Quelques aspects de la question du logement

(1ère partie)

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Introduction

Les milliers de maisons en ruines de la périphérie de Londres, les favelas d'Amérique latine, les bidons-villes d'Afrique et d'Asie, les deux millions de prolétaires contraints de dormir tous les soirs sur les trottoirs de Bombay, les taudis du Bronx, d'Harlem et de Naples où les prolétaires crèvent de froid et de faim, les camps de réfugiés et autres boat-peoples (cambodgiens au Laos, palestiniens au Liban, haïtiens aux USA), ces exemples montrent que les conditions de vie des prolétaires et notamment leurs conditions de logement, sont pires que tout ce que l'humanité a connu jusqu'ici. Jamais une classe exploitée n'a dû vivre dans des cimetières, sur des dépôts d'ordures, entassée dans des HLM pourris, "protégée" dans des maisons en ruines, parquée dans des assemblages de cartons et de tôles qui s'effondrent sur leurs occupants à la première pluie un peu violente. Jamais les êtres humains n'ont dû s'entasser à six ou sept et parfois plus dans une chambre, jamais des lits (les "toujours chauds") n'avaient vu leurs occupants se succéder au rythme de la production, au rythme des "trois fois huit". Ce sont là les "bienfaits" du progrès capitaliste!

A cette situation permanente qui ne cesse de s'aggraver depuis l'apparition du capitalisme s'ajoute aujourd'hui la rapide et profonde dégradation de nos conditions de vie que nous impose, partout dans le monde, le capital, pour tenter de pallier aux effets de sa crise catastrophique. Cela s'exprime notamment par une dégradation très rapide des conditions de logement. Celle-ci provient de l'augmentation des loyers et des charges qui poussent les prolétaires à quitter leurs logements pour d'autres encore plus petits, encore moins confortables, de la diminution, de l'arrêt de la construction de logements ouvriers obligeant ceux-ci à se rabattre sur des logements chers et vétustes, de l'arrêt des investissements dans les logements ouvriers déjà existant qui provoque une rapide détérioration de ces logements, enfin, de la paupérisation relative et absolue qui touche sans cesse plus le prolétariat, par la baisse des salaires relatifs, réels et nominaux et par la mise en chômage, ce qui oblige encore une fois les prolétaires à abandonner leurs anciens logements pour d'autres évidemment pires.

A tout cela, le prolétariat répond de plus en plus massivement par sa lutte autonome: pendant cinq ans, un nombre important de prolétaires émigrés entassés dans les foyers Sonacotra en France ont fait la grève des loyers, des occupations illégales de logements ont eu lieu partout dans le monde: en Italie, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne mais aussi, et dans des proportions beaucoup plus grandes, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. La seule ville de Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie compte 40.000 "squatters". La situation est tellement grave qu'il s'agit parfois non pas de se battre pour occuper des maisons vides, mais de se battre pour occuper des terrains vides et pour y construire des "habitats spontanés" (expression employée par les crapules des Nations Unies pour désigner les bidons-villes dans lesquels ils contraignent nos frères de classe à survivre, tout en se lamentant sur les "excès" du capitalisme). Ces terrains occupés sont bien souvent des terrains déclarés inaptes à la construction: les décharges publiques, les cimetières (celui du Caire "abrite" plusieurs dizaines de milliers de personnes), les trottoirs enfin, cas courant en Afrique, des zones inaptes à toute construction spécifique parce que régulièrement inondées. A Lima, la moitié de la population est contrainte d'habiter dans des zones inhabitables.

Si aujourd'hui les occupations se développent, cette forme de lutte n'est cependant pas nouvelle. Si l'occupation de l'école Smolny par les bolchéviks reste un exemple célèbre de l'emploi, par la classe ouvrière, des immeubles destinés à la bourgeoisie, les occupations des maisons bourgeoises par notre classe connurent un essor important juste après octobre 1917 avant d'être réprimées par les bolchéviks. Ce sont notamment les anarchistes qui impulsèrent ces mouvements. Ainsi en 1917, à Cronstadt, un décret sur la socialisation des maisons organisait l'occupation des appartements des bourgeois avec des quotas d'habitants par pièce (le vote de ce décret valut d'ailleurs l'exclusion, pour "anarcho-syndicalisme", d'une partie de la section bolchévik de Cronstadt). Ce mouvement correspondait pourtant pleinement à l'orientation que s'étaient donnée les bolchéviks.

"Nous vous prions instamment de nous faire savoir les mesures que vous avez prises pour lutter contre les bourreaux bourgeois que sont Scheideman et Cie (...) si vous avez armé les ouvriers et désarmé les bourgeois (...) si vous avez tassé la bourgeoisie à Munich pour installer les ouvriers dans les appartements riches (...)"

(Salut à la République soviétique de Bavière - Lénine - avril 1919)

Il serait faux de réduire les crises du logement, les problèmes de logement, au capitalisme, ceux-ci ne lui sont pas propres mais sont caractéristiques de toutes les sociétés de classes; le capital, lui, les a généralisés à l'ensemble de la planète et les a exacerbés dans des proportions inimaginables auparavant. Dans ce texte, nous allons tenter d'expliquer comment le capital a produit la situation actuelle, comment le réformisme voudrait, s'il pouvait concrétiser ses idéaux (qui servent surtout à amener le prolétariat dans le marais puant de la contre-révolution), résoudre cette question, comment le prolétariat, par sa lutte autonome, répond aux conditions de logement qui lui sont faites (comme à toute aggravation de ses conditions d'existence), quels dangers particuliers menacent cette lutte spécifique et, dans les grandes lignes, comment le prolétariat victorieux résoudra ce problème.

1. Différents modes de production, différents mode de logement

1.1. La fin de la communauté humaine: apparition des classes, apparition des villes

Le logement est, comme l'ensemble des manifestations de la vie de l'homme, politique, social, déterminé, en dernière instance, par le stade de développement des forces productives, par le mode de production. C'est ainsi que de la "grande" ou "longue" maison qui protégeait l'ensemble du clan dans les sociétés basées sur l'économie communiste (stades postérieurs au communisme primitif, où existent déjà certaines formes de famille et d'agriculture) à la maison "unifamiliale", idéal du capitalisme, existe tout un cycle qui n'est autre que celui de la valeur.

Au début de la préhistoire de l'humanité, les villages, les campements nomades "avaient pour seul principe d'unification, dans le cadre du communisme primitif, les exigences de la défense contre tous les dangers extérieurs (bêtes féroces, peuples ennemis, pillards, phénomènes naturels, etc.) qui auraient empêché une forme d'habitat plus dispersé" (Bordiga - Espèce humaine et croûte terrestre).

Le communisme primitif se distingue par l'absence de séparations dans la société, absence de séparations entre les membres puisqu'il s'agit d'une communauté humaine, mais aussi entre travail et loisirs, entre la ville et la campagne. Le groupe est obligé d'auto limiter vers le haut comme vers le bas, son nombre; trop peu nombreux il ne pourrait survivre aux dangers extérieurs, trop nombreux il ne parviendrait pas à survivre. En effet, les sociétés primitives vivant de cueillette et de ramassage ont besoin d'espaces considérables où se déplacer en quête de nourriture pour satisfaire leurs besoins vu la faible productivité du sol dans ce mode de production. Ces sociétés ont donc besoin de limiter leur nombre mais aussi d'un grand espace de vie qui leur permette de produire tout ce qui leur est nécessaire (la notion de strict nécessaire changeant selon les sociétés) en relativement peu de temps. Les hommes de ces sociétés ont besoin de peu d'objets puisque leurs vie est pleinement humaine, d'autre part, ces objets entraveraient leurs déplacements qui constituent un élément primordial de leur mode de production. Leur déplacement continuel fait que leurs habitations sont momentanées mais tout à fait satisfaisantes puisque correspondantes au climat et au mode de production et puisque la perte d'objet dans le travail qui nécessite une accumulation d'objets n'existe pas encore.

"Mais lorsque surgit la division de la société en classes, liée à l'activité productrice et sociale et avec elle une organisation de pouvoir, on assiste alors à la "fondation" des villes: ce n'est pas pour rien que "polis" signifie à la fois cité et Etat."

(Bordiga - Espèce humaine et croûte terrestre)

Cependant, très longtemps, les villes restent peu nombreuses et peu habitées; elles gardent par conséquent, un caractère marginal par rapport à l'ensemble des habitations. Cela s'explique par la très faible productivité du travail de la terre qui exige qu'à chaque concentration humaine, qu'à chaque ville, corresponde un très important territoire cultivé sur lequel doivent travailler, et donc vivre, un très grand nombre de "cultivateurs", les esclaves puis les serfs. Les villes de l'antiquité dont la taille est d'ailleurs très relative, restent toujours des excroissances du mode de production, soumises (bien que l'organisant et la dirigeant) à la production principale: la production agricole qui reste, de loin, la production essentielle.

Les principales raisons de création des villes sont le commerce naissant, prenant de l'importance tout au long de l'antiquité, et la nécessité de créer des centres de décision économique, et, surtout, des centres de concentration et de décision militaires. La guerre est en effet, déjà, une partie intégrante du mode de production esclavagiste. L'impérialisme n'est pas propre au seul capitalisme bien que celui-ci lui ait donné une ampleur inconnue dans tout le reste de l'histoire, faisant payer chaque conquête impérialiste d'un flot monstrueux et incomparable de sang ouvrier.

"Ainsi donc, les difficultés que rencontre la communauté ne peuvent provenir que d'autres communautés, soit que celles-ci occupent déjà les terres, soit qu'elles troublent l'occupation du sol par la communauté. La guerre est donc la grande tâche collective, le grand travail commun exigé soit pour s'emparer des conditions matérielles d'existence, soit pour défendre et perpétuer l'occupation."

(Le fil du temps - Succession des formes de production et de sociétés dans la théorie marxiste)

Ces deux éléments: organisation de la production et défense ou conquête de territoires pour la production (qui n'est qu'un élément particulier du premier) font que la forme antique classique "suppose aussi la ville comme centre déjà constitué des gens de la campagne (des propriétaires fonciers qui en fait dominent ici aussi l'ensemble des rapports sociaux)" (Ibid).

De plus, on ne peut pas séparer les créations des villes et des armées de la nécessité qui se fait de plus en plus sentir, de réprimer les mouvements de lutte des classes exploitées. Au fur et à mesure du développement du mode de production, le nombre d'esclaves s'est accru, notamment avec la transformation des villages en villes, des cultivateurs en propriétaires fonciers et avec le développement des guerres. Les propriétaires fonciers qui vivent en ville possèdent en effet un grand nombre d'esclaves pour cultiver leurs champs. Cet esclavage a été permis par la domestication du bétail qui procure à la fois un net surcroît de richesse, de nourriture et de travail, les prisonniers de guerre, plutôt que d'être adoptés ou tués, étant chargés du surcroît de travail contre une infime partie de ce surcroît de richesse qu'ils reproduisent. La guerre va permettre cela non seulement parce qu'elle permet de faire des prisonniers chez l'ennemi, mais aussi parce qu'en empêchant les petits cultivateurs de labourer, ensemencer et récolter, elle les ruine. Dans un premier temps, ceux-ci sont contraints de vendre leurs enfants qui deviennent esclaves; dans un second temps, ils sont contraints de vendre leurs terrains, ils perdent de cette façon leur citoyenneté et deviennent donc eux-mêmes esclaves. Tous ces esclaves vont bien souvent se révolter contre l'inexorable mouvement --cycle de la valeur-- qui éloigne sans cesse l'homme de la communauté humaine et ce, jusqu'à ce que ce même cycle amène le capitalisme et avec lui la transformation de l'utopie du retour à la communauté humaine primitive, en la réalité du communisme intégral qui sera imposée par le prolétariat.

Les luttes des esclaves, bien que se déroulant contre leurs exploiteurs, se situant, grâce à ce caractère, du même côté que la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, dans la lutte qui divise l'humanité depuis l'apparition des classes sociales, étaient réactionnaires parce que voulant retourner en arrière vers l'ancienne communauté humaine dissoute. Elles étaient donc communistes mais "négativement" et à ce titre, vouées à l'échec parce que, comme le disait Marx: "La roue de l'histoire ne peut tourner à l'envers. Le prolétariat quant à lui, première classe exploitée et révolutionnaire, c'est-à-dire ayant un projet social pour le futur de l'humanité, est "positivement" communiste".

Ce qui différencie totalement les villes de l'antiquité des villes du capitalisme et déjà des villes du moyen-âge et de la féodalité, est que "en se concentrant dans la ville, centre directeur de la vie rurale, résidence du travailleur agricole et centre directeur de la guerre, l'existence de la commune en tant que telle, s'orienta vers l'extérieur et se distingua de l'existence des individus. C'est ainsi que l'histoire de l'antiquité classique est l'histoire des villes, mais des villes fondées sur la propriété foncière et l'agriculture. Ce sont des villes ruralisées qui constituent l'assise de l'organisation étatique devenue ainsi autonome et permanente dans les villes" (Le fil du temps).

Les premières villes expriment donc (de façon moins monstrueuse que ce que le capitalisme en fera plus tard) la fin de la communauté humaine, la séparation de la société en classes antagoniques qui produit nécessairement la séparation entre la ville et la campagne.

Ce mouvement de séparation/opposition de la ville et de la campagne va se développer et faire que les villes vont perdre ce caractère "ruralisé" parce que les particularités des villes, les particularités du rôle des villes dans la production, ne vont cesser de se développer. Parmi ces particularités, il faut noter le caractère étatique, centralisateur, l'organisation en force de la classe dominante, et surtout le commerce. En Europe, région sur laquelle nous possédons le plus de renseignements, la société antique se transforme en société féodale, les grands propriétaires terriens en seigneurs, les fermes fortifiées en châteaux et les esclaves en serfs.

Le commerce qui fut un élément de dissolution de la communauté de base, qui a poussé à la transformation de la production pour la satisfaction des besoins, pour l'usage, en production pour l'échange, entamant ainsi le cycle de la valeur, va maintenant s'attaquer aux sociétés féodales, asiatiques,... en fait à toutes les sociétés existant au moment du développement du capitalisme.

1.2. Apparition du capitalisme: des villes en dehors et contre les vieux modes de production

Les villes, déjà plus nombreuses, de l'époque de la féodalité, seront pratiquement toutes des villes commerçantes. Sous l'action de la bourgeoisie naissante, elles apparaissent d'emblée en dehors et contre les vieux modes de production. Ces villes que la bourgeoisie se plaît à décrire sales, sinistres et dangereuses, en proie à tous les maux, aux incendies, épidémies,... (pour tenter de nous faire croire que le progrès serait autre chose que le progrès de l'exploitation), ces villes l'étaient effectivement, à l'image de la bourgeoisie qui les a créées. Mais bien loin de s'améliorer, les villes comme le reste des conditions de vie des prolétaires n'ont fait qu'empirer et ce contrairement à l'idéologie bourgeoisie qui parle des "merveilleux progrès de la civilisation". Loin de nous de vouloir idéaliser les sociétés de classes précapitalistes et même le communisme primitif (lequel était en proie à d'innombrables limites, à la domination de la nature, etc.). Toutes échappaient cependant à l'inhumain entassement devenu aujourd'hui le lot commun de l'énorme majorité des prolétaires, de pratiquement tous les prolétaires, et qui n'est source que de souffrance, de folie et de mort.

Les premières villes bourgeoises se développent toutes pour le commerce, elles se créent donc au croisement des chemins importants et/ou de canaux pour favoriser le commerce intérieur, et aux bords des mers où les ports apparaîtront pour favoriser le commerce international, intercontinental (cf. Venise, Amsterdam, Bruges,...). Ces villes se développeront donc en dehors de la féodalité et des autres modes de production existant à cette époque car ceux-ci n'avaient besoin que d'un commerce tout à fait limité, étant tous par nature, essentiellement autarciques. Les premières villes bourgeoises ne sont donc pas des villes ruralisées puisque c'est un autre mode de production, détruisant ceux qui y préexistaient, qui s'y développe.

Le capital, essentiellement commercial à cette époque, s'y développe rapidement, ce qui va permettre, à courte échéance, l'apparition du travail salarié, d'abord sous le rapport maître-compagnon-apprenti et ensuite, rapidement sous le rapport bourgeois-prolétaires. En effet, très rapidement, les compagnons ne seront plus appelés à devenir maîtres, mais bien à rester compagnons à vie pour le plus grand profit du maître qui tire de la plus-value d'abord du travail de un ou deux compagnons et apprentis, ensuite de dizaines de compagnons et apprentis. Partout où existent des villes, les anciens rapports sociaux se dissolvent sous les coups de boutoir de l'accumulation du capital et du développement des nouveaux rapports sociaux, du travail salarié se généralisant dans les manufactures. Autant les villes servaient à défendre et à organiser le mode de production antique, autant leur apparition massive conditionnée par le commerce va servir à ronger et dissoudre tous les modes de production antérieurs au développement du capital (tribal, patriarcal, féodal, etc.).

Une des caractéristiques fondamentales de cette période, est la mondialisation du commerce, l'unification du monde par le commerce, condition préalable à l'instauration du capitalisme comme mode de production. Par le commerce mondial, le capitalisme unifie et synthétise en les détruisant tous les modes de production précapitalistes qui coexistaient sur la terre, se succédant de manière diverse, à des rythmes divers selon les régions. L'absence du marché mondial permettait la coexistence de différents modes de production autonomes, sans contacts les uns avec les autres. En créant le marché mondial, le commerce a fait éclater tous les modes de production coexistant jusqu'alors et a permis l'imposition du capitalisme comme mode de production mondial (le capitalisme présupposant le marché mondial) unifiant l'histoire de toute l'espèce humaine, réduisant tous les antagonismes entre classes à l'antagonisme fondamental et identique à toute l'humanité, entre bourgeoisie et prolétariat, antagonisme qui nous mènera, sans autre étape que la dictature du prolétariat, au communisme intégral.

Nous ne nous trouvons donc pas devant une succession linéaire, graduelle, des modes de production qui devraient nécessairement s'enchaîner, mais bien devant un processus de coexistences et successions diverses de différents modes de production unifiés et synthétisés dans le mode de production capitaliste (1).

1.3. Le capitalisme: entassement des prolétaires dans les villes et les campagnes

Les modes de production précapitalistes imposaient des habitations tout à fait dispersées avec quelques rares villes centralisatrices dès qu'apparaissait la division de la société en classes sociales antagoniques. La faible productivité du travail imposait une dispersion très large des classes exploitées: nous allons voir maintenant par quel moyen le capital qui s'est développé principalement dans les villes par le commerce, va étendre sa domination en dehors des villes, va détruire le mode de production féodal qui subsistait dans les campagnes!

Nous savons que, dès la fin de la communauté primitive, le producteur a été séparé des moyens de production, ceux-ci lui ayant été arrachés, ils ne lui appartiennent plus et appartiennent désormais aux privilégiés, aux propriétaires terriens, aux seigneurs féodaux et, plus tard, aux capitalistes. Mais cette séparation n'était pas totale avant le capitalisme: les esclaves et les serfs passaient seulement une partie de leur temps à travailler pour le citoyen ou le seigneur, l'autre partie était réservée à produire pour satisfaire leurs propres besoins, pour qu'ils puissent entretenir et reconstituer leur force de travail et les générations des futurs exploités. D'une part, une partie des moyens de production (les parcelles et outils) lui appartenait et, de plus, l'exploitation était claire et visible: les jours de corvée pour le maître ou seigneur étant les jours d'exploitation, les jours où était produite la survaleur.

Si dès le départ de l'exploitation, il y a séparation du producteur des moyens de production, le capital, pour généraliser et approfondir l'exploitation, va généraliser et approfondir cette séparation; elle va devenir totale pour chaque exploité et partagée par tous les exploités du monde. L'exploitation va de cette façon devenir moins apparente: le rapport entre travail nécessaire à la reconstitution de la force de travail et le surtravail dont le capitaliste extrait la survaleur est nettement moins évident, les deux périodes de travail se confondant dans le temps et dans l'espace; c'est derrière la même machine, pendant les mêmes heures vendues au capitaliste que travail nécessaire et surtravail seront effectués, que la valeur nécessaire à la reconstitution de la force de travail et la survaleur seront produites.

Pour que le capitalisme tourne il faut donc que le prolétaire ne possède que sa force de travail qu'il est obligé de vendre jour après jour (puisque la vente de sa force de travail pendant un jour ne lui permet de faire vivre sa famille qu'un jour, et encore!) et que le capitaliste possède les moyens de production nécessaires à "l'exercice utile du travail, le pouvoir de disposer des subsistances indispensables au maintien de la force ouvrière et à sa conversion en mouvement productif".

"Au fond du système capitaliste il y a donc la séparation radicale du producteur d'avec les moyens de production. Cette séparation se reproduit sur une échelle progressive dès que le système capitaliste s'est une fois établi; mais comme celle-ci forme la base de celui-ci, il ne saurait s'établir sans elle. Pour qu'il vienne au monde, il faut que, partiellement au moins, les moyens de production aient déjà été arrachés, sans phrases, aux producteurs (...). Le mouvement historique qui fait divorcer le travail d'avec ses conditions extérieures voilà donc le fin mot de l'accumulation appelée primitive (...). L'ordre économique bourgeois capitaliste est sorti des entrailles de l'ordre économique féodal, la dissolution de l'un a dégagé les éléments constitutifs de l'autre. Quant au travailleur, au producteur immédiat, pour pouvoir disposer de sa propre personne, il lui faut d'abord cesser d'être attaché à la glèbe ou à une autre personne (...). De l'autre côté, ces affranchis ne deviennent vendeurs d'eux-mêmes qu'après avoir été dépouillés de tous leurs moyens de production et de toutes les garanties d'existence offertes par l'ancien ordre des choses. L'histoire de leur exploitation n'est pas matière à conjoncture: elle est écrite dans les annales de l'humanité en lettres de sang et de feu indélébiles."

(K. Marx - Le capital - L'accumulation primitive - Livre 1)

Le capital doit, pour exister, se développer, avoir à sa disposition une masse de prolétaires libres de vendre leur force de travail à n'importe quel bourgeois. Son premier grand acte historique sera donc de libérer les différentes classes exploitées de toute attache, libérer les serfs de leur appartenance aux seigneurs féodaux et à la terre, mais aussi, les libérer de leur unique possession, les "dépouiller de tous leurs moyens de production" pour que, ne possédant plus les garanties d'existence offertes par l'ancien ordre des choses, ils soient libres et donc contraints de vendre leur force de travail. Le prolétaire n'appartient plus à l'un des membres de la classe dominante, mais, en le dépossédant totalement, la classe possédante l'oblige à appartenir à toute la bourgeoisie, avec comme seule liberté celle de choisir dans cette classe, "l'homme qui lui convient", c'est-à-dire le bourgeois qui est prêt à l'exploiter, à lui faire cracher de la valeur. En libérant le prolétariat, le capital lui donne la liberté de vendre sa force de travail ou de crever.

L'ancienne production, principalement agricole et extrêmement dispersée, va être brisée parce qu'elle entrave le développement du capital. Il fallait en effet, libérer des masses de serfs pour que, poussés par la faim, ils aillent s'entasser dans les villes pour y devenir des prolétaires, prolétaires au travail ou dans l'armée industrielle de réserve qui, de fait de son total dénuement, fait pression sur les salaires de toute la classe ouvrière. Mais il fallait aussi chasser tous les serfs parce que le morcellement des terres arables en parcelles où chaque serf cultivait de quoi faire survivre sa famille, empêchait les méthodes capitalistes de production de s'installer dans les campagnes (2).

Pour pouvoir faire produire de beaucoup plus grandes quantités de marchandises par un nombre plus restreint d'exploités, le capital avait besoin d'immenses terrains libres où développer une agriculture et un élevage à grande échelle, le capital a sans cesse augmenté la productivité du travail humain comme aucun mode de production n'avait pu le faire avant lui. Si par rapport aux sociétés primitives de cueilleurs-chasseurs, la productivité au mètre carré (c'est-à-dire la quantité de produits qu'il est possible de créer sur une surface donnée) se développe incroyablement avec l'apparition de l'élevage et de l'agriculture, la productivité du travail humain (c'est-à-dire la quantité de produits que crée en moyenne un homme) augmente de façon beaucoup moins sensible.

Cela explique la nécessité d'immenses terrains d'habitations pour les groupes d'humains cueilleurs-chasseurs et donc l'impossibilité de surpeuplement, les groupes définissant leur nombre par les exigences de survie. Cela explique aussi pourquoi les sociétés où existaient l'agriculture et l'élevage, bien que pouvant supporter des villes, celles-ci restaient rares et ruralisées, soumises à la campagne, elles ne pouvaient exister que grâce à la présence d'une masse d'exploités produisant peu individuellement mais sur une plus petite surface qu'avant et concentrés autour des villes. De plus, malgré les périodes de jachère, les mêmes terres sont constamment réemployées tandis que les cueilleurs-chasseurs devaient se déplacer fréquemment.

Dans les sociétés féodales et asiatiques qui étaient extrêmement stables au niveau économique, les méthodes de production ne sont pas, comme sous le capital, en transformation permanente, la production n'augmente pratiquement qu'avec l'augmentation du nombre d'exploités. C'est pourquoi la richesse se mesure surtout au nombre de serfs que possède le seigneur féodal, un nombre d'exploités qu'il peut associer dans le travail sur ses terres et à la surface de ses terres. (Le seigneur tenait donc à ses serfs; en échange des corvées, il leur devait aide et protection). Le nombre d'exploités n'augmentait donc qu'avec l'étendue des terres que possède un seigneur puisque les serfs sont attachés à la glèbe avant d'être attachés à un seigneur et se vendent avec celle-ci.

Le capital va détruire la stabilité que connaissaient ces modes de production. Si la croissance de la richesse capitaliste provient toujours de la différence en perpétuel développement entre un nombre toujours plus réduit de bourgeois qui exploitent un nombre toujours plus grand de prolétaires, la richesse de chaque capitaliste provient avant tout de sa capacité à augmenter sans arrêt la productivité moyenne de chaque prolétaire qui est à son service. La concurrence entre capitalistes contraint ceux-ci à augmenter leur production de marchandises non seulement en prolétarisant une masse croissante de la population, mais surtout, en augmentant la productivité de chaque prolétaire. Nous savons que la valeur d'une marchandise est déterminée par le temps de travail moyen socialement nécessaire à sa production, le travail abstrait. Pour être plus concurrentiel, chaque capitaliste essaie de faire que la production dans son usine demande moins de temps que cette moyenne pour pouvoir produire une plus grande masse de marchandises qui lui reviennent moins chères. Il peut ainsi, temporairement, vendre ces marchandises moins chères que celles de ses concurrents; il réalise ainsi ce que Marx appelle la survaleur extraordinaire. Mais celle-ci ne dure qu'un temps; en effet, l'invention qui lui a permis d'augmenter la productivité se généralisant, fait baisser le temps de travail moyen socialement nécessaire à la production de ces marchandises, le travail abstrait, la valeur. Chaque innovation des moyens de production contraint donc les prolétaires à produire plus pour une même période alors que son salaire relatif diminue puisque, par le même processus, ce qu'il consomme pour reproduire sa force de travail diminue de valeur, ayant mis moins de temps pour être produit. La différence entre travail nécessaire et surtravail et donc le taux d'exploitation, a augmenté.

Dans les campagnes, cela se traduit par la nécessité pour le capital de faire cultiver les plus grandes surfaces possibles le plus intensivement possible, de faire surveiller les plus grands troupeaux possibles par un nombre toujours plus restreint de prolétaires soumis au rythme accéléré de travail imposé par les machines. Ce progrès (de l'exploitation) nécessite d'immenses étendues libres (ce qui signifie autant libérer la terre de la présence des anciens serfs que de libérer ceux-ci de la terre) qui puissent devenir de gigantesques cultures ou pâturages. C'est pourquoi:

"De 1814 à 1820, les quinze mille individus (les derniers occupants des campagnes du comté de Sutherland) formant environ trois mille familles, furent systématiquement expulsés. Leurs villages furent détruits et brûlés, leurs champs convertis en pâturages. Des soldats anglais, commandés pour prêter main forte, en vinrent aux prises avec les indigènes. Une vieille femme qui refusait d'abandonner sa hutte périt dans les flammes."

"La spoliation des biens d'Eglise, l'aliénation frauduleuse des domaines de l'Etat, le pillage des terrains communaux, la transformation usurpatrice et terroriste de la propriété féodale ou même patriarcale, en propriété privée, la guerre aux chaumières, voila les procédés idylliques de l'accumulation primitive. Ils ont conquis la terre à l'agriculture capitaliste, incorporé le sol au capital et livré à l'industrie des villes les bras dociles d'un prolétariat sans feu ni lieu."

(Marx - ibid).

Toutes les crapules bourgeoises idéalisent le système qu'elles défendent. Elles nous expliquent ainsi que les "paysans" viennent dans les villes attirés par le clinquant de la civilisation. Premièrement, il ne s'agit pas de "paysans", catégorie a-classiste mais de prolétaires agricoles; deuxièmement, ceux-ci ne sont pas attirés dans les villes par la civilisation mais brutalement chassés des campagnes par cette civilisation qui, si à un pôle, elle accumule des richesses faramineuses, elle accumule d'autant plus de misère absolue à l'autre, cette misère que l'on retrouve de façon particulièrement crue et violente dans les villes où c'est bel et bien la faim au ventre et le fusil dans le dos que les prolétarisés ont été contraints de s'entasser, comme des rats. C'est le capitalisme, la civilisation, qui expulse la plus grande partie des prolétaires des campagnes, pour mieux valoriser le travail de ceux qui y restent et qui oblige les autres à s'entasser dans les bidons-villes et les usines.

Dans les villes, cela se traduit par l'augmentation du nombre d'exploités travaillant au même endroit. Les petites corporations (maîtres-compagnons-apprentis) deviennent de grandes manufactures (bourgeois-prolétaires). L'usage fait par un plus grand nombre d'exploités du même local, des mêmes outils va déjà permettre une plus grande valorisation du capital mais aussi la concentration dans les mains des ex-maîtres qui sont devenus, avec les commerçants et les banquiers, les nouveaux bourgeois, d'un capital plus important provenant de la plus-value extorquée aux nouveaux prolétaires. Fusionné au capital financier provenant du commerce, ce capital pourra être investi et permettre la transformation du travail vivant (force de travail humaine) en travail mort (travail objectivé: ateliers, machines,...) et ainsi permettre une meilleure valorisation du travail vivant.

Dans un premier temps, l'augmentation de la productivité ne pouvait être issue que de la mise au travail d'un plus grand nombre d'ouvriers au même endroit.

"Le capital libéra les serfs que le féodalisme clouait à la terre, mais si le servage était un grave affront à la dignité humaine, c'était en revanche une excellente formule, par exemple, pour maintenir uniforme la densité territoriale de la France. Les serfs étaient forcés de rester sur place, mais en des lieux où ils pouvaient manger et dormir et avoir de l'espace autant que nécessaire. L'urbanisation répondit aux exigences de l'extension des manufactures et de la conquête historique du "travail associé". Tant que le lieu de production consistait en un immense local avec un poste pour chaque artisan, il est clair qu'il n'y avait rien d'autre à faire et que l'entassement d'innombrables ouvriers dans un espace réduit, pour travailler, habiter et vivre, permettait de produire une richesse bien plus grande."

(Bordiga - Espèce humaine et croûte terrestre)

Ce sont les lois du capital et surtout sa contradiction fondamentale entre valorisation et dévalorisation, qui poussent le capital à obliger chaque prolétaire à produire toujours davantage. Nous avons vu que la concurrence oblige les capitalistes à inventer et à généraliser de nouveaux moyens de production plus efficaces, à donner une importance toujours plus grande au travail mort par rapport au travail vivant, à augmenter la domination de la machine sur l'homme. La conséquence en est la diminution du temps de travail moyen socialement nécessaire à la production des marchandises et donc la diminution de la valeur. Mais le capital est contraint de se valoriser de façon croissante et donc non seulement de compenser cette dévalorisation permanente mais, en plus, d'augmenter les valeurs produites; il ne peut le faire que par le biais d'une augmentation de la masse des marchandises produites laquelle ne peut passer que par l'augmentation de la productivité du travail et par l'augmentation du nombre d'ouvriers attelés à la production. En effet, pour augmenter la productivité, les capitalistes divisent le travail, simplifient chaque opération à l'extrême, "spécialisent" le travail, c'est-à-dire, le parcellise, supprime au contraire toute spécialisation en rendant chaque poste de travail accessible à n'importe quel prolétaire selon les besoins du capital, libérant le prolétaire encore un peu plus de toute attache. La simplification et la répétitivité des opérations permettent ainsi d'augmenter le rythme de travail, d'éviter les "temps morts", bref, d'augmenter la tension et de diminuer la porosité du travail, mais impliquent nécessairement une augmentation du nombre de prolétaires employés dans le procès de production d'une même marchandise. Celle-ci produite au départ par un artisan qui procédait à tous les stades de la production, est maintenant produite par mille ouvriers qui n'en voient chacun qu'un aspect tout à fait particulier; ces mille ouvriers produiront ainsi non pas mille fois plus, mais bien dix ou cent mille fois plus de marchandises pour une même période. Ce mouvement produit un amassement grandissant de capital qui doit nécessairement s'investir pour se valoriser. L'investissement d'un capital plus important et donc la mise en place d'industries supplémentaires, d'une masse accrue de travail mort, exige la mise au travail forcé d'une masse encore plus grande de travail vivant nécessaire à la valorisation de ce travail mort. Ce mouvement se poursuit ainsi en s'amplifiant, le capital développant sans arrêt son propre fossoyeur: le prolétariat.
"Toute son histoire (le capitalisme tel qu'il fut et tel qu'il est) est une ruée vers l'avant, une expansion violente qui dépasse de loin les limites de l'accroissement de la population. La force motrice était l'instinct d'accumulation: la plus grande quantité possible de plus-value était investie en nouveau capital et, pour le valoriser, des secteurs de plus en plus grands de la population étaient attirés dans le processus. Il y avait même, et il y a toujours, un gros surplus d'hommes: ceux-ci se trouvant à l'extérieur ou à moitié en dehors, constituent une réserve qui, aspirée ou rejetée selon les nécessités, se tient prête à satisfaire le besoin de valorisation du capital."

(Pannekoek - La théorie de l'écroulement du capitalisme)

Ce mouvement se réalisait par la prolétarisation forcée de secteurs croissants de la population que le capital ruine et force à vendre leur force de travail ou à crever.

Nous reviendrons plus loin dans ce texte sur l'inéluctable mouvement de concentration des capitaux qu'impulse le capitalisme. Nous nous contentons pour l'instant de montrer comment la naissance du capital puis son développement exigeaient l'augmentation du nombre d'exploités dans la production et leur concentration en certains points; ce qui n'était pas vrai ou seulement de façon tout à fait marginale dans les sociétés de classes précapitalistes. L'entassement des êtres humains, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes, suit donc le mouvement imposé par la nécessaire valorisation du capital sur une base toujours plus large. Les capitalistes défendent et idéalisent ces concentrations humaines, les considèrent comme le pôle positif du capital (et donc pour eux le seul qui soit vraiment capitaliste), comme un progrès, comme la marque de la domination de l'homme sur la nature; malgré les conditions effroyables de vie qui y existent, malgré la folie et la mort qui y règnent en maître, ils les glorifient parce qu'ils ne peuvent s'en passer, parce que le capital ne peut s'en passer. En ville comme à la campagne, le capital a imprimé ce mouvement d'entassement des prolétaires parce que l'augmentation de la productivité ne pouvait passer que par l'association dans le travail de toujours plus de prolétaires.

Le développement du capital a rendu possible le communisme en concentrant la force enfin capable d'imposer le communisme: la classe ouvrière qui lutte pour détruire sa condition d'exploitée, le travail salarié et toutes les immondes conditions de vie que lui impose le capital, contre l'entassement dans des villes insalubres, contre la séparation d'avec la nature,...

Conclusion de la première partie et introduction de la seconde

Le logement n'est donc pas une question "naturelle", indépendante de la volonté des hommes, mais bien une question sociale, qui dépend de l'évolution des sociétés, qui évolue au cours des différents modes de production.

Dans cette première partie, nous avons vu comment l'ancienne communauté humaine détruite a cédé la place à des sociétés où règne en maître la séparation entre classes antagoniques, entre villes et campagnes. Nous avons vu ensuite comment, malgré cette séparation, les premières villes restèrent ruralisées, l'antagonisme entre ville et campagne ne devenant total qu'avec le capitalisme instaurant sa dictature mondiale, balayant et s'aliénant les divers modes de production le précédant. Nous avons vu que c'est poussés par les lois du capitalisme, par le cycle infernal de la valorisation du capital et non pas par la volonté des hommes que les prolétaires ont été entassés; dans un premier temps par le rassemblement dans un même endroit d'un grand nombre de prolétaires effectuant un travail non encore parcellisé, dans un second temps, le travail va progressivement être simplifié, parcellisé, associant dans la production d'une marchandise, un nombre toujours plus grand de prolétaires.

Nous n'avons fait ici qu'introduire historiquement la question du logement. Il nous reste encore à voir que l'exploitation ne réside pas dans la location ou l'achat des logements, mais bien dans leur production puisque c'est dans ce procès qu'est créée la survaleur (sans perdre de vue que l'augmentation des loyers entraîne une baisse des salaires réels et donc une augmentation de l'exploitation). Nous verrons ensuite que le capitalisme rend toujours la classe ouvrière plus pauvre, plus démunie socialement, en augmentant massivement son exploitation. Cette augmentation de l'exploitation passe notamment par l'augmentation de la productivité, par l'augmentation du rythme de travail avec comme conséquence que le travail est toujours plus abrutissant mais aussi que les marchandises produites cristallisent toujours moins de valeur. Nous verrons aussi que le mouvement des capitaux dicte non seulement l'entassement des prolétaires dans les usines, mais aussi la concentration des usines elles-mêmes accentuant ainsi encore plus l'entassement des prolétaires à proximité des lieux de production et créant, de manière concomitante, des zones complètement désertées par les capitaux. Tous ces éléments, entassement des prolétaires, dévalorisation de la force de travail, paupérisation,... sont exacerbés, poussés à leur paroxysme dans ces zones de désertification et d'autant plus dans les périodes de crise. La bourgeoisie a bien sûr tenté de pallier à ces maux que son mode de production produit inexorablement. Nous verrons pourquoi ces tentatives échouent mais aussi les dangers que ces tentatives, et l'idéal qui les sous-tend, font courir aux luttes ouvrières. Nous parlerons ensuite des luttes qui se sont déclenchées sur la question du logement, quels dangers particuliers elles comportent et comment les surmonter. Enfin, nous terminerons ce texte en analysant comment le prolétariat révolutionnaire résoudra cette question du logement dans sa lutte contre tout le système capitaliste, contre la bourgeoisie, contre la valeur, d'une part, sous sa dictature de classe, c'est-à-dire dans les périodes de guerre de classes où le monde reste encore soumis à des séparations et notamment celle entre la ville et la campagne, et comment les crises du logement seront définitivement résolues sous le communisme par la fin de cette séparation entre la ville et la campagne, par la destruction des villes. Nous aurons ainsi essayé de cerner le "hier, aujourd'hui, demain" qui caractérise la manière non figée, dialectique, d'analyser les événements et ici la question du logement, par les communistes.

Notes :

1. Nous rejetons donc la vision qui tenterait de justifier que le féodalisme, puis le capitalisme devraient encore s'imposer aujourd'hui dans certaines zones du monde, plaquant ainsi de manière mécanique le schéma de succession des sociétés en Europe occidentale sur le reste du monde et supprimant de ce fait, sous prétexte de "révolution démocratique bourgeoise" à accomplir au préalable, la perspective de la révolution prolétarienne dans ces zones. Lisez à ce sujet l'article "Contre la mythologie justifiant la libération nationale" dans Le Communiste No.15 et 16 (celui-ci et le précédent).

2. On sait que dans certains endroits du globe, le développement du capitalisme va se faire non pas sur base de la destruction des petites parcelles, mais sur leur maintien. Contre toutes les idéologies qui voudraient nous faire croire que des systèmes précapitalistes existent encore à l'époque de la domination mondiale du capitalisme, nous y voyons au contraire l'immense capacité du capitalisme à englober, à se soumettre, à employer, pour sa valorisation, des formes qui lui sont, au départ, étrangères. La possession d'une parcelle peut alors servir à diminuer les salaires, à augmenter l'exploitation; la production de la petite parcelle est alors comprise dans ce que le prolétaire consomme et constitue donc une partie du salaire (celui-ci est en effet, toujours le minimum historique et social nécessaire à la reconstitution de la force de travail). Le prolétaire est donc contraint de travailler à l'usine et sur sa parcelle. De plus, la possession, l'attachement à cette maison empêche le prolétaire de se déplacer à la recherche de "l'homme qui lui convient", de meilleures conditions de travail et parfois même de travail tout simplement. "La possession d'une maisonnette et d'un jardin avait à présent bien moins de valeur que la pleine liberté de mouvement. Pas un ouvrier d'usine n'aurait échangé sa place contre celle du tisserand rural condamné à mourir lentement mais sûrement" (Engels - La question du logement).

Le Communiste No.16