Rupture

avec le

Courant Communiste International

* * *

Introduction

Une partie des militants du Groupe Communiste Internationaliste sont issus du Courant Communiste International, organisation qu'ils ont quittée en février 1979. Par ce texte, nous voulons expliquer les divergences principales (*) qui se sont développées dans le CCI et qui ont conduit à la scission. Notre but n'est pas de convaincre le CCI d'abandonner sa révision des acquis centraux du marxisme, mais par contre de contribuer à la clarification des erreurs, déviations et inadéquations de cette organisation par rapport aux tâches fondamentales des communistes à l'époque actuelle. Nous pensons que ce texte peut servir à ceux qui ont encore des illusions sur la possibilité de "redresser" le CCI de l'intérieur, qui se rapprochent de cette organisation "faute de mieux", ou qui se convainquent du caractère "privilégié" de la discussion avec le CCI pour la construction du parti mondial de la révolution prolétarienne.

Le "marxisme" du CCI

La plate-forme du CCI (Revue Internationale No.5) proclame que "l'ensemble des frontières de classe sont présentées dans cette plate-forme" au même titre que les "apports essentiels" des Internationales et des Gauches Communistes. En ce qui concerne les "nouveautés" et les "originalités" que cette plate-forme manifeste indéniablement par rapport aux affirmations de toujours du marxisme, le CCI considère qu'elles représentent "l'enrichissement indispensable" que les communistes actuels doivent apporter à la théorie du passé.

Nous pensons au contraire que les positions du CCI intègrent dans les "frontières de classe" des conceptions parfaitement bourgeoises, que les apports des Internationales et des Gauches Communistes y sont présentés sous une forme tronquée et que les "découvertes" particulières du CCI sont autant de retours aux déformations de toujours qu'a connues le marxisme. Se vérifie encore une fois "que les grandes phrases contre l'ossification de la pensée, etc., dissimulent l'insouciance et l'impuissance à faire progresser la pensée théorique (...), que la fameuse liberté de critique ne signifie pas le remplacement d'une théorie par une autre, mais la liberté à l'égard de tout système cohérent et réfléchi; elle signifie éclectisme et absence de principes" (Lénine, Que Faire?).

De quelle façon le CCI est impuissant à faire progresser la pensée théorique, de quelle façon son programme se caractérise par l'incohérence, l'éclectisme et l'absence de principes, c'est ce que nous allons essayer de montrer.

Le programme communiste tire sa substance des déterminations fondamentales de la lutte prolétarienne: il est l'expression à la fois de ses buts, de son mouvement et de ses moyens. La réappropriation de ce programme est une tâche difficile, mais cette difficulté n'autorise pas les communistes à brader aussi grossièrement que ne le fait le CCI ce qui constitue les fondements mêmes du communisme. Que le prolétariat doit détruire l'Etat bourgeois et le remplacer par son propre Etat ouvrier, qu'à la terreur bourgeoise il faut opposer la terreur révolutionnaire, qu'à un parti pour la propagande il faut opposer un parti pour l'action, cela n'a rien de directives contingentes, mais c'est une chose constamment répétée par les marxistes et qu'on ne peut pas qualifier d'affirmations "malheureuses", ou "accidentelles". Si le CCI considère que ces acquis ne sont plus valables, qu'au moins il cesse de se rapporter à Marx ou à Lénine pour justifier ses révisions et les démarcations seront claires pour tout le monde.

Il est correct d'affirmer que les traits fondamentaux du programme prolétarien ont pu être perçus dès les premières apparitions des ouvriers comme classe indépendante, mais qu'il a fallu et qu'il faudra encore beaucoup de défaites et de tâtonnements dans la lutte pour en comprendre toutes les implications et en tirer toutes les conséquences. La théorie révolutionnaire ne s'épure que progressivement de l'idéologie bourgeoise: c'est pourquoi elle se critique sans cesse elle-même, corrigeant ses erreurs passées qui manifestaient une rupture encore incomplète avec la bourgeoisie.

Le CCI se base sur la nécessité de cette auto-critique permanente du marxisme pour dénier toute continuité à la théorie, pour prendre du communisme ce qui lui convient et rejeter ce qui ne lui convient pas. Avec cette méthode, les fondements du communisme peuvent être jetés aux poubelles de l'histoire sans que personne n'ait jamais rien à y redire. Le marxisme n'est plus envisagé comme une théorie toujours plus tranchée dans ses caractéristiques fondamentales, et dont la progression s'opère dans un cadre principiel déterminé qui fournit les grandes règles de l'action prolétarienne, mais comme une bouillie informe, sans aucune loi, et dont chacun peut accommoder la sauce sans pour autant cesser d'être marxiste.

Classe et Parti

"Cette organisation des prolétaires en classe, et donc en parti politique, est sans cesse de nouveau détruite par la concurrence que se font les ouvriers entre eux. Mais elle renaît toujours, et toujours plus forte, plus ferme, plus puissante."
(Manifeste du Parti communiste, 1848).

La définition du prolétariat

Le CCI situe l'existence de la classe ouvrière dans l'ensemble des producteurs associés de marchandises et de plus-value. Il croit que cette détermination statique suffit à définir le prolétariat.

Pour le marxisme au contraire, les classes ne sont pas des données statiques, mais des forces organiques agissantes. Elles se déterminent et se définissent dans la lutte, comme mouvements d'opposition à d'autres classes. L'existence d'une classe se manifeste lorsque la pratique d'une collectivité à l'un des pôles de la production, et la communauté d'intérêts qui en découle, s'élargissent en une action et une lutte collective.

L'opposition d'intérêts économiques et politiques généraux vis-à-vis des intérêts capitalistes ne détermine pas mécaniquement, et dans toute situation, l'apparition de la classe ouvrière. Celle-ci est une force sociale qui ne peut se définir que comme unité collective à travers son action dans la dynamique historique. "Le prolétariat est révolutionnaire ou il n'est pas", disait Marx. Il n'existe comme classe que s'il agit comme classe, tendant à réaliser ses buts de classe.

Pour le CCI, simplement oser affirmer que les prolétaires puissent s'intégrer à l'aile gauche de la bourgeoisie est un blasphème contre l'entité sacrée qu'il a faite du mot prolétariat. Toute la conception des luttes ouvrières qu'a le CCI repose sur cette vision idéaliste: la classe ouvrière est "la classe dans son ensemble", c'est-à-dire, non pas l'ensemble des prolétaires en lutte avec des méthodes et des objectifs prolétariens, mais l'ensemble des prolétaires tout court. Le CCI méconnaît que l'existence de la classe ouvrière ne se manifeste pas dans l'énumération statistique des prolétaires, ni même forcément dans une majorité d'entre eux, mais souvent dans des minorités d'entre eux parmi lesquelles s'exprime la tendance à la constitution de la classe.

Les communistes doivent reconnaître que l'apparition du prolétariat s'exprime au préalable dans une partie des ouvriers qui entrent en lutte avant les autres. Cela signifie-t-il que la classe est désormais fixée dans cette fraction? Nullement. La classe est un mouvement qui se concrétise dans des groupes, des noyaux, des organisations,... qui vont en s'élargissant ou en se rétrécissant, et dont le centre de gravité se déplace fébrilement et par bonds, acquérant une autonomie plus ou moins grande par rapport à la bourgeoisie.

Les oscillations du CCI

Le CCI ne considère pas la classe comme mouvement. Cela l'amène aussi bien à localiser la classe là où elle ne se manifeste pas, qu'à mépriser les actions qui ne correspondent pas suffisamment à son schéma idéaliste de la classe qui ne sont pas assez "classe dans son ensemble". Le critère utilisé par le CCI n'est pas le contenu de la lutte, mais seulement sa forme, et plus précisément son degré de massivité. C'est pourquoi le CCI oscille éternellement entre la glorification de n'importe quelle action pourvu qu'y soit impliquée une grande masse de prolétaires et qu'apparaissent des signes extérieurs de radicalisation (dans la vague de lutte d'après 1968, par exemple, on avait l'impression que la révolution n'allait par tarder; au Portugal seule l'extrême-gauche en arrivant au gouvernement, pouvait encore stopper le mouvement révolutionnaire, etc.), et d'autre part la sous-estimation des luttes ouvrières quand elles n'atteignent pas un degré de massivité et de pureté quantitative suffisants au gré du CCI.

Si la "classe dans son ensemble" est toujours le point de départ et l'aboutissement de son analyse, il serait vain de chercher une logique minutieuse dans l'oscillation inquiète du CCI entre la surestimation (en général après coup) et la sous-estimation du niveau réel atteint par le prolétariat dans son processus de constitution en classe. Sa seule logique est l'absence de logique; l'empirisme le plus étroit est sa méthode. Une même lutte peut être le prétexte à des changements d'appréciation brutaux, à des virages à 180° du jour au lendemain (lire attentivement, par exemple, la succession des articles du CCI sur les luttes de classe en Iran).

Le principe de l'oscillation perpétuelle est pourtant contenu dans les fondements programmatiques du CCI. Le CCI ne veut pas admettre que la constitution du prolétariat en classe procède par des différenciations au sein de l'"ensemble" des prolétaires: non seulement en termes de conscience (le Courant admet bien une hétérogénéité de la conscience) mais également en termes d'action et d'organisation (cela reste pour le CCI une chose incompréhensible). Le CCI ignore tout simplement que l'émergence de la classe ouvrière comme force organisée est guidée dans son processus par des minorités d'avant-garde, qui entraînent derrière elles les grandes masses de prolétaires, et n'est jamais un fait d'emblée massif pouvant se priver de parcourir un tel chemin.

Le propagandisme du CCI

Il n'y a aucun problème à montrer au CCI qu'il n'oriente pas pratiquement la lutte, ou ne fait pas d'efforts en ce sens, parce qu'il considère spontanément que telle n'est pas sa tâche. Alors que le CCI accuse la plupart des organisations communistes et des noyaux ouvriers de se concevoir comme "extérieurs" à la classe ouvrière, cette séparation atteint chez lui sa caricature maximale: son rôle est uniquement de faire de la propagande, par voie écrite ou orale, en d'autres termes d'influencer les cerveaux. Le CCI aurait beau qualifier cette action d'"orientation", "guide" ou "direction" (comme il a aujourd'hui tendance à le faire pour courtiser des éléments plus décidés que lui, et en général pour donner l'impression qu'il se démarque quand même du conseillisme), il ne pourrait pas dissimuler que cette tâche ne l'intéresse pas puisqu'il prétend que le rôle des communistes "n'est pas d'organiser la classe ouvrière", mais "de participer activement à la généralisation des luttes prolétariennes et de la conscience révolutionnaire au sein du prolétariat" (cf. dos des publications du CCI).

Comme si la "participation active" à la généralisation des luttes prolétariennes n'impliquait pas également une volonté, un travail d'organisation de ces mêmes luttes? Dans le CCI, l'abondance des superlatifs -"la plus active", "la plus décidée", "le rôle indispensable"- concernant l'organisation des révolutionnaires ne sert qu'à camoufler la passivité, l'indécision et le rôle accessoire. Il ne peut en être autrement puisque le CCI a décrété: "désormais, la fonction générale des révolutionnaires s'exprime à travers la tâche d'élaboration des positions politiques de la classe et de leur diffusion au sein de celle-ci" (Les tâches présentes des révolutionnaires, Révolution Internationale No.27, page 6).

Lorsque le CCI dénonce les "incompréhensions des tâches des révolutionnaires", il précise sa vision de la "fonction spécifique" qu'il attribue aux communistes:

"cette fonction fait intervenir au premier plan un problème d'élaboration et de diffusion d'une pensée (sic!). C'est donc en fonction des moyens de diffusion de la pensée qu'on peut envisager les questions des moyens de l'organisation dans l'accomplissement de ces tâches telles qu'on les a définies" (Les tâches..., Révolution Internationale No.31, page 5).
Suit alors un catalogue particulièrement délirant des attributs de la "fonction spécifique" -manuel du parfait prêcheur décrivant les "moyens" de la révolution par la phrase: on y apprend que "la pensée dispose de deux moyens de diffusion (qui sont également des moyens participant à son élaboration): l'écrit et la parole"; que "l'écriture représente un progrès considérable sur la parole", mais qu'il ne faut pas croire que cette dernière "n'a aucune place à prendre dans l'activité de l'organisation révolutionnaire"; que "la parole favorise la communication et le contact entre membres de la société", qu'elle "permet le dialogue et se prête donc à un échange", etc... tout cela est envisagé sous toutes les coutures (voir Révolution Internationale No.31, ibidem).

Ce discours vraiment grotesque, vraiment infantile n'est pas un accident: le CCI le prend très au sérieux. Le document que nous citons est conçu pour orienter l'activité des militants et pour présenter les "tâches des révolutionnaires" à grande échelle. Le CCI y pousse lui-même ses conceptions jusqu'à la caricature: en cela ce texte est particulièrement révélateur de ses prétentions et démontre par A+B que le CCI, en matière de "pôle de regroupement", se conçoit purement et simplement comme un phare de la conscience.

Là où les communistes, depuis l'aube de leur existence, ont toujours cherché à assumer toutes les tâches de la lutte, à prendre une part active à tous les domaines du combat politique, en déclarant qu'ils n'avaient pas une nature différente des autres associations ouvrières, le CCI quant à lui estime avoir une fonction en propre: la propagande (principe particulier sur lequel il voudrait modeler tous les groupes révolutionnaires), comme d'autres estiment qu'ils sont nés pour faire les grèves, et d'autres encore pour empoigner la mitraillette.

Alors que les communistes n'ont pas d'intérêts qui divergent de l'ensemble des intérêts du prolétariat, le CCI s'en est créé un: son corporatisme propagandiste. Il ne s'organise que pour "l'élaboration et la diffusion d'une pensée". Cela lui interdit de faire valoir les intérêts communs à tout le prolétariat, mais surtout de figurer parmi les fractions les plus résolues des associations ouvrières de tous les pays, ces fractions qui entraînent toutes les autres.

Point par point, le CCI s'écarte résolument des tâches des communistes telles que les définissait, par exemple, le Manifeste du Parti en 1848. Pour ce dernier, il n'y avait pas de contradiction entre faire de la propagande d'une part, organiser la lutte prolétarienne dans tous les domaines d'autre part. "La fraction la plus claire" était en même temps "la plus décidée". Le CCI orne souvent ses publications de cette citation du Manifeste. Mais il jongle avec les mots, il y a manifestement confusion dans les termes: le CCI est très décidé, parce qu'il écrit et parle avec un zèle remarquable.

Les conséquences du propagandisme

Quand un membre du CCI est en même temps ouvrier, se pose alors une énorme difficulté: que faire pour que cet "ouvrier communiste" défende ses propres intérêts sans dénaturer les positions du CCI qui s'oppose à toute fonction organisative? C'est très simple: il s'agit de son problème individuel et le CCI n'a pas de perspectives à ce niveau. Lorsque ce militant s'organise avec ses camarades pour mener la lutte, il est ouvrier; lorsqu'il fait de la propagande pour le compte du CCI, il est révolutionnaire.

Les militants sont enfermés dans ce dualisme absurde, tiraillés entre deux âmes, dont une leur souffle: "organise la lutte", l'autre: "n'organise pas la lutte, ce n'est pas ton rôle". Là où se produit une connexion, malgré le CCI, entre organisation de la lutte ouvrière et action de ses militants, c'est le désarroi. Un désarroi que le Courant surmonte en transférant à ses militants individuels, abandonnés à eux-mêmes, la responsabilité de "réagir en tant qu'ouvriers" (certains poussent d'ailleurs cette logique à bout, dans un sens ouvriériste, en quittant le CCI pour se consacrer aux "comités de grève" et aux "noyaux prolétariens": cf. la rupture dans la section de Clermont-Ferrand en France).

Inutile de dire que le CCI néglige d'utiliser ses militants ouvriers pour s'implanter parmi les prolétaires (il n'y a pas de problème d'"implantation" étant donné que le "CCI est une fraction de la classe": pourquoi se poser un problème de liaison avec une classe lorsqu'on est déjà fraction de cette classe?!), pour organiser et diriger la lutte de classe (c'est l'affaire des ouvriers "eux-mêmes", pas de l'organisation communiste: à ce stade on a déjà oublié que l'organisation communiste est une "fraction de la classe"), pour construire un solide réseau organisationnel autour du groupe communiste (c'est strictement interdit parce que si on aboutit à un tel résultat, on a fixé les ouvriers dans un "état de conscience intermédiaire" qui les empêcherait d'atteindre à la vraie "conscience communiste", qui les empêcherait de s'intégrer au CCI, car celui-ci les aurait encouragés à une activité demi-demi, demi "classe dans son ensemble", demi "organisation des révolutionnaires").

Un programme de désorganisation du prolétariat

Le CCI généralise sa coupure métaphysique et mécanique à tous les niveaux de l'organisation des prolétaires en classe. Puisque la lutte pratique est l'affaire de "toute la classe" (conçue comme la somme brute des prolétaires dans un pays ou une usine donnés, à un moment déterminé), celle-ci s'organisera dans les Conseils. Les révolutionnaires, partie de "toute la classe" devant s'auto-limiter à la propagande, s'organiseront dans le Parti.

Pour le CCI:

"l'organisation des Conseils regroupe l'ensemble de la classe: le seul critère d'appartenance est d'être un travailleur.
Le second, par contre, ne regroupe que des éléments révolutionnaires de la classe. Le critère d'appartenance est non plus sociologique, mais politique: l'accord sur le programme et l'engagement à le défendre" (Plate-forme du CCI, Revue Internationale No.5, page 21).
Dans ces deux seuls paragraphes, le CCI accumule une quantité invraisemblable de contre-sens historiques et de déformations du marxisme. Avec sa conception sociologique de la classe, il est normal qu'il donne une définition sociologique des organes ouvriers de masse. Selon le CCI, Trotsky ne devait donc pas prendre la tête du Soviet de Pétrograd, mais s'abstenir d'y participer? Les sociaux-démocrates avaient parfaitement raison d'interdire à Rosa Luxembourg l'accès aux Conseils qu'ils dominaient, sous prétexte (exactement la même argumentation!) qu'elle n'était pas "sociologiquement" une ouvrière?

Le CCI croit que les organisations prolétariennes de masse sont sans programme et que c'est bien ainsi. Il se rend encore une fois coupable de falsification des faits. Lorsqu'apparaissent de telles organisations (et peu importe les appellations qu'elles se donnent: syndicats, clubs, soviets, coordinations, unions, etc. qui ont énormément varié dans l'histoire et varieront encore, comme varieront les formes et les structures), on constate justement que ces organisations font un énorme effort pour préciser leurs buts et leurs méthodes. Cet effort n'est pas "inadmissible", mais exprime la réelle tendance du prolétariat à se constituer en classe. Peu importe si cette tendance se paie de l'exclusion à coups de crosse de ces prolétaires qui persistent à penser que la révolution doit être combattue, que la collaboration avec le capital est l'idéal du prolétariat.

Le CCI ne voit que la forme de la lutte au lieu de se préoccuper de son contenu. Les organisations ouvrières sont pourtant déterminées par leur pratique au cours des combats et des attaques du prolétariat contre l'Etat capitaliste. C'est cela qui constitue le critère de l'appréciation que les marxistes portent sur ces associations, non des lois, des noms ou des statuts formels. Il est infiniment préférable (pour prendre un exemple actuel) que surgissent des associations -même plus restreintes- qui s'affirment clairement contre le programme des syndicats, pour des méthodes d'action directe, pour la grève sans préavis et sans limitation de durée, pour l'auto-défense prolétarienne et l'utilisation de moyens illégaux là où les moyens "légaux" s'avèrent inefficaces, etc., que d'informes parlements ouvriers qui ne savent ni que dire ni que faire et sont des jouets aux mains de la bourgeoisie.

Le CCI ignore que ni la quantité de prolétaires, ni les votes, ni les statuts de révocabilité des délégués ne constituent des garanties contre la récupération par le capital. Au contraire, dans certaines circonstances, ils peuvent très bien lui servir de fondement. Les "conseils" eux-mêmes sont susceptibles de tomber sous l'influence bourgeoise et de servir à l'étranglement de la révolution (comme l'atteste l'action contre-révolutionnaire d'une partie des conseils en Allemagne et en Europe centrale dans les années 20).

Bizarrement, le CCI appelle "organisations politiques" les seules "organisations des révolutionnaires", pas les autres. Il refuse aux associations qui ne se conçoivent pas à son image de se doter d'un programme de lutte en conformité avec les besoins du mouvement dans une phase déterminée. Pour le CCI, le critère d'appartenance "politique" est l'attribut exclusif d'un organe de propagande. C'est pourquoi il se prononce pour le rassemblement immédiat dans une organisation donnée, non pas des prolétaires en lutte, mais de tous les prolétaires, et subordonne l'action révolutionnaire à ce rassemblement, se plaçant ainsi en totale contradiction avec la lutte prolétarienne.

Il oeuvre à la désorganiser encore plus lorsqu'il ajoute: "démentant les conceptions de l'Internationale Communiste, l'histoire de ce dernier demi-siècle a démontré qu'il ne pouvait exister pour la classe d'autres formes d'organisation que celles qui viennent d'être définies" (A propos des groupes ouvriers, Révolution Internationale No.40, page 6). Les malheureux ouvriers qui ne sont ni assez nombreux pour lutter par la grève, ni assez "clairs" pour être reconnus comme révolutionnaires par le CCI, forment des associations "hybrides" qui doivent "se dissoudre" pour se consacrer à la "discussion" (auquel cas ils commencent à sortir de leur no man's land pour entrer dans la sphère des "organisations politiques": cf. Révolution Internationale No.39/40/41).

Que les noyaux ouvriers ne s'imaginent surtout pas qu'ils doivent travailler à la reprise de la lutte et à la préparation de son organisation! "Dans la période actuelle, argumente le CCI, il est impossible de maintenir en vie des organes permanents de défense véritable des intérêts économiques du prolétariat" (Plate-forme du CCI, Revue Internationale No.5, page 13).

"Par conséquent, le caractère capitaliste de ces organes (les syndicats) s'étend à toutes les 'nouvelles' organisations qui se donnent des fonctions similaires et ceci quel que soit leur modèle organisatif et les intentions qu'elles proclament. Il en est ainsi des 'syndicats révolutionnaires' ou des 'shop stewards' comme de l'ensemble des organes (comités ou noyaux ouvriers, commissions ouvrières) qui peuvent subsister à l'issue d'une lutte, même opposés aux syndicats, et qui tentent de reconstituer un 'pôle authentique' de défense des intérêts immédiats des travailleurs. Sur cette base, ces organisations ne peuvent pas échapper à l'engrenage de l'intégration effective dans l'appareil d'Etat bourgeois, même à titre d'organes non officiels ou illégaux" (Ibidem.).

Que faut-il donc au CCI? Sont capitalistes, non seulement les "shops stewards", etc. (ce qui est indéniable: précisément parce qu'ils ne défendent même pas les "intérêts immédiats des travailleurs"), mais également les "comités ou noyaux ouvriers... opposés aux syndicats (!)... qui tentent de reconstituer un pôle authentique de défense des intérêts immédiats des travailleurs (!!!)... même à titre d'organes non officiels ou illégaux (!!!)".

Faut-il en conclure que la classe ouvrière ne doit pas s'organiser pour la défense de ses intérêts immédiats? Le CCI ne comprend pas vraiment, dans toute sa signification, ce que disaient les statuts de la Première Internationale: "le mouvement économique et l'action politique de la classe ouvrière en lutte sont indissolublement liés entre eux". Pour des marxistes, tenter de reconstituer un "pôle authentique de défense des intérêts immédiats des travailleurs" ne signifie pas autre chose que lutter pour la réapparition d'un réseau d'associations défendant les intérêts historiques du prolétariat.

Ces deux exigences ne sont pas contradictoires: elles sont liées entre elles. Même pour imposer des "revendications immédiates", il n'y a pas d'autres solutions que des moyens révolutionnaires; seule la révolution peut résoudre définitivement les contradictions exprimées par la lutte quotidienne des prolétaires. D'autre part, une classe ouvrière qui perdrait constamment pied dans des combats "immédiats" se rendrait incapable d'entreprendre une action de plus grande envergure.

N'importe quelle expression prolétarienne contient des aspects économiques et politiques, inégalement développés si l'on veut et sous des formes multiples et variées, mais invariablement présents, ne serait-ce qu'à l'état embryonnaire. On ne juge pas une organisation sur ce qu'elle dit d'elle-même ni sur le drapeau qui flotte au-dessus du mouvement. Les communistes ne condamnent ni ne fétichisent aucune forme de lutte de classe. Ils ne s'opposent pas aux nombreuses associations qui surgissent parmi les prolétaires et qui luttent pour des objectifs particuliers, assument des tâches particulières avec des moyens particuliers; ils visent encore moins à les détruire. Ils agissent pour élever leur niveau, généraliser leurs tâches et leurs objectifs, les fondre ensemble organiquement: c'est-à-dire les réunir en une seule organisation ou du moins, si ce n'est pas possible directement, les centraliser autour du pôle plus avancé.

Ainsi se crée l'organisation politique autonome du prolétariat: le parti communiste, résultat le plus élevé du mouvement des prolétaires eux-mêmes. Comme le disait Marx: "la Ligue aussi bien que la Société des Saisons de Paris et cent autres organisations n'ont été qu'un épisode dans l'histoire du Parti qui naît spontanément du sol de la société moderne". Toutes les associations partielles du prolétariat (conseils d'usine, syndicats classistes, groupes de propagande, cercles et noyaux prolétariens, comités de grève, soviets, organismes militaires, etc.) représentent des épisodes dans l'histoire du parti -que ce soit dans le temps ou dans l'espace. L'existence de ces différentes formes traduit la vitalité d'un mouvement en même temps que ses limites. La classe ouvrière apparaît de divers côtés en cherchant l'unification: elle doit réaliser sa synthèse en s'épurant de toutes les séparations imposées par le capitalisme. Les prolétaires en lutte avancent dans le sens du parti ("ils s'organisent en classe donc en parti", disait Marx) par l'organisation et la centralisation d'une pratique unitaire.

Les communistes se placent directement sur le terrain de cette synthèse et de cette pratique unitaire. D'une part, dans les différentes luttes des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants des particularités et communs à tout le prolétariat. D'autre part, dans les différentes phases du développement que traverse la lutte entre prolétariat et bourgeoisie, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

Les communistes ne se cantonnent pas à un aspect spécifique de la lutte de classe (dans lequel ils se découvriraient une mission spéciale), mais se portent à la tête de la lutte sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations. Ils se "distinguent" des autres prolétaires uniquement de ce point de vue: ils sont plus conscients des nécessités du mouvement et plus actifs pour le pousser à bout.

Tout au long du processus révolutionnaire, les communistes obéissent à ce seul critère: "pour que le prolétariat soit suffisamment fort pour vaincre, au moment décisif, il faut qu'il constitue un parti singulier, distinct de tous les autres et à eux opposé, un parti de classe conscient de l'être" (Engels, 1889). L'action des communistes vise à concentrer toutes les poussées provenant des différents groupes prolétariens et à les centraliser vers la formation d'un parti qui intègre en les dépassant les mobiles et les apports initiaux de ces groupes.

En fétichisant une forme-conseil, mais aussi une forme-parti (le parti pour la propagande), le CCI désire y enfermer à l'avance le prolétariat. Il se ridiculise à vouloir fixer le processus révolutionnaire dans le respect de ses petits schémas. En même temps, il dénature la conception marxiste du parti qui ne voit pas dans celui-ci une organisation issue d'un besoin particulier. Pour le marxisme, le parti est l'expression des besoins généraux de la lutte prolétarienne, le résultat organique de l'activité globale des prolétaires en lutte, un organe qui par conséquent est plus qu'une simple "fraction de la classe" et qui tend à l'unification des expressions historiques et formelles du mouvement tout entier.

Le point de vue du marxisme est anti-formaliste. Le CCI fait au contraire l'apologie du formalisme. Alors que l'oeuvre des fractions communistes consiste à rester sur la ligne historique du parti, à ne pas se laisser submerger par le souvenir les formes de la révolution précédente ou de la défaite, le CCI ne sait que répéter: les Conseils, les Conseils!

Le démocratisme du CCI

Le CCI considère à juste titre que l'action de classe est inséparable de la conscience de classe. Mais là où on avait auparavant l'"action de la classe dans son ensemble", on a maintenant la "conscience de la classe dans son ensemble". Le CCI affirme:
"dans une période révolutionnaire, c'est l'ensemble de la classe, c'est-à-dire des dizaines et des dizaines de millions de travailleurs qui prend conscience de la nécessité et de la possibilité de détruire le capitalisme et, en premier lieu, de se saisir du pouvoir politique à l'échelle mondiale" (Les tâches..., Révolution Internationale No.29, page 5).
Si la transformation du monde n'est pas le résultat de la conscience et de la volonté de l'ouvrier, elle n'est pas non plus le résultat de la conscience et de la volonté de l'ensemble des ouvriers. La conscience de classe est précisément la conscience des buts de classe, qui ne sont pas inventés librement mais déterminés par l'histoire, et des moyens de classe qui permettent de les atteindre dans une phase particulière. Engels disait que "beaucoup d'ouvriers feront la révolution sans avoir une conscience complète de ce qu'ils font". Exiger que la conscience soit générale au sens où l'ensemble des ouvriers sont conscients des objectifs, des moyens pour y arriver et de l'expérience accumulée, c'est demander l'impossible: les conditions mêmes de l'exploitation l'empêchent.

Le CCI dit lui-même:

"Le processus de prise de conscience de la classe ouvrière n'est ni simultané, ni homogène. Il se fraye un chemin tortueux à travers ses luttes, ses succès et ses défaites. Il doit faire face aux divisions et aux différences catégorielles ou nationales qui constituent le cadre 'naturel' de la société et que le capitalisme a intérêt à maintenir au sein de la classe". (Résolution sur l'organisation, Révolution Internationale No.17, page 28).
Le CCI néglige d'en tirer les conclusions: bien que la conscience de classe se développe parmi les prolétaires, pour la majorité d'entre eux, celle-ci n'a encore qu'une forme partielle à chaque fois que se posent pour la classe les problèmes sociaux qu'elle doit résoudre. Cela se vérifie en termes de retard de la conscience individuelle -phénomène secondaire-, mais surtout en termes de retard pour des couches entières d'ouvriers. Dans ce retard, c'est l'existence de stratifications matérielles qui joue un rôle déterminant et se reflète, à un moment donné, en "différents niveaux de conscience".

Cette "hétérogénéité de la conscience" correspond à différents niveaux de pratique révolutionnaire, à ces degrés variés d'engagement dans la lutte, et les conditionne à son tour. Le prolétariat connaît en permanence cette situation: des avant-gardes et des arrière-gardes. Il ne peut pas subordonner le sort de ses combats à l'humeur changeante de ses fractions les moins actives, les moins conscientes. C'est pourquoi l'organisation des prolétaires en classe n'est pas une démocratie consultative mise à l'intérieur du prolétariat, mais la force historique organisée qui, à un moment donné, suivie par une partie des prolétaires, et pas forcément la majeure partie, exprime la pression matérielle qui fait sauter la vieille société bourgeoise et ouvre la voie à la nouvelle société communiste.

Contre cette position, le CCI se targue de ses préjugés démocratiques: défense pour le parti, à n'importe quel moment de sa constitution, de prétendre "représenter" la classe et "d'agir en son nom" ou même avec son "appui". Les "travailleurs doivent pouvoir décider dans leur ensemble", faire un choix entre des idées différentes, afin que le débat décide de telle ou telle perspective. "Pour nous, l'important est que l'ensemble des ouvriers discutent de tous les problèmes de base de la révolution, et que leurs délégués se fassent les porteurs consciencieux des décisions des assemblées de base" (L'organisation des révolutionnaires, Révolution Internationale No.27, page 7).

On est ici en plein crétinisme parlementaire. Le CCI idéalise "l'ensemble des ouvriers" en leur accordant la prérogative d'acquérir par la "discussion" une conscience qu'il refuse au parti ou aux organismes qui le préfigurent. Avec son fameux culte de la "conscience généralisée" (dont il a fait un fétiche devant lequel il se met à genoux), le CCI est retombé tout droit dans l'idéologie démocratique bourgeoise. Il ne voit pas que les prolétaires sont amenés à agir ensemble historiquement, bien avant de pouvoir accorder leur conscience à leur action (et évoluer ainsi volontairement dans le sens du devenir historique).

Pour cette raison, le CCI se prononce contre les thèses de la Première Internationale qui affirmait:

"avant de réaliser un changement socialiste, il faut une dictature du prolétariat, dont une condition première est l'armée prolétarienne. Les classes ouvrières devront conquérir sur-le-champ de bataille le droit à leur propre émancipation. La tâche de l'Internationale est d'organiser et de coordonner les forces ouvrières pour le combat qui les attend" (Marx 1871)
Marx ajoutera plus tard:
"l'action internationale des classes ouvrières ne dépend en aucune façon de l'existence de l'Association Internationale des Travailleurs. Celle-ci fut seulement la première tentative pour doter cette action d'un organe central".
En entendant répéter de telles choses, le CCI vocifère au "jacobinisme" (il consent à excuser Marx pour l'immaturité de son époque). Il ignore que la lutte de classe est la véritable fonction pratique d'un parti communiste, et que c'est en cela qu'il n'est pas une simple école de pensée qui s'attache à interpréter le monde, mais une organisation de combat qui vise à le transformer.
"Les courants qui aujourd'hui identifient dictature du prolétariat et dictature du parti, qui parlent de prise du pouvoir par la classe sous le contrôle et la dictature du parti, dont les conceptions privilégient donc le rôle de la minorité révolutionnaire par rapport à l'ensemble de la classe, tendent à amoindrir la confiance de la classe en elle-même et entravent d'autant le chemin de son auto-émancipation" (Révolution Internationale No.17, Résolution sur l'organisation, page 27).
Des marxistes conséquents diront exactement le contraire. Tout discours démagogique sur la "classe consciente dans son ensemble" désorganise et démoralise la classe comme son avant-garde:
"Tandis que nous, nous faisons tout spécialement remarquer aux ouvriers allemands l'état informe du prolétariat allemand, vous, vous (le) flattez de la façon la plus grossière (...), ce qui est évidemment plus populaire. De même que les démocrates ont fait du mot peuple une entité sacrée, vous faites, vous, une entité sacrée du mot prolétariat. Tout comme les démocrates, vous substituez au processus révolutionnaire la phraséologie révolutionnaire" (Marx-Engels, 1852).
Un parti qui n'est pas une direction de la lutte est au mieux égal à zéro, au pire une entrave: c'est n'importe quoi sauf un parti communiste. Toute réflexion sur les révolutionnaires comme "facteurs actifs" qui ne s'étend pas jusqu'à la reconnaissance de l'action dirigeante de ce parti qu'ils aspirent à créer, n'est qu'une coquille vide, une phrase creuse, ou bien une mystification.

Il n'y a pas de différence entre mener la lutte de la manière la plus décidée et en prendre la direction. La fonction d'un parti vraiment révolutionnaire n'est pas seulement de diffuser des brochures, des tracts, de tenir des meetings et de lancer des mots d'ordre, le parti doit guider les masses aussi par son insertion dans l'action directe, en leur proposant des objectifs clairs à atteindre et où lui-même "paye de sa personne" en prenant la direction des opérations. C'est seulement par cette sorte de démonstration active qu'il peut impulser l'action de classe, car c'est dans la pratique de lutte qu'il démontre la vérité, c'est-à-dire la réalité, la puissance et la validité de son programme.

Au moment de la crise révolutionnaire, et si possible avant, les éléments d'avant-garde du prolétariat se constitueront en un parti pour l'action. Une première synthèse se réalisera ainsi dans le processus d'"organisation des prolétaires en classe donc en parti"; synthèse encore partielle mais qui représente le prélude nécessaire à la révolution mondiale.

Telle n'est pas la conception du CCI qui s'y refuse par avance, et se déclare prêt à combattre toute organisation ouvrière qui y tendrait malgré ses efforts négatifs.

Le faux problème du "substitutionnisme"

Pour le CCI:
"comme partie de la classe, les révolutionnaires ne peuvent, à aucun moment, se substituer à celle-ci, ni dans ses luttes au sein du capitalisme, ni, à plus forte raison, dans le renversement de celui-ci ou dans l'exercice du pouvoir" (Plate-forme du CCI, Revue Internationale No.5, page 21)
Si le CCI se bornait à énoncer une impossibilité, nous serions d'accord avec lui. Mais il donne un tout autre sens à sa formule: l'organisation communiste, comme le disaient les conseillistes orthodoxes, "n'est qu'un groupe de propagande capable de proposer des voies et des moyens d'action, mais nullement d'entreprendre ces actions dans l'intérêt de la classe, car c'est à la classe elle-même de le faire".

Le CCI est obsédé par la hantise de faire quelque chose "à la place de la classe." Et c'est un faux dilemme, un dilemme parfaitement abstrait. Pour le marxisme, la voie ne passe pas, n'est jamais passée par une doctrine de propagande ou une doctrine d'action putschiste. L'une et l'autre sont impuissantes, incapables d'être en prise réelle sur la réalité. Le "substitutionnisme" est censé vouloir dire qu'une minorité de la classe tente de prendre en charge à elle seule l'ensemble des tâches de la classe. Jamais dans le mouvement ouvrier réellement constitué, il n'y a eu de doctrine affirmant l'inutilité de la participation active des grandes masses de prolétaires pour battre la bourgeoisie et s'emparer du pouvoir.

Dès lors quel est ce fantôme que les communistes devraient dénoncer et opposer à "l'action de la classe par elle-même". Le CCI s'invente un adversaire inexistant pour mieux justifier son inaction, sa passivité et sa conception purement propagandiste du parti de classe.

Si l'on veut parler de situation où l'avant-garde de la classe se lance dans l'action alors que les grandes masses ne sont pas prêtes à l'action, on ne parle pas de "substitutionnisme", on parle d'erreur d'appréciation du rapport de force et de tentative vouée à l'insuccès. Mais les communistes ne peuvent pas s'opposer en principe (comme le fait le CCI) à ce que l'avant-garde de la classe décide de lancer l'offensive contre le capital. Ils doivent au contraire revendiquer cette décision et la nécessité de déclencher l'action lorsque la situation est mûre pour le faire, lorsque les conditions générales le permettent, parce que cette action d'avant-garde est seule à même de libérer l'énergie révolutionnaire de la classe ouvrière. Sans action de cet ordre il n'y a pas de révolution.

En d'autres termes:

"le parti ne lance pas la révolution à son gré, il ne choisit pas à sa guise le moment pour s'emparer du pouvoir, mais il participe activement aux événements, pénètre à chaque instant l'état d'esprit des masses révolutionnaires et évalue la force de résistance de l'ennemi, déterminant ainsi le moment le plus favorable à l'action décisive. C'est le côté le plus difficile de sa tâche. Le parti n'a pas de décision valable pour tous les cas. Il faut une théorie juste, une liaison étroite avec les masses, la compréhension de la situation, un coup d'oeil révolutionnaire, une grande décision. Plus un parti révolutionnaire pénètre profondément dans tous les domaines de la lutte prolétarienne, plus il est uni par l'unité de but et par celle de la discipline, plus vite et mieux peut-il arriver à résoudre sa tâche.
La difficulté consiste à lier étroitement cette organisation de parti centralisé, soudée intérieurement par une discipline de fer, avec le mouvement des masses dans ses flux et reflux. La conquête du pouvoir ne peut être atteinte qu'à condition d'une puissante pression révolutionnaire des masses travailleuses. Mais dans cet acte, l'élément de préparation est tout à fait inévitable. Et mieux le parti comprendra la conjoncture et le moment, mieux les bases de résistance seront préparées, mieux les forces et les rôles seront répartis, plus sûr sera le succès, moins de victimes coûtera-t-il. La corrélation d'une action soigneusement préparée et du mouvement de masse est la tâche politico-stratégique de la prise du pouvoir." (Trotsky, la Commune de Paris).

Misère de l'"anti-substitutionnisme"

Le CCI prétend que dans l'histoire, des organisations ouvrières se sont "substituées" à l'action de la classe ouvrière. Il ne voit que la forme des antagonismes au lieu d'en saisir le contenu. Il ne voit pas que chaque fois que des partis "ouvriers" se sont "substitués" aux masses ouvrières, ils ne s'efforçaient pas de faire la révolution "à la place" de la classe ouvrière, mais au contraire de consolider le capitalisme contre la classe ouvrière, quelles que soient leurs intentions "subjectives" et leurs proclamations "communistes". La véritable déviation ne résidait pas d'abord dans la forme, mais d'abord dans le contenu de cette action qui impliquait nécessairement une opposition sans cesse plus tranchée avec le prolétariat.

La forme "substitutionniste" de l'action (le CCI considère les organisations trotskystes, etc. comme "substitutionnistes" et les combat notamment pour cette raison, sans voir que leurs formes d'action découlent de leur programme bourgeois et ne déterminent pas la nature de ce programme) n'est pas le point de départ de la pratique bourgeoise d'une organisation -dans un secteur déterminé ou dans sa totalité- mais la conséquence, la résultante de cette pratique. Cela signifie déjà qu'on ne lutte pas contre un organisme politique pour la forme de son action, mais pour le contenu de son programme qui précède la forme de son action.

En ce qui concerne les Bolcheviks par exemple: leur involution ne s'appuie pas sur la "substitution" du parti à la classe, mais sur la croyance dans le parti que le "capitalisme d'Etat" représentait le pas nécessaire vers le communisme et, par conséquent, qu'il fallait imposer et développer le "capitalisme d'Etat" malgré la classe ouvrière. L'opposition du "parti" (plutôt d'une fraction du parti, puisque les oppositions réellement communistes ont refusé de se plier à cette orientation) au prolétariat constitué en classe, est le résultat d'une divergence de programme: programme de plus en plus capitaliste contre programme communiste; défense du capitalisme national russe contre internationalisme prolétarien.

Le CCI raisonne seulement sur les formes de l'action pratique et amalgame l'action "substitutive" d'organisations opportunistes ou contre-révolutionnaires à l'action décidée de l'avant-garde communiste en prétendant que par sa "forme" la seconde conduit nécessairement à la première. C'est avec ce raisonnement que le CCI s'oppose à toute action d'avant-garde au sein du prolétariat (quitte à la "reconnaître" après coup si elle fait avancer le mouvement: le CCI affirme alors qu'il s'agit d'une action de la "classe consciente dans son ensemble") exactement comme les partis staliniens, trotskystes, etc. qui ne se privent pas pour autant de faire l'apologie du fait accompli.

Certes le CCI n'est pas une organisation bourgeoise, mais sa théorie de la lutte prolétarienne ne fait pas autre chose qu'emprunter des pans entiers de l'idéologie bourgeoise. Pour les communistes, le "substitutionnisme" n'existe pas: lorsqu'il y a opposition entre une organisation d'origine ouvrière et la direction prise par le mouvement prolétarien, c'est qu'il y a des objectifs diamétralement opposés au programme communiste qui sont apparus dans cette organisation. Que pour réaliser ces objectifs, il faille agir "à la place" de la classe, dont l'action ne se détermine pas spontanément à l'encontre de ses propres intérêts, cela va de soi. Le CCI est parfaitement incapable de montrer une situation de "substitution" qui ne soit pas la conséquence d'un tel processus.

La faiblesse de son argumentation n'empêche pas le CCI de porter l'"anti-substitutionnisme" au rang de pivot central de ses positions. Il en fait la conclusion de ses proclamations mécaniquement répétées sur la "classe consciente dans son ensemble". Toute la conception du CCI sous-entend pour ainsi dire intrinsèquement la "démocratisation" de la révolution. Lorsqu'une pratique ne manifeste pas cette "démocratisation", elle est "substitutive", c'est-à-dire étrangère à la classe ouvrière.

L'action prolétarienne d'avant-garde n'est pas "démocratique". Elle s'opère en avance sur la volonté de la majorité ouvrière, ce qui implique nécessairement un aspect de rupture avec cette volonté. La "volonté des masses" n'est pas un fétiche à adorer; au contraire le rôle qui échoit à l'avant-garde consiste à révolutionner et à orienter la "volonté des masses". Dans des conditions déterminées (par exemple Octobre 1917) ce résultat peut être obtenu par l'action directe de l'avant-garde elle-même, il ne peut être obtenu par aucun autre moyen.

Tout discours "anti-substitutionniste" heurte directement les exigences et les nécessités de la révolution prolétarienne. Cela se vérifie très bien dans le CCI. Si les fractions avancées sont le ciment vivant qui soude, dans une action unitaire, les stratifications ouvrières les plus différentes, le CCI ne leur attribue aucune fonction positive dans la révolution (sinon la propagande); il oeuvre en pratique à les neutraliser -en tout cas pas à les renforcer- et incline à les considérer comme un facteur réactionnaire ("substitutionnisme" oblige) si elles ne se conçoivent pas selon son propre modèle: organisation de propagande et non organisation pour l'action.

Violence et terreur prolétariennes

Nous avons vu à quoi rime le "substitutionnisme", obsession majeure du CCI. Sous ce vocable sont allègrement confondues une pratique bourgeoise (la politique de la "gauche" capitaliste pour le prolétariat) et l'action décidée de l'avant-garde ouvrière. Le CCI va procéder de la même manière avec la violence de classe. A l'aide de mots désincarnés: "terreur" et "terrorisme", il amalgame les formes de violence prolétarienne et les formes de violence contre-révolutionnaire. Pour remplir ces mots de contenu, il s'inspire tout simplement de la presse à sensation: terreur = holocauste, terrorisme = bombe et revolver du nihiliste. Il est évident que cela n'a rien à voir avec le marxisme dont le CCI se revendique par ailleurs. La première question que se pose un marxiste est: terreur ou terrorisme de quelle classe? Le CCI ne se pose jamais cette question. Son anti-terrorisme de principe, inspiré d'une méthodologie fausse, se heurte donc aux nécessités fondamentales de la violence prolétarienne.

Le CCI affirme pourtant se prononcer en faveur de la violence de classe pour le prolétariat. On ne peut admettre qu'une telle affirmation suffise à définir une attitude communiste face au problème de la violence. Le kautskysme n'a évidemment jamais renié la violence sur le plan des principes, ce qui ne l'empêchait pas d'être en pratique le représentant du pacifisme social (pour le prolétariat s'entend) et le complément, voire l'agent direct, de la violence bourgeoise.

Le CCI ne s'est jamais démarqué clairement du social-pacifisme (cf. Revue Internationale No.14, "terreur, terrorisme et violence de classe"). Cette démarcation implique en effet la compréhension de la seule alternative qui s'offre en réalité au prolétariat: violence révolutionnaire ou soumission à la violence bourgeoise. Le social-pacifisme est le flanc-garde de la violence capitaliste en ceci qu'il fixe a priori des limites abstraites et morales à la lutte violente de la classe ouvrière. Le kautskysme argumentait exactement comme le CCI pour inviter les ouvriers à se soumettre: "nous entendons exprimer notre répugnance de classe à l'égard du contenu réel d'exploitation et d'oppression qu'est la terreur" (page 9 - comme si le prolétariat ne devait pas "opprimer" la bourgeoisie, c'est-à-dire l'empêcher de massacrer les prolétaires à sa guise, tant que les classes ne sont pas détruites!). Ou encore: "la terreur, comme contenu et méthode, s'oppose par nature au but que se propose et poursuit le prolétariat" (page 10 - comme si pour arriver au communisme qui verra la disparition de la violence entre les hommes il fallait renoncer à l'usage de la violence de classe!).

Pour le CCI, une vision de la lutte des classes qui ne reconnaît que la seule alternative: violence ouvrière ou violence bourgeoise -sans écarter a priori l'extermination massive de l'adversaire ou l'élimination terroriste de ses membres individuels- est une vision "simpliste". Au contraire, l'alternative devrait se scinder en trois catégories: "violence", "terreur", "terrorisme". Ces catégories devraient ensuite acquérir par elles-mêmes une nature de classe -en fonction naturellement du contenu "intrinsèque" qu'il plaît au CCI de leur donner.

Cette théorie devient franchement réactionnaire dès qu'elle se précise un peu: par "terrorisme" le CCI entend "violence minoritaire", par "terreur", il entend "violence concentrée, organisée, spécialisée, entretenue et en constant développement et perfectionnement". Le premier est "petit-bourgeois" par essence; la seconde est "bourgeoise" par essence. Si les ouvriers "sombrent" dans l'un ou l'autre, ils succombent à l'idéologie bourgeoise ou petite-bourgeoise.

C'est très facile à dire, mais en dehors de tout principe prolétarien. La violence ouvrière ne peut pas se priver d'actions minoritaires; elle ne peut éviter de se concentrer, de s'organiser, d'user de corps spécialisés, de s'entretenir, de se développer constamment et de se perfectionner (ou bien veut-on qu'elle ne soit pas concentrée, qu'elle soit inorganisée, sans groupes de combat et division des tâches, sans continuité, sans développement de ses assises et de la puissance prolétarienne, sans perfectionnement de ses moyens de riposte et de contrôle?).

Il est vrai que si la violence de classe du prolétariat s'efforce de prendre un caractère toujours plus massif, elle essaiera d'éviter de se déchaîner physiquement à tout propos et hors de proportion avec la menace réelle, pour se maintenir sur le plan potentiel (comme force visible et parfaitement perceptible pour l'adversaire, de telle sorte qu'il n'agisse pas par simple peur de cette force); telle est son orientation générale. Mais cette orientation générale ne suppose ni la répudiation de la "violence minoritaire", ni la répudiation d'une systématisation de la violence physique aux moments de tension sociale extrême: elle les présuppose au contraire.

Pour le cacher et se le cacher, le CCI va utiliser un artifice habile: lorsqu'on lui demande s'il est contre la terreur ouvrière; il répond qu'il est contre la terreur "en général", qui pour lui est une pratique déterminée de la bourgeoisie. En d'autres termes, ce n'est pas le manque de rigueur et la mauvaise foi qui effraient le CCI: parlez-lui de la terreur prolétarienne, il vous répondra que vous êtes un "tueur d'enfants" parce que la terreur bourgeoise assassine les enfants.

Tel est son "credo". Mais la seule chose que le CCI parvient à démontrer, c'est que le prolétariat ne doit pas utiliser... la terreur bourgeoise! Il ne doit pas retourner la violence... contre lui-même! Il ne doit pas user de la violence... pour perpétuer l'exploitation!

Pourquoi ne pas le dire simplement, en une petite phrase, étant donné qu'il n'y a pas là un grand mystère? Si tel est le but, pourquoi tant de détours compliqués pour y arriver? Et pourquoi tous ces discours contre la terreur "en général" assimilée à la terreur bourgeoise?

Enfin, pourquoi ne pas revendiquer la terreur ouvrière (pas la terreur bourgeoise, là n'est pas la question!) pour le prolétariat et ne pas reconnaître que la violence prolétarienne et la terreur prolétarienne ne sont pas des choses antagoniques mais liées, décrivant une même réalité en développement?

Les méandres de l'opportunisme

Le CCI préfère ignorer de telles questions et répondre par des faux-fuyants, tout bonnement parce qu'il s'est aventuré sur un terrain très marécageux et que les rives auxquelles il s'accroche sont celles de l'opportunisme.

En montrant l'antagonisme irrévocable entre la violence ouvrière et la violence bourgeoise; en appréciant la force et la croissance "monstrueuse" de la terreur bourgeoise; seul l'opportunisme en effet peut en déduire l'abandon de la terreur révolutionnaire, c'est-à-dire le défaitisme le plus lâche et le plus vil face à la terreur bourgeoise.

De fait, que signifie le mot "terreur". A moins de définir un vocabulaire entièrement particulier pour l'action du prolétariat en vue de la démarquer de cette façon de la bourgeoisie (mais alors pourquoi renoncer au terme "terreur" plutôt qu'aux termes "violence", "dictature", "parti",... "conseils", etc.); à moins de rechercher absolument l'incompréhension de celui à qui on s'adresse, le mot "terreur" ne désigne rien d'autre que la politique de destruction d'un adversaire, l'emploi systématique de mesures d'exception pour désarticuler, par l'intimidation ou l'élimination physique de ses membres, une force ennemie qui est organisée ou tend à l'organisation.

Toute classe a besoin pour s'imposer comme classe, ne disons même pas comme classe dominante, de recourir à la politique désignée sous le mot "terreur". Toute violence de classe comporte et implique la terreur de classe (qui est bien sûr différente dans son contenu, son organisation et son application selon qu'on se réfère à la bourgeoisie ou au prolétariat). C'est ce besoin et cette acceptation de sa violence de classe que le CCI récuse pour la classe ouvrière. Mais que reste-t-il alors de la violence révolutionnaire?

Le CCI multiplie à plaisir les descriptions détaillées de la terreur bourgeoise qu'il lui est ensuite très facile de présenter comme antagonique au mouvement prolétarien. Mais le fond du problème n'est pas là. Le prolétariat doit-il renoncer à l'emploi systématique de mesures d'exception pour désorganiser son adversaire et l'empêcher de se fortifier? C'est à cette question qu'il faut répondre.

Révision ouverte du marxisme

Nous avons vu qu'au critère marxiste d'analyse des phénomènes sociaux: de quelle classe dérive l'action considérée; le CCI substitue une approche étriquée: la violence minoritaire appartient en propre à la petite-bourgeoisie, la violence systématique comme méthode de lutte appartient en propre à la bourgeoisie. C 'est ainsi que le CCI prétend se hausser à une investigation matérialiste et tracer des frontières de classe. Mais là où le marxisme rattache réellement telle ou telle politique terroriste à telle ou telle classe, le CCI ne connaît que la métaphysique de la chose en soi. S'il affirmait que la lutte de classe est bourgeoise par essence parce que la bourgeoisie est une classe qui lutte, ces affirmations paraîtraient tout à fait ridicules. Son analyse de la "terreur" est du même calibre. Il est tout à fait ridicule de prétendre que la terreur est en soi bourgeoise parce qu'il existe une terreur bourgeoise.

La position du CCI n'est pas seulement stupide mais contre-révolutionnaire. Il se prononce par principe contre les mesures de terreur dans la guerre de classe. On sait pourtant qu'on ne rejette pas des termes consacrés par une théorie de classe sans rejeter également une pratique. On ne s'émancipe pas du vieux vocabulaire sans s'émanciper aussi de tout ou en partie des actions précisément désignées par ce vieux vocabulaire.

A certains moments, le CCI ne se fait pas faute de dénaturer ouvertement le marxisme: "la littérature marxiste emploie parfois (sic!) le terme de terreur à la place de violence de classe (quelle coïncidence!). Mais il suffit de se référer à l'ensemble de toute l'oeuvre de Marx pour comprendre qu'il s'agit plutôt d'une imprécision de formulation que d'une véritable identification dans la pensée".

Si des communistes prenaient la défense de la terreur ouvrière, c'étaient bien Marx, Lénine, Trotsky. Marx ignorait-il de quoi il parlait lorsqu'il prétendait après juin 1848:

"C'est le cannibalisme de la contre-révolution lui-même qui répandra dans les masses la conviction qu'il n'existe qu'un seul moyen propre à concentrer, abréger et simplifier les spasmes d'une ancienne société agonisante et les sanglantes douleurs de l'accouchement d'une société nouvelle: le terrorisme révolutionnaire."
Et quand Lénine s'écriait: "Croit-on que l'on puisse faire une révolution sans fusiller?", reprochait aux ouvriers de manifester "trop peu de fermeté" dans la répression, de n'avoir pas été "un bloc de fer mais plutôt une pâte molle avec laquelle on ne saurait bâtir le socialisme", s'en prenait violemment aux intellectuels petits-bourgeois qui se lamentaient devant les "horreurs" de la terreur, et aux mencheviks qui en demandaient l'arrêt; veut-on nous faire croire que Lénine était un inconscient ou un adepte des finasseries hypocrites du CCI?

Et quand Trotsky ajoutait:

"qui renonce en principe au terrorisme, c'est-à-dire aux mesures d'intimidation et de répression à l'égard de la contre-révolution armée, doit aussi renoncer à la domination politique de la classe ouvrière, à sa dictature révolutionnaire, qui renonce à la dictature révolutionnaire renonce à la révolution sociale et fait une croix sur le socialisme",
est-ce que cette affirmation supporte la moindre ambiguïté?

A vrai dire, il est plus difficile de trouver un "classique" du marxisme qui n'appelle pas ouvertement au terrorisme qu'un document qui revendique tout à la fois la violence, la terreur et la dictature prolétarienne. Même Victor Serge, peu suspect de faire l'apologie de la terreur rouge écrivait:

"la nécessité historique n'a pas besoin de justification. Jamais il n'y eut de guerre, jamais il n'y eut de révolution sans terreur (...). Le problème à résoudre pour vaincre dans la guerre civile est au fond le même que le problème à résoudre pour vaincre dans les guerres d'Etats. Il s'agit d'anéantir une partie -la meilleure- des forces vives de l'adversaire et de démoraliser, de désarmer les autres (...). Sur tous ces points, la guerre civile est en avance sur les guerres d'Etats. Elle ignore les non-belligérants, elle recherche partout, sans merci, la force vive des classes ennemies. Pour qu'une classe sociale atteinte dans ses intérêts vitaux s'avoue vaincue, il faut lui infliger des pertes terribles. Il faut que ses fils les plus vigoureux, les plus intelligents, les plus braves soient fauchés. Il faut que le meilleur de son sang ait coulé."
En prétendant le contraire, on désarme le prolétariat. Demain, quand la guerre de classe imposera la terreur des deux côtés, des théories comme celles du CCI conduiront des prolétaires à se prononcer contre la "terreur rouge", c'est-à-dire en définitive contre la victoire de leur propre classe. S'ils appliquent à la lettre leur position "anti-terroriste", les militants du CCI feront eux-mêmes partie de ces renégats qui s'opposeront à la marche de la révolution.

L'organisation de la violence ouvrière

Le kautskisme était opportuniste non seulement parce qu'il combattait la terreur avec des prétextes "humanistes", mais encore parce qu'il n'admettait la violence que comme oeuvre de "la classe dans son ensemble", et de surcroît d'une "classe globalement consciente de ses buts et moyens généraux". Cette formule est le meilleur prétexte pour rejeter la véritable violence prolétarienne qui ne sera jamais l'oeuvre d'une telle "classe" pour les raisons que nous avons déjà évoquées dans la première partie de cette brochure. La constitution des prolétaires en classe est un processus non un fait déjà advenu à l'une ou l'autre phase de ce processus (et l'insurrection révolutionnaire est indéniablement une phase du processus d'émergence de la classe ouvrière, non cette émergence en tant que telle). Pour se constituer en classe et pour détruire le capitalisme -deux aspects indissociablement liés d'un même mouvement- les prolétaires doivent passer par des actions partielles (en regard de l'action historique d'ensemble de la classe ouvrière), menées par des forces partielles (en regard des forces potentielles), et pour des objectifs partiels (en regard des buts ultimes du mouvement communiste). C'est la condition pour aboutir à des actions, des forces et des objectifs plus généraux.

Pour le kautskysme au contraire, la généralisation sur le plan des forces et des objectifs était le préalable à toute action de lutte réelle; cette action n'était elle-même conçue que comme une lutte parfaitement ordonnée et collective, avec toutes les garanties de victoire. De ce schéma découlait la méfiance vis-à-vis des actions d'avant-garde de la lutte prolétarienne, accusées de faire le jeu de la bourgeoisie en divisant les prolétaires, en conduisant à des défaites partielles momentanées, à des contre-attaques féroces de la bourgeoisie, etc. Pour éviter ces "aléas", le kautskysme se refusait simplement à organiser les actions ouvrières d'avant-garde. Il mettait l'accent sur l'éducation par la propagande, sur la construction d'un mouvement structuré dans le cadre légal -susceptible d'éviter selon lui que la bourgeoisie ne le détruise-, sur les méthodes purement pacifiques de progression du mouvement ouvrier -susceptible d'assurer la conquête des consciences par la conviction idéologique.

Le CCI n'est pas à mille lieues, mais au contraire très proche des indications opportunistes du kautskysme. On ne peut trouver dans ses publications aucun appel sérieux à l'action directe (concept "anarchiste" selon le CCI), encore moins à l'auto-défense ouvrière. Pour le CCI, il suffit d'appeler aux assemblées générales, aux liaisons entre les assemblées générales, toutes choses qu'il dénomme "généralisation de la lutte". En même temps il jauge les actions d'avant-garde avec la suffisance d'une organisation "consciente", en dévalorisant systématiquement ce qui constitue pourtant des actions qui combattent réellement la bourgeoisie, c'est-à-dire un trait essentiel de la lutte qui contribue justement à faire d'une forme de lutte (une assemblée, un comité d'usine, etc.) une forme de lutte prolétarienne.

Cette déviation se vérifie parfaitement au sujet des actions violentes. Le CCI considère celles-ci comme un phénomène accessoire -le résultat d'un acte de "colère" face à une provocation, ou l'"expression du désespoir"- mais jamais comme des manifestations élevées de la lutte ouvrière qui exigent justement conscience et organisation, dont il faut justement développer la centralisation et la systématisation. Au moment des événements à Longwy et à Denain en France, le CCI titrait: "la violence ne suffit pas, organisons nos luttes" (Révolution Internationale No.60). Il ne venait pas au CCI l'idée d'écrire: "la violence est encore trop sporadique et désorganisée, étendons-la et développons son organisation; intégrons plus de puissance et de continuité dans sa réalisation; centralisons les multiples escarmouches ponctuelles en des assauts mieux préparés, mieux dirigés, vers des objectifs mieux choisis, etc. (sans renoncer en aucune façon aux actions "minoritaires", c'est-à-dire de petits groupes, car de telles actions sont le complément nécessaire d'une riposte de masse)".

De toutes ces orientations, il n'est pas question dans la presse du CCI. Celui-ci préfère disserter ainsi sur la situation: "les ouvriers ont marqué un temps d'arrêt. Ils hésitent à pousser plus loin leur lutte. Pourquoi? Parce qu'ils ressentent les limites de l'action violente en soi..." (Révolution Internationale No.60, page 3). Nous avons déjà montré que la "violence en soi" n'existe que dans l'esprit du CCI et nulle part ailleurs. Les limites que ressentent les ouvriers ne proviennent pas d'un usage "en soi" (?) de leur propre violence, mais de sa trop grande désorganisation. Ils souffrent d'autre part de se voir périodiquement dépossédés de leur violence de classe par la CFDT et surtout la CGT, qui la dissolvent dans la violence bourgeoise qu'elles-mêmes déploient contre d'autres fractions bourgeoises (par exemple: lorsque la CGT s'attaque aux "minerais étrangers" ou défend son émetteur contre les CRS).

Dans ces conditions, il ne suffit pas d'appeler à une "assemblée générale avec comité élu et révocable" ni même d'oeuvrer à l'organiser, il faut encore mettre en évidence que les prolétaires ont appris à "gagner la rue", ce qui doit être reproduit en l'amplifiant, et que l'offensive contre la bourgeoisie ne passe pas par la violence chauvine de la CGT, mais au contraire par la violence contre les ennemis directs: le patronat d'Usinor, les CRS et ceux qui au sein même des rangs ouvriers s'appliquent à désamorcer la lutte. Aucune organisation communiste ne peut se priver d'insister et d'insister encore sur cette perspective.

Le CCI rétorquerait que "cette action aboutit à une impasse si elle ne surmonte par le caractère local des affrontements" (Ibidem.). C'est indéniable, mais rien n'empêche de développer la lutte locale tout en nouant des liaisons avec d'autres secteurs en lutte pour obtenir un combat plus général. Il n'y a même rien d'autre à faire. Si la généralisation ne dépasse pas les combats locaux en les intégrant, on a affaire à une liquidation de la lutte, pas à son développement (on généralise à vide).

Il en va de même pour l'organisation. Le CCI ne craint pas d'affirmer que "la colère ouvrière risque de s'épuiser en une répétition d'actes violents se substituant à l'organisation de la lutte" (toujours Révolution Internationale No.60). Comme si une méthode de lutte ouvrière pouvait se substituer à l'organisation de cette même lutte et n'en faisait pas plutôt partie intégrante!? Comme si l'emploi efficace de la violence ne nécessitait pas précisément le développement et l'organisation de cette violence, et par-delà le développement et l'organisation de tous les autres aspects de la lutte, de telle sorte qu'il n'y a là aucune contradiction?

Une chose est d'affirmer qu'on porte des coups encore plus durs à la bourgeoisie en combinant aux affrontements violents la permanence de la grève et de l'occupation, le sabotage intégral de la production par l'arrêt de toute activité productive, une autre chose est de dire "la violence ne suffit pas" -en fait la violence est néfaste- faisons plutôt autre chose. Dans Internationalisme No.3 (organe de la section en Belgique du CCI), on peut saisir le fond des préoccupations du CCI:

"Mais gardons-nous bien de transformer la violence, du moyen indispensable qu'elle représente pour l'émancipation du prolétariat, en un but en soi (c'est sans doute ce que font les ouvriers de Longwy, leur but est le cassage!): ce serait là d'ailleurs dangereusement sous-estimer la véritable puissance que lui donne avant toute autre chose sa place dans la vie économique et le fait qu'il se trouve, de manière associée, en relation constante et directe avec l'ensemble des moyens de production: les ouvriers en Iran, en Grande-Bretagne, ont magistralement démontré qu'on peut faire reculer la bourgeoisie la plus féroce, en la privant par la grève généralisée, de la plus-value indispensable pour qu'elle puisse maintenir son système d'exploitation (en d'autres termes, pour empêcher que la bourgeoisie ne maintienne son système d'exploitation, il y a une solution: la grève générale... comme le prétendent les anarcho-syndicalistes pour qui il n'y a pas une question de pouvoir politique à trancher par la force, mais simplement une question d'arrêt de la production). Pour gagner, une seule voie doit s'ouvrir devant les ouvriers de Longwy, de Denain et du monde entier: non pas le cul-de-sac d'actes de violence sans but, sans lendemains et vite neutralisés par la bourgeoisie, syndicats et gauchistes main dans la main, mais la vaste perspective de l'organisation consciente et à tous les niveaux de la lutte afin de se doter des structures adéquates à son extension et à sa radicalisation." (page 3, nous soulignons)
Le CCI a fait comme presque tout le monde qui se revendique de la classe ouvrière, gauchistes à l'avant-plan: il a applaudi des deux mains aux émeutes de Longwy et de Denain... mais pour aussitôt déclarer, passé le temps de l'exaltation dans la classe ouvrière, que tout cela n'était que "cul-de-sac", "actes de violence sans but, sans lendemains et vite neutralisés" et qu'il était enfin temps de se hisser à la "vaste perspective de l'organisation consciente". De ces "leçons", toute la canaille bourgeoise de "gauche et d'extrême-gauche" s'est gargarisée comme le CCI, avec les mêmes mots, les mêmes insistances. Le mot d'ordre de la contre-offensive capitaliste ressemblait à s'y méprendre à ces formules.

Pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, "Internationalisme" poursuit d'ailleurs: "sans assemblées, sans comités, sans piquets de grève, pas de radicalisation possible. Sans radicalisation, sans généralisation, pas de perspective" (page 7). N'allez surtout pas croire que la violence de classe, l'auto-défense ouvrière font partie de la "radicalisation" et de la "perspective". D'une lutte dont le pivot est le combat de rue, le CCI déduit que les affrontements étaient bien beaux à Longwy et à Denain... mais surtout pas qu'il faudra multiplier les combats de rue pour vaincre.

"Internationalisme" ne fait que pousser à la caricature ce que "Révolution Internationale" se contente de suggérer: "le problème de la classe n'est pas de trouver une expression violente car elle n'a pas d'autre choix"! (No.60, page 3). Dit autrement: il faut se désintéresser du problème, enregistrer les faits mais ne pas inciter à les reproduire. La violence de classe naîtra et se développera automatiquement: les communistes n'ont à se préoccuper ni de l'organiser, ni de l'orienter, ni de la stimuler.

Incompréhension de la question militaire

Nous nous sommes attardés sur l'exemple "in vivo" de Longwy et de Denain pour montrer à quoi conduisent pratiquement les études de laboratoire que fait le CCI. La lutte de classe est une guerre pas demain, mais déjà aujourd'hui. Il est donc évident qu'elle comporte, liée au processus de maturation politique, une question militaire à résoudre. Lénine disait:
"on ne peut se représenter une guerre de ce genre autrement que comme une suite de batailles peu nombreuses, séparées par des intervalles de temps relativement longs, au cours desquels se produisent d'innombrables escarmouches."
Pour Bordiga:
"il est dans la nature même du processus révolutionnaire réel que des heurts sanglants entre le prolétariat et la bourgeoisie se produisent avant la lutte finale, et il peut s'agir non seulement de tentatives prolétariennes non couronnées de succès, mais aussi des inévitables affrontements partiel et transitoires entre des groupes de prolétaires poussés à se soulever et les forces de la défense bourgeoise, ou encore entre des groupes de "gardes blancs" de la bourgeoisie et des travailleurs attaqués et provoqués par eux. Il n'est pas juste de dire que les partis communistes doivent désavouer de telles actions et réserver tous leurs efforts pour le moment final, car toute lutte nécessite un entraînement et une période d'instruction."
A cette réalité complexe, la formule-fétiche du CCI: "la violence du prolétariat, du fait du contenu de sa tâche historique, ne peut être que l'oeuvre collective d'une classe consciente", substitue une description étriquée, et, qu'on l'admette ou non, elle est pur verbiage opportuniste. La terreur quotidienne du capital a déjà suscité, est en train de susciter et suscitera encore parmi les prolétaires des réactions violentes qui n'attendront nullement le surgissement d'une hypothétique "classe dans son ensemble". Dans le déroulement de la lutte, avec ses avancées et ses revers, des actes encore isolés de fractions entières de prolétaires, de groupes prolétariens et même d'ouvriers individuels ne peuvent pas ne pas avoir lieu. Quand ces actions ont un contenu de classe, expriment la lutte prolétarienne contre le capital, les communistes doivent être clairs sur les perspectives à leur donner: 1° expliquer aux ouvriers de tous les pays la signification de ces actes en les appelant à l'aide des ouvriers avancés et non en faisant des professions de foi sur le "terrorisme opposé au marxisme"; 2° appeler à les intégrer et les centraliser dans la lutte de masse des prolétaires en travaillant soi-même à ce but.

Il semblerait pour le CCI que si l'on ne se disculpe pas de toute liaison avec "des terroristes", on apporte sa caution à l'idéologie de la "propagande par le fait". Que si l'on ne dénonce pas férocement les actions de terrorisme -avec autant de férocité que la bourgeoisie elle-même- on contribue à dévoyer la classe ouvrière de ses buts historiques. Ce point de vue est impuissant en même temps qu'il renie la lutte réelle. Si les révolutionnaires ne parviennent pas à comprendre les circonstances qui engendrent ces formes de lutte, leur nature prolétarienne, ils seront incapables, et de voir ce qu'elles apportent à la lutte générale, et de contribuer à dépasser leurs faiblesses.

Les communistes ont bien une opposition de principe à l'"action exemplaire" isolée de toute lutte et qui se propose de "susciter" la lutte de classe (ce qui n'est pas la même chose que les actions violentes d'avant-garde dans une ambiance de lutte et pour la faire avancer). Mais comme le disait Bilan:

"au point de vue de la doctrine, la divergence avec les anarchistes se plaçait nettement sur le terrain de la nécessité de la préparation de l'insurrection, sur la base des mouvements de classe, contre leur thèse de la révolution pouvant résulter d'une multiplication de gestes individuels. De plus sur le terrain concret, cette divergence se manifestait clairement au travers de la compréhension que les communistes avaient de la lutte ouvrière. Cette dernière ne se déroule pas suivant le schéma militaire d'armées contrôlées et disciplinées, se mouvant en réflexe des mouvements de classe. De ce fait, les communistes passaient ouvertement l'explication des actes terroristes et des attentats, et s'efforçaient de les encadrer dans le processus de la lutte révolutionnaire du prolétariat. Les anarchistes, de leur côté, ne faisaient qu'exploiter ces gestes pour appeler les ouvriers à délaisser les organisations de classe et surtout l'action du parti de la classe ouvrière. Lénine disait que Plékhanov n'avait rien compris de la politique communiste envers les anarchistes: sa lutte contre eux en arrivant à suffoquer l'esprit de combat et de sacrifice de ces militants au lieu de le discipliner et le coordonner dans l'ensemble du mouvement révolutionnaire. Pas mal de militants actuels, membres de différents groupes oppositionnels, orthodoxes ou hétérodoxes, feraient bien de relire ces pages de Lénine, et de ne pas se hâter dans leurs graves et solennelles sentences sur "l'idiotie" de tel ou tel geste (où ils rejoignent le réformisme), dans l'analyse, le jugement des événements d'Espagne, quant aux "responsabilités" des anarchistes faisant le jeu de la réaction monarchiste." (Bilan, pages 83-84).
Le CCI ferait bien de relire ces mêmes pages avant de condamner la "futilité" des actions violentes qui ne sont pas conformes à ses idéaux et de leur opposer "l'organisation de la lutte et le mûrissement de la conscience". "Même s'il n'avait eu, disait Bilan, que la possibilité d'éditer un seul tract polygraphié, le communiste aurait dû affirmer que le prolétariat à le devoir de multiplier les actes de violence -en connexion avec les mouvements de classe- pour la réalisation de l'attaque insurrectionnelle."

Se préparer à une tâche, en l'occurrence l'insurrection, signifie d'abord en reconnaître la nécessité pour que la mise en oeuvre ne connaisse aucune entrave. Le CCI quant à lui ne pose que des entraves. Il ergote sur les prétendues "déviations" des ouvriers rendant coup pour coup à la bourgeoisie; il dénonce les communistes qui veulent en prendre la direction. Son argumentation se cristallise entièrement sur les dangers pour la violence de s'écarter de son but et de ses objectifs initiaux. Mais toutes les méthodes de lutte peuvent se dénaturer lorsqu'elles sont érigées en méthodes uniques, c'est-à-dire détachées de l'ensemble des moyens de lutte. Mettre l'accent seulement sur ce danger (qui devient un absolu dans le CCI puisque le spectre du "substitutionnisme" menace même des luttes massives comme celles de Longwy et de Denain) ouvre directement la porte et au refus de l'affronter réellement, et à l'absurde restriction de la lutte de classe aux moyens qui ne peuvent être déformés, par conséquent à rien du tout.

Les "risques de déformation" ne sont jamais l'incitation à ne rien faire, mais toujours à faire davantage et mieux. "Toute opération militaire, dans n'importe quelle guerre, est cause d'une certaine désorganisation dans les rangs des combattants. Il ne faut jamais en conclure qu'on ne doit pas combattre. Il faut seulement en conclure que l'on doit apprendre à combattre. Voilà tout." (Lénine). Ce qui affaiblit, désorganise, démoralise et enfin déforme un mouvement, ce n'est évidemment pas le mouvement lui-même, mais l'absence d'une volonté consciente des nécessités du moment, en un mot la non-formation d'une direction unifiée capable de se porter à la tête de la lutte et d'en accélérer la maturation.

L'Etat ouvrier

Le CCI considère la question de l'Etat ouvrier ni plus ni moins que comme une question "ouverte", c'est-à-dire une question qui ne fait pas l'objet de frontières entre les organisations. Alors que pour tous les communistes du passé, cette question était la pierre de touche du marxisme, celle qui distinguait irrévocablement la révolution de la contre-révolution, pour le CCI est communiste celui qui reconnaît simplement la "dictature des conseils" (sans plus de précision!) dans la phase de transition.

Nous empruntons les citations suivantes du CCI à son "Projet de résolution", contenu dans la Revue Internationale No.11, auquel nous opposons nos propres contre-thèses.

Thèse du CCI: "le marxisme n'a jamais considéré l'Etat comme une création ex-nihilo de la classe dominante, mais bien comme un produit, une sécrétion organique de l'ensemble de la société (...). A partir de la conception marxiste, on ne peut en aucune façon considérer l'Etat comme un agent révolutionnaire, un instrument du progrès historique" (page 24).

Contre-thèse: Le CCI n'a rien à voir avec la conception marxiste de l'Etat; il la révise au contraire dans sa totalité. Evidemment, l'Etat n'est pas une "création ex-nihilo (?) de la classe dominante": personne n'a soutenu une telle affirmation dans le passé et il est douteux qu'elle voie le jour dans le futur (le CCI s'invente encore une fois un moulin à vent à combattre pour mieux soutenir une absurdité qui sans tout cet emballage manquerait de crédibilité dès la première ligne). Ceci dit, le marxisme n'a jamais considéré l'Etat comme une "sécrétion organique de la société" dans le sens où l'entend le CCI, c'est-à-dire: 1° un organisme auquel des formations sociales antagoniques apporteraient leurs diverses contributions; 2° un organisme qui aurait des intérêts propres (la "préservation de l'ordre") et se donnerait pour fonction de discipliner toutes les classes, coïncidant parfois, parfois pas avec l'une d'entre elles.

A l'encontre de l'idéologie bourgeoise qui situe dans l'Etat le "garant de l'intérêt général", le marxisme s'impose en affirmant: l'Etat naît pour maintenir les conflits de classe dans des limites déterminées. Mais comme l'Etat surgit en même temps au milieu du conflit entre les classes, il est par définition l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui s'est imposée économiquement, politiquement et militairement dans le rapport de force historique.

La révision commence dès que de la conception unitaire qu'a le marxisme de l'Etat, on se contente de garder seulement la première partie. L'Etat est bien un organisme qui maintient la cohésion de la société, mais pas en réalisant un soi-disant "bien commun" à toutes les classes (il n'y a pas de conciliation possible), pas non plus en faisant office de "médiateur" entre ces classes. Il le fait uniquement en assurant l'ensemble des tâches de domination d'une classe aux divers niveaux économique, politique, militaire, juridique et idéologique. Son rôle propre est de maintenir par la violence les conditions de domination de la classe la plus forte contre les classes dominées, pour assurer l'extension, le développement, la conservation de rapports de production spécifiques contre les dangers de restauration ou de destruction. C'est pourquoi le marxisme a toujours affirmé que l'Etat est "l'organisation spéciale d'un pouvoir" (Engels), c'est l'exercice centralisé de la violence par une classe contre les autres, destinée à fournir à la société un cadre conforme aux intérêts de la classe dominante.

Thèse du CCI: "dans toute société, l'Etat ne peut être autre chose qu'une institution conservatrice par essence et par excellence (...). L'Etat apparaît donc comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, comme une entrave à laquelle se heurtent constamment l'évolution et le développement des forces productives" (page 24).

Contre-thèse: l'Etat est toujours l'Etat d'une classe. Il n'est donc pas "par essence une entité conservatrice". Il est révolutionnaire ou contre-révolutionnaire dans la mesure exacte où une classe est révolutionnaire ou contre-révolutionnaire; parce que loin d'être un facteur autonome dans l'histoire, il est l'instrument, le prolongement, la forme d'organisation de classes sociales qui se succèdent et se combattent. Chaque Etat déterminé voit sa fonction modelée par une classe à laquelle des liens étroits et multipliés l'unissent. Les Etats s'avèrent progressifs ou réactionnaires selon l'action historique de la classe dominante sur le développement des forces productives de la société. L'Etat n'est donc pas pourvu de la sempiternelle essence "en soi" du CCI: il est réactionnaire par rapport à une classe porteuse d'un mode de production supérieur à celui qu'il défend; il est progressif par rapport à une classe défendant un mode de production inférieur. L'Etat bourgeois par exemple, du point de vue de la production capitaliste, a incontestablement représenté un facteur révolutionnaire en ce qu'il a considérablement hâté la mise en place et la croissance des conditions adéquates à la valorisation optimale du capital (en intervenant par la force contre les résidus archaïques des modes de production antérieurs).

Thèse du CCI: "la société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir nécessairement en son sein cette institution propre à toutes les sociétés de classe: l'Etat; (...) il ne faut jamais perdre de vue sa nature anti-communiste et donc anti-prolétarienne et essentiellement conservatrice. L'Etat reste le gardien du statu-quo" (Revue Internationale No.1).

Contre-thèse: sur le plan des principes, le marxisme se distingue de l'anarchisme par l'affirmation suivante: dictature du prolétariat et donc emploi de la contrainte d'Etat dans la période de transition. Le CCI veut bien concéder le terme de "dictature du prolétariat", mais pour s'empresser d'ajouter aussitôt: l'Etat transitoire est par nature anti-communiste. Cela n'a aucun sens. Qu'est-ce que la dictature sinon le pouvoir exclusif d'une classe et qu'est-ce que ce pouvoir sinon un pouvoir d'Etat?

Le pouvoir d'Etat prolétarien

Thèse du CCI: "l'Etat de la période de transition (...) n'est pas l'Etat d'une minorité exploiteuse pour l'oppression de la majorité, mais au contraire celui de la majorité des classes exploitées et non-exploiteuses (...). Contrairement à l'Etat des sociétés passées, celui de la société transitoire n'a plus le monopole des armes" (page 25).

Contre-thèse: pour le CCI: 1° l'Etat transitoire repose sur plusieurs "classes" (le Courant ne comprend pas que la petite-bourgeoisie n'est pas une classe, mais une couche intermédiaire condamnée à être l'appendice politique d'un projet social soit de conservation ou de révolution, donc l'appendice d'une des deux classes de la société); 2° cet Etat, expression de plusieurs "classes" est armé -même s'il n'a pas le monopole des armes. Cela signifie, si on ne joue pas avec les mots, que les couches intermédiaires peuvent avoir une expression armée, pire une force centralement organisée, dans la période de transition. Comme ces couches n'agissent jamais pour leur propre compte, mais en corrélation avec l'une des deux classes de la société, la bourgeoisie peut à tout moment trouver un bras armé tout préparé pour ses tentatives de restauration.

A cette conception archi-réactionnaire, les communistes doivent en opposer une autre. L'Etat qui succède à l'Etat bourgeois est une forme nouvelle d'organisation du prolétariat grâce à laquelle celui-ci se transforme, de classe opprimée, en classe dominante et exerce sa dictature révolutionnaire sur la société. Les associations ouvrières en tant que puissance étatique du prolétariat signifient: 1° la tentative par le prolétariat en tant que seule force sociale porteuse du communisme, de lutter pour l'organisation révolutionnaire de l'ensemble des exploités; 2° la continuation à l'aide du système étatique, de la lutte de classe contre la bourgeoisie qui reste encore la classe la plus puissante même au début de la dictature du prolétariat, même après son expropriation et sa subordination politique dans une seule ou plusieurs aires géographiques.

Le prolétariat a encore besoin d'un appareil d'Etat, aussi bien pour réprimer la résistance désespérée de l'ancienne classe dominante que pour diriger l'ensemble des ouvriers non-organisés et désorganiser activement toute structure organique des couches intermédiaires qui ne pourraient être utilisées que par la contre-révolution. Dans ces conditions, le prolétariat affirme que sa dictature est une dictature de classe; que les organes de son pouvoir politique sont des organismes qui servent par leur action le programme prolétarien, à l'exclusion des intérêts de toute autre force sociale.

C'est pourquoi il faut parler, non d'un Etat "de la majorité des classes exploitées et non-exploiteuses" (l'encadrement des formations sociales intermédiaires dans l'Etat n'étant pas synonyme de partage du pouvoir), non d'un Etat "a-classiste" ou "multi-classiste" (notions idéologiques et aberrantes par définition), mais d'un Etat prolétarien, d'un Etat de la classe ouvrière, ce dernier étant la forme indispensable de la dictature prolétarienne. Il va de soi que cet Etat a le "monopole des armes", ce qui ne signifie pas autre chose que l'armement général du prolétariat puisque cet Etat n'est pas autre chose que le prolétariat organisé en classe dominante.

Statu-quo ou progression de la révolution?

Thèse du CCI: l'Etat transitoire "reste (...) l'organe gardien du statu-quo, chargé de codifier, légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi, dont l'acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. En ce sens, l'Etat reste un organe fondamentalement conservateur tendant non à favoriser la transformation sociale mais à s'opposer à celle-ci; à maintenir en vie toutes les conditions qui le font vivre: la société de classe (...). L'antagonisme entre prolétariat et Etat se manifeste tant sur le plan immédiat que sur le plan historique (...). Pour cette raison, si le prolétariat doit se servir de l'Etat de la période de transition, il doit conserver sa complète indépendance à l'égard de cet organe. En ce sens, la dictature du prolétariat ne se confond pas avec l'Etat. Entre les deux, existe un rapport de forces constant que le prolétariat devra maintenir en sa faveur: la dictature du prolétariat ne s'exerce pas dans l'Etat ni à travers l'Etat mais sur l'Etat" (page 25).

Contre-thèse: le CCI veut confronter le prolétariat à cette tâche impossible: faire servir les intérêts de la révolution par un organe "anti-communiste par nature"! Et de quelle manière? "Tout en se servant de l'Etat, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l'Etat mais sur l'Etat" (sic!).

L'Etat ouvrier a pour tâche de garantir les acquis de la révolution. Cette fonction lui donne-t-il un caractère conservateur? Nullement. Car pour "conserver" les acquis de la révolution il n'y a pas d'autre moyen que de les étendre sans cesse. Etendre ces acquis signifie nécessairement pousser plus avant la destruction du capitalisme: il n'y a pas de solution intermédiaire. Ou on avance, ou on recule. C'est pourquoi l'Etat transitoire est dans l'impossibilité absolue, à moins de succomber à l'ennemi, de conserver "un état économique déjà existant". Soit il favorise la transformation sociale, soit il s'y oppose; soit il maintient les anciennes divisions de classe, soit il oeuvre à les détruire. Mais dans un cas on parlera d'un Etat ouvrier, dans l'autre on parlera d'un Etat bourgeois restauré. Entre les deux se place un processus de contre-révolution qui n'exprime pas la "conservation par l'Etat de ses propres privilèges" (il n'existe pas de privilèges qui ne soient pas des privilèges de classe), mais la reprise en main par la bourgeoisie d'une forme qui lui échappait à l'origine, dont elle inverse le contenu de classe et qu'elle retourne contre le prolétariat.

Lorsqu'un tel "rapport de force" s'établit entre le prolétariat et l'Etat, c'est-à-dire entre le prolétariat et la bourgeoisie qui se réorganise comme force politique, l'issue de l'évolution n'est pas tranchée par des distinctions subtiles comme celle-ci: "la classe révolutionnaire ne peut s'identifier avec cet Etat". Non seulement le prolétariat doit se distinguer à tous points de vue de cet Etat, mais encore l'appeler clairement par son nom: "Etat bourgeois reconstitué", mais encore le détruire. On n'a pas là affaire à la situation "normale" de la période de transition (contrairement à ce que pense le CCI dont les positions d'aujourd'hui appliquées demain seront ouvertement contre-révolutionnaires), mais à une situation particulière: celle du recul de la révolution, du renversement général des rapports de force entre les classes. A ce moment, toute phraséologie habile sur la nécessité: 1° d'un Etat transitoire "anti-communiste" (dont on a par avance accepté l'inéluctabilité historique); 2° d'une "non-identification", en fait d'une coexistence ni vraiment pacifique ni vraiment belliqueuse entre cet Etat et le prolétariat, prépare directement le terrain pour l'écrasement de la classe ouvrière.

Etat-CCI contre dictature du prolétariat

Thèse du CCI: le CCI se propose d'oeuvrer dans le futur à: "limiter les aspects les plus fâcheux de l'Etat; assurer la pleine indépendance de la classe révolutionnaire, permettre la dictature du prolétariat sur l'Etat" (page 25).

Contre-thèse: cette oeuvre "indispensable" consiste réellement en ceci: 1° accepter l'inévitabilité d'un Etat antagonique au prolétariat; 2° priver la classe ouvrière de toute indépendance en la soumettant à la phobie de l'Etat que le CCI a hérité de l'anarchisme; 3° diviser les organes étatiques de la dictature ouvrière en tronçons séparés privés de toute efficacité; 4° ne pas désigner l'adversaire véritable: la bourgeoisie et ses agents qui tenteront de s'infiltrer dans l'Etat ouvrier, mais désigner au contraire l'Etat ouvrier comme adversaire du prolétariat. En pratique cela veut dire agir à la fois: 1° pour couvrir les déformations de l'Etat prolétarien en leur concédant le sceau de la "nécessité historique"; 2° d'encourager activement ces déformations en proposant que l'Etat transitoire repose sur "plusieurs classes"; 3° de désorganiser activement la dictature prolétarienne en opposant ses formes organisées les unes aux autres (le CCI va d'ailleurs encore plus loin: dans certains de ses documents politiques, il n'hésite pas à qualifier l'Etat transitoire de "médiateur" entre le capitalisme mondial et le prolétariat érigé en classe dominante dans certaines zones, reconnaissant par avance l'inévitabilité de compromis économiques et politiques avec le capitalisme. Il va de soi que ces "compromis" ne seront pas faits par le prolétariat mais encore une fois par l'Etat transitoire "réactionnaire par essence", sur lequel le CCI décharge tout l'opportunisme foncier qu'il manifeste dès qu'il est question de la dictature du prolétariat et du contenu de la révolution communiste).

Le CCI fait reposer toute son argumentation sur le traumatisme suscité dans le mouvement communiste par la restructuration de l'Etat bourgeois en Russie, à partir de la destruction de tous les organismes étatiques que le prolétariat avait essayé de développer à partir d'Octobre 1917. De cette expérience négative, il déduit la nécessité de réviser de fond en comble la conception marxiste de l'Etat révolutionnaire. Son obsession est la recherche de "garanties" formelles pour éviter la reproduction d'un tel désastre. Il n'existe pourtant aucune garantie de ce type. Si une "garantie" doit exister quelque part, elle réside uniquement dans l'extension de la révolution à l'échelle mondiale et dans la permanence de la transformation économique et sociale (qui n'attend pas la généralisation de la dictature prolétarienne au monde entier), conformément aux principes du communisme.

Thèse du CCI: Parmi les "garanties" constitutionnelles que propose le CCI, on peut trouver les affirmations suivantes:  1° les partis ouvriers ne peuvent ni s'intégrer à l'Etat, ni assurer de fonction étatique sous peine de dégénérer; 2° les conseils ouvriers sont distincts de toute institution étatique; 3° la classe ouvrière se réserve toute possibilité de défendre ses intérêts immédiats par l'utilisation de divers moyens de pression dont la grève (voir page 26).

Contre-thèse: avec l'Etat "multiclassiste" que le CCI préconise, aucun de ces moyens n'a de chance de parvenir au but. Si les "partis ouvriers" et les associations prolétariennes en général sont distincts de l'Etat et ne peuvent assumer aucune fonction étatique, comment pourrait-on escompter par ailleurs qu'ils contrôlent cet Etat au lieu de se laisser contrôler par lui?! Quant aux "moyens de pression dont la grève", le partage des armes entre l'Etat "conservateur par essence" et le prolétariat, laisse facilement présager de son issue: l'affrontement armé. Si le prolétariat triomphait, ce serait pour laisser s'édifier un nouveau un Etat "anti-communiste par nature", et ainsi de suite. Voilà le carrousel absurde dans lequel le CCI prétend enfermer la révolution communiste.

Même avec un Etat clairement fondé sur la seule classe ouvrière, les moyens exposés par le CCI n'ont pas de réelle portée contre le bureaucratisme et la pénétration de la bourgeoisie. Ils sont au contraire les plus sûrs moyens de les favoriser. Le marxisme n'a jamais nié que les appareils centraux et administratifs de l'Etat prolétarien tendent à devenir, dans des conditions défavorables, les pôles d'attraction des privilèges capitalistes; ni qu'ils possèdent de moindres capacités de résistance politique que les autres formes de la dictature. Mais la condition pour en préserver la nature de classe (nous parlons d'une condition aidant à lutter contre la dégénérescence éventuelle de la révolution, et non pas d'une garantie "absolue", celle-ci n'entrant pas dans le domaine de l'analyse matérialiste mais des supputations religieuses) s'incarne justement dans la participation maximale de l'avant-garde ouvrière aux tâches de gestion étatique. D'autre part, l'élargissement sans précédant de la participation des masses à la vie politique et à la gestion directe de l'Etat donne un contrôle mille fois plus effectif que cet autre, illusoire, procuré par le "droit de grève". Cette perspective: l'accomplissement résolu par le parti de classe et les associations ouvrières gui expriment la tendance au parti de l'ensemble des fonctions étatiques, s'accompagne naturellement non de la dissolution du parti communiste et des associations prolétariennes, mais au contraire du maintien et du développement de leur configuration politique. Cette précision va de soi pour des marxistes qui savent que le renforcement de la classe ouvrière correspond à l'élévation de son action et de sa conscience de classe; qui savent aussi que le rôle dirigeant d'un parti mondial de classe n'est pas rendu inutile par la réussite de l'insurrection, mais persiste jusqu'à l'aube du communisme intégral.

Conclusion

Par ce texte, nous voulons contribuer à la réfutation d'une idéologie: le conseillisme, dont le CCI est l'un des représentants actuels. Cette idéologie se situe à la confluence de trois courants: le kautskysme, l'anarchisme et le marxisme (tronqué, défiguré, avili par les autres jusqu'à ce qu'il ne subsiste que comme enveloppe formelle).

Cette brochure fournit peu d'indications concrètes pour la lutte (tel n'est pas le but visé. Cette tâche est remplie par nos revues: "Le Communiste" et "Comunismo", et par leurs annexes: tracts, etc.).

Le fil blanc qui unit les positions du CCI est le suivant: culte de la démocratie, négation des fondements du communisme révolutionnaire (rejet des notions marxistes de parti, de violence et de dictature). Concernant le CCI, il faut aller jusqu'à ce constat. Le parti n'est rien s'il se réduit à un parti de propagande, la violence n'est rien si elle abdique la terreur, la dictature ouvrière n'est plus rien si elle admet un Etat "multiclassiste" et interdit au prolétariat de se transformer en classe dominante, c'est-à-dire en Etat prolétarien.

Le CCI est un frein et une entrave aux tâches des communistes à l'époque actuelle. Ses positions ne compromettent pas seulement le futur mais également le présent, ce que nous avons essayé de montrer tout au long de cette brochure. Des éléments oppositionnels au sein du CCI voient bien des "risques" pour demain, des "lacunes" pour aujourd'hui, mais ils négligent de les replacer dans leur cadre réel. Il ne s'agit pas de "risques" et de "lacunes"; il s'agit de faits qui ne sont pas soumis au hasard, à divers facteurs, mais à un facteur unique: le programme politique du CCI, son essence qui n'est pas "réformable".

L'"anti-substitutionnisme" n'est pas une phrase jetée sur le papier: c'est la chair et le sang du CCI, son programme au sens plein du terme. La démocratie interne du CCI s'articule sur cette base. Il se trouve et se trouvera toujours une majorité pour protéger l'orientation politique de l'organisation et c'est normal. Les militants sont recrutés, conformés par l'"anti-substitutionnisme" que le CCI essaie d'élever au rang de doctrine cohérente.

Le CCI sera encore traversé par des divergences internes qui donneront naissance à des minorités organisées. Cette perspective est d'autant plus certaine que l'on est en train de vivre les premiers signes d'une nouvelle reprise de classe qui ne peut pas ne pas poser de nouveaux problèmes, faire ressurgir les anciens et bouleverser tous les schémas établis dans la phase de reflux.

Malheureusement la direction suivie par le CCI comme son régime organisationnel ne laissent pas d'autre choix aux minorités qui se constituent que celui de rompre avec le CCI. A moins bien sûr qu'elles se recroquevillent dans la passivité, se bornent à une critique platonique et renoncent à représenter un pôle communiste effectif dans la classe ouvrière.

Note :

Nous ne nous attachons pas ici à réfuter la vision du développement capitaliste qu'a le CCI (la "coupure" mystique de 1914 qui ferait passer le prolétariat de la "lutte pour des réformes" à "la lutte pour la révolution"), les conséquences politiques aberrantes de cette vision et le jeu de l'esprit qui l'amène à substituer au mûrissement dialectique des conflits de classe un "cours vers la révolution" tout tranché depuis 1968. Telles n'ont pas été les raisons immédiates de la scission.