Ces derniers mois, la révolte du prolétariat contre le capitalisme mondial, comme nous l’avons affirmé dans la première partie de cet article, a continué à se concrétiser internationalement dans la même mesure où la société bourgeoise continuait à faire peser tout le poids sa situation catastrophique sur la population paupérisée du globe. Cette révolte prit en Grèce la forme de luttes dans les prisons, luttes des sans-papiers, luttes étudiantes, révoltes de marginaux… durant plusieurs mois jusqu’à se généraliser en décembre 2008, préfigurant de la sorte ce qui peut et doit arriver dans d’autres pays, donnant des pistes sur le chemin à suivre. Cette protestation prolétarienne internationale et internationaliste contre le capitalisme (qui, au moment d’écrire ces pages, se manifeste encore en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion,…) prit de la force progressivement en Grèce jusqu’à l’explosion généralisée qui s’est produite en décembre suite à l’assassinat du jeune Alexis Grigoropoulos par les sbires de ce système social ignominieux.
Les cases, les compartiments, les séparations que le capitalisme avait fabriqués par l’intermédiaire de ses multiples serviteurs pour nier la réalité de la lutte prolétarienne, ont été mis en pièce par le mouvement, même si ce n’est encore que dans ce pays et seulement dans les moments culminants de la lutte. Cela s’est passé non seulement parce que dans les affrontements, les prolétaires agissaient en tant que tels (chômeurs et ouvriers, locaux et étrangers, étudiants et "banlieuisés", précaires et intermittents, jeunes -jusqu’aux enfants!- et vieux, femmes et hommes, sans-papiers et légaux, prisonniers et "en liberté", cagoulés et à visage découvert, écoliers et professeurs, "paysans" -travailleurs agricoles- et "citoyens" -travailleurs urbains-…) qui se battaient contre leur ennemi, mais aussi parce que le mouvement même, par tous les moyens à sa disposition (tracts, Internet, publications, revues,…) dénonça explicitement toutes ces disqualifications avec lesquelles les ennemis historiques ont insulté et ont essayé d’isoler/liquider cet extraordinaire et généreux mouvement social.
"De qui sont les actions qui entretiennent et répandent la flamme… Les anarchistes? Les étudiants? Les immigrés? Les sans emplois et humiliés? La jeunesse des banlieues riches du nord et du sud? Les gitans? Les "hooligans"? Les travailleurs? C’est à eux qu’appartiennent les actions qui forment la lave imparable du volcan qui s’éveilla lorsque l’impensable assassinat d’Alexandros secoua la Grèce toute entière samedi dernier" proclament les premières expressions du mouvement qui sont diffusées de par le monde. (3) Au-delà des limites de ces premières manifestations écrites du mouvement, elles s’opposent à tout ce que l’on tente de transmettre dans les médias parce qu’elles expriment que la révolte est de tous.
Si lors de la révolte des banlieues françaises (novembre 2005) la disqualification et les injures avaient été totalement impunies alors qu’elles avaient été jusqu’à insulter, au nom du prolétariat lui-même, les prolétaires en lutte, en Grèce tout a été fait pour qu’il en soit de même mais la force du mouvement est arrivée à ridiculiser et même à "escracher" (4), pour les dénoncer comme défenseurs de l’Etat, tous ceux qui voulaient disqualifier cette révolte et la réduire à une catégorie particulière. Nos ennemis, les médias ont dit, comme toujours, qu’il ne s’agissait que d’anarchistes, de hooligans, de jeunes… qui voulaient uniquement casser, mais l’extension et la généralisation de la révolte à tout le pays ainsi que les communiqués qui ont proclamé le caractère prolétarien et révolutionnaire de la révolte n’ont laissé planer aucun doute chez les autres prolétaires, non seulement en Grèce mais dans d’autres pays et régions. De plus, les proclamations ont été très claires sur le fait qu’il ne s’agissait pas, comme le disait la presse internationale, de vouloir changer la droite par la gauche, de rejeter un programme gouvernemental pour en adopter un autre ou de changer le gouvernement pour revenir à la normalité. Bien au contraire, cette normalité même, ce traintrain quotidien ont été dénoncés par la révolte prolétarienne pour ce qu’ils sont: de l’esclavage salarié et du chantage permanent. Contre chacune des falsifications invariantes de la contre-révolution, le mouvement criait notre vérité.
Cela faisait longtemps que le prolétariat dans une partie du monde et en plein combat n’avait pas proclamé aussi clairement ses objectifs révolutionnaires: "nous sommes une partie de la révolte de la vie contre la mort quotidienne que nous imposent les relations sociales existantes" peut-on lire dans un communiqué camarade. (5) Plus loin, il rajoute: "Nous érigeons une barricade inébranlable contre la normalité répugnante du cycle de production et de distribution. Dans la situation actuelle, rien n’est plus important que de consolider cette barricade face à l’ennemi de classe. Et cela, même si nous nous replions devant la pression de la lie (para-) étatique et la fragilité de la barricade, nous savons que déjà rien ne sera plus comme avant dans nos vies".
Quelle formidable affirmation du prolétariat comme classe! Quelle terreur, pour la classe dominante, que cette réaffirmation de la lutte prolétarienne pour l’abolition du système social! "Nous vivons de plus une situation historique dans laquelle se recompose un nouveau sujet de classe qui porte depuis longtemps la responsabilité d’assumer le rôle de fossoyeur du système capitaliste. Nous croyons que le prolétariat n’a jamais été une classe par sa position, mais que bien au contraire, elle se constitue en tant que classe pour elle-même dans l’affrontement contre le capital, d’abord dans la pratique, pour acquérir ensuite la conscience de ses actes". (6)
C’est dans la rue que le prolétariat renaît, c’est dans l’affrontement au capital que le prolétariat forge sa force et se redéfinit. La théorie révolutionnaire est elle-même réaffirmée par des expressions d’avant garde. Même le concept de prolétariat, toujours falsifié, sociologisé, fréquemment réduit à l’ouvrier industriel, arraché systématiquement de sa dynamique de contre-position sociale (7) par toutes les forces contre révolutionnaires est affirmé ici par des camarades: le prolétariat… se constitue… dans l’affrontement contre le capital! Le prolétariat s’affirme comme force contre "le travail salarié (qui) a toujours été un chantage…" (8)
Au moment où il n’était déjà plus possible d’occulter ni au niveau national, ni international, la généralisation de la révolte, notre ennemi historique expliqua par tous les moyens de diffusion que le "gouvernement de droite avait fait des erreurs", qu’il "devait renoncer". Mais les communiqués et les proclamations dénonçant ce terrible mensonge tombèrent en abondance.
"Une clique de politiciens et de journalistes forme un essaim de
guêpes autour de nous pour essayer de tirer profit de notre mouvement
en essayant d’y imposer leur point de vue borné. Ils affirment que
nous nous rebellons parce que notre gouvernement est corrompu ou parce
que nous voulons avoir plus d’argent, plus de travail…
FAUX.
Si nous faisons éclater les vitrines des banques c’est parce
que nous reconnaissons dans leur argent l’une des causes majeures de notre
tristesse. Si nous brisons les vitres des magasins ce n’est pas vraiment
parce que la vie est chère, mais parce que la marchandise nous empêche
de vivre, peu importe son prix de vente! Si nous prenons d’assaut les
commissariats, ce n’est pas seulement pour venger nos camarades morts mais
parce qu’entre ce monde et celui que nous désirons, la police sera
toujours un obstacle". (9)
Il est extrêmement important pour la lutte que le prolétariat reconnaisse aussi clairement que son ennemi n’est pas tel ou tel gouvernement, tel ou tel autre parti, ni même tous les gouvernements et tous les partis mais bien l’argent, le capital, les relations sociales de production! Et quelle pertinence de la part des prolétaires en Grèce d’avoir proclamé et écrit dans les rues grecques, en pleine bataille: "Le terrorisme c’est le travail salarié! Aucune paix pour les chefs (patrons)" (10) malgré toutes les campagnes antiterroristes organisées par tous les Etats du monde pour consolider son propre monopole de la terreur.
Il est évident qu’à côté de cette impressionnante compréhension de la nécessité de la révolution sociale, de la nécessité de la destruction totale du système capitaliste, le mouvement s’affirme également sur base d’expressions bien moins claires, plus modestes, plus floues.
"On nous accuse souvent du fait que notre révolte est aveugle,
désordonnée,simplement réactive… que nous ne savons
pas encore ce que nous voulons ou ce que nous ne voulons pas, que nous
sommes des voleurs et des casseurs. Et bien oui, nous savons parfaitement
ce que nous voulons et bien sûr, ce que nous ne voulons pas. Nous
ne voulons pas de policiers payés pour terroriser des adolescents,
ni de guerre chimique qui obstruent nos poumons et nos yeux. Nous ne voulons
pas de policiers anti-émeutes, de corps de choc, de parasites, d’agents
de sécurité, de surveillants, de toutes ces professions basées
sur la force et la violence. Nous ne voulons pas d’air pollué, de
forêts brûlées, de béton qui cache le ciel. Nous
ne voulons pas de prisons qui anéantissent l’individu, de lois absurdes
sur le cannabis, de caméras qui surveillent tout pour défendre
la propriété d’objets inanimés. Pour cela, dans ce
brouillon de manifeste pour une vie nouvelle après la révolte,
nous exigeons et nous imposerons ce qui suit:
1. Libérer le centre d’Athènes des voitures. La ville
pour les cyclistes, les piétons et les enfants.
2. Transformation des banques incendiées en asile pour les
pauvres, bibliothèques, locaux gratuits d’Internet et "coffe shops"
type Amsterdam.
3. Convertir les commissariats détruits en cuisines populaires
qui offriront une nourriture naturelle et gratuite à quiconque en
aura besoin et le demandera.
4. Fin de la propriété intellectuelle. Circulation
libre et gratuite de matériel intellectuel et d’information, connexions
gratuites à Internet avec des fibres optiques modernes.
5. Remplacer l’utilisation d’essence et de gaz naturel par des panneaux
solaires et des sources d’énergie complètement recyclables.
6. Prendre d’assaut tous les bordels qui sont défendus par
la police et libération immédiate de toutes les prostituées
forcées. Reconnaissance de la sexualité féminine ainsi
que le droit a ce qu’elle soit exprimée librement et sans pressions.
Aucune pitié pour les violeurs et les pédophiles. Aucune
humiliation pour tous ceux qui vivent leur sexualité de manière
différente, tant qu’ils n’utilisent pas la force pour l’obtenir.
7. Prendre d’assaut les prisons et libérer tout le monde
excepté ceux ayant des relations avec des crimes de pédophilie,
de viol ou de racisme.
8. Priorité totale aux enfants et à leurs besoins
d’amour, de jeu et de tendresse.
9. Infrastructures éducatives et médicales libres
avec élimination simultanée de l’arbitraire et du pouvoir
de certaines professions. Relations responsables, ouvertes, égalitaires
et conviviales entre patients et médecins, professeurs et élèves.
10. Moyens de transport libres et utilisation généralisée
de la bicyclette. Expansion du train dans tous les pays.
Ce sont "grosso modo" les 10 points approuvés jusqu’à
présent. CE QUE NOUS VOULONS ET OBTIENDRONS. Peut-être que
d’autres points également essentiels sont absents mais ceux déjà
décidés ne sont pas négociables ".
Il serait très facile de se moquer de telles propositions ou de ridiculiser les limites de tels points. Cependant dans cette énumération de mesures, surgies de discussions et d’assemblées, nous soulignons avant tout le rejet total du monde actuel, l’énumération de "ce que nous ne voulons pas". Le rejet, la négation est le point de départ de tout mouvement révolutionnaire. Nous réaffirmons de plus que cette négation ne mendie pas, ne demande rien à personne (ni même à l’Etat) mais qu’elle veut imposer. De surcroît, ces expressions ont le mérite énorme de partir de la base fondamentale qui consiste à mettre en avant que pour changer quelque chose, il faut écraser l’autorité de l’Etat et imposer une autre société par la violence. Il est toujours sain que le mouvement veuille transformer les centres de spéculation et de répression (banques, commissariats,…) en quelque chose qui soit au service de l’être humain, même si l’on ne sait pas encore bien comment il est possible d’atteindre de tels objectifs. Il faut souligner que les protagonistes ont conscience que ce ne sont que des mesures immédiates, prises dans l’urgence (et que beaucoup sont en réalité peu exigeantes) mais ce qui est important, c’est qu’ils proclament que ces points ne sont pas négociables et qu’il y a d’autres points également essentiels qu’ils traiteront plus tard.
Il est clair que ce manifeste contient un ensemble d’illusions propres à tout mouvement naissant et hétérogène, qui se voit poussé par les circonstances et par la pression idéologique à exprimer précipitamment des solutions positives sans avoir encore affirmé suffisamment sa force de négation de toute la société existante. C’est pour cela qu’apparaissent des solutions quelque peu illusoires sur les moyens envisagés pour changer ce qui les affecte le plus dans la vie immédiate, sans avoir réellement commencé à affirmer le besoin de détruire les fondements de tout le système social d’exploitation. Il est également vrai que dans ces expressions on constate l’influence d’idéologies à la mode issues de la gauche et des écologistes qui limitent forcément de manière réformiste l’horizon de tout mouvement. Ce furent et ce seront des limites que la révolution devra encore affronter dans les prochains mouvements prolétariens, mais ce qui est important ici ne réside pas dans ces timides (et souvent réformistes) mesures immédiates (même si certaines sont très sympathiques), mais dans l’affirmation de la négation de ce qui existe, dans l’opposition violente avec la totalité du monde du capital défendu par la gauche, le centre et la droite.
Pour terminer, nous voulons souligner le point 7: "Prendre d’assaut les prisons et libérer tout le monde". Au-delà des limites de la formulation, il est différent des autres points dans la mesure où ce n’est pas quelque chose que l’on cherche à obtenir mais exprime une nécessité cruciale du mouvement que celui-ci n’a pas encore la force d’assumer. Ce qui est exprimé est par conséquent un désir important mais pas encore assumable comme peuvent l’être aussi, dans une certaine mesure, d’autres points tels que le 1 ou le 5 mais à la différence de tous les autres, il se situe ouvertement contre la structure démocratique et juridique de la propriété privée et de la domination bourgeoise et dans cette mesure, il indique une rupture plus claire avec le réformisme.
L’explosion du prolétariat en Grèce éclaire le monde. Ce ne sont pas les propositions positives mais bien la radicalité de la critique de la société actuelle, l’absence de revendication adressée au pouvoir qui terrorisa le plus, sans nul doute, le pouvoir bourgeois au niveau international. Comme le disent des expressions révolutionnaires des prolétaires en lutte: "L’insurrection de décembre ne porte en elle aucune demande concrète, précisément parce que les acteurs qui y participent subissent les refus répétés de la classe dominante face à toute revendication et donc ils la connaissent très bien. Les chuchotements de la gauche, qui au début demandaient le retrait du gouvernement, se transformèrent en une terreur muette et une tentative désespérée de calmer l’incontrôlable vague insurrectionnelle. L’absence de demandes réformistes reflète une prédisposition sous-jacente (même si encore inconsciente) à la subversion radicale et au dépassement des relations mercantiles existantes, et la création de relations qualitativement nouvelles". (11)
De plus, contrairement à d’autres régions et en particulier aux autres pays d’Europe (où le prolétariat ne sort pas dans la rue comme il le devrait quand on réprime les sans-papiers, les prisonniers, les marginaux ou quand des actes ouvertement racistes sont commis), la force du mouvement en Grèce est basée sur le fait que la bourgeoisie et ses divers appareils ne sont pas arrivés à isoler les couches du prolétariat qui, bien avant décembre, avaient mené des luttes exemplaires qui eurent des répercussions dans tout le pays de même qu’internationalement. Nous faisons référence aux secteurs qui endurent en général quotidiennement la répression ouverte de l’Etat comme les prisonniers, les sans-papiers, les immigrés, les jeunes anti-conformistes et/ou qui n’ont jamais eu ce que la bonne société appelle "un travail normal"… en général tous les prolétaires irréguliers, précaires et moins bien payés… Ceux-là ont été, sans aucun doute, ceux qui ont initié le mouvement:
"Nous sommes la génération des 400 euros. Des programmes
"stage"
de l’organisme de l’emploi, du travail flexible, de l’éternel formation
(toujours à nos frais), de la précarité, de la cherté,
des deux diplômes qui ne servent à rien. De l’élimination
de nos droits du travail, de notre humiliation de la part des patrons,
des politiques et de tant d’autres.
Nous sommes la génération que vous enfermez dans des
écoles en tentant de mettre dans nos têtes vos nationalismes,
vos préjugés, votre adoration pour la patrie, vos mensonges,
notre subordination.
Nous sommes les gamins que les brigades anti-émeutes, les
polices secrètes, les gardes spéciaux et tous les autres
flics que la démocratie a produits (et a placés partout comme
armée d’occupation) humilient et provoquent quand nous nous trouvons
sur leur chemin, objets quotidiens de leur abus de pouvoir.
Nous sommes les blessés des marches d’étudiants et
d’élèves, nos têtes ont été frappées
contre l’asphalte, notre dignité a été réduite
à néant sous leurs bottes, nos mains ont été
brisées par leurs matraques, nos visages ont été écrasés
par leurs coups de poing, nos poumons sont encore remplis du gaz qu’ils
nous ont balancé et qui sont interdits selon des accords internationaux.
Nous mourrons prématurément parce que nous n’étions
pas d’accord avec les lois qui nous volent nos vies. Nous sommes les détenus
traînés en justice pour des années, Panagiotis qui
portait des chaussures de la mauvaise couleur et qui resta 40 jours en
prison, Dimitrios Augustinos qui passa au mauvais endroit au mauvais moment,
les 50 blessés dans l’hôpital Evangelismos le 8 mars 2007.
Nous incendions vos banques. Nous nous affrontons à la police.
Nous détruisons la paix sociale que vous construisez nuit et jour
en lavant le cerveau des citoyens pour qu’ils obéissent et se taisent.
Nous continuons à illuminer les nuits froides que vous imposez".
(12)
La force du prolétariat en Grèce est de ne pas avoir nié la solidarité vis-à-vis de ces couches qui s’affrontaient de manière ouverte contre le capitalisme et l’Etat. Oui, ce sont les luttes des prisonniers, des marginaux, des sans-papiers,… qui ont résonné comme étant propres à l’ensemble du prolétariat et ont été à l’origine réelle du mouvement. Déjà en novembre 2008, quand la lutte dans les prisons se généralisa et que plus de 7000 prisonniers sur 12000 participèrent à un ensemble d’actes de protestation (dont la grève de la faim commencée le 3 novembre), (13) nos ennemis n’ont pas réussi à enfermer ce mouvement et il a eu des répercussions dans les rues, notamment dans la radicalisation de la manifestation du 17 novembre. (14) L’action directe organisée par de petits groupes se fit sentir durant tout le mois de novembre 2008. Des actions contre les répresseurs furent organisées de même que contre des formes de surveillance citoyenne comme la destruction de caméras de surveillance en différents lieux stratégiques. Cette lutte s’était déjà répercutée internationalement à l’extérieur et avait constitué un premier appel à la solidarité internationale avec le prolétariat qui combattait en Grèce. Dans ce même mouvement s’était inscrit la lutte de différents groupes d’immigrés et de sans-papiers qui entrèrent en grève de la faim, parallèlement à d’autres manifestations et à d’autres actions (comme l’occupation de la Mairie de la ville de Janiá) ce qui redonna une nouvelle impulsion au mouvement prolétarien qui s’exprimera violemment dans plusieurs villes et particulièrement lors de la manifestation du 5 décembre à Athènes. La lutte devint chaque fois plus quotidienne de même que la réponse répressive de la démocratie athénienne et ce jusqu’à l’assassinat d’Alexis, la goutte qui fit déborder le vase.
A partir de ce moment-là, rien ne sera plus comme avant! Nous ne ferons pas une chronique du mouvement si ce n’est souligner quelques éléments précis: le dimanche "Par Internet et les téléphones cellulaires se trame un tissu invisible de communication entre mille et mille étudiants de secondaire dans toute la Grèce. Personne ne se rend compte. Le fait est que le lundi dans la matinée les écoles secondaires sont fermées… les jeunes… dans la rue. Ils bloquent des rues et des routes, et dirigent toute la rage que provoque chez eux l’assassinat d’Alexis contre les sièges de la police. Il ne reste presque plus un commissariat qui ne soit bloqué par les élèves, idem dans de petites villes, même très petites, de même que dans des quartiers d’Athènes et de Salónica, qui n’ont jamais connu, de toute leur existence, aucune manifestation ou quoi que ce soit de semblable. Et le jour se lève avec des fils et des filles assiégeant des commissariats, brûlant des voitures de patrouille ou jetant des oranges, des pierres, des œufs et de la peinture sur les bâtiments des forces de l’ordre. Ce sont des jeunes de 13, 14, 15 ou 16 ans qui dirigent leur rage contre ces objectifs… Mardi, dans la nuit, les actualités à la télévision ne savent déjà plus quoi dire en premier et que dire ensuite. Tous les centres-villes de Grèce sont dévorés par les flammes. Une information sort du lot: dans un faubourg d’Athènes où vivent des gitans, 600 d’entre eux ont occupé la caserne de police, ils y ont mis le feu et ont blessé deux gendarmes avec des fusils. Dans 23 prisons du pays tous les prisonniers refusent de dîner en soutien et en solidarité avec la révolte. Après les paroles choquantes de l’avocat qui défend le policier assassin, disant qu’Alexis était mort à cause d’une balle perdue, les étudiants de secondaire ferment à nouveau les écoles. Ils encerclent 25 commissariats à Athènes et 20 autres ailleurs. Ils coupent le trafic de 20 avenues. Ils occupent 190 écoles secondaires en Grèce. Dans la majorité des universités, il n’y a pas cours. Dans une vingtaine de villes, les banques et les magasins de luxe sont dévorés par le feu". (15)
D’autres descriptions du mouvement qui circulent sur Internet retracent le côté imparable de cette formidable rage prolétarienne et la signification de ce qui est attaqué:
"Les gens sont en colère. Non, ce n’est pas sûr. Ce n’est pas uniquement de la colère. C’est une rage accumulée. Une rage qui a déjà voulu sortir dans les rues et emporter tout sur son passage. Et elle est sortie. Les gens avec leur rage sont sortis dans les rues et ont mis Athènes de même que presque toutes les villes de ce pays, en état d’urgence. Des jeunes en majorité, avec des pierres dans leurs mains et la rage dans leurs cœurs, sont sortis dans la rue. Et ils ont tout emporté. Avec les poubelles, les pavés, les bâtiments, les magasins, les banques, les voitures, ils ont emporté les promesses bafouées et le présent qui les nie. Ils ont aussi emporté le médiocre système d’enseignement, le manque d’emploi, l’insécurité du futur, le présent qui nous opprime, le passé qui est oublié. Ils ont emporté les symboles que le système leur propose de regarder de loin parce que les toucher coûte chère. Ils ont emporté les symboles qu’en plus ils n’ont même pas besoin. Ils ont emporté les publicités luxueuses, miroir d’une vie enfermée entre les quatre murs du travail, de l’école, de l’université, l’obéissance aux ordres de personnes qui sucent toute leur énergie en échange de miettes… Plus de 400 écoles secondaires dans tout le pays sont occupées jusqu’aujourd’hui, de même que beaucoup d’universités, et il existe maintenant une coordination des actions d’étudiants et élèves. Tous les jours, des élèves, filles et garçons de secondaire débarquent dans différents sièges de la police, les assiègent, crient contre les policiers, leur jettent des pierres, brûlent leurs véhicules, les affrontent. Ils les affrontent tous les jours dans les rues sans penser aux risques et aux conséquences. Rage pure et merveilleuse. Les jeunes dans ce pays ont déjà crié leur "ça suffit". Et ils demandent à la société entière qu’elle soit à leurs côtés, qu’elle crie leur "ça suffit" comme eux, que nous prenions nos vies en mains. Et les gens dans les quartiers de Athènes et d’autres villes les ont parfois écoutés. Dans différents quartiers, on organise des occupations de bâtiments municipaux et en général, il y a des tentatives pour s’organiser plus et coordonner les actions. Il y a généralisation de manifestations. Des barricades se construisent toutes les nuits aux alentours de l’université polytechnique d’Athènes et elles résistent toute la nuit contre la police. Les gitans qui subissent la répression et l’impunité policière, les immigrés qui tous les jours sont massacrés de diverses manières sont aussi sortis dans les rues et ont pris des pierres comme les jeunes". (16)
En cette période historique caractérisée par tant de divisions au sein du prolétariat, le plus important dans la lutte en Grèce est, comme nous l’avons déjà dit, la force qu’a eue la classe pour faire éclater les divisions et compartimentations qui sont cruciaux pour la domination bourgeoise. Contre le mépris officiel, contre le racisme propre au capital et au bon citoyen,… le prolétariat a assumé ses intérêts en se battant uni dans la lutte. Si les prisonniers, les immigrés, les jeunes et autres couches systématiquement discriminées se sont bel et bien affrontées seules à certains moments à toute la bourgeoisie coalisée, en décembre par contre, en s’unifiant et en s’affirmant dans la rue, ils ont fait briller tout le pays et cette lumière, par sa puissance, a irradié les prolétaires du monde entier.
Loin d’ignorer le problème du racisme et des autres clivages qui fonctionnent en permanence pour maintenir la domination et l’oppression capitaliste, (17) le mouvement les a assumés comme une réalité et les discussions et proclamations traitant la question des immigrés et des étrangers n’ont pas manqué. La conscience de classe s’affirma également contre les séparations de toujours, les protagonistes revendiquèrent ouvertement que dans la lutte se retrouvaient côte à côte des prolétaires locaux, des prolétaires immigrés, des prolétaires réfugiés.
"Dans le cadre de cette large mobilisation, derrière les manifestations de l’avant-garde étudiante, il y a une participation massive de la deuxième génération d’immigrés et également de nombreux réfugiés. Les réfugiés viennent à la rue en petit nombre, avec peu d’organisation, mais avec spontanéité et impétuosité. À l’heure actuelle, ils sont les plus actifs parmi les étrangers vivant en Grèce… Les enfants d’immigrés se mobilisent en masse et énergiquement… il s’agit d’un second novembre 2005 français… Ces jours sont aussi les nôtres. Ces jours sont aussi pour les centaines d’immigrés et de réfugiés assassinés aux frontières, dans les commissariats de police, sur les lieux de travail… Ces jours sont aussi pour GRAMOZ PALOUSI, LOUAN MPERNTELIMA, ENTISON GIAXAI, TONI ONOUXA, AMNPTOURAKIM INTRIZ, MONTASER MOXAMENT ASTRAF et tant d’autres que nous n’avons pas oubliés… Ces jours sont pour la violence policière quotidienne qui reste impunie et sans réponse. Ils sont pour les humiliations aux frontières et aux centres de rétention d’immigrés… Ces jours sont pour l’exploitation continue et sans relâche… Ces jours sont pour le prix que nous devons payer pour simplement exister et respirer, pour tous les moments où nous avons dû serrer les dents face aux insultes. Ils sont pour tous les moments où nous n’avons pas réagi alors que nous avions les meilleures raisons du monde de le faire. Ils sont pour toutes les fois où nous avons réagi et où nous nous sommes retrouvés seuls parce que nos morts et notre rage ne correspondaient pas aux formes admises, ne rassemblaient pas de votes, ni n’apparaissaient en gros titres dans les premières pages des médias… Ces jours-ci appartiennent à tous les marginaux, aux exclus, aux personnes affublées de noms difficilement prononçables et d’histoires incompréhensibles. Ils appartiennent à tous ceux qui meurent chaque jour dans la mer Egée et le fleuve Evros, à tous ceux assassinés à la frontière ou dans la rue en plein cœur d’Athènes. Ils appartiennent à la communauté Rom de Zefyri, aux toxicomanes d’Eksarhia. Ces jours appartiennent aux enfants de la rue Mesollogiou, aux exclus, aux étudiants incontrôlables. Grâce à Alexis, ces jours nous appartiennent à tous". (18)
La lutte du prolétariat en Grèce affirme ainsi l’internationalisme du prolétariat comme classe, justement en Europe, centre historique mondial du colonialisme et du racisme. L’antagonisme entre le monde présent et le monde futur ne pouvait être plus clair, entre le monde du capital, son racisme, ses guerres, ses esclavages, ses massacres et une société, portée par le prolétariat dans sa lutte révolutionnaire, débarrassée de cette inhumanité.
Il est vrai que, comme tant d’autres fois, le mouvement a commencé dans des secteurs particuliers du prolétariat et que, par la suite, quand le mouvement s’est radicalisé à partir de la mort d’un jeune, ceux qu’on voyait le plus dans les rues, comme le souligne leurs propres camarades en lutte, étaient jeunes, presque des enfants (comme cela s’est passé dans les banlieues et ensuite dans la lutte anti-CPE en France). Il est évident que, comme en d’autres occasions, cela a été vécu au début comme un problème pour les "enfants" protagonistes, mais il y eut un relatif dépassement de cette limite par la poursuite du mouvement et la large généralisation qui s’en suivit (généralisation sectorielle et également géographique). Cette réaffirmation du prolétariat comme classe se concrétisa dans de sympathiques échanges intergénérationnels de communiqués, dont nous soulignons en encadré quelques passages où les "enfants" font une bonne et saine critique du conformisme et de la citoyenneté des adultes, de leurs propres parents.
Nous voulons un monde meilleur.Aidez-nous!NOUS SOMMES VOS ENFANTS! Ces connus méconnus… Nous voulons rêver – ne tuez pas nos rêves! Nous avons des passions – ne nous arrêtez pas! Souvenez-vous! Il y a longtemps, vous étiez jeunes aussi. Maintenant vous poursuivez l’argent, seule la façade des choses vous intéresse. Vous êtes devenus gros et chauves. Vous avez oublié! Nous espérions que vous nous appuieriez, que vous auriez un peu d’intérêt, Que nous puissions pour une fois être fiers de vous. En vain! Vous vivez de fausses vies. Vous avez la tête inclinée, Les pantalons baissés et vous attendez le jour où vous allez mourir. Vous n’avez pas d’imagination, vous ne tombez pas amoureux, vous ne créez rien! Vous ne faites que vendre et acheter: QUE DU MATERIEL – DE L’AMOUR NULLE PART – DE LA VERITE NULLE PART. Où sont les parents? Où sont les artistes? Pourquoi ne sortez-vous pas dans la rue pour nous protéger? ILS NOUS TUENT, AIDEZ-NOUS! Les enfants Ps: nous n’avons pas besoin de plus de gaz lacrymogènes pour pleurer. Nous y arrivons tout seuls. |
Ce communiqué a beaucoup circulé tant à l’intérieur de Grèce qu’internationalement et bien évidemment ceux qui ont dénigré les auteurs n’ont pas manqué, mais il y a eu également des réponses allant dans le même sens, appelant à la participation de tous les prolétaires et ce sont celles-là que nous voulons souligner. Voir plus loin la "Lettre à tous les étudiants écrites par des travailleurs athéniens" signée Des Prolétaires.
Évidemment, comme ailleurs, il y a eu des secteurs du prolétariat qui n’ont pas bougé, qui sont restés imperturbables devant leur télévision distillant le venin idéologique nécessaire à la reproduction du bon citoyen. Il y aura toujours des prolétaires qui trahissent leur classe et sont de ce fait les participants silencieux de sa répression comme le dénonce le tract des "enfants". Ce ne sont pas les bourgeois qui sortent pour tuer et réprimer les prolétaires qui luttent. Les bourgeois tremblaient et se cachaient. Toute la domination de classe se base sur la capacité de la classe dominante à coopter une partie des prolétaires pour réprimer l’autre.
En Grèce, comme nous l’avons vu, les protagonistes n’ont pas
seulement dénoncé le citoyen complice en général
mais également ceux qui ne prenaient pas parti où qui ne
rompaient pas avec les manifestations citoyennes dirigées par la
gauche et par les syndicats: "les propriétaires de la marchandise
appelée force de travail, qui ont investi celle-ci sur le marché
en échange d’une sécurité sociale et avec l’espoir
de voir leur progéniture échapper à leur condition
par le biais de l’ascension sur l’échelle sociale, continuent d’observer
les insurgés sans prendre parti, mais sans pour cela appeler la
police pour les disperser. Conjointement au remplacement de la sécurité
sociale par la sécurité policière et à l’effondrement
du marché de la mobilité sociale, beaucoup de travailleurs,
coincés sous le poids de l’univers désastreux de l’idéologie
petite bourgeoise et de l’économie mixte, se déplacent vers
un soutien moral (socialement important) au soulèvement juvénile,
mais sans s’unir encore à son offensive contre ce monde assassin.
Ils continuent à traîner leurs cadavres dans les litanies
des trois mois des syndicalistes professionnels en défendant un
pathétique défaitisme sectoriel en opposition à l’agressive
rage de classe qui passe rapidement au premier plan. Ces deux mondes se
sont rencontrés le lundi 8 décembre, dans les rues, et le
pays entier s’est allumé. Le monde du défaitisme sectoriel
prit les rues pour défendre le droit démocratique des rôles
séparés, ceux du citoyen, du travailleur, du consommateur,
en participant à des manifestations sans prendre de risque. Non
loin de là, le monde de l’agressivité de classe prend les
rues sous forme de petites "bandes" organisées qui
cassent, brûlent, pillent et détruisent les trottoirs pour
lancer des pavés sur les assassins. Le premier monde (du moins tel
que l’exprime le discours des syndicalistes professionnels) craignait tellement
la présence du second que le mercredi 10 décembre, il tenta
de se manifester sans la présence dérangeante des
"riff-raff".
Le dilemme concernant le comment être dans la rue était
déjà sur la table: du coté de la sécurité
démocratique des citoyens, ou bien du coté de l’affrontement
solidaire du groupe, le blocage agressif, la démarche qui consiste
à défendre l’existence de chacun au moyen de barricades et
d’attaques radicales". (19)
Bon nombre d’expressions du mouvement dénoncent avec justesse et violence tous ces secteurs qui, même s’ils s’indignent de la mort d’Alexis et manifestent pacifiquement contre elle, se trouvent totalement soumis à l’idéologie dominante et se font complices du pouvoir dans leur vie quotidienne: "Ceux qui se contentent de parler de l’"inhumanité" que représente l’assassinat d’un garçon de 16 ans, ceux qui ne peuvent s’empêcher de saliver en prenant un plaisir secret à regarder une série télévisée plus réelle que d’habitude, ceux qui ne trouvent pas de raisons pour appréhender cet événement d’une manière "guerrierocivilopolémique"… ce sont ceux qui ne peuvent se sentir en sécurité pour eux-mêmes et leur propriété et cherche celle-ci dans l’Etat, ce sont ceux qui remplissent les magasins de caméras de surveillance, ceux qui croient que dans la rue il n’y en a pas assez… Et ceux qui croient que ce sont elles qui les sauveront… ce sont ceux qui dirigent leurs fusils contre les immigrés, là où les forces de la coalition armée-police ne suffisent pas… ce sont les téléspectateurs qui face à l’assassinat de Mondaser Mohammed Ashraf dans le commissariat de la rue Petru Ralli, changent seulement de chaîne…ce sont ceux qui ne descendent dans la rue que pour compter les dégâts matériels après chaque affrontement…" (20)
Les camarades soulignent une réalité. Les secteurs du prolétariat qui ont le plus de sécurité d’emploi et qui, pour cette même raison, sont souvent les plus syndicalisés, sont les secteurs les plus conservateurs. Une grande majorité d’entre eux, par leurs illusions et leurs idées, constituent un frein à la solidarité et à la lutte prolétarienne. Et même au-delà de ceux qui occupent une place "privilégiée" au sein de l’appareil productif, la citoyenneté a un poids contre-révolutionnaire important. Les partis de gauche de la bourgeoisie jouent un rôle fondamental dans le développement de cette idéologie citoyenne et ont en Grèce, comme dans d’autres pays, un appui important au sein de ces secteurs de production qui se situent systématiquement contre la lutte communiste. Une excellente action contre les secteurs les plus syndicalisés et conservateurs du prolétariat a été l’occupation du siège central de la "Confédération Général des Travailleurs de Grèce" effectuée par l’Assemblée Générale des Travailleurs Insurgés d’Athènes (21) parce qu’elle a permis de dénoncer pas mal de mensonges médiatiques et de mettre ce local au service du mouvement, au moins durant cette courte période, ce local payé par les prolétaires mais toujours mis au service de l’ordre bourgeois, et par là même d’affronter l’encadrement contre-révolutionnaire des syndicats. Au-delà de l’utilité de ce local central, l’occupation a représenté tout un symbole de lutte et de dénonciation de l’appareil syndical et de sa bureaucratie, comme le souligne le communiqué suivant:
"Pour démasquer le rôle honteux de la bureaucratie syndicale dans le travail de sape contre l’insurrection, mais aussi à d’autres niveaux. La Confédération générale des travailleurs en Grèce (GSEE) et l’intégralité de la machinerie syndicale qui la soutient depuis des dizaines et des dizaines d’années déprécie les luttes, négocie notre force de travail contre des miettes et perpétue le système d’exploitation et d’esclavage salarié. L’attitude de la GSEE mercredi dernier est révélatrice: la GSEE a annulé la manifestation des travailleurs pourtant programmée, se rabattant précipitamment sur un bref rassemblement sur la place Syntagma, tout en s’assurant simultanément que les participants se disperseraient très vite, de peur qu’ils ne soient infectés par le virus de l’insurrection". (22)
Cependant, lors de cette audacieuse action directe se sont opposées, comme partout et de tout temps, deux tendances classiques, l’une (en général la gauche de la social-démocratie) ne critiquant que la bureaucratie syndicale et l’autre allant à la racine de la question en critiquant les bases mêmes du syndicat en tant qu’appareil de l’oppression capitaliste: "Depuis le début, il était évident qu’il existait deux tendances à l’intérieur de l’occupation: l’une ouvriériste, qui voulait utiliser l’occupation symboliquement pour critiquer la bureaucratie syndicale et promouvoir l’idée d’une base indépendante de l’influence politicienne, et l’autre, prolétarienne, qui voulait attaquer l’une des institutions de la société capitaliste, critiquer le syndicalisme et utiliser le local pour créer une autre communauté de lutte dans le contexte de la généralisation des émeutes". (23)
Bien évidemment les syndicalistes et leurs troupes de choc ne pouvaient permettre un tel affront lancé par le prolétariat révolutionnaire. Ce jour-là, ils tentèrent de récupérer le local par la force. Pour ce faire, ils eurent recours à plus de 50 sbires qui tentèrent de déloger les occupants, mais ces derniers résistèrent et grâce aux occupants de l’ASOEE (université d’Économie d’Athènes), ils arrivèrent à repousser l’évacuation à plus ou moins 3 heures de l’après midi. Pour réaffirmer l’occupation, on appela à une concentration qui se concrétisa quelques heures plus tard et à laquelle participèrent quelques 800 personnes.
Malgré tous ces efforts, nous devons reconnaître que le travail de nos ennemis a continué à donner des résultats et que parmi les nombreux salariés qui se trouvaient dans la rue, ils ne furent pas nombreux ceux qui durant ces journées ont rompu avec l’encadrement syndical et bourgeois. Un grand nombre de travailleurs des grandes entreprises ont été plus spectateurs que protagonistes, c’est à dire qu’ils n’assumèrent pas la lutte que leurs camarades d’avant-garde leur indiquaient, ce qui constitua une réelle limite pour la révolte. Il faudra encore que la crise s’enfonce au point que chancèle cette fameuse sécurité d’emploi qui alimente si bien le conformisme, pour que les prolétaires des grandes entreprises rompent avec l’encadrement syndical et la social démocratie en général, auquel cas ils peuvent jouer un rôle très important dans la lutte. A ce propos, il nous semble éloquent de faire une comparaison avec la révolte prolétarienne en Argentine en 2001/2002 où la crise était arrivée à un tel niveau de profondeur que même ces secteurs sont sortis dans la rue, ce qui ne fut pas aussi général en Grèce. Sans aucun doute, en Europe le capitalisme n’a pas encore attaqué de front tous ces secteurs, ce qui permet à tous les appareils d’Etat (et particulièrement aux syndicats) de diviser le prolétariat. Malgré ce qu’ils appellent la crise, la catastrophe du capital en Europe s’est déchargée principalement sur les franges plus exposées ou plus récemment attaquées du prolétariat (jeunes, immigrés, précaires, temporaires, marginaux, sans-papiers,…) et qui par conséquent ont été à la tête de toutes les grandes luttes sur ce continent. C’est peut-être pour cette raison que les caractéristiques de ces luttes sont différentes de celles d’hier en Argentine. En Grèce, pendant l’explosion et sa tendance insurrectionnelle, le prolétariat semble jouer le tout pour le tout, alors qu’en Argentine, le mouvement a duré plus longtemps mais il était davantage infecté par les illusions politicistes (Assemblée Constituante, réformisme classique, drapeaux argentins,…) et surtout par les solutions gestionnistes (autogestion, activités productives organisées par des sans emplois,…) qui ont constitué la force principale à l’intérieur du mouvement pour sa liquidation. En Grèce, par exemple, l’idéologie de Negri, de Holloway ou du mythe médiatique du subcomandante Marcos et en général de tous ceux qui voudrait changer le monde sans poser la question du pouvoir, n’a quasi eu aucune force (contre-révolutionnaire) au sein du mouvement. En Grèce, le mouvement posa dès le début un défi généralisé au pouvoir (dans le style "qu’ils s’en aillent tous!" des prolétaires en Argentine), affirma ouvertement son objectif insurrectionaliste et ne s’arrêta que face à son isolement, ou dit autrement, devant le fait que sans la lutte ouverte du prolétariat des autres pays (du moins des autres pays européens, disent les tracts), il n’était pas (encore) possible d’aller beaucoup plus loin.
Sur cette question également, il y eu une grande lucidité
des secteurs d’avant garde: "Nous savons que le moment est venu pour
nous de penser stratégiquement. En ce moment si important, nous
savons que la condition indispensable pour qu’une insurrection soit victorieuse
est qu’elle s’étende, au moins au niveau européen. Ces dernières
années, nous avons vu et nous avons appris: les contre sommets de
par le monde, les révoltes d’étudiants à l’échelle
mondiale et les émeutes des banlieues françaises, le mouvement
de lutte contre la TAV en Italie, la commune de Oaxaca, les émeutes
de Montréal, la défense agressive de Ungdomshuset à
Copenhague, les émeutes contre la Convention Nationale Républicaine
aux Etats-Unis, et la liste continue.
Nés dans la catastrophe, nous sommes les enfants d’une crise
globale: politique, sociale, économique et écologique. Nous
savons que ce monde est déjà mort et qu’il faut être
particulièrement dérangé pour s’accrocher à
ses ruines… Et donc que l’option raisonnable, la seule, est l’auto-organisation".
(24)
Les appels depuis la Grèce se multiplièrent et la solidarité
avec la révolte prolétarienne en Grèce se fit sentir
dans le monde entier: "Les effets au niveau international sont palpables.
Des manifestations de solidarité et des attaques contre les ambassades
grecques ont été répertoriées partout dans
le monde, de Moscou à New York à Copenhague et à Mexico.
Les déclarations et les manifestes des assemblées d’étudiants
en Grèce sont presque instantanément traduits et envoyés
sur le Web en anglais, français, italien, turc et serbe.
Durant les premiers jours de la révolte, les bloggers ont
tenté de recueillir une liste de toutes les expressions de solidarité
qui avaient lieu, mais la tâche s’est avérée impossible:
il y en avait des centaines; des milliers de personnes sont descendues
dans les rues. Samedi dernier, journée mondiale contre la violence
policière, il y a eu des manifestations importantes dans plus de
30 villes du monde entier". (25)
Les répercussions et les démonstrations de solidarité sont bien plus nombreuses qu’à l’occasion des révoltes de ces dernières années dans d’autres pays. Espérons que cela soit un indice permettant de penser que le prolétariat international, qui est souvent endormi lorsque des luttes se déroulent ailleurs, est aujourd’hui secoué par le choc de la catastrophe actuelle de la société bourgeoise et par la pertinence de la réponse des prolétaires en Grèce… et qu’il commence à se réveiller (contre le souhait de la bourgeoisie). Serions-nous devant un point d’inflexion dans l’inconscience de classe et qu’à partir de maintenant, personne ne pourra plus être indifférent face à la catastrophe qui se ressent plus fort chaque jour et surtout face à ce type de lutte courageuse contre le système? "Dans la nuit du 10 décembre, un cocktail Molotov a été lancé contre le consulat grec de Moscou, tandis qu’à celui de New York, une vitre a été brisée et une inscription bombée: "Assassins, Alexis est passé par-là". Et il y a eu bien entendu des manifestations et des occupations de consulats, entre autres à: Londres, Paris, Edimbourg, Barcelone, Florence, Rome, Berne, Zagreb, Bratislava, La Haye, Melbourne, San Francisco, Dublin, Glasgow, Bristol, et dans presque toutes les villes en Allemagne… Ici, à Bruxelles, nous avons organisé une". (26) Les jours passant et grâce à d’autres groupes camarades nous pouvons rallonger la liste des villes et des pays où des consulats, des ambassades et des centres culturels grecs ont été occupés, ainsi que des attaques de commissariats, de banques et des graffitis de solidarité avec la révolte en Grèce: Berlin, Istanbul, Bordeaux, Luxembourg, Nouvelle Zélande, Uruguay, Chypre,…
Une des plus grandes difficultés du prolétariat partout dans le monde est le "que faire" pour arracher les camarades prisonniers des griffes de la répression après chaque petit conflit ou grande bataille. Dans l’actuel rapport de forces international, la grave incapacité du prolétariat à assumer cette nécessité sur un terrain de classe est évidente. L’impossibilité d’imposer la libération des camarades prisonniers, par l’action directe et la force, est un élément de chantage permanent avec lequel la démocratie et ses agents jouent en permanence pour nous amener sur leur terrain, celui de l’individu isolé face à l’Etat, du citoyen seul face à l’appareil juridique, dans lequel il ne reste pas d’autre "défense" que la défense individuelle sur le terrain du droit et de la "solidarité" basée sur l’envoi d’aide matérielle pour supporter la prison, pour faire face au procès et payer l’avocat… La délicate discussion sur le comment affronter la situation dans chaque cas concret ne doit pas nous faire perdre de vue que la bourgeoisie exerce la dictature non seulement quand elle enferme les camarades mais aussi quand elle impose par la force le droit et nous force à cette défense individuelle en tant que citoyen. Le droit du citoyen, que préconisent tant nos ennemis, contient toujours cette composante de terreur d’Etat qui est utilisée pour s’opposer à l’organisation du prolétariat en force. |
Il est clair que ces actions directes internationales doivent être saluées comme exemples et qu’il faut les opposer aux sempiternelles propositions de la gauche bourgeoise qui caricature la solidarité (ou mieux dit, tente de la dévier, de l’empêcher,…) en impulsant des manifestations pacifiques, des pétitions, des carnavals inoffensifs ou des campagnes humanitaires et caritatives.
Mais il nous faut rappeler qu’il n’y a pas encore de véritable solidarité de classe, forte, organisée (capable par exemple d’arracher les prisonniers des prisons…), que ce que nous faisons nous, les prolétaires d’ailleurs, est totalement insuffisant par rapport à un mouvement aussi extraordinaire que celui-là.
Mais, comme nous l’avons fréquemment exposé, aussi importante et courageuse puisse être l’action directe du prolétariat international en solidarité avec la lutte du prolétariat dans une région, la véritable solidarité est l’intensification de la lutte contre la bourgeoisie partout. La solidarité la plus profonde s’exprime quand on se bat simultanément et partout contre le même ennemi. C’est uniquement de cette manière que le triomphe de la révolution sociale sera possible, comme l’ont exprimé de nombreux groupes internationalistes.
"Camarades, suivons l’exemple de nos frères en Grèce qui déborde toute tentative d’intégration démocratique. Ne croyons pas aux artifices avec lesquelles ils veulent nous embrouiller. Tous les politiciens au gouvernement ou dans l’opposition, ceux de gauche ou de droite, les corps répressifs, les journalistes et autres porte-voix du capital… tous sont les expressions de la bête capitaliste: pièces de rechanges, fausses oppositions et outils pour nous écraser. C’est le monde entier que nous voulons changer depuis ces fondements. Et pour cela, nous ne comptons que sur nous-mêmes, organisés en dehors et contre tous les appareils de l’Etat (partis, syndicats, ONGs,…), cassant les divisions qu’ils veulent nous imposer (jeunes/vieux, travailleurs/étudiants/chômeurs, immigrants/autochtones,…)". (27)
Depuis Rosario en Argentine, on affirme également cette position qui consiste à mettre en avant que la véritable solidarité c’est lutter contre le capitalisme partout, c’est affronter "sa propre bourgeoisie": "Pourquoi réagir face à ces événements qui se déroulent à autant de kilomètres de l’endroit ou nous essayons de vivre? Parce que, exploités et opprimés, nous n’avons pas de patrie: le patriotisme sert la classe dominante pour occulter l’antagonisme social dans lequel nous vivons, c’est l’alibi pour séparer les dominés, pour que nous n’ayons pas d’identité de classe. Parce que nous avons été, nous sommes et nous serons ceux qui portent atteinte contre cette forme de non-vie, nous nous solidarisons avec les personnes qui poussent plus loin les révoltes en Grèce en affirmant la vie, détruisant ce qui les détruit (et ce qui nous détruit), récupérant les aliments produits par nos frères, occupant les universités pour se réunir, affrontant la police, récupérant les rues, agissant en dehors et contre les partis et syndicats, nous montrant que la véritable organisation est celle d’en bas. "Travailleurs, sans emplois, étudiants, encagoulés" sont les catégories utilisées par les moyens d’information bourgeois pour isoler et diviser. Nous disons: Tous prolétaires! En conséquence, luttons et organisons-nous contre "notre" propre bourgeoisie dans "notre" propre région…". (28)
L’inconscience de classe du prolétariat en Europe, et en général dans le monde, continue à peser de tout son poids, empêchant l’indispensable généralisation de notre bataille où que ce soit, ce qui est particulièrement vital et indispensable pour la transformation de la révolte en révolution sociale internationale. Il est évident que sans cette généralisation, comme le disent les camarades de l’ASOEE (voir communiqué déjà cité), même si la perspective évidente de retourner tôt ou tard à la normalité nous attriste et que nous luttons pour maintenir et étendre la révolte, il arrive un moment où le rapport de forces empêche de continuer. Et il est important de le dire clairement, parce que mettre en avant qu’en Grèce, "l’insurrection devait être maintenue le plus longtemps possible" selon certains communiqués qui circulaient sur Internet, nous semble s’inscrire dans un manque total de perspective révolutionnaire. Ce prétendu "insurrectionnalisme" ignore que ce qui est le plus décisif dans une insurrection prolétarienne, c’est la concentration, l’organisation et la centralisation de la force prolétarienne pour liquider le pouvoir du capital et toutes ses forces répressives organisées. (29)
L’internationalisme du prolétariat se limite donc encore à ces actions malgré tout exemplaires et indispensables de groupes prolétariens très minoritaires qui dans diverses régions de la planète sont sortis dans la rue pour marquer leur appui à la révolte en Grèce, pour attaquer les symboles et les représentations du pouvoir, pour diffuser des manifestes, des proclamations et des appels à la lutte au prolétariat endormi qui dans les autres pays "regarde" ce qui (est dit par nos ennemis sur ce qui) "se passe en Grèce" au travers de l’image caricaturale et castratrice de la télévision. Malheureusement, les somnifères et les autres drogues idéologiques fonctionnent encore et empêchent le feu de s’étendre. Oui, c’est vrai, il y a eu cette fois plus de réactions que pour d’autres révoltes prolétariennes, comme celles en Irak, en Algérie, en Argentine,… et il y a eu aussi un sentiment de reconnaissance au niveau international qui a créé une ambiance qui dénotait d’avec celle d’une classe mondiale qui semble bien souvent enterrée. Dans des discussions militantes, dans des assemblées, dans des publications, dans les bars, sur Internet… nous constatons qu’un grand nombre de prolétaires encore il y a peu abasourdis par des idioties, des idéologies et du pacifisme, se sont reconnus d’une manière ou d’une autre dans cette formidable expression violente de notre classe. Même si on a pu sentir réémerger de manière embryonnaire cette sensation d’appartenir à une même classe opposée au monde du capital, on ne peut toutefois pas encore parler d’extension internationale de la révolte prolétarienne.
Ce n’est pas le manque d’internationalisme du prolétariat en Grèce qui empêche l’extension, c’est au contraire l’inconscience de l’internationalisme du prolétariat dans les autres régions qui marque les limites objectives de la révolte grecque. En Grèce, le prolétariat a fait tout ce qui était à sa portée pour ne pas rester isolé et son action a été internationaliste et a transmis le feu à tous les frères prolétariens qui voulaient bien voir la grandeur révolutionnaire qui transparaissait dans cette révolte. Plus encore, le prolétariat en Grèce, par son action, ses proclamations et ses manifestes, n’a pas seulement appelé ses frères de classe à se lancer dans la bataille, il a aussi agit pratiquement, en pleine révolte, en solidarité avec le prolétariat d’autres pays et pas uniquement avec les prolétaires d’origines différentes qui se battaient en Grèce. Il y a eu des tracts et des actions en Grèce qui dénonçaient et luttaient contre la répression terroriste effectuée, justement à ce moment là, par l’Etat d’Israël (et les Etats-Unis) contre le prolétariat parqué dans la bande de Gaza. Cela démontre que face au terrorisme d’Etat international c’est uniquement par la force et l’action directe que l’on peut être solidaire.
A ce propos, nous voulons souligner un point extrêmement important. En plein mouvement, les prolétaires en Grèce se sont rendus compte que les Etats-Unis ravitaillaient militairement les criminels de l’Etat Juif en passant par le port de Astakos et ils ont lutté par tous les moyens pour l’empêcher. Voici comment "Voices of resistance from an occupied London" (30) nous informe sur la situation: "Des reportages de la grande presse ont révélé que l’armada nord américaine est en train d’essayer d’affréter 250 containers de quelques 20 pieds,…, remplis de munitions (quelques 3000 tonnes) depuis le port privé d’Astakos jusqu’en Israël en un envoi spécial d’armes pour aider et continuer à alimenter les crimes de guerre contre les gens de Gaza. Les informations sur le moment exact de la réalisation du transport sont contradictoires. Les dates possibles sont le 15, 25 ou 31 janvier… des groupes et individus… sont occupés à organiser un blocage au niveau national du port d’Astakos. Le mouvement anti-autoritaire, le mouvement international contre la guerre et les assemblées locales de groupes et d’habitants du village d’Astakos ont déjà lancé un appel pour une concentration dans le port de cette ville le 15 janvier…"
Quelques jours plus tard, l’Etat des Etats-Unis communiqua à son homologue israélien que l’envoi avait été annulé prétextant on ne sait quel type de raison. Mais avec les prolétaires en lutte en Grèce, en Palestine et dans le monde, nous savions bien que nos ennemis ont préféré arrêter l’envoi (et peut-être l’assurer d’une autre manière) plutôt que de le maintenir en s’affrontant à la solidarité prolétarienne internationale car cela aurait provoqué une violence très claire de classe contre classe au niveau général qui, à son tour, aurait été un élément objectif favorisant la conscientisation du prolétariat à un niveau international. C’est ce qui leur fait le plus peur: qu’il soit mis en évidence que la lutte révolutionnaire du prolétariat est la seule capable d’arrêter les guerres, les répressions et massacres de l’Etat, tournant au ridicule tous les discours et manifestations pacifistes.
Reste à nous demander: que reste-t-il de la révolte en
Grèce? Citons une fois de plus la lucidité de protagonistes
de notre classe: "Tout commence et tout mûrit dans la violence
– mais rien n’en reste là. La violence destructrice qui éclata
lors des événements de décembre a provoqué
l’arrêt de la normalité capitaliste dans le centre de la métropole,
une condition nécessaire mais insuffisante pour la transformation
de l’insurrection en une tentative de libération sociale.
La déstabilisation de la société capitaliste
est impossible sans paralyser son économie – c’est à dire
sans interrompre la fonction des centres de production et de distribution,
par le biais de sabotages, d’occupations et de grèves. L’absence
de proposition positive et créatrice quant à une nouvelle
manière d’organiser les relations sociales était –jusqu’à
présent- une chose plus qu’évidente. Néanmoins, l’insurrection
de décembre doit se comprendre dans le contexte historique du durcissement
de la lutte de classes qui se joue au niveau international". (31)
Au moment de clôturer le présent texte (février 2009), la lutte du prolétariat en Grèce continue, bien sûr de manière plus réduite. Après une vague de blocages de routes et d’autoroutes menés principalement par le prolétariat agricole, une série d’occupations continue et surtout des assemblées perdurent, des structures, des groupes qui font un bilan de ce qui s’est passé et tirent les leçons et des directives pour la prochaine explosion qui est aussi certaine que l’inévitable catastrophe du capital.
Rien ne sera plus pareil, ni en Grèce ni ailleurs. Les camarades qui étaient dans la rue en Grèce ont beaucoup de leçons à tirer et à transmettre pour les combats qui s’annoncent dans toute l’Europe et dans le monde entier. Puisse notre présente contribution aller dans ce sens.
"L'Etat assassine. Votre silence l'arme. Occupations de tous les bâtiments publics, maintenant! Occupation de l'hôtel de ville de Agios Dimitrios." |
Armée: répression et décompositionLa contradiction entre l’armée en tant qu’appareil répressif de l’Etat et les soldats en tant que prolétaires sous l’uniforme qui peuvent freiner la répression est présente dans toute grande lutte. Quand les autres appareils de l’Etat sont débordés, toutes les forces internationales du capital viennent soutenir l’armée locale et coordonner la répression du mouvement social au moyen de conseillers et de forces internationales (en général fournis par les grands Etats-gendarmes internationaux). Il est bien connu que beaucoup de mouvements magnifiques du prolétariat ont été écrasés dans le sang par cette action commune des forces répressives du monde entier, utilisant des escadrons de la mort et l’armée locale pour liquider la révolution.Après que nous ayions écrit le texte qui précède nous est parvenu le communiqué que nous présentons ici et qui prouve que la Grèce n’est pas une exception. La bourgeoisie, pas seulement grecque mais internationale (et bien évidemment les organisations répressives internationales telles que l’OTAN, le Pentagone, l’Union Européenne,…) ont poussé l’armée à assumer sa tâche naturelle: écraser la révolte dans le sang. Mais la révolte prolétarienne avait pénétré trop profondément le prolétariat pour que les soldats soient disposés à réprimer leurs frères. Malheureusement, nous n’avons pas connaissance d’autres détails, mais le tract qui suit montre jusqu’à quel point la révolte avait miné l’obéissance dans l’armée et qu’un grand nombre de soldats n’étaient pas disposés à obéir aux ordres de la répression. Nous le publions intégralement en lui donnant priorité sur d’autres choses prévues par l’importance que nous estimons devoir lui donner. Nous saluons les soldats grecs qui ont refusé d’obéir! Cette désobéissance est un exemple à suivre par les soldats du monde entier! Nous saluons les minorités révolutionnaires qui ont rendu possible cette désobéissance ainsi que ce communiqué qui exprime la base de la décomposition des forces répressives! |
Nous refusons de nous transformer en forces de répression contre les manifestations.Nous appuyons la lutte des étudiants, dans les écoles/universités, et des travailleurs.Nous sommes des soldats de toute la Grèce. Des soldats qui, à Hania, ont reçu l’ordre d’affronter des universitaires, des travailleurs et des pompiers du mouvement anti-militariste en chargeant nos armes. Des soldats sur lesquels on fait peser le poids des réformes et de la préparation de l’armée grecque. Des soldats qui vivent quotidiennement le harcèlement idéologique du militarisme, du nationalisme, le manque de paie, l’exploitation et la soumission à nos "supérieurs".Dans les campements militaires (dans lesquels nous servons), nous entendons parler d’un "accident isolé": la mort, par une balle policière d’un jeune de 15 ans nommé Alexis. Nous entendons les slogans qui nous arrivent des universités tel un tonnerre lointain. Est-ce que par hasard la mort de trois de nos collègues en août ne fut pas également appelé "accident isolé"? La mort de 42 soldats au cours des 3 dernières années et demi n’est-elle pas également classée comme des "accidents isolés"? Nous entendons qu’à Athènes, Thessalonique et un nombre croissant de villes en Grèce se sont transformées en terrains d’émeutes, des terrains où la rage de milliers de jeunes, travailleurs et sans emploi s’est déchaînée. Bien que nous soyons vêtus d’uniformes militaires et de "vêtement de travail", protégeant le campement, effectuant des missions, étant les domestiques des "supérieurs", nous continuons à nous sentir là-bas (sur ces mêmes terrains), où nous vivions quand nous étions étudiants, universitaires, travailleurs et sans emploi, désespérés, où nous recevions leurs "balles perdues" et où nous supportions le mépris de la précarité, de l’exploitation, des licenciements et des procédures judiciaires. Nous entendons les murmures et les insinuations des officiers de l’armée, nous entendons les menaces du gouvernement, rendues publiques, sur l’imposition d’un "état d’urgence". Nous savons très bien ce que cela signifie. Nous le vivons au travers de l’intensification (du travail), de l’augmentation des tâches (militaires), des conditions toujours plus extrêmes, un doigt sur la gâchette. Hier, ils nous ont ordonné de faire attention et de "maintenir les yeux ouverts". Nous avons demandé: DE QUI NOUS ORDONNEZ-VOUS D’AVOIR PEUR? Aujourd’hui, on nous a ordonné d’être "prêts et en alerte". Nous avons demandé: CONTRE QUI DEVONS-NOUS ÊTRE EN ALERTE? Ils nous ont ordonné d’être prêts pour la déclaration d’état d’urgence et en même temps: - Ils ont distribué des armes chargées à certaines unités d’Attiki (la région d’Athènes) accompagnées de l’ordre qu’elles soient utilisées contre des civils s’ils se font menaçants. (Exemple: une unité militaire à Menidi là où eurent lieu des attaques aux casernes policières de Zephiri.) - Ils ont distribué des baïonnettes aux soldats à Evros (à la frontière avec la Turquie). - Ils ont ordonné de faire peur aux manifestants en opérant des déplacements de pelotons vers les campements militaires périphériques. - Ils ont ordonné de déplacer des patrouilles de police dans les camps militaires à Nayplio – Tripoli – Korinthos pour qu’elles soient protégées. - Ils ont distribué des balles en plastique dans la caserne de Korinthos pour tirer contre nos propres citoyens s’ils bougent de manière "menaçante" (selon qui?). - Ils ont placé une unité spéciale devant le monument du "soldat inconnu" juste en face des manifestants le samedi 13 décembre et ont posté des soldats de la caserne de Nayplio contre la manifestation des travailleurs. - Ils ont menacé (les citoyens) avec des unités d’opération spéciales d’Allemagne et d’Italie – comme une armée d’occupation – révélant le véritable visage anti-ouvrier/autoritaire de l’Union européenne. La police tire en visant le présent et le futur de la révolte. Pour ce faire, ils préparent l’armée pour qu’elle assume les tâches d’une force policière et la société pour qu’elle accepte le retour de l’armée, du totalitarisme réformiste. Ils nous préparent pour affronter nos amis, nos connaissances, nos frères et sœurs. Ils nous préparent à affronter nos anciens et futurs collègues au travail et à l’université. Cette série de mesures montre que les chefs de l’armée et de la police, avec le consentement de Hinofotis (ex-membre de l’armée professionnelle, actuellement vice-ministre de l’intérieur, responsable des "affaires intérieures"), du commandement général de l’armée, de tout le gouvernement, des dirigeants de l’Union européenne, des propriétaires de commerces ainsi que des citoyens furieux et ceux d’extrême-droite, visent à utiliser les forces armées comme n’importe quelle Force d’Occupation (ne serait-ce pas vous qui nous appelez "corps de paix" quand vous nous envoyez à l’extérieur pour faire exactement les mêmes choses?) dans les villes où nous sommes nés, dans les quartiers et les rues ou nous nous promenions. La direction politico-militaire oublie que nous sommes une partie de cette même jeunesse. Ils oublient que nous sommes la chair de la chair d’un jeune qui est confronté au désert de la réalité à l’intérieur et à l’extérieur des campements militaires. D’une jeunesse qui est indignée, insubordonnée, et le plus important: SANS PEUR. NOUS SOMMES DES CIVILS EN UNIFORMES. Nous n’accepterons pas de nous transformer en outils de la terreur que certains veulent imposer à la société, comme un épouvantail. Nous n’accepterons pas de nous transformer en une force de répression et de terreur. Nous n’affronterons pas le peuple avec lequel nous partageons les mêmes peurs, les mêmes besoins, les mêmes désirs, un futur commun, des dangers et des espérances. NOUS REFUSONS DE PRENDRE LES RUES AU NOM D’UN QUELCONQUE ETAT D’URGENCE CONTRE NOS FRERES ET NOS SŒURS. En tant que jeunes en uniforme, nous exprimons notre solidarité avec les personnes qui sont en lutte et nous crions que nous ne redeviendrons pas des pions de l’état policier et de la répression étatique. Nous n’affronterons jamais notre peuple. Nous ne permettrons que s’impose dans les corps de l’armée un climat qui rappellerait les journées de 1967 (quand l’armée grecque réalisa son dernier coup d’Etat). Des centaines de soldats
de plus de 42 casernes. |
Nous détruisons le présent parce que nous venons du futurCommuniqué de prolétaires de la faculté occupée ASOEE (Université d’Economie d’Athènes)Les premières lueurs de l’aube apparaissent après l’obscurité la plus profonde.Jusqu’au samedi 6 décembre au soir, nous aurions pu dire que jusqu’ici tout allait bien, en assistant à la chute individuelle de chacun de nous dans le désert du système capitaliste. C’est à ce moment qu’apparut la fissure et la folie destructrice d’une bonne partie de la jeunesse du pays. Dans un premier temps, comme tant de fois dans l’histoire, ce sont les faits qui ont parlé. D’abord, un policier s’est accordé, au moyen de son arme, le droit de mise à mort parce qu’il était protégé par une autorité quelconque. Le sang d’un adolescent coula et les larmes se répandirent instantanément depuis Exarhia jusqu’au centre économique de la métropole et d’autres grandes villes, des larmes de flammes et de vitres brisées qui transformèrent les banques et les centres commerciaux en nuage de rage avec l’inscription: VENGEANCE. Deux jours plus tard, les marchés de Noël des centres villes semblaient avoir été les cibles de bombardements de guerre, alors que l’économie en crise recevait un autre souffle de mort en plein cœur par des hordes de "hooligans" détruisant des marchandises. "Le Traité de Varkiza est rompu, nous sommes à nouveau en guerre". Nous parlons du retour de la lutte de classes à l’avant scène, nous parlons de ce qui pour nous est la solution à la crise. Et nous ne faisons que commencer. Allons de l’avant… Nous sommes une partie de la révolte de la vie contre la mort quotidienne que nous imposent les relations sociales existantes. Avec la force de destruction qui bat en nous, nous opérons une sauvage (même si contradictoire) attaque de l’institution "propriété privée". Nous occupons les rues, nous respirons librement malgré les gaz lacrymogènes, attaquant la pire partie de nos semblables: ceux qui sont esclaves de nos chefs de la manière la plus extrême et répugnante à savoir d’être flics. Nous érigeons une barricade inébranlable contre la normalité répugnante du cycle de production et de distribution. Dans la situation actuelle, rien n’est plus important que de consolider cette barricade face à l’ennemi de classe. Et cela, même si nous nous replions devant la pression du rebut (para-) étatique et la fragilité de la barricade, nous savons que déjà rien ne sera plus comme avant dans nos vies. Nous vivons de plus une situation historique dans laquelle se recompose un nouveau sujet de classe qui porte depuis longtemps la responsabilité d’assumer le rôle de fossoyeur du système capitaliste. Nous croyons que le prolétariat n’a jamais été une classe par sa position, mais que bien au contraire, elle se constitue en tant que classe pour elle-même dans l’affrontement contre le capital, d’abord dans la pratique, pour acquérir ensuite la conscience de ses actes. La recomposition se déroule de la part de groupes de sujets qui se rendent compte qu’ils n’ont aucun contrôle sur leurs propres vies, provenant de couches sociales qui ont été –et sont– sucées jusqu’à la moelle et qui s’interpénètrent dans des trajectoires contradictoires jusqu’à l’unification. Le travail salarié a toujours été un chantage. Actuellement, ce l’est avec plus d’intensité, de par l’augmentation du nombre de travailleurs employés exclusivement de manière ponctuelle et avec des contrats précaires dans des secteurs qui, alors qu’ils sont nécessaires pour la reproduction de la domination capitaliste, n’ont pas d’utilité sociale dans l’absolu. Dans ces secteurs, la lutte des classes se déplace du champ de l’autogestion de la production vers celui du blocage et du sabotage généralisé. De manière simultanée, l’automatisation de la production et l’abandon des politiques de plein emploi créent de grandes réserves de prolétaires au chômage poussés en marge de la société, qui ont recours à des travaux instables ou à l’économie souterraine et illégale pour survivre. Chômeurs, travailleurs précaires, étudiants dans des instituts ou des universités, destinés à être de futurs esclaves salariés, travailleurs immigrés de la première ou deuxième génération qui vivent quotidiennement la marginalisation et la répression, constituent avec les minorités de travailleurs radicaux, la communauté des insurgés de décembre, une communauté basée sur l’identité des conditions d’aliénation et d’exploitation qui sont déterminées par une société basée sur le travail-marchandise. Rappelons que l’anticipation de ces jours festifs a été célébrée par ceux qui se trouvent sur un échelon encore inférieur, ceux qui ont perdu toute jouissance dans le martyre de la démocratie: les prisonniers des prisons grecques. Les propriétaires de la marchandise appelée force de travail, qui ont investi celle-ci sur le marché en échange d’une sécurité sociale et avec l’espoir de voir leur progéniture échapper à leur condition par le biais de l’ascension sur l’échelle sociale, continuent d’observer les insurgés sans prendre parti, mais sans pour autant appeler la police pour les disperser. Conjointement au remplacement de la sécurité sociale par la sécurité policière et à l’effondrement du marché de la mobilité sociale, beaucoup de travailleurs, coincés sous le poids de l’univers désastreux de l’idéologie petite bourgeoise et de l’économie mixte, se déplacent vers un soutien moral (socialement important) au soulèvement juvénile, mais sans s’unir encore à son offensive contre ce monde assassin. Ils continuent à traîner leurs cadavres dans les litanies des trois mois des syndicalistes professionnels en défendant un pathétique défaitisme sectoriel en opposition à l’agressive rage de classe qui passe rapidement au premier plan. Ces deux mondes se sont rencontrés le lundi 8 décembre, dans les rues, et le pays entier s’est allumé. Le monde du défaitisme sectoriel prit les rues pour défendre le droit démocratique des rôles séparés, ceux du citoyen, du travailleur, du consommateur, en participant à des manifestations sans prendre de risque. Non loin de là, le monde de l’agressivité de classe prit les rues sous forme de petites "bandes" organisées qui cassent, brûlent, pillent et détruisent les trottoirs pour lancer des pavés sur les assassins. Le premier monde (du moins tel que l’exprime le discours des syndicalistes professionnels) craignait tellement la présence du second que le mercredi 10 décembre, il tenta de se manifester sans la présence dérangeante des "riff-raff". Le dilemme concernant le comment être dans la rue était déjà sur la table: du coté de la sécurité démocratique des citoyens, ou bien du coté de l’affrontement solidaire, du blocage agressif, de la démarche qui consiste à défendre l’existence de chacun au moyen de barricades et d’attaques radicales. Les événements de décembre 2008 (" Dekemvriana ") sont le dernier chapitre d’une série d’insurrections qui parcourent l’ensemble du monde capitaliste. Dans sa phase décadente, la société capitaliste ne peut, ni n’a comme objectif d’obtenir le consentement des exploités grâce à l’acceptation de revendications partielles. Il ne reste que la répression. Avec la restructuration entamée vers la moitié des années septante (pour repousser l’émeute prolétarienne appelée "mouvement de 68"), le capital se trouva face à la contradiction suivante: alors que d’un côté, il possédait la capacité de créer une masse humaine de téléspectateurs passifs et de consommateurs de marchandises, il devait d’un autre côté leur nier simultanément (via la réduction des salaires) la possibilité d’acquérir ces marchandises. Sous cet angle de vue, le pillage de centres commerciaux dans la rue Stadiou par des personnes qui quotidiennement partagent les illusions d’un faux bonheur de consommation alors qu’ils voient comment on leur refuse les moyens d’accomplir cette promesse, ne devrait pas nous surprendre. L’insurrection de décembre ne porte en elle aucune revendication concrète, précisément parce que les acteurs qui y participent subissent les refus répétés de la classe dominante face à toute revendication et donc ils la connaissent très bien. Les chuchotements de la gauche, qui au début demandaient le retrait du gouvernement, se transformèrent en une terreur muette et une tentative désespérée de calmer l’incontrôlable vague insurrectionnelle. L’absence de revendications réformistes reflète une prédisposition sous-jacente (même si encore inconsciente) à la subversion radicale et au dépassement des relations mercantiles existantes, et la création de relations qualitativement nouvelles. Tout commence et tout mûrit dans la violence –mais rien n’en reste là. La violence destructrice qui éclata lors des événements de décembre a provoqué l’arrêt de la normalité capitaliste dans le centre de la métropole, une condition nécessaire mais insuffisante pour la transformation de l’insurrection en une tentative de libération sociale. La déstabilisation de la société capitaliste est impossible sans paralyser son économie – c’est à dire sans interrompre la fonction des centres de production et de distribution, par le biais de sabotages, d’occupations et de grèves. L’absence de proposition positive et créatrice quant à une nouvelle manière d’organiser les relations sociales était –jusqu’à présent- une chose plus qu’évidente. Néanmoins, l’insurrection de décembre doit se comprendre dans le contexte historique du durcissement de la lutte de classes qui se joue au niveau international. Une série de pratiques de lutte –dont certaines on fait surface de manière élémentaire dans de nombreux pays où ont eu lieu d’importants conflits de classe- proposent et développent à un niveau embryonnaire la communauté humaine qui va abolir et transcender de manière créative les relations mercantiles aliénées: les écoles occupées peuvent être employées comme des centres où l’on s’organise pour prendre les rues et l’espace publique en général; les contre-cours organisés dans le contexte du mouvement récent des étudiants/travailleurs précaires en Italie, mettant la connaissance au service de la communauté qui est occupée à se former; les expropriations collectives dans les supermarchés et les librairies, et la vie collective dans les occupations comme mode d’auto-accomplissement des promesses d’alimentation, logement et livres gratuits; une contestation radicale des relations de propriété, la coopération à la place de l’appropriation personnelle (et parfois la revente) des marchandises expropriées, la connexion entre assemblées de quartiers, en commençant par les problématiques locales, préfigure donc une société où les décisions seront prises et exécutées sans la médiation d’aucun pouvoir séparé (cfr. Oaxaca); transport gratuit au moyen des transports publics, les déménagements (envahir les agences d’emploi et jeter tout leur matériel dans la rue) tel que cela a été fait dans le mouvement anti-CPE en France. Ces pratiques (et bien d’autres, qui résultent de l’intelligence personnelle et collective) peuvent enrichir et fertiliser les forces de la négation, pour que, au milieu de la confusion de l’insurrection, la société libre et communiste commence à prendre forme. Nous faisons tout ce qui est à notre portée pour ne pas abandonner les occupations et les rues, parce que nous ne voulons pas rentrer à la maison. L’idée "réaliste" que tôt ou tard nous devrons retourner à la normalité nous attriste. Ce qui nous remplit de joie c’est que nous sommes au début d’un processus historique d’essor de la lutte de classes, et que si nous le voulons, si nous luttons pour, si nous croyons en elle, ce qui peut nous sortir de la crise, c’est la sortie révolutionnaire du système. 24 décembre 2008
Des prolétaires de l’occupation ASOEE (Université d’Economie d’Athènes) |
"Depuis la Grèce: Pour une nouvelle Internationale" 1Mardi 23 décembre 2008FAUX. Si nous faisons éclater les vitrines des banques c’est parce que nous reconnaissons dans leur argent l’une des causes majeures de notre tristesse. Si nous brisons les vitres des magasins ce n’est pas vraiment parce que la vie est chère, mais parce que la marchandise nous empêche de vivre, peu importe son prix de vente! Si nous prenons d’assaut les commissariats, ce n’est pas seulement pour venger nos camarades morts mais parce qu’entre ce monde et celui que nous désirons, la police sera toujours un obstacle. Nous savons que le moment est venu pour nous de penser stratégiquement. En ce moment si important, nous savons que la condition indispensable pour qu’une insurrection soit victorieuse est qu’elle s’étende, au moins au niveau européen. Ces dernières années, nous avons vu et nous avons appris: les contre sommets de par le monde, les révoltes d’étudiants à l’échelle mondiale et les émeutes des banlieues françaises, le mouvement de lutte contre la TAV en Italie, la commune de Oaxaca, les émeutes de Montréal, la défense agressive de Ungdomshuset à Copenhague, les émeutes contre la Convention Nationale Républicaine aux Etats-Unis, et la liste continue. Nés dans la catastrophe, nous sommes les enfants d’une crise globale: politique, sociale, économique et écologique. Nous savons que ce monde est déjà mort et qu’il faut être particulièrement dérangé pour s’accrocher à ses ruines… Et donc que l’option raisonnable, la seule, est l’auto-organisation. Elle implique évidemment le rejet total des partis et des organisations politiques, car ils font partie du vieux monde. Nous sommes les enfants gâtés de cette société et nous ne voulons rien d’elle. C’est le péché qu’ils ne nous pardonneront jamais. Derrière les foulards noirs, nous sommes vos enfants. Et nous sommes en train de nous organiser. Nous ne nous efforcerions pas autant à détruire la matière de ce monde, ses banques, ses supermarchés, ses commissariats, si nous ne savions pas que, en même temps, nous minons sa métaphysique, ses idéaux, ses idées et sa logique. Les médias décriront tout ce qui s’est passé ces dernières semaines comme une expression du nihilisme. Ce qu’ils ne comprennent pas c’est que dans le processus d’attaque et de dévastation de leur réalité, nous avons expérimenté une forme de communauté supérieure, de partage, une forme supérieure d’organisation joyeuse et spontanée qui établit la base d’un monde différent. Certains pourraient dire que notre révolte se heurte à sa propre finalité dans le sens où elle se limite à la destruction. Cela serait effectivement le cas si, à côté des luttes dans les rues, nous n’avions pas prévu l’organisation nécessaire exigée par un mouvement de longue haleine: cantines approvisionnées par des pillages réguliers, infirmeries préparées à soigner nos blessés, logistique pour publier et distribuer notre presse, notre propre radio. A mesure que nous libérons du territoire de l’empire de l’Etat et de sa police, nous devons l’occuper, le remplir et en transformer l’usage pour qu’il serve le mouvement. De cette manière, le mouvement ne s’arrête jamais de grandir. Dans toute l’Europe, les gouvernements tremblent. Il est certain que ce qu’ils craignent le plus ce n’est pas que se reproduisent les émeutes locales mais qu’il existe une possibilité bien réelle que la jeunesse occidentale2 reconnaisse ses causes communes et se lève d’un bloc pour donner le coup de grâce à cette société. Ceci est un appel à toutes et tous ceux qui veulent l’entendre: De Berlin à Madrid, de Londres à Tarnac, tout est possible. La solidarité doit se transformer en complicité. Les affrontements doivent se répandre. Les communes doivent être proclamées. De cette manière, la situation ne retournera jamais à la normalité. De cette manière, les idées et les pratiques qui nous unissent seront des liens réels. Ainsi, nous serons ingouvernables.3 Salut révolutionnaire aux camarades du monde entier.Aux détenus: "Nous vous délivrerons!"Notes1. NDLR (revue Communisme): la traduction de ce tract a été inspirée de la traduction effectuée par "Futur rouge" et retravaillée par nous sur base de la version espagnole.2. NDLR (revue Communisme): soulignons la limite idéologique consistant à présenter la "jeunesse occidentale" comme sujet révolutionnaire particulier. Le véritable sujet révolutionnaire n’est pas la jeunesse et encore moins occidentale mais bien le prolétariat. 3. NDLR (revue Communisme): c’est de fait une autre limite idéologique de ce tract que de croire que l’on pourrait libérer un territoire simplement par la formation de communes libres, sans détruire le pouvoir du capital et l’Etat à l’échelle mondiale. |
Déclaration de l’Assemblée Générale des Travailleurs Insurgés d’AthènesDepuis huit heures du matin, aujourd’hui mercredi 17 décembre 2008, nous, travailleurs de la base, avons occupé le siège de la GSEE (Confédération Générale des Travailleurs de Grèce) à Athènes. C’est le moment d’en finir avec la médiation des syndicats jaunes qui ne représentent personne. Arrêtons le mensonge médiatique des 500 encapuchonnés: la révolte continue. Nous déclarons le siège de la GSEE un Espace libéré pour tous les travailleurs du pays. Grève Générale maintenant! Mise en liberté immédiate de tous les prisonniers de la révolte! Nous, travailleurs manuels, employés, chômeurs, intérimaires et précaires, locaux ou migrants, ne sommes pas des téléspectateurs passifs. Depuis le meurtre d’Alexandros Grigoropoulos samedi soir, nous avons participé aux manifestations, aux affrontements avec la police, aux occupations du centre ville comme des alentours. A plusieurs reprises, nous avons dû quitter le travail et nos obligations quotidiennes pour prendre les rues avec les lycéens, les étudiants et les autres prolétaires dans la lutte. NOUS AVONS DÉCIDE D’OCCUPER LE SIEGE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES TRAVAILLEURS EN GRECE (GSEE) - Pour le transformer en un espace de libre expression et un point de rencontre pour les travailleurs. - Pour dissiper la supercherie répandue par les médias sur l’absence de travailleurs dans les affrontements et qui définit la rage de ces derniers jours comme l’œuvre de quelques 500 "cagoulés", "hooligans" ou autres histoires farfelues, pendant que dans les journaux télévisés, les travailleurs sont présentés comme des victimes de ces affrontements, alors que la crise capitaliste en Grèce et dans le monde mène à d’innombrables licenciements que les médias et leurs dirigeants considèrent comme un "phénomène naturel". - Pour démasquer le rôle honteux de la bureaucratie syndicale dans le travail de sape contre l’insurrection, mais aussi à d’autres niveaux. La Confédération générale des travailleurs en Grèce (GSEE) et l’intégralité de la machinerie syndicale qui la soutient depuis des dizaines et des dizaines d’années déprécie les luttes, négocie notre force de travail contre des miettes et perpétue le système d’exploitation et d’esclavage salarié. L’attitude de la GSEE mercredi dernier est révélatrice: la GSEE a annulé la manifestation des travailleurs pourtant programmée, se rabattant précipitamment sur un bref rassemblement sur la place Syntagma, tout en s’assurant simultanément que les participants se disperseraient très vite, de peur qu’ils ne soient infectés par le virus de l’insurrection. - Pour ouvrir cet espace pour la première fois -comme une continuation de l’ouverture sociale générée par l’insurrection elle-même-, immeuble construit de nos mains mais dont nous avons été exclus. Pendant toutes ces années nous avons confié notre destin à des sauveteurs de tous poils, et nous avons fini par perdre notre dignité. Comme travailleurs, nous devons commencer à assumer nos responsabilités et cesser de faire reposer nos espoirs sur de bons leaders ou des représentants "compétents". Nous devons commencer à parler de notre propre voix, nous rencontrer, discuter, décider et agir par nous-même. Contre les attaques généralisées que nous endurons, la création de collectifs de résistance "de base" est la seule solution. - Pour propager l’idée de l’auto-organisation et de la solidarité sur les lieux de travail, les comités de luttes et les pratiques collectives depuis la base en abolissant les bureaucrates syndicalistes. - Durant toutes ces années nous avons avalé la misère, la résignation, la violence au travail. Nous nous sommes habitués à compter nos blessés et nos morts - les soi-disant "accidents de travail". Nous avons fini par nous habituer à ignorer la mort des immigrés -nos frères de classe-. Nous sommes fatigués de vivre avec l’anxiété de devoir assurer notre salaire, pour pouvoir payer nos impôts et pour nous garantir une retraite qui aujourd’hui ressemble à un rêve lointain. De même que nous luttons pour ne pas abandonner nos vies entre les mains des patrons et des représentants syndicaux, de même nous n’abandonnerons pas les insurgés arrêtés dans les mains de l’Etat et du système juridique. LIBÉRATION IMMÉDIATE DES DÉTENUS RETRAIT DES CHARGES CONTRE LES INTERPELLESAUTO-ORGANISATION DES TRAVAILLEURSGRÈVE GÉNÉRALEAssemblée de Travailleurs Insurgés du bâtiment "libéré" de la GSEEMercredi 17 décembre 2008 à 18 heures |
Lettre ouverte du 16 décembre 2008 des travailleurs d’Athènes aux étudiantsLa plupart d’entre nous ne sommes pas encore devenus chauves ni bedonnants. Nous avons fait partie du mouvement de 1990-1991 dont vous avez dû entendre parler. A cette époque, tandis que nous occupions nos écoles depuis 30/35 jours, les fascistes tuèrent un enseignant parce qu’il avait outrepassé son rôle (celui d’être notre gardien) et qu’il nous avait rejoint dans notre combat, passant de l’autre côté. Alors beaucoup d’entre nous rejoignirent la rue et ses émeutes. Bien que nous chantions à l’époque "Brûlons les commissariats!", nous n’envisagions même pas ce que vous faites si facilement aujourd’hui, à savoir les attaquer réellement. Ainsi vous avez été plus loin que nous, comme cela arrive toujours au cours de l’histoire. Bien sûr, les conditions sont différentes. Dans les années 90, ils nous firent miroiter des perspectives de "succès personnel" et quelques-uns d’entre nous eurent la bêtise d’y croire. Mais aujourd’hui, qui peut croire ces sinistres contes de fées? A l’instar du mouvement étudiant de 2006/2007; vous leur redégueulez en pleine face leurs mensonges. Ce n’est qu’un début. Mais maintenant les bonnes mais difficiles questions se posent. Nous allons vous dire ce que nous avons appris de vos luttes et de nos défaites (parce qu’aussi longtemps que ce monde ne sera pas le nôtre, nous serons toujours les vaincus) et vous pourrez vous servir comme vous le souhaitez de ces enseignements Ne restez pas seuls. Faites appel à nous; contactez autant de personnes que possible. Nous ne savons pas comment, mais vous y arriverez certainement. Vous avez déjà occupé vos écoles et vous nous dites que la raison la plus importante est que vous n’aimez pas vos écoles. Très bien. Maintenant que vous les occupez, renversez leur rôle. Occupez ces bâtiments avec d’autres personnes. Echangez ces occupations avec d’autres occupations menées par d’autres personnes. Faites que vos écoles soient les premiers lieux à accueillir nos relations nouvelles. De la même façon que vous n’avez pas peur d’attaquer leurs commissariats parce que vous êtes ensemble unis, n’ayez pas peur de nous appeler pour que nous puissions changer nos vies tous ensemble: leur arme la plus puissante est de nous diviser. N’écoutez aucune organisation politique (qu’elle soit anarchiste ou autre). Faites ce que vous pensez nécessaire. Faites confiance aux gens, pas aux idées et aux schémas abstraits. Ayez confiance en vos relations directes avec les gens. Ne les écoutez pas quand ils vous disent que votre combat n’a pas de contenu politique et qu’il devrait en avoir un. Votre combat est son contenu. Vous n’avez que ça et il ne tient qu’à vous de conserver cette avance. C’est seulement par ce biais que vous pouvez changer votre vie, à savoir vous-même et les relations avec vos camarades. N’ayez pas peur d’agir quand vous vous affrontez à des choses nouvelles. Maintenant que nous avons grandi, chacun de nous a des idées gravées dans le cerveau. Vous aussi, bien que vous soyez jeunes. N’oubliez pas cela. En 1991, nous nous sommes confrontés à l’odeur d’un nouveau monde et croyez-nous, ce n’était pas évident. que nous avons eu difficile à atteindre. et l’avions trouvé nauséabonde. On nous avait inculqué qu’il y a des limites à ne pas dépasser, que les destructions d’infrastructures ou les vols dans les supermarchés ne seraient pas tolérés… N’ayez pas peur de la destruction de marchandises, n’ayez pas peur des pillages. C’est nous qui avons produit tout cela donc c’est à nous. Comme nous-mêmes dans le passé, vous avez été élevés pour produire des choses qui ensuite ne vous appartiennent plus. Reprenons tout cela et partageons-le dans l’amitié et l’amour. Nous nous excusons d’avoir écrit cette lettre un peu rapidement, mais nous l’avons écrite sur notre temps de travail à l’insu de notre patron. Nous sommes prisonniers du travail comme vous l’êtes de l’école. Nous allons maintenant mentir à notre patron et quitter notre boulot de merde sous un faux prétexte, pour vous rejoindre à Syntagma, les pierres à la main. Des prolétaires. |
La lutte sociale en Grèce est notre lutteFace à l’extension de la lutte, l’Etat multiplie partout dans le monde opérations de répression pour la neutraliser. Mais ces jours-ci, nous, les prolétaires sommes occupés à répondre à la violence de l’état par la violence révolutionnaire. La Grèce devient le poumon de la lutte. Camarades, suivons l’exemple de nos frères en Grèce qui déborde toute tentative d’intégration démocratique. Ne croyons pas aux artifices avec lesquelles ils veulent nous embrouiller. Tous les politiciens au gouvernement ou dans l’opposition, ceux de gauche ou de droite, les corps répressifs, les journalistes et autres porte-voix du capital… tous sont les expressions de la bête capitaliste: pièces de rechanges, fausses oppositions et outils pour nous écraser. C’est le monde entier que nous voulons changer jusque dans ces fondements. Et pour cela, nous ne comptons que sur nous-mêmes, organisés en dehors et contre tous les appareils de l’Etat (partis, syndicats, ONGs,…), cassant les divisions qu’ils veulent nous imposer (jeunes/vieux, travailleurs/étudiants/chômeurs, immigrants/autochtones,…). Camarades, organisons notre lutte avec intelligence, étendons-la, structurons de manière efficace la violence organisée de notre classe. Evitons l’affrontement corps à corps qui facilite la tâche policière, frappons là où ça fait mal, discutons ensemble des aspects de la lutte. Les émeutes qui aujourd’hui inquiètent les bourgeois doivent s’accentuer. Cependant, elles peuvent tout aussi bien refluer aujourd’hui ou demain, mais ce qu’on ne peut faire, c’est déstructurer les liens d’union qui se sont forgés dans les rues. Si la lutte s’affaiblit, maintenons les structures, faisons un bilan des succès et des erreurs pour les prochaines fois, convertissons cet épisode de lutte en une puissance pour le future. Et surtout, n’oublions pas les réprimés en Grèce, à Madrid, à Barcelone et où que ce soit, ne les laissons pas se faire broyer par la machine répressive du capitalisme, faisons front au terrorisme étatique. Il est temps que la peur change de camp. Tous dans la rue pour lutter!Détruisons ce qui nous détruit!Comité des Asturies en solidarité avec
les luttes en Grèce
solidariosg@gmail.com |
Texte diffusé à l’enterrement d’Alexis GrigoropoulosNe nous critiquez pas avant de nous entendre.Ne nous montrez pas du doigt avant de nous voir. Ne nous censurez pas avant de nous parler. Ne nous tuez pas avant de nous laisser vivre. Nous sommes vos enfants et petits enfants, vos voisins et amis… Nous sommes la société que vous avez créée… Nous sommes le résultat des générations d’indifférence, de la non-croyance en rien, du je-m’en-foutisme, de l’apathie… Maintenant… Nous incendions pour ne pas être brûlés. Nous cassons pour qu’ils ne nous cassent pas. Nous nous rebellons parce que nous en avons marre de ce monde. Nous sommes avec vous! Ces nuits sont celles d’Alexis! Il faut changer le monde et si nous n’y arrivons pas, au moins nous aurons essayé. Que s’étende la révolte! |
Nous sommes contre le système
capitaliste qui nous condamne à travailler 10 à 12 heures
pour un salaire de merde, qui détruit notre environnement et le
peu de nature qu’il nous reste, qui en condamne des millions comme nous
à mourir de faim, d’épuisement ou assassinés dans
le mal nommé "tiers monde", ou dans leur tentative d’arriver au
encore plus mal nommé "premier monde", qui a transformé la
société en une addition de personnes qui rentrent en relation
uniquement pour se prendre le siège dans le métro. Nous sommes
contre l’état et contre la démocratie par laquelle une poignée
de politiciens professionnels se charge de gérer nos vies, de nous
dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire en fonction de leurs intérêts
et de leur classe sociale.
http://www.solidariosgrecia.org/Comunicado-Asamblea-Solidarixs.html
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Nous n’avons pas d’illusions. Nous n’avons aucun espoir. C’est pour cela que nous sommes dangereux. Vos nuits paisibles sont terminées.Nous vous entendons tous les jours dans les nouvelles à la télé. Déclarations, contre déclarations et ensuite commentaires et tout ce qui s’en suit concernant ce que vous appelez l’information "objective".Ca suffit. Maintenant vous allez nous écouter. Nous sommes la génération des 400 euros. Des programmes de "stage" de l’organisme de l’emploi, du travail flexible, de l’éternelle formation (toujours à nos frais), de la précarité, de la cherté de la vie, des deux diplômes qui ne servent à rien. De l’élimination de nos droits du travail, de notre humiliation de la part des patrons, des politiques et de tant d’autres. Nous sommes la génération que vous enfermez dans des écoles en tentant de mettre dans nos têtes vos nationalismes, vos préjugés, votre adoration pour la patrie, vos mensonges, notre subordination. Nous sommes les gamins que les brigades anti-émeutes, les polices secrètes, les gardes spéciaux et tous les autres flics que la démocratie a produits (et a placés partout comme armée d’occupation) humilient et provoquent quand nous nous trouvons sur leur chemin, objets quotidiens de leur abus de pouvoir. Nous sommes les blessés des marches d’étudiants et d’élèves, nos têtes ont été frappées contre l’asphalte, notre dignité a été réduite à néant sous leurs bottes, nos mains ont été brisées par leurs matraques, nos visages ont été écrasés par leurs coups de poing, nos poumons sont encore remplis du gaz qu’ils nous ont balancé et qui sont interdits selon des accords internationaux. Nous mourrons prématurément parce que nous ne sommes pas d’accord avec les lois qui nous volent nos vies. Nous sommes les détenus traînés en justice pour des années, Panagiotis qui portait des chaussures de la mauvaise couleur et qui resta 40 jours en prison, Dimitrios Augustinos qui passa au mauvais endroit au mauvais moment, les 50 blessés dans l’hôpital Evangelismos le 8 mars 2007. Nous incendions vos banques. Nous nous affrontons à la police. Nous détruisons la paix sociale que vous construisez nuit et jour en lavant le cerveau des citoyens pour qu’ils obéissent et se taisent. Nous continuons à illuminer les nuits froides que vous imposez. Nous continuons à salir les murs avec des consignes et même si leurs yeux ne les verront jamais, elles arriveront à leurs oreilles. Nous nous vengeons pour Alexis sur les barricades, ce même samedi durant lequel les bons citoyens trompaient leur conscience par le viol hebdomadaire. Ce n’est pas nos mots qui sont cruels. Votre réalité est cruelle. Alexis est la goutte qui a fait déborder le vase. Chaque nuit sera la sienne à partir de maintenant. Vos nuits paisibles sont terminées. Frappez-nous, lancez-nous du gaz, tirez sur nous avec des balles en plastique pareilles à celles que vous utilisez depuis samedi, visez-nous avec vos revolvers ou tirez en l’air (ou peut-être sur nous?). Enrôlez des forces parapolicières, comme vous le faites en ce moment à Patras ou comme vous l’avez fait avec ces journalistes, toujours prêts à jouer le jeu du bras long du pouvoir. Pretenteris, Evangelatos, Triantafilopulos, Kapsis, Tremi, Pavlopulos, Papajelast et tous les autres. C’est d’eux que dépend votre succès. Cachez les images de la brutalité policière, cachez les scandales qui puent, faites approuver les mesures anti-populaires par le "consensus social". Lundi à Athènes, vous avez placé vos agents pour détruire les petits commerces. Nous les avons vus sortir des files de la police. Il y a même des photos que vous allez cacher avec beaucoup de zèle. Déjà vos perroquets, après les premières émeutes, répètent très bien ce que vous leur avez enseigné. Mardi, vous n’avez même pas respecté les funérailles d’Alexis. Vous avez envoyé les brigades anti-émeutes à ses funérailles pour provoquer des enfants de 15 ans. Elles ont balancé du gaz lacrymogène et arrêté des enfants. Vous avez profané le même garçon que vous aviez assassiné. Assez de mensonges! Nous ne sommes pas les encagoulés, ni les connus-méconnus. Nous sommes nombreux et nous sommes furieux. Arrêtez de dire des conneries. De Komotini à Janiá, du Nord au Sud, notre rage déborde. Vous avez débarqué avec tous les moyens dont dispose votre monstrueux pouvoir pour nous éliminer. Avec des matraques, des balles, des gaz lacrymogènes, des moyens de communication massifs, des provocations, les forces para-étatiques. Nous n’avons aucune illusion. Nous n’avons aucun espoir. C’est pour cela que nous sommes dangereux. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur le fait que vous tiendriez compte de ce que nous avons écrit. Tous les jours, vous enterrez nos cris sous vos mensonges. Adieu. Vous nous verrez sur vos écrans de télévision, vautrés dans vos fauteuils. "Histoire, on y va. Regardons vers le ciel." Texte anonyme largement diffusé |
Invitation à l’assemblée populaire ouverte de l’Hôtel de ville libéré de Aghios DimitriosIl est maintenant certain que cette insurrection n’est pas seulement un hommage à la perte injuste d’Alexandros Grigoropoulos. On a beaucoup parlé depuis lors de violence, de vols et de pillages. Pour les tenants des média et du pouvoir, la violence est seulement ce qui détruit leur propre ordre. Pour nous par contre: La violence c’est de travailler 40 ans pour des miettes et espérer
un jour la retraite.
L’insurrection des étudiants des hautes-écoles et universités, des travailleurs temporaires et des immigrants a brisé cette violence de la normalité. Cette insurrection ne doit jamais s’arrêter! Les syndicalistes, les partis politiques, les prêtres, les journalistes et les hommes d’affaires font tout ce qu’ils peuvent pour maintenir la violence que nous avons décrite ci-dessus. Ce n’est pas seulement eux qui sont responsables de la perpétuation de cette situation, nous aussi. L’insurrection a ouvert un espace dans lequel nous pouvons enfin nous exprimer librement. En continuité avec cette ouverture, nous avons été plus loin avec l’occupation de l’Hôtel de Ville d’Aghios Dimitrios et la constitution d’une assemblée populaire ouverte à tous. Un espace ouvert pour la communication, pour briser notre silence, pour assumer l’action pour nos viesPas de poursuites judiciaires. Libération immédiate de tous les incarcérés.Occupation de l’Hôtel de Ville d’Aghios Dimitrios |
Des événements en GrèceCes émeutes, à distance, ont déjà fait reculer le pouvoir français sur ses minables réformes lycéennes, et peut-être d’autres encore. Les émeutiers grecs nous montrent ainsi une voie qui avait été cherchée lors de la contestation du CPE et ces dernières semaines (occupations de lycées et d’autres bâtiments, blocage de voies de communication et quelques bagnoles cramées), ils font mieux et refusent le dialogue truqué avec l’Etat et ses sbires. Ce n’est que lorsqu’il parle tout seul qu’un ministre peut évoquer "un dialogue serein" (les mots du ministre de l’éducation nationale il y a quelques jours).Ici, comme en Grèce, la discussion ne peut commencer que par la contestation en actes des forces répressives. Leur existence est déjà une insulte. La liberté fait ses premiers pas quand on n’a plus à trembler devant des flics, des vidéo-surveillants et le fichage généralisé. Les lois sont faites pour nous apeurer, nous décourager et plus généralement nous interdire de faire quoi que ce soit. En Grèce la peur et la résignation changent de camp ("Aujourd’hui, le peuple est en colère contre tout, contre la mort d’Alexis, contre la police, contre le gouvernement, contre les réformes… et nous, nous sommes le bouclier. (…) Je me demande si je ne serais pas mieux dans mon village, où je pourrais reprendre l’élevage des moutons et vivre tranquille. Surtout, je n’aurais plus ce sentiment de honte qui me ronge ", un policier grec dans le Figaro du lundi 22 décembre 2008): L’INSURRECTION CONTINUE. Si elle prend partout, on ne l’arrêtera jamais. C’est pourquoi nos médias maintiennent ces évènements historiques à l’arrière-plan ou inventent des spécificités grecques (jeunesse mal payée, corruption, réformes qui ne promettent que le pire mais c’est partout que les ordures nous gouvernent). Insistons sur quelques points: il ne s’agit pas d’une révolte d’une partie de la jeunesse mais bien de toute une population, de gens sans revendications ni représentants, mais dont nous partageons certainement les intentions (disparitions de tous ceux qui parlent pour nous: partis, syndicats, experts, journalistes, associations…) et les dégoûts (le salariat et le monde misérable qu’il produit, ses congés forcés, l’éducation obligatoire pour s’y insérer, et autres "aides" de l’Etat quand on s’en éloigne). En cette période de crise, comme d’habitude, nos dirigeants nous présentent de nombreuses solutions parmi lesquelles ne figure pas celle de se passer d’eux. Ce sont les mêmes qui nous volent nos meilleures années et celles qui suivent; ils continuent. Saisissons chaque occasion de rappeler la lutte exemplaire qui se déroule en Grèce. Diffusez ce texte, trouvez-en d’autres (récits de première main, vidéos sur internet, etc.), écrivez-en de meilleurs, partout, sur les murs, les affiches. Rassemblons-nous dans toutes les manifestations possibles, restons mobilisés. Répandons cette étrange épidémie dont nous n’avons rien à craindre, nous qui devons toujours travailler pour un monde qui nous empoisonne. FAISONS MIEUX.(texte collé à Paris) |
- Président Cossiga, pensez-vous qu’en menaçant d’utiliser
la force publique contre les étudiants, Berlusconi ait exagéré?
- Cela dépend, si on pense être le président
du conseil d’un État fort, non, il a très bien fait. Mais
puisque l’Italie est un État faible et qu’il n’y a pas dans l’opposition
le parti de granit qu’est le PCI mais l’évanescent PD, je crains
que les faits ne suivent pas les paroles et qu’en conséquence Berlusconi
fasse d’autant plus triste figure.
- Quels sont les faits qui devraient suivre?
- Maintenant, Maroni [actuel ministre de l’Intérieur du gouvernement
Berlusconi], devrait faire ce que j’ai fait quand j’étais moi-même
ministre de l’intérieur.
- C’est-à-dire?
- Laisser faire. Retirer les forces de police de la rue et de l’université,
infiltrer le mouvement avec des agents provocateurs prêts à
tout, et faire que pendant une dizaine de jours les manifestants dévastent
les magasins, incendient des voitures et mettent les villes à feu
et à sang.
- Et après?
- Après quoi, fort du consensus populaire, le bruit des sirènes
des ambulances devrait couvrir celui des autos de la police et des carabiniers.
- Dans le sens où...?
- Dans le sens où les forces de l’ordre devraient massacrer
les manifestants sans pitié et tous les envoyer à l’hôpital.
Ne pas les arrêter pour qu’ensuite les magistrats les remettent tout
de suite en liberté, mais les blesser jusqu’au sang et blesser aussi
ces enseignants qui les agitent.
- Même les enseignants?
- Surtout les enseignants. Pas les vieux, bien sûr, mais les
tout jeunes maîtres oui. Se rend-on compte de la gravité de
ce qui se passe? Ce sont les enseignants qui endoctrinent les enfants et
les font descendre dans la rue: c’est un comportement criminel!
On ne peut être plus clair, il s’agit bien d’une recette générale pour affronter le prolétariat dans la rue. Pour imposer la terreur d’Etat (puisque c’est bien de cela dont il est question!), selon les dires du vieux chef de la répression européenne, il faut préparer le terrain. Pour frapper ceux qui se trouvent à l’avant-garde du mouvement, il faut d’abord les isoler de la société, sous peine de produire le contraire de l’effet répressif recherché. Comme toujours, conseille notre ennemi, pour mener la guerre il faut parler de paix, il faut se présenter comme pacifiste. Concrètement, cela implique de retirer les forces de police de la rue pour préparer un coup bien plus conséquent. Parallèlement, Cossiga recommande d’infiltrer le mouvement avec des agents provocateurs "prêts à tout", ce qui signifie en fait que ceux-ci doivent pousser le mouvement à attaquer des objectifs qui le disqualifient, en pillant des magasins, en brûlant des autos et mettant les villes à feu et à sang. Il dit très clairement que pour réprimer sans aucune limite et appliquer un châtiment mérité, il est nécessaire de préparer le terrain en cassant "tout" et en faisant en sorte que les ambulances prennent la place des voitures de police. Il faut absolument que l’on parle plus des innocents, blessés par la "violence aveugle" des émeutiers que des passages à tabac méthodiquement perpétrés par les flics. Ce n’est qu’après avoir obtenu un consensus social autour de la légitimité de la répression qu’il faut envoyer à l’hopital les prolétaires les plus déterminés, les frapper sans pitié, "les blesser jusqu’au sang". Avant l’obtention de ce consensus préparé par les provocations policières, le risque perdurait que face à la brutalité de la répression, la population se solidarise avec les prolétaires qui sont descendus dans la rue et ont attaqué les symboles de l’Etat et du capital. De même, avant que les agents provocateurs préparés à tout aient dénaturé le mouvement, le son qui prévalait était celui des sirènes des voitures de flics et le risque existait que tout le prolétariat les affronte.
La manœuvre n’est pas seulement perfide et limpide mais aussi tout simplement classique. Les conseils de Cossiga sont de l’ordre de l’ABC de la stratégie de domination et du pouvoir. Si la répression ouverte peut toujours s’unifier pour dominer et exploiter, il est de loin préférable d’infiltrer les mouvements avec des provocateurs pour les désorganiser et les dévier en provoquant de la confusion quant à ses moyens et objectifs, quant à ses ennemis et perspectives.
Tandis que le prolétariat a défié la propriété privée, pillé les supermarchés et attaqué les bâtiments et locaux qui expriment la domination capitaliste (centres de la répression, locaux de partis et syndicats officiels, organismes internationaux et ambassades, banques, compagnies d’assurances…), le provocateur quant à lui attaque (et pousse à attaquer) le petit magasin du quartier, le bistrot du coin ou encore "les étrangers". Depuis les émeutes de Los Angeles en 1992 (marquées par la tentative étatique de transformer la révolte en contradictions entre noirs, latinos ou coréens) jusqu’à celles de 2001 en Argentine (et la tentative des appareils parapoliciers de désigner comme cibles les immigrés boliviens, péruviens, paraguayens ou les "cabesitas negras" en les accusant d’être responsables de la crise), pour citer deux exemples révélateurs, toutes les grandes révoltes ont vu le pouvoir et les instruments de fabrication de l’opinion publique accuser des minorités ethniques de tous les maux afin de dévier ainsi l’énergie prolétarienne dressée contre l’Etat vers des secteurs du prolétariat d’autres couleurs ou "cultures".
C’est pour ces raisons que les déclarations de Cossiga nous ont parues très importantes, comme révélations de la méthode de nos ennemis vis-à-vis de laquelle les minorités révolutionnaires doivent s’alerter, en se rappelant que le retrait des flics de la rue peut précéder leur réorganisation pour frapper avec plus de force. Pareille manoeuvre doit inciter les prolétaires en lutte non pas à baisser la garde mais à préparer de façon conséquente la force d’autodéfense, à agir pour réaffirmer les objectifs et perspectives et dénoncer les vrais provocateurs qui tentent invariablement de diluer la force du mouvement en générant des contradcitions internes ou en cherchant à ce qu’il s’attaque à telle ou telle partie du prolétariat "étranger".
Camarades, nous ne nous trompons pas au sujet de ceux qui lancent des pierres ou des cocktails Molotov contre les centres de pouvoir et de répression, ceux qui pillent les grands centres de distribution, ceux qui paralysent la production et la distribution de marchandises dans leur lutte contre le pouvoir, CE NE SONT PAS DES PROVOCATEURS, bien au contraire, ce sont nos frères de classe, nos camarades. Les provocateurs (en général des flics déguisés en manifestants) sont au contraire ceux qui dans nos manifestations tentent de freiner la violence contre la bourgeoisie, ceux qui tentent de la réprimer. Ils infiltrent les manifestations pour les désorganiser et les désorienter, ils les poussent à attaquer des objectifs totalement liquidateurs de la force de classe, en particulier les minorités immigrées ou considérées ethniquement différentes, ou encore à détruire les biens d’autres prolétaires. L’objectif de toujours de nos ennemis est de canaliser et de liquider la force prolétarienne en poussant les prolétaires à se battre entre eux. Toutes les idéologies et forces de l’Etat agissent dans ce sens.
Il convient enfin de souligner que ces déclarations de Cossiga sont utilisées par d’autres ennemis du prolétariat pour affirmer que la violence minoritaire, le sabotage sont ce que cherchent l’Etat et plus globalement pour soutenir que tout débordement minoritaire et violent des manifestations pacifiques est le produit d’agents provocateurs. La falsification est évidente: Cossiga ne dit absolument pas que la violence minoritaire et radicale est un produit de l’Etat mais il expose la tactique pour l’affronter. Ainsi que nous l’avons souligné ici, les provocateurs n’ont pas pour fonction de radicaliser la violence du prolétariat contre le capitalisme mais de la liquider. La provocation ne cherche pas à développer la violence mais à la présenter comme quelque chose d’odieux aux yeux de la population et à justifier ainsi sa répression violente.
Dans le fond, Cossiga et la gauche bourgeoise (nous pensons au cas de Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR ainsi qu’à d’autres organisations contre-révolutionnaires) revendiquent ce genre de déclarations dans le même sens: viser les secteurs du prolétariat qui donnent un élan décisif à la lutte, isoler la minorité plus active et la dénoncer comme provocatrices. Dans tous les cas, ils participent à l’œuvre répressive de la bourgeoisie qui cherche toujours à dénigrer et disqualifier l’action directe prolétarienne et les minorités conséquentes.
Fin 2008, début 2009, la catastrophe
du capital et la révolte prolétarienne s’étendent
et se confirment. L’actualité continue d’être brûlante,
chaque intervention officielle à propos de la "crise" annonce des
mesures encore pires, que le capital assène contre les prolétaires.
Face à cela, les révoltes redoublent, avec leurs forces et
faiblesses mais avec les mêmes caractéristiques centrales
que nous décrivions dans notre revue précédente et
que nous soulignons ici au sujet de la révolte prolétarienne
en Grèce: Islande, Egypte, Haïti, Kenya, Corée du Sud,
Madagascar, Guadeloupe, Martinique, Réunion, Pérou… pour
nommer seulement celles qui nous paraissent les plus significatives.
Le préjugé eurocentriste et raciste qui divise les prolétaires en même temps qu’elle déforme tout ce qui se passe dans le monde, disqualifiant les révoltes au nom du fait qu’elles "sont loin du centre", "indigènes", "sans perspectives" ou qu’il s’agit "seulement" (!) d’"émeutes de la faim", commence à être entrevu par les prolétaires comme une barrière intenable, une entrave idéologique à pulvériser. Partout où est atteint un affrontement sérieux au pouvoir du capital et de l’Etat se développe le sentiment naissant que la révolte en Grèce, en Egypte… est la nôtre! Oui, c’est seulement la résurgence de la révolte prolétarienne! Mais combien salutaire est le sentiment de se sentir à nouveau appartenir à une même classe en lutte, même encore de façon totalement naissante! UNE SEULE CLASSE: LE PROLETARIAT.UN SEUL ET UNIQUE OBJECTIF: LA COMMUNAUTE HUMAINE MONDIALE. |
"Si j’y vais, je me fais lyncher"Dans notre précédente revue (Communisme n°60, novembre 2008), nous avons beaucoup insisté sur la contradiction entre les besoins de valorisation du capital et la terre, cette terre nourricière dont l’espèce humaine est toujours plus violemment et terroristement séparée par ce mode de production à l’agonie. L’histoire du capitalisme, c’est l’histoire de la dépossession de nos moyens d’existence.Cette contradiction entre le Capital et la Terre s’est exprimée clairement au cœur du mouvement prolétarien qui a ébranlé l’ordre bourgeois à Madagascar. En effet, un des éléments déclencheur de la colère prolétarienne fut le projet rendu public en novembre 2008 de la multinationale sud-coréenne "Daewoo Logistics" de s’adjuger une superficie équivalente à l’Ile-de-France, ou encore à la moitié de la Belgique pour y "cultiver dans un pays riche en terres mais pauvre en devises les produits dont ont besoin les habitants des pays pauvres en terres mais riches en devises."2 Depuis mai 2008, "Daewoo Logistics" avait entamé des démarches afin de louer à l’Etat malgache 1,3 millions d’hectares de terres. Objectif: produire, à l’horizon 2025, 4 millions de tonnes de maïs et 5 millions de tonnes d’huile de palme par an pour les besoins du marché sud-coréen. Autrement dit, faire un maximum de profit dans une région où les salaires sont ridiculement bas: "Cette région, indique le directeur régional du développement durable (sic!) fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, a un fort potentiel agricole, mais la plupart des paysans ne sont pas encore dans une logique de marché. Ils produisent pour se nourrir. Ils n’ont pas les moyens financiers, ni culturels, pour s’ouvrir à une économie de marché." Ce sbire du Capital évoque ainsi clairement, malgré lui, l’antagonisme entre ce vil instinct de cultiver pour se nourrir… et les desseins supérieurs du marché! Il est vrai que ce que les bourgeois appellent avec dédain "l’agriculture de subsistance" occupe encore une proportion majeure des terres cultivées à Madagascar: sur 35 millions d’hectares de terres arables sur l’île, les terres cultivées pour le commerce représentent seulement 3 millions d’hectares, affirment les autorités. Pour le capital, le reste des terres, consacré à cette "agriculture de subsistance", est perdu. Sur une grande partie des terres convoitées par "Daewoo" "[…] il y a des milliers de familles qui y travaillent et pour qui c’est la seule source de revenu. Le problème, c’est qu’elles n’ont pas fait les démarches nécessaires pour faire titrer leur terrain. Pourquoi voulez-vous qu’elles le fassent? Depuis des générations, la terre leur appartient. Ici, on est dans la culture orale." Le prolétariat refuse unanimement le projet: "On ne veut pas en entendre parler. Ici, ce sont nos terres. C’est notre seule richesse: elles nous permettent de vivre et c’est là qu’ont été enterrés nos ancêtres. […] Si on m’enlève ça, je n’ai plus rien. […] Jamais je n’échangerai ma terre contre un travail. Que vais-je laisser à mes enfants, après?" Bien sûr, la bonne marche des affaires ne peut s’embarrasser de considérations aussi anachroniques que triviales et le droit notarial aura tôt fait de donner sa bénédiction à des opérations d’expropriation manu militari. Toutefois, le droit notarial comme les interventions de son bras armé souffrent tous deux de la finitude essentielle à tout projet bourgeois: ils perdent tout caractère absolu devant l’intransigeance de la lutte prolétarienne. C’est ce qu’ont montré clairement les évènements de ces derniers mois à Madagascar. En effet, lors des manifestations, de nombreux manifestants s’en sont pris aux bureaux de "Daewoo", dans le quartier des affaires d’Antananarivo (Ivandry). Face à ces attaques répétées, les initiateurs du projets ont été contraints de le remettre en cause, provisoirement du moins: "Nous pourrions devoir retarder notre projet d’investissement à Madagascar, essentiellement en raison de l’instabilité politique qui y règne" a fait savoir de Séoul, le 12 février, l’un des dirigeants de "Daewoo Logistics". Même les bourgeois malgaches préfèrent y aller doucement, de peur de provoquer la colère de leurs administrés: "On ne sait rien de ce projet et on nous demande de le faire accepter par la population! […] On m’a demandé d’aller voir les paysans pour leur faire accepter l’opération. Mais si j’y vais, je me fais lyncher!". |
L’expression "Madagascar-La-Rouge" retrouve aujourd’hui son double sens. Elle n’est plus seulement "l’île rouge" des guides touristiques pour la couleur de sa terre, mais elle est aussi à nouveau l’île qui rougeoie du brasier de la révolte. Rappelons-nous le vaste mouvement prolétarien qui déferla sur l’île au lendemain de la "Seconde Guerre mondiale". Cette lutte, à l’instar de toutes celles qui éclataient au même moment dans d’autres colonies françaises, fut présentée comme un mouvement de "libération nationale" et ne put être matée que par l’assassinat de près de 90.000 prolétaires au cours de deux années de féroce répression.1 Rappelons-nous également le "mai malgache" de 1972 qui s’inscrit incontestablement dans la vague de luttes des années 1967-1975 et qui fut une réaction aux premières attaques massives du capital lorsque celui-ci atteignit la fin de son cycle expansif qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale. Rappelons-nous les luttes de 1991 et 2002 …
En ce début d’année 2009, d’importantes luttes ont à nouveau ébranlé l’île de Madagascar. En ces temps de concrétion de la catastrophe du capital et d’importantes luttes prolétariennes, il faut vraiment être totalement télélobotomisé pour gober le show médiatique offert à "l’opinion publique" réduisant les enjeux de ces luttes à un "combat des chefs" opposant le président Ravalomanana et son "opposant" Rajoelina (deux businessmen qui ont fait fortune, conquis la mairie d’Antananarivo avant d’accéder l’un puis l’autre à la fonction présidentielle). Pourtant, en Martinique comme en Guadeloupe ou en Grèce au même moment, ce sont clairement les attaques du capital contre les conditions de survie des prolétaires qui les poussent à réagir et à lutter. Comme en Grèce ou en Guadeloupe, des pans entiers du prolétariat vivent dans leur chair le fait que derrière ses promesses soporifiques, la bourgeoisie, toutes fractions confondues, ne peut que leur offrir ce que le capitalisme en crise est capable de lâcher: c’est-à-dire rien ou presque rien!… Et, au bout du compte, ce qu’il offre en réalité c’est chaque fois plus de misère et de mort.
Comme sous d’autres latitudes, à Madagascar il est évident que les politiques actuelles du capitalisme en crise (ou mieux dit du capital global qui a atteint les limites absolues de son cycle de valorisation et épuisé toute possibilité de reculer ces limites par une nouvelle injection de capital fictif) propulsent une partie chaque fois plus importante du prolétariat à lutter toujours plus ouvertement et directement contre l’Etat et à abandonner toute illusion de réforme comme moyen de solutionner les problèmes que rencontre l’humanité.
Ainsi, le lundi 26 janvier à Madagascar, après plusieurs rassemblements massifs les jours précédents et un appel à "la grève générale", des milliers de prolétaires descendirent des "bas quartiers" pour se diriger vers la place du 13 mai, au centre de la capitale Antananarivo, et débordèrent complètement le rassemblement pacifique auquel avait appelé l’"opposition" démocratique. Des dizaines de supermarchés seront attaqués et systématiquement pillés avant d’être incendiés, dont ceux de la chaîne Tiko qui appartient à la famille de Ravalomanana. D’autres bâtiments seront également pris pour cibles comme l’immeuble de la radiotélévision d’Etat qui fut saccagé et incendié, comme divers édifices scolaires et domiciles dans les quartiers bourgeois. Ni les appels au calme lancés tant par Ravalomanana que par Rajoelina, ni le couvre-feu, ne parviendront à pacifier les prolétaires en lutte: les émeutes et pillages se poursuivront trois jours et trois nuits durant, s’étendant comme une traînée de poudre aux principales villes de province: Mahajanga, Tuléar, Antsirabe, Fianarantsoa, Tamatave, Antsiranana, Majunga, Toamasina, Ambositra, Farafangana, etc. Les pillages et les attaques de la propriété privée seront massives et s’étendront de tous côtés. Les affrontements entre partis de l’ordre et prolétaires en lutte feront plus d’une centaine de morts. Dans ce contexte, il est important de souligner la mutinerie des détenus de la prison centrale d’Antananarivo, parmi lesquels un grand nombre en profitent pour s’évader.
Nous voudrions également insister ici sur une action concluante de la révolte des prolétaires qui fut largement passée sous silence dans les média internationaux parce qu’elle révélait bien le refus et la haine du prolétariat vis-à-vis de tout ce qui représente "le régime", et en particulier les gestionnaires directs et visibles de notre misère. Le mardi 3 février, le ministre de l’économie (entendons: ministre de l’exploitation et de la misère) fait sa tournée d’inspection et d’explications en province. Lorsque son avion atterrit sur l’aérodrome de la ville de Farafangana, une foule de prolétaires l’attend de pied ferme pour lui régler son compte. L’avion est incendié, les infrastructures aéroportuaires détruites et les pillages s’étendent à la ville. Le ministre est poursuivi jusque dans un hôtel, où il se réfugie. Il n’échappe que de peu au lynchage et ne trouve son salut que grâce à un hélicoptère venu de la capitale. "Farafangana ressemblait à une ville sans état. Les représentants de l’autorité ont pris la fuite aussitôt après l’alerte", se lamentera le maire de la ville auprès des médias malgaches.
La force du mouvement à Madagascar a même ébranlé les forces de répression, la police, la gendarmerie, l’armée. Durant les premières 36 heures d’émeutes, les policiers et soldats brillaient par leur absence dans les rues, les ordres de répression n’étaient pas écoutés par le commun des soldats. Face à cette situation, le président Ravalomanana décida d’écourter son voyage à l’étranger et de rentrer dare-dare dans la capitale. Une fois bien en sûreté, il déclara vouloir "rétablir l’ordre" et "sauvegarder la République", sachant que c’était aussi sa propre autorité vacillante qu’il s’agissait de rétablir. Pour ce faire, tenant compte du peu de confiance qu’il pouvait avoir dans la cohésion des forces armées régulières face à un mouvement de classe aussi généralisé, Ravalomanana (assuré des appuis internationaux) mobilise sa garde présidentielle et engage quelques mercenaires et conseillers militaires blancs (sud-africains entre autres). La répression du "samedi rouge" sera ainsi l’œuvre de ces unités spéciales, qui se feront les ultimes garants de l’autorité de l’Etat.
Les dissensions dans l’armée se manifesteront ouvertement le 8 mars. Les soldats du CAPSAT (Corps du personnel des services administratifs et techniques) principalement de Soanierana, se mutineront dans un important camp militaire, situé aux portes de la capitale, pour protester contre la répression des manifestations. Le refus de certains secteurs des forces de l’ordre de tirer sur leurs frères de classe est toujours un moment crucial dans la confrontation entre le prolétariat et l’Etat! En effet, la cooptation de prolétaires dans les forces de répression est la pierre angulaire de la domination bourgeoise. Les luttes de classe en Bolivie en 2001 furent un exemple notable de cette contradiction, lorsque d’importants secteurs de la police sont passés "avec armes et bagages" du côté du prolétariat en lutte, prenant les casernes, vidant les arsenaux et s’affrontant à des unités d’élite comme derniers remparts d’un secteur central de l’Etat. Malheureusement, à Madagascar comme souvent dans d’autres luttes, les limites et les faiblesses du mouvement ont neutralisé la force subversive de ce refus explicite des soldats de tirer et de participer à la répression, le transformant en soutien implicite à "l’alternance démocratique" représentée par "l’opposition" sous la figure de Rajoelina.
A partir des 16 et 17 mars, les choses s’accélèrent: certains éléments mutinés de l’armée prennent possession des bureaux de la présidence d’Ambohitsirohitra (ils prennent aussi d’assaut la banque centrale!), le président Ravalomanana se sent lâché et préfère passer le relais à d’autres personnages plus acceptables pour n’avoir pas participé directement à la gestion de la catastrophe capitaliste. Un "directoire militaire" est nommé et chargé d’assurer la transition en douceur. Un certain nombre des mutins ne l’entendent pas ainsi et arrêtent sur-le-champ plusieurs généraux parmi les dirigeants de ce directoire. Hélas, la mutinerie ne parvient pas à se développer ni impulser vers l’avant, avec toutes les conséquences que cela implique, la dynamique de ces premières manifestations de défaitisme révolutionnaire. Face à cette situation, c’est dire la peur que l’ordre a du vide, Ravalomana se résout à céder sa place à Rajoelina. Cette "alternance démocratique" fut plus efficace pour liquider le mouvement que tout ce qui avait été intenté par l’Etat avant.
Nous ne pouvons que voir dans les fortes limites de l’associationnisme prolétarien une des faiblesses majeures qui sera fatale à ce puissant épisode (mais la série ne fait que commencer) de révolte radicale contre le système dans son ensemble. Cette révolte s’est manifestée au travers d’émeutes, pillages et attaques très ciblées mais ne paraît en effet pas avoir connu de saut de qualité en terme de coordination, d’organisation, que ce soit pour mener l’agitation auprès des secteurs les plus hésitants du prolétariat ou pour créer des liens forts et durables avec les prisonniers et soldats mutins.
Malgré deux mois de luttes intenses à Madagascar, une partie du prolétariat n’a pas rompu avec les illusions démocratiques, légalistes, réformistes, qui attribuent l’origine de tous les maux à la politique du président en exercice. Bien que des secteurs du prolétariat en lutte, par leurs dénonciations et actions, ont clairement mis en lumière l’origine capitaliste de leur souffrances sociales actuelles, la révolte ne parvint pas à exprimer clairement sa rupture avec la soumission démocratique et citoyenne, avec ses manifestations moutonnières, ni à s’étendre dans le temps et dans l’espace, ce qui constitue évidemment un des grands problèmes des luttes prolétariennes dans le monde.
Lors de son premier meeting de victoire sur la place du 13 mai, Rajoelina déclare qu’il fera tout son "possible pour que les Malgaches sortent de la pauvreté", promettant de "faire baisser le prix du riz". Quelle ironie!, Ravalomanana, quand il accéda à la présidence en 2002, avait déjà promis d’"enrichir les pauvres" et le résultat fut celui que nous connaissons bien: la détérioration catastrophique des conditions de vie du prolétariat. Ce fut cette même catastrophe qui en premier lieu impulsa les luttes de notre classe à Madagascar, et celles-ci jetèrent à terre les illusions d’obtenir la moindre amélioration des conditions de vie des exploités. Les masques du gouvernement de Ravalomana tombèrent, les média bourgeois bricolèrent rapidement un nouveau masque alternatif et le cédèrent à Rajoelina surnommé "TGV", "pour son caractère fonceur" et surtout "pour la rapidité de son ascension sociale". Mais ce masque peut tomber en aussi peu de temps qu’il a fallut pour le fabriquer, l’indocilité de notre classe à accepter les mesures inévitables contre ses conditions de survie risque bien de faire dérailler promptement ce fringuant "TGV" présidentiel.
GRÈVE GÉNÉRALE Á PARTIR DU MARDI 20 JANVIER 2009GWADLOUPÉYEN DOUBOUT KONT PWOFITASYON!Plus que jamais nous affirmons à tous les exploiteurs et à tous les profiteurs (État, Capitalistes, Collectivités majeures...): La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo! [La Guadeloupe est à nous, la Guadeloupe n’est pas à vous]. Communiqué de presse du LKP |
Mi-février, alors que se multiplient les barrages routiers défendus par les armes, les forces de l’ordre tentent un coup de force pour les démanteler et procèdent à l’arrestation de nombre de militants. Ce durcissement de l’affrontement de classe attire alors les sans-travail et autres secteurs les plus marginalisés du prolétariat qui déferlent littéralement des banlieues vers les centres villes et nœuds stratégiques du monde marchand, y opérant sans interruption pendant trois jours et trois nuits consécutives, pillages, incendies de centres commerciaux et de véhicules des forces de répression et même le blocage de l’aéroport. L’économie se retrouve entièrement bloquée par cette évolution du mouvement, les compagnies touristiques annulent tous les séjours sur l’île et l’Etat avoue "ne plus être en mesure de réquisitionner les stations services". Face à ce développement de l’action directe du prolétariat, c’est le maintien même de l’ordre social qui se retrouve menacé.
"Ils ont voulu Beyrouth, voilà Beyrouth", déclare au journal Libération un jeune de 16 ans, tout en arrachant des câbles sur le port. Le maire de Pointe-à-Pitre se montre très inquiet: "Ce que nous avons vécu cette nuit, n’est pas un dérapage. La ville a été livrée à des adolescents sans contrôle pillant, dévastant dans une atmosphère qui n’est pas tolérable".
L’Etat français envoie encore davantage de gendarmes mobiles tandis que ses fractions plus lucides savent pertinemment que c’est sur un autre terrain qu’il faut tenter de casser le mouvement. Ainsi lorsque le secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer Yves Jégo est rappelé à Paris, il tente de convaincre ses pairs qu’il faut rencontrer certaines revendications –notamment les 200 euros- devant ce qu’il qualifie de "situation insurrectionnelle". Il faut savoir que depuis le début du mois de février, les prolétaires de la Martinique, île voisine également française, se sont entre temps mis en grève tout en créant leur propre comité de grève, le "Comité du 5 février", en référence à la date du déclenchement de la grève générale, tandis que sur l’île de la Réunion -autre DOM français au large de Madagascar dans l’Océan indien- un "Collectif de la Réunion" venait de lancer le 14 février, à la veille des émeutes en Guadeloupe, un appel à la grève générale pour le 5 mars.
Face à une situation devenue ingérable en Guadeloupe et potentiellement dans d’autres DOM, il est donc à ce moment des bourgeois qui prônent la négociation parce qu’ils savent qu’une répression brutale des émeutes en Guadeloupe comme en 1967 (près d’une centaine de morts) risquerait bien de durcir le mouvement, y compris en Martinique voire dans les DOM plus éloignés où la situation est également très tendue.
L’Etat français se résout donc à promettre de satisfaire certaines revendications (dont celle des 200 euros) pour tenter de faire baisser les bras au secteur gréviste qui avait initié le mouvement en décembre et janvier, et ce malgré sa crainte d’une contagion en Métropole des revendications salariales à la veille d’un "sommet social pour l’emploi" en France. Et cela a fonctionné dans une certaine mesure: avec toute l’énergie qu’ont déployée à cet effet les syndicats (avec lesquels le mouvement n’a certainement pas assez rompu), à coups de déclarations pseudo-radicales spectaculaires (comme celles du leader de l’UGTG, Elie Domota, que s’est arraché la presse bourgeoise en tant que "représentant du mouvement"), la promesse étatique et patronale des 200 euros vient finalement à bout de la grève, ce qui essouffla rapidement la combativité des prolétaires sans-travail qui avait rejoint le mouvement sur les barricades. Contrairement aux craintes du gouvernement français, la promesse de satisfaction de cette revendication n’a pas provoqué de contagion, n’a pas incité les prolétaires du reste de la France à aligner leurs exigences sur celle de leurs frères de classe en Guadeloupe.
Dans le contexte actuel de crise où la tendance est plutôt aux diminutions de salaires, restructurations et licenciements, une augmentation mensuelle de 200 euros pour les bas salaires apparaît certes comme une concession importante. Il fallait d’ailleurs qu’elle soit suffisamment attrayante pour casser le mouvement et amener les grévistes à reprendre le travail. Bien sûr, nous savons que même si elle était appliquée, cette augmentation du salaire nominal ne déboucherait pas pour autant sur une augmentation du salaire réel à moyen terme, vu l’inflation galopante. De plus, la bourgeoisie cherche déjà par tous les moyens à vider de sa substance l’accord signé. Les 200 euros promis étaient sensés être payés pour moitié par l’Etat central, les deux quarts restant se répartissant entre les collectivités territoriales et le patronat. L’Etat a entre-temps laissé entendre que son engagement prendrait terme au bout de deux ans, tandis que le MEDEF (fédération patronale) rechigne à régler sa part de la note, saucissonnant l’accord en négociations sectorielles pour mieux l’enterrer. Décidément, le venin de la bourgeoisie est une fois encore dans la queue des couleuvres qu’elle tente de nous faire avaler!
Les prix des produits alimentaires ont toujours eu tendance à
être plus élevés dans les DOM-TOM qu’en France métropolitaine.
Ceci s’explique par le fait qu’historiquement, le capital y a organisé
l’exploitation assez "classiquement" par l’imposition d’une monoculture
d’exportation (la canne à sucre) qui lie la survie des prolétaires
à l’importation depuis la métropole des produits de première
nécessité. Or, pour diverses raisons (notamment l’augmentation
des coûts du transport liés à l’augmentation des prix
du pétrole, monopoles sur certains marchés concédés
à certaines firmes directement par la métropole, etc.) que
nous ne développerons pas ici, les prix des produits d’importation
sont toujours parmi les plus élevés. Les chiffres officiels
évoquent des prix des denrées de base parfois de 300% plus
élevés dans les DOM que dans la métropole, le salaire
moyen y est inférieur de moitié et le taux de chômage
global y est de 27% (pour une moyenne de 7% en France métropolitaine),
montant à 55% parmi les 18-25 ans.
Un exemple édifiant? Un kilo de carottes coûte 1,29 euros à Paris contre… 4,12 euros en Guadeloupe. Un kilo de farine coûte 1,33 euros à Paris, contre 2,85 euros en Guadeloupe (Chiffres cités par Le Monde). Et il s’agit bien là de produits de base de l’alimentation! |
Que tirer de ces événements en Guadeloupe?
Il apparaît une fois encore que ce que l’Etat a le plus à craindre -comme le président français le souligna précédemment à propos d’une liaison potentielle entre les banlieues et le mouvement contre le CPE- c’est la rencontre dans une même lutte de secteurs du prolétariat habituellement maintenus séparés (par les conditions matérielles, leur non-reconnaissance mutuelle, etc). C’est incontestablement cela qui a donné un saut de qualité au mouvement en Guadeloupe.
Or, dans les textes et déclarations de la gauche social-démocrate prenant formellement parti "pour la lutte en Guadeloupe", l’ouvriérisme est resté la norme. Plutôt que d’avoir à reconnaître le rôle déterminant joué ici par ces prolétaires des banlieues, plutôt que d’avoir une fois de plus à les disqualifier comme "lumpenproletariat" conduisant l’"authentique lutte ouvrière" dans "l’impasse de la violence", il était idéologiquement encore plus commode de passer complètement sous silence toute cette phase cruciale de la lutte, se contentant de gloser sur les rapports entre le mouvement et les syndicats.
L’apparence de deux mouvements distincts ainsi reproduite par l’ouvriérisme a certes été également entretenue dans le mouvement lui-même, par l’absence d’une coordination en force qui aurait rompu avec le mode d’organisation social-démocrate justement basé sur le maintien des séparations, absence qui se reflète d’ailleurs dans la faible quantité de matériaux émanant de ces luttes, surtout si l’on compare à un cas comme la Grèce où l’abondance fut plutôt de mise.
Depuis les grèves contre l’aggravation des conditions de survie jusqu’aux barricades et blocages de l’économie, d’un point de vue prolétarien il s’agit évidemment d’une seule et même lutte, d’une seule et même réaction de notre classe contre l’attaque généralisée de ses conditions de survie, considération qui s’étend d’ailleurs à tous ces mouvements dans les autres DOM et au-delà, en continuité avec la vague de lutte mondiale dite "des émeutes de la faim" dont nous parlions dans notre revue de novembre 2008, depuis lors redynamisée par l’approfondissement accéléré de la crise du capital au cours de ces six derniers mois.
La brutalité de l’attaque capitaliste dans ces régions explique en partie la force et la massivité des réactions de notre classe telles qu’on a pu le voir notamment en Guadeloupe. Y intervient également le fil des luttes passées et un moindre degré de cohésion sociale, de pacification entre les classes. Pour d’évidentes raisons historiques coloniales, dans les Antilles françaises comme tant d’autres régions du monde, la couleur de peau suit l’opposition des classes: les bourgeois –patrons, responsables publics etc- sont quasi exclusivement blancs, qu’ils soient venus de la métropole ou qu’ils soient "békés" (descendants des colons français) et les prolétaires sont majoritairement "de couleurs", ce qui n’exclut évidemment pas que certains d’entre eux soient cooptés par la social-démocratie et promus flic de base ou leader syndical. Qu’il soit clair que ce sont pas les prolétaires de ces pays mais les merdeux de commentateurs blancs bien-pensants qui idéologisent cette question classe-couleur, qui l’"ethnicisent", la moralisent en criant au "racisme anti-blanc". Ajoutons encore que la "marginalisation" massive de prolétaires (voir les taux de chômage), relégués dans des bidonvilles toujours en extension contribue incontestablement à fragiliser la cohésion sociale en grossissant les rangs de ceux qui n’ont pas grand chose à perdre et ont de ce fait déjà perdu leurs illusions vis-à-vis de l’Etat et des médiations sociales habituelles.
Or il est vital pour nous de cerner également les limites qui ont marqué la convergence évoquée ici entre secteurs de notre classe. Si les prolétaires des secteurs plus marginalisés ont effectivement rejoint sur les barricades, sur le terrain de l’action directe dans la rue, un mouvement qui avait démarré par des grèves contre la chute brutale du salaire réel, il reste à comprendre comment un spectacle de victoire brandie par les syndicats sur le terrain des négociations a pu casser somme toute assez rapidement cette convergence.
Le dépassement des disparités entre secteurs du prolétariat qui a eu lieu dans le feu de la lutte, sur les barricades, n’a pas été assez profond que pour se maintenir et se renforcer face aux manœuvres bourgeoises consistant à sauver la mise en lâchant du lest dans les négociations avec les salariés en grève. Chacun des deux secteurs du prolétariat impliqués est dans une certaine mesure resté tributaire des limites de sa situation spécifique: les prolétaires en grève n’ont pas rompu avec les organisations social-démocrates (et en premier chef les syndicats, bien sûr soucieux d’enterrer le mouvement tout en sauvant la façade) et les prolétaires plus marginalisés sont quant à eux restés en-dehors de ces organisations mais sans développer d’organisation propre, sans amener les autres prolétaires à se retourner contre ces organisations. L’autonomie de classe s’est posée en pratique dans le non respect flagrants des appels aux calme de toute la social-démocratie mais n’a pas été assumée de façon plus conséquente, en posant à un niveau supérieur que cette autonomie doit s’imposer ouvertement, par l’organisation commune, la centralisation, contre les fossoyeurs de la lutte.
Dans ces luttes dans les DOM, on a ainsi chaque fois pu constater la constitution de "comités", "ligues" ou "collectifs" pour coordonner la lutte. Y apparaît à chaque fois la contradiction entre une volonté de centralisation de la lutte et les manœuvres social-démocrates de reprendre la main, d’encadrer le mouvement. De fait, ces comités de grèves ou de coordination présentent de grandes hétérogénéités et la social-démocratie semble assez facilement parvenir à se placer à leur direction tout en "radicalisant" son discours pour éviter que le prolétariat ne s’auto-organise en-dehors et contre elle. Comme toujours, ce qui importe pour la social-démocratie c’est de défendre la collaboration de classe. Le syndicat UGTG (Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe) qui est parvenu à s’imposer à la direction du LKP ne dérogea évidemment pas à cette règle, cherchant à conduire les prolétaires dans le bourbier du réformisme, des négociations, de la pacification du mouvement et ouvrant ainsi la voie à la répression des minorités révolutionnaires. Lorsqu’éclateront les premières émeutes, pillages, incendies et que le mouvement deviendra plus offensif (par l’extension des blocages, l’affrontements armé, etc.), l’UGTG ne manquera pas de multiplier sur le terrain les appels au calme, tout en "dénonçant la répression", par la voix de son leader Elie Domota. Pour expliquer comment les négociations ont provisoirement pu avoir raison de ce mouvement et ont fait quitter au prolétariat à la fois la rue et son terrain de classe, nous avons évoqué plus haut les divisions qui ont repris le dessus dans notre classe sous le coup des manœuvres bourgeoises. On peut constater qu’il y a en effet eu ici place pour un "Elie Domota", ce qui semble rétrospectivement impossible en Grèce où toute tentative en ce sens aurait été sabotée par la dénonciation massive dont elle aurait fait l’objet. En Grèce encore, diverses expressions du mouvement ont émergé pour s’assumer comme pôle de la négation de cette société marchande dans son ensemble. De cette dynamique, la majorité des salariés s’est tenue à l’écart ou à la traîne. En Guadeloupe, ce sont les salariés qui ont lancé le mouvement… et ont au bout du compte accepté sa neutralisation. Lorsque les grévistes ont accepté de reprendre le travail sur base des promesses du gouvernement (l’accord "Bino" du 26 février 2009), même s’il y a eu en mars et avril de nouvelles grèves contre les magouilles de non-application de l’accord (dénonciation de l’" accord Bino étendu "… en réalité raccourci!), il n’y a pas eu de force capable de critiquer et refuser en acte cette gigantesque arnaque et de poursuivre la lutte contre l’Etat.
En envisageant à présent le rapport entre les luttes d’un pays à l’autre (Antilles), d’un continent à l’autre (Madagscar, Réunion…), force est de reconnaître qu’il y a certainement eu résonance et incitation d’un foyer à l’autre… mais cette extension de fait n’est pas encore assumée pour ce qu’elle est, selon toute la subversion qu’elle contient en puissance. C’est donc plutôt au spectre de l’internationalisme prolétarien qu’à sa réalisation effective que la bourgeoisie a répondu. La centralisation et la coordination sont restées l’exclusivité de la contre-révolution. Internationaliste et apatride de fait, la lutte de notre classe a manqué en Guadeloupe comme dans le reste du monde d’un saut de qualité en terme de prise en main consciente et d’organisation de cet internationalisme, de centralisation internationaliste de nos forces. Très concrètement, il est clair que lorsque des leçons seront davantage tirées d’une lutte à l’autre contre les médiations social-démocrates qui les neutralisent, contre les divisions que la bourgeoisie parvient à maintenir en notre sein, d’extraordinaires perspectives d’extension et de développement de notre lutte s’ouvriront.
Les promesses chimériques sur base desquelles les syndicats et la direction du LKP crient victoire nous portent à un constat de défaite, certes, mais porteur des luttes prochaines: si la bourgeoisie ne peut ni ne veut tenir ses promesses, elle se prive aussi de la sorte de toute capacité d’amadouer le prolétariat. La prochaine fois que celui-ci descendra dans la rue, ce sera avec quelques illusions en moins et des leçons tirées de la lutte de ce début 2009. Avec les prolétaires en lutte dans les Antilles, en Grèce, à Madagascar et ailleurs, il est essentiel d’affirmer que:
Centralisons nos forces et donnons-nous les moyens de renverser mondialement et définitivement le monde marchand et son cortèges d’abominations mortifères et meurtrières!
Depuis 1973, le système de pouvoir global colonialo-moderne2 a entamé un processus de reconfiguration radicale à caractère contre-révolutionnaire. Usant du chômage endémique, il a conduit les travailleurs à une défaite mondiale. Avec la désintégration du despotisme bureaucratique (ledit "bloc socialiste") et l’implosion finale de l’URSS, il a aussi éliminé tous ses rivaux dans la course à l’hégémonie planétaire, ce qui a aussi entraîné la désintégration des mouvements et organisations qui étaient antagoniques et critiques envers ce pouvoir. Ainsi, les tendances les plus enracinées, inhérentes à ce contexte historique, ont pu s’exprimer et se développer, virtuellement sans opposition, jusqu’à la dernière décennie du XXème siècle.Ce processus implique l’avènement d’une toute nouvelle période historique dont la portée équivaut à ce qui s’est produit lors de ladite "révolution industrielle bourgeoise" mais qui conduit l’existence sociale actuelle sur un chemin inverse à celui emprunté alors. Non seulement les formes de domination, de discrimination et d’exploitation seront (sont déjà, en fait) toujours plus brutales et violentes, mais ce processus entraîne la destruction des conditions de vie sur notre planète, une polarisation sociale extrême intentionnée volontaire ainsi que l’extinction par la famine d’une grande partie de notre espèce. Pire encore, bien pire, ce processus s’accompagne de la généralisation d’un sentiment collectif capable de se conformer et de s’accommoder avec tout cela, tant qu’il reste possible de consommer. C’est fondamentalement le contraire de ce que fut le projet central de la colonialo-modernité.
En même temps, le capitalisme colonialo-moderne est parvenu à un développement technologique qui tire le plus grand profit de la nouvelle intelligence de notre espèce, tant individuelle que collective, ce qui lui permet une production matérielle et immatérielle d’une ampleur sans précédent à l’échelle mondiale. Ceci a conduit le capital à un stade où il ne produit plus de travail salarié mais opère via une nouvelle forme d’accumulation financière qui requiert le contrôle maximal de la subjectivité et de l’autorité.
Ainsi, le capitalisme colonialo-moderne ne produit et ne produira plus ni emplois ni salaires, sauf "précaires" et "flexibles", ni services publics ni libertés civiles. Bien au contraire. L’esclavage et la servitude sont en pleine ré-expansion, avec leur éthique sociale perverse à nouveau explicitement affichée et toujours au service du capitalisme.
Les désirs et besoins de domination et de profit des orchestrateurs de ce pouvoir sont de plus en plus illimités et retors. Tous les moyens sont bons pour parvenir à leurs fins. Ceci conduit à la destruction de notre habitat commun, la planète, et nous pousse à nous entretuer. Aussi, dans sa phase actuelle, ce système de pouvoir constitue-il le plus grand danger à l’échelle globale.
Nous commençons toutefois à nous rendre compte que cette même technologie permettra aussi de produire tout ce dont la population mondiale aura besoin sans recourir à la domination-discrimination-exploitation-violence. Ceci signifie que non seulement le capitalisme est dangereux mais que par ailleurs il ne nous est plus utile ni nécessaire. Au contraire, nous pouvons nous en passer. Vu sa dangerosité, se défaire du capitalisme colonialo-moderne est une nécessité urgente. La nouvelle période actuelle implique de ce point de vue-là un conflit plus aigu et nous place tous véritablement à un croisement historique.
Il ne suffit donc plus de résister à la globalisation néolibérale. Les conquêtes qui nous ont été confisquées ces 40 dernières années ne nous seront pas rendues. Il ne suffit plus de lutter contre l’impérialisme unipolaire des Etats-Unis puisqu’il en émerge un autre, multipolaire (l’Union Européenne, la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil) qui ne sera certainement pas moins brutal ni violent. Il est maintenant nécessaire, urgent pour tout dire, de passer de la résistance à l’alternative et c’est précisément ce que nous sommes en train de faire. L’Amérique latine est au cœur même de cette nouvelle étape du mouvement mondial de la société contre le capitalisme colonialo-moderne.
Aux luttes des exploités du monde industriel et urbain qui résistent au néolibéralisme globalisé sur le terrain de l’emploi, du salaire, de la sécurité, des services publics, de la citoyenneté, s’ajoutent aujourd’hui les luttes des "indigènes" du monde entier, les plus asservies d’entre les victimes de la colonialité du pouvoir global, qui continuent de défendre les éléments essentiels à leur survie. Ces éléments, mal nommés "ressources naturelles" d’après le point de vue eurocentriste d’exploitation de la nature sont l’eau, les forêts, l’oxygène, les autres êtres vivants, les plantes alimentaires et médicinales, bref, tout ce que les "indigènes" ont utilisé, produit et reproduit pendant des milliers d’années, à savoir tout ce qui permet la production de l’existence sociale. Pour cette raison, les "indigènes" et de plus en plus, les autres secteurs de la population mondiale (à commencer par la communauté scientifique mondiale et les intellectuels et professionnels des classes moyennes ainsi que les tous les travailleurs du monde industriel urbain) découvrent que vu les tendances destructives du capitalisme actuel, les ressources nécessaires à la survie des "indigènes" ne sont rien d’autre que celles qui sont indispensables à la vie sur la Terre. Et que ce sont précisément celles-là que capitalisme colonialo-moderne menace de destruction totale.
Une vaste coalition sociale est en train d’émerger qui pourrait être (qui est, en fait) un nouveau3 mouvement mondial de la société. Elle naît de la démonstration sans cesse renouvelée que le capitalisme colonialo-moderne actuel constitue un risque imminent d’extinction de la vie sur notre planète. En même temps, cette coalition prend conscience que le propre développement scientifique et technologique, ce système de pouvoir, est non seulement dangereux mais en fin de compte inutile et superflu.
Un processus de décolonialisation de l’existence sociale a ainsi démarré. Un nouvel horizon historique est en train de poindre. Ceci signifie d’abord notre affranchissent de l’eurocentrisme comme forme de production de subjectivité (d’imaginaire social, de mémoire historique et de connaissance) distordue et disproportionnée qui, mise à part la violence, est le plus efficace moyen de contrôle dont le capitalisme colonialo-moderne dispose pour maintenir l’existence sociale de l’espèce humaine dans le cadre de son système de pouvoir. Cette émancipation signifie la prise de conscience que les ressources vitales des "indigènes" sont aussi celles sur lesquelles se fonde la toute vie sur Terre. En même temps, cette émancipation, c’est aussi découvrir que nous disposons déjà de la technologie sociale pour abolir le capitalisme, contenue dans le mouvement même de nos luttes.
Nous apprenons aussi à nous organiser et à nous mobiliser selon cette même perspective. Nous produisons déjà nos propres formes d’existence sociale libérées de toute domination, de toute discrimination raciale, ethnique, sexiste. Nous produisons déjà de nouvelles formes de communauté comme forme principale d’autorité politique; en produisant de la liberté et de l’autonomie pour chaque individu, en tant qu’expression de la diversité sociale et de la solidarité; en décidant démocratiquement de ce dont nous avons besoin et ce que nous voulons produire; en recourant au degré de technologie le plus élevé possible pour produire les biens et valeurs dont nous avons besoin; en élargissant la réciprocité dans la distribution du travail, des produits, des services; en produisant, à partir de cette base sociale, l’éthique sociale qui offre une alternative à l’éthique du marché et du profit colonialo-capitaliste. Voilà ce que veut dire la production démocratique d’une société démocratique.
Ce sont les disjonctions historiques de la période que nous sommes en train de vivre et de configurer avec nos luttes et nos mouvements. C’est une époque de luttes et de choix. l’Amérique latine a été l’espace original et le moment initial de formation du capitalisme colonialo-moderne.
Enfin, elle est aujourd’hui le centre même de la résistance mondiale et de la production d’alternatives contre ce système de pouvoir.
Anibal Quijano
Nous saluons aussi le fait que l’auteur reconnaisse que c’est le capitalisme même qui constitue le véritable problème. Lorsqu’il déclare que "il ne suffit plus, donc, de résister à la globalisation néolibérale" et que "il ne suffit plus de lutter contre l’impérialisme unipolaire des Etats-Unis", il affiche une saine rupture avec la gauche dominante, ce qu’en général le milieu des intellectuels ne parvient pas à faire. Sur base de cette rupture, il pose clairement la contradiction centrale entre le capitalisme mondial, qui menace la vie sur la planète, et (malgré que nous ne soyons pas d’accord avec son ajout sociologiste concernant les "secteurs de la population mondiale"), le "nouveau mouvement mondial de la société". C’est dans ce contexte que Quijano affirme l’émergence d’un nouvel horizon historique, où il souligne le caractère indispensable de notre affranchissement de l’eurocentrisme comme instrument de contrôle, de violence et de distorsion historique qui toujours a servi à la reproduction du pouvoir de cette société raciste et esclavagiste. Propos puissant et profondément lucide, Quijano affirme, contre la barbarie du capitalisme colonialo-moderne, la lutte des "indigènes" du monde entier comme une partie organique de la lutte du prolétariat, et affirme en même temps que la lutte pour la survie et la défense de la planète se confondent. Plus encore, il souligne que dans cette partie du prolétariat, la distinction entre lutte immédiate et lutte historique n’a aucun sens, et que, plus qu’en d’autres secteurs du prolétariat, les "indigènes" dans leur lutte immédiate (contre la dépossession et la contamination de la terre et d’autres éléments de la nature nécessaires à leur survie) luttent pour les intérêts de tous les exploités.
Nous nous identifions à cette affirmation et à l’affirmation de la contradiction centrale entre le système social et notre mouvement, nos luttes. C’est quand l’auteur cherche à affirmer le pôle positif de cette perspective que nous avons des divergences fondamentales avec son propos. Ainsi, tout ce qu’il dit de la démocratie, comme "production démocratique d’une société démocratique", est une lamentable concession non seulement au capitalisme (nous avons exposé plus d’une fois que la démocratie est un produit de la société mercantile et du capitalisme en particulier), mais même à l’eurocentrisme (le modèle de domination démocratique a étouffé le monde depuis l’imposition de l’hégémonie européenne). On pourrait croire qu’il ne s’agit que d’une question de terminologie, parce que bien souvent ceux qui luttent contre la domination et l’oppression capitalistes utilisent encore la terminologie des oppresseurs, revendiquant la "démocratie directe et ouvrière". Il y a pourtant divers éléments dans les affirmations positives de Quijano qui démontrent le contraire, par exemple la "liberté et l’autonomie pour chaque individu". En effet, l’individu à proprement parler n’est qu’un produit du développement de la marchandise et il s’est lui-même libéré et autonomisé à travers l’affirmation de sa capacité à acheter et à vendre, une fois achevée sa séparation historique d’avec la communauté. Non, on ne peut revendiquer à la fois l’individu autonome et prétendre que ce même individu ne sera pas égoïste. On ne peut aspirer à l’autonomie de chaque individu et se plaindre simultanément que ce même individu s’érige en en propriétaire privé et nous soustraie de l’indispensable à notre survie, de la même manière que l’on ne peut revendiquer la démocratie et se plaindre parce que cette même démocratie exerce la terreur étatique capitaliste. Ce n’est pas moins absurde que de s’imaginer une société capitaliste où "tout le monde est riche".
Ceci est fondamental lorsque l’on aborde "nos propres formes d’existence sociale, libérées de toute domination, de toute discrimination raciale, ethnique, sexiste, en produisant déjà de nouvelles formes de communauté" parce que la véritable communauté humaine ne peut pas coexister avec le capitalisme, ni avec l’individu, ni avec la démocratie. La seule vraie communauté qui précède la destruction sociale du capitalisme et l’abolition de la propriété privée et de l’Etat, c’est la communauté de ceux qui luttent contre ce système social. Toute illusion sur la possibilité de construire de communautés de production et de vie différentes sans détruire ce système social, c’est-à-dire sur la possibilité de coexister pacifiquement avec le capitalisme, est non seulement une position utopique, mais sert invariablement à détourner les énergies portées vers la destruction de ce système social, permettant ainsi à l’Etat capitaliste de se réorganiser pour mieux attaquer le prolétariat révolutionnaire.
Bien que ce soit une évidence, répétons-le: LA REVOLUTION EST INDISPENSABLE.
Finalement, il nous semble important de signaler qu’il n’est pas juste de dire que "l’Amérique latine a été l’espace original et le moment initial de formation du capitalisme colonialo-moderne". Et le reste de l’Amérique? Au contraire, cette idée nous semble une concession à l’eurocentrisme. Et la Chine? Et le Japon? Et la révolution dans le marché mondial au XIIIe siècle, particulièrement dans le Pacifique? Et le développement commercial des pays arabes? Et les guerres impérialistes entre l’Europe et le Moyen-Orient?
Il nous paraît tout aussi faux d’affirmer que "l’Amérique latine est aujourd’hui le centre même de la résistance mondiale et de la production d’alternatives contre ce système de pouvoir". Nous ne savons pas très bien à quoi pense l’auteur. Mais il ne s’agit pas que d’une ignorance des luttes du prolétariat des autres continents (où il y a par ailleurs aussi d’importants antagonismes entre les "indigènes" et les grandes multinationales capitalistes, qui, par exemple, cherchent à développer les agrocarburants, comme en Indonésie), et nous craignons qu’il soit en train d’identifier comme alternatives ce qui n’est en réalité que des réponses de l’Etat à la lutte du prolétariat international, comme les mouvements sociaux encore toujours encadrés par les gouvernements de la gauche bourgeoise sur le continent. La condition indispensable pour que s’affirme la communauté de lutte contre le capital est l’opposition à tous les gouvernements, y compris ceux qui s’autoproclament socialistes, anticapitalistes et pro-indigènes.4
Les "nouvelles" formes de communauté ne peuvent se développer que contre le capital et tous les états.
"La catastrophe du monde capitaliste soumet donc le prolétariat à une situation infernale de mort, de famine, de misère, d’insécurité permanente, de guerre,… Et non seulement cette situation n’a aucune possibilité réelle de changer, mais au contraire elle doit nécessairement s’aggraver.Partout le capital se trouve confronté à un ensemble de limites qui l’oppose totalement à l’espèce humaine et qui pose toujours plus l’obligation pour cette dernière de détruire le capital pour ne pas être elle-même détruite."
(GCI, Communisme, n° 38, avril 1993)