Contre toutes les prisons!
Il existe un vaste secteur réformiste, enflé par des personnalités progressistes, des âmes charitables et philanthropes en tous genres qui se tournent vers l’opinion publique et les autorités dans l’espoir de mettre un terme aux mauvais traitements et aux conditions dégradantes que subissent les prisonniers, de réformer les prisons, de moderniser le système pénitentiaire, en un mot “d’humaniser” les geôles. Et il arrive que ces réformistes modernisateurs attirent des groupes de soutien et des familles de prisonniers en leur faisant miroiter la perspective d’une amélioration immédiate des épouvantables conditions dans lesquelles vivent ces derniers. Indépendamment des intentions de chaque individu, de chaque groupe, ces efforts ne font que renforcer l’Etat, ils canalisent la lutte et la dissidence vers les conversations avec les avocats, les rencontres avec des “experts et des personnalités”, les pétitions adressées aux autorités démocratiques, les entretiens avec les représentants des partis bourgeois, l’organisation de conférences de presse à la sortie des tribunaux et toute sorte d’autres actions encore qui, au bout du compte, reviennent à distribuer des calmants et diluer le conflit. Mais le conflit continue et continuera encore car, vu les conditions concrètes dans lesquelles ils vivent, à un moment ou un autre, les êtres humains entassés dans les prisons, soumis à l’esclavage sur les lieux de travail et vivant dans la misère des quartiers prolétariens feront exploser la paix sociale. Et comme le disaient les prisonnières révolutionnaires incarcérées dans les geôles espagnoles dans les années ’70: “Nous les prisonnières, on ne veut pas de prisons améliorées” (11). Parmi les prisonniers de la guerre sociale, on trouve toutes sortes de tendances, dont le léninisme, majoritaires dans certains pays comme l’Espagne, la Turquie ou le Pérou. De nombreux prisonniers sont militants d’organisations marxiste-léninistes ou ouvertement staliniennes (12). Les luttes de ces prisonniers doivent être soutenues, mais il est important de ne pas tomber dans l’apologie de leurs organisations car les positions de la gauche de la social-démocratie version leninoïde ne cherchent qu’à renforcer ses partis “communistes” et constituer un Etat du genre de Cuba, de la Chine du temps de Mao ou de la défunte URSS, Etats et pays où sévissait l’exploitation salariée et où le prolétaire était domestiqué comme main d’œuvre soumise dont on pouvait extraire la plus grande plus-value possible (et augmenter ainsi le profit) sous des couvertures idéologiques telles “la construction du socialisme en un seul pays” (reprise sans vergogne de l’arsenal de Staline!), la création de “l’homme nouveau” ou le “pouvoir populaire”. Ces deux dernières mystifications sont toujours à l’œuvre à Cuba où, lors de chaque 1er Mai, les ouvriers, encadrés par leurs chefs, défilent comme des moutons pour célébrer le travail. Lorsqu’en Grèce et en Turquie éclatèrent de violentes manifestations de soutien aux grèves de la faim entamées par les prisonniers politiques turcs, les partis léninistes auxquels ces mêmes prisonniers appartenaient utilisèrent ces luttes pour leur propre propagande, ils exhibèrent leurs camarades morts en prison comme des martyres de leur cause et cherchèrent à élargir leurs rangs et à juguler les crises internes. Et lorsque des camarades eurent le courage de critiquer férocement les groupes staliniens et firent circuler les textes de prisonniers anarchistes comme ceux du Groupe du 5 Mai par exemple, ils furent attaqués de toutes parts, y compris par des “camarades libertaires” qui considéraient cela comme un manque de loyauté envers les prolétaires emprisonnés (13). Il faut également signaler et dénoncer les prisonniers qui trahirent et se dissocièrent des secteurs les plus radicaux. Un des cas les plus emblématiques est celui de Toni Negri, star de l’intelligentsia critique et de la social-démocratie recyclée, libertaire et “autonomiste”. Dans les années ’70-’80 en Italie, lorsque la lutte des classes bat son plein dans cette région et que ce monsieur est incarcéré, il s’en dissocie immédiatement et s’efforce de présenter cette lâcheté comme une alternative pour les autres prisonniers. Il s’agit de se désolidariser publiquement des camarades ayant des positions combatives, des irréductibles qui continuent, au sein des prisons, la lutte qui fait trembler les rues. Personne ne lui a jamais demandé d’assumer ce qu’il n’était pas ou de se déclarer militant des Brigades Rouges (un groupe armé partisan des Etats chinois et cubain, comme la majorité des autoproclamées “organisations communistes combattantes”), mais au moins, qu’il ne passe pas son temps à rendre visite aux prisonniers fascistes et à clamer son innocence aux autorités! (Si certains pensent que nous exagérons, ils peuvent se taper son indigeste livre-témoignage “Le train de Finlande”). En dernière instance, un militant peut être totalement étranger aux actes que la justice bourgeoise lui impute, mais baser sa défense sur une déclaration d’innocence ou se présenter comme victime (“victimisation” tellement à la mode aujourd’hui) implique, dans la pratique, délivrer des certificats de bonne conduite à la classe dirigeante et semer la confusion dans les rangs de la lutte sociale. C’est pourquoi, les communistes éprouvent plus d’affinité avec les prisonniers anticapitalistes qui ne revendiquent pas telle ou telle action en particulier, mais se réclament de la militance et du combat révolutionnaire contre le capital et l’Etat, tels que le font nos camarades Claudio Lavazza et Amanda, aujourd’hui encore otages des centres d’extermination espagnols. Plus pathétique encore que la question des dissociés, est le cas de certains prisonniers appartenant à des groupes armés, ayant parfois occupé de hauts niveaux de responsabilités dans leurs organisations qui, une fois en prison, se rétractent, appellent à abandonner la lutte et vont jusqu’à donner des camarades qui étaient jusque là hors de portée des griffes du pouvoir. Le cas des repentis en Italie est une expression dramatique qui manifeste ce niveau de décomposition de toute humanité, certainement favorisée et renforcée par la dureté des prisons spéciales. Mais aujourd’hui, on trouve des repentis dans de nombreux endroits du globe et notre désir de détruire les prisons et de libérer les hommes et les femmes qui subissent une répression brutale ne doit jamais nous aveugler sur les positions qu’ils portent ou sur leur conduite si celles-ci sont traîtres et condamnables. Le soutien irréfléchi et l’apologie du prisonnier politique favorise uniquement ceux qui mendient la “liberté”, les institutions du système ou les fausses communautés que sont les partis léninistes et les réformistes armés, ou encore l’extrémisme de gauche du capital. Dans leur guerre quotidienne contre les prolétaires pour imposer la paix sociale nécessaire au bon fonctionnement des affaires et la conséquente réalisation des marchandises et du profit, les Etats sont en train de faire un pas de plus dans la criminalisation des luttes. Ce pas consiste à criminaliser les secteurs extérieurs qui appuient les luttes de prisonniers. Ceci ne constitue en rien un aspect inédit de la répression: en Turquie, les agents de police enferment les enfants des détenues politiques; au Moyen Orient, l’Etat israélien rase au sol les maisons des parents des commandos suicides; en Amérique Latine, dans les années ‘70-‘80, la répression s’abattait communément sur les amis et les proches de militants persécutés. Mais maintenant, le culte de la démocratie et de l’Etat de droit, religion universelle imposée par les grandes puissances, offre à la justice de classe capitaliste les fondements de la persécution. Ainsi, grâce à l’amalgame, on jette dans le même sac du terrorisme tous ceux qui se solidarisent activement avec les révolutionnaires emprisonnés. Des personnages aussi peu ragoûtants que le juge Baltazar Garzón peuvent continuer à gueuler que la Croix Noire anarchiste d’Espagne est “l’ appareil de captation de l’organisation terroriste PCE(r) et des GRAPO” (14). Vieille comme la lutte des classes, la théorie de la conspiration qui considère que le conflit social ne surgit pas du sol de la société marchande mais du cerveau de conjurés tapis dans l’ombre, refait surface dans la stratégie de l’amalgame. Parents, amis, prolétaires prisonniers, terroristes, les frontières s’estompent et n’importe qui peut finir en taule. Comme on l’a déjà dit, il ne s’agit pas de se solidariser avec des partis staliniens ou avec des sections de la CNT, un syndicat aussi réformiste que les autres (pendant la guerre et la révolution espagnole de 1936-39, la CNT soutint activement le front de la bourgeoisie antifasciste, encourageant ainsi le massacre de prolétaires dans la guerre interbourgeoise), mais de dénoncer clairement que l’Etat capitaliste condamne et poursuit toute tentative visant à remettre en question son monopole de la violence et, en ces temps de crise et de guerre ouverte, durcit la persécution contre tout foyer de rébellion et de lutte sociale. Voilà la politique de l’Etat espagnol, grec, italien… dont les mesures répressives, après les attentats du 11 mars à Madrid, ne pouvaient qu’empirer, resserrant encore plus les chaînes avec lesquelles la bourgeoisie tente de soumettre pour toujours notre classe en la dissolvant dans une masse amorphe de citoyens disposés à donner aux flics tout qui ne respecte pas la propriété et les lois démocratiques.
Aujourd’hui, les villes sont quadrillées et régulièrement parcourues par les patrouilles de terre et de l’air; les caméras surveillent chaque recoin de nos vies quotidiennes. Les médias répètent à n’en plus finir de nous méfier des sacs sans propriétaire apparent, des voisins peu sociables, de celui qu’on ne considère pas comme un bon citoyen. Les villes se transforment en gigantesque panoptiques où l’archipel pénitentiaire se confond avec l’architecture des quartiers et les HLM. Mais, en prison, les luttes continuent, jour après jour, et c’est des minorités communistes que dépendent la solidarisation avec ces luttes depuis l’extérieur, leur union avec les autres combats que le prolétariat mène au quotidien pour ses besoins humains et que la contre-révolution parvient à diviser, séparer, isoler les uns de autres; c’est des minorités communistes que dépendent l’extension de la révolte et l’affirmation claire et nette que la destruction de toutes les prisons est une des gigantesques tâches que la révolution communiste mondiale devra affronter.
inspectées,
fouillées,
scrutées,
auscultées,
gardées,
épiées,
dépouillées,
disséquées,
évaluées,
écoutées,
examinées,
fichées,
recherchées,
espionnées,
cernées,
arrêtées,
dévisagées,
épinglées,
menacées,
intimidées,
détenues,
sanctionnées,
interrogées,
assujetties,
accusées,
persécutées,
exclues,
attachées,
exposées,
enfermées,
capturées,
appréhendées,
emprisonnées,
écrouées,
internées,
châtiées,
punies,
emmurées,
confinées,
enchaînées,
forcées,
asservies,
dominées,
tyrannisées,
dépouillées,
violentées,
frappées,
chassées,
enregistrées,
affamées,
dénigrées,
injuriées,
insultées,
vilipendées,
outragées,
salies,
blessées,
mutilées,
piétinées,
estropiées,
violées,
maltraitées,
condamnées,
dispersées,
incriminées,
inculpées,
diffamées,
fustigées,
flagellées,
isolées,
recluses,
terrorisées,
traumatisées,
droguées,
intoxiquées,
empoisonnées,
torturées,
exterminées,
génocidées,…
Quel terrifiant progrès que celui de la société bourgeoise. Plus personne ne peut se sentir libre de l’action de l’Etat! Dans ce monde, seul l’Etat est véritablement libre! L’inquisition démocratique ne semble avoir encore aucune limite! Y a t’il quelqu’un sur cette terre qui ne se sente pas menacé par le terrorisme permanent et omniprésent de l’Etat démocratique? Y a t’il quelqu’un dans ce monde qui ne soit pas en liberté provisoire et sous haute surveillance?
Il n’y a pas un seul prolétaire sur cette planète qui ne subisse cette terreur atroce, dont s’alimente la reproduction de toute la société actuelle. C’est la seule forme de perpétuation de la dictature sociale du monde de la propriété privée en pleine catastrophe généralisée. La situation est telle que toute tentative de comptabiliser les dizaines de millions de prisonniers à travers le monde n’a plus beaucoup de sens, le reste de l’humanité est en liberté très conditionnelle.
C’est pourquoi les cris s’échappant des cachots du capital ou de la bouche de camarades qui s’en solidarisent, nous le ressentons comme nos cris, particulièrement quand il s’agit de cris de lutte dénonçant le système pénitentiaire moderne.
Nous reproduisons ci-dessous quelques-uns de ces cris audacieux qui, de l’intérieur, brisent les murs et les chaînes pour atteindre d’autres prolétaires. Certains de ces témoignages ont été choisis parce qu’ils dénoncent la torture et, de façon générale, la politique criminelle à l’œuvre dans les geôles de la démocratie espagnole, d’autres sont publiés ici parce que, en plus de dénoncer cette pratique étatique au sein des prisons (véritables centres d’extermination, comme disent les prisonniers), ils démontrent un niveau de plus en plus élevé de conscience et de lutte qui confirme que, depuis toujours, les prisons (et/ou les hôpitaux psychiatriques) renferment des secteurs d’avant-garde du prolétariat (1). Par les temps qui courent, les prisonniers sont contraints d’assumer toujours plus ouvertement l’antagonisme historique opposant l’humanité et l’Etat, et, inévitablement, le nombre de prisonniers qui luttent contre cette société croît.
Presque tous ces témoignages remontent aux dernières années du gouvernement du PP (Partido Popular), plus particulièrement en 2001, au moment précis où, dans presque toutes les prisons du pays, des prisonniers se coordonnaient pour exiger des améliorations de leurs pénibles conditions de vie et dénoncer la destruction d’êtres humains perpétrée au sein de ces véritables camps d’extermination, comme les appellent les prisonniers, en particulier dans les quartiers d’isolement du régime FIES. Ces mouvements de protestations vont être soutenus sans relâche (et le sont encore) par des groupes qui, de l’extérieur, s’en sont solidarisés. Très souvent, à peine ces prolétaires entendent-ils parler de mutinerie ou de grève de la faim, qu’ils se rendent aussitôt devant la prison concernée, peu importe si elle est isolée ou éloignée, afin que leurs cris de solidarité soient entendus depuis l’intérieur de la prison.
A Barcelone, à la fin de chaque année, une manifestation aux flambeaux partant de la prison des femmes se rend à la prison des hommes, et il est même arrivé que les manifestants utilisent ces torches pour tenter de bouter le feu à la porte du pénitencier et repousser la charge policière. Les façons d’attirer l’attention de l’opinion publique, d’informer le prolétariat de la situation dans les prisons et d’en avertir les responsables sur les dangers qu’ils encourent sont nombreuses et variées: concerts interrompus, pancartes déployées sur scène; performances réalisées pour parler des tortures ou des difficultés, tels ces graves accidents de voiture subis par les parents des prisonniers contraints de traverser tellement souvent tout le pays pour leur rendre visite; murs de prisons tagués, tentatives de creuser des tunnels pour inciter à la fuite, envois de lettres piégées aux directeurs de prisons et aux autorités qui répriment tout mouvement de lutte des prisonniers ainsi qu’aux journalistes qui taisent ces luttes et leur répression; appel au sabotage des syndicats des gardiens de prisons et des entreprises qui tirent profit des centres de pénitentiaires; publications de témoignages de prisonniers et organisation de journées anti-répressions et anti-emprisonnement, etc…
Cela ne signifie malheureusement pas que la résistance prolétarienne en soutien aux prisonniers en lutte soit suffisante pour changer leur situation. C’est en effet bien en deçà de ce qui serait indispensable pour changer les choses, à l’image du reste de l’organisation et de la lutte de notre classe. Aujourd’hui, avec le retour au gouvernement du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) nous savons que rien ne changera, tout comme rien n’avait changé lors du précédent mandat de 1982. C’est d’ailleurs à cette époque que 4 détenus ont été retrouvés torturés à mort. Ces dernières années, de nombreux prisonniers sont décédés dans les prisons et commissariats espagnols, principalement par overdose d’héroïne (fin des années ’70, la drogue fut introduite massivement, avec la bénédiction des autorités, en vue de déstructurer la lutte et la solidarité entre prisonniers) ou d’autres drogues ou de produits pharmaceutiques ou à cause des maltraitances physiques, des abus sexuels et de la torture blanche (comme l’isolement) et/ou par suicides, ou encore par manque de soins élémentaires aux malades en phase terminale.
A l’heure actuelle, dans les prisons espagnoles, la situation est toujours explosive. Le 30 avril 2004, soit moins de deux mois après le retour au gouvernement du PSOE, dans la prison catalane de Cuatre Camins, une mutinerie éclate, déclenchée suite à un coup de poinçon porté à la tête du sous-directeur du centre, véritable acte de vengeance face aux tortures et sévices infligés. Constatant que la presse se faisait l’écho de leurs souffrances quotidiennes et ayant reçu de autorités l’assurance qu’il n’y aurait pas de représailles, les prisonniers déposèrent les armes. Mais des représailles, il y en eut! Coups et menaces dont la violence provoqua un scandale tel que les autorités furent contraintes de sanctionner et d’écarter de leurs fonctions plusieurs responsables. Le médecin de la prison, reconnu par les prisonniers comme l’un des principaux responsables de ces exactions, fit office de bouc émissaire, de coupable servant à cacher l’ensemble des coupables. Médecins, psychiatres, syndicalistes, ONG seront dénoncés par les prisonniers comme les complices, et même les principaux protagonistes, des tortures, des négligences sanitaires et du non-respect de leurs propres lois et droits. Tous ces personnages, et les mandataires actuels du PSOE et de la Tripartite catalane à laquelle participent le vieux PCE et les Verts, continuent à défendre l’existence du régime FIES. L’isolement est une des formes les plus extrêmes de répression, au même titre que la torture ou l’assassinat, c’est un moyen de destruction des idées en général et des idées politiques en particulier, une torture blanche conçue pour éliminer le prisonnier. Une vengeance particulière du système de domination bourgeois contre ceux qui, pour une raison ou une autre, se sont élevés contre lui et ont refusé de s’y soumettre.
Nous avons sélectionné les témoignages qui suivent (sans ordre précis et dont, par manque de place, nous n’avons parfois retenu que quelques courts extraits) parce que nous considérons qu’ils sont révélateurs tant de la situation vécue par les prisonniers (du système de terreur pervers qu’ils subissent) que des luttes qu’ils mènent contre le système répressif et le système social qui l’alimente. Vous ne trouverez de titre et de signature à ces extraits que lorsque le communiqué en comportait un.
Je n’ai pas vu la tête du conducteur. A ses côtés se trouvait une femme brune, présente depuis le début. L’interrogatoire a commencé, ils m’ont frappé à la tête et, une fois sortis d’Euskal Herria, les menaces ont commencé, du style qu’ils allaient me jeter dans un fossé, que je détenais des informations et qu’il ne tenait qu’à moi de faciliter ou non les choses, que mon sort était entre mes mains… Les menaces succédaient aux tortures,… ils prétendaient qu’ils avaient carte blanche et étaient couverts pour faire de moi ce qu’ils voulaient… J’ai été menottée durant tout le voyage, sauf lors d’un arrêt à une pompe à essence où ils m’ont laissée aller aux toilettes. Au tout début, j’ai dû rester la tête entre les jambes, ensuite ils m’ont laissée me redresser jusqu’à l’entrée à Madrid où ils m’ont à nouveau contrainte à baisser la tête.
Ils m’ont obligée à répéter sans cesse la même chose. Tout au long de l’interrogatoire, bien en évidence sur la table, se trouvait le dossier contre la torture qu’ils avaient pris chez moi. A tout bout de champ, ils faisaient pression sur moi, sur ce que je devais déclarer…
Durant l’interrogatoire, j’ai du rester assise tandis qu’un policier, à mes côtés, me frappait la tête… Moi, j’étais terrifiée, tremblante dans l’attente d’un nouveau coup. Debout, le policier me répétait pour la énième fois “arrête de pleurer où je vais t’en foutre une”, mais moi je continuais à pleurer. Parfois, il me parlait normalement, d’autre fois, d’une voix douce, il me répétait: “Tout doux, nous devons juste trouver un accord”, puis soudain, il se mettait à hurler: “tiens-toi à carreaux, tu le sais pourtant qu’ici on torture”. Puis il prenait les papiers: “si en sortant d’ici tu nous dénonces, ce sera parce qu’on t’aura torturée, certainement pas parce qu’on ne t’aura rien fait”. Il y avait aussi les insultes et les humiliations. Ainsi, ils m’ont proposé de prendre une douche, ce que j’ai refusé, alors ils ont commencé à me déshabiller: “tu es une truie et tu pues”, et ils m’ont obligée à me doucher. Ils me disaient que si je ne m’arrangeais pas avec eux, les autres viendraient. Ils me disaient: “Je vais te pourrir la vie, entre 4 murs, tu n’auras aucun endroit où te cacher, si tu sors d’ici, faudra m’en remercier”. Ils me conseillaient encore de bien mener ma barque, de dire la vérité, que personne n’en saurait rien, qu’il dépendait de moi de me faire torturer ou pas. J’étais terrorisée, j’étais seule… Le médecin passait tous les jours, me demandait si je buvais au moins de l’eau, si je n’avais pas mal au foie. Il avait l’air préoccupé. Il voulait savoir comment on me traitait, si j’étais maltraitée physiquement, si je mangeais ou non… Sur le traitement qu’ils m’ont infligé, je ne lui ai rien dit… La cellule était neuve avec un tapis de bain et deux couvertures. La lumière était allumée en permanence. Quand je me couchais, je gardais mes bottes et mes habits. J’arrivais à repérer les jours parce que la nuit, ils nous laissaient tranquilles. Je n’avais aucune notion de l’heure, mais je maîtrisais bien les jours.
Les deux premières nuits, je n’ai pas dormi. Je n’ai réussi à dormir un peu qu’à la dernière car je me sentais plus tranquille, croyant qu’on allait m’emmener à l’Audience. Au petit matin, ils m’ont jetée dans une voiture, pour un changement de lieu. Encagoulée, la tête entre les jambes. Le plus fort là-dedans, c’est que pendant qu’un des flics me filait des coups, l’autre conduisait en toute tranquillité.
J’ai fait ma déposition accompagnée d’un avocat commis d’office. Ils m’ont dit que si, face au juge, je niais tout en bloc, ce serait bien pire: “le sac en plastic, le bâton dans le cul”. Ils m’ont dit qu’après ma déposition les choses continueraient de la même manière.
Ils m’ont ensuite amenée à l’Audience Nationale. Le policier m’a dit qu’il s’y rendait pour savoir ce que j’allais déclarer au juge, que le sort qu’il me réservait par la suite dépendait de moi, que c’est lui qui aurait le dernier mot, que je me retrouverai de toute façon entre ses mains… “tu sais que je suis dans le coin, et si tu dis quelque chose…”.
Ensuite ils m’ont amenée devant le juge. Il m’a posé l’une ou l’autre question, puis il m’a dit que j’étais libre. Je ne lui ai rien dit de ce que j’avais subi. J’ai été remise en liberté, sans demande de caution, sans même devoir aller signer.
Aujourd’hui, pour dormir, je prends des cachets. Je suis très nerveuse.
Salut camarades!
Depuis le Port I; quartier I, deux des prisonniers qui, le 25 juin, ont participé à la mutinerie de la prison de Ténériffe 2: Jorge Alberto Pérez et Manuel Jacobo Melian García.
C’est depuis notre lieu de détention que nous avons fait ce communiqué dans le but d’exposer les raisons qui nous ont poussés à mener une action directe pour revendiquer nos droits fondamentaux, systématiquement piétinés. Tous les faits qui se sont déroulés dans la prison de Ténérife 2 ont éclaté suite à la demande du camarade Seben Suy Expósito Hernández de pouvoir téléphoner à sa mère malade. Abusant de leur pouvoir, pour toute réponse, les gardiens le placèrent à l’isolement. Les dénonciations de tortures et vexations étaient déjà nombreuses et cet événement mit le feu aux poudres. C’est pour cette raison que nous nous sommes rebellés et avons décidé de nous mutiner. Au cours de cette mutinerie, nous nous sommes emparés de 6 gardiens de prison et de 2 chefs de service. Nous avons gagné les troisième, deuxième et premier quartiers. La non participation des camarades a fait que nous nous sommes retrouvés à dix à être d’accord pour monter sur le toit et à exiger la présence du Directeur de la prison, du chef de la Sécurité et du Juge des Surveillances Pénitentiaires. Ce dernier n’est jamais venu.
Tout cela a été fait pour revendiquer et dénoncer les tortures et vexations auxquelles nous sommes tou(te)s soumis(e)s, mais aussi revendiquer les avantages pénitentiaires, comme les remises de peine par le travail, les permissions, etc. qui ne sont pas respectés dans cette prison. Pourtant ces droits sont tous stipulés dans le Règlement Pénitentiaire.
Lorsque nous nous sommes pacifiquement rendus, sur la promesse qu’il n’y aurait pas de représailles contre nous, ils nous ont amenés à l’isolement et nous avons appris qu’ils avaient précipité le camarade Roberto Guijarro Exposito du toit et que, gisant dans la cour, ils l’avaient roué de coups de pied.
Son état a nécessité 15 jours d’hospitalisation. Dans notre quartier d’isolement, lorsque nous avons appris ce qui s’était passé, nous avons commencé à cogner contre les portes des cellules. Moi, Jorge Alberto Armas Pérez, j’assume l’entière responsabilité d’avoir mis le feu à un matelas dans le but de faire venir les fonctionnaires et d’obtenir ainsi des nouvelles du camarade torturé. Ma cellule était en feu depuis un quart d’heure, j’étais sur le point de mourir quand le Directeur, le chef de la Sécurité et entre 20 à 30 gardiens sont apparus. L’un d’entre eux a ouvert la porte et, avec un extincteur, a éteint le feu.
Ensuite le Directeur m’a incité au calme et ils m’ont emmené, menottes au poing, dans une cellule isolée, une cellule où se font généralement les admissions et les fouilles. Là, ils m’ont laissé nu et attaché en croix pendant trois jours, ne me détachant une main que pour me permettre de manger. Un soir, j’ai réussi à m’enlever les menottes, j’ai couru jusqu’aux toilettes, j’ai attrapé la lampe, je l’ai cassée et me la suis enfoncée dans le bras, conscient de m’ouvrir la veine à deux endroits. J’ai fait cela pour qu’ils cessent de me torturer. Mais le chef de la Sécurité, flanqué de 15 gardiens, est entré et ils m’ont passé à tabac entre 10 et 15 minutes.
Les camarades suivants ont également subi des tortures:
- José Salvador Sosa Pérez. Torturé et jeté dans les escaliers, admis à l’hôpital pour de nombreux os cassés et le visage défiguré, ce qui peut être vérifié dans le rapport médical de l’hôpital. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas dans quelle prison il se trouve.
- Manuel Jacobo Melian García. Torturé lui aussi par les gardiens de Ténérife 2. Admis à l’hôpital suite à de nombreux hématomes, où un rapport médical fait état de ces tortures.
- Miguel Ángel Díaz Rodríguez. Egalement torturé.
- Tino Hernández Pérez soumis aux tortures plusieurs jours de suite.
Ont aussi enduré des actes de tortures: Chico Rodríguez Espinos, Guillermo García Arenmibia, Macías Hernández Díaz et bien d’autres camarades.
Ce communiqué a pour but de faire savoir qu’aucune des promesses du Directeur sur la fin des tortures et vexations n’ont été tenues et qu’en plus, nous avons été torturés avec un sadisme criminel pour avoir revendiqué nos droits fondamentaux. Si de notre côté, nous avons respecté notre parole en nous rendant pacifiquement au quartier d’isolement, aucune des promesses faites par le tortionnaire Directeur et le chef de Sécurité n’ont été tenues.
Depuis le Port I, Quartier I, et sachant que les médias ont donné un tas de fausses informations sur la mutinerie (comme prétendre que nous voulions nous enfuir), nous tenons à faire savoir que cette mutinerie a été la conséquence des multiples tortures et vexations et du manque de compétence du Centre de Détention. Alors que beaucoup de prisonnier(ère)s purgent leurs condamnations sans broncher, sans jamais être sanctionnés et avec un bon comportement, ne voyant ni issue ni perspective.
Nous voulons communiquer à tou(te)s les camarades rebelles que malgré les tortures, les vexations, le manque de perspective au sein de la prison, nous continuerons la lutte pour ce que nous croyons juste. Salut et Liberté.
Dans une lettre Jaro raconte avec ses propres mots, ce qui s’est passé:
“Concernant ce qui s’est déroulé à Topas, il s’agissait de représailles et comme je déteste la torture, tant sur les hommes que sur les femmes, moi et deux autres camarades, nous avons entrepris de casser les cellules. Elles n’étaient plus qu’un champ de ruine. Si nous l’avons fait, c’est parce qu’un camarade avait été torturé. Cela s’est passé le 07/09/2001. Ils auraient pu nous donner une autre cellule puisque certaines étaient vides. Mais ils ne l’ont pas fait. Bon, nous sommes restés une semaine ainsi, dans cette cellule et, le 14/09/2001, sont arrivés différentes ordonnances dont un ordre comme quoi les jeunes qui n’avaient pas été transférés lors de la 1ère ou 2ème phase sortiraient avec nous, or ce jour là il y avait déjà eu des provocations envers trois camarades. Au camarade qui était avec moi en 1ère phase, ils ont donné l’isolement provisoire, mais il y en a un autre qui vint en 1ère phase et vers 4 heures de l’après-midi, ils m’ont annoncé au micro que je devais sortir seul dans la cour, mais j’ai refusé car il y avait un ordre du directeur indiquant que je ne pouvais pas sortir seul dans la cour. Ensuite, je suis sorti. Mais je suis resté dans le hall où se trouve un détecteur de métaux et trois portes, dont une donne accès à la cour, l’autre à la galerie du quartier et la dernière au couloir central. Ils ont refermé les deux portes. J’ai parlé avec l’un des gardiens à propos de l’ordre du directeur et il me donna raison, mais l’ordre provenait d’un chef de Service. Et bon, moi j’ai demandé qu’il se présente et au bout de 20 minutes, toute la troupe est arrivée avec le matériel répressif, les casques, les matraques, les sprays, les gilets pare-balles,… et au lieu de parler avec moi, ils ont ouvert la porte et comme ils ne pouvaient entrer à plus de deux, vu que j’avais mis un détecteur de métaux en travers de la porte, le flic anti-émeute est entré et je lui ai donné un grand coup de pied dans les couilles et un coup de coude dans la bouche et comme il tombait par terre, un autre entra et avec toute la haine et les nerfs à vif par toute la tension accumulée depuis plusieurs jours, je me suis jeté sur lui et lui ai foutu un autre de coup de poing, je lui ai cassé les dents, je l’ai pris à la gorge, mais les autres se sont jetés sur moi. Le détecteur s’est cassé et là, ils ont commencé à me donner des coups de pieds, des coups de poing et des coups de matraques. Ils m’ont menotté les mains dans le dos et les pieds et ils se sont déchaînés. Ils m’ont ouvert la tête (il a fallu me faire trois points de suture), cassé deux doigts (maintenant ressoudés) et puis, ils m’ont conduit à l’infirmerie, on m’a posé trois agrafes, soigné l’une ou l’autre blessure aux jambes, et placé une attelle aux doigts de la main droite.
Je leur ai demandé un justificatif médical et ils n’en n’ont rien eu à foutre. Ils m’ont emmené dans une chambre à l’infirmerie (on voyait un peu le quartier d’isolement), et m’ont menotté les pieds et les mains. Au bout de 4 ou 5 heures, ils sont revenus, m’ont roué de coups et j’ai perdu connaissance. A mon réveil, je n’avais plus de menottes aux pieds, il y avait un litre d’eau et une corbeille de fruits. J’ai regardé l’heure, il était 20 heure 30 ou quelque chose comme ça. J’ai enlevé mes menottes et je me suis montré à la fenêtre. J’ai vu l’ordonnance du quartier d’isolement avec une voiture. J’ai reconnu mon porte-monnaie et je lui ai dit: “Salut, c’est Jaro. Je suis transféré?”. Il m’a répondu que oui. Et bon, à 8 heure 30, le samedi matin, les flics et une poignée de gardiens sont arrivés. Ils m’ont vu sans menottes et en lieu et place du chef de service, c’est un flic qui m’a parlé par la fenêtre. Il m’a dit qu’ils n’allaient rien me faire, que je ne devais pas compliquer les choses. J’ai dit d’accord et ils sont entrés. Ils m’ont menotté et emmené au triple galop à l’entrée. Là, j’ai voulu récupérer mon argent, ils ont refusé. Ils voulaient à nouveau me tabasser mais le flic a gueulé: “fichez le camp, il est sous notre surveillance”, ce qui m’a sauvé d’une autre passage à tabac. Et voilà, comme vous le voyez, en moins de 14 heures, ils m’avaient transféré.”
Le camarade Jaro se trouve actuellement à la prison de Soto del Real, à Madrid V, à l’isolement total et sans avoir accès à ce qui lui appartient. Il ignore dans quel centre il va devoir accomplir sa peine et s’il va devoir rester longtemps à Madrid. Cet éloignement l’a séparé de sa famille (qui réside à León) et de ses ami(e)s et camarades. Il faut savoir que dans ce centre d’extermination, on n’est pas autorisé à communiquer avec qui que ce soit ni à téléphoner à ces ami(e)s. Malgré cela, Jaro continue à compter sur notre soutien et notre solidarité dans la rue comme à l’intérieur, où nombreux sont ceux qui ont exprimé leur dégoût pour les faits qui se sont produits à Topas et ont fait preuve de solidarité avec Jaro. Pour toutes ces raisons, nous demandons aux gens de la rue d’envoyer des fax ou des e-mails au Defensor del Pueblo, à IIPP, au JVPde Madrid I et à la Direction de la prison de Soto del Real, en solidarité à notre camarade en lutte.
Solidarité avec les prisonnier(e)s en lutte. A l’intérieur comme à l’extérieur, la lutte continue. Liberté!!
(…) Le sang est sorti de mon nez et ils m’ont enlevé la cagoule. J’avais les mains menottées dans le dos et ils me frappaient dans les testicules. Comme je parvenais à garder un peu les jambes fermées, ils me les ont écartées, les ont liées aux pieds de la chaise à l’aide d’une corde en caoutchouc. Ils m’ont craché dessus, j’ai senti ma tête tourner, une chaleur horrible, je manquais d’air, j’ai cru que j’allais y passer (…)
En hurlant, ils ont recommencé à m’interroger et à me frapper à la tête. Ils m’ont dit que je devais parler avant qu’ils aient compté jusqu’à 10, sinon ils me tueraient. Ils ont alors commencé à compter à rebours, en me disant: “tu l’as bien cherché, mon gars! 10, 9, 8,…” et quand ils sont arrivés à zéro, ils ont brutalement frappé sur la table et m’ont jeté au sol. Tous sont sortis de la pièce, sauf un. A nouveau, le “bon flic” est entré, encore et encore et je ne sais pas combien de temps ont encore duré les questions, les coups et les simulacres d’exécution.
Quand ils m’ont reconduit au cachot, j’étais complètement sonné, nauséeux, je tremblais de tous mes membres sans pouvoir m’arrêter. Ma propre respiration me faisait mal et j’avais un mal de tête insupportable.
L’isolement est utilisé comme arme de vengeance. Ils savent parfaitement que c’est un traitement inhumain et dégradant, ils connaissent parfaitement ses effets mortels. Ils ont des experts, des sociologues qui l’affirment: “Une période d’emprisonnement supérieure à 10 ans entraîne une dépersonnalisation et une destruction irréparable”. Et cela, dans des conditions normales de détention… Imaginez dans un quartier d’isolement FIES, “une prison au sein de la prison”. C’est pour cela qu’un passage en FIES ne suppose pas la moindre réinsertion, c’est bel et bien une mesure punitive pour ne pas être rentré dans le rang, pour ne pas s’être plié (comme ils aiment à le dire).
Ils créent une atmosphère d’isolement, de silence, d’obscurité. Ils savent qu’une fois la porte fermée, ce lieu se transformera en une tombe de béton, d’où toute vie est bannie. Ils jouent avec les sensations que produit le fait d’être seul, attendant patiemment, comme des vautours, que le corps se meure peu à peu.
Ensuite, si la mort arrive, ils auront rempli leur rôle. La sentence aura été appliquée et ils pourront continuer à prétendre que, dans ce pays, la peine de mort n’existe pas.
Tout en disant cela, je pense à Ruben González Carrío, retrouvé mort dans sa cellule, ce 4 janvier, à la prison de A lama (Pontevedra).
Je pense à Paco, plongé dans la dynamique destructive de ces quartiers FIES, qui en l’espace de deux ans seulement, a dû être hospitalisé six fois pour échapper à la mort…
Je pense à tou(te)s ceux/celles qui sont mort(e)s et qui meurent encore. Plus de 200 prisonnier(e)s chaque année.
Pour moi, pour nous, une chose est sûre: “Toute mort en prison est un crime d’Etat”, peu importe ce qu’ils en disent, ils sont responsables de la création de ces conditions. Ce sont eux qui doivent payer!…
C’est la seule manière de nous faire entendre et même ainsi, bien des fois ça ne marche pas. Dans ces camps d’extermination appelés quartiers d’isolement et FIES, les niveaux de lutte atteignent une dimension d’affrontement très dur où grèves de la faim, grèves des promenades, jeûnes périodiques, automutilations sont une autre manière de survivre dignement. La rébellion se paye très cher et le suicide est souvent l’ultime évasion.
Et cela n’est pas différent de ce que nous devons faire ici pour essayer de trouver une solution à notre triste situation; voyez, par exemple, l’absence totale d’intérêt que le gouvernement accorde aux manifestations massives contre la guerre, ou comment ils font la sourde oreille aux révélations du comité contre les tortures de l’ONU, rendues public dans leur IVème Communiqué sur les tortures et mauvais traitements dans les prisons, les commissariats et les casernes d’Espagne. C’est toujours pareil!
Malgré tout, nous, nous ne savons que trop ce dont ont besoin les “politi-chiens” pour nous entendre.
L’autre jour, à la télé, j’ai vu un gars qui se plaignait d’avoir reçu des coups lors d’une manifestation contre la guerre. Il disait: “Ils nous écrasent alors que nous n’avons rien fait”. C’est précisément pour cela qu’ils frappent si fort, parce qu’ils profitent de l’immobilisme non-violent pour décharger leurs frustrations. S’il y avait eu une ferme résistance, ça ne se serait certainement pas passé comme ça… Ca, c’est pas moi qui le dit, c’est l’histoire et l’expérience des luttes qui en témoignent.
Je vous embrasse.
Je ne veux pas justifier mon action face à la salle qui va me juger; peu m’importe son opinion ou sa décision, je ne veux aucune sorte de négociation avec mes ennemis et je ne veux pas me justifier face à l’opinion publique. Elle qui regarde et permet la misère quotidienne et l’élimination de milliers de personnes et qui s’indigne de la mort de deux policiers, qui, lorsque c’est nous qui tirons, pense que nous sommes des assassins et lorsque c’est la police qui tue “on rend justice”.
Dans la guerre sanglante qu’impose le capital, des milliers d’individus tombent sous les balles des Forces de Sécurité de l’Etat, chaque jour, victimes des différences sociales et de la stratégie de l’“Economie de marché”. Pour maintenir la sécurité des riches, ces armées de mercenaires sont recrutées, entraînées et stratégiquement disposées dans la rue afin de surveiller, suivre et si nécessaire éliminer celui qui n’obéit pas aux règles qu’elles imposent. Dès qu’une guerre est déclarée, les banques, les groupes boursiers, les multinationales de l’armement, les Etats et leurs intérêts sont prêts à investir de l’argent dans ces sales affaires. Ils vivent et prolifèrent pour le bénéfice de quelques-uns, aux dépens de la misère et de la mort de nombreux êtres humains. Attaquer ce groupe social pour lui voler un peu de son immense trésor est l’aspect le plus digne de la lutte de chaque prolétaire, il vaut bien mieux suivre cette voie pleine de dangers (la prison, la mort) que de mener une vie à genoux face aux puissants, pour un salaire humiliant.
Depuis toujours je suis un prolétaire, un marginal, un rebelle, un anarchiste, ennemi de ce système et de tous les systèmes, pour moi, la révolte contre l’oppression est simplement une question de mise à niveau, d’équilibre entre un homme et un autre homme parfaitement égaux, les hommes naissent et restent libres et égaux en droits. Il ne peut y avoir de différences sociales; s’il y en a, les uns abusent et tyrannisent, les autres protestent et haïssent. La révolte est une tendance nivellatrice et donc rationnelle, naturelle. Les opprimés, les spoliés, les exploités doivent être rebelles parce que ils doivent rappeler leurs droits jusqu’à obtenir leur complète et entière participation au patrimoine universel (selon les paroles de F.Ferrer i Guardia).
Ce système perçoit le rebelle comme physiquement menaçant et idéologiquement perturbateur, à cause des “abus et erreurs” qu’on dit qu’il commet et au mauvais exemple d’associabilité qu’il pourrait donner. Son existence est dissidence aux yeux d’un Etat qui veut être fort et hégémonique et qui pour cela doit agir avec sévérité en l’éliminant ou en le niant.
Ce genre de sanction est aujourd’hui de plus en plus appliquée avec une surveillance constante dans la rue ou à travers des systèmes pénitentiaires qui ressemblent toujours plus à des camps d’extermination, tentant ainsi de détruire l’individu mentalement et physiquement.
Le 18 décembre 1996 (deux policiers morts), dans ma fuite je défendais ma propre vie et ma liberté. Je savais parfaitement que l’ennemi n’avait pas de scrupules et il en donna la preuve en nous tirant dessus, d’abord à la sortie de la banque et puis plus tard en nous tendant une embuscade qui aurait été mortelle si nous n’avions pas porté de gilets pare-balles (nous avons été blessés). Ma décision fut simple: ma vie ou la leur. Et que cela soit clair une fois pour toutes: nous allions là pour prendre l’argent, sans intention de tuer qui que ce soit.
Je suis un amoureux de la liberté et je ne peux qu’exprimer tout mon respect et toute ma solidarité à ceux qui, comme moi, défendent becs et ongles la valeur et la dignité de défendre sa propre vie. En tant qu’ennemi de l’exploitation et de la misère, je n’éprouve aucune compassion envers ceux qui, au nom du privilège, torturent, enferment et assassinent.
Je n’ai pas peur des condamnations sévères: la prison, nous les anarchistes, nous l’avons dans le sang.
Je ne crains pas la mort, c’est un sentiment que j’ai perdu depuis longtemps. Je ne crains pas les tribunaux divins parce que je ne crois en aucun dieu, face aux tribunaux terrestres je ne me suis jamais mis à genoux, seul m’intéresse le jugement des miens, c’est-à-dire des camarades qui luttent pour un monde nouveau.
Ceci est une guerre, une guerre sociale et chaque côté pleure ses morts; nous, cela fait des siècles et des siècles qu’on pleure les nôtres.
Après une période assez longue dans Autonomie Ouvrière, début ‘78 sous, l’impulsion de ce puissant mouvement de lutte qui était en plein développement, et parallèlement à la nouvelle réalité des prisons spéciales qui venaient d’être créées, j’ai fondé, avec d’autres camarades de même sensibilité (quelques uns “acrates”), “Les Prolétaires Armés pour le Communisme”, un groupe principalement marxiste-léniniste. L’objectif prioritaire de mon groupe était la destruction de la prison et la solidarité avec les camarades emprisonné(e)s. Les actions et les attaques contre l’univers carcéral, médecins de prison, fonctionnaires, commandants et structures furent nombreuses, nous avons même mené l’assaut à la prison de Frosinone (au sud de l’Italie), où, armes à la main, nous avons libéré deux camarades. Ces attaques, on les a revendiquées en affirmant que le système de domination nous contraint à accepter l’exploitation du travail au noir et mal payé, et fait peser en permanence la menace d’emprisonnement. Dans les prisons, pour reprendre le contrôle après les puissantes luttes revendicatives des prisonnier(ère)s, on isola le secteur le plus rebelle et combatif en créant des mesures spéciales d’emprisonnement (FIES ici en Espagne) qui ne signifiait rien d’autre que notre anéantissement. Il fallait détruire cette tentative du pouvoir, en renforçant notre pratique de lutte armée de façon généralisée, stable et en contre-pouvoir permanent.
Cela dura jusqu’à la fin des années ’80, ensuite, la répression et les détentions firent décliner le groupe et m’obligèrent à passer la frontière et à me cacher en France. Recherché là aussi, je passai en Espagne, jusqu’à ce qu’on m’incarcère à Cordoba en 1996.
Salut et amour à tous les camarades!
Cette lettre se veut brève et concise mais, surtout posthume.
Comme vous le savez, en tout cas la majorité d’entre vous, j’ai payé en tout 20 ans de prison, dont presque 17 passés en régime d’isolement et, depuis 1991, régime FIES 1 R.E.
Actuellement, après une brève parenthèse de 6 mois de liberté, marié, enfant avorté et, à cause de cela, séparé, j’ai pris pour 3 ans et 15 jours et dès le premier jour –sans raison- en régime FIES; Malaga, Alicante, Picassent, Huelva, Jaén et Badajoz maintenant.
Je suis libertaire –dedans comme dehors- depuis que j’ai l’usage de la raison, et aussi bien dans la rue qu’en prison j’ai lutté pour ça: mettre un grain de sel et changer dans la mesure du possible le système existant d’écrasement permanent du capitalisme le plus fasciste et sauvage. Du fait des circonstances, (23 ans de cachots exterminateurs), ma lutte a été plus forte en prison (bien que dans la rue aussi on ait donné deux belles “histoires” de sabotages à l’ennemi, mais je ne les décrirai pas ici par manque d’espace et pour préserver d’autres camarades). En 20 ans, il n’y eut pas une seule année de mutinerie dans laquelle je ne sois pas intervenu directement et sur tous les aspects: idéologiques, stratégiques et action directe. Et comme tout le monde le sait, nous avons maintenu tout un gouvernement en échec durant plus de dix ans malgré une répression féroce de sa part. Cependant, que se passe t’il maintenant? En trois ans, la seule chose à laquelle nous ayons échappé, tant Claudio et Gilbert que moi-même, c’est qu’ils ne nous mettent les bâillons sur la bouche –au sens propre-.
J’ai goûté à de petites victoires sur ceschiens, moi, Francis Oritz Jiménez, j’ai très directement contribué à la révocation des Directeurs Généraux du Centre Dirigeant, Directeurs, matons importants de pas mal de prisons et pas mal d’employés subalternes. Ce qui signifie maintenant: opportunité d’action nulle, même si là où je me trouve il y a de l’harmonie entre les détenus et en certains endroits de jolis sabotages, mais en général et en résumé, 99 pour cent des prisonniers, et je parle des FIES (pour les autres, c’est plus ou moins pareil), sont “endormis” avec des cachets qu’ils doivent prendre tous les jours et, contre cela, le travail quotidien de conscientisation de chacun d’entre eux pour qu’ils arrêtent de prendre cette merde qui les rend passifs, ne fait pas le poids.
Raisonnée, de façon toute personnelle et sans que m’importe l’opinion contraire de qui que ce soit (qu’à ce sujet je ne demande pas), ces dernières années, j’ai pris la décision (il y a longtemps) de cesser d’exister. J’ai plusieurs fois tenté de me suicider, sans “succès”, à chaque fois (étant parfaitement sain, fort et bien conservé, sans anticorps, rien de rien, 43 ans mais d’allure jeune) j’ai laissé une ou deux lettres de revendications: liberté pour les détenus malades, fin du FIES et de la dispersion [des détenus] et j’accusais le CD et toute cette bande de canailles bleu ciel d’incitation au suicide, tout comme les juges de surveillance [juges d’application des peines], par action ou omission (chaque tentative de suicide recevait une sanction comme thérapie). Madrid tenta de faire valoir que je faisais de la prison parce que je n’avais pas toute ma tête, on me fit examiner à fond par un psychologue extra-pénitentiaire à Huelva et par le psychiatre et la psychologue de l’hôpital de Jaén, tous deux “experts”. Et ils n’ont pas réussi (je joins ici le rapport littéralement transcris des originaux).
Quoi qu’il en soit, je vais mourir, parce que j’en ai décidé ainsi, moi, librement et consciemment. Et je le ferai justement en prenant un énorme overdose des cachets qu’ils donnent aux gens, et ce n’est pas par hasard: cela m’enchanterait qu’ils réfléchissent, ne fut-ce que la moitié d’entre eux, mais je sais que cela sera très difficile.
Quoi qu’il en soit, je ne meurs pas “seulement” parce que je le “désire” (j’aime la vie et je veux vivre), mais parce que je ne peux plus vivre ainsi, comme un fauve encagé dans des quartiers qui ressemblent à des secrets militaires, où sur ordres de leurs chefs, ces chiens de matons ne tiennent même pas compte des lois que font les vipères en costumes-cravates qui gouvernent toujours au nom des mêmes, où on ne te reconnaît pas plus de dignité que celle que tu te fais valoir en solitaire, de façon individuelle; où la plupart du temps tu n’as d’autre “défense” possible que ta voix d’outre-tombe à cause de laquelle ils t’ont traîné devant les tribunaux à part pour justifier le fauve que tu es (j’ajoute 4 parties, 4 petits exemples de défense en solitaire de la dignité, assumant ce qui arrivera par la suite avec fermeté; fermeté, courage et loyauté jamais ne m’ont manqué).
Conclusion, je meurs pour moi, pour tous mes camarades, pour la dignité de tout être humain et pour un monde libre, d’hommes et de femmes éveillés et sans prisons.
Je vous aime, camarades
Insoumission! Insurrection! Anarchie!
Liberté et dignité!
Vivre ainsi les 24 heures de la journée
dans un cachot où on ne voit qu’un morceau de ciel et dans un préau
de quelques mètres carrés, est une chose qui produit des
effets psychologiques dévastateurs sur la personnalité du
détenu. Le pouvoir a entre les mains une machine de destruction
plus efficace que la chaise électrique, et c’est justement ce que
la majorité des personnes libres n’arrive pas à comprendre.
Tant que nous ne parviendrons pas à mettre l’isolement sur le même
pied que la peine de mort, toute lutte contre la prison se transformera
en quelque chose de superficiel et sans grande possibilité d’avenir…
parce qu’on serait en train d’oublier la partie la plus importante, la
plus destructrice et la plus efficace de l’ensemble du système répressif
social mis en œuvre dernièrement.
Communiqué de Claudio Lavazza, Huelva, Juillet 2003. |
“Le pouvoir a entre les mains une machine
de destruction plus efficace que la chaise électrique, et c’est
justement ce que la majorité des personnes libres n’arrive pas à
comprendre”,
nous rappelle justement Claudio Lavazza. La classe
dominante, quant à elle, a compris depuis bien longtemps l’importance
de la prison comme “machine de destruction”, et si certaines fractions
de la bourgeoisie préfèrent occasionnellement ne pas recourir
à la peine de mort directe, c’est uniquement parce qu’elles
disposent de moyens plus efficaces (plus discrets, plus indirects, plus
adaptés aux sensibilités de l’opinion publique) pour torturer
et anéantir les ennemis qu’elle tient entre ses mains: l’isolement,
la perpétuité... Il est intéressant de noter, qu’à
l’aube des discussions bourgeoises sur la peine de mort, Cesare Beccaria,
aujourd’hui présenté par les humanistes et les libre-penseurs
comme le chantre de la lutte contre la peine de mort, justifiait déjà
l’abolition de celle-ci dans un souci de perfectionnement et de majeure
efficacité de la “machine de destruction” que constituent les conditions
d’emprisonnement. Dans son fameux ouvrage “Des délits et des peines”
rédigé en 1764, le grand humaniste nous explique qu’avec
l’emprisonnement à perpétuité la société
détient un moyen bien plus destructif que la peine de mort.
“Ce n’est pas la sévérité de la peine qui produit le plus d’effets sur l’esprit des hommes, mais sa durée. […] Le frein le plus puissant pour arrêter les crimes n’est pas le spectacle terrible mais momentané de la mort d’un scélérat, c’est le tourment d’un homme privé de sa liberté, transformé en bête de somme et qui paie par ses fatigues le tort qu’il a fait à la société. […] L’impression causée par la peine de mort ne compense pas, si forte soit-elle, l’oubli rapide où elle tombe. […] Ainsi donc, les travaux forcés à perpétuité, substitués à la peine de mort, ont toute la sévérité voulue. […] Je dirai plus: beaucoup de gens regardent la mort d’un œil tranquille et ferme, les uns par fanatisme, les autres par vanité. […] Mais ni le fanatisme ni la vanité ne persistent dans les fers et les chaînes, sous le bâton et sous le joug, dans une cage de fer, et les maux du malheureux, au lieu de finir, ne font alors que commencer.” Cesare Beccaria, Des délits et des peines, 1764. En quelques paroles, cette voix fière d’une bourgeoise qui gagne résume le progrès capitaliste que constitue l’abolition de la peine de mort et sa substitution par des conditions d’emprisonnement de plus en plus dures (souvent mortelles!), un progrès qui exprime autant le besoin barbare d’un perpétuel perfectionnement des moyens de répression du prolétariat, que la nécessité, pour la bourgeoisie, d’améliorer sans relâche l’image des châtiments qu’elle inflige. |
Je veux que tout le monde sache ce qui s’est réellement passé. “Navas” s’était échappé de l’hôpital de Salamanca en mettant deux gardiens knock-out et en leur piquant une arme réglementaire après les avoir solidement attachés. Malheureusement, au bout de quelques mois, ils le reprirent et l’amenèrent ici. “Navas” était un roc, pas une goutte de graisse, du pur fibre car il passait ses journées à s’entraîner pour tenter à nouveau de reprendre sa liberté. Il passait ses journées à réfléchir à comment les obliger à le ramener à l’hôpital pour pouvoir s’évader, mais l’élément dont il avait besoin pour qu’ils l’y emmènent, et que beaucoup d’entre nous connaissent, il ne l’avait pas… Arrivèrent les fêtes de Noël et il baissa la garde… la dépression qu’il traînait depuis qu’il était revenu derrière les barreaux le poussa à se procurer quelque fois un peu de “mortadela” (méthadone) et des cachets, pour s’échapper artificiellement de la réalité qui le dévastait… Finalement, le 4 janvier de cette année, l’inévitable est arrivé… qu’elle soit maudite! la cause de sa mort fut l’overdose de méthadone et de barbituriques… Ce maudit samedi, il commençait à souffrir sa sanction dans l’isoloir, sinon aujourd’hui encore on pourrait compter sur sa présence, parce que si nous avions été dans la salle ou dans le préau, il aurait été en train de marcher ou de parler avec ceux d’entre nous qui sortaient dans son groupe… et cela ne l’aurait pas affecté comme cela l’a affecté d’être ainsi, et on se serait chargé, nous, de le ranimer… Le matin même, avant de prendre la méthadone, nous étions en train de parler de la mort (absurde paradoxe) et du fait que lui, le plus probable, c’est qu’elle l’emporterait luttant, à la recherche de la liberté à laquelle il aspirait tant, et entre les mains de gardiens, vu que depuis sa spectaculaire cavale ils ne le laissaient plus tranquille… quelque temps plus tard on le trouvait mort dans sa cellule à l’heure où arrive l’économat. Moi au début je ne me suis pas rendu compte quand, après avoir apporté ma commande, j’ai vu l’ordonnance et les gardiens courir comme des fous dans le préau (avec lui déjà) mort, parce que ce jour-là ils nous l’apportèrent par la fenêtre, j’ai pensé qu’ils voulaient faire monter la pression comme quelques jours plus tôt… mais non. Le mélange fut explosif… arrêt cardio-respiratoire, il s’est endormi et ne s’est plus réveillé. J’ai essayé de contacter sa famille, mais sa famille, à ce qu’il paraît, ne veut rien savoir de lui. “Navas” avait déjà fait 14 ans de taule et c’était un putain de mec, en tout cas pour ce que j’en sais et comme je veux m’en souvenir.
Une accolade solidaire à tous les êtres humains qui veulent démolir les prisons. Un salut cordial à tous ceux et toutes celles qui ne croient pas au châtiment mais à l’égalité.
Je vous écris du centre d’extermination de Valladolid, je suis Yuma, vous me reconnaîtrez par mes précédents communiqués. Je suis toujours dans les tranchées, résistant à ces fascistes qui voudraient me détruire à cause de ma fierté et de mes idéaux. Ils ne sont rien que les esclaves d’un misérable salaire, l’argent qu’ils reçoivent est tâché de sang et de souffrance. Eux, des êtres humains? je ne crois pas! des charognards, comme les hyènes.
Leur cerveau obtus ne comprend pas que la répression n’amène que la résistance, que chaque fois qu’ils me répriment, je me renforce. Ce qui ne me tue pas me renforce! La lutte a commencé et tant que nous n’aurons pas obtenu, toutes et tous unis et en harmonie, ce que nous avons proposé, nous n’abandonnerons pas ce combat inégal contre ce fascisme démocratique qui nous gouverne. Les 4 points sont non négociables! Ils se trouvent dans leurs putains de lois!
Liberté immédiate pour tous les malades incurables! Personne ne doit mourir dans une infirmerie ni dans une froide chambre d’hôpital, loin de sa famille et de ses proches. Qu’aucun prisonnier ne meure torturé dans une cellule! Que les médecins légistes ne soient pas complices et présentent la vérité des autopsies et non ce que leur ordonnent les politiciens! Que les coupables de tortures et d’incitations au suicide payent!
Les blouses blanches des médecins pénitentiaires ruissellent de sang. Ce sont des bourreaux qui nous traitent plus mal que les animaux. Ils font des expérience sur nous comme si nous étions des cobayes de laboratoire. Complices de tortures, créateurs de psychotiques par les injections de Modccate et d’Halopéridol. Producteurs de toxicomanes institutionnalisés avec traitement à la méthadone et aux psychotropes. Et ils se font appelés docteurs! Ce sont des inquisiteurs!
Fermeture totale des FIES, de l’isolement à durée indéterminée auxquels ils nous soumettent! J’ai déjà pris 12 ans incompressibles en première instance. Qui croient-ils que je suis? un objet qu’ ils ont écarté, je ressens et je souffre bien plus que ces bourreaux qui manquent totalement de sentiment et d’humanité. Si Franco relevait la tête il les applaudirait, ce sont les partisans de son héritage dictatorial. Dans chaque province de ce pays appelé Espagne ils ont bâti un centre d’extermination mais ils nous maintiennent quand même éloignés de nos familles et de nos racines. Ils veulent déstructurer les liens affectifs! Fin de la dispersion! Que chaque prisonnier soit transféré dans son lieu d’origine! Parce que non seulement ils nous condamnent, nous, mais aussi (nos familles)!
Camarades, emparez-vous d’excavatrices et démolissez, détruisez, cassez les murs qui, dressés dans des lieux éloignés, cachent la pourriture fasciste qui nous enferme et nous torture. Les gardiens sont des employés gouvernementaux, des agents de la loi et de l’ordre qui, en totale impunité, torturent et assassinent. Rendez-leur la monnaie de leur pièce! De Valladolid, une fraternelle étreinte à tous et toutes!
Liberté et Anarchie! Aux barricades pour la victoire de la révolution! A bas les dictatures parlementaires! Révolution et démolition!
Ce ne sont pas des travailleurs! Ce sont des matons! Ce sont des bourreaux!
J’ai lu que selon le psychiatre de ce centre d’extermination, la
grande majorité des personnes séquestrées ici ont
un certain type de trouble mental; pas besoin d’être psychiatre pour
deviner cela. Si on enferme une personne normale dans un centre d’extermination
de ce type, où 24h sur 24 tu es sous tension à cause des
menaces, des violences et des humiliations des gardiens, tant de régime
que de traitement; un centre où on exploite dans les ateliers; un
système de phase intérieure qui viole la Constitution elle-même;
en définitive, le pire de toute l’Espagne; dans ces conditions,
il est difficile de rester sain d’esprit. Mettez n’importe quel être
humain dans ces conditions et après quelque temps psychanalysez-les
et vous comprendrez la raison pour laquelle les personnes qui par malheur
sont dans ce centre ont des problèmes mentaux.
Une partie de notre histoire:
“(…) An 1978, Etat espagnol, la tension se respire dans l’air, la société est secouée de convulsions, les passions étouffées pendant quarante ans renaissent au sein du peuple, commence la transition vers le néant. (…). Ils ont trouvé dans l’héroïne la formule magique pour étouffer les passions dont nous avons parlé, ils laissent sa consommation se généraliser, ils l’encouragent, conscients que la marginalisation et l’incertitude sont un parfait bouillon de culture pour la toxicomanie. Une génération qui promettait d’être combattive se vit ainsi convertie en une légion de zombies, liés par une dépendance physique et psychologique énorme à une substance dont ils ne connaissaient pas les contre-indications qui, par la suite, se révélèrent cassantes, terriblement destructrices, beaucoup en moururent, la majorité tomba gravement malade et puis mourut, ceux et celles qui survécurent furent terriblement marqués, ils échangèrent la révolution contre une dose d’héro, le conflit de classe s’apaisa. Le nombre de prisonniers pour raison de conscience et/ou pour raisons politiques diminua et le nombre de prisonniers pour des raisons liées au trafic ou à la consommation de stupéfiants augmenta, jusqu’à atteindre les quatre-vingt pour cent actuels.
Pour donner un exemple connu de cette pratique étatique d’encouragement à la toxicomanie nous pouvons citer le plan Zen, une stratégie pour introduire l’héroïne au pays Basque, à laquelle participèrent des agents de la caserne de Intxaurrondo… cela a porté ses fruits.
En 1991, ils instaurent presque sans problème ce qui 10 ans auparavant aurait été impossible, les régimes d’isolement total FIES; dehors nous étions à ce point chargés d’héroïne et de démocratie que nous n’avons pas voulu voir les murs intérieurs.
An 2002, la situation change à nouveau, de nombreux jeunes qui ont vu ce qui est arrivé à leurs frères et sœurs et à leurs amis dans les quartiers et les villages, sont déçus et se méfient des drogues, la démocratie ne leur semble plus si attirante, elle ressemble plutôt à une dictature capitaliste globalisée. Dans les prisons, c’est pareil, les prisonniers commencent à lutter, et dans les rues, on entend de nouveau leurs consignes.
Mais le système a profité de tout ce temps de silence pour expérimenter de nouvelles formules, plus avancées, il a de nouvelles drogues chimiques, qui provoquent des déséquilibres psychologiques aigus; il ne faut plus que tu tombes dans la délinquance, il suffit que tu fasses une dépression, une crise de nerfs ou que tu tombes dans une situation de stress pour qu’ils te retirent de la circulation pour quelques années et te tiennent complètement tranquille, sous sédatifs, quelques années supplémentaires. Comme le disait Bonnano (anarchiste et révolutionnaire italien) “les blouses blanches remplaceront les gardiens”… “les médicaments ont un pouvoir que n’ont pas les balles… l’alibi thérapeutique”. En plus de ces nouvelles drogues et de ces nouvelles théories psychologiques et sociologiques toujours au service des mêmes, ils ont de nouvelles formules de contrôle social, de répression et de criminalisation des dissidences. La réalité, aujourd’hui, ressemble trop à un mélange des fictions quasi prophétiques de Orwell et Huxley, 1984 et Le meilleur des mondes confluent dans ce contexte spatio-temporel.
Il dépend de nous tous/toutes de ne pas tomber dans leurs pièges et de lutter ensembles, avec nos frères et nos sœurs, nos amis et nos amies qui subissent les représailles de l’Etat, car subir ces représailles constitue le châtiment infligé à ceux et celles qui tombent dans leurs pièges ou qui les combattent.
Les prisonnier(ère)s aussi ont quelque chose à dire.
Dans le journal Avui du 19-12-2002, je lis un article dans lequel Justicia i Pau dénonce la surpopulation des prisons bien qu’il reconnaisse que le niveau de vie y est bien meilleur; le cynisme et l’hypocrisie de ceux qui affirment cela m’étonne toujours, ou alors c’est parce qu’ils regardent 40 ans en arrière. Si c’est comme ça, alors oui, il y a quelque chose de meilleur.
Les prisons catalanes, ces dernières années, ont reculé de plus de 15 ans et je peux le dire en toute certitude parce que j’y ai passé bien plus de 15 ans, jour après jour, année après année. Dans un premier temps, comme le dit très bien l’article, les prisons sont devenues surpeuplées et les gardiens ont durci le traitement réservé aux prisonniers, cherchant évidemment des améliorations de salaire et plus de personnel. Cette politique de durcissement veut provoquer des querelles et pouvoir justifier les quartiers de sécurité du genre FIES, comme l’ancien MR-3 où je suis actuellement, plus connu entre nous comme Guantanamo, et on a fait de même dans la 6ème galerie de la Modelo. D’un autre côté, on a diminué les budgets de médicaments là où prévaut le régime de la prison sur la santé du prisonnier d’où le haut indice de meurtres dans les prisons catalanes. Concernant la nourriture et les économats, d’abord la qualité comme la quantité ont chuté, et ensuite les prix sont tous supérieurs à ceux pratiqués dans n’importe quel magasin ou supermarché de l’extérieur, parce que ce sont des entreprises privées qui les gèrent et en toute logique, elles cherchent le profit économique, avec l’avantage qu’elles n’ont pas de concurrence et que les prisonniers sont obligés d’acheter les produits sans possibilité de choisir, ni la marque, ni le prix. Dans les ateliers productifs CIRE, autre entreprise publique, ils payent les mêmes salaires que dans les années ‘80 et même moins. Et concernant le renforcement des liens familiaux et sociaux, c’est le pire des mensonges, hypocrite, cynique, qu’ils puissent dire et c’est très facile à prouver: selon la règle, et de façon cachée, nous, les prisonniers, nous sommes les plus éloignés de là où réside notre famille, et ainsi de suite. Ceux qui viennent de La Roca se trouvent à Brians et ceux de Brians à La Roca. D’autre part, ils ne te permettent de communiquer qu’avec 3 personnes qui ne soient pas de ta famille et ceux qui comme moi ont une mère très âgée ne peuvent pas la voir parce que, pour 20 minutes (de visite), elle doit se lever à 5h du matin, prendre le train de Vic à Barcelone, changer et prendre le train pour Martorell, et de la gare de Martorell, venir jusqu’à la prison, voilà pourquoi il est impossible que je puisse la voir. Ils autorisent 4 appels par mois, de 8 minutes, pour ce qui est de renforcer les liens, mensonge. Ce qui se passe c’est qu’on est en train de produire un déracinement familial et social par la déstructuration personnelle et familiale que cette politique répressive produit. Si une ONG de volontaires, une personne de la Direction Générale des Prisons, du Ministère catalan de la Justice désire démentir quelque chose de ce que je dis dans ce communiqué, je les défie de participer à un débat public face aux médias, et je leur démontrerai avec des faits que tout ce que je dis est vrai et qu’ils maquillent la réalité de prisons, et, ce qui est pire que tout, ils mentent et trompent toute la société catalane.
C’est dans la rue qu’on peut ouvrir des espaces de communication. Là, il n’y a pas de petites histoires théoriques à la con, on établit la communication par le sensible, par ce qu’en réalité nous sommes. Je veux dire par là que plus que jamais, nous donnerions n’importe quoi pour être avec vous.
Je vous donne les informations dont nous disposons ici et plus ou moins comment nous voyons les choses. Ici, nous faisons la grève des promenades. Cela s’est fait un peu rapidement et on n’a pas eu le temps d’en parler, la décision a été prise par des camarades qui se trouvent dans l’autre aile, et moi et Claudio on s’est enfermé mais la grève des promenades au niveau de toute l’Espagne est prévue pour le 1er juillet (du 1 au 7 juillet). On verra ce que cela donnera. Le soutien aux prisonniers n’est pas dû au travail d’information et la grande majorité des camarades est totalement dans l’ignorance en ce qui concerne la lutte. Le contrôle interne est arrivé à son sommet et les collectifs continuent à regarder ailleurs. Depuis que nous avons commencé ensemble cette lutte, nous avons lu quelques critiques de camarades. L’appel à l’union avec les réformistes et les légalistes a été très critiqué. Certains prisonniers avaient parié sur un rapprochement avec les réformistes, principalement ceux de la CSPP, et fondamentalement parce que c’est la seule à avoir accès aux prisons. Je ne suis pas précisément partisan de l’unité, on en a déjà assez avec l’uniformisation et l’imbecillisation qu’on nous impose d’en haut, mais certains d’entre nous espérions qu’au moins les réformistes auraient, si pas la cohérence, l’intelligence d’informer les prisonniers du développement de la lutte. Nous nous sommes trompés, la réalité fut différente et lorsqu’ils n’ont pas désinformé, ils n’ont pas informé (ce qui) est pareil. Il y a eu et il y a quelques exceptions, mais peu, parce que nous ignorons s’ils soutiendront les 7 jours de lutte prévus pour juillet. Selon moi, la CSPP représente une digue de protection contre les hommes et les femmes qui luttent réellement, elle insuffle et garantit le mirage de la paix sociale. En tout cas, elle est parfaitement intégrée dans la société du spectacle et du contrôle et moi, comme bien d’autres camarades prisonniers, nous considérons que la tentative de rapprochement est close. Cela signifie également que nous n’accepterons pas l’instrumentalisation de la lutte par certains collectifs. CNA-Madrid a proposé une manif et/ou un camping pour soutenir la semaine de l’enfermement. Nous pensons qu’il faut soutenir ces initiatives en évitant l’une ou l’autre divergence quand il s’agit d’actions ponctuelles, la variétés des idées et des pratiques anarchistes ne devraient pas diminuer la force du mouvement, mais la rendre plus cohérente de façon à neutraliser le contrôle et la domestication qui en découle sur les élans subversifs. Nous cherchons ensemble une méthode d’organisation qui n’envahisse pas l’autonomie individuelle, c’est pour cela qu’il est nécessaire d’apprendre au travers de l’expérience. Cet espace de lutte s’est converti en tremplin, pour dépasser les limites de la simple survie, on ne va pas se laisser emmerder par quelques différences. Le moment est définitivement venu d’affronter le pouvoir en dehors des règles du jeu qu’il nous impose. Nous, prisonniers en lutte, nous soutenons toutes les actions qui développent une dynamique d’affrontement au pouvoir et nous espérons, par contre, que se réduisent les différences qui mènent à un affrontement entre anarchistes. A ce sujet j’aimerais ajouter que je ne suis pas anarchiste, ou plutôt que jamais je ne me suis défini comme tel, parce que le terme rebelle me paraît largement suffisant. Mais hier Claudio a reçu du matériel de la FAI, je me sens aussi attaché à la CNT ou à la FAI que peut l’être un voleur. Cependant j’ai lu hier la lettre du camarade, je n’ai pas pu m’empêcher de me souvenir pourquoi la FAI a été créée, ni s’il est vrai que beaucoup d’organisations libertaires sont restées coincées dans leur passé, et pourtant beaucoup de camarades encore accrochés à ces sigles véhiculent le meilleur de l’anarchie (ce qui n’empêche pas qu’il y en a là-bas qui sont pires encore que certains réformistes).
Dans la rue, de nombreux camarades pensent que nous allons trop vite. Qui parle de stratégie linéaire? Chacun va à son rythme. Nous marchons dans la même direction, cherchant au travers de l’action directe de nouvelles conditions de vie individuelles et collectives. Si certains camarades sont plus rapides que d’autres, c’est bien, et si certains sont capables de se réapproprier la rue et les moyens d’autodéfense qui ont toujours caractérisé les anarchistes, c’est bien mieux que cette supposée charité révolutionnaire que certains arborent. Il faut voir où on est arrivé avec toutes ces palabres et toute cette paperasse. L’an passé, une des mères disait dans un message adressé aux collectifs que la CSPP avait décidé, ou mieux dit, réfléchissait s’il convenait de lancer une campagne d’action directe par l’intermédiaire de dénonciations juridiques pour défendre les gars. Si la femme qui a écrit de telles idioties n’a pas complètement perdu la boule, alors moi je suis le pape. Que je sache, l’action directe n’a jamais été synonyme d’aller mendier aux bourreaux des miettes de dignité. Le futur des gamins est bien dans la merde avec des gens pareils; les nains comme ils les appellent, sont peut-être ce qui chaque jour me permet de résister parce qu’ils marchent avec le souvenir d’un homme qui a exproprié pour les aider et que les matons ont assassiné dans l’Etat français. Que ces réformistes ne viennent pas nous donner des leçons d’humanité. A part quelques uns, ils alimentent leur ego et leur fausse conscience avec le dénuement ou, ce qui est pire, avec la misère d’autrui. Si nous, les anarchistes, ou qu’on nous appelle comme on voudra, nous ne sommes pas capables d’agir d’une autre façon, alors ça suffit, n’en parlons plus, ne fut-ce que par respect pour nos morts. Cette lettre n’est pas trop mal, un peu critique et politiquement incorrecte peut-être, mais elle exprime bien ce que je pense. Et elle exprime aussi ce que beaucoup d’entre nous pensons. Je vous remercierais de la faire circuler parmi les camarades – j’ai fais une photocopie pour certains – et j’en profite pour dire à certains camarades que quand l’anarchie sort des livres et oublie les étiquettes nous sommes nombreux à vos côtés, jusqu’à la mort si nécessaire.
PS: Je ne signe pas de mon nom parce que cela ne me plait pas. Ici
nous répondons de nos actes et en affrontons les conséquences
tous les jours, et ceux à qui je fais allusion savent parfaitement
qui je suis.
Source: publication de l’Asamblea de Apoyo de Personas Presas en Lucha (APPEL), dont l’adresse est: c/Blasco de Garai, 2, 08004, Barcelone.
Appel à la lutte pour les amis et parents et solidarité envers les camarades séquestré(e)s de Valencia.
Comme d’habitude, on concentre l’attention des ami(e)s et des parents sur la Guerre qui se déroule jour après jour, guerre dont nous sommes partie prenante et dans laquelle nous devront choisir un camp, même si certains s’emploient à le nier (les lâches) et d’autres à l’occulter, à tergiverser (le pouvoir et ses moyens de créations d’idiots).
Vous ne pourrez pas continuer à regarder ailleurs et à nier l’évidence, l’un des vôtres se trouvait parmi le grand nombre de camarades qui ont été torturés, insultés, se sont fait cracher dessus et ont été humiliés dans les commissariats démocratiques et, comme nous tous, les combattants qui sont emprisonnés par l’Etat sont également torturés, insultés, se font cracher dessus et humilier dans tous les commissariats du monde, et contrôlés, surveillés et épier durant leur séjour au 4è degré (2); vous pouvez, selon votre habitude, nier l’évidence en disant que c’était une situation exceptionnelle, que nous savions qu’il pouvait y avoir des problèmes, que seuls quelques policiers font ces choses là et que la justice sera juste envers eux, continuez à penser que c’est un moindre mal! Ou alors, en revanche, vous pouvez défier le pouvoir et être courageux! Sachez que tant qu’on ne sera pas tous libres et qu’on n’aura pas cessé d’être des esclaves, on ne laissera aucun répit à ceux qui nous empêchent d’être libres et nous obligent à être esclaves, c’est pour ça que l’Etat Capitaliste a construit pour tous les “imparfaits de la société” quelques “charmants” endroits nommés Prisons. La seule façon d’être libres et d’éviter que vos enfants, vos petits-enfants, vos neveux, vos cousins, vos amis passent le reste de leur vie derrière les barreaux, c’est d’attaquer et de détruire cette foutue société de misère, d’ennui, d’esclavage, de guerres impérialistes, de désastres écologiques, de prisons, de MORT.
Toute tentative de lutte de votre part, même pleine de bonnes intention, et dans les limites de la protestation que permet l’Etat-Capital (conférences de presse, forum sociaux,…), loin d’être une lutte réelle fait le jeu de la démocratie et nous savons tous qui a mis les lois dans son “escatergoris”. Ce n’est pas à moi de vous dire comment doit être cette lutte, chacun fera ce que son corps lui dira de faire, de l’affiche, l’occupation, le débat et les petits sabotages aux actions des anarchistes russes de la fin du XIXè siècle, toutes [les méthodes] sont valables, tant que nous gardons à l’esprit qui est notre ennemi et les formes qu’il peut prendre pour nous tromper: fascisme, démocratie, dictature militaire, capitalisme d’Etat,… différents visages d’un même monstre, l’Etat-Capital.
Il est non seulement juste, mais nécessaire de détruire le ciment de ce vieux monde de la marchandise, de l’argent, de l’exploitation, de l’autorité, de la torture,… pour construire un monde où la solidarité ne soit pas charité chrétienne; l’égalité, une mauvaise interprétation de quelques femmes désirant être aussi stupides que l’homme (voyez les gardiennes de prison, les femmes policiers, militaires,…); le bonheur, la retraite à 60 ans et la liberté, l’“accès illimité”.
Par ailleurs, nous ne pouvons faire de distinctions entre “gentils” et “méchants” anarchistes. Nous les anarchistes, nous sommes tous méchants et moches. La seule chose qui nous différencie c’est le degré de ras-le-bol qu’on a de ce trou et la méthode de lutte qu’on choisit à un moment de notre vie; et comme je l’ai dit avant, tous les moyens sont valables à condition de ne pas tomber dans des positions réformistes et récupérables par le système.
Je veux dire par là que ceux qui trouvent des excuses pour ne pas se solidariser et soutenir les camarades de Valencia cessent d’être solidaires avec moi car leur lutte est la mienne.
Vivent ceux/celles qui luttent!
Que vive l’anarchie!
1. Ne pas avoir d’occupation stable: 95% des prisonniers espagnols commettent ce péché.
2. Arrêter les études avant l’adolescence: 90% des prisonniers
3. Etre un homme: 90% des prisonniers le commettent
4. Ne pas avoir de ressources suffisantes pour que lui-même ou sa famille puisse mener une vie digne: 86% des prisonniers sont d’accord de voler ceux qui ont plus qu’eux.
5. Etre un honnête travailleur: 82% des prisonniers appartiennent à la classe ouvrière.
6. Toucher aux drogues qui ne soient pas l’alcool et le tabac: plus de 80% des prisonniers ont à voir avec la consommation ou la vente de drogues non acceptées par les dictateurs actuels.
7. Etre un malade en phase terminale: au moins 60% des prisonniers espagnols ont le SIDA (la majorité a été contaminée en prison) qui n’est qu’une des nombreuses maladies endémiques de la prison.
Ainsi donc la liberté, comprise comme bien juridique, octroie aux plus puissants le permis d’exploiter sans limites, de contaminer le milieu ambiant, de monopoliser la culture et l’information, d’assassiner, de torturer, d’enfermer et en définitive de neutraliser et d’anéantir y compris physiquement les exclus du processus de production capitaliste et les dénommés éléments subversifs hostiles à cet état de chose.
Ici dedans, la grande majorité purge la fameuse conditionnelle. Et parmi eux, rares sont ceux/celles qui sortent après avoir accompli les ¾ de leur condamnation. Les médias disent que nous, les prisonnier(e)s, on entre par une porte et on ressort par l’autre. On voit qu’ils n’ont jamais mis les pieds dans une taule. On voit qu’ils sont les laquais de l’oppresseur et qu’ils font partie de ses mille visages, tout comme les juges, les procureurs, les avocat(e)s, les gardien(ne)s et autres rats.
Ils ne disent rien de la surpopulation des prisons.
Ils ne disent rien sur le fait que 25.000 prisonniers ont le SIDA et sont en phase terminale.
Ils ne disent rien sur les prisonniers qui meurent des suites de tortures.
Ils ne disent rien du commerce que représentent les prisons.
Ils ne disent rien de la souffrance causée à des milliers de parents par la dispersion de milliers de prisonniers.
Ils ne disent rien sur la façon dont on extermine les prisonniers rebelles dans les bunkers: isolements où les personnes prisonnières, en plus de supporter toutes sortes d’abus et de vexations, passent 21 heures par jour enfermées dans des cellules de haute sécurité.
Ni FIES ni dispersion
Pas de malades en prison
La liberté maintenant!!!
Destruyons toutes les prisonsLa prison a détruit nos vies.Brisons, détruisons toutes les prisons! Le bracelet a remplacé les murs épais, maléfique progrès! Le temps ne veut plus rien dire, ma tête tourne. Comme une bête enfermée, je suis folle à lier. Maudite société n’as tu rien d’autre à nous offrir Que les mots et les images de la télé? N’as-tu jamais entendu dans cette geôle Les cris et les plaintes des forçats modernes? A quoi bon crier dans cet univers déshumanisé?
Il arrivera le jour de la belle
Ô matons, courrez bien vite,
(Cette chanson, interprétée par le Quattuor Lyra Livra, est reprise de l’album “La Belle”, un recueil de chansons sur l’incarcération, publié par L’insomniaque.) |
Récemment, lorsque le terrorisme que “nos” bourgeois et “nos” Etats font régner partout a frappé de manière indifférenciée nos frères de Madrid, des fractions du prolétariat en Espagne et dans d’autres pays d’Europe ont retrouver leur terrain de classe en luttant contre ceux qui nous/les envoient mourir et tuer pour la défense des intérêts des bourgeois du monde entier. Il ne s’agit pas de changer de gouvernement, ni d’opposer la paix bourgeoise à la guerre, la paix n’est jamais qu’un moment de la guerre. D’ailleurs, nous savons ce que valent les promesses des “socialistes” d’Espagne (faut-il rappeler la promesse de rupture avec l’OTAN qui n’eut jamais lieu et qui constitua le centre de la campagne de ces mêmes socialistes, il y a plusieurs dizaines d’années?). S’ils ont retiré les troupes d’Irak, c’est par peur de nous, les prolétaires, parce qu’autrement ils n’auraient pas pu gouverner. Aujourd’hui même, l’Etat espagnol demeure une pièce importante de la répression internationale dirigée depuis la Maison Blanche: il envoie du matériel anti-émeute, des véhicules et des troupes en Amérique Latine et il démontre les capacités répressives de ses flics en ex-Yougoslavie, en Afghanistan... Si on ne se bat pas contre eux aujourd’hui, demain ils retourneront en Irak avec plus de flics, avec une plus large couverture humanitariste et avec le petit drapeau de l’ONU, cachant mal qu’il s’agit en fait de légitimer la même guerre, la même répression.
Des groupes de prolétaires déterminés sont descendus dans les rues pour dénoncer le fait que les morts faits ici le sont par la faute des massacres perpétrés par “nos” bourgeois, par “nos” Etats et blocs impérialistes; ce faisant, ces prolétaires nous disent également que la guerre en Irak est aussi ici, que dans leur vie de tous les jours les prolétaires choisissent pratiquement entre se solidariser avec l’économie nationale de leurs bourgeois et participer ainsi de fait aux massacres de nos frères de classes dans le monde entier, ou au contraire, descendre dans la rue pour lutter contre leurs propres bourgeois, pour exercer la violence révolutionnaire afin d’arrêter les guerres assassines que font “nos propres” Etats partout dans le monde.
Nous n’attendrons pas qu’ils continuent de massacrer des prolétaires en Irak et dans “nos villes” pour nous battre “ici et maintenant” contre la guerre. Le capitalisme développe en permanence ce terrorisme contre l’humanité. Le sang des prolétaires est le carburant qu’utilisent “nos” économies nationales, “nos systèmes” démocratiques, pour se perpétuer.
Nous, les minorités classistes, nous devons avoir suffisamment de lucidité pour voir dans ces déprimantes “protestations” citoyennes et dans les faibles luttes prolétariennes de par le monde, la conséquence de l’action contre-révolutionnaire de la social-démocratie, et nous devons la combattre théoriquement et pratiquement pour ce quelle est: la récupération bourgeoise empêchant l’auto-reconnaissance et la constitution du prolétariat en classe.”
Sous les ordres du roi Léopold II, entre 1890 et 1910, l’Etat belge a apporté une solide pierre à l’édifice de la civilisation en Afrique en diminuant purement et simplement de moitié la population de la région du Congo, territoire sur lequel les bienfaits de son colonialisme s’exerçaient. Cette région d’Afrique fut frappée de plein fouet par la conception toute personnelle qu’a le capitalisme de “faire passer une collectivité à un état social plus évolué”. On estime ainsi qu’en un peu moins de vingt ans, les conséquences de l’exploitation de l’ivoire et du caoutchouc firent passer de vie à trépas quelques dix millions d’africains. Assassinats massifs pour contraindre au travail, famine et épuisement liés à la destruction de villages entiers et aux tentatives d’échapper à la sauvagerie capitaliste, développements de maladies et chute du taux de natalité, tels furent les effets des conditions générales dans lesquelles s’effectua l’accumulation primitive dans cette partie du monde. Ces données sont tirées d’une recherche compilée dans un livre paru récemment: Les fantômes du roi Léopold – Un holocauste oublié, de Adam Hochschild (1). L’auteur introduit son texte de la sorte:
“Je ne connaissais pratiquement rien de l’histoire du Congo il y a encore quelques années, jusqu’au jour où je suis tombé sur une note, au cours d’une de mes lectures. (…) La note se référait à une citation de Mark Twain, écrite, était-il précisé, à l’époque où il était engagé dans le mouvement mondial contre l’esclavage au Congo, système qui avait fauché cinq à huit millions de vies. Mouvement mondial? Cinq à huit millions de vies? Je fus abasourdi. Les statistiques relatives aux crimes de masse sont souvent difficiles à corroborer. Pourtant, je me fis la réflexion que même si ces chiffres étaient surestimés de moitié, le Congo avait été le théâtre d’un des plus importants massacres de notre époque. Pour quelle raison n’était-il pas fait état de ces morts dans la litanie habituelle des horreurs de notre siècle? (…) Plus j’avançai dans mes lectures, plus j’acquis la conviction que le nombre de morts ayant décimé le Congo au siècle dernier était comparable à celui de l’Holocauste. (…)” (2)
Plus loin, en se fondant sur différentes estimations, l’auteur confirme que “pendant la période du régime de Léopold et celle qui suivit immédiatement, la population du territoire diminua d’environ dix millions de personnes.” (3)
Nous avons extrait de ce livre quelques passages qui, outre le fait de nous permettre d’apprécier l’œuvre civilisatrice capitaliste en Afrique, nous font comprendre également la différence essentielle entre civilisation et barbarie.
Commençons par la civilisation. Henry Morton Stanley, le plus célèbre des explorateurs capitalistes et l’homme de Léopold II au Congo, nous explique les objectifs de la civilisation:
“Chaque fois que je rencontre un aborigène au visage cordial, je porte sur lui […] le même regard qu’un agriculteur porte sur son enfant aux membres solides; il constitue une future recrue pour les rangs des soldats-ouvriers” (4)
Les civilisés ont l’avantage d’avoir des intentions claires lorsqu’ils rencontrent ces sauvages au visage cordial. Ils entendent immédiatement les faire bénéficier des avantages du progrès: ou servir de chair à canon ou bosser. Pas question en tout cas de laisser d’aussi affables aborigènes, dénués d’une activité utile et rentable. Léopold II, dont les rigueurs du régime imposé pour se procurer de la soldatesque à peu de frais n’épargnait même pas les enfants, confirme:
“Je suis d’avis d’ouvrir trois colonies d’enfants. Une dans le Haut-Congo, vers l’équateur, spécifiquement militaire, avec des religieux pour l’instruction religieuse et la section professionnelle. Une à Leopoldville sous des religieux, avec un militaire pour l’entraînement militaire. Une à Boma comme celle de Leo. […]. Le but de ces colonies est surtout de nous fournir des soldats. Il faudra donc construire à Boma, Leo, et vers l’équateur trois grandes casernes […] pouvant abriter chacune jusqu’à mille cinq cents enfants et le personnel directeur” (5)
Avoir un salaire ou une solde, c’est aussi posséder la faculté d’entrer dans le monde du commerce, un autre domaine dans lequel la civilisation a dû intervenir avec détermination. Un officier de Stanley nous décrit ici la manière dont il compte inculquer les lois de l’échange aux sauvages:
“Nous avons fini notre dernière banane aujourd’hui […] les indigènes ne commercent pas, et n’offrent pas le moins du monde de le faire. En dernière ressource, nous devons capturer davantage de leurs femmes.” (6)
Dans tous les cas, la rencontre entre la civilisation et la barbarie est toujours un choc. En témoigne ici, un autre officier de Stanley. Face à la sauvagerie manifestée par la scène qu’il décrit…
“C’était très intéressant de rester tapi dans la brousse à regarder les indigènes vaquer tranquillement à leur labeur quotidien. Certaines femmes fabriquaient de la farine de banane en pillant des bananes séchées. Nous pouvions voir des hommes construire des huttes et accomplir d’autres tâches, des garçons et des filles courir et chanter.”
… l’officier n’hésite pas à faire intervenir courageusement la civilisation:
“J’ouvris la chasse en visant un type en pleine poitrine. Il tomba comme une pierre. Immédiatement, une salve balaya le village.” (7)
La scène peut paraître brutale. Mais une fois réexpliquée et remise en perspective par l’un ou l’autre dirigeant capitaliste, il n’y paraît plus. Léopold II nous rappelle avec bonheur que les méthodes utilisées au Congo n’avaient pour autre objectif que d’éloigner les barbares des horreurs de la paresse et leur faire découvrir les vertus du labeur.
“Quand on traite avec une race composée de cannibales depuis des milliers d’années, il est nécessaire d’utiliser des méthodes qui secoueront au mieux leur paresse et leur feront comprendre l’aspect sain du travail.” (8)
Un autre civilisé, collectionneur de papillons et de têtes humaines, confirme l’horrible situation dans laquelle se trouvaient ces sauvages avant le débarquement de la libre entreprise. Il décrit le régime infernal auquel ils furent arrachés par la société civilisée et l’état de confusion mentale dans lequel ils se trouvaient:
“La principale occupation du Noir, et celle à laquelle il consacre la plus grande partie de son existence, consiste à s’étendre sur une natte, aux chauds rayons du soleil, tel un crocodile sur le sable. [...]. Le Noir n’a aucune idée du temps, et, questionné à ce sujet par un Européen, il répond généralement par une sottise.” (9)
Face à pareil désordre, la civilisation capitaliste, qui sait bien elle que le temps c’est de l’argent, se devait d’intervenir et de prouver qu’il n’existe pas d’alternative au dur labeur. Cette intervention était d’autant plus urgente que le développement et le progrès capitaliste exigeaient alors une récolte massive et rapide de caoutchouc. En 1895, en effet, advient le boom du caoutchouc. Dans le monde entier, l’industrie se montre très gourmande et les concurrents capitalistes jouent des coudes pour construire au plus vite des pneus, des tuyaux, des tubes, des joints, des isolants, etc. La demande en caoutchouc est énorme et précisément, la forêt tropicale équatoriale qui recouvre la moitié du Congo est couverte de lianes de caoutchouc sauvage qui serpentent jusqu’en haut des arbres. Conscient de l’aubaine, le bon roi Léopold se met donc à harceler ses fonctionnaires pour qu’ils activent la récolte de caoutchouc. A tout prix, parce que la concurrence guette:
“Léopold s’inquiétait surtout de la concurrence du caoutchouc cultivé, qui ne vient pas d’une liane mais d’un arbre. Les arbres à caoutchouc, toutefois, nécessitent de nombreux soins et plusieurs années de croissance avant de pouvoir être saignés. Le roi ne cessait d’exiger voracement de plus grandes quantités de caoutchouc sauvage du Congo, car il savait que son prix chuterait quand les plantations d’Amérique latine et d’Asie viendraient à maturité. Cela finit effectivement par se produire, mais à l’époque, le Congo avait déjà profité depuis une vingtaine d’années du boom du caoutchouc sauvage. Durant cette période, la quête ne connut aucune limite.” (10)
Pour la civilisation, les profits tirés du caoutchouc furent un don du ciel. Pour les sauvages par contre, c’est comme si le ciel leur tombait sur la tête. Missionnaires, officiers, diplomates, tous se mirent à la tâche pour communiquer au Noir le goût du travail.
“Aucun salaire en babiole ou baguettes de cuivre n’aurait suffit à faire rester des gens plusieurs jours d’affilée dans la forêt inondée, où ils devaient accomplir un labeur si astreignant - et si douloureux physiquement. Un collecteur devait assécher le caoutchouc sirupeux pour le faire coaguler, et la seule manière d’y parvenir était d’étaler la substance sur ses bras, ses cuisses et son torse. Un officier de la Force publique explique cette situation à son journal en 1892: ‘Les premières fois, ce n’est pas sans douleur que l’homme arrache les parties pileuses de son corps. L’indigène n’aime pas faire de caoutchouc. Il faut l’y forcer.’” (11)
Comment? En prenant des femmes et des enfants en otage, en coupant des mains, en brûlant les villages récalcitrants…
“La liste des massacres connus et documentés est interminable. Le territoire était couvert de cadavres parfois littéralement. ‘A l’endroit où un cours d’eau se jette dans le lac Tumba, écrit le missionnaire suédois E.V.Sjöblom, ‘j’ai vu flotter sur le lac des cadavres à la main droite coupée; à mon retour, l’officier m’a dit pourquoi ils avaient été tués. A cause du caoutchouc. En traversant la rivière, je vis quelques corps pendant des branches jusque dans l’eau. Alors que je me détournais de ce spectacle horrible, un des caporaux indigènes qui nous suivait a dit: ‘Oh, ce n’est rien; il y a quelques jours, en revenant d’un combat, j’ai amené à l’homme blanc cent soixante mains, et elles ont été jetées dans la rivière.’” (12)
Le capitalisme, l’argent, le travail et le progrès font ainsi leur splendide apparition sous le soleil d’un Congo qui enfin se développe, après tant d’années d’insoutenable somnolence. Tout se militarise. Chaque compagnie possède sa propre milice et ils se lancent dans toutes sortes d’opérations pour terroriser les futurs prolétaires et les mettre au service des actionnaires bien propres sur eux de l’Anglo-Belgian India Rubber and Exploration Company. Ceux qui refusent de travailler et s’enfuient dans la jungle sont systématiquement poursuivis et exécutés. La résistance au travail est méthodiquement réprimée et l’Etat engage à cet effet des “sauvages noirs” fraîchement cooptés. Trop fraîchement sans doute, car l’armée se doit de vérifier leur travail. Ainsi, pour contrôler la bonne utilisation des munitions fournies, l’Etat exige de ces soldats qu’ils restituent les cartouches non utilisées et qu’ils rapportent pour chaque cartouche tirée, une main droite, preuve que leur tâche a été menée à bonne fin. Mais ces opérations, aussi douloureuses puissent-elles paraître, n’ont d’objectif, rappelons-le, que celui de familiariser les populations locales aux règles d’une société qui cherche à les rendre eux aussi libre de travailler. Car enfin, engagé par l’Anglo-Belgian India Rubber and Exploration Company, ce n’est pas rien comme situation. Toutes ces opérations ne sont somme toute que des opérations humanitaires, comme n’hésite pas à nous le faire remarquer à l’époque un officier de la Force publique: “Je leur fais la guerre. Un exemple a suffi: cent têtes tranchées, et depuis lors les vivres abondent dans la station. Mon but est en somme humanitaire. J’ai supprimé cent existences, mais cela permet à cinq cents autres de vivre.” (13)
Il suffisait de nous l’expliquer! Par ailleurs, c’est également au nom de l’humanitaire et des droits de l’homme, mieux, au nom de l’abolition de l’esclavage, que Léopold II chargeait ses fonctionnaires de faire comprendre aux Nègres “l’aspect sain du travail”:
“En Europe, on continuait à s’indigner des trafiquants d’esclaves ‘arabes’ basés à Zanzibar et sur la côte orientale de l’Afrique. (…). Leopold II s’attela, une fois de plus, à polir sa réputation de philanthrope et d’humanitariste. (…) Ses dénonciations vigoureuses du trafic d’esclaves impressionnaient tellement qu’elles lui valurent d’être nommé président honoraire de l’Aborigines Protection Society, vénérable organisation des droits de l’homme britannique.” (14)
On pourrait croire -et les adeptes du progrès et du développement capitaliste s’y essayeront- que tout cela appartient au passé. Que l’humiliation à laquelle le capitalisme a soumis en Afrique ceux qu’il libérait de la paresse pour les jeter au travail est une donnée coloniale ensevelie par le temps. Que le cynisme avec lequel les marchands exploitent et humilient en parlant de “bonnes œuvres” n’est plus d’actualité. Et pourtant, c’est encore sous couvert d’une opération humanitaire qu’aujourd’hui, en 2002 très exactement, les relents de cette période sont venus s’échouer aux abords d’un petit village belge qui a proposé à son public de venir, pour quelques euros, jeter un coup d’œil sur un étrange zoo dans lequel évoluent rien moins que des pygmées.
Nous terminerons donc ce petit voyage au pays des merveilles du développement capitaliste avec une lettre que Yolande Mukagasana a envoyé en 2002 à des associations belges “de lutte contre le racisme” pour s’indigner de leur silence face à l’exhibition humiliante de pygmées à Yvoir en Belgique, dans la région wallonne. Au-delà de l’une ou l’autre attitude de citoyenne outrée, au-delà de certains airs scandalisés appelant à la dignité des “hommes riches”, postures qui semblent révéler les nombreuses illusions que conserve son auteur sur le système capitaliste, cette courte lettre a le mérite de rompre l’écœurante absence de réactions qui a d’abord régné en Belgique lors de cette sinistre exhibition. Dans un deuxième temps, les associations antiracistes ont bien entendu elles aussi crié au scandale et assumer leur fonction de pacificateurs sociaux en assurant les citoyens belges que les excès dont ils avaient été témoins seraient rapidement corrigés et qu’ils pourraient tranquillement continuer à vivre et travailler sous la vigilance de “l’Etat de droit”. Mais, le texte de cette lettre remet en perspective les humiliations que subissent depuis des siècles les prolétaires en Afrique et si nous l’avons fait précéder de ces notes sur les massacres perpétrés au Congo entre 1890 et 1910, c’est précisément pour rappeler qu’au- jourd’hui règne toujours le même système basé sur le profit et malheureusement aussi le même aveuglement global face aux crimes capitalistes.
Quand le texte demande avec insistance “où êtes-vous? où êtes-vous? Où êtes-vous?”, s’obsédant à espérer qu’une réponse vienne de quelque part, on sent bien que seul le vide a fait écho à ses appels et que son auteur s’est retrouvé comme un orateur perdu dans une immense salle et qui, accroché à son pupitre, continuerait de gueuler “y a-t-il encore un être humain dans la salle?”.
Cette affaire de pygmées exhibés, les journalistes la rangeront sous la rubrique des “faits divers”. Pour nous, ces faits rappellent avant tout à quel point le capitalisme s’entête à ressembler au capitalisme. Dans ce contexte, la force de travail d’un prolétaire africain, peu scolarisé, peu expérimenté, peu contrôlé n’est rien d’autre qu’une marchandise contenant moins de valeur que celle d’un autre prolétaire. Et comme au siècle passé, ces prolétaires-là, si on ne peut même pas les exploiter en leur faisant vider les poubelles ou en les prostituant, on en tirera un peu de fric en les soumettant à des humiliations plus terribles encore.
Le capitalisme humilie de façon permanente les prolétaires en les catégorisant, en les fichant, en les classant ethniquement, en les réduisant à une identité nationale, en achetant leur force de travail au prix le plus bas. Quoique espère cette lettre, ce n’est malheureusement pas en s’adressant à la conscience de l’homme et à ses droits que cette situation changera. Ni la conscience des affres de l’esclavage, ni celle des massacres coloniaux, ni celle des génocides au Rwanda ne parviendront à transformer profondément le monde et à empêcher le système marchand de fonctionner comme tel. Seule notre union solidaire, au-delà de toute catégorisation et de toute frontière, nous permettra un jour, comme prolétariat mondial, comme force organisée, comme parti révolutionnaire, de corriger une fois pour toute la façon dont la bourgeoisie chante l’histoire aujourd’hui.
Le 25 juillet 2002Monsieur le Directeur
Centre pour l’Egalité des Chances
et de Lutte contre le RacismeConcerne: Opération “humanitaire” pygmée dans le domaine Champaille à Yvoir, région Wallonne
Monsieur,
C’est au vingtième siècle que l’Occident a classé éthiquement mes ancêtres au nom des recherches scientifiques, en mesurant leurs tempes et la longueur de leur nez. C’est dans ce cadre-là que la Belgique coloniale leur a créé une carte d’identité ethnique les divisant en Hutu, Tutsi et Twa, ces derniers étant qualifiés de race pygmoïde.
C’est en ce même siècle que naquit un bébé que j’étais, ayant soit disant le droit à la vie alors qu’il était marqué ethniquement sans le savoir et de manière indélébile.
C’est en ce même siècle que la Belgique s’avère incapable de ratifier la convention européenne sur la protection des minorités.
C’est pendant ce vingtième siècle que dans mon pays, à cause de et grâce à cette carte d’identité ethnique, les uns se faisaient massacrer par les autres au nom de différences décidées par la Belgique. Des milliers de morts et des dizaines de milliers de réfugiés à chacun des massacres. Ceux qui étaient frères sont devenus ennemis!
C’est pendant ce même siècle que j’ai grandi marginalisée à cause de marquage ethnique et comme si ce n’était pas assez, il fallait que tout cela aboutisse à l’horrible génocide qui m’a pris tout ce que j’avais pu créer. Emportant tous mes enfants, mon mari, mon frère et mes sœurs devant la passivité complice de certaines autorités belges qui resteront impunies à jamais, avec aussi l’indifférence de tellement d’autres.
La Belgique conserve un double langage depuis ce même génocide. D’un côté le Premier Ministre est allé demander pardon au Rwanda et de l’autre, au nom des recherches scientifiques, la coopération finance la production d’un centre de recherche régional qui persiste à publier des listes ethniques sur l’Afrique des Grand Lacs, même après un génocide et avec une sécurité élémentaire si difficile à retrouver. Ces listes ethniques “pousse-aux-crimes” qui ont endeuillé mon pays et déchiré mon cœur de mère blessé à jamais. Cette lecture ethnique de notre société n’est qu¹un encouragement à la division, à la haine et au meurtre!
C’est pendant ce même siècle que la Belgique, au nom de la culture, exhibe à Tervuren pendant l’exposition coloniale, des “êtres” congolais, des “sauvages nus” non protégés contre le froid et celui qui ira visiter le Musée Africain de Tervuren peut encore voir les traces de ce spectacle africain: leurs tombes. Ce souvenir odieux fait plus que nous heurter.
Un siècle avant l’Angleterre exposait en zoo, une jeune fille africaine hottentote, comme un animal. Tout le monde pouvait aller voir un être bizarre, une femelle africaine si différente. Suite à la pression d’association luttant pour les droits humains, elle sera rachetée et exhibée en France dans les foires pour terminer une vie au musée des sciences. Le cerveau et les organes génitaux dans le formol, le squelette en collection et un moulage pour qu’on n’oublie pas. La dépouille a été réclamée récemment par son pays d’origine, l’Afrique du Sud. Les petits commentaires ironiques de presse se moquaient du souci de la diplomatie africaine de rapatrier dignement cette victime incroyable des schémas racistes et ethniques de l’Occident. Quand il s’agit de l’Afrique, toutes les atteintes à la dignité la plus élémentaire sont autorisées, en croyant qu’un peu de charité conditionnelle effacera notre dégoût.
Aujourd’hui même je me demande si en Belgique, il n’est pas possible de tirer les leçons de ces histoires. Sinon comment m’expliquer qu’au nom d’un projet “humanitaire” et encore une fois sous prétexte de culture, on exhibe à nouveau des êtres humains: l’opération pygmée à Yvoir!Qui a imaginé un tel projet? Qui l’a financé?
Qui en a fait la publicité à la télévision et la Radio nationale belge?
Qui a fait venir les pygmées d’Afrique?
Qui a accordé des visas?
Qui a conclu leur assurance maladie?
Où vont aller les 6 euros payés tous les jours par personne et par visite?
Où est l’Ambassade du Cameroun? Serait-elle complice de la déshonoration africaine?
Honteuse exhibition! Où êtes vous, Centre pour l’Egalité des Chances?
Où êtes vous le Mouvement contre le Racisme et la Xénophobie?
Où êtes vous La Ligue Des Droits de l’Homme?
Où est la société civile belge?Aujourd’hui ce sont des africains, demain pourrait-on exhiber vos SDF, vos pauvres, vos handicapés ou les malades mentaux pour apitoyer le chaland. Tout semble bon pour gagner de l’argent! Qui ne dit mot consent, c’est un proverbe de chez vous. Vous êtes tous en vacances, absents, aveugles, sourds? Cela se passe chez vous en l’an 2002! Je porte plainte au nom de l’Afrique et des Africains. Aujourd’hui pour l’“opération pygmée”, je porte plainte contre l’organisateur, le financier et ceux qui ont donné les autorisations, tous les acteurs de cette honteuse exposition au nom de l’humanitaire et de la culture. Par une telle exhibition les Africains sont insultés, c’est comme si ce n’était pas des humains mais des animaux de cirque ou de zoo!
Je porte plainte pour racisme.
Imaginerions-nous aujourd’hui, au nom de quoi que ce soit, une exposition en Afrique de sans-abri belges? Etendre des cartons et mettre à côté de chacun une bouteille de vin ouverte, leur faire faire un cinéma pour montrer leur pauvreté pour pouvoir les aider? Quelle serait la dignité des êtres humains? Indignes sont les hommes riches et les opportunistes qui ne comprennent pas que leur dignité consiste à respecter les pauvres car ce sont aussi des hommes et non les objets exposables pour la distraction ou pour émouvoir ou pour attirer leur pitié.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de ma considération distinguée.
Yolande Mukagasana
“Irak, 1991. Après les bombardements de la Coalition occidentale, une gigantesque insurrection restée méconnue explose contre la guerre et contre le régime de Saddam Hussein. Le dictateur et ses bourreaux, armés et soutenus par les capitalistes du monde entier, étouffent le soulèvement dans le sang.
Irak, 2003… Après douze ans d’embargo et une nouvelle série de bombardements, la classe dangereuse reprend le chemin de la révolte en se lançant dans une guérilla sociale qui entend bien régler son compte aux troupes du capital. Coincée entre la peste des massacres démocratiques et le choléra du racket islamiste, la révolte irakienne cherche à incendier les âmes engourdies de ses frères d’Occident.
En ces temps de patriotisme répugnant et de pacifisme avilissant, ce petit livre est une modeste contribution pour mettre le feu aux poudres.”
Le lecteur italophone peut se procurer Fuoco alle polveri en
s’adressant directement au
Centro di documentazione Porfido, Via Tarino
12/c – 10124 Torino – Italia ou encore en le commandant aux Editions
NN (C.P. 1264 – 10100 Torino) ou (C.P. 482 – 95100 Catania). Toujours pour
les lecteurs italophones, profitons de l’occasion pour signaler que les
Editions Porfido ont également publié sous forme de livret
une traduction de notre article Prolétaires de tous pays, la
lutte des classes en Algérie est la nôtre!, paru dans
Communisme 52 sous le titre: Ulach Smah! Nessun perdono – notizie dall’insubordinazione
algerina.
La fable des braves soldats italiens (“i
nostri ragazzi”) venus sur les rives du Tigre pour offrir paix, démocratie
et caramels aux enfants a tôt fait de s’effondrer.
Déjà les chiffres parlaient d’eux-mêmes: sur les 220 millions d’euros mis à disposition par le gouvernement pour financer la mission “Antica Babilonia”, 209 millions étaient destinés au personnel militaire et 11 millions aux dites “interventions humanitaires”. Sur place, et pour ne pas faillir à la tradition, une des premières action de “nos braves soldats” a été l’irruption au siège du Parti Ouvrier Communiste d’Irak et l’arrestation d’un certain nombre de ses militants. Par la suite, les affrontements avec la population locale, les perquisitions, les rafles, les confiscations d’armes se succèdent, sans oublier la formation et l’entraînement de la tant détestée police collaborationniste irakienne. Bref, tout concourt à la création du climat dans lequel arrive le “cadeau” du 12 novembre 2003, lorsque l’accueil que Nassirya réserve à “nos braves soldats” s’exprime dans toute sa chaleur, faisant sauter leur caserne et tuant dix-neuf d’entre eux. Depuis, la situation est chaque jour plus brûlante: après la bataille sur le Tigre au cours de laquelle les militaires italiens ont tiré sur la foule d’insurgés qui occupait le pont, fauchant des femmes et des enfants, est arrivé le mois de mai, et les carabinieri ont dû se retirer de la ville, attaqués par la guérilla qui, après plusieurs jours d’affrontement, s’est emparée de leurs positions. Mais comment cela se fait-il donc que les soldats italiens se soient retrouvés précisément à Nassariya? La raison pour laquelle cette zone a été attribuée aux italiens est très simple et ne doit rien au hasard: c’est là que se trouvent les gisements de pétrole que l’Eni avait reçu en concession du régime précédent (1), gisements sur lesquels il existe déjà une hypothèse d’accord avec les nouveaux patrons. Dans les environs se trouvent également les gisements de Halfaya, où dans les années soixante-dix l’Agip avait fait des forages, et ceux de Rumayla où l’Eni semble vouloir s’étendre. Bref, tout était prévu… sauf
l’accueil des prolétaires irakiens!
Extrait et traduit de Fuoco
alle polveri
Guerra e guerriglia sociale in Iraq Ed. Porfido, Italie |
Cette gigantesque campagne de la bourgeoisie, aux quatre coins de la terre, s’appuie sur et renforce cette idée imbécile que la “nature” est hostile à l’homme, une conception fondée sur la séparation de l’homme avec sa communauté réelle, avec son humanité, avec ses moyens de vie et liée à l’obligation d’aller vendre sa force de travail contre un salaire, véritable source de sa séparation d’avec la “nature”.
Non, c’est ce système basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme, sur la course aux profits à tout prix, qui est seul responsable de la transformation d’un phénomène terrestre (avec ses risques connus) en une catastrophe sociale, capitaliste, comme ce fut le cas, entre autres, à Kobe en 1995, en Turquie en 1999 et en Iran en 2003 (1).
L’odieux spectacle de la charité a crevé l’audimat, et le citoyen moyen s’est tartiné d’une nouvelle couche de bonne conscience. Et pour pas cher, car les dons annoncés ne sont que des promesses, comme lors des veilles d’élections. On sait qu’un dixième du fric promis arrive… tout le monde s’en fout, du moment que les records sont battus, à la télé. The show must go on...
Par contre, les grosses entreprises qui cornaquent les ONG ont poussé un peu plus leur très réaliste pion. Handicap International roule pour Vivendi, Action contre la faim pour Elf, etc. La guerre commerciale ne prend pas de vacances! Comme le dit sans vergogne un expert en management non gouvernemental: “L’aide humanitaire présente aujourd’hui un intérêt stratégique. C’est une tête de pont pour les entreprises… Les ONG font, en quelque sorte, du repérage...”
“Humanitaire” rime toujours avec “militaires” et dans les multiples guerres dans lesquelles ces derniers sont engagés, ils ne font finalement que s’entraîner à jeter des kits de survie du haut des hélicoptères de combat. Un jour une bombe, un autre une caisse de vivres… pourvu qu’ils ne se trompent pas! En tout cas, ils étaient bien là, les braves soldats, à défendre la propriété privée, main dans la main avec leurs frères humanitaires, pour réprimer les rares tentatives de pillages de quelques rescapés affamés. Mais LE danger serait-il que notre classe réagisse avec ses propres armes? Sinon pourquoi “ce plus grand déploiement militaire de l’histoire moderne dans un contexte non conflictuel”, comme dit un journaflic?
Voilà le centre de la question. Si le tsunami a produit un tel déploiement militaire, une telle campagne de charité, un tel encadrement humanitaire, c’est bien parce que la bourgeoisie a peur d’un nouvel assaut du prolétariat contre ce nouvel assaut de la misère. La bourgeoisie a peur de la généralisation des pillages et du fait qu’en Europe, les prolétaires pourraient se reconnaître dans ces pillages et faire de même plutôt que de suivre les campagnes télévisées et de donner quelques euros.
Les industriels du tourisme, eux, font tout pour cacher leur inquiétude. Il est vrai que leurs profits dans la région, pour l’année 2002, s’élevaient à 57 milliards de dollars. Il paraîtrait même que le marché asiatique n’a pas dit son dernier mot. Et de prévoir une relance aussitôt que “les touristes” auront oublié. Ne doutons pas que ce soit déjà fait. Ces gens-là, dans leur propre pays, oublient tous les jours leur condition de vie odieuse, leur humiliation quotidienne, leur entassement dans les villes polluées, leur retour exténué à la maison et les dettes, les maladies, les accidents, les enfants qu’on ne comprend pas… Ils oublient leur humanité. Et l’on pourra bientôt les voir se prélasser, après une année de dur labeur, le long de ces mêmes plages redevenues paradisiaques et toujours aussi artificielles (sable importé!), se refaire une santé et tenter, vaille que vaille, de reconstruire leur force de travail malmenée par les cadences toujours plus infernales…
Non, le tsunami n’est pas catastrophique du point de vue du capital. Une reconstruction se profile, des marchés vont se disputer, des capitaux vont être investis, des prolétaires seront exploités et de la plus-value engrangée.
Et puis globalement, l’Etat a réussi à redorer l’idéologie d’une société sans classes sociales aux intérêts antagoniques. Cette providentielle et spectaculaire Union Sacrée entre “blancs et jaunes”, “musulmans et chrétiens”, “riches et pauvres”, “téléspectateurs et victimes”... est directement dirigée contre notre classe et contre ses réactions autonomes face à cette énième catastrophe sociale. La déferlante de charité télévisée ne peut se mettre en branle que si le citoyen atomisé est à son poste et la victime maintenue comme victime. Oui, cette charité est directement dirigée contre toute forme de solidarité prolétarienne, de reconnaissance par tous les prolétaires occidentaux, africains, etc., d’être accablés par la même misère fondamentale que leurs frères en Asie. Avec ou sans raz-de-marée, l’Etat dépossède, tue, pleurniche des larmes de crocodile sur le sort de ses propres victimes avant de réclamer son tribut de plus belle. L’Etat doit plus que jamais garder partout le monopole de la force et le contrôle sur les moyens de survie.
La Sainte Alliance entre cohortes humanitaires et militaires, si possible couronnée d’élections libres et démocratiques (comme en Afghanistan ou en Irak), est directement dirigée contre les réactions et affirmations de notre classe, comme les pillages que la presse bourgeoise a discrètement déplorés. Des pillages qui, même s’ils sont restés peu nombreux comme le soutient la presse bourgeoise, manifestent pratiquement les réactions de notre classe contre la propriété privée et situe le centre de l’affrontement prolétariat/bourgeoisie, là, dans les zones sinistrées, où aujourd’hui-même des stocks énormes de “secours”, de vivres, de médicaments, d’eau,… sont défendus par l’armée pour que les prolétaires ne se servent pas. Le contrôle de la paix sociale, voilà ce qui prime pour la bourgeoisie, voilà la raison de ce déploiement de forces contre le prolétariat. Voilà ce que la bourgeoisie et ses campagnes humanitaires veut éviter de montrer au monde: que ce sont nos frères de classe qui, là-bas, au travers des pillages montrent la voie à suivre ici!
NI ONG,
NI ARMEE,
NI CHARITE!
CONTRE LA CATASTROPHE CAPITALISTE,
UNE SEULE SOLUTION:
LA REVOLUTION COMMUNISTE!
Nous nous sommes consolés de cette triste actualité en nous plongeant dans l’histoire et, ce n’est pas une surprise, quelques bonnes nouvelles nous attendaient. Ainsi, très souvent au Moyen Age et à la Renaissance mais aussi à des époques plus récentes, la nouvelle de la mort du pape amenait la foule à se déchaîner contre les biens pontificaux. Jadis pèlerins et habitants de Rome exprimaient un tout autre désespoir que celui qu’affichent aujourd’hui les brebis citoyennes; leur “désespoir” s’exprimait alors par d’énormes désordres, des pillages et des destructions. Un chroniqueur romain, Gaspare Pontani, raconte comment, en 1484, alors que la nouvelle de la mort de Sixte IV, considéré par l’Eglise comme un des grands papes du 15ème siècle, avait à peine commencé à se répandre, le décès étant survenu en pleine nuit, “des bruits commencèrent à circuler à Rome”, mais les bruits auxquels le chroniqueur se réfère, renvoient à une situation où, dit-il, “il n’est tout simplement plus possible de demeurer à Rome à cause des pillages”. En effet, des groupes de jeunes se rassemblent et entendent bien profiter de l’occasion de la mort du pape pour manifester leur colère face à l’ordre social. Ils se rendent ainsi au palais du comte Girolamo Riario, le neveu du pape Sixte IV, et le détruisent complètement “à un point tel”, poursuit le chroniqueur, “qu’ils ne laissent pas une porte et une fenêtre intacte”. D’autres jeunes se rendent quant à eux à Castel Giubileo, où se trouve la ferme de la comtesse Catherine Sforza Riario pour “voler une centaine de vaches, toutes les chèvres et de nombreux porcs, ânes, oies et poules appartenant à la comtesse”. Contrairement à ce qu’on constate aujourd’hui, il semble bien qu’alors, il était difficile de faire s’agenouiller les jeunes devant un clergé leur assurant que les biens pontificaux accumulés en ces lieux servaient au salut des âmes!
Les épisodes de ce genre étaient récurrents et avaient une claire connotation sociale. Ainsi, le 9 août 1559, à la nouvelle de la mort de Paul IV, des habitants “coururent vers la prison et après en avoir brisé les portes, libérèrent tous ceux qui s’y trouvaient”. Le même jour, d’autres groupes se rendent à Campidoglio pour y détruire la statue de marbre qui avait été dédiée trois mois auparavant à ce même Paul IV. La fréquence de ce type d’actions lors de la mort d’un pape était à ce point élevée que l’Eglise fut contrainte de prendre des mesures pour se défendre contre ces attaques. Ainsi, toujours à l’occasion de la mort de Sixte IV dont nous avons parlé plus haut, selon Burcardo, maître de cérémonie pontifical, “à chaque entrée de la ville ont été placés en partie des notaires apostoliques, en partie des fonctionnaires de la curie, en partie encore des citoyens romains. Des cardinaux ont quant à eux été désignés pour garder le palais et l’administration des affaires courantes”.
L’annonce de la mort d’un pape n’était pas la seule à déclencher les pillages. Il suffisait parfois que circulent de mauvaises nouvelles concernant la santé du “saint homme” pour que les prolétaires se déchaînent et les sbires du pape devaient alors se dépêcher de prouver qu’il était encore en vie, pour retarder les “désordres”. Ainsi, au début du 13ème siècle, le chroniqueur anglais Matteo Paris rapporte comment, dix jours avant sa mort, Honorius III (1216-1227) “épuisé et à moitié mort”, dut être porté à une “haute fenêtre” (du palais du Latran), et montré aux habitants de Rome pour les calmer, eux qui avaient déjà commencé à “se défouler contre les biens pontificaux”.
En l’an 904, un concile romain avait décidé de réprimer cette vilaine manie qui consistait à piller le palais du Latran, de Rome et des environs après la mort du pape. Il avait édicté un décret parlant de ces “détestables habitudes” qui “allaient en augmentant”. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un phénomène exclusivement romain. Des capitolaires impériaux et des conciles ont tenté pendant des siècles d’empêcher le pillages des épiscopats et des abbayes lorsque mourrait leur titulaire, émettant des décrets regrettant que ces pillages s’exercent contre leurs biens “comme s’ils appartenaient en propre aux prélats, ce qui est contraire à toute loi”.
Des phénomènes de ce genre se sont vérifiés dans toute l’Italie. Aux environs de 1049, à la mort de leur “présule”, les habitants de Osimo, une petite ville des Marches, aux environs d’Ancône, envahirent et saccagèrent le palais épiscopal, détruisirent les vignes et les arbustes et mirent le feu aux maisons. Léon IX, le matin même du 18 avril 1054, alors qu’il était déjà gravement malade, demanda à être conduit à la basilique de San Giovanni, dans le palais du Latran, transporté sur le lit-même où il était étendu. La nouvelle s’était à peine répandue que des prolétaires accouraient au palais du Latran pour le piller “comme ils avaient l’habitude de le faire”…
Autre temps, autres mœurs!
Contre l’amnésie dont les bourgeois voudraient nous frapper, rappelons ces moments de lutte qui indiquent la voie des luttes futures et crions bien fort: à bas tous les curés, à bas tous les ayatollahs, imams et compagnie! Mort à tous ces revendeurs de paradis frelaté! Contre cette époque faite de superstition, de fric et de toc, où la représentation et le fictif ont pris la mesure de tout rapport véritablement humain, que revienne vite le temps du réel, le temps où les prolétaires pillent et brûlent au lieu de pleurer sur la tombe de leurs exploiteurs!
S’il est faux que l’on puisse
changer ou faire changer la nature de l’Etat, il est encore plus faux et
nuisible d’en conclure qu’on ne peut ni doit tenter de limiter sa marge
de manoeuvre. Le niveau de terreur que l’Etat a la capacité d’organiser
est une composante de la lutte des classes. Dans ce cas précis,
il n’était bien sûr pas question de la force, mais de montrer
-entre autres- que nous ne sommes pas une force qui se laisse liquider
sans réaction. Un révolutionnaire n’est pas un membre de
la grande infanterie du prolétariat. On ne sacrifie la vie de personne
à la révolution. La défense absolument nécessaire
des principes n’est jamais la préservation d’un héritage,
mais une pratique, même très limitée, en rapport avec
des êtres réels et leur situation concrète.
Aider les espagnols était
un besoin révolutionnaire, non pas par générosité,
mais parce que nous avions besoin qu’il y ait des révolutionnaires
en Espagne.
Barrot in
Violence
et solidarité révolutionnaires.
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“Mais le capital, qui a de si ‘bonnes raisons’ pour nier les souffrances de la population ouvrière qui l’entoure, est aussi peu ou tout autant influencé dans sa pratique par la perspective de la dégénérescence de l’humanité et finalement de sa dépopulation, que par la chute possible de la terre sur le soleil. Dans toute affaire de spéculation, chacun sait que la débâcle viendra un jour, mais chacun espère qu’elle emportera son voisin après qu’il aura lui-même recueilli la pluie d’or au passage et l’aura mise en sûreté. Après moi le déluge! telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste.”
Karl Marx
Œuvres, Economie
in Bibliothèque de la Pléiade, pp 805- 806