plus en plus capable d'identifier clairement l'ensemble de la bourgeoisie qui lui fait face comme défenseurs des intérêts mondiaux du capital. Au cours de cet événement, le prolétariat a refusé concrètement de se laisser embrigader dans une polarisation bourgeoise américain/anti-américains, affirmant son opposition résolue aux Généraux, au FMI et à Bouteflika.
Leur complémentarité s'avère d'autant plus évidente que c'est finalement grâce au FIS que la combativité prolétarienne d'octobre 1988 fut ramenée sous le couperet parlementaire. En bon parti social-démocrate, le FIS clamait que l'heure était venue pour que "la souveraineté d'Allah" s'installe également au parlement. Il participa activement à raffermir l'illusion que les prolétaires nourrissaient autour de l'organisation des premières élections libres depuis "l'indépendance". Mais quelles perspectives le "libre choix" parmi des candidats-bourreaux a-t-il jamais apporté aux prolétaires si ce n'est le déni de sa lutte et le maintien de l'exploitation bourgeoise! Le FLN, parti unique jusqu'alors, accusa une défaite cuisante au profit des dirigeants du FIS en qui les prolétaires dépossédés de leur lutte investissaient leurs espoirs de mieux-être. Le FIS remporta les élections municipales de 1990, ensuite celles du premier tour des législatives en décembre 1991.

Mais le second tour des législatives, prévu en janvier 1992, n'aura jamais lieu. Il fut annulé suite à la prise de direction des appareils centraux de l'Etat par la fraction bourgeoise unifiée autour de l'état-major de l'armée.

La persistance d'une forte combativité prolétarienne à cette période nous permet de comprendre qu'en réalité le FIS a été dépassé par les événements (émeutes de 1991). Dès lors, la fraction bourgeoise unifiée autour de l'armée, forte de n'avoir aucune crédibilité à défendre face au prolétariat, estima qu'elle seule serait capable de rétablir réellement l'ordre bourgeois. La situation qui échappait au FIS pu alors être repolarisée dans une guerre interbourgeoise FIS/militaires.

Une participation gouvernementale aurait d'ailleurs pu être fatale au FIS. La composition de ses rangs était trop hétérogène pour qu'il puisse, sans risque de désertion massive, en assumer concrètement les tâches dans la région, à savoir:

• mener ouvertement la répression des éléments les plus combatifs d'octobre 1988;

• poursuivre la destruction des prolétaires excédentaires;

• exécuter les inévitables plans d'austérité à venir.

L'application d'un tel programme lui aurait probablement rapidement fait perdre toute crédibilité auprès des prolétaires.

Le "coup d'Etat militaire" a ainsi permis d'achever la mise au pas des prolétaires en Algérie. Cette fraction bourgeoise s'imposa comme parti de l'ordre. Comme chaque fois, il ne put exercer sa répression que parce que la combativité du prolétariat avait préalablement été disloquée par des fractions social-démocrates. Il est essentiel ici de voir que sans participer (officiellement) au "pouvoir", c'est bien le FIS qui a préparé l'embrigadement des prolétaires dans l'étau parlementaire qui était alors la clé de la restauration de l'ordre bourgeois.

Dans ce cas, les fractions social-démocrates sortaient quasiment intactes de leur réelle collaboration répressive. Mieux encore, la fraction islamiste pouvait se présenter comme martyr et poursuivre son rôle de catalyseur des mécontentements du prolétariat. Il n'est pas exclu que certaines fractions islamistes aient même entraîné certains prolétaires dans des actes de terreur bourgeoise, mais il est notoire que la majorité -voire la totalité- des massacres habituellement attribués à "l'islamisme armé" sont purement et simplement le fait de l'armée algérienne (et donc française, à travers tout l'encadrement qu'elle ne cesse de fournir). Enfin, lorsque le prolétariat mène sa propre terreur de classe, sous le drapeau islamiste ou non, directement contre l'armée ou contre d'autres milices organisées plus localement par l'Etat, la bourgeoisie y colle les qualifications idéologiques d'"intégrisme musulman" et de "massacre aveugle d'innocents". Sous couvert de cet amalgame, sous le drapeau de la "lutte contre le terrorisme", la bourgeoisie applique massivement sa propre terreur de classe, le terrorisme d'Etat. C'est ainsi également que fut justifiée la militarisation croissante du régime, "effort national" dont le prolétariat paie toujours le prix. La polarisation bourgeoise FIS/militaires, "terrorisme/antiterrorisme", rendit possible la remise au pas des prolétaires et l'imposition de conditions de survie encore plus misérables et de nouveaux massacres.

Les "Arch"

Actuellement, nous percevons dans le mouvement une faiblesse marquante, en réalité récurrente dans les mouvements actuels: le contenu prolétarien est affirmé par la tournure même de la lutte, mais il n'est pas revendiqué explicitement. L'objectif communiste n'est pas identifié, n'est pas porté consciemment.

Au niveau international aujourd'hui, les minorités agissant à l'avant-garde du mouvement n'en revendiquent que très rarement les déterminations classistes. Ainsi le drapeau révolutionnaire qui correspond au contenu de la lutte n'est que rarement ou confusément brandi. Cette inconséquence présente divers effets néfastes:

• elle participe à l'isolement extrême de la lutte du prolétariat en Algérie du reste du prolétariat

• elle permet à la bourgeoisie d'utiliser ce manque de clarté pour transformer la lutte en conflits inter-bourgeois.

Une critique militante responsable de ces faiblesses s'inscrit impérativement dans une perspective révolutionnaire et directement internationaliste. C'est en ce sens que nous nous efforçons ici de:

• dégager les déterminations historiques que le mouvement porte aujourd'hui mais dont l'affirmation claire lui échappe

• critiquer les faiblesses actuelles de la lutte des prolétaires en Algérie

• rompre la fragmentation du mouvement prolétarien au niveau mondial, non seulement en critiquant les faiblesses de notre classe à ce niveau, mais également en diffusant internationalement la présente contribution.

Il est certain qu'un mouvement n'atteint pas cette durée et cette profondeur sans développer un processus d'organisation, d'autonomisation (c'est souvent le cas avant même le soulèvement proprement dit). Les formes développées au cours de ce processus, les drapeaux qu'il se donne nous demeurent cependant peu précis. Aucune structure du mouvement ne semble jusqu'à présent avoir fait preuve d'une activité internationale de prise de contact avec des prolétaires du reste du monde. L'absence de réseaux prolétariens de diffusion de la lutte nous a imposé pour l'heure une dépendance quasi-totale vis-à-vis de l'information bourgeoise, et celle-ci a toutes les raisons de dénaturer ou d'occulter les forces de la lutte (en particulier concernant son autonomisation) tout en faisant l'apologie de ses faiblesses.

La presse ne mentionne, comme structure organisative du mouvement, que le "comités de tribus", les "Arch". Ceux-ci auraient été à l'origine de divers "appels à manifester". La presse les décrit comme "des structures encore nébuleuses". Nous savons très peu de choses de ces "comités". Ils sont la résurgence d'une ancienne structure sociale villageoise qui a disparu il y a plus d'un siècle, après l'écrasement d'un mouvement insurrectionnel en Kabylie en 1871 (le "grand soulèvement kabyle" fut noyé dans le sang par les mêmes généraux français qui avaient écrasé la Commune de Paris). Selon la presse, leur résurrection s'expliquerait "par la volonté de puiser dans la culture locale des modalités de représentation qui permettent de dépasser les divisions administratives. La référence du lien de sang constitutive de l'Arch permet de rassembler des villages appartenant au même lignage, mais dispersés entre diverses communes et sous-préfectures [...] Une double nécessité a présidé à la résurrection de ces structures sociales traditionnelles: d'abord, le ferme rejet par les émeutiers de toutes les formes d'organisation politiques légales, ensuite la nécessité de transcender les divisions partisanes" (24). Au-delà du verbiage culturel et particulariste, nous pouvons déceler que cette résurrection de structures inter-villageoises jusqu'alors interdites exprime à tout le moins la réalité d'une lutte contre l'isolement et contre les organisations politiques légales.

Comme c'est généralement le cas de toutes les plates-formes qui émergent des luttes actuelles, celle de ces comités mélange des revendications basées sur les besoins réels de notre classe et d'autres qui entretiennent les polarisations bourgeoises et les particularismes locaux: "Ils réclament, pêle-mêle, le départ immédiat de la gendarmerie, la prise en charge par l'Etat des victimes de la répression, l'annulation des poursuites judiciaires entamées contre les manifestants, la consécration du tamazight comme langue nationale et officielle, d'avantage de liberté et de justice, l'adoption d'un plan d'urgence pour la Kabylie et l'octroi d'une allocation de chômage à tous les sans-emploi..." (25)

Actuellement, "La fonction de ces comités de village est essentiellement défensive", selon un commentateur soucieux de dénoncer l’immaturité politique du mouvement. Il poursuit dédaigneusement sur le succès des Arch: "Comment ne pas adhérer à un discours exigeant réparation pour l’agression subie? C’est un fourre-tout de revendications diverses qui n’est nullement fondé sur une idée prospective ou un programme politique." (26). Cette structure (regroupant 2000 délégués) affirme en effet que "rien n’est négociable", et c’est à cela justement que nous jugeons sa force. L’absence de projet politique au sens bourgeois marque pour nous le refus de se responsabiliser comme gestionnaire, de tomber dans ce piège invariablement tendu par la social-démocratie. Les Arch rejettent aussi tout processus électif dans la répartition des responsabilités.

Il nous est cependant difficile d'évaluer l'expression de ces contradictions au sein des Arch, et cet aspect échappe forcément aux informations calibrées des agences de presse et à leurs commentateurs zélés. Nous ne pouvons en tout cas pas les réduire à certains de leurs appels à manifester "pacifiquement" (quand la violence prolétarienne s'affirme à la moindre manifestation), ni aux déclarations de l'un ou l'autre de leurs "représentants", éventuels candidats-interlocuteurs auprès de l'Etat, quand les prolétaires qui s'y retrouvent ont non seulement brûlé les édifices des partis autonomistes et les "maisons de la culture berbère", mais également refusé, à coup de cocktail Molotov, le "programme spécial d'aide économique à la région" proposé par les autorités au lendemain des premières journées d'émeutes.

Ce dont nous pouvons être sûrs, c'est que la revendication identitaire, la démocratie, constitue objectivement le programme que la bourgeoisie locale, nationale, internationale essaye d'imposer. Le prolétariat, lui, n'a rien à gagner dans ce programme... et tout à perdre! En Algérie, vu le contenu réel des actions directes, il est un fait que le mouvement prolétarien affirme concrètement sa lutte contre le programme démocratique, dans ses variantes parlementaristes, identitaires, etc... même si, comme partout ailleurs, c'est une minorité qui l'impose. Il est évident que, dans toute lutte du prolétariat, sont présents des programmes en-deçà de ce qu'affirme le mouvement dans sa pratique réelle et que, toujours, la presse bourgeoise ne va mettre en exergue que les expressions les plus confuses du mouvement, œuvrant à déposséder le prolétariat des aspects les plus forts de sa lutte.

Contre le mythe de l'invincibilité de l'Etat...

De manière générale, la social-démocratie nous présente actuellement la lutte de classe comme une lutte "appareil contre appareil": "flics contre manifestants", "jeunes émeutiers algériens contre armée algérienne",... Partant de l'affrontement entre appareils en soi, ce type de postulat dualiste n'envisage que la puissance en soi de chaque appareil pris isolément. Si au terme de l'affrontement, l'appareil contestataire s'avère battu, on en déduira que la puissance de l'Etat était supérieure dès le départ. Face à cette défaite, les fractions social-démocrates vont déclarer que ce n'était pas le moment de lutter, tandis que certaines fractions du prolétariat vont prôner le volontarisme armé comme seul moyen d'attaquer l'Etat tout-puissant (27). C'est de ce cadre non dialectique d'analyse qu'émerge le mythe de la toute puissance de l'appareil étatique. L'idéologie du réformisme armé (en l'occurrence l'idéologie du foquisme chère à Castro et Guevara) envisage que la force acquise par "l'appareil militaire prolétarien" (cellules combattantes, guérilla,...) serait à décompter graduellement de la puissance de l'appareil bourgeois jusqu'à la maturité complète de "l'Etat prolétarien". L'idéologie défaitiste bourgeoise envisage quant à elle chaque "défaite" du prolétariat comme renforçant d'un cran l'invincibilité de l'Etat. Entre ces deux idéologies, il y a une simple inversion de point de vue. Le postulat de la lutte demeure l'affrontement "appareil contre appareil", à partir duquel il est déduit que la force perdue par l'un des camps se transférerait dans l'autre, jusqu'à en faire "le camp victorieux".

En opposition à cette incompréhension de la nature dialectique des rapports sociaux, nous affirmons que:

• Le mythe de la "superpuissance" actuelle de l'Etat n'a de réalité effective qu'en tant qu'idéologie devenue matière contre-révolutionnaire, comme moyen de décourager le prolétariat, toute lutte étant considérée comme perdue d'avance face au colosse étatique

• Le développement de la puissance de l'Etat bourgeois est toujours le produit de la lutte de classe, du rapport de force social entre prolétariat et bourgeoisie. Parler d'invincibilité de la bourgeoisie, de disparition de la perspective révolutionnaire révèle une incompréhension du mode de développement réel de la lutte des classes. Cet immédiatisme voile le fait que la lutte de classe s'est toujours développée par sauts qualitatifs, entrecoupée de périodes de paix sociale plus ou moins longues. Et bien sûr, la durée de celles-ci peut fortifier le mythe du triomphe définitif de la bourgeoisie ou la recherche idéaliste d'un moteur de l'histoire autre que la lutte des classes...

• A chaque nouvelle vague de lutte importante l'affrontement entre classes se fait plus tendu. C'est dialectiquement, dans le mouvement d'affrontement entre révolution et contre-révolution, que le prolétariat affirme et développe toujours plus clairement son projet révolutionnaire. C'est au cours même de la lutte que les antagonismes se dévoilent et que le prolétariat fait les ruptures nécessaires avec les forces contre-révolutionnaires qui entravent le développement de sa lutte et ce, jusqu'à l'abolition de la société de classe elle-même par le prolétariat.

Nous ne pouvons donc voir l'éventuel futur arrêt du mouvement en Algérie comme une "défaite" du prolétariat. La dénonciation que Marx avait faite de la soi-disant "défaite de la révolution de 1848", est toujours valable aujourd'hui:

"Dans ces défaites, ce ne fut pas la révolution qui succomba. Ce furent les traditionnels appendices pré-révolutionnaires, résultats des rapports sociaux qui ne s'étaient pas encore aiguisés jusqu'à devenir des contradictions de classes violentes: personnes, illusions, idées, projets dont le parti révolutionnaire n'était pas dégagé avant la révolution de Février et dont il ne pouvait être affranchi par la victoire de Février, mais seulement par une suite de défaites.

En un mot: ce n'est point par ses conquêtes tragi-comiques directes que le progrès révolutionnaire s'est frayé la voie, au contraire, c'est seulement en faisant surgir une contre-révolution compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment révolutionnaire." (Marx, Les luttes de classes en France, 1850)

Aussi, la critique révolutionnaire peut résolument brandir la lutte actuelle du prolétariat en Algérie comme porteuse de la perspective révolutionnaire, comme preuve vivante de la puissance que contient la classe prolétarienne lorsqu'elle s'affronte directement à l'Etat.

...la lutte contre l'isolement!

La question que nous voulons soulever à présent est de comprendre ce qui conditionne en dernière instance la retombée -toujours provisoire donc- de luttes prolétariennes aussi perspicaces et profondes que celle actuellement en cours en Algérie. L'explication par le seul fait de faiblesses internes au mouvement est selon nous totalement insuffisante dans le cas présent. Il nous semble qu'il faille impérativement dénoncer le manque cruel d'internationalisme prolétarien à l'égard de la lutte des prolétaires en Algérie. En effet, si la répression ou l'épuisement parvient à arrêter momentanément le mouvement, ce ne sera nullement la démonstration de la "superpuissance de l'Etat" en soi, mais bien, au delà des faiblesses internes du mouvement, une conséquence première du manque actuel d'internationalisme prolétarien.

C'est un besoin vital pour le prolétariat de rompre avec la séparation, l'isolement, la non-reconnaissance de ses propres luttes de part le monde. Plus que jamais, il faut comprendre que c'est en dernière instance l'absence de solidarité prolétarienne internationale qui aujourd'hui permet à la puissance répressive de l'Etat de s'exercer contre nos luttes. Il en a été ainsi en Albanie, en Irak,... Et à l'heure d'écrire ces lignes, nous ne voyons pas trop comment il pourrait en être autrement en Algérie. La reconnaissance de la lutte des prolétaires en Algérie par le reste du prolétariat international, son prolongement par la lutte des prolétaires du reste du monde contre sa propre bourgeoisie, est la seule manière de soutenir pratiquement le mouvement prolétarien en Algérie.

La bourgeoisie, elle, semble être bien consciente de ce fait. Aussi, elle va tout mettre en œuvre pour éviter cette reconnaissance. Sa première tactique consiste invariablement à placer des "cordons sanitaires" pour isoler le prolétariat en lutte du reste de sa classe.

En Algérie, le premier cordon qu'elle plaça pour isoler la lutte en Kabylie comme "lutte identitaire berbère" fut rompu par la reconnaissance des prolétaires du reste de l'Algérie de leur lutte commune contre ce "pouvoir assassin" qu'eux-mêmes subissent quotidiennement. Leur trop flagrante communauté d'intérêt a été le moteur de l'extension du mouvement, d'un certain degré de généralisation.

Le second cordon, efficace cette fois, consiste à isoler la lutte des prolétaires en Algérie du reste du monde. La facilité avec laquelle la bourgeoisie parvient à isoler les révoltes prolétariennes est fortement caractéristique de la période actuelle. A nouveau, elle est avant tout permise par le manque d'organisations prolétariennes à travers le monde. Grâce à son monopole de l'information, la bourgeoisie parvient très facilement à particulariser, dénaturer, amalgamer, afin de nier le caractère classiste des luttes. Les médias assument ainsi un niveau étatique essentiel de l'organisation en force du capital. D'un coup de baguette magique, ils ont ainsi transformé en spectacle de compassion les massacres commis en Algérie. Ils ont aujourd'hui transformé l'affrontement violent de nos frères de classe contre leur propre bourgeoisie en une "quête de démocratie". Aux yeux du prolétariat international, ils ont transformé une lutte contre le système en lutte pour la "démocratisation des institutions". Ils nous présentent la lutte qui oppose en Algérie le prolétariat à sa propre bourgeoisie comme une lutte opposant "mauvais généraux" (cruels, corrompus, responsables de tous les maux, de l'inflation jusqu'aux massacres) et "bonnes volontés démocratiques". Ces dernières ont les "mains liées" par les généraux, qui "seuls dirigent réellement le pays depuis 15 ans".

La solution proposée par les médias et humanitaristes de tous bords est de réclamer, à coup de pétition, une "commission d’enquête internationale sur les abus du régime"! Préparant ainsi un encadrement de la gestion du capital par des structures étatiques à leur niveau le plus international, ce type de politique participe également à la construction du "cordon sanitaire". Nous avons à ce propos montré dans notre précédente revue que le rôle à peine voilé de l’OTAN était bel et bien d’éviter que la paix sociale ne se désagrège au niveau mondial. Il s’agit, à travers l’augmentation des subsides de l’OTAN, de renforcer le cordon de protection contre tout risque de contamination, par des luttes prolétariennes isolées, des "zones saines". En isolant les zones de lutte, l’OTAN permet l’indispensable restructuration de la cohésion sociale interne de chaque Etat face à son propre prolétariat. Tant que cet ordre social interne n’est pas rétabli, il n’y a de victoire pour aucune des fractions de la bourgeoisie internationale! Ainsi, c’est directement internationalement que se prépare le massacre de nos frères de classe en lutte en Algérie et que se joue la pérennité de ce système d’exploitation.

C’est également internationalement que se déterminera in fine la capacité d’intervention de l’appareil répressif algérien, comme celle de l’Etat français ou de tout autre Etat. La capacité répressive de n’importe quel niveau d’organisation de l’Etat est avant tout déterminée par la combativité du prolétariat qui lui fait face dans tous les pays. Autant la paralysie actuelle de l’Etat algérien relève du niveau de lutte du prolétariat dans cette région, autant sa restructuration n’est imminente que grâce à la passivité du prolétariat dans le reste du monde face à ces événements. Il n’y pas de "superpuissance", ni d’un Etat national particulier, ni d’aucune coalition internationale bourgeoise!

La décision d’une répression militaire d’envergure n’est pas sans danger pour la bourgeoisie. La nature contradictoire de l’armée, composée aussi de prolétaires en uniforme, en a toujours fait un point particulièrement sensible du mode de production capitaliste. On sait historiquement la rapidité avec laquelle se décomposent les armées bourgeoises dès que les prolétaires qui la constituent fraternisent avec les prolétaires qu’ils sont censés combattre. On a vu plus haut que la bourgeoisie est consciente de la fragilité de son armée, composée majoritairement de prolétaires qui ont vécu les émeutes de 1988. Au contraire de la lutte "appareil contre appareil", de l’affrontement "flics contre manifestants", l’action défaitiste révolutionnaire, sur le front comme dans les arrières, hante obstinément la "superpuissance" de l’Etat!

La généralisation de la lutte s’impose au prolétariat comme un besoin vital. A l’encontre du mythe de la superpuissance de l’Etat, la lutte de nos frères de classe en Algérie nous montre que c’est avant tout parce qu’elle n’a cessé de s’étendre qu’ils sont aujourd’hui encore debout! Mais elle nous montre également que l’absence complète de toute solidarité prolétarienne internationale revient à signer internationalement son "arrêt".

Seule l’affirmation de notre force, partout dans le monde, manifeste la négation mortelle de ce système qui nous tue!

Seule la généralisation de la lutte permettra le dépassement révolutionnaire des sociétés de classes, donnant naissance à une société qui satisfait réellement les besoins humains!

Etendons la lutte!

Classe contre classe!

Reprenons le drapeau de la révolution mondiale!

Octobre 2001

Notes

1. Le Monde, 24 avril 2001.
2. Yahoo! Actualités, 26 avril 2001.
3. Libération, 24 avril 2001.
4. Libération, 24 avril 2001.
5. "Rassemblement pour la culture et la démocratie", "Front des forces socialistes" et "Mouvement Culturel Berbère".
6. Commentaire de l'envoyé spécial de Radio France, journal parlé de la RTBF-radio, 17 juin 2001.
7. Libération, 30 avril 2001.
8. Libération, 30 avril 2001.
9. Telle fut la politique de l'Internationale Communiste dès les années 1920-23.
10. Le Soir, 16 et 17 juin 2001.
11. Libération, 30 avril 2001.
12. Libération, 30 avril 2001.
13. Libération, 30 avril 2001.
14. Le Monde, 26 avril 2001.
15. Libération, 14 juin 2001.
16. Cité dans Le Monde du 3 novembre.
17. Nous renvoyons le lecteur à nos articles concernant la lutte des prolétaires au Maroc (Le Communiste n°10-11, août 1981), en Tunisie et au Maroc (Le Communiste n°19, février 1984), en Afrique du Sud (Le Communiste n°21, décembre 1984, & n°23, novembre 1985) et au Nigéria (Communisme n°41, décembre 1994). Lors de l'embrasement insurrectionnel en Irak en 1991, des luttes ont également vu le jour en Afrique, notamment en Egypte et au Mali.
18. Voir Communisme n°39, octobre 1993.
19. Voir Communisme n° 36, juin 1992.
20. Après 10 jours d'émeutes, la presse elle-même établit le lien: "Cette révolte ressemble à s'y méprendre à celle qui ébranla le pays en octobre 1988 et fit 500 morts après que l'armée eut tiré sur la foule." (Libération).
21. "Front Islamique du Salut".
22. Le Figaro, 5 juillet 2001.
23. Libération, 14 juin 2001.
24. L'Intelligent [sic] - Jeune Afrique n°2113, 10-16 juillet 2001. A propos des "Archs", voir aussi dans l'ineffable Monde Diplomatique, juillet 2001.
25. L'Intelligent - Jeune Afrique n°2113, 10-16 juillet 2001.
26. L'Intelligent - Jeune Afrique n°2113, 10-16 juillet 2001.
27. Concernant ce type d'action du prolétariat, nous renvoyons le lecteur à notre article "Critique du Réformisme armé" (Le Communiste n°17, juillet 1983), ainsi qu'à deux autres de nos articles sur le terrorisme: "Contre le terrorisme d'Etat, de tous les Etats existants" (Le Communiste n°26, février 1988) et "Discussion sur le terrorisme" (Le Communiste n°3, septembre 1979, et n°5, janvier 1980).



Nous soulignons

La guerre bio est sur le marché

* * *

Mourir foudroyé ou à petit feu, le prolétaire a l’embarras du choix. De l’agro-alimentaire au militaro-industriel, tout est une question de dosage. Au cours d’une journée de travail normale, il convient d’encaisser la dose réglementaire de CO² dans les embouteillages, d’amiante, de solvants et de crasse, la dose tolérable de stress et de coups de triques, la dose régulière d’alcool, de tabac, de médocs, de came, la dose assimilable de dioxine, de pesticides, d’hormones et d’antibiotiques dans le plat du jour raisonnablement transgénique, de métaux lourds et de phosphates dans l’eau, d’UV sous le trou d’ozone que voile parfois un providentiel nuage radioactif quasiment inoffensif, la dose admissible de rayonnements de TV, de moniteurs, de micro-ondes, de téléphonie mobile,... et la dose prescrite de chimio- et radiothérapie pour reléguer au bout du rouleau son corps à la Science. Sans oublier, bien entendu, le taux acceptable de surdoses (1).

Depuis la guerre du Golfe (1991) ainsi que lors de l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie, les munitions renforcées à l’Uranium appauvri (UA) ont fait leur apparition massive. Ce métal bon marché, déchet de l’industrie nucléaire, a la capacité de transpercer le blindage des chars. Il est aussi radioactif, ce qui s’accompagne de quelques "effets collatéraux": contamination des ouvriers et du voisinage des usines de fabrication, risque pour les artilleurs lors de la manipulation des munitions, et surtout pollution radioactive durable consécutive à l’explosion (cumulée à la dispersion d’amiante hors des bâtiments bombardés). S’ajoutant à la détérioration notoire de notre patrimoine génétique, il est avéré que l’UA offre à la génération suivante un bel assortiment de difformités (2).

La fabrication et l’utilisation des armes à l’UA répond évidemment à certaines nécessités du capital (destruction de matériel blindé réputé résistant et durable, surenchère sur le marché de l’armement, expérience in vivo quant aux effets de la contamination,...). Nécessités immédiates et plus globales s’avérant d’ailleurs contradictoires, car contaminer une zone peut la dévaloriser à long terme. L’arme qui affaiblit l’Etat ennemi d’un jour peut entraver la reprise des affaires le lendemain.

La dénonciation de l’usage de telles armes ne porte pas en elle-même la critique de la guerre bourgeoise, on la voit même voler à son secours en recommandant de réorganiser humanitairement la destruction impérialiste, et d’humaniser la violence de l’Etat. La "guerre propre" est disqualifiée par des "armes sales"? Vive les armes propres! rétorquent en chœur les humanistes. Au lieu de crever au Champ d’Honneur, des prolos sautent "au hasard" sur des mines antipersonnel? A bas l’arme des lâches! bombardent les gardiens offusqués de la moralité guerrière. Vive la guerre conventionnelle, écologiquement correcte et hygiénique!

Ainsi, quand le prolétaire commence à s’inquiéter de la toxicité croissante de son environnement sous les auspices du progrès capitaliste, divers spécialistes bourgeois sont là pour lui tirer dans le dos: experts scientifiques, syndicalistes qui marchandent notre exploitation (y compris au sein des forces armées), activistes-négociateurs écologistes troquant la paix sociale contre la promesse d’un capitalisme qui n’abolirait pas à terme toute possibilité de survie, et bien sûr gouvernements, techniciens et Etats-majors recrutant pour leurs laboratoires de la destruction que sont les champs de bataille (3). Tous ordonnent en chœur: retourne au turbin, nous nous occupons des statistiques. Ils peuvent même exhiber des prolétaires irradiés, à condition que ceux-ci restent dignes et télégéniques, se lamentant de leur sort immérité après avoir si vaillamment charcuté sous les drapeaux.

Il y a pourtant longtemps que la mesure est comble: le travail fauche pendant que la guerre étripe; l’un comme l’autre sont toujours contre nous (4). Le même cynisme, les mêmes calculs froids, les mêmes intérêts suprêmes de la valorisation du capital qui s’imposent aux techniciens de l’armement déterminent aussi nos sinistres conditions de survie.

Comme la polarisation bourgeoise entre "travail décent" et "travail inhumain", celle entre guerre "propre" et guerre "sale" peut réserver des surprises, surtout quand les Etats-majors militaires y prennent confortablement position. Suite aux traités internationaux d’interdiction des mines antipersonnel, on a vu l’armée française réclamer le développement et l’acquisition massive d’ANL (Armes Non Létales). Ce type d’arme a pour but de neutraliser fût-ce violemment) l’adversaire sans le tuer et sans destruction d’équipement ou de matériel. Il va sans dire qu’il s’agit d’un complément aux armes létales, indémodables. Tout un éventail d’ANL est développé afin de répondre aux nécessités de certaines missions de maintien de l’ordre, de répression, parallèlement aux bonnes vieilles munitions. Les situations évoquées par les Etats-majors recouvrent l’extension de troubles civils (entendez à caractère insurrectionnel), lorsque la foule (le prolétariat) s’en prend à des intérêts vitaux et des points stratégiques (pour l’ordre bourgeois): énergie, production, stocks, ravitaillement, transports, communications, gouvernement, forces de l’ordre et militaires (5).

Annoncée à demi-mots dans ces scénarios, la réponse de classe au capitalisme salement propre ou proprement sale, c’est le prolétariat qui refuse de creuser sa tombe dans le labeur quotidien ou les tranchées, qui refuse de monter aux fronts, de se sacrifier pour le progrès ou l’effort de guerre, et tourne ses armes contre "sa" propre bourgeoisie. Cessant de subir, affirmant directement ses besoins contre ce vieux monde toxique, il est amené à affronter et à balayer les diverses forces d’encadrement énumérées plus haut, à mesure que les contradictions s’exprimeront plus ouvertement.

Notes

1. Un torchon mutualiste titrait récemment à propos du cancer: "Le prix du bien-être". Admirable cynisme de la société actuelle.
2. Concernant le fameux "syndrome de la guerre du Golfe", notons que plusieurs hypothèses mettent en cause les traitement "préventifs" administrés aux soldats: les multiples vaccins, et un antidote contre un gaz chimique.
3. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’ils se donnent ouvertement la main. Le syndicat socialiste belge CGSP, section Forces Armées, annonça triomphalement le résultat de ses revendications face aux dangers de l’UA: les militaires belges (prétendument complètement équipés pour la guerre nucléaire-bactériologique-chimique) envoyés au Kosovo allaient enfin avoir droit à un test d’urine avant et après leur mission. Les soldats qui s’y trouvaient déjà eurent droit au test d’urine à leur retour. Et si elle n’était pas trop contaminée, ils ont pu la boire à la santé du Capital?
4. A titre purement indicatif, au rayon des statistiques bourgeoises, signalons l’étude du vénérable BIT (Bureau International du Travail), département de l’ONU: sur 250 millions "d’accidents du travail" annuels dans le monde, un million sont mortels. Dans la panoplie des catégories sociologiques séparées, ceci place "les décès au travail" juste devant ceux par "accidents de la route" (990.000), par "les conflits armés" (502.000), "la violence" (563.000), et "le sida" (312.000).
5. Dans les années 1990, des Etats-majors (notamment en Belgique, en Suisse) ont organisé plusieurs exercices de manoeuvres selon des scénarios insurrectionnels assez révélateurs de leurs préoccupations, mais subtilement habillés aux couleurs exotiques de "communautés immigrées s’opposant aux intérêts occidentaux, européens, nationaux" (ce qui fit évidement bêler le choeur antiraciste).