L'Exil: Révolution et contre-révolution

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Le texte qui suit a été rédigé en 1979. Initialement publié dans notre organe central en espagnol Comunismo N°2, il décrit la fonction de l'organisation et de l'institutionnalisation de l'Exil du cône sud-américain vers l'Europe et d'autres continents. Au rebours des thèses larmoyantes sur la question, il replace cette expérience particulière des militants communistes dans l'expérience globale du mouvement ouvrier international en mettant en évidence l'opposition irréductible entre les grandes organisations de l'exil: populiste, nationaliste, démocrate et l'action internationaliste des minorités révolutionnaires exilées qui ont été à l'origine de toutes les tentatives d'organisation internationaliste du prolétariat.

Sept années après, les personnages, les partis auxquels nous faisons référence ont disparu ou perdu toute importance (c'est le sort de tous les besogneux au service du capital d'être relégués dans leur néant anti-historique une fois leur misérable fonction accomplie). Même l'exil sud-américain institutionnalisé a perdu de son importance au fur et à mesure qu'il avait rempli sa fonction contre-révolutionnaire fondamentale (comme l'expose la fin du texte) et épuisé son cycle vital en tant que structure de réorganisation du capital et de destruction de la solidarité prolétarienne.

Mais le texte en ce qu'il donne un cadre à ce phénomène particulier de la répression contre-révolutionnaire (l'exil des militants communistes et la nécessité pour eux de s'organiser sur des bases classistes pour se préserver de l'atomisation, du sauve-qui-peut démocratique auxquels tentent de les soumettre les humanistes professionnels de l'Exil institutionnel) garde toute son actualité et nous avons donc préféré le laisser tel quel. Le lecteur n'éprouvera aucune difficulté à substituer aux noms des "Grands Homme de l'Emigration" d'autres plus actuels. Même si quelques Exils ont disparu en tant qu'institutions (1), d'autres se sont développés davantage (Moyen-Orient, Asie,...) et apparaîtront encore où tous les problèmes traités ci-après gardent et garderont toute leur acuité.

Enfin, au travers des aspects circonstanciels de la question, le texte souligne l'INVARIANCE DES TÂCHES COMMUNISTES.

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Des persécutés, des sans travail, des émigrés, des exilés par millions parcourent la planète. Du coeur même du grand capital à celui du petit bourgeois, on "s'émeut" et "on essaye d'aider à ce que ces hommes et ces femmes sans patrie, trouvent une terre qui les accueille et leur donne du travail et l'asile". L'Exil s'institutionnalise (2), on en parle aux Nations Unies, dans les Eglises, dans les parlements, etc., partout s'organisent les caractéristiques "Comités de réceptions aux réfugiés", les "Maisons de l'exil", les "Maisons latino-américaines", les "Comités de dénonciation de la répression", les Maisons de tel ou tel autre pays. Les exilés s'organisent en tant que tels, appuyés par des "gens honnêtes et de bonne volonté", par des "défenseurs des droits de l'homme", par des "gouvernements populaires et/ou démocratiques". Les "partis révolutionnaires" et les "gouvernements en exil" pullulent. L'ensemble de cet excrément humanoïde de la société du capital se remplit la gueule de paroles pompeuses telles que: "fraternité", "solidarité", etc.

Malgré cette avalanche, de nombreux militants ouvriers ne tombent pas dans le piège tendu par l'Institution de l'Exil organisé, démontrant dans la pratique leur incorruptibilité, en essayant de se maintenir en dehors d'elle et dans certains cas, en luttant ouvertement contre cette Institution. Cette réaction (que nous revendiquons comme révolutionnaire) a comme point de départ la compréhension (plusieurs fois ponctuée par une série de désillusions douloureuses), que la solidarité de classe ne s'organise pas en réformant les Comités réactionnaires et autres institutions d'exilés, ni en constituant une opposition de gauche en leur sein, mais n'est possible qu'en dehors et contre ces véritables syndicats de l'Exil!

Cependant il est évident et nécessaire de reconnaître que cette réaction n'a pas dépassé le caractère d'une simple négation, ce qui fait qu'une partie non négligeable de militants révolutionnaires "sans parti", qui se trouvèrent au premier rang dans la lutte ouvrière contre le capital, se retrouvent aujourd'hui isolés, atomisés et sans perspectives d'action. Cela est dû au moins partiellement au fait que (excepté quelques groupes et publications d'existence éphémère, qui essayèrent courageusement de réaliser un bilan des luttes passées et d'inscrire leur action dans la lutte pratique internationale pour la réelle solidarité de classe), l'Exil latino-américain d'aujourd'hui n'a pas jusqu'à présent été critiqué de façon systématique, ce qui contribue à ce que même les meilleurs éléments qui rompent avec ce dernier, aient d'énormes difficultés pour expliquer leur attitude et trouver une pratique alternative. En particulier nous croyons ne pas nous tromper en affirmant qu'il n'existe pas d'analyse qui mette en évidence la continuité existante entre l'Exil d'aujourd'hui et l'ensemble des Exils organisés du passé au service de la désorganisation ouvrière et de la contre-révolution d'une part, et d'autre part l'action des fractions communistes en dehors et contre eux.

Cet article est une sorte d'introduction à ce problème, tendant à établir quelques bases pour cette pratique alternative dans l'"exil" en continuité avec les fractions communistes dans le passé. Nous ne nous attarderons pas ici sur la dénonciation de tel ou tel comité, de tel ou tel "parti révolutionnaire", du pape ou de Amnesty International; mais nous tenterons de répondre à des questions importantes comme: qu'est-ce que l'exil? Que faire aujourd'hui dans l'exil? etc. Nous croyons cependant que la réponse à ces questions est de fait une dénonciation de tous les piliers de l'Institution "Exil".

L'Exil, réalité inhérente au capitalisme

Commençons par décrire ce qui apparaît à la superficie des choses, pour ensuite distinguer la paille du blé, définir les causes et par conséquent les solutions. Ce qui apparaît partout et que personne ne peut camoufler, c'est que des gens de toutes sortes sont expulsés de l'endroit où ils vivaient par la violence plus ou moins ouverte. L'observation la plus superficielle nous permet aussi de comprendre que cette masse d'exilés est divisée en classes et qu'objectivement elles ont des intérêts différents. Qu'entre ceux qui ont administré et défendu directement l'Etat capitaliste comme le prince Sihanuk, Corvalan, Puigros, le Shah, Ferreira Aldunate, Almeida, Somoza ou Arismendi et les ouvriers chiliens, palestiniens ou paraguayens, exilés eux aussi, il existe une irréductible opposition d'intérêts produite de leur antagonisme en tant qu'exploiteurs/producteurs et traduite dans la pratique de la lutte de classes (respectivement, défense de l'Etat capitaliste et opposition à celui-ci).

Si cette vérité saute aux yeux, la véritable frontière entre les classes en lutte échappe d'une part à ses propres protagonistes, excepté dans les moments où la rue définit les deux côtés de la barricade, et d'autre part s'estompe à chaque instant sous la pression de l'idéologie bourgeoise et par le fait que la lutte pour la résolution des contradictions inter-bourgeoises coïncide quant à sa forme (violence) et parfois dans le temps avec la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie. Aucune fraction bourgeoise qui a conquis, ou maintenu le "pouvoir politique" face aux ouvriers ou face à une autre fraction bourgeoise, ne déclare ouvertement que pour défendre ses intérêts elle persécute, emprisonne, tue et oblige les ouvriers à l'exil. Au contraire tout gouvernement affirme défendre les intérêts du peuple et des ouvriers et pourchasser uniquement les fauteurs de subversion, du chaos et du désordre. D'un autre côté toute fraction bourgeoise à la direction de l'Etat, a nécessairement son complément dans une autre fraction qui s'oppose au gouvernement plus ou moins radicalement (complément nécessaire pour la défense générale du capital et de l'Etat) et qui affirmera aussi toujours lutter pour les véritables intérêts du peuple et des ouvriers.

Comme la société capitaliste dans son ensemble, l'exil qui est une partie de celle-ci, est une unité d'intérêts antagoniques dissimulés par un ensemble de phénomènes qui rend toujours nécessaire une véritable analyse des antagonismes, pour mettre en évidence les forces en lutte. Comme dans les autres aspects de la société capitaliste, tandis que l'intérêt du prolétariat est de mettre cet antagonisme en évidence, pour le mener à ses ultimes conséquences et le résoudre (révolution communiste), l'intérêt de la bourgeoisie dans son ensemble est de maintenir caché cet antagonisme. La fraction gouvernementale de la bourgeoisie a un intérêt objectif à attaquer tous les exilés en bloc au nom de l'ordre ou du socialisme; et l'autre fraction a intérêt à se constituer en une opposition générale, à maintenir l'unité de l'opposition, pour laquelle elle utilisera le drapeau de l'exil, du droit des exilés au retour à la patrie, etc. Il n'est pas étonnant alors, que la bourgeoisie dans tous ses moyens de diffusion se réfère à l'exil en général, à la totalité des exilés de tel ou tel régime qui ne respecte pas les droits de l'homme, tandis que du côté opposé, les ouvriers essayent de se solidariser entre eux (exilés et non exilés) dénonçant en même temps toute tentative de maintenir l'unité des exilés.

De plus, du point de vue du prolétariat, l'exil n'est pas composé uniquement de ceux qui sont ouvertement persécutés, ou des "exilés politiques"; mais aussi par une masse énorme de prolétaires que le capitalisme expulse ou qu'il n'incorpore pas au processus productif immédiat dans tel pays, les obligeant objectivement à se déplacer dans un autre pays pour chercher leurs moyens de vie.

La prétention d'introduire une distinction tranchante, - comme s'ils obéissaient à des réalités différentes -, entre "l'exil politique" et "l'exil économique", ou entre "exilés et réfugiés politiques" et les "ouvriers émigrants", est chaque fois plus forte. Du point de vue du prolétariat cette séparation doit être refusée parce que:

1/ il n'existe pas deux réalités distinctes, l'"exilé politique" est aussi expulsé du processus immédiat de production et il est obligé de vendre sa force de travail dans un autre pays; et l'"exilé économique" est très souvent expulsé préférentiellement du procès productif, à cause de son attitude "politique" et obligé objectivement de s'opposer à la "politique" du capital. Pendant que les "Marxistes-léninistes" continuent "à apporter la science marxiste au prolétariat", continuent à propager l'opposition entre l'Exil économique et politique; n'importe quelle entreprise capitaliste a comme critère de recrutement de son personnel "les idées et la militance politique des ouvriers", ce qui signifie rester sans travail et être objectivement forcé à l'exil pour ceux qui sont connus pour avoir des attitudes de classe. Quel sens y a-t-il par exemple à établir une différence dans l'exil uruguayen, entre les exilés politiques et celui qui perdit son travail pour avoir participé à la grève générale de 1973??

2/ Si dans quelques cas il peut exister une différence de degré dérivée des différents engagements militants (important ou non selon les cas), leur intérêt objectif est le même, leur lutte est une, leur situation d'exilés tous les deux la doivent à la dictature générale du capital, qui n'est ni "économique" ni "politique", mais totalisatrice. Il n'existe donc aucune cause substantiellement différente.

3/ parce que la division du prolétariat exilé contribue à la division du prolétariat en général, elle s'oppose objectivement aux intérêts de celui-ci et reflète objectivement les intérêts de la bourgeoisie.

4/ parce que cette division empêche de voir l'exil ouvrier comme un phénomène nécessaire et inhérent au capitalisme, résultat du despotisme généralisé de la valorisation du capital sur toutes les sphères de la société, contribuant ainsi à reproduire l'illusion stupide qu'avec tel ou tel réforme économique le chômage serait résorbé, les exilés "reviendront", ou encore qu'en changeant les administrateurs de l'Etat il n'y aurait plus de prolétaires persécutés.

La clef de l'exil qui soumet de façon permanente une partie du prolétariat, c'est justement: son caractère inévitable dans le capitalisme. Seule la destruction de la valeur et de la bourgeoisie est la solution au problème de l'exil. Comme nous le prouve la plus petite connaissance de l'histoire, il y a toujours des fractions du prolétariat qui se sont exilées et aucune réforme du capital n'éliminera le problème (3).

Comme dans n'importe quel problème, qui est le produit du capitalisme et n'est solutionnable que par sa destruction, le point de vue bourgeois consiste à dissimuler cette réalité, la présentant comme dérivée de telle ou telle faille économique ou politique, à régler avec un changement dans l'administration du Capital. Cet intérêt objectif du Capital, se réalise en tendant à: 1° la division de la classe ouvrière (exil économique - exil politique, ouvriers exilés et non exilés); 2° l'"unité dans l'opposition loyale". L'Institution de l'Exil, avec une majuscule, comme Unité d'Opposition à un gouvernement est de plus toujours teinté de patriotisme (régional, national ou continental), de "notre propre identité culturelle", de "notre terre sans égal", ou de "notre supériorité" philosophique, sportive, combative, artistique ou ce qui est le plus approprié au public à accrocher pour tenter de diviser les ouvriers exilés du reste des ouvriers.

Ainsi pendant que le système bourgeois développe de manière croissante l'exil des ouvriers; ce qui s'accentue en période de crise économico-politique du capital; - contribuant à l'unité du prolétariat par dessus les frontières -; la bourgeoisie prétend freiner l'histoire en essayant de séparer ce qui objectivement et inévitablement s'unira: le prolétariat de tous les pays, exilé ou non, "politique" ou "économique" et en essayant d'unir dans l'exil ce qui objectivement est antagonique (bourgeoisie-prolétariat). Le communisme comme mouvement et perspective historique tend à détruire l'exil comme séparation, comme problème à part, tend à mettre à nu le véritable antagonisme: prolétariat-bourgeoisie, communisme-barbarie capitaliste. Les communistes n'ont donc aucune politique spécifique pour l'"exil en général", sinon qu'ils développent une pratique en dehors de l'Exil organisé et totalement antagonique à celui-ci. C'est précisément cette opposition que nous essayons de mettre en évidence dans ce texte.

L'Exil ne s'est pas toujours organisé en tant que tel

Pour caractériser l'Exil comme Institution contre-révolutionnaire organisée par la bourgeoisie, il est indispensable de ne pas oublier qu'il ne recouvre pas dans l'absolu les différentes circonstances dans lesquelles l'exil existe. C'est-à-dire que l'Institution bourgeoise "Exil" n'assume pas un rôle vital chaque fois qu'il y a des exilés, étant donné qu'en constituant la négation la plus brutale de l'exil en tant que réalité inhérente au capitalisme, elle se constitue comme une Institution Politique-Syndicale avec des buts de réforme du capital, dans des circonstances sociales et politiques déterminées et précises. Dans d'autres circonstances qui nous intéressent de déterminer, la bourgeoisie ne trouve pas les conditions pour organiser une telle Institution, ou pour la rendre opérante et fondamentale.

Il existe des cas où les exilés sont exclusivement des bourgeois, réalité qui peut obéir au résultat d'un changement violent dans l'orientation de l'accumulation capitaliste, et/ou dans les tactiques de la domination de classe (dépérissement de la crédibilité d'une fraction), et/ou à un changement de bloc impérialiste du pays en question. Dans ces cas l'accueil très chaleureux que reçoivent ces bourgeois dans un autre pays, de la part de leurs associés capitalistes, fait apparaître l'Institution de l'Exil pour ce qu'elle est réellement, un appareil bourgeois de rechange (qu'elles que soient ses possibilités), sans capacité à "organiser les exilés". Il n'y aurait alors aucun problème, l'Exil serait comme un syndicat sans ouvriers.

Dans d'autres cas, il peut exister des millions d'ouvriers qui en étant expulsés de l'appareil productif et persécutés par la répression d'un pays X, trouvent leurs moyens de vie et de lutte dans un autre pays et ce n'est pas pour cela que doit exister l'Institution Exil dans ce pays. Dans ce cas il n'y a pas non plus de problème, c'est simplement la confirmation que le cri communiste "le prolétariat n'a pas de patrie" n'est pas seulement un mot d'ordre correct, mais une réalité de tous les jours. Du point de vue organisatif, les ouvriers s'organisent en tant qu'ouvriers et non en tant qu'exilés, sans distinction de patrie d'origine; ce que nous constatons dans toute l'histoire du prolétariat. Dans ces cas que nous vérifions dans toute grande lutte ouvrière le prolétariat dépasse, balaye les racines même de l'"Organisation des Exilés" et les ouvriers d'origines géographique diverses s'unissent.

Dans certaines circonstances historiques, si des secteurs importants de la bourgeoisie apparaissent comme exilés au côté d'une grande masse d'ouvriers, le prolétariat identifie comme différentes les causes de sa nécessité de sortir du pays avec celles qui ont motivé le départ de la fraction bourgeoise qui prend le chemin de l'exil. Ainsi dans les guerres impérialistes générales ou localisées, il existe de façon permanente des fractions de la bourgeoisie qui essayent à partir de l'exil, d'organiser et de diriger la "libération de sa patrie", c'est-à-dire le changement de bloc impérialiste. Le prolétariat qui a réussi à échapper à la barbarie de la guerre inter-bourgeoise mais sans avoir été capable d'imposer sa propre solution: "guerre civile révolutionnaire contre la bourgeoisie des divers camps", déserte contre n'importe quelle bande impérialiste en présence et qui arrive dans un autre pays avec l'unique prétention de ne pas être de la chair à canon servant des intérêts qu'il sait ne pas être les siens, n'a en principe aucune tendance à s'incorporer à l'Exil organisé par la bourgeoisie, mais au contraire aura tendance à s'organiser comme prolétariat, uni avec ses frères de classe de n'importe quel pays. L'Institution de l'Exil sera inopérante.

Mais déjà ici les choses se compliquent énormément, la guerre et la révolution sont deux pôles d'un même antagonisme, deux solutions qui poussent les deux classes fondamentales de la même société et qui par conséquent ne sont pas séparées ni dans le temps ni dans l'espace, mais existent et se développent comme des perspectives antagoniques mais simultanées qui s'excluent seulement comme résultat du triomphe d'une des deux. Dans tous ces cas, tant les ouvriers qui refusent de combattre au côté du gouvernement, que ceux qui refusent de réaliser l'effort productif nécessaire pour la guerre ou la reconstruction, que les activistes communistes ouvertement défaitistes révolutionnaires, seront accusés et pourchassés de la même façon que s'ils étaient au service du camp impérialiste opposé. Les exilés ouvriers et bourgeois seront persécutés par les mêmes forces, au nom de la même histoire. Nous sommes alors dans le cas le plus général et où la fraction bourgeoise exilée trouve déjà les conditions minimales pour mettre en place l'Organisation de l'Exil en tant qu'Institution et cela avec succès.

Entre les différentes circonstances historiques il n'existe donc aucun type de barrières nettes, mais un ensemble de combinaisons qui rendront l'Organisation de l'Exil plus ou moins puissante. Ce qui doit rester bien clair, c'est qu'il ne suffit pas qu'il y ait beaucoup d'ouvriers exilés pour qu'il existe la possibilité de l'Institutionnalisation de l'Exil, que les conditions qui dans le capitalisme rendent l'exil ouvrier permanent ne sont pas suffisantes pour permettre en toutes circonstances le surgissement de l'Exil organisé. Ne voulant pas donner trop d'exemples historiques à ce sujet, nous nous contenterons d'en prendre un que nous trouvons fondamental: la tragique expérience, du point de vue ouvrier, des exilés espagnols, qui comme exemple résume et concentre la tragédie de n'importe quelle partie de la classe ouvrière contrainte à l'exil.

Depuis des temps immémoriaux des ouvriers d'origine espagnol se trouvent éparpillés dans le monde entier non seulement en tant qu'ouvriers incorporés au procès immédiat de production du capital, mais présents au côté du prolétariat de chaque pays en lutte contre le capital. Pour cela ils ne devaient pas s'organiser en tant qu'exilés ni en tant qu'espagnols, mais comme ouvriers et c'est ce qu'ils ont fait. Pourquoi se sont-ils tirés d'Espagne? Quelle que soit l'époque à laquelle ils sont partis, ils l'ont fait pour fuir la faim, le bâton. La pléthore d'ouvriers d'origine espagnole dans le monde, nous la rencontrons tant au siècle passé, que dans celui-ci avant Franco, pendant Franco et après Franco.

Cependant l'Exil espagnol comme Organisation réellement importante, nous la trouvons seulement sous Franco, et c'est dans ces premières années qu'elle a acquis, non seulement à l'égard du prolétariat espagnol mais principalement à l'égard du prolétariat mondial son importance contre-révolutionnaire cruciale. Le point de départ de l'Exil organisé est une défaite du prolétariat infligée à celui-ci par la république et le franquisme le faisant disparaître comme classe de la scène historique. L'Exil espagnol réussira sur cette base à se développer comme unité d'individus (ce qui implique la dissolution totale du prolétariat en faveur de la bourgeoisie) antifascistes, antifranquistes et jouera un rôle fondamental dans le recrutement d'ouvriers de tous les pays au service du bloc impérialiste "antifasciste": dans le monde entier, une alliance s'établira entre les bourgeois antifascistes accueillants des exilés "républicains" et l'Exil espagnol organisé. Chaque fois que la bourgeoisie des "pays démocratiques" ne sait pas comment arrêter les grèves ou consolider l'union sacrée, elle recourra aux "grands représentants de l'Exil espagnol". Ceux-ci parcourront le monde en représentant des groupes ou des partis de l'Exil espagnol conseillant aux ouvriers de tous les pays l'abandon de la lutte pour leurs intérêts parce que "la tâche fondamentale du moment c'est la lutte contre le franquisme, pour laquelle il faut appuyer le gouvernement mexicain, français et/ou américain"!!! Et l'Exil espagnol TRIOMPHA, contribuant de manière fondamentale à la GUERRE IMPÉRIALISTE de 1939-45.

Après cet apport à la contre-révolution, l'Exil espagnol continua en faisant ce qu'il pouvait en organisant le changement bourgeois, pour le moment où l'Etat espagnol le requerra, en préparant les formes et cooptant les hommes pour cela. Aujourd'hui il a accompli son cycle et il ne reste comme déchets que quelques institutions culturelles avec très peu d'incidence réelle.

Cependant la masse des ouvriers exilés d'origine espagnole demeure ce qui démontre jusqu'à quel point le cycle complet de l'Institution Exil obéit à des intérêts tout autres que ceux du prolétariat et au service exclusif de la contre-révolution dans des circonstances précises.

C'est pourquoi si nous voulons comprendre ce qu'est en réalité l'Institution "Exil", nous ne pouvons pas nous situer dans les conditions minimales d'existence de celle-ci, car la seule chose que nous constaterions c'est que parmi les exilés de tel pays il y a des ouvriers et des bourgeois et que ceux-ci utilisent un ensemble de moyens, d'appareils d'encadrement pour mettre les ouvriers à leur service. L'essence même de l'Exil organisé comme celle de n'importe quelle autre institution contre-révolutionnaire peut seulement se comprendre face à la révolution. Nous allons donc systématiser l'Institution Exil en prenant comme référence celles qui sont le produit d'une défaite importante de la lutte révolutionnaire du prolétariat. Il faut comprendre que le fait d'expliquer l'essence d'un organisme bourgeois dans son point culminant contre la révolution n'est pas un artifice. Cette méthode nous l'employons invariablement pour expliquer la nature réactionnaire de tout appareil du capital: partis, syndicats, fronts, etc.

L'Institution contre-révolutionnaire de l'Exil

C'est justement en considérant les exils comme postérieurs aux grandes luttes ouvrières, qui sont en premier lieu un des résultats de la révolution avortée, que nous pouvons percevoir l'énorme continuité qu'a la contre-révolution dans son action et dans ses méthodes. L'Exil chilien d'aujourd'hui, véritable Modèle Institutionnel, duquel tout social-démocrate (socialiste, stalinien, trotskyste, etc.) au-delà de leurs différences idéologiques éventuelles, doit être fier qu'il ait servi aussi parfaitement comme système de référence et de structure d'encadrement de l'Exil argentin et uruguayen. C'est la copie de tous les exils organisés de l'histoire. Nous trouvons les mêmes mythes, les mêmes méthodes, les mêmes explications sur le passé, les mêmes discours, le même nid de vipères, la même fonction au service de l'approfondissement et de l'extension de la contre-révolution que dans les Exils postérieurs à 1848 en Europe, l'"Exil français" postérieur à la Commune, l'"Exil russe" postérieur à 1905, l'"Exil italien antifasciste", l'"Exil espagnol antifranquiste" (4) pour ne citer que les exemples les plus notables et ceux dont on parla le plus comme Exils organisés.

L'incompatibilité entre la lutte des communistes et la pratique de cette répugnante institution de l'Exil organisé est aussi une constante historique et nous la voyons émerger contre le courant dans toutes ces circonstances sous des formes plus ou moins claires et explicites. Ainsi après la défaite de la révolution de 1848, le groupe de militants communistes regroupé autour de Marx se situe sur un terrain absolument différent et antagonique à celui de l'Exil:

"Lorsqu'après la défaite de la révolution de 1848-1849 vint le moment où il devint de plus en plus impossible d'agir en direction de l'Allemagne à partir de l'étranger, notre parti abandonna à la démocratie vulgaire le terrain des querelles d'émigration, qui demeuraient la seule action possible. Tandis que celle-ci se lançait à corps perdu dans une agitation frénétique, se chamaillant aujourd'hui, fraternisant le lendemain, et étalant de nouveau, le surlendemain, son linge sale devant tout le monde; tandis qu'elle allait mendier quelques sous en Amérique, afin de préparer de nouveaux scandales dès qu'elle les dépenserait - notre parti était heureux de retrouver un peu de calme pour ses études. Il avait le grand avantage de disposer pour base théorique d'une conception scientifique nouvelle, et son élaboration lui donnait suffisamment à faire. Ne serait-ce que pour cette raison, il ne put jamais tomber aussi bas que les "grands hommes" de l'émigration." (Engels - 1859)
A cette époque, cette poignée de militants révolutionnaires comprennent déjà totalement la fonction contre-révolutionnaire de l'Emigration comme Institution et pour cela ils s'organisent à part et dénoncent les sauveurs de la patrie et les grands représentants de l'unité de l'émigration:
"On s'aperçoit de plus en plus que l'émigration est une institution qui transforme chacun en fou, âne ou fripouille. Il faut donc s'en tenir à l'écart, et se contenter d'écrire en toute indépendance, se moquant même comme d'une guigne du prétendu parti révolutionnaire.

C'est une véritable pépinière de scandales et de bassesses dans laquelle le premier âne venu se fait passer pour le sauveur de la patrie. Quoi qu'il en soit, nous règlerons son compte à ce petit chasseur de popularité - Louis Blanc - dès que nous aurons de nouveau un organe de presse.

Nous, en revanche, nous avons la satisfaction d'être débarrassés de toute la racaille des réfugiés londoniens, forts en gueule, confus et impuissants, et nous pouvons enfin de nouveau travailler sans être dérangés. Les bassesses innombrables de la vie privée de cette canaille peuvent nous laisser froids. De tout temps, nous étions supérieurs à ces gens-là, et nous les avons dominés à chaque fois qu'on avait affaire à un mouvement sérieux. Mais depuis 1848, la pratique nous a appris énormément de choses et nous avons dûment utilisé le calme qui s'est instauré depuis 1850 pour nous remettre à bûcher ferme.

Lorsque le mouvement reprendra de nouveau, nous aurons un avantage encore plus grand sur eux que la première fois, et ce dans des domaines auxquels ils ne songent même pas. Et abstraction faite de tout cela, nous avons sur eux l'énorme avantage qu'ils sont tous des chasseurs de bons postes, et nous pas." (Engels - 1851. Souligné par nous)

Il n'est pas difficile maintenant de systématiser les éléments communs de l'exil, à partir de la ressemblance de ces situations historiques, ce qui nous permettra de comprendre l'essence contre-révolutionnaire de son Institutionnalisation:

1/ Dans les cas considérés, le point de départ (direct ou indirect, médiat ou immédiat) c'est la solution contre-révolutionnaire d'une crise politique généralisée dans un pays ou un ensemble de pays, et où le prolétariat occupe le centre de la scène sociale, sans être capable d'imposer (ou de développer, fortifier et conserver - Commune de Paris) sa propre dictature. Il s'agit alors, de situations où le prolétariat s'autonomise relativement par rapport à la démocratie extrême, imposant à la société un ensemble de changements violents, sans être capable d'imposer sa solution. Ce qui amène comme conséquence: la répression ouverte qui touche non seulement le prolétariat, mais aussi des fractions de la bourgeoisie et des couches petites bourgeoises.

2/ La société en question ne réussit pas à consolider l'ordre bourgeois jusqu'à ce que la fraction bourgeoise qui s'est imposée comme solution finale à la crise (étant donné que toute crise politique de la domination bourgeoise est en même temps crise entre fractions bourgeoises), ait liquidé tous les vestiges de celle-ci: non seulement ce qui est révolutionnaire, mais tout ce qui apparaît comme révolutionnaire à cette fraction, ce qui peut arriver aux extrêmes les plus caricaturales que l'on puisse concevoir:

"On déclara socialiste même le libéralisme bourgeois, la culture bourgeoise, la réforme financière bourgeoise. C'était du socialisme que de construire un chemin de fer là où il y avait déjà un canal, et c'était du socialisme que de se défendre avec un bâton quand on vous attaquait avec une épée." (Marx - 1852)
C'est pour cela qu'on constate non seulement la liquidation et la persécution du prolétariat mais aussi de tout ce qui apparaît comme socialiste: étant inclus plus particulièrement les secteurs qui se sont avérés indispensables à la contre-révolution et qui ont été poussés par la réémergence du prolétariat à radicaliser leur discours socialiste pour mieux accomplir leur rôle (5).

3/ C'est pour cette raison que l'on trouve en tant qu'exilés aux côtés des ouvriers combatifs qui sont parvenus à sauver leur peau (6) les vieux ministres "ouvriers", les dirigeants des partis sociaux-démocrates ou démocrates-socialistes, une partie importante de la fraction parlementaire de la bourgeoisie, les inventeurs de fronts populaires, les tortionnaires "repentis" (!), les officiers "honnêtes" (!) et le reste de la racaille que la purification nécessaire de l'Etat bourgeois ne peut supporter. L'Exil organisé est cette unité hybride au nom de l'"Unité de l'opposition" et de la "révolution à venir".

4/ La disparition du prolétariat en tant que classe dans le pays (ou les pays) en question et la perpétuation de la répression indiscriminée, fortifie l'idéologie et la réalité de l'unité de l'opposition. Ce qui a permis le triomphe de la contre-révolution (le fait que le prolétariat se soit autonomisé seulement partiellement par rapport à la démocratie extrême (7) se reproduit et se fortifie lors des moments décisifs atteignant le summum durant la phase de la contre-révolution: subordination totale des ouvriers à la fraction "oppositionnelle" (et gouvernementale). Il ne suffit pas de constater que la disparition du prolétariat en tant que classe, c'est la contre-révolution; il est nécessaire de voir clairement que cela permet la reproduction de la contre-révolution à l'intérieur et à l'extérieur des pays en question et que même toute cette fraction ouvrière qui a conservé son autonomie tend à être désintégrée, écrasée par le poids de cette réalité contre-révolutionnaire.

5/ La cause se transforme en conséquence, la contre-révolution trouve les moyens et les formes pour sa reproduction chaque fois plus élargie. L'Institution de l'Exil est une de ses expressions les plus pures. Ici les leaders populaires décrépits avec leurs drapeaux et leurs programmes - que le prolétariat avait combattu de fait indirectement et intuitivement, parce qu'il n'avait pas d'autre solution et que dans son ensemble il n'était pas arrivé à les combattre directement et explicitement (malgré quelques minorités d'avant-garde) - commencent à retrouver leur auréole grâce au "mérite" d'être persécutés (situation à laquelle les ouvriers s'identifient), grâce à la "décoration" que leur accorde la presse gouvernementale en les présentant comme les "fauteurs de la subversion". "La majorité des ouvriers réfugiés" tombent peu à peu "dans le camp des créateurs de la révolution de la démocratie bourgeoise" (Engels) dopés par des doses croissantes de promesses sur la révolution à venir; "les grands hommes de l'exil" promettent à chaque moment que tout va commencer, que la junte va tomber, que la révolution est en train de se préparer, ce qui évidemment apparaît plus attrayant qu'une analyse matérialiste de la corrélation des forces réelles.

6/ Pour "faire ces révolutions", dans tout Exil qui mérite ce nom on organise des fronts pour renverser la dictature, on construit des fables absurdes sur les contradictions dans l'armée gouvernementale, on auto-proclame des gouvernements provisoires qui leur succèderont même s'il ne se passe rien d'important dans le pays en question, on invente des Résistances héroïques, on distribue des ministères et on nomme des ambassadeurs, on fait des collectes au nom de "ceux qui résistent de l'intérieur du pays", des "prisonniers" et de "ceux qui préparent le triomphe". Ceci a comme conséquence inévitable, que jamais on ne sait où est passé l'argent (quoi qu'on sache toujours après où il n'est pas allé: ni aux prisonniers, ni aux ouvriers en lutte), et aussi que se développent les conflits et les accusations personnelles chez les professionnels de l'Exil.

7/ Avec la mythologie chauvine propre à tout exil, selon laquelle ils représentent "le peuple qui était et est sur le point de réaliser la révolution la plus grande de l'histoire" les organisateurs de l'Exil imposent peu à peu aux ouvriers qui les suivent, leur explication de la défaite, selon laquelle le problème fut la trahison d'un tel ou de tel autre. En effet seule cette explication est capable de maintenir ce "nid de vipères" propre à émigration, comme unité qui se brise à chaque instant et se reconstitue en vue de la révolution imminente ou de la chute des dictateurs. La vie de l'émigration est pour cette raison: "saloperie", conciliation, mythe et illusions qui s'évaporent avec la même facilité qu'elles se reconstruisent.

"Après toute révolution ou contre-révolution avortée, les émigrés qui se sont réfugiés à l'étranger développent une activité fébrile. Des regroupements politiques de tout type sont fondés auxquels chacun reproche à l'autre de lui avoir bloqué la route, s'accusant mutuellement de trahison et de tous les péchés. En même temps on maintient un contact étroit avec le pays natal, on organise, on conspire, on publie des tracts et des revues, on jura que cela va "recommencer" dans les prochaines 24 h, que la victoire est assurée en prévision de laquelle on réparti à l'avance les postes gouvernementaux. Evidemment on va de désillusion en désillusion et comme on ne lie pas ces discussions aux conditions historiques - étant donné qu'on en rejette la compréhension et qu'on les attribue aux erreurs fortuites de personnes isolées - les accusations réciproques s'accumulent se terminant par la zizanie générale. C'est cela l'histoire de toutes les émigrations... L'émigration française postérieure à la Commune n'a pas échappé à cette fatalité." (Engels - 1873)
Pas plus que l'émigration "antifasciste d'Europe" quelques décennies après, ni que l'actuelle émigration "antifasciste latino-américaine".

Plus d'un lecteur aura les cheveux dressés quand il retrouvera dans les textes que nous citons datant de plus d'un siècle, la situation qu'il vit aujourd'hui. L'unique chose que nous pouvons lui certifier, c'est qu'au moment où Engels écrivait cela il ne connaissait pas encore toutes les péripéties des partis de l'Unité Populaire ou leurs appuis critiques, ni les organisateurs de révolution pour l'Argentine, la Bolivie ou le Paraguay, et pas plus les "fleurs" qu'ils se jettent entre eux. Ni Amodio Perez (mythe des Tupamaros), ni Quieto (mythe des Montoneros), ou d'autres nouveaux mythes avec lesquels on alimente l'explication de la trahison qui serait originaire du Cône sud (même pas cela!) et nous assurons que Engels n'avait pas eu le plaisir de les connaître quand il écrivait en 1851:

"On s'accorde généralement à reconnaître que les mouvements subits de février et de mars 1848 n'ont pas été l'oeuvre d'individus isolés, mais des manifestations spontanées, irrépressibles, de nécessités et de besoins nationaux plus ou moins clairement compris, mais très distinctement ressentis par toute une série de classes dans tous les pays. Néanmoins, lorsque l'on s'enquiert des causes des succès de la contre-révolution, on obtient de tous les côtés la réponse commode que c'est Monsieur Un Tel ou un citoyen Tel Autre qui a "trahi" le peuple (ce qui d'ailleurs peut être vrai ou non, selon le cas). Mais, en aucun cas, cette réponse n'explique quoi que ce soit, qui plus est, elle ne permet même pas de comprendre comment il s'est fait que le "peuple" se soit laissé trahir de la sorte. Mais combien piètre sont les perspectives d'avenir d'un parti politique dont le seul inventaire politique se résume dans le fait que le citoyen Tel ou tel n'est pas digne de confiance!" (Engels - 1851)
8/ Pour toutes ces raisons l'Exil organisé persécute, dénonce, et calomnie tous ceux qui essayent de bouleverser son ordre en réalisant une analyse classiste de la situation passée et présente. Il ne peut supporter que l'on se questionne sur "leurs" explications basées sur la négation de l'histoire qu'ont vécu les exilés eux-mêmes, en tant que protagonistes en chair et en os. Pour maintenir l'unité de l'opposition l'Exil organisé doit imposer par tous les moyens (y compris les moyens policiers et physiques) la vieille mythologie populiste que le prolétariat dans sa lutte passée avait fait éclater. Et ce qui paraît impossible (convaincre un homme d'oublier son propre passé) est réalisé par l'avancée de la contre-révolution, par la disparition de la lutte autonome du prolétariat agissant à l'intérieur du pays en question, et qui se concrétise de plus en plus par la prédominance de l'idéologie réactionnaire du moindre mal: "moi je ne suis pas avec le Front (de l'Exil), mais je le soutien parce qu'il est meilleur que le Gouvernement". Ceci avec toutes les subtilités et variantes.

9/ Nous devons aussi remarquer que dans tous les cas considérés la contre-révolution embrasse et englobe en transformant en sujets actifs de celle-ci un ensemble de groupes qui avaient maintenu une attitude ouvrière indépendante dans le passé (ou mieux dit le reste de ces groupes qui échappèrent à la répression). En effet, dans l'Exil organisé on suppose que tous "organisent la révolution", que tous préparent l'"insurrection imminente". Ou bien on répond clairement qu'une révolution ne s'organise pas quand on le désire volontairement et que celle-ci dépend d'un ensemble de conditions matérielles; que la contre-révolution même locale instaure une situation d'expansion relative et de stabilité, que seule une nouvelle crise remettra à l'ordre du jour la révolution; ou l'on rentre dans le jeu de l'Exil organisé. La première option qui est douloureusement réaliste, l'option communiste, reconnaît clairement qu'on ne peut prétendre réaliser une politique de masses ni de préparation insurrectionnelle dans ces conditions. La seconde option ne comprend pas ce qui a changé, elle reconnaît seulement partiellement la défaite (et parfois même pas!) et se propose de constituer ou de reconstituer un grand parti de masse, en préparant en même temps la prétendue insurrection, ce qu'on tend à démontrer publiquement dans beaucoup de cas en réalisant quelques actions armées spectaculaires, ou en rendant publics leurs préparatifs "clandestins", ceci toujours marqué de l'idéologie terroriste. Les résultats de cette seconde option sont toujours une dégénérescence populiste de ce type d'organisations et une succession d'échecs qu'ils ne sont jamais capables d'expliquer. En réalité les résultats ne peuvent être autres: puisque on a opté pour organiser une insurrection qui matériellement ne peut exister, on a donc choisi de conquérir les masses qui continuent d'être précipitées dans le puits de la contre-révolution. Au plus s'accroit la séparation et le décalage entre les actions militaristes de ces groupes (ou leurs simples préparatifs) et la passivité ouvrière, au plus on prétend remplir le vide par des discours populistes; étant donné que le groupe ou le "Parti" ne peut conquérir les masses pour l'insurrection, il va se laisser conquérir par la situation contre-révolutionnaire des masses vers la contre-révolution. Comme la révolution prolétarienne est impossible immédiatement et que le "parti" veut faire une "révolution", l'unique solution c'est le démocrétinisme bourgeois: passer dans le camp des faiseurs de la "révolution démocratico-bourgeoise". Le processus de dégénérescence ne s'arrête jamais là: on expulse les meilleurs éléments (ou ceux-ci abandonnent ces partis) ce qui facilite la révision totale de tout le programme ouvrier du passé, on "auto-critique" les meilleures positions assumées dans le passé, comme étant sectaires, on se repent de ne pas être rentrés dans les grands Fronts, etc. Dans certains cas on en arrive à la caricature, on change le nom du parti, "pour qu'il soit plus représentatif des aspirations des masses", on abandonne toute référence classiste et on parle de "Bloc uni révolutionnaire", "parti de la victoire du peuple", "parti de la résistance antifasciste", etc. et de cette position commode au service de la bourgeoisie, on juge et menace tous ceux qui ne s'agrippent pas au char populiste: "celui qui n'accepte pas qu'aujourd'hui la tâche fondamentale est de renverser la dictature (lire gouvernement) est contre le peuple", "ceux qui s'opposent aujourd'hui, avec leur attitude sectaire, infantile et ultra-gauchiste, à l'unité la plus large contre le fascisme sont nos ennemis". Même dans les cas où ces groupes ont maintenu au début de l'Exil organisé une attitude autonome à l'égard de ce dernier, ils tombent toujours dans ses rets et finissent en une supposée opposition de gauche devenant ses plus fidèles serviteurs et léchant les bottes de tous les organismes religieux, humanistes et/ou philanthropiques qui parlent de "solidarité avec les exilés". Le pourrissement est irréversible, la seule chose à sauver est l'anti-thèse de ces groupes: l'ensemble des éléments qui abandonnent (encore sans voir une perspective alternative) ces partis et ces groupes; résistant à la totale révision programmatique et refusant d'intégrer le corbillard de l'Exil organisé dont la fonction est d'enterrer les derniers restes du prolétariat combatif.

10/ Enfin, il est nécessaire de se rappeler que l'Exil organisé finit son cycle en totale indépendance par rapport aux ouvriers qui sont restés en majorité exilés. Quand son Etat a besoin de figures de rechange: l'Exil organisé se charge de les promotionner. Celles-ci s'empressent alors d'être à nouveau triomphantes (et en réalité elles n'ont pas triomphé contre le gouvernement, mais contre le prolétariat) pour sauver la "fragile démocratie renaissante"!

La lutte des communistes contre le courant

Il existe différentes situations où les possibilités d'action des militants communistes (8), destinés en permanence à organiser la classe en parti, peuvent varier énormément. Par exemple, il existe des différences profondes entre les possibilités d'action dans une situation où une poignée de communistes se retrouvent exilés dans une période de contre-révolution qui est générale dans le monde et qui embrasse les pays où ils ont obtenu l'asile et, une autre dans laquelle la situation répressive qu'ils fuient est seulement régionale et où les luttes ouvrières dans les pays d'accueil des exilés se renforcent et par conséquent où la situation contre-révolutionnaire est seulement partielle et instable.

Cependant, dans toutes les situations il existe des invariances, et pour parvenir à systématiser la fonction et le rôle des fractions communistes dans l'exil il faut commencer par ceci, même si nous schématisons des aspects déjà abordés dans le texte:

a) En premier lieu, les communistes comprennent l'exil comme une réalité inhérente à la formation sociale bourgeoise et sans aucune solution générale qui ne soit la destruction du capitalisme. Le caractère de la lutte ne change pas du fait d'être exilé, les communistes comprennent qu'ils sont en permanence exilés de la société capitaliste; que c'est seulement dans les luttes du prolétariat qu'ils sont sur leur propre terrain, que c'est aux côtés de ce prolétariat sans patrie qu'ils retrouveront leurs camarades.

b) Les communistes s'organisent en organisation à part et combattent l'Exil organisé dans la mesure de leur force en dénonçant les mythes qui le soutiennent: unité de l'opposition, démocratie, patriotisme avec toutes ses couvertures, révolution à venir, etc.

c) A la fausse et cynique "solidarité avec le peuple de tel pays" organisée conjointement par la bourgeoisie qui accueille les exilés et les "grands hommes de l'émigration", les communistes opposent la solidarité réelle du prolétariat du monde entier et organisent comme ils le peuvent l'appui matériel aux révolutionnaires persécutés par la répression.

d) Dans la mesure de leurs forces ils s'engagent dans le mouvement ouvrier du pays dans lequel ils doivent vivre l'exil, s'unissant (ou fortifiant les liens antérieurs) avec les éléments les plus avancés, amenant ainsi leur action vers le regroupement de communistes au niveau international et combattant la concurrence que se font les ouvriers entre-eux (ouvriers nationaux contre ouvriers émigrés en particulier).

e) Contre le courant, ils mettent en évidence les causes matérielles qui ont rendu possible la solution de la crise politique en faveur de la contre-révolution. C'est-à-dire, qu'ils réalisent un bilan de la lutte assumée par le prolétariat, mettant en évidence les causes et les intérêts réels qui déterminaient l'action des protagonistes de la lutte (au-delà de leurs propres déclarations), moyen indispensable pour expliquer les causes de la défaite.

f) Ils développent un énorme travail théorique, expliquant la marche générale de la société capitaliste et ses contradictions; améliorant et enrichissant leur propre compréhension qui sera un élément indispensable durant la prochaine et inévitable vague révolutionnaire.

Les groupes communistes dans l'exil se sont toujours mus sur base de ces axes centraux. Ou mieux dit, seuls ceux qui ont maintenu une pratique communiste; seuls sont communistes (9), les groupes qui, contre le courant, ont maintenu vivante l'autonomie organisative et théorique du prolétariat sur base de ces grands axes invariants. Le résultat immédiat a été en général un plus grand isolement des militants communistes; le résultat à moyen terme et à long terme a été totalement différent: sur base des travaux "sectaires" de ces groupes communistes exilés, s'est constituée et reconstituée dans chaque phase, théoriquement et organiquement l'expression la plus élevée du Parti du prolétariat. Voyons séparément chacun de ces deux résultats.

Il est clair que soutenir face aux exilés que la révolution ne va pas se réaliser demain, que l'on passe par une phase de défaite générale et que c'est seulement après un autre cycle d'accumulation capitaliste, qui conduira inévitablement à une autre crise, que l'on pourra parler de révolution; c'est comme essayer de convaincre des prisonniers qu'il n'y aura pas amnistie générale le mois prochain! Une vérité aussi grande que celle-ci est toujours considérée comme une hérésie qui se paye par l'isolement politique:

"Dans la revue de mai à octobre 1850, Marx et moi nous écrivions: "Du fait de la prospérité générale, au cours de laquelle les forces productives de la société bourgeoise se développent avec toute la luxuriance possible au sein des rapports bourgeois, il ne peut être question d'une véritable révolution. Celle-ci n'est possible qu'aux périodes de conflit ouvert entre ces deux facteurs: les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises. (...)

Cette froide appréciation de la situation fut considérée comme une hérésie, à une époque où Ledru-Rollin, Louis Blanc, Mazzini, Kossuth et, parmi les lumières allemandes de second ordre Ruge, Kinkel, Gögg et tutti quanti constituaient en série à Londres de futures gouvernements provisoires, non seulement pour leurs patries respectives, mais encore pour l'Europe entière: il ne leur restait plus qu'à rassembler, grâce à un emprunt révolutionnaire, émis en Amérique, l'argent nécessaire pour réaliser en un clin d'oeil la révolution européenne ainsi que les différentes républiques qui en découlaient tout naturellement. Qui pourrait s'étonner de ce qu'un homme tel que Willich ait donné dans le panneau, que Schapper lui-même, en raison de ses vieux élans révolutionnaires, se soit laissé griser, et que la majeure partie des ouvriers de Londres, pour la plupart réfugiés, les aient suivi dans le camp des faiseurs de révolution de la démocratie bourgeoise? En un mot, la circonspection que nous préconisions n'était pas du goût de ces gens-là: il fallait se mettre à faire des révolutions. Nous nous y refusâmes catégoriquement." (Engels - 1885)

L'isolement du Groupe Marx (dans l'époque postérieure à '48) fut total; cependant ils n'ont fait aucune concession aux faiseurs de révolution et ils continuèrent les tâches indispensables de Parti.
"Si nous avons été battus, tout ce que nous avons donc à faire, c'est de recommencer par le début. Et, par chance, l'intervalle de répit - de très courte durée sans doute - qui nous est accordé entre la fin du premier et le commencement du second acte du mouvement, nous laisse le temps de faire un travail des plus utiles: l'analyse des causes qui rendirent inéluctables aussi bien le récent soulèvement que sa défaite, causes qu'il ne faut pas rechercher dans les efforts, talents, erreurs ou trahisons accidentels de quelques-uns des chefs, mais dans les conditions sociales générales de vie de chacune des nations ébranlées par la crise." (Engels - 1851)
Le travail que ce groupe de militants exilés réalisera en dehors et contre le courant de l'Exil organisé en ces années noires, est clef pour toute l'histoire accidentée des efforts du prolétariat pour s'organiser comme force au niveau international. Premièrement: parce que à cette époque a été rédigé l'ensemble des travaux, seulement esquissés antérieurement, qui seront la base théorique de la critique prolétarienne du capital: "Contribution à la critique de l'économie politique", "Grundrisse", "Le Capital", etc. Deuxièmement: parce que à cette époque est expliquée pour la première fois la contre-révolution, ce qui contribue à comprendre à un niveau substantiellement plus élevé la théorie de la révolution, ceci simultanément avec une analyse des affrontements et perspectives des forces politiques distinctes contenue dans les oeuvres dites "politiques" de Marx et Engels. Troisièmement: (et fondamental) parce que l'ensemble des activités "théoriques" sont liées à la prévision du "second acte du mouvement" (et aussi du troisième et du quatrième acte), et à une action de propagande contre le Frontisme, contre le démocratisme, etc. Quatrièmement: l'ensemble de ces travaux, et les contacts par dessus les frontières avec les militants révolutionnaires les plus clairs de l'époque donnera lieu à la première organisation internationale du prolétariat: l'AIT.

C'est précisément dans le travail des exilés des fractions communistes que durant toute l'histoire du prolétariat se sont forgés les éléments explicatifs fondamentaux de la révolution et de la contre-révolution; ainsi que les germes organisatifs des niveaux les plus élevés de centralisation du prolétariat au niveau mondial. Nous ne pouvons entrer dans ce texte dans l'histoire de l'action contre le courant des communistes exilés. Rappelons simplement au lecteur que le principal travail théorique et organisatif de rupture avec la réactionnaire Seconde Internationale, dès la fin du siècle passé, a été réalisé par des "exilés" communistes (10) russes, italiens, polonais, hollandais, espagnols, etc; et que le travail fondamental de rupture avec la Troisième Internationale en putréfaction, ainsi que l'analyse des causes et conséquences tant du mouvement révolutionnaire le plus grand de l'histoire du prolétariat, que de ses défaites développé par la gauche communiste russe, allemande,... arrive à son point culminant avec la fraction communiste italienne en "exil". Il ne s'agit pas d'un hasard, ce qui arrive, c'est que pour les communistes, la répression et l'exil comme produit inévitable de leur activité illégale est un mal nécessaire qui peut et doit être utilisé étant donné qu'il les met en contact et les plonge dans les problèmes du mouvement ouvrier de tous les pays, contribuant à leur donner une vision totalisatrice et internationaliste et à les faire penser et agir directement dans ce sens, par dessus toutes les frontières que la bourgeoisie essaye de leur imposer.

L'Exil organisé d'aujourd'hui: l'Exil chilien - argentin - uruguayen

L'Exil organisé d'aujourd'hui est la réitération caricaturale de la totalité des aspects de tous les exils du passé: organisation d'exilés en tant que tels, unification au nom de l'unité des ouvriers et patrons, des torturés et tortionnaires "repentis", collectes pour la résistance, Fronts fourre-tout, Gouvernements et Partis révolutionnaires qui se font, défont et refont, maisons du réfugié, etc.

Même en voyant les énormes différences de type et de durée des cycles des Exils organisés, nous ne pouvons trouver dans aucun d'eux des originalités par rapport aux Institutions d'Exil du siècle passé que nous avons mentionné. Ici il y a des "Exils" qui en tant qu'institutions ont achevé complètement leur cycle et leur fonction, tout en sachant accourir à temps à l'appel de leurs Etats respectifs quand les choses commencent à se gâter pour ceux-ci (l'Exil espagnol (véritable exemple de pureté), le portugais, le grec (réalité bien différente de celle des ouvriers exilés de cette origine pour lesquels l'exil n'a pas de fin)). Là il y a d'autres Exils qui luttent pour compléter leur cycle, comme celui du Pérou, de Bolivie, du Brésil, du Nicaragua, du Salvador, etc., qui avec des instabilités, des allées et venues, donnent le cadre politique qui rend plus crédible les ministères, les assemblées constituantes, les parlements. Nous pourrions mentionner quelques-uns des plus stables et d'autres qui le sont moins, certains qui sont plus avancés dans leur cycle, d'autres plus retardés, certains avec plus d'appui institutionnel, d'autres en ayant moins, mais dans aucun de ces cas (ni dans l'Exil organisé des pays de l'Est ou d'Afrique ou d'Asie) nous ne trouverions des éléments originaux dignes d'être relevés. Cependant là où l'on compense le mieux le manque d'originalité par la quantité, où toutes les définitions qui caractérisent l'Institution Exil s'expriment sous la forme la plus achevée, c'est l'Exil chilien - argentin et uruguayen actuel; cela ne peut être expliqué par une seule raison particulière, mais par le fait qu'ils constituent la meilleure combinaison actuelle des éléments nécessaires, que nous avons caractérisé et que nous verrons rapidement en les comparant.

Par exemple on ne peut croire un seul instant que l'importance de l'exil chilien (qui nous le verrons est le plus important) est dû à la quantité de résistance qu'il engendre, ni aux coups de feu qu'il tire, étant donné que jusqu'à aujourd'hui, en faisant abstraction des préparatifs qu'ils disent éternellement faire, nous pouvons demander: quelle résistance?! et affirmer que n'importe quel Exil africain tire plus de coups de feu et fait plus de résistance que le chilien. L'atrocité et la bestialité de la répression à laquelle tentent d'échapper les exilés, n'est pas non plus une particularité ni une exception: objectivement on ne traite pas différemment les prisonniers palestiniens, d'Afrique du Sud, de Chine, du Cambodge, du Viêt-nam, etc.

La massivité de l'Exil uruguayen, chilien et argentin est imposante (quelques millions, que personne n'ose préciser), cependant ceci ne suffit pas pour être la plus haute expression actuelle de l'Exil organisé et un des plus achevés de l'histoire: sur ce plan aussi entre en concurrence un autre ensemble d'exils, ceux du Sud-Est asiatique, ou de l'Amérique latine elle-même (Paraguay, Puerto Rico). Le simple appui institutionnel n'est pas suffisant, l'Exil vietnamien-cambodgien, ou celui des pays de l'Est, concurrence avec succès l'exil chilien qui est sur ce plan incontestablement le plus fort des trois dans le cône sud.

Cependant celui-ci est l'unique Exil actuellement qui tout en étant exceptionnellement massif et très fortement appuyé institutionnellement, est incontestablement le produit de la liquidation d'une importante lutte révolutionnaire du prolétariat, avec toutes les séquelles déjà caractérisées(11). Par conséquent il ne s'agit pas uniquement de massivité, mais d'une massivité brutalement hybride, pas uniquement du point de vue de l'origine de classe (ce qui serait encore commun avec les cas déjà signalés), mais d'une hybridité, que la lutte a mis en évidence et dont le résultat est l'exil et où les classes définissent pratiquement leur antagonisme. Comme nous l'avons vu, ceci, loin de rendre l'Exil organisé difficile, le facilite; la brutalité de la contre-révolution, son succès s'exprime totalement dans l'Exil. Tandis que les ouvriers d'origine paraguayenne oublient qu'ils "sont paraguayens" et luttent par exemple au côté des "argentins" et qu'aux Etats-Unis ceux d'origine porto-ricaine s'affrontent au capital aux côtés de tant d'autres et donc qu'en ce sens ils se retrouvent dans une situation similaire aux ouvriers exilés d'Afrique du Nord, du Portugal, d'Espagne, etc. qui sont difficilement recrutables aujourd'hui par un Exil organisé car ils perçoivent directement qu'en tant qu'ouvriers ils n'ont pas de patrie; les ouvriers exilés d'origine argentine, chilienne, uruguayenne qui approchèrent la révolution de près, et qui furent brutalement battus, ont beaucoup plus difficile à comprendre que la situation qu'ils vécurent ne peut se répéter demain, que le meilleur apport à la lutte pour la révolution prolétarienne est son unification avec les ouvriers du pays dans lequel ils vivent et travaillent, et NON l'"Unité d'Opposition dans l'Exil" où ils serviront seulement à "leurs" bourgeois. Il y a des douzaines de problèmes graves qui donnent une plus grande base matérielle à cette situation de négation de sa propre expérience historique, de non identification de ses intérêts, de perte totale de son autonomie de classe. Citons en deux:

* la forte liaison affective avec les camarades de combats qui sont morts, emprisonnés ou disparus est utilisée par les "grands hommes de l'émigration" pour le recrutement dans l'Exil organisé, comme si la seule façon d'être solidaire avec ses camarades n'était pas de continuer la lutte contre la bourgeoisie de n'importe quel et de tous les pays; mais de contribuer par exemple à la cynique campagne d'amnistie, de la Croix Rouge, ou de quelques autres, pour les droits de l'homme tant claironnés!!

* dans beaucoup de cas la faiblesse actuelle de la lutte de classes dans le pays où ils doivent vivre et les différences de langue contribuent à l'idéologie chauvine si fortement enracinée dans l'Exil chilien, argentin et uruguayen. Ceci varie fortement de pays à pays: dans certains (Canada, Nouvelle-Zélande, Suède, etc.) on arrive à une situation de totale séparation entre les ouvriers de ces pays et les exilés, par contre dans d'autres pays où ces dernières années la lutte de classes est relativement plus importante et où il y a moins de difficulté de communication (autre pays d'Amérique Latine, Espagne, Italie, etc.) le problème est moindre. Cependant n'importe quelle différence culturelle, n'importe quelle faiblesse dans la compréhension est utilisée avec succès par les "Grands Hommes de l'Emigration" pour démontrer que les ouvriers du "pays d'accueil" sont retardés et non pas révolutionnaires, qu'ils ne parlent pas tout le temps de révolution comme eux. Comme si toute l'histoire ne démontrait pas que ce n'est pas nécessairement ceux qui parlent de révolution qui luttent pour elle, et que même ceux qui quelques années auparavant ne se préoccupaient même pas du problème, sont ensuite poussés par la crise du capital à lutter au premier rang pour sa réalisation!!! A ceci s'ajoute pour l'Europe une prétendue explication "matérialiste": les ouvriers européens gagnent bien leur vie, ils sont l'aristocratie ouvrière, ils ne sont pas révolutionnaires, mais sociaux-démocrates, etc. Comme si la révolution était une invention chilienne, argentine ou uruguayenne! Comme si le prolétariat européen n'avait pas été de nombreuses fois à l'avant-garde du prolétariat mondial, tant au siècle passé que dans celui-ci!

Par conséquent l'Exil chilien, argentin et uruguayen a des conditions spécifiques de massivité, dérivées de leurs origines qui les font se différencier des autres Exils organisés. A l'égard de l'Institution la même chose se produit. Par exemple nous ne savons pas si les différentes institutions du capitalisme ont réuni plus d'argent et d'autres types d'appui matériel pour se solidariser avec l'Exil vietnamien ou chilien, mais ce que nous pouvons affirmer sans aucun doute, c'est que l'Exil vietnamien est seulement appuyé par un bloc impérialiste et que par contre l'Exil chilien est appuyé par les deux blocs impérialistes et que la bourgeoisie mondiale espère beaucoup plus de services de celui-ci.

En effet ce n'est pas un hasard si les personnages bourgeois les plus éminents - les ministres d'Allende et les hauts fonctionnaires, le personnel des partis de l'Unité Populaire et de manière secondaire ceux de la démocratie chrétienne - ont été reçu à bras (et portefeuilles) ouverts aux points névralgiques des deux blocs impérialistes: Russie, Etats-Unis, République Démocratique Allemande, Angleterre, Belgique, etc. Ceci démontre jusqu'à quel point le gouvernement de l'UP fut un gouvernement de salut national contre le prolétariat où l'on perçoit fort la défense générale de l'Etat bourgeois face à un prolétariat ferme et autonome (12) et ceci par dessus les contradictions inter-bourgeoises. Il est clair que le Chili ne fut pas une exception à cet égard, et nous ne prétendons pas non plus qu'il soit le plus important; le régime de Velasco au Pérou et l'opération "retour du péronisme" - 1973/74 - (pour citer deux exemples clefs) furent des situations extrêmes dans lesquelles les deux grands blocs impérialistes et presque la totalité des bourgeoisies qui investissent dans ces pays se sont solidarisés par dessus leurs contradictions pour la défense générale de l'Etat menacé par le prolétariat.

Mais si le Chili ne fut pas une exception à l'égard de la lutte de classes, c'est aussi pour quelque chose qu'il devint l'Exil Modèle même pour l'Argentine et l'Uruguay. Cela est dû d'un côté au fait que la fameuse "expérience chilienne vers le socialisme, sans violence ouvrière" est pour la bourgeoisie mondiale son plus grand souhait et son aspiration, et deuxièmement parce que la forme dans laquelle se sont résolues les contradictions en faveur de la contre-révolution, permet de cacher sous une forme beaucoup plus adéquate que dans les cas argentin et uruguayen, le brutal antagonisme de classe entre les exilés. C'est-à-dire que si la répression a toujours bien existé dans ces trois pays, le terrorisme ouvert et général de l'Etat s'est opéré sous des formes distinctes dans les différents cas. Au Chili le "Coup d'Etat" apparait comme une coupure, en Argentine et en Uruguay personne ne peut cacher qu'il n'y a eu aucune cassure, que le terrorisme généralisé de l'Etat, du moins en ce qui concerne la classe ouvrière, précéda de manière notoire le coup d'Etat, et que celui-ci n'est rien de plus qu'un pas par lequel la fraction bourgeoise qui s'imposa comme solution finale se retrouve suffisamment forte pour déclarer sérieusement qu'à partir de ce moment là, on réprime aussi le reste de la bourgeoisie. C'est pour cette raison que le Chili est l'unique cas, dans lequel on peut faire croire que la répression généralisée fût destinée en même temps à l'UP et aux ouvriers, que selon cette version dominante ils défendraient le gouvernement (celui-ci est le même élément qui donne une importance vitale à "l'Exil antifasciste espagnol"). C'est pour cela que l'Exil chilien a eu plus facile pour s'imposer, pour faire avaler la politique réactionnaire de l'UP comme un problème d'"erreurs du Gouvernement Populaire", pour convaincre les ouvriers de tous les pays du monde que c'est en se solidarisant avec l'UP qu'ils se solidarisent avec leurs frères de classe. Par contre dans les cas argentin et uruguayen, la bourgeoisie d'opposition a du faire beaucoup plus de cabrioles pour effacer l'expérience directe des ouvriers: quand eux se trouvaient confortablement assis aux parlements (et qu'ils votaient en faveur ou contre la législation répressive de l'Etat de siège, de l'Etat de guerre) ou dans leurs syndicats légaux, et même parfois, comme dans le cas du péronisme, au gouvernement; le sang ouvrier et de franges de la petite bourgeoisie inondait les rues, la prison et la torture frappaient plusieurs dizaines de milliers de militants, qui avec des positions très différentes et parfois des illusions, risquaient leur vie contre l'unique politique bourgeoise qui était possible dans ces circonstances.

Cela explique pourquoi la conspiration du silence fut si puissante pendant la première phase de répression ouverte en Argentine et en Uruguay; et que jusqu'aux fameux coups d'Etat (qui du point de vue de la répression contre le prolétariat n'ont rien changé) c'était un délit de parler dans l'Exil d'une répression qui ne fut pas chilienne. C'est seulement après ces coups d'Etat que les dénonciations sont admises, que la presse internationale remplit ses pages de lamentations sur les morts, les disparus et les emprisonnés; avec quelques exceptions marquées par les intérêts impérialistes (la Russie et ses alliés), pour lesquels en Argentine il n'y a toujours pas de répression. Cela explique aussi pourquoi entre ces trois Exils, le chilien a été le père (il faut tenir compte qu'en fin '73 l'exil chilien n'était pas plus massif que celui d'Uruguay!) qui adopta et prit des fils aux deux autres, les obligeant à se corrompre sous son ombre, à les seconder dans leurs manoeuvres, à l'imiter dans ses méthodes, à lui lécher les bottes pour partager avec lui les excellentes relations avec toutes les institutions et partis qui s'occupent de l'Exil.

L'extension de la contre-révolution: les services proposés par l'Exil organisé

Considérant maintenant les trois Exils du Cône sud et sans oublier que le chilien est le père des deux autres, nous pouvons affirmer que dans aucun autre cas au monde on ne brasse autant d'argent provenant de tous côtés (13) (du "socialisme" ou du "capitalisme, de la social-démocratie, des PC, de la démocratie chrétienne, de la "droite", de la "gauche") pour la résistance, ce qui contraste avec le fait que jamais il n'y eut besoin d'une telle "résistance", et que dans aucun cas on ne trafique autant avec les promesses de partis révolutionnaires; il n'y a pas d'autre exemple au monde où il y a autant de professionnels de l'exil, parcourant la planète en faisant des conférences de presse et des discours dans les partis et syndicats, avec comme base l'affaire de la résistance supposée.

Si le commerce entre exilés organisateurs de l'Exil et ceux partisans d'un telle institution qui accueille les exilés, est dans ce cas si prospère, plus même que dans le passé, ce n'est pas par hasard (c'est une des rare chose prospère sur la planète). Dans les principaux exemples du passé d'Exils organisés massifs que nous avons vu dans le texte, on était devant la phase ultime d'une situation de consolidation de la contre-révolution dans le monde entier, aujourd'hui les bourgeoisies des pays qui accueillent des exilés s'affrontent à un prolétariat qui a tenté d'être et sera chaque fois plus actif malgré ses disparités régionales. Pour cette raison l'Exil organisé d'aujourd'hui, en particulier celui du Cône sud, en plus d'accomplir la fonction classique à l'égard de sa propre patrie, essaye d'accomplir déjà non pas comme fonction secondaire, mais bien comme fonction principale une fonction d'extension de la contre-révolution.

Ce n'est pas non plus une originalité de celui-ci; comme nous l'avons dit l'Exil espagnol et italien antifasciste furent des spécialistes en cela. On comprendra que le discours antifasciste fait par les gouvernements du moment en France, en Russie ou en Hollande n'était pas le même que celui fait par quelqu'un qui "venait du front contre le Franquisme" ou par quelqu'un présenté (que cela soit vrai ou non) comme "récemment échappé des griffes du fascisme italien". Cette deuxième alternative était objectivement plus convaincante et était aussi plus facilement présentée comme "révolutionnaire". C'est pour cela que ces Exils trouvèrent les bras, les portefeuilles, et aussi les tribunes ouvertes; c'est pour cela que la presse de l'époque publiait si ouvertement dans ses pages les apports des "communistes" et "anarchistes" antifascistes. L'Exil organisé par la démocratie et l'humanisme pouvait facilement contribuer à étendre et stabiliser la contre-révolution. Ce qui a changé aujourd'hui, c'est que nous ne sommes pas face à l'approfondissement général de la contre-révolution dans le monde; mais au contraire dans un processus lent et géographiquement inégal du début de la fin de la contre-révolution la plus longue et la plus profonde de toute l'histoire du prolétariat, même si elle impose une stabilité de la situation contre-révolutionnaire à moyen terme dans les régions de la planète où le prolétariat a subi de grandes défaites.

L'Exil chilien, argentin et uruguayen a fait tout ce qui était possible de faire pour étendre la contre-révolution, c'est pour cela qu'il a autant d'audience. Le mythe de la défense nationale contre le fascisme prend moins aujourd'hui (au sein d'un prolétariat qui est en train de démontrer dans le monde qu'il n'acceptera pas le sacrifice national), mais cela n'enlève pas son danger, obligeant les militants révolutionnaires à continuer à l'affronter (pas uniquement comme dans le passé, mais mieux que dans le passé); de la même manière le fait que l'Exil organisé ait eu moins de succès dans cette fonction, et que même il se soit usé très rapidement, n'implique pas qu'il ait perdu son efficacité et que nous ne devrions pas continuer à le dénoncer. Nombreux sont ceux qui considèrent que ces exils ont déjà dépassé leur apogée institutionnelle, qu'ils ne font plus chier personne, que les ouvriers de tous les pays d'accueil sont déjà vaccinés contre lui. Evidemment il peut ou non en être ainsi; tout dépend de la corrélation des forces futures entre internationalisme prolétarien et démocratisme. L'avancée du prolétariat dans le monde détruira l'Exil organisé du Cône sud, le laissant sans clientèle, entraînant les ouvriers argentins, uruguayens et chiliens à la lutte et nous pouvons même supposer qu'une partie d'entre-eux retrouvera sa mémoire de classe, sa propre expérience directe, contribuant ainsi à la lutte générale du prolétariat. Nous ne doutons pas que tous les appareils qu'ont développé les bourgeoisies donnant l'asile et les bourgeois qui dominent l'Exil organisé, n'ont pas été construits sans aucun objectif, au contraire ils jouent aujourd'hui un rôle et tenteront de le développer demain essayant de mettre les ouvriers des pays d'accueil au service de la démocratie.

Si nous voulions énumérer la liste des mérites acquis par l'Exil du Cône sud au service de toutes les bourgeoisies d'accueil dans les cinq continents, il faudrait pour cela beaucoup de numéros de notre revue. Disons simplement que la totalité des expressions de l'Exil organisé tente d'expliquer aux ouvriers des pays d'accueil les raisons pour lesquelles il faut beaucoup travailler, défendre le gouvernement démocratique ou son opposition socialiste, ou vice-versa; et surtout, pourquoi dans ces pays une révolution ne se justifie pas et encore moins la violence etc. L'histoire est toujours la même (identique à celle déjà expliquée pour l'Exil espagnol) mais elle s'adapte habilement selon les nécessités de la bourgeoisie qui accueille. Dans certains pays l'Exil est directement officiel et appelle à "travailler beaucoup et à appuyer le Socialisme" (pays de l'Est, Cuba, etc.) ou à défendre les gouvernements et parlements qui "défendent les droits de l'homme et la démocratie" (Venezuela, Mexique, etc.) et dans la majorité des pays l'Exil organisé se répartit entre le gouvernement et les Partis et Syndicats qui constituent l'opposition loyale (toute l'Europe occidentale, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les autres pays d'Amérique latine), mais dans tous les cas il s'agit de convaincre les ouvriers que pour être solidaires il ne faut pas se battre contre la bourgeoisie, étant donné que là où il faut faire la révolution c'est "là-bas très loin", ce qui est important ici c'est de convaincre "son" gouvernement, "ses" syndicats, "ses" partis d'envoyer quelques télégrammes, de faire quelques dénonciations dans n'importe quel forum international pour ne pas acheter au Chili, pour obtenir parlementairement qu'on ne vende pas d'armes à l'Argentine, etc. La fonction de l'Exil est toujours de lier les ouvriers aux partis, syndicats et autres institutions du capitalisme avec le conte de fée de la "solidarité". Vous vous considérez bien servis Messieurs les "accueillants"? NON parfois ils demandent plus, quand il faut réprimer, développer démocratiquement la campagne terroriste de l'Etat au nom de l'"antiterrorisme", ils recourent aux "Guérilleros". Rien de mieux qu'un "terroriste" Tupamaro ou Montonero pour légitimer le terrorisme de l'Etat en justifiant la campagne antiterroriste, pour qu'ils expliquent aux ouvriers européens qu'en Europe la terreur ouvrière ne se justifie pas puisqu'il existe des moyens démocratiques, rien de mieux encore que n'importe quel guévariste vêtu d'un béret de commandant pour expliquer que si la lutte en est bien une, les méthodes sont différentes: "en Amérique latine il faut faire la guérilla, en Europe voter pour Mitterrand, Felipe Gonzalez ou Carrilo". Et si cela ne les touche pas encore ils sont capables de dénoncer les ouvriers qui sabotent la production ou qui conspirent, ces exilés qui ne sont "pas reconnaissants envers les gouvernements qui ont eu la gentillesse de leur accorder l'asile", refusent de rendre hommage aux Fronts Populaires du passé, à Blum ou à Companys, de participer aux funèbres défilés folkloriques des premiers mai qu'organisent les partis et syndicats du régime, etc. La complémentarité est totale, les partis et syndicats qui accueillent à leur tour, envoient leurs militants pour réaliser des séjours d'apprentissage et de collaboration dans les Comités d'Exilés et ceux-ci secourent ceux-là à chaque fois qu'il est nécessaire de demander, au nom de la "Révolution" "là-bas au loin" l'adhésion ici et maintenant au syndicat, au parti, au parlement, au gouvernement.

Qui oserait affirmer que "les Grands Hommes de l'Emigration" ne serviront pas demain pour enrôler les ouvriers au nom du socialisme dans la Guerre impérialiste, ou/et de l'anti-impérialisme, ou/et des droits de l'homme, ou/et du fascisme! Là où aujourd'hui c'est déjà nécessaire, dans les zones impérialistes des deux blocs (par ex. en Israël et à Cuba) cela se fait déjà!

Anti-Exil et action communiste

Du côté de la contre-révolution on n'a rien inventé, du côté de la révolution rien n'a changé non plus, les tâches communistes sont celles de toujours, celles que réalisa le groupe de Marx dans l'exil, celles que réalisa la fraction communiste italienne dans des circonstances similaires. Mais aujourd'hui la situation est autre, la possibilité d'action dans n'importe quel pays où l'on a dû vivre l'exil est grande, s'organiser par dessus les frontières est à nouveau ressenti comme une nécessité par le prolétariat du monde entier, la gigantesque force du prolétariat mondial n'a pas été liquidée comme avant la seconde guerre mondiale. Dans cette force se trouve l'unique solution pour toute l'humanité à la situation actuelle. Dans ces zones où la situation de défaite du prolétariat est la plus catastrophique de toute son histoire, on pourra renverser la situation seulement et seulement si dans d'autres zones le prolétariat passe à l'offensive de classe, en dehors de toute considération entre exilé ou non exilé avec laquelle ils essayent de nous diviser. Nous devons agir de manière autonome et décidée et jamais en nous joignant au corbillard de l'Exil organisé. Les tâches dans le camp prolétarien dans son affrontement à la bourgeoisie de tous les pays, à toutes ses manoeuvres et ses tactiques sont énormes. Elles ne permettent de repos à aucun militant ouvrier qui comprend la gravité de la situation actuelle où la bourgeoisie essaye de battre le prolétariat paquets par paquets avec les Exils organisés, les partis, les Syndicats, les Armées, les Parlements, les Eglises, les pacifistes, les droits de l'homme et le reste de son arsenal; pour l'amener à la barbarie de la Troisième Guerre Mondiale qu'elle prépare aujourd'hui. Contre cela il est nécessaire aujourd'hui comme hier d'expliquer le passé, de reconstituer l'histoire de notre classe que nous connaissons à peine (pratiquement rien en Amérique latine, en Afrique et en Asie), de reconstituer le programme de la révolution communiste tellement falsifié et méconnu, d'attaquer chaque mythe de la bourgeoisie, de reforger l'ensemble des armes théorico-pratiques de la révolution, de se préparer à saboter toute économie nationale, de saboter la production dans tous les pays (production qui est déjà production pour l'Economie de guerre), d'utiliser l'action directe, la grève contre la bourgeoisie de chaque pays, de se solidariser avec tous ceux qui aujourd'hui refusent de supporter l'austérité réclamée par tous les Etats, Partis et Syndicats dans le monde.

Aujourd'hui quelques personnages mineurs du régime d'Allende rentrent au Chili et ne sont pas réprimés; la bureaucratie syndicale en Argentine n'a jamais été réprimée et aujourd'hui elle réoccupe le premier plan et les premières places dans ce pays. Que cela ne nous étonne pas. Demain elle pourra occuper la fonction d'un des Grands Exils organisés, comme ceux auxquels nous avons consacrés cet article; cependant l'essence de l'Exil organisé n'aura pas varié et ils seront remplacés par d'autres qui utiliseront les mêmes méthodes, qui réaliseront la même politique contre-révolutionnaire. Comme le lecteur comprendra toutes ne sont pas désavantageuses, quand on n'a pas la possibilité de signer un texte, une publication, d'attaquer l'un ou l'autre personnage, l'un ou l'autre parti de la démocratie bourgeoise. Comme beaucoup d'autres textes surgis de la nécessité générale de la classe, ce texte ne perdra pas de force.

Les phrases glorieuses qui résument le Manifeste du Parti Communiste de 1848 n'ont rien perdu non plus et aujourd'hui nous les reprenons pour réaffirmer contre tout le courant dans le monde entier (y compris dans l'exil):

"En somme, les communistes appuient dans tous les pays tout mouvement révolutionnaire contre l'ordre social et politique existant. (...)

Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Puissent les classes dirigeantes trembler à l'idée d'une révolution communiste! Les prolétaires n'ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner.

PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !"

Notes :

1. Les fêtes de clôture n'ont cependant pas manqués. Les grands démocrates brésiliens, argentins, uruguayens ont organisé de belles soirées mondaines dans toutes les grandes villes (Paris, Madrid, Moscou, Bruxelles,...) pour remercier leurs pairs.

2. Le lecteur verra en lisant le texte que nous ne respectons pas les règles grammaticales et que nous mettons une majuscule à "Exil" chaque fois que l'on se réfère à celui-ci en tant qu'Institution, par opposition aux exilés et aux ouvriers en exil.

3. Quant aux réformes du capitalisme réalisées dans les dits "pays socialistes", il est clair qu'elles ne constituent sous aucun aspect une exception parce que comme partout ailleurs, les exilés des pays de l'Est ne sont, ni n'ont été des démocrates bourgeois, mais sont aussi des ouvriers et des militants révolutionnaires qui ont échappé à la brutale élimination physique stalinienne et post-stalinienne. Parce que par exemple à la fin de la seconde guerre mondiale dans les territoires "libérés-occupés" par le stalinisme, en plus du critère politique d'adhésion au régime, on sélectionna la main-d'oeuvre la plus apte pour valoriser le capital, expulsant sur base d'un ensemble de critères tous "très socialistes" ceux qui étaient trop âgés pour le travail, les invalides (souvent produits du séjour dans les camps de concentration, etc.). Parce que l'unique "subtilité" du capital dans les pays de l'Est aujourd'hui pour "éliminer le chômage" c'est d'obliger au travail une immense masse de chômeurs et d'empêcher la sortie du pays pour chercher du travail ailleurs! Parce que n'importe quel pays capitaliste qui paye un "salaire de chômage" ou une "indemnité de chômage" peut à un moment essayer de faire travailler les inactifs pour ce même "salaire". Seule la contre-révolution peut affirmer qu'aujourd'hui les pays de l'Est ont supprimé le chômage par le fait qu'on donne à chaque chômeur soit l'uniforme de portier, de flic, de chargé des vestiaires, de gardien de musée, de gardien d'usine, de contrôleur ou de contrôleur de contrôleur de contrôleur!!! Et enfin parce que les pays qui sont dits socialistes par la bourgeoisie du monde entier n'ont pas été étrangers au commerce de l'exportation de la force de travail excédentaire. La Chine nous en a donné un exemple en vendant 400.000 ouvriers aux entreprises italiennes.

4. Nous ne prétendons absolument pas considérer que les luttes ouvrières qui précèdent la situation dans les différentes circonstances auxquelles nous nous référons puissent être placées sur un même pied d'importance dans leur aspect fondamental: autonomie et organisation de la classe ouvrière.

5. Nous ne pouvons ici considérer l'ensemble des variantes et combinaisons avec lesquels dans chaque cas la bourgeoisie a liquidé la situation de crise, mais nous devons voir clairement que cela s'acheva toujours en persécutant aussi des secteurs bourgeois. Il existe deux solutions bourgeoises classiques, type (A et B) qui dans la pratique se combinent.

A/ Première phase; unification ouverte de toute la bourgeoisie pour la répression physico-idéologique du prolétariat (correspond aux niveaux les plus hauts de l'autonomie du prolétariat). Par après, phases successives où, en même temps que l'enterrement du prolétariat dans le fond de la scène sociale et l'inévitable revitalisation des antagonismes interbourgeois, on va réprimer successivement les différentes fractions bourgeoises de "gauche à droite" (pour le dire d'une certaine manière) jusqu'à englober la quasi totalité des représentants politiques de la bourgeoisie.

B/ Première phase; attaque de la bourgeoisie sur deux fronts non unifiés: un ouvertement "de droite" et l'autre "de gauche" (dans cette phase à prédominance idéologique) caché au nom de la lutte contre "la droite". Deuxième phase; toujours au nom de l'unité dans la lutte contre la droite, la bourgeoisie "de gauche" réprime dans le sang les secteurs intransigeants du prolétariat. L'affrontement caché par l'idéologie se dévoile, se révélant aussi comme fondamentale et est solutionné par la force. Troisième phase; la liquidation physique des secteurs du prolétariat qui assument ouvertement l'autonomie de leur classe marque un saut qualitatif dans la liquidation de toute tentative de lutte autonome, soumettant lentement les ouvriers à la défense de l'un ou l'autre camp bourgeois, jusqu'à la repolarisation totale de la société entre camps bourgeois: les ouvriers servent alors de chair à canon dans la lutte inter-bourgeoise-impérialiste exacerbée. Quatrième phase; triomphe de l'un des camps bourgeois, persécution de tous ceux qui soutenaient l'autre camp sans distinction d'origine.

6. Il est clair que les difficultés qu'ont les ouvriers pour abandonner le pays sont infiniment plus grandes parce que dans beaucoup de cas ils n'ont pas les moyens économiques pour cela et dans d'autres cas il se retrouvent avec des milliers d'entraves institutionnelles (visa, passeport, etc.). Ceci s'aggrave quand l'Exil est bien armé et que déjà les partis bourgeois d'opposition organisent un fichier quasi policier pour déterminer qui mérite (selon eux) d'être appuyé, et qui ne le mérite pas, à qui on octroie le visa et à qui on ne l'octroie pas.

7. Comme par rapport aux tenants de la "démocratie ouvrière" dernier rempart contre-révolutionnaire. Sur cette question lire notre texte "Communisme contre démocratie" dans Le Communiste No.19.

8. Que cela soit bien clair, pour nous sont militants communistes, non ceux qui s'auto-proclament communistes, ou le personnel de tel ou tel parti formel se nommant "communiste", mais ceux dont l'action est invariablement destinée à préserver et organiser le prolétariat comme classe indépendamment de leur appellation; ceux qui même dans les moments de contre-révolution les plus terribles sont, non par un titre mais par la pratique, l'expression matérielle du prolétariat comme classe révolutionnaire. Même dans les pires moments de destruction physique et organique de la classe, le prolétariat a manifesté et toujours maintenu son essence révolutionnaire dans des groupes ou des éléments isolés qui permettent et luttent pour leur reconstitution comme classe, comme parti: ceux-là sont les militants communistes.

9. En accord avec ce que nous avons dit dans la note précédente.

10. Comme nous l'avons dit, sont communistes ces secteurs qui en assumant les intérêts généraux du prolétariat, expriment les formes les plus élevées d'autonomie organisative révolutionnaire de leur classe. Ils sont nombreux ceux qui, en cette époque s'appelant anarchistes révolutionnaires par opposition à ce que l'opportunisme faisait apparaître comme marxiste (Bernstein, Hilferding, Kautsky, etc.), réalisant une critique révolutionnaire de la pratique contre-révolutionnaire de la social-démocratie: parlementarisme, syndicalisme, productivisme, réformisme, progressisme, etc.; et même de l'anarchisme tout court. Nous avons de très grandes divergences avec les arguments de cette critique, puisqu'elle n'a pas comme point de départ une compréhension matérialiste du capitalisme et de sa nécessaire abolition. Cependant à cette époque, où "l'orthodoxie marxiste" était le meilleur agent de la contre-révolution, il ne faut pas nous étonner que des expressions révolutionnaires du prolétariat se réfugièrent dans une partie de ce que l'on appela "anarchisme révolutionnaire" et eurent dans les faits une fonction importante à la tête du prolétariat dans sa critique communiste du capitalisme et de ses agents social-démocrates.

11. L'inverse n'est pas vrai: ce n'est pas à chaque fois qu'il se passe une importante lutte révolutionnaire du prolétariat, que l'Exil est important, pour la simple raison que très souvent l'exil ouvrier dans la pratique est impossible.

12. Il y a toujours des "exceptions", c'est-à-dire des fractions qui ont comme unique solution, contre l'autonomie du prolétariat, le sang généralisé (étant incapable de comprendre que dans certaines circonstances ce mécanisme pur est insuffisant) et qu'en plus partant d'une exacerbation telle de leurs intérêts particuliers de fraction ils sont incapables de se dissoudre dans les intérêts généraux de leur classe: ces fractions du capital sont acharnées à l'encontre des populistes. Quand "el Pinochetazo" devint une nécessité beaucoup plus générale pour la bourgeoisie (complément du populisme) cette dernière fraction fut à l'avant-garde du coup d'Etat. Cela explique le fait que quelques fractions de la bourgeoisie ont refusé l'accueil des professionnels du populisme: de nombreux Etats sud-américains, une partie de la propre bourgeoisie nord-américaine, l'Etat chinois, etc., toutes ouvertement pro-pinochet. Mais ces éléments sont relativement accessoires, par rapport à la politique générale de la bourgeoisie internationale vue dans son ensemble.

13. Comme nous l'avons déjà dit il y a certains cas que nous avons différenciés, où la bourgeoisie d'un ou de divers pays, et parfois d'un bloc impérialiste entier, finance par tous les moyens l'organisation d'une Armée de libération nationale en Exil, afin de défendre ses intérêts impérialistes. Ceci s'explique de lui-même, comme faisant partie de la lutte inter-impérialiste et l'élément fondamental n'est pas la possibilité d'utiliser l'Exil organisé pour maintenir l'ordre bourgeois dans le pays accueillant les exilés, qui comme nous le verrons est maintenant l'explication fondamentale du grand commerce entre l'Exil chilien-argentin-uruguayen et les bourgeoisies accueillants les exilés.

Le Communiste No.25