En ce sens, nous avons fixé, depuis de nombreuses années, comme critère d'orientation de la discussion, la nécessité de nous concentrer sur la période 1917-1923, période durant laquelle la révolution et la contre-révolution internationale arrivèrent à leur plus haute expression, laissant finalement cette dernière s'imposer. Tous les grands problèmes du programme communiste trouvent dans ces années cruciales leur plus haute affirmation, leur plus forte clarté, et leur confirmation brutale: la contre-révolution elle-même permet de réaffirmer la prévision communiste et apporte de nouveaux matériaux pour mieux comprendre et préciser des aspects essentiels qui n'apparurent qu'à l'état d'ébauche au cours des vagues révolutionnaires précédentes.
Les textes que nous publions dans cette revue font partie de cette large discussion autour de la période 1917-1923, discussion que nous continuons à mener au sein du groupe. Nous la poursuivons à un niveau global, tout en travaillant également, région par région. La révolution et la contre-révolution furent internationales, tant par leur étendue que par leur contenu, mais la forme et les faits (ainsi que les matériaux dont nous disposons!) étaient terriblement encastrés dans la structure même des pays. Cela constitua sans doute une limite (nationale) du mouvement lui-même.
Parce que les matériaux adéquats pour une analyse directement internationale n'existent pas, parce que les organisations qui donnaient vie au prolétariat se structuraient par pays, etc., nous nous sommes vus obligés, dans la discussion et durant la première phase d'exposition de ce travail, de nous maintenir dans les strictes marques d'une compréhension par pays, forcément restreinte et limitée.
La discussion dans le groupe est maintenant très avancée à propos de la Russie et nous avons entamé depuis quelques temps déjà un travail d'approfondissement sur l'Allemagne pour lequel nous nous préparons à publier certains textes. Parallèlement à cela, nous planifions une série de discussions sur les autres régions du monde d'où la révolution internationale a également atteint de hauts niveaux.
En ce qui concerne la Russie, nous nous sommes concentrés sur ce que nous considérons être le plus mal expliqué par tous les courants que nous connaissons: LA CONTRE-RÉVOLUTION ET LE DÉVELOPPEMENT DU CAPITALISME.
Les textes qui suivent sont à situer dans un travail d'ensemble à propos de la Russie, et sont donc à joindre et à lire en regard de nos précédentes publications en français sur ce sujet, à savoir plus particulièrement: "Brest-Litovsk - La paix, c'est la paix du Capital" dans Le Communiste No.22 et No.23, ainsi que "Cronstadt: tentative de rupture avec l'Etat capitaliste en Russie" dans Le Communiste No.24. Plus marginalement, avec le texte à propos des "Quelques leçons d'Octobre 1917" publié dans Le Communiste No.10/11, pour lequel nous émettons, entre autre, de sérieuses réserves et critiques pour sa participation au mythe de la préparation de l'insurrection d'Octobre par les seuls Bolcheviks.
Nous reviendrons ultérieurement sur ces critiques, ainsi que sur celles que nous formulons aujourd'hui à propos d'autres textes, comme celui sur la "Commune de Paris" dans LC No.15. Mais pour l'heure, nous demandons aux lecteurs de situer les textes cités ci-dessus au sein d'un tout, que nous n'avons publié séparément que pour des problèmes d'édition et de traduction.
Nous comptons encore ultérieurement publier un texte à propos de Makhno, ainsi qu'un autre sur le stalinisme et la déstalinisation, et d'autre "Mémoires ouvrières", comme le manifeste de Miasnikov, etc. Nous aurons ainsi expliqué la continuité capitaliste en Russie (cf. "La politique économique et sociale des Bolcheviks" dans cette revue), malgré l'insurrection prolétarienne de 1917, ainsi que le rôle qu'y a joué l'idéologie et la pratique social-démocrate (cf. "La conception social-démocrate de transition au socialisme" dans la revue). Nous aurons également traité des moments les plus cruciaux de la politique contre-révolutionnaire de l'Etat (cf. les textes sur Brest-Litovsk, Cronstadt, un travail sur la Politique Internationale des Bolcheviks et les contradictions dans l'Internationale Communiste et dans le futur, un texte sur la Makhnovtchina). Nous aurons enfin reconnu et évalué les ruptures et leçons que différentes fractions communistes ont pu produire face à la contre-révolution en Russie, tout au long de l'histoire.
Nous aurons donc ainsi publié une somme relativement importante de matériaux, mais nous demandons au lecteur de ne pas être trop exigeant quant à la présentation de ceux-ci. Il s'agit en effet de textes écrits en différentes langues et par divers camarades. Nous les publions au vu de leur importance, avant même de les avoir synthétisé et de leur avoir donné toute leur cohérence, ce qui n'aurait pas été uniquement un problème technique, mais également et surtout un temps plus long pour que l'état de la discussion soit beaucoup plus achevée qu'elle ne l'est actuellement. Le lecteur nous excusera dès lors des réitérations des aspects fondamentaux présents dans les différents textes.
Nous profitons maintenant de cette présentation pour rappeler quelques points essentiels à propos de notre conception de la réappropriation programmatique. Ces points constituent une utile introduction à la lecture des textes qui suivent et resituent l'importance de la mémoire ouvrière dans la vie et la lutte de notre classe.
Toute lutte du prolétariat se pose donc en termes contradictoires et en termes d'affrontement des deux pôles de la contradiction:
Mais, quel que soit le rapport de force donné dans cette contradiction entre révolution et contre-révolution, étant donné la permanence des antagonismes de classes, les défaites les plus profondes qui marquent nécessairement l'histoire du mouvement ouvrier sont toujours relatives, et de celle-ci renaît toujours la force de la lutte du prolétariat, fortifiée des leçons des défaites passées. La réappropriation programmatique n'est rien d'autre que cette réappropriation pratique des traditions de lutte, des méthodes et objectifs de classe dont la continuité, en période de contre-révolution dominante, n'a pu être assurée que par des minorités de militants s'attachant alors plus particulièrement à faire le bilan de la vague de lutte passée.
L'apologie du mouvement part d'une surestimation de la force du prolétariat et tombe nécessairement dans l'impasse de ne pouvoir expliquer pourquoi le mouvement a été défait, sinon par l'absence de tel ou tel parti-gourou, à qui il revenait de diriger le mouvement. D'autres tentent, dans le même sens, de faire passer des faiblesses du mouvement et des expressions de la contre-révolution pour des avancées du mouvement, tels les courants bordiguistes et/ou trotskistes, qui revendiquent la paix de Brest-Litovsk ou l'écrasement de Cronstadt. A l'autre pôle, il y a aussi l'attitude qui consiste à partir des faiblesses du mouvement, de ses expressions les plus entachées de manque de ruptures et de conclure dès lors qu'il n'y avait que des enjeux bourgeois, tels les courants qui à partir de la constatation après 1917 de la perpétuation de l'Etat capitaliste en Russie, en arrivent à nier le caractère prolétarien du mouvement insurrectionnel d'Octobre 1917.
Ces deux points de vue ont en commun leur vision idéaliste de la lutte de classe. Ils sont incapables de saisir la réalité contradictoire, le mouvement lui-même et concluent nécessairement au manque de révolutionnarité du prolétariat. Ils se voient dès lors obligés de faire appel à des apports de conscience et de volonté à injecter de l'extérieur dans le mouvement, puisque celui-ci n'en secrète pas suffisamment, réintroduisant par là les vieilles séparations entre parti et classe, luttes immédiates et luttes historiques.
Pour éviter de tomber dans ces déviations idéalistes qui nous châtreraient de toute capacité de réappropriation programmatique militante, pratique, réelle, nous insistons sur le fait que se revendiquer d'un mouvement de classe, c'est mettre toujours plus au clair l'essence de ces mouvements en dégageant, par la critique, les manifestations/expressions de notre classe, de celles des forces de la contre-révolution, en discernant chaque fois plus clairement dans ces mouvements, les ruptures des non ruptures, en distinguant les tendances à l'associationnisme ouvrier de la résorption/destruction de ces tendances par la concurrence, etc., bref en discernant de façon toujours plus tranchée, la révolution de la contre-révolution.
On ne saurait terminer cette présentation sans faire appel une fois de plus à nos contacts, sympathisants-camarades, pour qu'ils nous fassent part de leurs réactions, analyses, critiques, contributions,... en vue d'élargir et renforcer les bilans que nous tirons du passé de notre classe, et ainsi creuser toujours plus, comme autant de taupes passionnées et organisées, les galeries de la subversion du Vieux Monde. Nous avons le temps et les hommes!
La social-démocratie ne considère le Capitalisme que comme une partie de ce système, se basant sur l'image idyllique que le Capitalisme a de lui-même. Pour elle, le Capitalisme n'est pas développement et destruction des forces productives mais seulement développement des forces productives (la destruction est extra-capitaliste); le Capitalisme n'est pas la grande industrie urbaine et la misère à la campagne mais uniquement le développement de la grande industrie, la misère à la campagne étant un résidu pré-capitaliste (!!!).
A fortiori, elle ne peut comprendre ce qu'est le socialisme et le communisme. Schématiquement, nous dirons que le socialisme est pour la social-démocratie, le développement des forces productives (du Capital) géré par les ouvriers et (ou) le parti social-démocrate (ou communiste), auxquels on ajoute, selon les versions, une certaine dose d'épuration des tares les plus évidentes du Capitalisme (ce qui est évidemment une utopie réactionnaire).
C'est pourquoi le programme général de la social-démocratie consiste à appuyer les côtés progressistes du Capitalisme (industrialisation, aspects "ouvriers" du Capital,...). Il s'agit pour elle de soutenir la lutte pour l'extension de ce système, la lutte pour les "tâches démocratiques bourgeoises", les "tâches nationales",... contre "les "modes de production antérieurs"; ce qui signifie en pratique la défense (vu l'unicité contradictoire du Capital) du Capitalisme tout court, dans sa totalité.
Autrement dit, la social-démocratie n'est rien d'autre que la lutte historique du capitalisme (1) pour se justifier face à la société toute entière, pour se donner une apparence progressiste, et surtout, pour encadrer les prolétaires sur le terrain de la classe qui les exploite.
La conception social-démocrate de la transition au socialisme se résume au passage de l'administration de la société des mains des bourgeois à celles des ouvriers et/ou de leurs représentants. Pour y parvenir, elle conçoit diverses tactiques allant de la prise du pouvoir (cf. le paragraphe sur le politicisme) à la gestion décentralisée des unités de production (gestionnisme) et la réalisation d'un ensemble de mesures aptes à socialiser la démocratie en distribuant la production de manière égalitaire, en donnant la propriété des moyens de production aux producteurs (ou à l'Etat "qui les représente"),...
Il serait absurde de concevoir l'existence d'une rupture fondamentale entre ceux qui considèrent que l'évolution du Capitalisme mène au Socialisme et ceux qui prétendent se différencier des premiers par le seul fait de préconiser une "révolution violente", puisque la conception de base est identique, réformiste dans les deux cas.
Etant donné que la social-démocratie considère le mode immédiat de production dans lequel le travail est subsumé "réellement" dans le Capital, comme étant progressiste, la politique social-démocrate n'attaque jamais la base du Capital: ce qui est produit, comment on produit, l'objectif et la forme de production,... Elle ne déclare jamais la guerre au moteur de ce monde de production (la valeur, le profit, la dictature sur la valeur d'usage), elle ne lutte pas contre les rapports réels de production qu'elle considère comme naturels, humains mais par contre, elle préconise, toutes fractions confondues, un ensemble de mesures qui, loin d'attaquer la sphère de production ne s'attaque qu'à la distribution et son expression juridique: le droit "réel".
Face à cette réalité forcément totalisatrice et en accord avec la conception générale que nous avons décrite, la social-démocratie choisit comme recette de "transformation socialiste" deux grands schémas qui apparaissent comme formellement opposés et que nous appellerons ici gestionnisme et politicisme.
Le gestionnisme, l'économisme, qui partent d'un rejet romantique du centralisme, du Parti unique, de l'Etat, se prononcent pour l'autonomie, pour la liberté, non de l'individu, mais de chaque usine, de chaque coopérative, syndicat, assemblée, conseil ouvrier. Selon les partisans de cette idéologie, on trouverait une garantie dans la participation de la base, dans la démocratie directe, "ouvrière", dans les assemblées, dans le fait que les ouvriers y sont la majorité et qu'ils veulent le socialisme.
Le politicisme part, quant à lui, d'une admiration imbécile pour la "révolution française" et réduit la révolution à la prise de pouvoir politique (prise de pouvoir violente ou pacifique, selon les variantes) et à la réalisation d'un ensemble de réformes: nationalisations, développement des forces productives, distribution plus équitable du produit social, gratuité des articles de première nécessité. Pour les tenants de cette idéologie, tout se réduit au "parti" qui détient le pouvoir politique et ils assimilent la "révolution socialiste" au pouvoir contrôlé par un parti prolétarien plus le développement des forces productives, de manière succincte: l'électrification plus le pouvoir des "soviets".
Dans la compréhension de la contre-révolution (une théorie ne peut être révolutionnaire que si elle capte les lois invariantes de la contre-révolution), les deux conceptions sont fondamentales. Dans toutes les tentatives historiques de la révolution, les deux conceptions social-démocrates se combinent, et agissent objectivement contre la révolution, indépendamment même de la volonté de leurs tenants.
Conceptuellement, les deux déviations ont comme dénominateur commun la considération que le socialisme est la prolongation du capitalisme sous administration ouvrière, autrement dit que le socialisme est l'extension épurée du capitalisme, purgé de ses éléments néfastes (les patrons, la misère, le manque de développement, de forces productives, les inégalités,...). En réalité, le socialisme propre à ces conceptions n'est autre que le Capitalisme sans contradiction, sans l'ensemble des problèmes inhérents à son système, n'est autre que le Capitalisme comme idéal d'égalité, de liberté, de fraternité,... de démocratie. De là, la revendication de "démocratie sociale", de "démocratie véritable", en opposition à la démocratie "politique" (en réalité, la seule démocratie possible est celle qui existe historiquement comme expression de l'égalité et de la liberté... du monde marchand!), y compris l'origine du terme social-démocratie.
Par conséquent, ces deux conceptions sont réformistes, et ce rôle les amène toujours au premier rang de la contre-révolution.
Elles sont le produit historique de la contre-révolution et de la liquidation du prolétariat comme classe sociale fondée sur la séparation de "l'action économique" et de "l'action politique", le syndicat et le parti parlementaire. Ces conceptions théorisent la séparation que le Capital impose au prolétariat (surtout au travers de sa fraction social-démocrate) entre économique et politique. Ce faisant, elles hissent au niveau de projet de société ce qui n'est qu'une faiblesse des ouvriers; le fait que même dans les époques de surgissement révolutionnaire existent des restes de division entre organisations "politiques" ("partis") et "économiques" (syndicats, conseils, coopératives,...), division qui trouve son expression maximum dans la contre-révolution, non seulement comme phase spécifique de négation du prolétariat mais aussi comme sujet, comme ensemble de forces sociales qui accomplissent la fonction de séparer les prolétaires et leurs intérêts totalisateurs pour les liquider comme classe.
Dans ce sens, l'opposition économie/ politique, organisations économiques/ organisations politiques, gestionnisme/ réformisme étatique ont une fonction sociale générale et décisive dans la reproduction du Capital. De là, les jonctions pratiques entre des théories apparemment si opposées, ce qui surprend quelques fois des jeunes militants inexpérimentés. Par exemple, ils sont tous d'accord pour liquider les discussions ouvrières, au nom de l'unité immédiate du prolétariat et au nom du principe que ces tâches se doivent d'être assumées et réalisées au sein du parti (aussi, dans les associations ouvrières, il est assez commun de constater la convergence vers l'anti-partitisme... des "partitistes" les plus convaincus).
Au vu de toutes ces convergences réelles qui, en dernière instance, dérivent d'une seule et même conception, il n'est pas étonnant de trouver la coexistence de deux déviations dans un même courant idéologique, y compris au sein d'une même organisation. Nous trouvons cette coexistence chez Lassalle (il faut rappeler que la social-démocratie est l'héritière historique et organique du parti de Lassalle et non celle de Marx), chez Kautsky, chez Luxembourg, dans le trotskysme actuel, etc.
Au-delà de ça, si nous analysons une théorie quelconque de la transition issue de la vision social-démocrate, nous pouvons nous apercevoir de la nécessaire coexistence entre réforme politique et gestionnisme économique. Ainsi, Lénine, généralement considéré comme un partitiste, comme quelqu'un qui a toujours tout axé sur la prise de pouvoir politique (conception inséparablement liée à une vision réformiste de la transition), laissait transparaître par toute une série de biais dans ces schémas, la conception gestionniste du contrôle ouvrier de la production capitaliste. On peut dire la même chose de Bordiga.
Arrivé là, le lecteur se demandera pourquoi maintenir, pour notre critique, une séparation entre idéologie économiste et politiciste, puisque c'est exactement la même chose. Nous répondrons que malgré cette identité de fond, il est pertinent de réaliser la critique dans ce double niveau: d'un côté contre chaque conception, de l'autre, sur la convergence dans une même vision du monde.
Aussi, l'économie politique devient-elle, elle-même, vulgaire lorsqu'il lui faut administrer le monde ou quand elle enlève leur caractère historique aux catégories qu'a élaborées la critique de Marx de chacune des grandes conceptions, les différenciant d'un côté, et en même temps, démontrant le caractère chaque fois plus vulgaire de toute l'économie politique.
Le matérialisme mécaniciste, le matérialisme physiologique..., est au fond idéaliste, mais malgré le fait que Marx ait mis en évidence cette identité, il a considéré comme indispensable la réalisation d'une critique spécifique, tant de la philosophie spéculative, idéaliste, que du matérialisme.
D'autre part, la force des idéologies est justement de présenter ces fausses oppositions comme des vérités universelles. Le marxisme vulgaire (par exemple, sous sa forme stalinienne) est systématiquement tombé dans l'idéalisation de ces oppositions et dans l'adoption "sacrée" d'un de ces pôles. Ainsi, s'est-il fait le partisan du monisme matérialiste, physiologiste (sans réaliser combien cette antithèse vulgaire de l'idéalisme est idéaliste), liquidant des pans entiers de la dialectique; ainsi a-t-il transformé en religion d'Etat l'économie politique (sans évaluer à quel point les chantres de l'économie politique sont les héritiers des économistes vulgaires); enfin, c'est comme cela qu'ils se sont définis, par exemple, par le politicisme, l'occupation de l'Etat et les réformes, comme chemin vers le socialisme.
De plus, ces fausses oppositions, précisément par le fait d'être idéologies de la contre-révolution, ont été et sont profondément enracinées dans les masses, surtout parmi les ouvriers qui croient être socialistes ou communistes par le fait d'adhérer à ces idées. Et leur force est précisément d'exister en pratique, dans la vie sociale des prolétaires comme de telles oppositions différentes, socialisme démocratique ou socialisme autoritaire, conseillisme ou partitisme... avec la désorientation conséquente, division et occultation des véritables objectifs de classe.
Historiquement, ces conceptions, que nous nommons ici "économicistes" et "politicistes", se sont présentées sous d'innombrables formes et combinaisons, et elles transcendent les formes de toute structure organisée (comme toute idéologie importante). Ainsi, si nous nous limitons à la structure formelle de la social-démocratie, on constate que ces deux idéologies préexistent à cette organisation et que durant son existence, le gestionnisme et le politicisme l'ont débordée et sont parfois même la caractéristique principale de fractions qui pourtant s'autoproclament en opposition à cette organisation. C'est le cas, par exemple, de Proudhon et de ses continuateurs, les syndicalistes révolutionnaires sous son expression sorélienne (de Sorel), que nous devons classer, sans crainte, parmi les précurseurs du gestionnisme.
De même que le parti de la révolution transcende ses formes (par exemple, le Parti Communiste de 1848, comme réalité internationale vivante transcende la "Ligue des Communistes", ainsi que, en général, toutes les autres sectes révolutionnaires), le parti de la social-démocratie, comme liquidation historique du parti de la révolution sociale dans les toiles d'araignée de la démocratie, dépasse la social-démocratie formelle.
"Economicisme" et "politicisme" seront, par la suite, critiqués dans leurs expressions les plus radicales les plus subtiles, y compris dans des formes dans lesquelles la contradiction révolution/contre-révolution ne s'est pas forcément concrétisée. Marx aussi, dans la critique de Proudhon, a souvent été amené à se situer dans la totalité des imbéciles constructions de celui-ci, pour mettre en évidence le fait que même ainsi, la société capitaliste se reproduirait. Nous croyons que le fait d'éclaircir et expliquer les expressions les plus subtiles et développées de ces deux conceptions est beaucoup plus utile à notre développement politique (et à celui de nos sympathisants et lecteurs) que le fait de nous contenter des critiques des formes les plus grossières. Mais on ne doit pas perdre de vue que les caricatures existent aussi, que l'exemple du gestionnisme qui plaît le plus à la bourgeoisie internationale, est celui de Tito, ou que nous pouvons trouver la meilleure caricature du réformisme d'Etat capitaliste --sous couverture de transition vers le socialisme-- dans le modèle du socialisme à la Fidel Castro.
En prenant donc les formes les plus radicales, nous verrons comment le gestionnisme et le politicisme ont agi et agiront contre la révolution, dans les moments décisifs. Dans cette critique, nous essayerons d'aller jusqu'aux fondements et aux expressions les plus extrêmes de ces deux idéologies, ce qui n'est pas seulement important pour cerner les limites de la vague révolutionnaire de 1917-1923, et de la révolution "russe", mais encore pour trouver les éléments clefs de la conception révolutionnaire de transition vers le socialisme.
Les courants les plus radicaux de la social-démocratie: l'anarchisme gestionniste, le pseudo-marxisme "ordinoviste",... ont été précisément ceux qui ont procuré la couverture idéologique la plus efficace et le meilleur encadrement politique des prolétaires, pour imposer la contre-révolution.
Dans les moments où l'attaque contre l'Etat bourgeois est décisive: destitution du gouvernement, du parlement, du pouvoir judiciaire, répression de tous les corps de choc de la contre-révolution (fasciste et antifasciste), de la police, de l'armée,... enfin, le despotisme ouvrier généralisé, la terreur rouge, ces courants entretiennent les ouvriers dans la production, dans la gestion, dans les 10.000 problèmes administratifs de distribution et de démocrato-bureaucratisme.
Ils donnent toutes les possibilités à l'Etat pour se reconstruire, pour réarmer ses corps, préparer son attaque, recréer les polarisations à l'intérieur de la bourgeoisie (fascisme/antifascisme). C'est ce qui s'est toujours passé dans l'histoire, c'est ce qui se répétera toujours, tant que la direction des masses prolétariennes ne coïncidera pas avec sa direction révolutionnaire, communiste, et qu'elles se laisseront avoir par la démocratie de base, la gestion ouvrière, les conseils d'usine, les soviets.
Il existe aussi une variante beaucoup plus radicale que les autres, et qui admet la nécessité d'en terminer avec l'Etat bourgeois et d'imposer la dictature du prolétariat, mais qui continue à laisser la gestion de la société aux associations de producteurs, aux comités d'usine et/ou aux conseils ouvriers (c'est-à-dire qu'elle ne comprend pas pourquoi il ne peut y avoir destruction du capitalisme sans direction unique du prolétariat et sans son Etat centralisé en parti communiste); cette variante est aussi contre-révolutionnaire et jouera un rôle important dans le futur.
S'il n'y a pas d'expérience directe, c'est seulement parce que pour l'instant les organisations qui, dans les moments cruciaux de la lutte ouvrière, ont été la direction formelle des prolétaires les plus combatifs, étaient encore en deçà de ces conceptions; et parce que l'idéologie du gestionnisme la plus radicale, ne peut s'appliquer qu'après l'insurrection. Or, jusqu'à présent, ce qui a prédominé dans l'unique insurrection prolétarienne ayant triomphé fut son frère ennemi: "le politicisme radicalisé".
Si l'on ne peut douter que supprimer le capitalisme sans attaquer l'Etat ne peut être qu'une utopie réactionnaire, prétendre éliminer le capitalisme par l'autonomie et la liberté des associations prolétariennes constitue tout aussi indubitablement une utopie réactionnaire. En effet, en supposant (ce qui n'est qu'une utopie) que l'on ait effectivement détruit toute force politico-militaire organisée de la contre-révolution ouverte dans le monde, et qu'on ait commencé à organiser la société non sur base d'un centre et d'une direction unique, mais sur base des décisions démocratiques d'une infinité d'associations, peu de temps après, nous aurions à nouveau le capitalisme en pleine fonction. Nous allons voir pourquoi.
Ces associations, conseils ouvriers, soviets,... ne sont pas unis organiquement à l'ensemble; il n'existe pas de centralisme organique; il n'existe pas de dictature du communisme organisé en parti, contre la valeur. De ce fait, la production ne peut être directement sociale, mais particulière (et de fait, privée, face au reste de la société). Mais, étant donné que la production privée doit nécessairement se socialiser, comme nécessairement la centralisation des décisions doit se faire, l'échange et le centralisme démocratique sont eux aussi nécessaires.
Au delà de tous les discours que l'on peut faire contre la démocratie bourgeoise, pour la démocratie contre la valeur d'échange, etc... sans le despotisme organiquement centralisé par le parti contre la valeur, les produits de chaque association, de chaque groupe d'associations, de chaque comités d'usine, de chaque congrès de soviets,... de chaque région,... dans de telles circonstances, ne sont pas seulement des produits, mais encore des valeurs d'échange et cela même si on supprime les formes matérielles de l'argent, en tant qu'argent. L'argent continuera à régner!
S'il n'y a pas de déplacement des produits, à partir de la dictature contre la valeur d'échange, centralement dirigée par le parti, il y a échange de produits, où prédomine la décision démocratique des unités de production, et donc marchandises et tendance à l'échange sur la base de valeurs équivalentes. Le travail abstrait continue de guider la société.
Si les produits ne perdent pas leur caractère marchand, si la valeur d'échange continue de régner, toutes les atrocités du capitalisme continueront de se reproduire, et cette nouvelle subtilité du gestionnisme se révélera pour ce qu'elle est: une arme de la contre-révolution, de la reconstitution du capitalisme, et ce non pas directement contre l'insurrection, mais pour après l'insurrection.
En voyant comment les décisions se centralisent, se socialisent (si on continue le parallèle avec la manière dont la production privée, particulière, se socialise) on aboutit au même résultat.
La démocratie des ouvriers (incompatibilité de fait puisque si le peuple gouverne, le prolétaire est esclave!), des soviets, des conseils, des communes ou comités, mène exactement à la même chose, ou autrement dit, est l'autre face d'un même processus de prédominance de la valeur d'échange: démocratie et société marchande sont indissociablement unies.
Et cela, non seulement parce que, comme cela s'est déjà vérifié historiquement, y compris dans les soviets, la majorité est dominée par l'idéologie bourgeoise (cf. l'Allemagne, mais aussi la Russie, où les soviets approuvèrent, et cautionnèrent, dans les congrès démocrates, la politique contre-révolutionnaire des Bolcheviks!), mais encore parce que le centralisme démocratique (négation de l'organicité, de l'unité de décision et d'action,...) correspond précisément à l'indépendance des producteurs et de leurs associations, à la nécessité de médiatiser, de construire une totalité sur la base de ce qui est séparé, sur la base de la conciliation des décisions indépendantes des producteurs.
Avec la démocratie ouvrière ainsi réalisée, la société marchande et d'exploitation de l'homme par l'homme continuera d'exister... sous couverture socialiste!
Ajouter au mot démocratie, le qualificatif d'ouvrier, et rien ne change, c'est exactement la même chose que d'éliminer par décret le papier monnaie et croire qu'on a éliminé l'argent. Dans ce cas, n'importe qu'elle autre marchandise assumera le rôle d'équivalent général et se transformera en "nouvelle" communauté d'argent. En ce qui concerne la démocratie, les "ouvriers" démocrates finiront aussi en élisant par vote les nouveaux gestionnaires du capital.
En réalité, il s'agit encore de la même incompréhension de base, de la social-démocratie, qui pour autant qu'elle se radicalise, n'a pu comprendre le capitalisme lui-même, et cherche, sans que ce soit clair pour elle, à le rendre plus ouvrier, plus démocratique, c'est-à-dire à le conserver épuré, à l'épurer pour mieux le conserver.
Les théoriciens de ce courant s'opposent aux chefs, sans se rendre compte que la démocratie ouvrière elle-même produira des chefs. Des chefs, il y en aura durant toute la phase révolutionnaire, et s'il est bien évident que les chefs du prolétariat peuvent représenter ses intérêts historiques (parti communiste), ils peuvent aussi représenter la contre-révolution.
Que garantissent les assemblées, les élections libres, la volonté de la majorité des ouvriers?
Une seule chose: tant les idées dominantes que les chefs sont ceux de la contre-révolution et ceci pour diverses raisons:
Le Capital, en tant que sujet, est pour ainsi dire, occulté: les hommes croient le diriger, mais en fait, il finit toujours pas diriger les hommes.
La démocratie a toujours été considérée comme un simple mécanisme qui pourrait servir la classe qui l'adopterait (démocratie bourgeoise - démocratie ouvrière). En réalité, elle est indissociablement liée à la dissolution du prolétariat comme classe, à sa négation (incluant évidemment le terrorisme d'Etat, les prisons et la conciliation des citoyens indépendants, individus).
Et enfin, elle se vérifie toujours (le fait que ce soit les ouvriers qui l'adoptent n'y change rien!) comme l'affirmation de la société marchande, de la valeur d'échange, comme mécanisme du capital pour se populariser et mieux coopter ses gestionnaires, particulièrement s'ils sont ouvriers.
Cette critique des variantes les plus radicales du gestionnisme doit être présente dans toutes les discussions concernant la période de transition et spécialement dans l'analyse de la contre-révolution en Russie.
Nous verrons que face à la politique bolchevique, qui ne constituait pas elle-même une alternative révolutionnaire, toute la bourgeoisie se regroupa pour faire une critique gestionniste, selon laquelle il fallait garantir la "démocratie ouvrière",...
C'est pourquoi cette critique est la condition préalable pour se démarquer d'une critique de droite.
Mais même cette variante plus radicale ne se situe pas dans le projet social de destruction du capital, d'abolition du travail salarié et de l'argent.
Elle se cantonne à répéter avec Lénine que ce qui distingue la révolution du réformisme c'est le fait d'étendre la reconnaissance de la lutte des classes et son développement jusqu'à la révolution violente et la dictature du prolétariat.
Autrement dit, la défense de la révolution en rupture avec le réformisme reste exclusivement confinée à l'aspect politique et tout ce qui concerne la révolution sociale est évacué (malgré la terminologie utilisée par exemple par Kautsky). De fait, ce courant continue d'être profondément réformiste, c'est-à-dire partisan d'un ensemble de réformes économiques comme les nationalisations, la redistribution des revenus, etc...
Le concept de dictature du prolétariat n'est pas appréhendé dans sa totalité, comme dictature sociale d'une classe qui s'organise contre les critères de valorisation et de développement des forces productives propres au capital, mais bien comme dictature de tel ou tel "parti politique" auto-défini comme celui du prolétariat.
En réalité, il ne s'agit pas seulement de liquider les "autres aspects" de la révolution en se focalisant sur la "politique". Mais étant donné le point de vue politiciste, où la révolution se limite au politique et où la rupture entre réforme et révolution se réduit à la nécessité de la dictature et du terrorisme ouvrier, on perd tout sens de la totalité de la dictature du Capital et de la nécessité totalisatrice de la dictature du communisme organiquement centralisé.
De là, on aboutit à la vieille vision parcellisante de la bourgeoisie et on accepte l'indépendance de ses différentes sphères niant l'ABC de l'oeuvre de Marx (3).
Kautsky, Lénine et leurs épigones sont incapables de comprendre que la révolution prolétarienne est une révolution sociale, c'est-à-dire totale, essentiellement différente de toutes celles qui ont existé.
Sur base du modèle de la "révolution" française (qui supposa l'institutionnalisation politique d'une fraction bourgeoise qui contrôlait déjà la société, au détriment d'une autre, mais d'aucune manière la destruction révolutionnaire d'un mode de production antérieur), ils limitent la révolution prolétarienne au changement dans la sphère "politique".
C'est sans doute pour cela que les fractions bourgeoises les plus variées, dans les luttes qu'elles se livrent (guerres impérialistes), ont proclamé Lénine, Staline, Trotsky, "comme leurs théoriciens". D'un côté le schéma de base du léninisme est totalement compatible avec une réforme "révolutionnaire" (que le léninisme limite à un changement politique violent, suivi du terrorisme conséquent), d'un autre côté on peut l'affubler de la coloration "ouvrière" si indispensable pour mobiliser les ouvriers pour la "révolution" et ensuite les faire travailler de plus belle à la reconstitution nationale. C'est pourquoi les grands leaders de ces forces capitalistes (de Mao Tse-Tung à Ho-Chi-Min, de Fidel Castro à Enver Hoxha) n'ont pas dû changer un iota au schéma de base du réformisme politiciste. Ils furent bien sûr des "révolutionnaires" puisque comme Robespierre, Lénine, Staline ou Trotsky ils coupèrent des têtes et ils appelèrent à travailler beaucoup pour développer les forces productives!!
Pour les "politicistes", "l'économie" est réellement une affaire à part et ce malgré qu'ils soient si "révolutionnaires" en "politique". Non seulement ils sont réformistes (contre-révolutionnaires) dans le "socio-économique" (aucune attaque au capital mais sa centralisation juridico-étatique), mais surtout ils finissent toujours par laisser rentrer par la porte ce qu'ils disaient expulser par la fenêtre: le gestionnisme.
Tous les léninistes sont partisans du contrôle ouvrier (en tant que contrôle comptable, administratif) de la production capitaliste.
L'incompréhension de la totalité (ou plutôt de la totale opposition entre dictature du capital et dictature contre le capital) atteint son apogée quand on affirme avoir réalisé la révolution prolétarienne du point de vue politique, quand on affirme qu'existe la dictature du prolétariat, alors que socialement n'a pas été remis en question le travail salarié et le taux de profit continue à exercer le commandement réel dans toute l'économie (c'est-à-dire la dictature effective de la valeur d'échange contre la valeur d'usage se maintient dans tous ses termes) (4).
Il est important de souligner que cette conception social-démocrate existant déjà avant Marx, avait été complètement rejetée par celui-ci. Pour Marx, la dictature du prolétariat ne commence pas à partir d'un changement gouvernemental, politique, mais bien en tant que dictature sociale, quand chaque producteur reçoit une partie du produit qui correspond à l'apport de son travail (cf. Critique du programme de Gotha, le programme le plus important de la social-démocratie allemande). Nous ne sommes pas d'accord avec ce dernier point, car du point de vue communiste, il n'y a rien qui justifie une phase où le critère de distribution soit le travail. Mais ce qui est essentiel dans la position de Marx contre celle de Lénine et consorts, c'est le contenu nécessairement social de la dictature et de la révolution.
Ça n'a pas de sens pour Marx comme pour nous, de parler de dictature du prolétariat si la production continue à être dirigée par la loi de la valeur. La dictature du prolétariat commence justement avec le despotisme contre la valeur, quand la société est effectivement dirigée non pour le capital, mais contre lui.
Donc la proposition qui consiste à affirmer que ce qui différencie la révolution du réformisme c'est la révolution violente, le terrorisme révolutionnaire, etc... est totalement erronée.
C'est une condition nécessaire, mais en aucune manière suffisante. Le Capital peut être et a d'ailleurs été réformé sur base de la violence et du terrorisme "révolutionnaire".
Il est clair que parler de révolution prolétarienne sans violence révolutionnaire, sans dictature du prolétariat organisé en parti communiste, sans terrorisme révolutionnaire contre toute la contre-révolution organisée est soit un symptôme de stupidité, soit de cynisme.
Il nous faudra toujours le souligner, d'autant plus aujourd'hui, après la gigantesque contre-révolution que nous subissons encore, où l'idéologie dominante pousse à une critique de droite, anti-révolutionnaire du léninisme: refus de la nécessité de l'insurrection prolétarienne, refus de la nécessité de la terreur rouge, refus de la nécessité de la dictature du Parti,...
Mais pour différencier clairement la révolution du réformisme il est nécessaire comme Marx le fit, d'envisager au centre de la question, la révolution sociale, c'est-à-dire la destruction totale de la société du capital, l'abolition du travail salarié, de la propriété privée...
Voilà ce qui différencie réellement la révolution de la contre-révolution.
L'insurrection, la dictature, la violence, le terrorisme,... sont seulement des moyens (que le prolétariat est forcé d'employer) et comme tels, ils ne contiennent pas une détermination sociale spécifique. Ils sont révolutionnaires ou contre-révolutionnaires en fonction du projet social qu'objectivement ils soutiennent (indépendamment de la volonté ou des déclarations de ses agents).
Il est donc aussi stupide d'attribuer à la violence, au terrorisme, à la dictature une vertu intrinsèque (comme étant révolutionnaire en soi), que de considérer qu'ils sont par nature non révolutionnaires.
Malheureusement, on constate que jusqu'à présent, c'est cela la classique polarisation que la bourgeoisie a réussi à maintenir au sein du prolétariat pour le diviser.
Le prolétariat ne pourra réaliser son projet social révolutionnaire qu'à condition de détruire de fond en comble l'Etat bourgeois. Dictature du prolétariat ne signifie pas occupation de l'Etat bourgeois, que ce soit par les ouvriers ou par un parti ouvrier, mais bien la négation effective de l'Etat bourgeois.
Comme tout aspect central du programme de la révolution, la social-démocratie se devait de le trafiquer. De la même manière qu'elle traîtera d'utopistes les partisans de l'attaque du Capital et du travail salarié, et des blanquistes aux adeptes de la conspiration révolutionnaire, elle traîtera les prolétaires révolutionnaires qui soutiennent la destruction de l'Etat bourgeois, d'anarchistes.
Néanmoins, la lutte invariante du prolétariat pour la destruction du Capital et de l'Etat continue à se développer et à s'exprimer contre la social-démocratie, malgré le fait que dans beaucoup de cas, cette rupture n'aboutisse pas à une formalisation (dans de nombreuses parties de ce monde, les expressions les plus claires du communisme ne firent jamais partie formellement de la social-démocratie).
Malgré que tout au long de sa vie militante, Lénine ne rompit jamais avec les fondements méthodologiques de la social-démocratie, à plusieurs reprises, objectivement, il se positionna à la tête du prolétariat, il se situa aussi en tant que partie de l'expression théorique d'avant-garde de la rupture du prolétariat d'avec la social-démocratie.
Ainsi, dans la continuité d'avec Marx et de beaucoup d'autres révolutionnaires et en particulier (parmi ceux qui commençaient à rompre avec la social-démocratie après en avoir fait partie) de Pannekoek, Lénine, dans un moment crucial de la révolution mondiale (1917), réinsista sur la nécessité de la destruction de l'Etat bourgeois.
Bien sûr, cela lui valut d'être affublé du qualificatif d'anarchiste. Comme les staliniens, les socialistes, les trotskystes,... aujourd'hui, la social-démocratie centrale considérait comme anarchiste celui qui recadrerait cet aspect central du programme communiste: la destruction de l'Etat bourgeois. Selon eux, il fallait occuper l'Etat, l'utiliser au service de la social-démocratie et c'est ainsi que progressivement il irait en s'éteignant.
Lénine réaffirme la position invariante des communistes dans "l'Etat et la Révolution" (en étant plus explicite même que Marx et Engels): l'Etat bourgeois ne s'éteint pas, il faut le détruire; l'Etat qui s'éteindra sera celui de la dictature du prolétariat.
Durant la vague révolutionnaire de 1917-23 l'affirmation "sans destruction de l'Etat bourgeois, pas de révolution" fut cruciale (et le sera d'autant plus dans le futur).
Cette réaffirmation programmatique fut décisive pour l'autonomisation du prolétariat de cette époque et constitue un apport fondamental de Lénine. Mais comme nous le verrons dans l'ensemble de notre travail sur la "Question Russe" Lénine ne fut pas conséquent (particulièrement à partir d'octobre '17) avec cette position fondamentale, et tous ses épigones se pressèrent d'oublier que l'Etat bourgeois doit être nécessairement détruit.
Dans la critique du léninisme, de la conception social-démocrate, il aurait été partial de ne pas souligner cette tentative de rupture de Lénine avec sa propre vision politiciste et social-démocrate. Néanmoins, il serait tout aussi partial d'omettre de dire que même dans cette oeuvre (L'Etat et la Révolution), sans doute la plus radicale, Lénine demeure marqué par la pensée social-démocrate.
En effet, même s'il proclame la destruction de l'Etat bourgeois, celui-ci continue d'être conçu comme un instrument au service d'une classe, et non en tant que l'expression organique des rapports de production, de vie, qu'une classe porte (comme organisation d'une classe en classe dominante).
Autrement dit la rupture est réduite au "politique" car non seulement la dictature du prolétariat n'y est pas conçue comme dictature dirigée contre la loi de la valeur et le travail salarié, mais comme simple dictature politique; mais de plus y est maintenue la conception de l'Etat comme instrument, ce qui implique la possibilité de changer sa direction pour servir une politique différente.
Si l'Etat était un instrument comme un fusil ou un marteau, n'importe qui pourrait le prendre et l'utiliser pour servir ses intérêts (5). Cette position de l'Etat-instrument, avec laquelle Lénine ne rompit jamais totalement, même dans "L'Etat et la Révolution" sera ouvertement soutenue par les Bolcheviks à leur arrivée au Kremlin et sera décisive pour que le capital les transforme en ses agents de prédilection.
L'Etat n'est pas qu'un simple instrument, mais bien la structuration en force organisée de la reproduction de la société. L'Etat du capital n'est autre que le capital organisé en Etat: aucune dictature politique ne peut le détruire.
On ne détruit pas l'Etat bourgeois politiquement. Même si la dictature était réellement une dictature totale contre toutes les institutions et anciens gestionnaires du capital (chose que les Bolcheviks n'eurent pas le courage ni la perspective de réaliser), l'Etat (tant que ne sera pas détruite la loi de la valeur qui régit la société) continuerait à exister comme Etat reproducteur du capital, indépendamment de ceux qui prétendraient le diriger.
Pour détruire l'Etat du Capital, il faut détruire le Capital, c'est-à-dire la base d'où il est issu. Cet ABC du marxisme ne fut compris par aucun social-démocrate (aucun Bolchevik!). Parler de dictature du prolétariat, de destruction de l'Etat bourgeois sans une dictature contre la loi de la valeur est un non-sens.
Sans l'exercice social de la dictature du prolétariat, sans dictature contre le Capital, l'Etat capitaliste ne cessera de se reproduire, indépendamment des intentions et des hommes qui seraient à sa tête (comme c'est le cas des Bolcheviks à partir de '17).
L'autodéfense social-démocrate n'hésitera pas à nous traiter d'utopistes, d'idéalistes, parce que nous n'avons rien de "concret à proposer".
C'est justement parce que nous rejetons l'idéalisme, l'utopisme (aujourd'hui encore à contre-courant, face à la décomposition de la société présente, l'utopisme revient à la mode!), que nous n'avons pas de recette, ni aucun moule préconçu où nous voudrions couler la société future.
Mais aujourd'hui, comme il y a plus d'un siècle, nous savons parfaitement comment ne sera pas la société future. Nous savons parfaitement que nous devons nier révolutionnairement toute la société présente en supprimant la propriété privée, le travail salarié, le Capital, l'Etat, la famille, la religion,... ce qui implique, aujourd'hui comme hier, d'agir en opposition réelle, pratique (c'est-à-dire aussi théorique) à toutes les formes de perpétuation et de réforme de la société actuelle (ce qui inclut l'opposition à toutes les fausses conceptions de la transition).
Celui qui prétendra que ceci n'est pas une perspective claire pour le futur, que ça ne représente pas la définition d'un projet social, celui-là n'a rien compris au matérialisme dialectique et historique. La négation est une définition, la seule définition matérialiste existant déjà en tant que négation inévitable de la société présente.
La différence entre utopisme et communisme révolutionnaire n'est pas que le premier définit et le second non; mais bien que pendant que le premier définit à partir d'un ensemble de désirs et d'une conception morale, le communisme, lui, définit à partir de l'abolition en acte de la société présente.
La conception communiste de la transition surgit de la critique (théorico-pratique) que réalise le prolétariat constitué en Parti de toute la société présente, ainsi que de toutes les fausses conceptions de la transition. La transition historico-réelle entre le capitalisme et le communisme sera avant tout une négation active, organisée et chaque fois plus consciente du capital et de toute ses adaptations pour tenter de se perpétuer (réformes).
C'est pourquoi, dans les batailles historiques du passé, le programme révolutionnaire s'est affirmé toujours en tant qu'un ensemble cohérent de négations (dictature du prolétariat pour l'abolition du travail salarié, de l'argent, de la démocratie,...), en tant que critique des fausses conceptions de la transition (véritables barrières contre la révolution, pour réarmer le capital) de Proudhon, de Lassalle, Bernstein, Kautsky,... Lénine, Trotsky, Staline,... Mao Tse-Tung, Ho-Chi-Min, Fidel Castro...
C'est là la place qu'occupe dans notre travail global sur la "question russe" (ou plus généralement sur la période la plus haute de révolution et de contre-révolution enregistrée jusqu'à présent dans le monde) le résumé critique que nous avons fait à propos de la conception social-démocrate de transition au socialisme.
Comme tel, il est patrimoine du prolétariat et de son Parti, dans sa lutte pour se constituer et s'affirmer pour abolir de bas en haut toute la société bourgeoise.
Mais si comme nous le verrons, les Bolcheviks appliquèrent strictement une politique de développement capitaliste national, ce ne fut pas seulement une conséquence implicite et inévitable de la conception social-démocrate, mais surtout que dans le cas russe, la social-démocratie internationale défendit explicitement ce projet de défense et de développement du capital comme la seule alternative!
En effet, l'idéalisation du capitalisme réalisé par la social-démocratie internationale, propre à sa vision générale (cf. le début de ce texte) l'empêchait de reconnaître le capitalisme réel en Russie, spécialement quand ce capitalisme se maintenait sous sa forme la plus barbare et "non civilisée": misère absolue, extrême dans la plus grande partie du territoire, despotisme généralisé de l'Etat tsariste,...
Dans la misère du prolétariat russe, la social-démocratie voyait seulement la misère, les pauvres, l'énorme masse de "paysans" et non la subversion prolétarienne révolutionnaire en gestation.
Ni le projet social international de la révolution, dont les signes annonciateurs en Russie étaient visibles depuis le début du siècle, ni le sujet de celle-ci, n'étaient compris par la social-démocratie internationale (y compris la russe). Pour la social-démocratie, poser la révolution prolétarienne et le socialisme en Russie n'avait pas de sens (laissons de côté le fait que "le socialisme" social-démocrate soit bourgeois, c'est-à-dire une simple réforme et extension du capital): ce qui était à l'ordre du jour c'était une révolution bourgeoise, c'était les tâches démocratico-bourgeoises.
Pire encore, la Russie était considérée comme le pays barbare par excellence, l'ennemi numéro 1 du progrès et de la civilisation. C'est pourquoi, dans les contradictions inter-capitalistes, la social-démocratie se plaçait sans hésitation du côté des puissances capitalistes européennes. Ceci constitue un élément d'interprétation fondamental de la contre-révolution qui a été totalement occulté par le mythe de la trahison de '14 (6).
C'est pourquoi toute la social-démocratie internationale et russe adoptèrent avec tant de facilité la position défaitiste du côté russe (le tsarisme était considéré par tous, y compris les Bolcheviks et les Mencheviks, comme un obstacle au capitalisme que eux préconisaient), de la même manière qu'ils avaient justifié (sauf cas marginaux comme Luxembourg, Jogiches,...) toute lutte nationale capitaliste contre le tsarisme au nom du droit à l'autodétermination (en se basant sur des textes de Marx et Engels) (7).
Cette thèse de la barbarie russe opposée au progressisme du capital allemand, fut constante dès le début du siècle jusqu'en '17, et à partir de cette date elle continua à jouer un rôle fondamental dans la politique nationale (le modèle des Bolcheviks fut le capitalisme allemand) et internationale (accords de Brest-Litovsk, de Rapallo,...) préconisée et appliquée, par les Bolcheviks.
Par dessus tout, la social-démocratie avait poussé sa vision nationale (et non mondiale!) du développement du capitalisme jusqu'à l'extrême limite logique: selon eux, d'un côté la révolution du prolétariat devait se réaliser pays par pays; d'un autre côté, vu qu'elle dépendait des contradictions des relations de production/forces productives, il était donc logique qu'on ne puisse aspirer à la révolution prolétarienne là où les forces productives étaient "moins développées" et que mécaniquement, le schéma de la révolution prolétarienne fut la conséquence d'un tel développement. Ainsi donc, pays par pays, depuis l'Allemagne avancée jusqu'à la Russie sous-développée, on pourrait réaliser la révolution prolétarienne.
Si en Allemagne ou en Angleterre la révolution prolétarienne ne s'était pas réalisée, ça n'avait pas de sens de la poser en Russie, et le faire équivalait à de l'aventurisme, de l'anarchisme,... Jusqu'à quel point cette conception fut dominante au sein de la social-démocratie russe nous est prouvé par sa satisfaction vis-à-vis de la pseudo "révolution" de février '17 (8), par son appui au gouvernement provisoire et par sa politique impérialiste de "paix" (jusqu'à l'arrivée de Lénine et les Thèses d'Avril). Plus clairement encore le fait que sur base de cet idéal et de cette argumentation (nous devons attendre la révolution en Allemagne), une fraction importante du Parti Bolchevik se soit opposée à l'insurrection (les "vieux Bolcheviks" qui soutenaient les positions de toujours des Bolcheviks, dirigées principalement par Kamenev et Zinoviev), l'aie trahie, dénoncée et sabotée. Les jours suivants la victoire insurrectionnelle, cette fraction proposait d'abandonner cette "entreprise aventureuse" et de tenter de reconstituer un gouvernement avec l'unité de tous les partis.
L'importance réelle du mouvement du prolétariat en Russie remit plus d'une fois cette théorie réactionnaire en question et poussa même, dès le début du siècle, certains militants de la social-démocratie russe directement impliqués dans cette réalité, à reconnaître la possibilité de la révolution prolétarienne sans passer par une étape de "démocratie bourgeoise", condition première incontournable selon l'idéologie de la social-démocratie internationale.
Ainsi, d'abord Parvus, puis principalement Trotsky, soutinrent à contre-courant, que n'avait de sens ni le fait de concevoir nationalement, pays par pays, les contradictions qui poussent à la révolution, ni le fait de faire dépendre d'une manière linéaire, du développement économique d'un pays, les possibilités du prolétariat de ce pays de se placer au centre de la lutte. Selon eux, ces possibilités dépendaient d'autres facteurs "subjectifs" comme l'expérience de la lutte, l'organisation, la conscience,...
Ils concluaient que le prolétariat en Russie était une force révolutionnaire décisive.
Cette théorie influença fortement le mouvement révolutionnaire international, depuis le début du siècle (1903) jusqu'à nos jours, y compris la fraction des Bolcheviks qui soutint la nécessité de la révolution prolétarienne et qui dirigea l'insurrection. Malgré son radicalisme apparent, cette théorie ne constituait pas pourtant une rupture de fond.
Elle restait prisonnière du mythe religieux selon lequel le capitalisme "doit" se développer pays par pays. Que cette tâche incombe à la bourgeoisie nationale, mais si elle est incapable, par sa faiblesse, c'est au prolétariat (avec l'aide de la paysannerie ou non selon les variantes) que revient la tâche de réaliser les projets de la bourgeoisie: il s'agit bien d'une idéalisation apologétique et profondément religieuse du Capital.
Ceci impliquait un changement quant au sujet de la révolution à venir (on reconnaissait le prolétariat comme sujet) (9), ainsi qu'un changement de tactique au sein du parti social-démocrate, mais pas de différence quant au contenu social de la révolution future: il fallait accomplir les tâches démocratico-bourgeoises.
Pire encore, ces conceptions en apparence "révolutionnaires" par rapport aux thèses officielles de la social-démocratie, dans les faits, auraient servi à justifier d'autant mieux, au nom du prolétariat, le développement national bourgeois. Même si le prolétariat avait la force de s'imposer face à la bourgeoisie, il ne pourrait pas appliquer son programme social, mais bien le programme social de son ennemi historique (10).
C'était le chaînon manquant pour l'apologie explicite du capitalisme d'Etat et du capitalisme au nom du prolétariat. En Russie, cela se traduisit dans les faits par la liquidation physique, toujours au nom du prolétariat, de toute opposition aux projets bourgeois d'augmentation du taux d'exploitation, en vue d'une nouvelle phase d'industrialisation qui atteindra son apogée pendant le stalinisme.
Pour terminer cette critique générale de la conception social-démocrate, décisive pour comprendre la question russe, nous devons expliquer que la scission dans la social-démocratie russe entre Bolcheviks et Mencheviks ne se référait pas à la conception de fond, c'est-à-dire au projet social qu'il fallait impulser dans la révolution à venir.
Soutenir qu'entre Bolcheviks et Mencheviks se produisit une scission entre révolution et réformisme, c'est rester prisonnier de la vision réformiste, politiciste de la social-démocratie. Dans les faits, les fractions bolcheviques et mencheviques défendirent le même projet pour la Russie: la concrétisation des tâches de la bourgeoisie.
L'ensemble de textes (fondamentalement "Que faire?") et l'attitude organisationnelle des Bolcheviks, qui conduisirent à la "rupture" vis-à-vis du parti social-démocrate, ne questionnèrent pas ce réformisme général de principe (même si les Bolcheviks avaient une vision plus violente, plus "révolutionnaire" de comment arriver à ce réformisme), mais ils se limitèrent aux aspects de structure organisationnelle.
La vision menchevique de l'organisation des révolutionnaires se situe à n'en pas douter dans la perspective d'un parti social-démocrate classique, syndicaliste et parlementaire. Celle des Bolcheviks, au contraire (même si la rupture avec le parlementarisme et le syndicalisme n'est pas présente non plus), correspond à une stratégie insurrectionnaliste, conspirative, intransigeante et peu soucieuse d'une perte de popularité, stratégie propre à tous les groupes révolutionnaires passés et futurs.
C'est pour cela qu'après une crise organisationnelle profonde en 1917, pouvait surgir des Bolcheviks une fraction capable de servir et diriger le prolétariat durant l'insurrection, tâche que les Mencheviks n'auraient jamais pu assumer (11).
Nous sommes face au même problème que lorsque nous avons critiqué la vision politiciste radicale et sa soi-disant rupture avec le réformisme. Une telle rupture de base n'existe pas! Une structure organisationnelle appropriée à la défense de certaines positions à contre-courant, à l'organisation et à la centralisation des luttes du prolétariat, à la direction de l'insurrection,... constitue une condition nécessaire et indispensable pour servir le prolétariat et diriger sa victoire insurrectionnelle, mais elle n'est pas suffisante pour mener une véritable révolution communiste et constituer l'avant-garde de la centralisation internationale du prolétariat.
La limite essentielle du mouvement prolétarien (de sa constitution en force internationale et en parti), au plus haut de la vague révolutionnaire de 1917-1923, est de ne pas avoir produit une avant-garde constituée sur la base d'une rupture générale avec toute la social-démocratie, avec comme conséquence qu'une organisation comme celle des Bolcheviks totalement dominée par la conception social-démocrate du monde et de sa transformation (12) prit la direction formelle du prolétariat non seulement en Russie, mais dans le monde entier.
Les résultats furent les suivants:
2. Ces affirmations programmatiques ne doivent pas être vues seulement comme le projet social d'une classe ou d'un parti; elles sont le développement nécessaire de la guerre contre la valeur qu'implique toute lutte ouvrière (opposition immédiate au taux de profit) de la même manière qu'elle implique la centralisation organique comme manière d'être.
3. Entre autre que le mode de production détermine le mode de distribution, que le droit (ou autres idéologies) est l'expression formelle de la relation économique; que la politique, malgré qu'elle jouisse d'une relative autonomie, soit en dernière instance déterminée par l'économie,...
4. Les épigones de Lénine ont poussé cette incompréhension encore plus loin. Ainsi, pour Trotsky, il peut exister un Etat ouvrier où la société est dirigée contre les intérêts ouvriers (!!!), un mode de production socialiste coexistant avec un mode de distribution bourgeois (!!!), des relations de production socialistes déterminant un droit bourgeois (!!!),...
5. Même les instruments sont socialement déterminés et non neutres, mais ce débat dépasse l'objet de ce texte et la critique de la social-démocratie. Celle-ci ne comprit jamais que les forces productives existantes sont celles du capital et bien qu'elles constituent une base de la révolution (pour la réduction rapide de la semaine de travail par exemple), elles devront en dernière instance être totalement remplacées par d'autres dont la conception soient liées aux besoins humains et non à la valorisation de la valeur.
6. En faisant abstraction de l'appui implicite ou explicite à la politique nationale impérialiste que la social-démocratie soutiendra depuis son origine jusqu'en 1914.
7. On sait que Marx et Engels défendirent à ce sujet là une position bourgeoise nationaliste: le soutien à l'armement et la guerre du côté prussien. Engels finira même par préconiser ouvertement la position "patriotique" adoptée par la social-démocratie en 1914:
"En 1891, quand semble imminent l'éclatement d'un conflit entre l'Allemagne, d'un côté et la Russie et la France de l'autre, Engels assure à Bebel et autres dirigeants socialistes que si l'Allemagne est attaquée "tout moyen de se défendre est bon": ils doivent "se lancer contre les russes et leurs alliés quels qu'ils soient". Il se pourrait même, soutient Engels, que dans ce cas nous soyions l'unique parti belliciste véritable et décidé." (Pedro Scaron, dans "l'Introduction à Marx et Engels" - Matériaux pour l'histoire d'Amérique Latine, les citations proviennent de MEW t.38, 176, 188, 176).
8. En réalité, satisfaite de la canalisation étatique et bourgeoise (substitution du tsarisme par un gouvernement de toute la bourgeoisie) qui, de fait, exprimait la volonté générale du capital de dévier et liquider la véritable révolution prolétarienne qui émergeait.
9. Le prolétaire était identifié à l'ouvrier urbain, habitant des grandes villes. Cette vision sociologique est typiquement social-démocrate. Par là non seulement on définissait le prolétariat comme une classe en soi, sans tenir compte de sa dynamique de lutte (ni de son projet social et sa constitution en parti), mais de plus, on ignorait le potentiel socialiste du prolétariat agricole, à la base de l'armée tsariste et de sa décomposition subversive. Ce dernier était défini comme la catégorie des "paysans" et comme perspective lui était attribué le mot d'ordre: "La terre à celui qui la travaille".
10. La position de Trotsky de la "Révolution permanente" (qui, malgré les expressions formellement semblables, est différente de la position de Marx), selon laquelle le prolétariat pourrait accomplir en même temps les tâches bourgeoises et sa propre révolution, oublie que les tâches bourgeoises sont la négation brutale et terroriste du prolétariat et son projet puisqu'elles constituent la dictature effective de la valorisation de la valeur contre toute tentative de résistance prolétarienne.
11. Ceci est indissociable du fait qu'au moins jusqu'octobre 1917, seule la fraction Lénine fut conséquente avec le défaitisme révolutionnaire.
12. Nous laissons ici de côté, le fait que le mythe du "parti infaillible" et des "vieux Bolcheviks" fit que demeura maintenue l'unité formelle d'une organisation formelle totalement contradictoire, qui ne coïncidait pas du tout avec l'avant-garde réelle du prolétariat qui avait réalisé l'insurrection, une organisation qui soutenait en tant que grands chefs, les traîtres de la veille (Zinoviev et Kamenev), et qui se transformerait vite en un vivier personnaliste et individualiste de luttes acharnées pour le pouvoir.