Avec plus de distance encore, nous revenons maintenant sur cette question en proposant quelques notes supplémentaires centrées sur les leçons de l'insurrection et principalement articulées autour de trois axes: le développement contradictoire de l'associationnisme ouvrier dans le surgissement des shoras, les forces et les limites de l'action insurrectionnelle du prolétariat, les nouvelles guerres interbourgeoises dans la région et les tâches du prolétariat. Ces notes ont été tirées de notre revue centrale en espagnol (cf. Comunismo No.35) parue en octobre 1994. Depuis lors, d'autres informations nous sont parvenues à propos du développement du nationalisme et de l'islamisme comme moyens mis en oeuvre par la bourgeoisie locale pour dissoudre le prolétariat et l'amener à retourner ses fusils contre ceux-là mêmes qui luttaient à ses côtés au moment de l'insurrection. Ces informations ont été rassemblées dans un texte qui suit les "Notes additionnelles..." et que nous avons intitulé "Nationalisme et Islamisme contre le prolétariat".
Nous voudrions insister auprès du lecteur pour qu'il porte une attention particulière aux éléments concernant les leçons de l'insurrection à Soulaymania dont l'enjeu a été, une fois de plus -comme dans toute l'histoire des insurrections de notre classe-comment développer la révolution dans tous les aspects de la vie sociale une fois accomplie l'insurrection, comment éviter la confiscation de la révolution sociale par sa transformation en une simple "révolution" politique, un simple changement de gouvernement.
Ce qui s'est passé en Irak ne montre pas seulement l'actualité de la contradiction capitalisme/communisme, mais son futur. Partout se développe l'inhumanité capitaliste, partout se joue la guerre comme alternative à la crise capitaliste actuelle, partout s'esquisse l'ébauche d'une réponse communiste à celle-ci et à toute la barbarie du capital. Cette précision s'adresse à tous ceux qui pensent que l'Europe "civilisée" est préservée à jamais de la barbarie guerrière qui déferlait il y a cinquante ans encore sur cette partie du monde. Il est utile de préciser que l'alternative "guerre ou révolution" est la même partout et que la menace de voir l'Europe se transformer en un immense champs de bataille est tout aussi actuelle que celle qui pèse sur les autres endroits du globe encore épargnés par les conflits militaires. "Ici" aussi, la guerre que le Capital mène contre le prolétariat ne peut que se développer jusqu'à atteindre l'intensité destructrice avec laquelle elle s'est déroulée "là-bas", en Irak. Et "ici" aussi, la seule voie possible pour briser les chaînes de ce système morbide qui nous mène inéluctablement à la guerre reste la lutte pour la révolution.
C'est dans cette urgence que se situe la discussion autour des leçons de l'insurrection en Irak. Nous appelons nos lecteurs à nous faire part de leurs avis et critiques sur cette question particulière afin de développer ensemble une communauté de lutte contre la guerre, préfiguration d'une véritable communauté humaine où le Capital, l'Etat, les classes et les relations sociales basées sur l'échange et l'argent auront enfin disparus.
En Irak également (tout comme en Iran entre 1979 et 1982), les shoras, surgis du feu de la lutte, contiennent d'énormes contradictions, et les oppositions de classe entre révolution et contre-révolution se délimitent en leur sein même. C'est pourquoi, contrairement aux conseillistes, aux soviétistes,... qui font l'apologie a-critique des shoras, nous avons tenté de saisir, dans ce processus, les forces et les faiblesses du prolétariat, en soutenant et en agissant ouvertement dans le sens de l'affirmation du pôle révolutionnaire.
Comme on a pu le constater au travers de leurs consignes et drapeaux, les shoras concentrent le même type de forces et de faiblesses que les conseils, les soviets et autres organisations prolétariennes caractéristiques des moments insurrectionnels. A côté d'un ensemble de demandes démocratiques, nationalistes et même parfois ouvertement conservatrices, on trouve un ensemble de consignes exprimant la combativité, la force et la détermination classiste des prolétaires en lutte.
Les shoras se structurent dans et pour la lutte. Néanmoins cela ne veut pas dire qu'ils aient surgis de façon spontanée, comme le prétendent toujours les tenants du spontanéisme ou du conseillisme. La nécessité historique spontanée, comme dans le cas des soviets de Russie ou des conseils dans d'autres pays, se concrétise toujours dans des hommes et des femmes de chair et de sang qui, de façon consciente et volontaire, organisent ces structures. Comme nous le verrons plus loin, le surgissement des shoras fut précédé par une "ligue" ou comité formé d'une minorité insurrectionnaliste organisée pour la préparation insurrectionnelle.
Seule une minorité de prolétaires est armée et organisée, et c'est pourquoi le comité lance un ensemble d'appels et de directives pour récupérer les armes là où elles se trouvent. En même temps, un ensemble d'organisations révolutionnaires assument l'indispensable rôle de s'armer et d'armer le prolétariat. "Perspective Communiste", par exemple, se charge de répartir quelques grenades, armes et munitions aux points névralgiques, ainsi que d'armer certains membres du comité. D'autres groupes, comme le "Groupe d'Action Communiste" (G.A.C.), qui participent au comité ainsi qu'aux différentes structures de quartiers et aux shoras, se donnent pour tâche d'exproprier les chefs de clans de leurs maisons et de leurs centres armés pour récupérer les armes et armer le prolétariat. Sans la préalable action conspiratrice et cette action d'avant-garde organisée, il n'aurait pas été possible de gagner la bataille insurrectionnelle de mars 1991 à Soulaymania.
Voici ce que nous en dit un camarade:
"Le prolétariat cherchait désespérément des armes mais seules les forces communistes, marxistes armèrent le prolétariat et décidèrent l'insurrection. Les nationalistes n'y participèrent pas. Nous, nous nous sommes organisés par groupes pour attaquer les maisons des chefs de clans. En général chaque détachement ne possédait qu'un seul bazooka et des armes légères. L'attaque commença au bazooka et on chercha à atteindre le plus vite possible les dépôts d'armes. Il y avait déjà pas mal de temps que nous en avions fait l'inventaire et c'est pourquoi nous savions où se trouvaient les armes. Un autre aspect important de la préparation effectuée par les groupes révolutionnaires fut la mise à disposition de l'insurrection d'un ensemble "d'hôpitaux" de campagne pour soigner les blessés."Mais, malgré tout cela, l'organisation et l'armement restent nettement insuffisant, ce qui, dans certain cas, se paye du côté du prolétariat par des morts et des blessés et par des défaites partielles.
Un autre camarade nous donne sa version:
"Je ne me suis rendu compte de la préparation de l'action insurrectionnelle que deux jours avant, lorsqu'un camarade révolutionnaire me donna différentes consignes précises: je devais aller le 7 à 8h du matin à tel endroit armé comme je le pouvais. Quand je suis arrivé à la concentration, nous n'étions que 7. A ce moment-là je me suis dit qu'on ne pourrait pas gagner, plus tard j'ai su que la majorité du comité avait lâché l'insurrection, pensant, elle aussi, qu'on ne pourrait pas triompher, mais que de toute façon ce serait un pas important dans la lutte et l'autonomie du prolétariat. Un instant plus tard apparurent deux camarades de Rawti ("Perspective Communiste"), nous appelant et nous encourageant à nous rassembler pour l'insurrection. Ils distribuèrent des grenades. Tous ensemble nous avons parcouru les rues proches de cet endroit en appelant à la lutte et nous avons réuni en un instant quelques 50 à 60 personnes. C'est alors qu'arrivèrent deux peshmerghas bien armés (1). Les insurgés les appelèrent et leur crièrent de se joindre au mouvement mais ils ne le firent pas. Bien que nous étions un petit groupe et en infériorité totale point de vue armement, nous attaquâmes la caserne du quartier. Mais elle était trop bien protégée. Nous avons fui, repoussés et pourchassés ensuite. Notre camarade Bakiry Kassab, militant de "Perspective Communiste", mourut au cours de cette attaque. Nous nous sommes dispersés de manière tout à fait désordonnée et on a couru aussi vite qu'on pouvait. L'ennemi, mieux armé, nous poursuivait et nous fûmes encerclés jusqu'à ce que nous arrivions sur le grand boulevard. Une fois arrivés là, une grande surprise nous attendait: l'insurrection gagnait du terrain et c'étaient les baasistes qui reculaient."Ces faits comme tant d'autres que nous ont rapportés différents camarades ou structures de lutte, nous permettent d'affirmer que, malgré l'existence de ce comité insurrectionnel, d'abord dynamisateur de la structure des shoras, puis centralisateur de ces derniers, malgré l'existence de ce comité, la centralisation réelle reste très relative. Il y a énormément d'aspects chaotiques et beaucoup de combattants prolétariens sortent dans les rues avec ce qu'ils ont sous la main, sans autre structure de centralisation que celle rencontrée "spontanément" dans la rue, sans autre consigne que celle donnée par un ami d'aller à tel endroit. Les détachements de prolétaires armés se constituent très rapidement pour faire telle ou telle action et puis se dispersent; souvent les camarades qui se trouvent du même côté de la tranchée sans se connaître au préalable tissent des liens profonds et, après l'insurrection, se structurent en organisation politique. C'est précisément l'existence de tous ces groupes d'action hétérogènes participant à des actions tellement différentes, qui empêche de se faire une idée globale du mouvement: il n'y a pas deux protagonistes qui aient vécu la même situation et encore bien moins qui aient perçu politiquement la même chose. Ainsi par exemple, certaines versions insistent beaucoup sur l'autonomie opérationnelle des petits groupes centralisés par différentes structures combattantes ("Perspective Communiste", G.A.C.,...) comme élément décisif de l'insurrection, d'autres insistent plus sur la force des quelques 30.000 prolétaires (dont seuls quelques-uns possèdent une arme) qui répondent à l'appel d'un shora et se rassemblent dans leur "quartier général", l'école Awat. D'après ces derniers, cette assemblée sera décisive dans la dynamisation de tout le processus parce que c'est de là qu'on partira et qu'on gagnera les batailles importantes. Pour donner une idée de la conscience qui anime ces prolétaires (tant comme force que comme faiblesse), voici quelques-unes des consignes qui prédominèrent dans l'assemblée:
"La conscience de classe est l'arme de la liberté!"
"Ceci est notre quartier général, la base des conseils ouvriers"
"Faites des shoras votre base pour la lutte à long terme!"
"Formez vos propres conseils!"
"Apportez les marchandises et la nourriture expropriées, nous la distribuerons ici!"
"Exploités, révolutionnaires, donnons notre sang pour le succès de la révolution! Continuons! Ne le dilapidons pas!"
Les forces de sécurité n'ignorent pas que la reddition équivaut à la mort, aussi jouent-elles le tout pour le tout, sachant parfaitement que, bien qu'armées jusqu'aux dents, leur tâche sera très difficile. Jusqu'au dernier moment elles resteront en communication permanente avec Bagdad qui promet l'arrivée imminente de renforts. Profitant de la terrible carence en armes du côté du prolétariat insurgé, les militaires jettent des armes par les fenêtres de l'édifice rouge. Des centaines et des centaines de prolétaires se précipitent pour s'en emparer, s'exposant ainsi, cibles faciles, aux tirs des militaires bien armés et bien postés. Ce qui accroit encore le nombre de victimes du côté de l'insurrection (2).
Mais la rage et la détermination du prolétariat est si grande que finalement la résistance est écrasée et qu'il se rend maître de toute la ville. Pas à pas, le bâtiment rouge, tous les baraquements et toutes les maisons du quartier militaire sont conquis. Sur les façades, les impacts et les trous laissés par les balles témoignent de la guerre de classe. Les militaires survivants à l'attaque sont sortis un à un et jugés. Certains camarades avancent aujourd'hui le chiffre de 600 militaires fusillés, d'autres soutiennent qu'il y eut 2.000 militaires exécutés, mais sans doute parlent-ils de l'ensemble des affrontements et exécutions de militaires de ces journées dans toute la ville.
Il est important de comprendre que c'est au coeur de l'action, dans ces moments-mêmes où les prolétaires assument ces actes exemplaires, que se joue la lutte pour l'autonomie du mouvement. En effet, bien que pendant tout ce temps les nationalistes ne participent pas de manière organisée au processus, on n'arrive pas à se passer d'eux et encore moins à les affronter ouvertement comme le réclament les noyaux révolutionnaires internationalistes de la région. Ainsi, le fait que certains combattants prolétariens aillent consulter les chefs de l'Union Patriotique Kurde (UPK) dans les montagnes pour savoir que faire avec les militaires et les tortionnaires qui se rendent, reflète et exprime clairement la contradiction du mouvement et l'ambivalence des shoras. Noshirwan, le chef militaire de l'UPK, insiste pour que l'ennemi ne soit pas exécuté, arguant que "l'on pourra l'utiliser plus tard" (!?!). Des faits similaires se reproduiront par la suite, exprimant l'ambivalence de certains shoras. Le manque de confiance du prolétariat en lui-même l'incite à demander à ses pires ennemis de prendre les décisions et la direction des opérations; plusieurs secteurs du prolétariat, non conscients de leur propre force, se tournent vers l'opposition officielle qui leur semble sérieuse et efficace. D'autres membres des shoras adoptent, quant à eux, la position antithétique: ils veulent tuer les militaires et traîner leur cadavre dans les rues pour que tout le monde sache "le genre de tortures que ces assoiffés de sang sont capables d'infliger aux prolétaires". Finalement, et exception faites de quelques tortionnaires connus pour leur cruauté qui seront mis en pièce par les insurgés, c'est la liquidation pure et simple qui s'impose, non sans problèmes et discussions houleuses au sujet de qui mérite la mort. En effet, comme dans beaucoup d'autres villes du Kurdistan, les forces répressives baasistes vivent concentrées dans leurs quartiers: on y torture, on y tue,... et, à quelques mètres de là, dorment, mangent, vivent les familles des tortionnaires. Elles sont tellement haïes qu'elles ne pourraient pas vivre ailleurs. De plus, la majorité des familles de tortionnaires (et particulièrement les femmes) participent aux tortures. Les bâtiments (l'édifice central, les lieux d'interrogatoires, les maisons familiales, les centres de tortures) sont disposés de manière telle qu'il est difficile d'imaginer que quelqu'un puisse vivre là sans participer d'une manière ou d'une autre à la torture et à l'assassinat des prisonniers. Lorsque le prolétariat prend possession de ces locaux, il arrive qu'il ne prenne pas le temps de discuter ou de juger, la haine de classe est telle que certains groupes exécutent tous ceux qui se trouvent à l'intérieur sans autre critère que celui de la barricade physique. Mais, dans la plupart des cas, des critères plus classistes sont imposés. Ainsi, à Soulaymania, on laisse la vie sauve aux enfants et à certaines femmes qui n'ont pas participé aux tortures et aux exécutions de prisonniers; ils peuvent sortir du bâtiment avant l'exécution massive des militaires tortionnaires et de leur famille complice.
L'insurrection s'étend comme une traînée de poudre, des soulèvements similaires se produisent dans d'autres villes où l'insurrection triomphe également. A Arbil, 42 shoras sont créés et en trois heures de combats seulement les prolétaires armés se rendent maître de la situation. Ensuite ce sont Kalar, Koya, Shaqlawa, Akra, Duhok, Zakho,... Les casernes proches des villes, comme les énormes installations militaires de Soulaymania, centre stratégique de toute la région, sont encerclées par les déserteurs et d'autres prolétaires en armes. Les forces centrales parviennent à sauver plusieurs officiers de l'armée en les recueillant par hélicoptères. Le reste, la masse des soldats, se rend sans combattre et la majorité passe aux côtés de l'insurrection.
Les nationalistes ne commencent à participer activement à l'action directe avec présence effective dans la rue que deux ou trois jours après le triomphe de l'insurrection. Leur premier acte consiste à prendre l'argent des banques et les véhicules militaires, à occuper les bâtiments et autres propriétés abandonnés par le gouvernement, dont les prolétaires se sont emparés et qu'ils ont ensuite abandonnés également (3). Cet abandon de propriétés, d'armes lourdes, de véhicules,... révèle que s'il est capable de lutter contre un ennemi, le prolétariat n'a pas encore la force de lutter pour lui-même, d'assumer la direction de la révolution qu'il a entamée. Autrement dit, notre classe exprime par là sa conception de la révolution: une négation encore purement négative du monde actuel, un simple rejet, une simple négation, sans affirmation de tout ce que la négation révolutionnaire de ce monde contient de négation positive. Le prolétariat a la force d'exproprier mais pas celle de se réapproprier ce qu'il a exproprié ni de le transformer révolutionnairement en fonction de ses objectifs révolutionnaires universels. Comme en Russie en 1917, le politicisme constitue une idéologie dominante au sein même des prolétaires les plus décidés. On sait quoi faire contre les baasistes mais quand il s'agit d'affronter socialement le Capital, on est perdu. Cette limite générale résulte d'une confusion (largement répandue dans notre classe) qui amalgame systématiquement l'Etat et les baasistes, la lutte contre le Capital et la lutte contre le gouvernement,... Cette confusion généralisée que les fractions communistes et internationalistes n'eurent pas la force de liquider a été précieusement maintenue et développée par les nationalistes. Et elle leur est aujourd'hui encore d'une toute grande utilité.
Une fois les centres névralgiques de la ville occupés, les armes lourdes et les véhicules militaires contrôlés par les nationalistes, le reste n'est plus qu'une question de temps. En quelques jours (entre le 7 et le 20 mars) les nationalistes, qui n'étaient jusque là qu'une force peu présente et "suivaient" la masse, prennent progressivement le contrôle de la situation. Les groupes révolutionnaires et les prolétaires les plus actifs sont incapables de donner et d'assumer des directives militaires claires. Ils ne savent que faire des casernes, des tanks et des véhicules militaires. Ils se contentent de se munir de munitions et d'armes légères et, dans le meilleur des cas, ils incendient les véhicules pour empêcher que les nationalistes ne s'en emparent. Non seulement ils ne se donnent pas les moyens de contrôler la production et la distribution de ce qui est nécessaire à la vie, mais en plus ils ne s'approvisionnent même pas du minimum indispensable en aliments, médicaments, moyens de propagande, etc.
A leur arrivée dans la ville, les nationalistes appellent à la dissolution des shoras, mais ils n'obtiennent aucun résultat; plus tard, en position de force, après s'être emparés des centres névralgiques, ils utiliseront la méthode beaucoup plus efficace de la négociation et auront le prolétariat à l'usure. Si, comme on l'a vu plus haut, il y a des shoras dominés ou fortement influencés par les positions démocratiques et nationalistes, la Centrale, malgré la participation de partis et d'organisations bourgeois, se définit "pour le communisme", pour "l'abolition du travail salarié" et prend ouvertement position contre les nationalistes.
Peu à peu, et à mesure qu'ils structurent leur pouvoir effectif sur la ville avec l'appui et la bénédiction des forces d'intervention de la bourgeoisie mondiale, les nationalistes, qui n'ont toujours pas réussi à détruire les shoras, tentent de s'en emparer en y intégrant leurs militants et en y imposant leur propre direction bourgeoise. C'est alors qu'apparaissent pour la première fois un ensemble de shoras nationalistes, social-démocrates, populistes, partisans du grand front populaire contre Saddam Hussein.
Au même moment, les nationalistes, désireux de briser la force exprimée par la Centrale des shoras, lui proposent une négociation qui va l'entraîner dans la tragédie de tout fonctionnement assembléisto-démocratique et la placer dans l'incapacité d'adopter une direction révolutionnaire unique. La Centrale est divisée: d'un côté, il y a ceux qui considèrent les nationalistes comme des ennemis et s'opposent à toute négociation; de l'autre, ceux qui acceptent la négociation et qui concentrent un ensemble de confusions et d'inconséquences sur la question du nationalisme, embrassant l'idéologie d'un grand front populaire anti-baasiste.
Il est clair que le problème n'est pas de négocier ou non. Mais, accepter dans de telles circonstances de négocier avec les nationalistes contre les baasistes, contient comme présupposé implicite et indéniable, l'idéologie du moindre mal et, en dernière instance, du frontisme. Dans les faits, "le réalisme" triomphera, entraînant le gros du mouvement à renoncer à ses propres intérêts. A partir du moment où la négociation est acceptée, deux éléments décisifs pour la liquidation de l'autonomie et des intérêts du prolétariat vont s'imposer: primo, le fait de considérer Saddam comme ennemi principal et Kirkuk comme objectif essentiel, et, secundo, la nécessité de faire régner l'ordre contre le chaos.
Comme le prolétariat n'a pas su imposer sa loi, la résistance prolétarienne et même les expropriations nécessaires à la survie en viennent à être considérées comme un chaos, tandis que les nationalistes se présentent (et sont perçus) comme unique garantie du maintien de l'ordre. Dans l'immédiat, les peshmerghas commencent à faire respecter l'ordre capitaliste et la propriété bourgeoise: ils arrêtent les prolétaires qui "dérobent" un sac de riz pour manger, et, discrètement, désarment les prolétaires isolés (pour le moment, les pehsmerghas n'ont ni la force ni le courage de toucher aux groupes internationalistes).
Nous devons ici faire une parenthèse importante au sujet de la guerre pour la prise de Kirkuk. Dès le début de l'insurrection à Soulaymania, les nationalistes pénètrent en force dans la Centrale des shoras à laquelle, non seulement ils se soumettent, mais dont ils prennent formellement la direction, utilisant évidement les prolétaires qui se placent sous leurs ordres comme chair à canon. S'appuyant sur le fait que, pour les prolétaires, l'extension de la révolte et la solidarité avec les shoras récemment formés à Kirkuk est un objectif logique, les nationalistes poursuivent un but totalement différent: il s'agit d'une part d'assujettir le prolétariat à une guerre structurée attaquant les positions baasistes d'une ville où ils apparaissent comme la force militaire la mieux préparée, et, d'autre part, de prendre une place stratégique dans la guerre impérialiste, d'occuper ce centre pétrolier de première importance, ce qui augmentera leur pouvoir de négociation internationale et nationale. Cela constitue pour nous un moment clé dans la transformation de la guerre de classe en guerre impérialiste. Dès la prise de Kirkuk, les nationalistes négocient ouvertement avec les baasistes sous l'oeil bienveillant des forces de la coalition. Ils sont pour la première fois reconnus comme force crédible, non seulement parce qu'ils contrôlent territorialement un centre capitaliste aussi important que Kirkuk, mais aussi parce qu'ils apparaissent pour la première fois comme une force capable de disputer au prolétariat le contrôle de la situation dans les villes insurgées, et donc comme une fraction efficace de l'ordre bourgeois international pour contrôler le prolétariat, préoccupation centrale de la Coalition à la fin de la guerre.
Bien sûr, certains shoras, comme celui de "Perspective Communiste" et d'autres dans lesquelles la présence de militants internationalistes est importante, tentent de participer à l'action de façon autonome. Mais les nationalistes prennent rapidement le dessus. S'étant tout approprié, ce sont eux qui détiennent l'argent, les locaux pour se réunir, les indispensables armes lourdes, les médicaments et autres équipements pour soigner les blessés, et donc la force matérielle d'imposer leurs directives. De nombreux camarades internationalistes reprochent à "Perspective Communiste" et à d'autres groupes de n'avoir pas totalement rompu avec les shoras à ce moment-là et d'avoir continué à participer au comité. Il s'agit en effet d'un moment clé dans lequel se vérifient les faiblesses programmatiques des groupes d'avant-garde dans la région. Comme certains d'entre eux le reconnaîtront par la suite, cela ne suffisait pas de définir le nationalisme kurde et le mouvement chïite comme des mouvements sociaux bourgeois, encore fallait-il évaluer correctement la possibilité que ces forces s'imposent. Il était indispensable de les affronter dans l'action pratique quotidienne tout autant que les baasistes.
Nous ne pouvons nous empêcher de faire le parallèle historique entre cette situation en Irak en 1991 et les événements qui se produisirent en Espagne en 1936, après le triomphe du 19 juillet. Dans les deux cas, l'insurrection prolétarienne a triomphé sur une partie du territoire d'un pays, à partir d'une ville-clef (Barcelone-Soulaymania), laissant le reste du pays aux mains de la fraction "fasciste" (Franco-Saddam). Dans les deux cas, le prolétariat s'est armé et a affronté cet ennemi "fasciste" en agissant en dehors et contre les organisations populistes et démocrates (républicains "communistes", social-démocrates,... et en général tout le spectre parlementaire de la bourgeoisie) sans parvenir à imposer sa propre dictature de classe. Dans les deux cas, le prolétariat a triomphé militairement, créant ses propres organisations unitaires de classe (comités d'ouvriers, de paysans, de miliciens et de marins - shoras), et sa victoire a été préparée par l'action conspiratrice et d'avant-garde militaire de groupes révolutionnaires constitués de longue date ("Solidarios", "Nosotros",... - "Perspective Communiste", G.A.C., S.S.F.A.,...). Pourtant, dans les deux cas également, le prolétariat, incapable d'assumer socialement sa dictature, s'est trouvé paralysé au moment de son triomphe par l'absence de direction révolutionnaire au sens le plus pratique et programmatique du terme: il ne savait pas quelle était la direction à assumer. Se situant clairement contre la contre-révolution dans ses formes les plus ouvertes, pour les écraser, il était incapable (malgré tous les discours et tous les drapeaux) d'agir pratiquement pour la révolution sociale. Dans les deux cas, l'ennemi "fasciste" continua la guerre, et l'ennemi républicain, profitant du manque d'initiative sociale du prolétariat, le caressa dans le sens du poil (comme on caresse un porc pour qu'il se détende avant de le saigner) et l'invita à négocier pour s'associer dans une guerre contre "l'ennemi principal". L'adhésion à cette guerre populaire reconnaissant les républicains et les démocrates comme alliés (c'est-à-dire la guerre impérialiste) rencontra d'énormes résistances prolétariennes. Mais dans les deux cas, un autre élément permit non seulement qu'une part importante de la majorité des forces prolétariennes s'engagent dans une lutte contre les "fascistes" qui prit aussitôt l'aspect d'une guerre de front (autant impropre au développement de la révolution sociale, qu'elle est adaptée à celui de la guerre impérialiste), mais aussi que les républicains se présentent comme carte indispensable pour gagner cette bataille, au moment même où ils fortifiaient leurs positions sur le reste du territoire contre l'autonomie du prolétariat. Cet élément, c'est, dans les deux cas, une ville (hautement symbolique pour des raisons historiques). Une ville où le prolétariat révolutionnaire livre une bataille désespérée contre un ennemi supérieur en armes. Dans l'Espagne de '36, c'est Saragosse. C'est pour elle, dans l'interminable bataille pour sa reconquête, qu'est sacrifiée la lutte menée à l'arrière contre la bourgeoisie républicaine et qu'on gaspille une partie des meilleures forces -au sens de l'autonomie de classe- du prolétariat; en Irak, en '91, cette ville, c'est Kirkuk, et pour gagner la bataille, non seulement les shoras prolétariens jouent leurs meilleures forces, mais c'est grâce à cette bataille que les nationalistes marquent un pas important (tant au front qu'à l'arrière) dans la consolidation du front anti-Saddam.
Au Kurdistan, la situation est infernale: manque de nourriture, pénurie d'eau, détérioration violente du niveau d'hygiène,... la peur des pillages a déchaîné la guerre ouverte entre fractions bourgeoises, entre nationalistes, et entre certaines de ces fractions (l'UPK) et les islamistes.
Les contradictions entre le Parti Démocrate du Kurdistan Irakien (PDKI) et l'Union Patriotique Kurde (UPK) sont à ce point explosives que le Kurdistan est actuellement divisé en deux régions sur pied de guerre. Pour la première fois dans l'histoire, ces deux régions sont devenues l'arène de rivalités politiques. Le développement du régionalisme, ici comme partout, constitue une force de déstructuration de la lutte du prolétariat. Ainsi aujourd'hui, il y a d'un côté Soran, avec pour "capitale" Soulaymania, contrôlée par l'UPK (Talabani), et de l'autre Badinan (région d'origine de la famille de Barzani), où se trouvent Zakho et Duhok, sous contrôle du PDKI. Arbil est la seule ville qui se trouve sous le contrôle simultané et contradictoire des deux forces bourgeoises et elle constitue en même temps une frontière entre les deux régions en conflit.
La lutte interbourgeoise prend des formes très violentes, les deux fractions du capital tentant de mobiliser le prolétariat à son service et de canaliser en son sens toutes les contradictions de classe qui normalement se développent contre la propriété privée et l'Etat. Un exemple: après la guerre, beaucoup d'habitants de Soulaymania et d'autres villes de la région sont partis à la campagne où ils se sont installés pour bâtir une ferme et cultiver la terre. Ces terres appartenaient à de grandes familles bourgeoises (dans ce cas, au PDKI de Barzani (4)) qui, maintenant, veulent les récupérer et en expulser les occupants. Mais certains ont décidé de refuser l'expulsion et pour se faire se sont organisés et se sont défendus les armes à la main: les affrontements provoquèrent de nombreux morts des deux côtés. L'UPK, profitant de l'occasion, s'est présenté comme le porte-parole de la lutte contre les expulsions intentées par le PDKI, et sur cette base, il encadre (et/ou prétend encadrer) cette lutte élémentaire pour la survie tout en essayant de l'entraîner sur le terrain de la guerre interfractions. Mais même ainsi, l'affrontement génère des contradictions des deux côtés. Par exemple, lors du conflit armé, Talabani, qui se trouvait en Hollande, n'osa pas rentrer au Kurdistan de peur de se faire descendre, y compris par ses propres troupes.
La route vers Soran a été bloquée par le PDKI pendant 2 mois sous prétexte de guerre, avec pour conséquence directe que les vivres n'entraient plus dans la région, que les commerces se vidèrent et que les gens moururent de faim. Les déplacements entre les deux zones sont difficiles et dangereux parce que, bien que la frontière ait été officiellement réouverte depuis peu, la situation reste si explosive que les gens de Soran ne s'aventurent plus dans la région de Badinan, et vice-versa. Il y a eu des dizaines de cesser-le-feu et de traités de paix, mais les affrontements ne cessent pas. Officiellement, le nombre de tués dans les derniers combats est estimé à 2.500, les différents quartiers généraux du PDKI dans la région de Soran ont été attaqués et pillés par l'UPK, la même chose s'est produit dans l'autre région en sens inverse...
La vie quotidienne s'est transformée en cauchemar: tandis que se multiplient les échauffourées entre le PDKI et l'UPK, les prix triplent tous les trois mois... Cet enfer pousse de nombreuses personnes à s'enrôler chez les peshmerghas car cela leur assure de la nourriture et de l'argent trois ou quatre fois par mois ainsi que l'autorisation de garder des armes en leur possession, armes qui, si elles ne sont pas utilisées contre leurs propres officiers, servent à ces peshmerghas à défendre leur vie.
Voilà un moment, en effet, que ni le PDKI, ni l'UPK ne contrôlent plus leurs troupes. Elles se sont autonomisées et imposent la loi de la jungle pour pouvoir survivre: elles ont inventé de nouveaux impôts et se livrent à toutes sortes d'extorsion au nom de leur organisation sans l'en avertir. Ainsi, à Arbil, les peshmerghas pillent les commerces en plein jour, ce qui n'est nullement la politique officielle du PDKI ou de l'UPK. C'est une pratique courante et les gens sont obligés de défendre leur maison les armes à la main.
Pourtant, alors qu'on annonçait la tenue d'élections pour le mois de mars 1995, les deux fractions bourgeoises les plus importantes du Kurdistan tentèrent de réorganiser leurs troupes pour faire face à l'ennemi en même temps qu'elles essayaient d'améliorer leurs relations avec la bourgeoisie occidentale et se disputaient le soutien du Département d'Etat américain et des divers services de l'appareil militaire occidental. En fonction de leurs capacités respectives de contrôler les prolétaires et en regard de l'état de leurs relations avec les forces de l'ordre impérialiste mondial, ces deux fractions oscillaient entre une politique agressive et une politique pacifique. Ainsi, alors que Barzani se déclarait en faveur de la paix, pour réunir les familles, par respect pour les commerçants, pour arriver à un compromis qui permette la tenue de ces élections, apparaissant ainsi comme le tenant de la conciliation nationale kurde, Talabani, qui contrôlait encore moins ses troupes, mais percevait sans doute plus clairement l'incapacité de la bourgeoisie à offrir une alternative valable à la lutte prolétarienne (bourgeoisie qui ne voit de possibilité de paix sociale que dans la repolarisation bourgeoise et la guerre), Talabani se présentait beaucoup plus comme partisan de la solution militaire tant contre Barzani que contre les baasistes. Il parlait ouvertement d'une offensive militaire et de l'occupation de Kirkuk. Mais, comme nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, il est absurde de parler de fraction bourgeoise plus agressive, plus militariste ou plus impérialiste que l'autre. C'est le Capital qui est militariste et agressif et, généralement, la fraction la plus forte sur le plan militaire, celle qui obtient de bons résultats sur ce terrain fait apparaître l'autre comme la plus militariste (comme cela s'est passé lors de la "Seconde" guerre mondiale). Et c'est sans grande surprise que l'on constatera que la fraction qui donne le saut de qualité dans les hostilités se trouve dans un relatif isolement sur le plan international (5) (indépendamment des rumeurs circulant sur le fait que untel ou untel "est soutenu par la CIA", il est difficile de connaître les alliances et les engagements car ils se nouent dans le plus grand secret) et stratégiquement bien faible pour contrôler les siens et imposer ses intérêts.
Guerres locales, blocus, faim,... et terrorisme d'Etat sont les grandes perspectives que continue d'offrir le capitalisme dans la région. Toutes les fractions bourgeoises, qu'elles soient islamistes, nationalistes, baasistes ou autres... implorent la population de respecter les camions chargés de vivres venant de Turquie qui traversent quotidiennement le Kurdistan en direction de Bagdad, et il n'y a rien que de très logique dans le fait qu'elles s'associent pour priver le prolétariat de toute propriété, y compris de ce qui est nécessaire à sa survie. Mais, heureusement, il y a toujours des prolétaires qui font fi de ces consignes et qui s'affrontent à la sacro-sainte propriété privée. A ce propos, voici une histoire réelle et exemplaire qui remonte à 1993. Non loin de Soulaymania, sur la route qui passe à proximité d'un quartier retiré, plusieurs camions transportant des vivres avaient été attaqués et pillés. Pour tenter de faire cesser ces assauts, les autorités envoyèrent dans le quartier plusieurs délégations chargées de renouer le dialogue et d'enrayer les pillages. Chaque tentative échoua, l'une après l'autre. Plus tard, les secteurs organisés qui réalisaient ces expropriations firent un pas en plus en déclarant que pour leur subsistance, à partir de ce jour, ils s'empareraient systématiquement d'un camion sur trois. Alors, les nationalistes de Soulaymania envoyèrent l'un de leur plus populaire leader, un de ceux qui s'était distingué par son courage dans la lutte contre les baasistes, et ils lui confièrent pour mission de trouver une solution avec les gens du-dit quartier. Lorsqu'il s'y présenta, entouré de ses gardes du corps, il fut reçu à coups de fusil. Un de ses gardes y laissa la vie, deux autres furent blessés et le quartier continua à piller un camion sur trois pour assurer sa subsistance.
Aujourd'hui encore les attaques de camions, les prises de dépôts de vivres, les expropriations de commerces et autres pillages mais aussi les explosions sociales, les attaques de locaux officiels, l'expropriation d'organismes humanitaires, les grèves et les manifestations violentes,... restent monnaie courante. Il y a un peu partout des petites bandes armées qui attaquent les propriétés des bourgeois dans la région.
En ce qui concerne les groupes de militants qui se définissent par l'internationalisme, cela fait déjà un moment que s'est ouverte une période de ruptures, de bilans, de décantation, de convergences nouvelles, etc. qui se traduit par un changement permanent impossible à résumer. Les fusions qui donnèrent naissance au Parti Communiste Ouvrier, par exemple, se firent sur base de rejets programmatiques importants de la part de structures ou de fractions d'organisations qui jusque-là convergeaient et ne furent pas capables d'offrir une alternative révolutionnaire à la guerre impérialiste qui se développait entre les fractions nationalistes kurdes: leurs locaux se vidèrent, les militants de ces groupes se dispersèrent.
Ceci, ajouté à la difficulté toujours plus grande d'assumer une action publique, à l'insécurité permanente des déplacements, à la rupture des communications, à la nécessité d'un bilan et d'une auto-critique sur de nombreuses erreurs,... a fait que les noyaux révolutionnaires les plus intéressants et ayant le plus de perspectives internationalistes dédient, dans cette phase, le meilleur de leurs forces à la formation, à la réalisation d'un bilan de la lutte et à la discussion théorique ainsi qu'à la difficile tâche de maintenir des contacts internationaux. Il est évident que ce processus recèle aussi de la dispersion, de l'isolement, du découragement et de la désorganisation. Beaucoup de camarades cherchent à sortir de la région (ce qui est très difficile car ceux qui échappent aux forces répressives des nationalistes au Kurdistan ne peuvent "disparaître" dans les pays limitrophes: en Turquie, Irak,... il suffit d'être "kurde" pour être considéré suspect et subversif par les services de police), mais cela n'a pas empêché qu'une poignée de camarades restent en contact et assurent les tâches de toujours en publiant des manifestes et des tracts révolutionnaires contre la guerre (spécialement le groupe "Lutte Prolétarienne", ex-"Groupe d'Action Communiste", ainsi que nos camarades du GCI sur place). Ils ont même réussi à faire connaître les thèses et les positions de notre groupe dans la région, tant en kurde qu'en arabe, et ce malgré toutes les falsifications et les provocations dont nous fûmes l'objet (6).
Pour terminer, il est indispensable d'insister sur la situation critique des camarades internationalistes de la région. Situation critique du fait de la misère, de la difficulté d'agir, de communiquer, de résister au désarmement, mais aussi du fait de la difficulté d'exprimer, à contre-courant des polarisations basées sur les nouvelles guerres interbourgeoises, une issue révolutionnaire et internationaliste.
Et ce sont ces camarades eux-mêmes qui nous somment d'agir. Il faut mener l'action internationaliste contre notre propre bourgeoisie où que nous nous trouvions. Il faut donner le meilleur de nos forces pour diffuser cet exemple extraordinaire du prolétariat au Kurdistan, désintégrant une armée, tuant les militaires, les assassins et les tortionnaires. Car si l'on s'est tant acharné à cacher ce qui se passait en Irak en mars 1991, c'est parce que la bourgeoisie du monde entier tremble d'horreur à l'idée que cela puisse se produire ailleurs.
Notre tâche est d'oeuvrer à ce que la révolution se développe partout, pour empêcher que, comme par le passé, la bourgeoisie isole la lutte à un seul pays, pour que tant quantitativement que qualitativement nous allions plus loin encore, pour que le prolétariat de tous les pays lutte contre sa propre bourgeoisie et détruise ses bastions, fasse sauter les commissariats, ouvre les prisons, détruise l'armée et la police, exécute les tortionnaires, et surtout, prenne en main la révolution communiste, en s'appropriant tout le pouvoir de la société, tous les moyens de production pour détruire le salariat, la marchandise, les classes sociales, l'Etat,... enfin, pour réduire à néant ce monde carcéral de pénurie, de misère, de guerre,... et se constituer en véritable COMMUNAUTÉ HUMAINE MONDIALE.
Dès lors, l'Etat s'empresse aujourd'hui de lancer toutes ses forces (ONU, PDK, Islamistes, UPK...) à l'assaut du prolétariat et de ses luttes, profitant pour ce faire du manque d'organisation de notre classe. Cette offensive se matérialise par:
Le prolétariat révolutionnaire constitue le fossoyeur de la nation et de l'échange marchand. Toute défense de la patrie, du progrès et de l'économie nationale resserre un peu plus la chaîne qui maintient les prolétaires en esclavage. L'émancipation du prolétariat passe par le sabotage de l'économie nationale.
Autre donnée: ni les partis ni les forces nationalistes n'avaient un rôle important, ni militairement ni politiquement, au sein des conflits sociaux. Leurs régiments armés dépassaient à peine quelques centaines de personnes.
Par la suite, les vagues de soulèvements contre les conditions de vie de misère au Nord et au Sud de l'Irak, la répression et les massacres en masse pendant les années de guerre par le gouvernement baasiste, les nouvelles conditions politiques internationales créées par la Guerre du Golfe dont la condamnation du régime baasiste par la "communauté internationale" des Etats bourgeois, tous ces éléments ont créé un terrain favorable au resurgissement en force des fractions de l'opposition bourgeoise au régime en place.
Jusque là, si les soulèvements révolutionnaires avaient bel et bien été amenés à se confronter occasionnellement avec les partis et forces de l'opposition, ils s'opéraient néanmoins globalement en dehors de leur influence et sans que ces forces doivent trop clairement dévoiler la nature de leur rôle contre-révolutionnaire. Les soulèvements révolutionnaires étaient proprement autonomes et clairement en rupture avec les partis et forces de l'opposition, même si, par endroits, se manifestait une certaine influence politique et idéologique du nationalisme et de la démocratie. Mais certaines limites anti-baasiste présentes dans le mouvement ont permis que ces forces d'opposition bourgeoise l'infiltrent partiellement. Ainsi, bien que manifestant des ruptures de classe considérables, les shoras et autres associations dont le prolétariat s'est doté à ce moment comportaient également en leur sein d'importantes limites dans la rupture opérée avec la démocratie. Et c'est précisément à partir du moment où le mouvement s'est organisé sous forme de shoras, sous formes de ces associations massives, que ces partis de la contre-révolution ont pu affirmer leur présence et distiller leurs idéologies démocratico-nationalisto-populistes. Ce sont donc les limites d'une sorte de consensus anti-baasiste présent partiellement dans l'affrontement révolutionnaire qui a permis à la bourgeoisie de cristalliser, ériger en barrière, les manques de rupture au sein du mouvement.
Avec le soutien de la bourgeoisie mondiale et profitant des conditions d'isolement de la lutte des prolétaires dans cette région, la contre-révolution, personnifiée par les organisations nationalistes et les opposants au régime, réanime aujourd'hui ses cadavres. Elle tente de reprendre le contrôle des événements, et s'efforce progressivement de transformer la direction générale du mouvement et d'en faire une guerre de libération des Kurdes et du Kurdistan, c'est-à-dire une guerre liée à ses propres intérêts. En cherchant à disperser et à atomiser le prolétariat dans la guerre, les nationalistes ne faillissent pas à leurs tâches, ils ne cherchent en somme qu'à réaliser le but fixé par leur identité historique.
C'est ce moment que choisirent les nationalistes pour venir se placer, par toutes sortes de manoeuvres, aux premières positions face aux forces du gouvernement baasiste. Récupérant la lutte menée par le prolétariat, ils s'accrochèrent à cette position qui leurs garantissait ainsi la "légitimité" de renégocier, main dans la main avec le pouvoir baasiste, le partage des tâches nécessaires au maintien de l'ordre et de la société du Capital.
Les "victoires" des prolétaires ayant, à ce moment, été essentiellement militaires, il était d'autant plus facile pour les nationalistes de les limiter à cet aspect-là, scotomisant la dimension sociale du mouvement. Cette dimension a joué un rôle important dans la transformation du contenu de classe des soulèvements: le libérateur prenait à nouveau l'image du pershmergha, du moins dans le Nord de l'Irak. Et bien que les peshmerghas ne désignent pas d'office une force bourgeoise, historiquement cette dénomination renvoie néanmoins l'opinion publique, à l'institution particulière qu'est l'armée de libération de la nation kurde. Ce que représentent, dans la période actuelle, les nationalistes de l'UPK et du PDKI. Ceux-ci ont joué à fond la carte de la confusion en dénommant "peshmerghas morts sur tel ou tel front patriotique", de réels martyrs prolétariens apatrides et internationalistes.
C'est particulièrement marquant à Kirkuk où pendant l'assaut visant à libérer cette ville, des centaines de prolétaires tombés ont été identifiés, par les nationalistes, comme étant des "martyrs" de telle ou telle force bourgeoise alors qu'ils en étaient les irréductibles ennemis. L'histoire officielle s'abreuvait ainsi du sang des prolétaires pour constituer une liste de "morts pour la patrie". A chaque fois, la présence de tel ou tel contingent nationaliste suffisait à justifier cette récupération alors que, comme toujours, c'était les prolétaires insurgés qui constituaient l'avant-garde des combats et non les nationalistes.
La récupération de ces actions se doubla alors d'une manoeuvre où les nationalistes entreprirent de disperser le mouvement pour mieux l'intégrer dans leur sillage. Au moment où les prolétaires venaient d'entreprendre l'action contre l'Etat, quand le soulèvement en était encore à son tout début, les nationalistes de l'UPK et du PDKI ont essayé par tous les moyens d'apeurer, d'intimider, les populations des villes insurgées notamment par la menace d'une contre-offensive de l'armée et par la menace d'un soi-disant plan gouvernemental visant à massacrer les kurdes par un bombardement chimique. Ainsi ils ont réussi à pousser la majorité de la population (parmi eux une grande partie des familles de prolétaires qui avaient pris une part active dans l'insurrection de mars) à quitter le domicile pour aller vers les frontières iranienne ou turque. Ceux qui ont pu arriver dans des lieux sûrs -beaucoup sont morts de froid et de faim sur le chemin de l'exode- se sont trouvés là où les forces des Nations Unies et des Etats présents les attendaient pour assumer leur désarmement et leur encadrement dans des camps. A ce stade le mouvement avait perdu beaucoup de son potentiel politique et social, militaire aussi: beaucoup de positions de combat acquises pendant les luttes des mois de mars, avril, mai tombaient ainsi aux mains de la coalition formée par les nationalistes et les autres partis de l'opposition au gouvernement baasiste. En même temps, l'avant-garde qui avait voulu rester sur place était isolée et dissoute. Pendant ce temps-là, toutes les forces bourgeoises négociaient leur part dans le contrôle de la région. Après avoir profité de l'exode pour piller les maisons, récupérer le matériel et les armes réappropriées par les prolétaires insurgés, les chefs nationalistes ont invité les prolétaires à regagner leurs maisons... vides!
Sur ce terrain qu'ils ont cru favorable, ils ont commencé à mettre en oeuvre leurs plans et projets bourgeois: les négociations avec le gouvernement central (le front kurde de tous les partis), la préparation des élections libres et démocratiques, l'établissement du pouvoir kurde autonome sous la protection des Etats capitalistes mondiaux. Les prisons ont été renforcées pour ceux qui ne respectent pas leur ordre et leurs lois, les tortures et exécutions des "traîtres" ont été organisées partout.
Maintenant qu'étaient liquidées les forces armées du gouvernement central baasiste, la tâche d'imposer l'ordre dans le nord de l'Irak leur revenait tout naturellement en tant que membres historiques de l'opposition bourgeoise ayant été capables de défaire le mouvement prolétarien. Pour assumer la destruction du mouvement prolétarien, les nationalistes devaient avant tout édifier un nouveau gouvernement assurant une production et une circulation normale des marchandises et garantissant le fonctionnement des institutions de l'Etat. Il s'agissait pour les nationalistes de donner rapidement l'assurance à l'Etat mondial de l'efficacité de son travail de pacification sociale du prolétariat. Dans l'assumation de cette tâche, ils furent irréprochables! Nous sommes convaincus que pour ce genre de mission, l'Etat n'a pas aujourd'hui de plus fidèles et efficaces serviteurs.
Les forces nationalistes kurdes, préoccupées par la constitution de leur gouvernement et de leur nation, ont effectivement tout fait pour essayer d'obtenir une certaine stabilité sociale, conscients qu'ils sont que leur existence est indissociablement liée, comme toute nation, à la mise au travail des prolétaires et au bon déroulement de la production. Elles savent très bien que leur existence, en tant que nouveaux gestionnaires locaux de l'exploitation capitaliste est directement liée à leur victoire dans ce domaine.
Et s'ils rencontrent aujourd'hui des difficultés, ce n'est pas parce qu'ils "gèrent mal", comme le soutiennent bon nombre d'opposants du style "soutien critique", mais parce qu'une grande partie des prolétaires refusent de se solidariser avec leur gouvernement, son programme et ses projets. Ces prolétaires que les nationalistes s'efforcent d'appeler "citoyens" savent bien que leurs intérêts et ceux des patriotes kurdes sont diamétralement opposés. Ils sont conscients que devenir "citoyens" signifie se soumettre à la volonté de leurs ennemis pour que ces derniers s'enrichissent et renforcent leur pouvoir à leur détriment.
Les dernières interventions de l'armée turque dans le Nord de l'Irak au nom de la guerre contre l'armée du PKK (autre officine du nationalisme kurde qui agit plus du côté turc) ont prolongé les efforts internationaux pour désarmer le prolétariat de la région. L'objectif essentiel de cette opération était de nettoyer les montagnes et les maquis de la région des familles entières de prolétaires qui ne se sont pas soumis aux ordres des gouvernements et forces bourgeoises dans la région. Le danger d'un débordement insurrectionnel est à l'horizon dans tous les pays de la région: Irak, Turquie, Iran, Syrie, Palestine... C'est la peur d'un déclenchement d'une guerre de classe qui risque de dépasser les frontières qui est à l'origine de la mobilisation militaire et des manoeuvres des armées, offensive d'une ampleur spectaculaire avec l'intervention de 35.000 soldats turcs et de milliers de chars et avions de chasse.Le soutien international à cette action s'est manifesté de différentes manières. L'ONU a suspendu ses vols censés protéger le Nord de l'Irak pour permettre à l'armée turque d'agir en toute quiétude. L'armée turque a également été aidée par de nombreuses prises de vue du Kurdistan irakien photographiées par la Royal Air Force britannique, les Jaguar français et les avions Awacs de l'OTAN. Par ailleurs, des pays tels les Etats-Unis, la France, l'Allemagne ont concentré dans les mains de l'armée turque une puissance de feu impressionnante sous forme de ventes ou de dons: véhicules blindés, missiles anti-char, bombardiers, hélicoptères,...
Il faut rappeler par ailleurs qu'il a toujours existé dans la région des fractions de prolétaires extrêmement combatives, organisées à différents niveaux, qui ont surgi dans diverses périodes de luttes pour assumer les tâches révolutionnaires de notre classe. Cette continuité historique de la lutte dans la région explique le manque confiance dans les propositions nationalistes.
En ce sens, une des tâches essentielles de la bourgeoisie pour stabiliser l'ordre dans cette région est la question du désarmement des prolétaires. Les nationalistes ont d'énormes difficultés à imposer cela d'autant plus que la crainte d'un retour des armées de Saddam Hussein reste très présente. Dès lors, c'est par leur militarisation dans des camps bourgeois rivaux que s'opère le désarmement des prolétaires. Il ne s'agit pas ici de leur enlever physiquement les armes, mais de dissoudre la force du prolétariat (la lutte pour abolir toute exploitation) dans un affrontement sans lendemain, si ce n'est celui de l'éventuelle victoire de l'une ou l'autre fraction nationaliste qui aura gagné le monopole de l'exploitation et de la répression des prolétaires. Incapables d'intégrer calmement et massivement les ouvriers dans les usines de la relance capitaliste, les nationalistes ont fait de leurs armées, des usines remplies de prolétaires en habit de peshmergha qui s'entre-tuent dans des rivalités bourgeoises.
C'est à ce niveau que le prolétariat a subi sa plus lourde défaite depuis 1991. Après s'être attaqué de front à la bourgeoisie en dirigeant leurs armes contre les baasistes et d'autres fractions bourgeoises, les prolétaires se retrouvent aujourd'hui placés en ennemis de leurs propres frères de classe au lieu d'assumer la continuité de la lutte classe contre classe en s'attaquant aux différentes composantes du Front Kurde qui assure aujourd'hui la direction de l'Etat.
Cette réalité confirme le rôle crucial joué par les nationalistes dans le renforcement actuel de l'Etat en Irak. Dans la division du travail propre aux différentes fractions bourgeoises, ce sont eux qui constituent actuellement les forces les plus aptes à dissoudre le prolétariat et à en faire de la chair à canon.
Les mouvements islamistes en Irak, comme dans d'autres pays de la région, profitent d'une situation où le mécontentement et la lutte contre les conditions de vie imposées touchent une grande partie des prolétaires et où, paradoxalement, l'organisation et l'unité de classe sont encore faibles. Ils tirent parti d'une situation où la majorité des prolétaires a perdu toute illusion face aux politiques menées par les forces bourgeoises traditionnelles. Comment faire confiance à des partis qui, au nom de telle ou telle politique démocratique, au nom de la libération nationale ou du socialisme, vendent depuis des dizaines d'années des projets de bienfaisance et des promesses qu'ils sont incapables de tenir et qui concluent chaque fois leur politique par un bain de sang?
Pendant longtemps les social-démocrates et autres léninistes ont pu imposer leur programme capitaliste au nom d'un monde meilleur (1); aujourd'hui, dans une période où le communisme éprouve encore énormément de difficultés à s'imposer comme perspective, ce sont les islamistes qui, bien qu'il n'existe aucune différence de nature avec leurs collègues bourgeois athées, brandissent leur programme au nom de l'humanité. Leur pseudo-alternative céleste parait d'autant plus radicale qu'elle ne se base pas sur un plan de réforme national et immédiat, mais sur une perspective beaucoup plus universelle.
En plus de ces facteurs politico-sociaux, les islamistes disposent de cette arme particulière qu'est l'arme religieuse, une arme différente de toutes les autres parce que dans le contexte d'un au-delà qui ne s'ouvre qu'après la mort, il ne leur est pas nécessaire de proposer des solutions au monde réel et actuel. Allah réglera tout ça là-haut! L'idéologie religieuse joue ainsi un rôle particulièrement efficace pour la bourgeoisie, dans la mesure où même s'ils mentent sur l'existence de leur au-delà, comme ils ne font aucune promesse pour réformer et améliorer le monde ici-bas, cela leur épargne la critique de ne pas tenir leurs engagements. Leurs décisions politiques, leurs consultations religieuses, leur "Fatwa", viennent bien de leurs êtres matériels et charnels, mais ils les présentent comme étant les ordres de Dieu, ce qui les laisse espérer qu'ils n'auront pas à répondre de leurs actes criminels. "Nous retournerons tous auprès de Dieu et c'est lui qui jugera", plaident ces malins! Mais c'est aller un peu vite en besogne que d'imaginer garder longtemps le bénéfice de ces arguments pour cacher leur nature anti-prolétarienne.
Par ailleurs, l'Iran n'est pas loin et les conséquences de l'expérience du gouvernement islamiste en Iran, résultat de l'encadrement répressif du mouvement révolutionnaire dans ce pays, sont maintenant bien connues. Ce que les forces islamistes ont fait là-bas au nom de l'émancipation de l'homme de la civilisation capitaliste, n'a rien à envier à ce que d'autres bourgeois ont réalisé dans l'histoire. La réalité a clairement démontré que, sous d'autres vocables, les forces islamistes sont là pour assumer la même fonction que toutes les autres fractions bourgeoises qui les ont précédées: celle d'exploiter les prolétaires et d'assurer l'ordre et la stabilité du mode de production du Capital.
Les soulèvements répétitifs des prolétaires dans les villes et villages iraniens font concrètement écho à cette décrédibilisation de l'Islam et indiquent que les jours de ces bandes de bigots sont bel et bien comptés. Et quand les prolétaires s'attaqueront au gouvernement islamiste, ils ne se contenteront pas d'attaquer le gouvernement en place, ils combattront l'islam dans toutes ses variantes.
Le voisinage de l'Iran et la proximité dans le temps de ce qui s'y est passé lors de la chute du Shah réduit de fait le champ de manoeuvre des islamistes en Irak. Ceux-ci ne disposent pas non plus du bénéfice de l'image de droiture et d'honnêteté dont Khomeiny a pu jouir un temps face au Shah: ils sont déjà dénoncés par nombre de prolétaires comme des religieux dont les croyances s'inspirent directement de ce qui peut rentrer dans leur portefeuille.
Ce qui différencie la situation en Irak par rapport au reste du monde est que là-bas, tout comme dans quelques autres pays, les prolétaires ont démontré ces dernières années un niveau important de combativité qui se caractérise principalement par la continuité avec laquelle le prolétariat s'affronte à l'Etat, continuité qui date d'avant la guerre "irano-irakienne" et qui, malgré une répression féroce tout au long de ces années, n'a pas pu être matée.
Le manque d'unité et la faiblesse dans l'organisation en classe du prolétariat laissent tout le loisir aux bourgeois de se livrer les batailles nécessaires pour reprendre aujourd'hui le contrôle de la situation et savoir à qui reviendra la palme de l'exploitation des prolétaires. Et le prolétariat vivra ces guerres de fractions dans sa chair aussi longtemps qu'il ne tordra pas le cou à l'ensemble des forces qui visent à maintenir le capitalisme en place, aussi longtemps qu'il ne prendra pas pleinement en mains son projet révolutionnaire, aussi longtemps qu'il ne s'attribuera pas ouvertement la direction de son mouvement en s'organisant en classe, en force et donc en parti.
C'est directement contre l'unification du mouvement prolétarien au nord et au sud que l'Etat a partagé le pays en trois zones. Le prolétariat ne peut se réapproprier sa lutte qu'en luttant contre ces divisions géographiques et en retraçant la frontière de classe là où elle se trouve: entre ses intérêts et ceux du Capital. Reconnaître l'Etat, dans l'ensemble des fractions et forces bourgeoises, quelles que soient les régions, les dénoncer chacune, sans exception, comme étant ennemies, tel est l'enjeu de la poursuite du combat prolétarien aujourd'hui.
Pendant les soulèvements de mars 1991, des milliers de soldats déserteurs "arabes" ont refusé de tirer sur les insurgés et les populations de la région et ont montré une volonté de solidarité et de participation au mouvement. Beaucoup parmi eux avaient appelé les insurgés à venir prendre tout ce dont ils avaient besoin en armes et équipement militaire dans leurs casernes. De ces soldats, un certain nombre s'était directement rallié au mouvement et quelques uns parmi eux avaient été tués dans les combats à côté des autres prolétaires "kurdes" insurgés. Les nationalistes, profitant des faiblesses du prolétariat, surtout du manque d'organisation et de centralisation des actions, ont pu séparer ces soldats "arabes" du reste du mouvement en les prenant comme prisonniers de guerre. Ils ont rendu ces "prisonniers" aux autorités Baas, comme le demandaient les termes des négociations. Aussitôt qu'elle a mis la main sur ces soldats, l'armée irakienne a commencé à en exécuter des centaines parmi les plus actifs. Elle a ensuite renvoyé les corps de ces soldats dans leurs familles avec une lettre : "Voilà ce qu'ont fait les kurdes sauvages à notre fils !" C'est de cette manière que les bourgeois alimentent la haine entre les prolétaires : kurdes contre arabes, islamistes contre non-islamistes, noirs contre blancs... Les nationalistes de leur côté faisaient la même chose. Chaque fois qu'ils tuaient ou massacraient les prolétaires "kurdes", ils disaient que c'était l'oeuvre des Arabes!Comme les nationalistes n'avaient pas les moyens ni la force d'empêcher les prolétaires de se venger en attaquant les sièges des organisations baasistes (police, parti, services secrets, prisons...), ils ont essayé de sauver -quand ils le pouvaient!-les hauts responsables et généraux de l'armée, surtout les policiers et responsables baasistes kurdes. Ceux-ci jouent actuellement un rôle important dans leurs rangs.
Evidemment, dans leurs négociations, les nationalistes ont mis toute la responsabilité du massacre des baasistes sur le dos des prolétaires insurgés, "sauvages sans règles ni respect pour aucun ordre", y compris la responsabilité du massacre qu'eux-mêmes avaient perpétré parmi les soldats et militants baasistes de base (ceux qu'on avait forcé à prendre la carte du parti pour une raison quelconque, souvent le travail!).
Assumer cette perspective en Irak aujourd'hui, c'est:
Qui a dit que l'aide humanitaire faisait le bonheur des capitalistes ?
Le bonheur universel marchand n'est pas facile à atteindre mais n'ayons crainte, les protagonistes du "Nouvel Ordre Mondial" y travaillent. Le dictionnaire de leur oeuvre de bienfaisance comporte désormais un mot-clé supplémentaire: "humanitaire". Quelle référence que cette "humanité"! Quel désintéressement, aussi! Quoi de plus généreux en effet, que ces missionnaires armés de bibles, de médicaments et de fusils-mitrailleurs qui parcourent le monde à la recherche "d'âmes à sauver". "Sauver des hommes", quel beau projet!
Et qu'y a-t-il donc à opposer à cela? Ah! bien sûr, il se trouvera toujours des mauvais esprits pour dire que c'est "de la politique", que ces initiatives cachent mal les volontés mercantilistes et bellicistes des protagonistes, que la fonction de ces missions est de pacifier les révoltes sociales. Mais tout ça, c'est des histoires! Ceux qui formulent de pareilles calomnies ignorent sans doute que ces opérations sont soutenues par des organisations "non gouvernementales". Et pour ceux qui ne l'ont pas encore compris, "non gouvernemental", ça veut dire que ce n'est pas du tout lié à "la politique". Donc quand ces organisations prônent les Droits de l'Homme, la Démocratie, la Paix, exactement comme le font leurs gouvernements, c'est par osmose et non par servilité. Et puis "non gouvernemental", ça veut dire également "qui ne dépend pas du gouvernement" et qu'il n'y a donc aucune raison de douter du caractère indépendant de la présence de ces organisations aux côtés des armées de leur pays. Il faut vraiment avoir l'esprit mal tourné pour imaginer que ces ONG servent de caution à l'impérialisme de l'une ou l'autre fraction en présence.
Prenons l'exemple du Rwanda. Les armées françaises et américaines ne se sont pas déplacées récemment dans la région pour tenter de "reconquérir certaines positions perdues par d'autres états", comme de mauvaises langues l'ont sous-entendu. Pas du tout. D'ailleurs, ils le clament bien fort. La France: si on débarque avec des milliers de soldats "c'est pour installer une zone de sécurité humanitaire". Les USA: "c'est pour collaborer à l'effort humanitaire". C'est clair, non?
Prenons l'Irak maintenant, un autre exemple du désintéressement des ONG et des états. En 1991, des dizaines de milliers de kurdes fuient les menaces de massacre et se retrouvent bloqués dans les montagnes, affamés. Que fallait-il faire d'après vous? Les laisser mourir de faim? Non! Donc on les a nourris. C'est ça tenir compte de l'intérêt des êtres humains! C'est ça l'humanitarisme! L'ONU a simplement demandé qu'ils remettent leurs armes en échange de la nourriture (souvent périmée) qu'on leur distribuait parcimonieusement. Certains ont parlé de chantage à cette occasion. C'est exagéré! N'oublions pas qu'en armes, ces masses de prolétaires (pardon! nous voulions dire "ces masses de kurdes", il n'y a pas de classes sociales quand on parle "humanitaire"!) risquaient de continuer à échapper au contrôle que le "nouvel" état kurde mettait en place. C'était trop dangereux. Il valait donc mieux les réduire à l'état de mendiants et les faire se battre entre eux pour quelques grains de riz, plutôt que de risquer qu'ils leur viennent à l'idée d'utiliser ces armes contre la propriété privée et l'Etat. Eviter la révolution, ça vaut bien quelques tonnes de médicaments, non?
"Eviter la révolution", voilà précisément le but que se sont fixées les entreprises présentes à un salon organisé par une agence de création d'événements. Ne nous moquons pas! Créer un "événement" pour rassurer les réseaux humanitaires quant à leurs véritables intentions est loin d'être inutile; il est même indispensable de rappeler périodiquement que l'oeuvre humanitaire a pour but de maintenir en place la démocratie, les élections, le travail, bref la paix sociale et l'harmonie entre les classes. Ce salon des "partenaires de l'humanitaire" a donc eu lieu les 1er, 2 et 3 février 1996 à Bruxelles (Belgique) et était financé par bon nombre d'entreprises. Il rassemblait, dans une intime et tendre communion, des "pouvoirs publics", des entreprises diverses et une centaine d'organisations "non gouvernementales". Et tout ce beau monde de débattre tranquillement de l'intérêt que représente le travail humanitaire pour empêcher tout type de situation "révolutionnaire".
Ecoutons plutôt Claude Bébéar, le patron du groupe Axa, deuxième assureur français et invité prestigieux de ces folles journées pleines de sentiments humains: "L'entreprise est citoyenne, parce qu'elle paie des impôts et contribue à la richesse du pays. Mais elle doit aussi faire en sorte que la Cité tourne bien, c'est-à-dire, dans le sens de ses intérêts: si une révolution éclate, fini les affaires!". Voilà quelqu'un qui ne tourne pas autour du pot! Là où la plupart des bourgeois ont honte d'affirmer leurs motivations profondes, Claude Bébéar lui, débarrassé de tous ces scrupules qui empêchent le capitaliste d'appeler un chat un chat, proclame ouvertement la poésie actuelle de la nouvelle religion philanthropique internationale: "Si nous faisons dans l'humanitaire, c'est pour que tu fermes ta gueule, prolétaire!".
Il est tellement rare de nos jours de croiser d'aussi sincères adeptes de la paix sociale universelle qu'on ne résiste pas au plaisir de le laisser s'exprimer encore: "Certes, le premier rôle de l'entreprise, est de créer des richesses et de réaliser des bénéfices. Mais au-delà de cet objectif, elle doit contribuer à ce que nos compatriotes vivent bien pour qu'ils n'aient pas envie de tout fiche en l'air. Si on laisse s'aggraver les gros problèmes actuels d'exclusion, on va vers l'explosion, et notre entreprise en sera la première victime."
Béat d'interrogation, le parterre des curés d'"Entraide et Fraternité", de "Télévie" ou de "Médecins sans Frontières" n'en revient pas. Toutes ces "Jeanne d'Arc" croyaient soulager les maux de la terre par leur action et ne voilà-t'il pas qu'un de leurs grands chefs capitalistes leur apprend qu'ils sont là pour maintenir la paix sociale et préserver ainsi les bénéfices des entreprises! Eux qui croyaient qu'il n'y avait que les communistes pour formuler de pareilles énormités! Non, non, c'est Claude Bébéar qui le dit: pour éviter la révolution, il faut "prendre en charge une petite partie de la misère humaine, chez nous ou à l'étranger".
Bon, c'est pas grave! De toute façon, le boy-scout humanitaire n'est pas là pour faire de la politique, l'important c'est d'être utile à la société. Alors tant pis si en soulageant l'un ou l'autre exclu pour empêcher qu'il ne se révolte, il favorise surtout le maintien d'un système qui produit quotidiennement 40.000 morts de faim. La conscience est soulagée et c'est ce qui compte.
Mais taisons-nous, Bébéar renseigne encore les bonnes soeurs humanitaires sur d'autres aspects importants de leur mission. Pour les employés d'AXA, explique-t-il, savoir que "leur" entreprise fait dans les "oeuvres" les encourage à travailler plus et mieux: "(Cette prise en charge d'une petite partie de la misère humaine) est un devoir moral qui conférera bonne conscience à ses servants, mais c'est aussi un très bon moyen de motiver les troupes, qui permettra d'améliorer les résultats de l'entreprise".
Mais voilà une oeuvre importante à développer pour tous ces militants humanitaires subsidiés par les fonds "non gouvernementaux" de mécènes apolitiques et si désintéressés! Par leur action, non seulement ils empêchent la révolution de surgir, mais ils aident aussi les exploités à se solidariser avec leurs exploiteurs et à constituer cet "esprit de famille" si propice à la paix sociale au sein de l'entreprise! On ne voit vraiment pas ce qui pourrait encore gêner ces chevaliers du coeur dans leur activité bienfaisante. Et s'ils ont encore quelques doutes sur leur fonction, les responsables d'"Atout coeur" (sic! c'est le nom du service "opération humanitaire" d'Axa) pèseront de toute leur bonne foi dans la balance pour convaincre les derniers hésitants de la pureté de leurs intentions.
D'autant plus que, Bébéar le rappelle, "ce supplément d'âme implique une politique sociale qui soit en totale cohérence avec ce mécénat" (1). Cette déclaration faite à Bruxelles ne sera certainement pas contestée par les 190 prolétaires de la filiale d'Axa en Belgique, récemment licenciés sans trop d'espoir de retrouver un autre boulot en ces temps de crise.
Pas grave. S'ils n'ont plus de logement, et que leurs moyens de survie deviennent par trop précaires, il se trouvera bien quelque grand prêtre "non gouvernemental" qui passera par là et qui, sous les applaudissements de Bébéar, lancera l'une ou l'autre action pour les calmer. C'est ça la division du travail dans le "nouvel ordre mondial": les patrons mettent les prolétaires à la porte et les associations caritatives gèrent leurs colères sous l'oeil bienveillant des flics qui veillent au bon déroulement de l'opération... humanitaire!
C'est bien sûr au nom de la paix (sociale) que la bourgeoisie du monde entier organise sa guerre (financière, idéologique, militaire,...) contre notre classe. Evidemment les bourgeois dans ce domaine rivalisent en imagination, paix sociale et commerce obligent. Exemples: les "tunnels de détection" qui déshabillent complètement -virtuellement- un suspect. Ou encore les fusils chargés à blanc dont le canon se termine par un gros entonnoir contenant un filet circulaire d'environ 2,50 mètres de diamètre qui se déploie et enveloppe "l'élément incontrôlé" lorsque le flic lui tire dessus. Le tout, adaptable sur n'importe quelle arme pour 210 dollars. Cette invention polonaise de la firme Maskpol fait fureur chez les flics. Browning, une firme anglaise, expose des cartouches de calibre 38mm remplies de petites balles de caoutchouc ou de petits sacs de sable qui provoquent sur un manifestant l'effet d'un violent uppercut. Verney-Carron, quant à elle, fournira à la police française 500 exemplaires du Flash-ball: "l'arme révolutionnaire d'intervention rapprochée conçue pour neutraliser sans mettre systématiquement (sic!) la vie en danger".
Au-delà des aspects commerciaux évidents qu'ils génèrent, quelle fonction remplissent donc de tels salons? Rassurer le citoyen, terroriser le prolétaire! La crise se développant, et avec elle l'austérité et la misère, la terreur ne peut aller qu'en augmentant. Le prolétaire dont la survie devient tous les jours plus difficile doit trembler à l'idée de sa propre révolte. Il faut qu'il ait peur du chômage, mais aussi du flic omniprésent et tout-puissant.
Pour leur propre survie, les vampires de plus-value martèlent nos cerveaux à coups de vastes campagnes qui propagent l'idée que leur système est indestructible, que leurs techniques scientifiques rendent invincibles des super flics super armés, des Batmans en puissance qu'il est vain d'essayer d'affronter. Pour rendre ces campagnes terroristes efficace, il est nécessaire de nous maintenir isolés les uns des autres: seul au boulot, seul face à la terreur du quotidien, seul face aux chiens policiers.
Mais nos exploiteurs ont beau s'ingénier à inventer des armes toujours plus performantes et à développer leurs arsenaux, ils oublient que plus leur monde se développe techniquement, plus il est fragile. Un petit exemple: leurs super-ordinateurs ne sont pas utilisés, gérés, réparés,... seulement par des flics. Pour fonctionner, ils ont besoin d'électricité, de générateurs,... lesquels ont besoin de carburant, etc. et dans la chaîne, à tous les niveaux, notre classe est présente.
Le prolétariat a la capacité de tout subvertir lorsqu'il part en guerre contre son ennemi mortel parce que c'est lui qui produit tout dans cette société. C'est lui qui est le plus à même de paralyser la production parce que c'est lui qui se trouve au coeur de celle-ci. La lutte prolétarienne est par essence l'organisation d'une contre-terreur face à la terreur blanche. Chaque action du prolétariat organisé en classe provient des détournements de tout ce qui l'entoure pour ses besoins égoïstes de classe. Notre classe, parce qu'elle est au coeur de la contradiction du Capital (en tant que capital variable et donc reproductrice du Capital) est la seule à pouvoir tout subvertir et transformer en armes de destruction de l'exploitation: c'est alors qu'elle devient révolutionnaire.
Le prolétariat n'a pas besoin de salon d'exposition. La créativité dont il fait preuve dans sa lutte engendre toutes les inventions. Lorsqu'il se bat, son imagination est sans borne. La bourgeoisie croit qu'elle peut dormir sur ses deux oreilles et s'invente une éternité. Par sa propagande terroriste, elle tente de cacher l'inévitable: quand le prolétariat est en lutte, il est capable d'opposer toute son inventivité pour la simple raison qu'il n'est pas déterminé/limité par des impératifs de rentabilité. Lorsque nous nous battons, notre seul critère c'est la lutte pour la destruction de notre ennemi. Face à la terreur bourgeoise, le prolétariat impose sa terreur de classe. La bourgeoisie peut continuer à rêver d'invincibilité, elle n'évitera pas le cauchemar que constitue pour elle l'organisation et l'action de notre classe.
Dans le combat historique du prolétariat international, des pages glorieuses ont été écrites par des camarades, des familles, des mères, des grand-mères,... en lutte pour récupérer leurs proches. Ces dernières décennies, cette lutte, résultat du développement de la lutte de classe et du triomphe du terrorisme d'Etat dans le sous-continent latino-américain (1), a acquis une importance cruciale et déterminante. Alors que le prolétariat et ses organisations politiques avaient globalement disparus de la scène historique, alors que tous ceux qui protestaient étaient déjà morts, disparus, emprisonnés, et que la population entière tremblait de peur, les seules démonstrations de résistance, de vie, de lutte de notre classe furent menées par une poignée de mères courageuses qui osèrent sortir dans la rue pour réclamer leurs enfants et s'élever contre le régime.
Il y eu des victoires (2): on fit connaître dans le monde entier une situation que l'on occultait systématiquement, on réussit à faire réapparaître, en vie, beaucoup de camarades que les forces répressives niaient détenir, les grand-mères obtinrent que de nombreux enfants soient rendus à leur famille, on dénonça plusieurs tortionnaires et on lutta et continue de lutter contre leur impunité. Sans cette lutte constante et fervente de nos familles, sans ces expressions de protestation de notre classe contre toute l'oppression dont nous souffrons, chaque fois que nous nous retrouvons dans un cachot ou une maison de torture, nous nous sentirons encore un peu plus seul face à notre ennemi.
Mais, s'il est évident que voir réapparaître en vie un seul camarade ou la fillette d'un compagnon assassiné est incontestablement une victoire, il faut reconnaître que, d'un point de vue plus global, nous avons subi une grande défaite: la majorité des disparus ont été assassinés et d'autres le sont encore aujourd'hui, le terrorisme d'Etat continue de s'affirmer et les différentes lois par lesquelles l'impunité des criminels et tortionnaires a été approuvée continuent à donner un aval démocratique et, dans certains cas, plébiscitaire à sa légitimité.
"Ni olvido, ni perdón, PAREDÓN!" (3) clament les glorieuses mères et grand-mères de la Place de Mai en Argentine. Cette consigne que les bourgeois ne parviennent à faire taire et qui a parcouru le monde entier synthétise magistralement les nécessités de notre classe: ne jamais oublier nos compagnons tombés dans les griffes de l'ennemi en luttant pour nos intérêts, ne jamais cesser de lutter pour eux, pour leur lutte, ne jamais pardonner à ceux qui les ont fait disparaître, qu'ils soient leurs exécuteurs directs ou ceux qui étaient derrière, ne jamais absoudre ceux qui ont torturé et maltraité nos enfants, nos frères, ceux qui ont fait disparaître nos petits-enfants.
"PAREDÓN!", AU POTEAU! Pardonner, jamais! mais clairement refuser d'utiliser leur méthode, de rabaisser le genre humain comme ils l'ont fait. Soyons simples et magnanimes: AU POTEAU! La mort, simplement la mort, comme peine minimum et maximum pour mettre un point final à l'existence de cette haine particulière et sans borne (4) contre ceux qui ont violé, ceux qui ont dépecé, ceux qui ont écartelé, contre ceux qui ont utilisé des scies de bouchers pour détruire les corps de nos proches, de nos compagnons et de nos compagnes bien aimés. Il ne s'agit pas de vendetta, mais du minimum, d'une nécessité vitale dont le genre humain a besoin pour se reconstituer, pour affirmer l'amour de ses semblables, pour défendre la vie de l'espèce contre la tendance à l'avilir jusqu'à transformer l'homme en rat: et nous tenons pour entendu que, mis à part certains rongeurs, jamais les animaux ne s'auto-détruisent au sein de la même espèce.
Pour contrer cette gigantesque lutte prolétarienne que personne n'a réussi à enfermer dans des frontières nationales, qui a traversé les fleuves et les océans, qui a fait trembler les tortionnaires, les tyrans et/ou les reconstructeurs de pacification démocratique nationale, le Capital a utilisé toutes les tactiques possibles et imaginables.
Dans certains pays, tandis que la clameur des mères se généralisait, que les militaires tout puissant tremblaient en voyant se fissurer la paralysie nationale qu'ils avaient imposée, et, qu'une fois encore, des dizaines de milliers de prolétaires descendaient dans la rue, le Capital s'unifia pour répondre à la rage contre les tortionnaires et les assassins en proposant des "solutions démocratiques" pour les disparus.
Et que répond la démocratie à ceux qui continuent de crier "NI OUBLI NI PARDON!!!", à ceux qui hurlent "VIVANTS ILS LES ONT EMMENÉS, VIVANTS NOUS LES VOULONS!"? Que propose la démocratie pour les révolutionnaires disparus, les combattants du prolétariat qu'elle-même avait décidé d'éliminer? La ratification parlementaire pure et simple des actes des forces militaires, la création d'une commission d'enquête qui, au nom du peuple, constatera les assassinats, l'arrêt d'un combat considéré inutile, la transformation de l'incertitude générale quant au sort réservé aux combattants sociaux en certitude officielle de leur assassinat, c'est-à-dire, l'officialisation de la mort que le bras armé de la démocratie a semé.
Et que répond la démocratie à ceux qui crient justice, à ceux qui exigent "JUGEMENT ET PUNITION POUR LES COUPABLES" (5), à ceux qui réclament la tête des responsables, à la rue qui petit à petit redresse la tête? et que peut la démocratie contre ces minorités qui se reconstituent et savent que seule la révolution prolétarienne réglera leur compte aux assassins? Elle lutte purement et simplement pour isoler cette dernière, proclamer la réconciliation nationale, déclarer qu'on va enquêter, extirper l'offensive de la rue et l'amener au parlement, éliminer toute prétention de faire justice soi-même et promettre la justice bourgeoise. En d'autre termes, il s'agit de la transformation d'une situation où le rapport de forces se développe dans la rue et peut devenir dangereux pour l'Etat démocratique lui-même, en une situation où le prolétariat reste en dehors du jeu et où tout est bien encadré au sein de l'ordre démocratique: enquête et justice sont prises en charge par l'ordre bourgeois.
Dans certains cas, on réprime ouvertement ceux qui combattent pour leurs prisonniers, pour leurs disparus; dans d'autres, on les mystifie avec la justice, les référendums populaires, avec des consignes réactionnaires comme toutes celles qui demandent à l'Etat bourgeois, c'est-à-dire à l'ennemi, de juger les coupables. Cela revient purement et simplement à demander à l'assassin de se déclarer responsable de ses meurtres et de se punir lui-même! Autant demander des poires à un pommier!
Parmi les valeureux actes de persévérance, de lutte à l'issue victorieuses, il faut souligner le cas de Mariana Zaffaroni. (L'information qui suit est extraite du Bulletin "Hasta Encontrarlos" de la FEDEFAM N° 53 de 1992 et 56 de 1993)
Mariana, comme beaucoup d'autres bébés, fut séquestrée et disparut avec ses parents, Maria Emilia Islas et Jorge Zaffaroni le 27 septembre 1976. Ils furent séquestrés à Buenos Aires, avec d'autres révolutionnaires, dans le local de réclusion clandestin nommé "Automotora Orletti". Cette opération militaire fut réalisée grâce aux efforts coordonnés des Forces Armées d'Uruguay et d'Argentine dans le cadre de la guerre contre la subversion déclarée par les deux Etats (il convient de rappeler que cette guerre fut démocratiquement déclarée et officiellement approuvée par le parlement uruguayen en séance plénière - NDR).
Personne ne savait où Maria, Emilia et Jorge étaient séquestrés. Cependant, en 1985, grâce aux recherches obstinées et aux informations récoltées par ses grands-mères Maria Esther et Maria Castilla, ainsi qu'au travail d'enquête réalisé par les Grands-mères de la Place de Mai, Mariana est localisée chez Angel Furci et Adriana Gonzáles.
Mais l'histoire ne finit pas ici, au contraire! Entendant l'accusation judiciaire, les Furci fuient le pays et une bataille juridique de longue haleine pour récupérer Mariana commence. Pour empêcher l'identification de l'enfant, on fait même disparaître son acte de naissance et tous les témoignages de soins médicaux accordés à sa mère des archives de la clinique où Mariana a vu le jour: malheureusement pour les ravisseurs, sa grand-mère conserve une photocopie obtenue immédiatement après l'enlèvement. De plus, les parents imposés ajoutent au dossier judiciaire des photos de la famille Furci avec l'enfant qui datent d'octobre 1976, révélant ainsi qu'il s'agit bien de la même petite fille que celle dont la famille exhibe les photos depuis le début de leur recherche.
Comme par hasard, monsieur Furci n'est rien moins qu'un illustre membre du Secrétariat de l'Information de l'Etat Argentin qui a participé à un commando opérationnel de la lutte anti-subversive et qui s'est distingué dans le fameux "Pozo Orletti".
Le chemin parcouru jusqu'aux embrassades des retrouvailles fut terriblement difficile et douloureux. Deux tribunaux, quatre juges, la bureaucratie, les frustrations, les mensonges, les menaces, les campagnes de guerre psychologique, rien ne fut épargné aux grands-mères. Les Furci leur envoyèrent des lettres et des télégrammes insultants, fictivement ou réellement signés par Mariana, qui mélangeaient des événements de sa vie à de très basses appréciations politiques, et qui suggéraient que l'être maléfique dont il est question dans certains passages de l'Apocalypse était en fait la grand-mère. Et plus tard, en pleine période parlementaire, se produit la seconde séquestration de Mariana: les Furci partent avec Mariana, et l'Etat démocratique qui avait dirigé la première séquestration, se contente cette fois de fermer les yeux et refuse de la protéger.
En juin 1992, Mariana fait le premier pas vers la récupération de son identité, elle accepte une prise de sang pour les tests histocompatibilité (compatibilité immunologique des tissus d'individus différents). L'examen, qui se déroule à l'hôpital Durand, donne pour résultat 97% d'appartenance à la famille formée par Maria Emilia Islas et Jorge Zaffaroni.
Confronté à la force de la lutte et à l'indignation générale produite par le "cas Mariana", l'Etat argentin finit par faire un procès à Miguel Angel Furci et son épouse Adriana Gonzáles. Il les condamne respectivement à 7 et 3 ans de prison, mais cela ne rendra jamais à Mariana, ni ses parents, ni les 17 années où elle a vécu séquestrée.
Nous saluons fraternellement les grand-mères de Mariana et, à travers elles, toutes les mères et grands-mères des camarades disparus, et nous dénonçons violemment tous les pseudo-châtiments par voie judiciaire des coupables dont l'unique fonction est d'affirmer l'impunité générale de l'Etat et par dessus tout du système social qui les produit: le capitalisme.
Comme toujours, lorsque s'impose la nécessité d'une avancée révolutionnaire, on nous réplique que nous n'avons pas le rapport de force pour l'assumer. Notre réponse fut et reste la suivante: nous sommes d'accord, effectivement aujourd'hui nous ne pouvons pas imposer autre chose, mais c'est de votre faute; si nous n'avons pas le rapport de force pour imposer la violence prolétarienne aux assassins et tortionnaires, c'est précisément parce que vous tous, les démocrates, vous canalisez la force de notre classe vers la solution légale et démocratique. Effectivement, nous n'avons pas la force d'exécuter les assassins, mais c'est parce que vous, radicaux, péronistes, trotskistes... qui défendez qu'il faut les juger légalement, vous les protégez, vous êtes leur meilleur bouclier, leurs complices. Et nous voulons ajouter, à l'attention des nôtres, aux prolétaires qui croient à la justice légale et démocratique: c'est l'Etat démocratique qui a engendré tous les terroristes d'Etat et tous ces jugements n'ont pas pour objectif de les punir, mais de les protéger de notre haine de classe. Tant que le monopole de la violence restera aux mains de ce même Etat terroriste et démocratique, quelque soit son visage, les tortionnaires, les assassins de nos frères resteront bien vivants et continueront à recevoir leurs soldes et gages, satisfaits d'avoir rempli leurs devoirs démocratiques, d'avoir combattu la subversion, le communisme, l'anarchie. Et au fond, de son point de vue de classe, du point de vue de notre ennemi, ce sont eux qui ont raison, ils n'ont lésiné sur aucun effort, et n'ont hésité à commettre aucun crime pour défendre l'Etat du Capital et la sacro-sainte propriété privé des moyens de production. Cessons de répéter que nous sommes faibles, qu'ils sont forts et que nous ne pouvons rien faire de plus! S'il en est ainsi, c'est précisément parce que nous les laissons se juger entre eux, parce que nous avons accordé notre confiance à telle ou telle opinion politique bourgeoise; si nous n'avons pu les vaincre, c'est parce que nous restons prisonniers des filets démocratiques dans lesquels, telle une araignée, ils nous tiennent à leur merci. Toute l'histoire de la lutte de notre classe montre que nous sommes forts quand nous nous organisons pour notre compte, quand le prolétariat rompt avec toutes les institutions démocratiques, quand il s'organise, se centralise et impose son insurrection.
C'est ce qui s'est passé en Russie en 1917 quand notre classe, rompant avec "l'étape démocratique" que la social-démocratie voulait imposer juste après la défaite du tsarisme, a dissout les parlements et les assemblées constituantes et imposé sa force organisée. Ici, force contre force, c'est nous qui sommes forts, et eux faibles: tous les tortionnaires et tous les assassins du monde tremblent devant l'insurrection prolétarienne.
C'est aussi ce qui s'est passé au mois de mars 1991 à Soulaymania et dans d'autres cités en Irak (6), où le prolétariat a montré ce dont il est capable quand il fait uniquement confiance à ses propres forces. Face à la lutte armée du prolétariat et voyant que des tortionnaires et des assassins connus avaient été attaqués dans leurs maisons et fusillés par des groupes de militants décidés, tous ceux qui d'une manière ou d'une autre avaient participé aux assassinats, aux tortures et aux enlèvements se regroupèrent comme par enchantement dans les casernes principales. A Soulaymania, plusieurs milliers de ces assassins se rassemblèrent dans le centre de répression historique. Pour les en faire sortir, la bataille fut rude, le manque d'armes important, beaucoup de camarades tombèrent, mais d'autres ramassèrent leurs armes pour continuer le combat. L'extraordinaire détermination des camarades, l'action énergique et décidée de ceux qui attaquèrent d'autres centres de torture, l'expropriation de quelques bazookas dans les locaux des clans et les centres névralgiques du régime, contribuèrent finalement à inverser le rapport de force en notre faveur. Sur l'édifice central dans lequel les assassins s'étaient repliés, on aperçoit toujours les impacts de balles. La résistance de l'ennemi fut brisée pas à pas jusqu'à ce qu'ils se rendent et qu'on puisse les sortir un à un; et ceux qu'on reconnaissait, ceux qui avaient emprisonnés, torturés des camarades... on les a collés au mur et fusillés. Non seulement des centaines d'officiels et de policiers du régime furent reconnut coupables et liquidés immédiatement, mais en plus, dans pas mal de cas, leurs femmes qui avaient aussi participé aux tortures, reçurent le même traitement. (7)
Quel exemple pour le prolétariat mondial! Voici démontrée la force et non la faiblesse du prolétariat! Et c'est pour cette raison qu'on n'en a rien dit, qu'on a volontairement caché l'information. Parce qu'on n'a pas demandé la charité, parce qu'on n'a pas réclamé justice, parce qu'on n'a rien imploré; au contraire, ON A IMPOSÉ LA FORCE LIBÉRATRICE DE NOTRE CLASSE. Quelle déception pour les professionnels de l'humanitaire et les marchands d'amnisties, pour les Croix Rouge, Amnistie Internationale, Paix et Justice, et autres!
La bourgeoisie mondiale tait ces exemples de l'action directe du prolétariat parce que ce dernier ne s'agenouille pas devant l'Etat bourgeois, mais au contraire l'attaque de front et frappe à sa tête; parce qu'il ne demande pas à l'Etat de juger les responsables, mais les juge et les exécute lui-même, parce qu'il n'implore pas aux parlements d'accorder l'amnistie à nos prisonniers et de la refuser aux tortionnaires et aux assassins (en légalisant ainsi leur impunité), mais, par cette extraordinaire accoucheuse de l'histoire qu'est la violence, il libère nos prisonniers et exécute les assassins de nos frères.
Et pendant ce temps, en Argentine, et en général en Amérique Latine, le prolétariat ignorant ce qui se passait en Irak, continuait à demander l'impossible ou pire comme nous le disions plus haut.
Et la mascarade des jugements continuait. Une énorme campagne fut lancée pour rassembler des informations sur les disparitions et sur les coupables. On prit notes des déclarations, on fit beaucoup de bruit... Et la suite nous la connaissons tous, les disparus ne réapparurent pas, et les assassins ne furent pas inquiétés (8). Et pour camoufler le tout, pour donner un peu de véracité à cette gigantesque et cynique farce démocratique dont les acteurs principaux étaient les militaires, les politiciens de tous les partis, les juges et les personnes chargés des droits de l'homme, on "arrêta " quelques responsables de centaines d'assassinats, ils furent "condamnés" et "enfermés" dans un hôtel avec piscine.
Par la suite, les photos de certains d'entres eux prenant le soleil dans leur "prison" de luxe circulèrent, ce qui déclencha un scandale énorme et provoqua la rage et l'indignation sans limite des proches des disparus. Mais, une fois encore, que pouvait-on espérer d'autre? De notre côté, nous ne nous sommes jamais fait d'illusions sur leur justice, qu'elle soit "civile" ou "militaire".
En Uruguay, l'histoire fut encore plus tragique. Tout l'éventail démocratique se mit d'accord sur la nécessité d'évaluer démocratiquement si les criminels devaient être jugés ou non. La gauche bourgeoise, y compris les Tupamaros, recueillit les signatures nécessaire à la réalisation d'un référendum sur la nécessité de juger démocratiquement la responsabilité des tortionnaires. La force qui s'était exprimée dans la rue et la rage contre les assassins furent démocratiquement réduites au silence grâce aux pétitions et aux votes. A mesure que la lutte pour le référendum s'exacerbait, la rage des masses était canalisée. Elle qui avait réussi à arracher les prisonniers des geôles et qui exigeait la tête des tortionnaires, accepta comme sienne la solution démocratique. Les assassins et les tortionnaires pouvaient dormir tranquille, personne n'attenterait plus à leur vie. Vu que même les Tupamaros avaient joint leur signature, le pire qui pouvait encore leur arriver était de subir le sort réservé à leurs pairs en Argentine: une mascarade de jugement. Ceux qui, comme nous, avaient rejeté le référendum furent ridiculisés et isolés, toute la rage du prolétariat fut châtrée dans les comités de récoltes de signatures. Finalement, on approuva démocratiquement l'impunité que la droite désirait et que la gauche, par sa participation, par ses collectes de signatures, par sa pratique d'opposition loyale, contribua à légitimer. Une fois l'impunité démocratiquement approuvée, il devint presque impossible de réunir ne fut-ce que quelques personnes capables de continuer la lutte pour les disparus et contre les tortionnaires. Une fois de plus, l'Etat bourgeois sortit consolidé de toute la merde du référendum sous la bannière duquel les Tupamaros et la gauche bourgeoise s'étaient ralliés.
"Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l'histoire se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter: la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce". Ainsi commence "Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte" de Karl Marx. Si les événements d'Uruguay furent une farce de la tragédie argentine, comment qualifier alors l'action de la gauche bourgeoise au Chili? On parle de millions de signatures contre l'impunité; comme si les événements voisins ne prouvaient pas à suffisance que la lutte contre l'impunité ne passe pas par des signatures! Comme si ce qui se passait là, juste à coté, sur base de pétitions, de référendums et de jugements légaux pouvait être autre chose que la meilleure façon de légaliser les faits, de consolider l'impunité! Comme si la meilleure garantie pour les assassins eux-mêmes n'était pas précisément de canaliser toute la haine que leur voue le prolétariat dans des pétitions, des référendums, des jugements légaux!
Mais nous ne nous leurrons pas, au Chili aussi ces campagnes de la gauche bourgeoise pour dévoyer la force de la rue vers le parlement, pour dénaturer la rage armée, la rage classiste en une collecte pacifique de signatures, en parlementarisme et en approbation du pouvoir judiciaire, visaient non seulement à tranquilliser les tortionnaires et à consolider la pacification nationale sur les solides bases que constituera le pinochetisme (9), mais aussi à démontrer à la bourgeoise mondiale leur habileté à liquider parlemen-tairement toute prétention de lutte de classe autonome, toute tentative révolutionnaire et insurrectionnelle.
La normalisation du terrorisme d'Etat suit son cours. Tandis que dans certains pays les démocraties légalisent l'impunité sur base de lois ayant différentes appellations (Devoir d'Obéissance, Loi de Caducité, Loi de Prescription, Amnistie, Indulgence...), ailleurs, l'Etat démocratique utilise d'autres méthodes pour laver sa gueule ensanglantée, par exemple la théâtralisation de telle ou telle responsabilité pour mieux couvrir la totalité du procédé terroriste propre à la démocratie elle-même. Ainsi en Bolivie, on a eu droit à un énorme spectacle international avec jugement et condamnation de plusieurs représentants de l'Etat. Le général Luis García Meza fut condamné à 30 ans de prison parce que considéré comme le "principal responsable de la violation des droits de l'homme dans ce pays". Dans le même jugement furent également condamnés, mais à des peines moins importantes, Arce Gómez et d'autres ministres et militaires. C'est ce procédé qui a été utilisé pour nous faire croire que Hitler et son état-major étaient responsables de la guerre. Rendre "un paranoïaque" et ses acolytes responsables de la mort des 60 millions de victimes de la "seconde" guerre mondiale permet d'innocenter, de laver de toute responsabilité, non seulement tous les Etats participants (les Etats allemand, italien, américain, français, anglais, russe, japonais,...), mais, plus fondamentalement, le système social capitaliste qui est le vrai producteur des guerres.
Et c'est au lendemain d'une grande manifestation/promenade à laquelle bon nombre de familles et de militants participèrent, bien encadrés par les organismes nationaux et internationaux des "droits de l'homme", et qui se termina par une fête folklorique dans l'allégresse populaire, qu'on fit lecture des sentences des criminels boliviens. Pour notre part, ne croyons nullement que les condamnations boliviennes aient été dictées par la volonté de faire exécuter leur peine aux militaires assassins. Non, ces condamnations ont été prononcées pour calmer les esprits, pour démontrer que la justice démocratique sert à quelque chose, et pour imposer la réconciliation nationale nécessaire au Capital. Et bien qu'on nous traite de trouble-fête parce que là où on parle de grand triomphe, et alors que même les vieux militants de la lutte contre les disparitions et l'impunité tombent dans les bras des agents officiels et officieux des droits de l'homme, nous parlons de grand mensonge. Et nous ne nous tairons pas! Tout ceci s'exerce contre la lutte du prolétariat, pour la liquider, pour la canaliser démocratiquement, et nous prévoyons que tôt ou tard, quand les combattants auront abandonné la rue, l'Etat n'hésitera pas, comme il le fit en Argentine et ailleurs malgré le spectacle, à amnistier les assassins, à reconnaître ses fidèles agents, à les gracier comme il se doit, démocratiquement.
Globalement, à chaque action, à chaque comité de lutte pour les disparus, à chaque mère, grand-mère, ou groupe de militants qui se battait pour les siens et pour que le meurtre de nos frères ne restent pas impunis, la démocratie a opposé une action légale, une action institutionnelle tendant à éliminer l'action directe prolétarienne. L'exemple suprême de ce processus fut la légalisation des comités de lutte, l'institutionnalisation des associations de familles de détenus/disparus. Pour récupérer et castrer légalement et institutionnellement tout organisme de lutte, on a même officialisé la FEDEFAM (Fédération Latino Américaine des Association des Familles et des Disparus), une organisation surgie de la nécessité de coordination de divers organismes de base qui, dans différents pays, luttaient pour les disparus et contre l'impunité dans toute l'Amérique Latine (10). En effet, au nom des Droits de l'Homme, cette instance suprême du capitalisme et de l'impérialisme international dénommée "Organisation des Nations Unies" a attribué à la FEDEFAM le statut d'"Organisme Non Gouvernemental des Nations Unies à statut consultatif de la catégorie II"!
Au Salvador, confronté à la dénonciation de la disparition et de la mort de plus de 75.000 personnes, l'Etat démocratique, dirigé par Sir Alfredo Cristiani, promulgue la Loi d'Amnistie générale pour tous les criminels d'Etat. Cette Loi est approuvée et ratifiée en séance plénière par l'Assemblé Législative à la majorité absolue, entérinant ainsi légalement les massacres historiques de 1980, l'assassinat des nonnes nord-américaines que la presse bourgeoise avait tant pleurés, le meurtre d'enfants, de femmes et de vieux à El Junquillo, les tueries de Las Hojas en 1983, celles de San Sebastián en 1988, le massacre des prolétaires agricoles de Mozote en 1981, de Río Sumpul en 1980, et de El Calabazo en 1982, et tant d'autres crimes...
Et tandis que se poursuit ce macabre processus démocratique de canalisation vers la légalisation et le ravalement de façade des Etats trop impliqués dans la guerre sale, tandis qu'on continue à officialiser démocratiquement l'impunité, dans d'autres zones de ce même continent les meurtres, les tortures et les disparitions continuent:
Et pour terminer cet article, nous publions ici une poésie prolétarienne de 1919 en Argentine qui, contre l'impunité, en appelle à la révolte prolétarienne et affirme clairement que pour l'assassin de nos camarades "il n'y aura pas de pardon, il n'y aura pas de pitié". (13)
Ha! satanique malfaisant, les clairons entonnent les vibrantes clameurs annonçant la chute de ta caste et de ton système. Et ni les lois ni les pouvoirs,
Des barricades, par milliers
Tu verras des visages éclairés
Pour toi il n'y aura pas de pardon
Méphistoteles, infâme,
Homme triste, homme mauvais,
Je te jette le blasphème de ce
siècle
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¡Ha! satánico bribón, los clarínes tocan notas de vibrantes clamoreos preanunciando los derrumbes de tu casta y tu sistema Y ni leyes, ni poderes,
Barricadas, a millares
Verás rostros encendidos
Para ti no habrá perdón
Mephistóteles infame
Hombre triste, hombre malo,
Yo te lanzo la blasfemia de este siglo
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Depuis la défaite du mouvement révolutionnaire de la fin des années 1970 en Iran, les fractions bourgeoises arborant le drapeau de l'islam occupent un rôle de premier plan dans l'organisation de la contre-révolution non seulement dans ces régions mais dans le monde entier. Plus spécifiquement dans ces régions par l'encadrement idéologique et militaire du prolétariat tandis que dans les pays occidentaux, l'identification de l'idéologie islamiste à du fanatisme/totalitarisme/fascisme vient à point pour revaloriser la défense de la démocratie. La bourgeoisie tente ainsi de canaliser tout mouvement de lutte dans la polarisation formulée pour les uns, comme ceci: "pureté des principes de l'Islam contre dépravation occidentale", et pour les autres, comme cela: "droits et libertés démocratiques contre intégrisme/intolérance". Cette polarisation que l'on peut résumer en ces termes: Islam contre Occident, renforce toutes les politiques racistes et constitue une redoutable arme de division des prolétaires à travers le monde. Tous les discours de la bourgeoisie occidentale semblent vouloir discréditer l'"alternative" islamiste mais le but principal de cette logorrhée anti-arabe est surtout d'éloigner les prolétaires d'Occident de toute idée d'unir leurs luttes à celles des prolétaires d'Orient et inversement. En réalité, la bourgeoisie mondiale soutient les fractions islamistes, dans la mesure où celles-ci sont capables de domestiquer les luttes prolétariennes et de les remettre dans le droit chemin de l'ordre capitaliste mondial.
Si l'alternative islamiste connaît une telle audience aujourd'hui, c'est notamment parce que ses défenseurs ont su capitaliser les immenses frustrations sociales exprimées un peu partout au travers des luttes: approfondissement brutal et généralisé de la pauvreté, exacerbation des rapports de concurrence,... Se basant sur la reconnaissance de la misère matérielle mais aussi des relations humaines,... ils les opposent à l'amassement spectaculaire d'immenses fortunes, le développement de la délinquance, des réseaux de prostitution, du commerce de la drogue,... dont ils donnent une image exclusivement occidentale pour alimenter la polarisation Islam/Occident.
Mais, en Iran même, les resurgissements violents de l'antagonisme prolétariat contre bourgeoisie par l'explosion de nouvelles révoltes contre la misère et les forces de l'Etat (1) mettent en évidence, aux yeux des prolétaires du monde entier, que les partis islamistes ne sont rien d'autre qu'une énième tentative bourgeoise de briser les luttes pour faire régner la paix sociale et garantir le bon déroulement de l'exploitation capitaliste. En Irak, en 1991, les prolétaires insurgés scandaient: "Faisons des mosquées et des églises les tombes des organisations religieuses!" dénonçant pratiquement le rôle contre-révolutionnaire de toutes les institutions religieuses et indiquant la voie à suivre pour le prolétariat mondial.
Autre caractéristique de la lutte, le mouvement est parti de la rue et non d'entreprises précises, ce qui n'a pas laissé la possibilité aux syndicats de prendre leur place habituelle de casseurs des luttes. De manière plus générale, les luttes d'octobre 1988 ont mis en lumière que le FLN et plus particulièrement le vieil arsenal social-démocrate (syndicats, groupes marxistes-léninistes,...) furent largement débordés et se sont révélés incapables de contrôler, encadrer ces révoltes. Tous sont déconsidérés. C'est essentiellement au moyen d'une répression féroce et massive, au moyen des massacres à la mitrailleuse lourde, avec balles explosives, au moyen des internements et tortures systématiques que l'Etat viendra à bout de la détermination des prolétaires, avec notamment une intervention massive et meurtrière des chars pour mieux prévenir les tentatives de fraternisation. On signala de nombreuses désertions au sein de l'armée. La presse évoqua 600 morts!
Dans le but de désamorcer le mouvement et de séparer la frange la plus déterminée des prolétaires en lutte de la majorité d'entre eux, Chadli déclare que: "nous devons reconnaître nos erreurs" et organise rapidement le réapprovisionnement des magasins et la destitution de quelques boucs émissaires. Dans la foulée il promet des réformes politiques: des élections. Peu après, c'est une répression de plus en plus sélective et ciblée qui s'exerce afin de neutraliser les meneurs. Pendant ce temps-là, la presse ne chôme pas et distille une désinformation totale, seules les informations qui conviennent à la police passent. Elle réécrit l'histoire et impose la version correspondant aux intérêts bourgeois, occultant toute signification classiste de ces luttes et rendant ainsi toute extension internationaliste plus difficile.
Malgré la répression sanglante des émeutes d'octobre 1988, le prolétariat tout au long des années 1989, 90 et 91 continue à lutter. De nombreuses manifestations et émeutes touchent des villes comme Al Milia, El-Krouch, Jilel, Souk Ahras, Aïn Benian, Alger, Chréa, Tissemsilt, Tenes, Hamman Righa, Thenia, ... ainsi que de nombreux secteurs: hôpitaux, employés, PTT, enseignants, chômeurs,... Le prolétariat reste combatif.
Pour la bourgeoisie mondiale, octobre 1988 fut un signal d'alarme. Il révélait le niveau d'impréparation de l'organisation locale de l'Etat, incapable de maîtriser des explosions de colère qui n'allaient pas manquer de resurgir, voire de s'intensifier dans la situation actuelle de crise et d'aggravation des antagonismes sociaux imposant des sacrifices toujours plus draconiens aux prolétaires. Devant de telles explosions prolétariennes, il devenait crucial pour l'Etat d'élaborer des plans de réformes, de mettre au point une véritable stratégie de la contre-révolution. Il devenait urgent pour la sauvegarde des intérêts du Capital mondial en Algérie qu'il y surgisse, comme dans bon nombre d'autres endroits de la planète, une polarisation inter-bourgeoise transformant l'antagonisme prolétariat/Etat capitaliste en un affrontement entre fractions bourgeoises.
Le gouvernement va activer cette polarisation, par l'introduction de réformes politiques visant à instaurer le multipartisme, "l'ouverture démocratique" suivant les termes mystificateurs qu'emploie l'Etat lui-même. En réalité, il s'agit de réorganiser le gouvernement, de porter à sa tête les fractions les plus crédibles et donc les plus aptes à mener à bien les réformes, dans la paix sociale, c'est-à-dire à augmenter le taux d'exploitation du prolétariat en tentant de ne pas provoquer de réaction notable de la part de celui-ci. C'est ainsi qu'en février 1989, une nouvelle constitution est promulguée, instaurant ce multipartisme et supprimant toute référence au "socialisme", ce "socialisme à l'algérienne" -tant célébré par les groupes marxistes-léninistes, staliniens, trotskystes,... du monde durant les années 1960/70- qui fut alors la bannière sous laquelle l'Etat réprimait les grèves et persécutait les prolétaires.
Les luttes de 1988 est l'aboutissement de grèves, émeutes qui ont jalonné les années 80. Mais en 88, "l'armée du peuple tire sur le peuple". L'image glorieuse de l'indépendance algérienne vole en éclat et entraîne avec elle le discrédit total du FLN ainsi que des autres partis bourgeois hier encore interdits. Le processus électoral lui-même n'aura pas la cote (discrédit dont témoignent les multiples luttes prolétariennes qui se succèdent). Par contre l'option "islamiste" susceptible d'avoir suffisamment d'audience pour gérer la société algérienne dans le calme va s'imposer comme tentative d'emporter l'adhésion d'une majorité de prolétaires tout en étant en mesure de canaliser le mécontentement et de faire avorter toute lutte. Pour cela, le gouvernement s'appuye sur quelques-unes de ses composantes, à savoir les multiples relais de transmission que sont les associations et partis religieux présents en Algérie. Depuis les années 1960, ce sont quelques dix mille mosquées qui ont été construites, en grande partie grâce au FLN qui comptait bien s'en servir pour intoxiquer les prolétaires en distillant cet "opium du peuple" qu'est la religion! Déjà à l'époque, le FLN prônait avec les Associations des oulémas: "L'Algérie est ma patrie, l'arabe est ma langue, l'islam ma religion." Dès 1954, l'objectif déclaré du FLN sera "la réalisation de l'unité nord-africaine dans son cadre naturel arabo-musulman." Après l'indépendance, les imams seront payés par le gouvernement via le secteur de l'Enseignement, des Affaires Religieuses et de la Justice. Les mosquées seront agréées Centres Culturels et Séminaires de la pensée islamique et chargées, par le ministère de donner des cours d'alphabétisation et d'éducation coranique. Le gouvernement prendra en charge l'Islam en subsidiant un clergé officiel formé dans des instituts créés par et pour l'état. Le plan quinquennal établi par le gouvernement Chadli en 1981 prévoyait encore la réalisation de trois instituts islamiques, la construction de cent soixante nouvelles mosquées, autant d'écoles coraniques, la création de cinq mille postes d'enseignants coraniques, ainsi que l'accélération de la formation du personnel officiel du culte. A l'heure actuelle, en nous basant sur les informations disponibles, nous avons pu répertorier pas moins de huit formations majeures, en plus du FIS, se rattachant officiellement à la "mouvance islamiste".
Depuis 1985-86 existent, au sein du FLN, de plus en plus de dissensions sur comment encadrer le prolétariat, dissensions correspondant aussi à des intérêts économiques concurrents. Les oulémas, plutôt liés, avec le FLN, à la fraction à la tête du monopole du commerce extérieur et des secteurs qui y sont liés, compromis depuis 1960 par leur participation au gouvernement ont vu leur crédibilité décroître en même temps que celle du FLN. L'option islamiste devait donc se refaire une jeunesse. Cette situation a poussé certaines fractions islamistes à se démarquer, en apparence, du gouvernement en durcissant leurs discours et en affichant une certaine autonomie. Le programme économique du FIS est plutôt en concordance avec les autres fractions bourgeoises en présence (FLN, FFS, UGTA...): pour une économie libéralisée emportant ainsi l'adhésion de tout le secteur commercial privé (petits et gros commerçants du secteur parallèle en butte aux tracasseries administratives, opposés aux secteurs officiels). Les commerçants deviennent ainsi les principaux bailleurs de fond du FIS. Leur but est la suppression du monopole du commerce extérieur. Mais ce qui démarquera surtout le FIS, c'est sa capacité à saisir le mécontentement croissant du prolétariat à sa racine: la misère croissante que le Capital développe inévitablement, non pas pour arracher cette racine mais pour éviter que le prolétariat n'y touche!
C'est dans les quartiers les plus pauvres que se développeront les pratiques de prédication les plus dures, dans les banlieues-dortoirs génératrices de misère et où l'instauration du couvre-feu rend particulièrement insupportables les nuits chaudes d'été que surgissent les situations les plus explosives, dans les quartiers où la population double tous les dix ans, où les logements (3), la distribution d'eau, les services de voiries, de ramassage des ordures, les équipements sociaux, le téléphone, la dispense de soins, les moyens de transport et toutes les infrastructures urbaines sont des denrées rares. C'est sur ce terrain ainsi que sur celui du chômage (4) générant des situation explosives que le FIS développe ses campagnes opportunistes. Les souks et les mosquées redeviennent des lieux de discussion réactivés par le FIS.
Le FIS crée sa commission des affaires sociales, les mosquées et les municipalités du FIS financent les associations caritatives, investissent dans les clubs sportifs, ce qui leur permet d'intervenir dans les différents domaines allant du soutien scolaire à l'organisation de rencontres sportives. Le FIS s'est même organisé sous la même forme de comités de supporters qui ont servi de base de recrutement pour le parti pendant la période électorale de juin 1990. Il organise des animations sociales de quartier se substituant aux carences des services publics. Toute une armada de travailleurs sociaux se déploie dès le lendemain des élections de 1990 et jouent les jaunes en débarrassant Alger des ordures qui s'y entassent à cause des grèves des éboueurs. Lors du tremblement de terre de Tipasa, en octobre 1989, qui fait des milliers de victimes et où les secours officiels sont totalement incapables d'agir, les réseaux caritatifs islamistes qui eux sont anciens, bien rôdés et capables de se mobiliser rapidement, interviennent là où le gouvernement en est incapable. Les mosquées du département d'Alger organisent des collectes de fonds au profit des sinistrés rapportant 1.800.000 dinars. Les mosquées collectent les denrées alimentaires, couvertures, vêtements, remplissant quatre-vingt trois camions et cinquante voitures escortées par six cents volontaires vers les villages les plus touchés par le tremblement de terre. La commission inter-mosquées d'aide aux sinistrés alloue, entre autre, une somme de 10.000 dinars (15.000 pour les plus touchés) aux familles des quatre-vingt quatre victimes mortes lors du séisme ainsi que 1.000 dinars aux volontaires qui prennent part aux opérations de secours. Le FIS délivre aussi des permis de construire, distribuent des lots de terrains, octroie des licences de vente aux trabendistes (petits contrebandiers),... Il organise des souks "islamiques" destinés à casser les prix du marché. Pendant la rentrée scolaire de 1991, il met à disposition des familles des fournitures scolaires à bas prix, organisent des séjours de camping en forêt ou à la mer pour les jeunes qui n'en ont pas les moyens, leur prodiguant l'enseignement coranique. Il recense les familles pauvres et leur distribue chaque mois de l'argent (une partie de la zakat - aumône légale). Les associations gestionnaires des lieux du culte organisent un service de petites annonces matrimoniales ainsi que la prise en charge financière des circoncisions, mariages, lavages des morts,...
Par ailleurs, le mouvement de paupérisation qui touche élèves et étudiants se traduit de plus en plus par l'acquisition de diplômes ne donnant accès qu'à des salaires minables ne permettant même pas un minimum de survie ou, laissant, la plupart du temps, les jeunes sans aucun emploi (5). Le FIS rassemble les cohortes des prolétaires exclus du système scolaire ainsi que les bataillons de diplômés de l'enseignement arabisé. Les seuls emplois qui valent encore un peu la peine sont ceux comme employés dans la "fonction publique", mais ils ne sont accessibles que par pistons interposés. Le FIS utilisera tous ces mécontents en leur fournissant des rôles revalorisés dans ses propres rangs.
Le SIT, Syndicat Islamique du Travail, instance créée par le FIS, tentera aussi d'encadrer et d'utiliser à ses propres fins les ardeurs des prolétaires en lutte. Les jeunes générations de militants du FIS écartées des instances nationales auront pour fief le SIT, jeunes militants dont certains deviendront, par la suite, chefs des groupes armés. Ces militants du SIT séviront dans les quartiers urbains pauvres et auront de plus en plus d'audience grâce à leurs discours contre l'ordre établi. Ce sont ces travailleurs sociaux radicaux et opportunistes prônant la "désobéissance civile, moyen terme entre l'action politique et l'action armée" où "le peuple doit refuser au régime de lui accorder sa confiance, cesser de coopérer avec celui-ci et boycotter ses institutions, ayant aussi pour objectif de renverser le régime tyrannique qui fait de la démocratie un des moyens destinés à inciter l'individu à plier devant ses oppresseurs." Mekhloufi, chef du SIT, faisant partie de la jeune garde du FIS prônera en substance que "la contestation isolée n'ayant pas d'avenir, seule l'action syndicale et politique est susceptible de préparer les ouvriers et les membres des autres couches sociales moralement et matériellement à oeuvrer à l'instauration d'un Etat islamique qui assurera la justice afin d'éliminer les contradictions et les antagonismes entre les individus et les institutions." En février 1991, lors de la première conférence du SIT, Mekhloufi menace le gouvernement de guerre civile (ce qui ne plaît pas à la vieille garde légaliste du FIS). En janvier 1992 il organise un des principaux maquis islamistes.
Ces fractions radicales du FIS joueront ultérieurement un rôle de premier plan pour l'encadrement et le dévoiement des prolétaires dans la guerre qui éclatera par la suite. Mais elles mettront en même temps dans une position délicate les fractions parlementaristes du FIS puisque ces dernières sont partisanes de négociations pacifiques et électorales prêtes à gérer l'austérité de concert avec le gouvernement du moment.
Le FLN n'a jamais été opposé à l'encadrement du prolétariat par l'islam. Le FIS sera donc reconnu, légalisé et cela en dépit, il est plus exact d'affirmer ici clairement à cause, de ses discours récupérateurs radicalement hostiles au gouvernement (il n'est pas anecdotique de constater que bon nombre des cadres du FIS viennent du FLN), et en contradiction flagrante d'ailleurs avec les nouvelles dispositions constitutionnelles démocratiques (qui stipulent par exemple que "l'association politique ne peut fonder sa création et son action sur une base exclusivement confessionnelle").
Pendant ce temps, le FLN, lui, continue à se décrédibiliser y compris auprès des autres fractions bourgeoises. Il est de plus en plus divisé et de nombreux militants quittent le parti pour adhérer aux autres formations politiques, dont en premier lieu le FIS. Ce dernier emporte la majorité des mairies aux élections municipales en juin 1990: il a bénéficié de sa structuration nationale, d'un vote de sanction contre le FLN et du concours de ce dernier et des autres partis (FFS) qui veulent le mettre en selle car susceptible de maîtriser les explosions sociales (6). En juillet 1990, A. Madani, secrétaire général du FIS, ancien gradé de l'Armée Nationale Populaire, se déclare prêt à gouverner avec d'autres partis après les législatives; des contacts ont lieu avec le FLN.
Lorsque le FIS commence à être plus directement, plus centralement impliqué dans la gestion de la misère, certaines de ses fractions opérant sur le terrain, hésitent de moins en moins à ouvertement appliquer la terreur ouverte contre les prolétaires: assassinats, attentats, séparation des sexes dans les écoles et au travail, constitution d'une police des moeurs islamiques, installation de tribunaux parallèles, interventions musclées des "barbus" contre ceux qui ne respectent pas les interdits vestimentaires, l'interdiction de l'alcool, de la musique moderne,... De son côté, la fraction légaliste du FIS désavoue à plusieurs reprises au fil des années, notamment en octobre 94, "les violences incontrôlées, les exécutions de civils, les pillages, les enlèvements et les viols qui portent atteinte à la dignité des familles." Cette fraction ne pouvait pas revendiquer les meurtres de prolétaires et attentats à la bombe perpétrés par différents sous-groupes du FIS se revendiquant du même islam; cela nuirait à sa popularité et mettrait en danger ses ambitions électorales.
Les dissensions au sein du FIS rendent difficiles l'encadrement de ses propres troupes et certaines franges de prolétaires qui s'illusionnaient sur la radicalité du FIS vont commencer à s'en désolidariser. Le FIS avait promis l'eau, des logements, du travail,... mais, comme tous les autres partis, il sera incapable d'apporter des réponses globales à la gestion de la crise économique et à la misère qui en découle. Dorénavant, aux yeux de certains prolétaires, le FIS ne fait pas mieux que le FLN, malgré ses promesses, sa démagogie et ses quelques coups d'éclat.
Début juin 1991: deux ans après l'instauration du multipartisme en Algérie, un an après les élections municipales de juin 1990 donnant la majorité électorale au FIS, et à la veille des élections législatives, prévues pour le 27 juin 1991, des luttes éclatent une nouvelle fois à Alger, comme à Souk Ahras, Tlemcen et Guelma. Une nouvelle fois, c'est par la violence que les prolétaires manifestent leur mépris des réformes en cours.
Et une nouvelle fois, l'Etat s'appuye sur le front uni FIS-FLN pour mâter la combativité prolétarienne. Dans la division des tâches, le FIS assume les tentatives d'encadrement des luttes, en appelant "à la grève générale" pour obtenir "la démission du président Chadli" et une "redéfinition des circonscriptions électorales" (qui lui sont défavorables): en réalité il s'agissait de récupérer à son profit une vague de grèves sauvages qui paralysaient la production. Par ailleurs, le FIS tente aussi d'occuper le terrain en organisant des marches et sit-in pacifistes à Alger. Ceux-ci débordent aussitôt en affrontements ouverts contre les forces de l'ordre: de nombreux prolétaires attaquent des commissariats, harcèlent les brigades anti-émeutes, érigent des barricades dans les rues qui donnent lieu à de nouvelles vagues d'arrestations.
La bourgeoisie, à ce moment-là se centralise davantage autour de l'état-major de l'armée plutôt qu'autour du FLN en perte de vitesse, divisé et affaibli. D'autre part, la bourgeoisie comprend bien l'importance du FIS pour tenter d'assurer le rétablissement de la paix sociale et lui accorde par conséquence la destitution du gouvernement et la promesse de nouvelles élections législatives et présidentielles. Le FLN de son côté, joue le jeu en laissant faire le FIS: il y aura des négociations entre le FIS et la présidence de la République débouchant sur la démission du premier ministre Hamrouche désigné comme bouc émissaire (remplacé dès le lendemain par son ministre des Affaires étrangères, Sid Ahmed Ghozali) et l'annonce de l'ajournement des législatives. Ceci donne satisfaction au FIS et surtout lui permet de crier victoire. Il en a bien besoin, car la combativité prolétarienne reste importante et le FIS éprouve quelques difficultés à encadrer et neutraliser celle-ci. En même temps, une nouvelle fois, la répression est impitoyable: intervention de l'armée, état de siège, de nombreux morts, des arrestations par centaines.
A peine quinze jours plus tard, le 24 juin 1991, une autre explosion sociale a lieu. Après une suspension du couvre-feu pendant la fête de fin de ramadan (négociée entre le FIS et les cadres dirigeants de l'Armée Nationale Populaire) de nouveaux affrontements surgissent entre prolétaires et forces de l'ordre lorsque ceux-ci réinvestissent les rues. Pendant plus d'une semaine les principales villes sont le théâtre de violents affrontements. Le FIS est complètement dépassé par les événements et se montre incapable de réfréner la combativité des prolétaires. C'est uniquement et exclusivement au moyen d'une répression intensive et sans faille que l'Etat impose l'ordre. On dénombre plusieurs milliers de morts (cinquante morts au total selon le gouvernement, trois mille selon la Ligue des droits de l'homme en Algérie) et huit mille arrestations. En plein milieu du désert, des camps d'internement sont érigés pour parquer les insoumis dans des conditions des plus précaires.
La capacité insuffisante du FIS à contenir les prolétaires, décide de son sort immédiat: le 30 juin 1991, huit des leaders du FIS, dont les chefs historiques, A. Madani et A. Belhadj, sont arrêtés, sa presse interdite et ses bureaux fermés. Ces quelques mesures spectaculaires sont prises en marge de la répression sanglante contre les prolétaires en révolte et pour laquelle la direction du FIS a donné tacitement son feu vert, notamment pour réprimer les éléments incontrôlés dans ses propres rangs. Même si elle est momentanément écartée, l'option FIS reste une carte de premier plan pour le gouvernement. D'autant plus que le fait que la répression mette dans le même sac prolétaires en lutte et FIS renforce l'idée selon laquelle le FIS est du côté de la lutte prolétarienne. C'est un moyen éculé de la bourgeoisie pour recrédibiliser l'image des partis de la contre-révolution desquels les prolétaires commencent à prendre distance; c'est une façon de rendre plus difficile la nécessaire identification de nos ennemis de classe. Ainsi le secrétaire général du FLN, M. Abdelhamid Mehri exprime, au moment même, son espoir de pouvoir constituer un gouvernement d'union nationale avec le FIS afin de "garantir au pays une période de stabilité de deux ou trois ans". En même temps, la participation du FIS aux élections législatives reportées au mois de décembre 1991, n'est pas mise en cause; le 18 novembre 1991, les journaux du FIS sont à nouveau légalisés!
Deux semaines plus tard, une nouvelle émeute éclate à Alger.
Le premier tour des élections législatives, le 23 décembre 1991, voit la victoire électorale du FIS. Les milieux d'affaires ne sont pas inquiets à Alger car ils ne redoutent pas le FIS, mais la rue; en effet, pour nombre d'entre eux, le FIS semble être encore le plus en mesure de "tenir la rue".
Le 9 février 1992 le Haut Comité d'Etat proclame l'instauration de l'état d'urgence après une nouvelle vague de luttes et d'émeutes qui touchent 26 des 48 wilayas (départements) du pays. Dans les quartiers des villes une multitude de groupes de prolétaires se soulèvent et rendent la tâche de contrôle difficile pour toutes les fractions bourgeoises en présence. Ces soulèvements pour l'auto-défense des quartiers contre les intrusions des brigades anti-émeutes n'ont pas été des actions concertées ou dirigées par le FIS. Les prolétaires s'insurgent contre les infiltrations et incursions régulières des services de sécurité et organisent la lutte armée pour la défense des quartiers. Ces embrasements dans les villes se soldent par des arrestations massives (entre mille et deux mille), des centaines de blessés et plusieurs dizaines de morts (la presse donne rarement des indications au sujet de "quels" morts il s'agit, amalgamant évidemment nos frères de classe qui se font assassiner en combattant pour l'abolition de cette société de misère, et de l'autre côté, les chiens-flics de toutes espèces qui tombent en la défendant) (8).
De leur côté, les fractions islamistes interdisent toute activité après 15h. "En travaillant, vous aidez Pharaon! N'attirez pas sur vous la colère des moudjahiddin!" Elles tentent d'imposer leur terreur dans les quartiers ouvriers notamment par l'obligation de payer un "impôt révolutionnaire". Qui ne paie pas risque sa tête.
Mais, pour la bourgeoisie, la situation n'est toujours pas gagnée. Au sein de l'armée, les désertions se sont multipliées pendant toute l'année 1992. Selon les services de renseignements français, ce sont des déserteurs de l'armée -officiers, sous-officiers et soldats-, sans aucun lien avec le FIS, qui tendent pendant un an et demi des embuscades à l'armée régulière algérienne. Alors que selon la version officielle, il n'y a que des islamistes dans les maquis, la liste des embuscades impliquant des déserteurs s'allonge. En avril 1992, à N'Gaous, dans les Aurès, une véritable bataille a opposé pendant cinq jours environ une centaine de déserteurs de Batna à cinq cents soldats de l'ANP. Pour arriver à bout de ces troupes, équipées de lance-roquettes multiples, l'armée a dû faire intervenir des hélicoptères d'attaque. En juin 1993, à 70 kilomètres au sud-ouest d'Alger, à Chréa, quarante gendarmes d'une unité antiterroriste ont été tués, après avoir été attirés dans un piège par une troupe similaire qui prétendait les mener à un dépôt d'armes du FIS, dans une région montagneuse. Certains militants ont fait état de l'existence de plus de 600 noyaux de combattants sur l'ensemble du territoire: "ces groupes naissent plus ou moins spontanément. Deux tiers de ces groupes vivent dans les villes ou les villages. Comme des poissons dans l'eau. Ils sont aidés, informés, protégés par la population. L'autre tiers est composé de bidasses qui ont pris la poudre d'escampette pour former avec des fugitifs une dizaine de maquis. Sans aucun lien pour l'instant avec le Mouvement Islamique Armé d'Abdelkader Chebouti, ils tendent depuis vingt mois des embuscades à l'ANP." (9)
A cette époque, le gouvernement -par la voie de l'ancien premier ministre Sid Ahmed Ghozali- reconnaissait ouvertement et de manière incroyable la réalité de ce qu'ils essayent toujours d'occulter. Il disait devant des hauts fonctionnaires français "qu'il ne fait aucun doute que 90% de la population rejette à la fois l'Etat et le pouvoir". Et, devant faire face à l'éruption d'un climat de révolte et de violence endémique, le gouvernement poursuit sa politique de répression ouverte et massive: instauration du couvre-feu dans dix départements, tribunaux d'exception, torture, condamnations à mort, délation, interdiction des rassemblements et des grèves, ratissages, exécutions sommaires,...
Durant l'année 1993, certains quartiers d'Alger restaient la nuit aux mains des groupes de jeunes prolétaires qui y érigeaient des barricades de fortune et n'hésitaient pas à aller provoquer et harceler les forces de l'ordre. Il semble que ces groupes d'auto-défense restent confinés aux limites des quartiers et ne cherchent pas à s'étendre ni à se centraliser autrement. Dans les usines, les sabotages faisaient légion, au grand désespoir de l'UGTA. Malgré la répression, dans certains quartiers et usines, des assemblées régulières réunissaient de nombreux prolétaires pour y dénoncer leur misère, analyser la situation, discuter politique, cracher leur haine des partis, s'organiser pour résister,... Les attentats se sont multipliés à la même période et depuis n'ont fait que s'intensifier, contre les pylônes électriques, contre les lignes téléphoniques, contre les stations de radio et de télévision, braquages, incendies volontaires d'entrepôts, d'usines et de champs, vols dans les entreprises et les entrepôts d'essence, mise à sac de mairies et de bâtiments administratifs, dynamitages, pillages de magasins,... A cela s'ajoute une liste interminable d'assassinats de policiers, gendarmes et militaires.
Parallèlement à cela, depuis avril 1993, quinze mille militaires sont mobilisés pour appuyer les brigades d'intervention de la gendarmerie et de la police autour de la capitale. Trois cours de justice spéciales ont été mises en place en février 93 à Constantine, Oran et Alger. Un décret fixe à 16 ans au lieu de 18 la responsabilité pénale et prolonge la garde à vue jusqu'à onze jours et les condamnations vont de cinq ans à la peine de mort. L'identité des magistrats reste secrète et sa divulgation est condamnée de deux à cinq ans de prison. Les patrouilles de "Ninja", troupes de choc de la bourgeoisie, terrorisent les prolétaires quotidiennement dans les villes.
Fin janvier 94 s'est tenue à Alger la "Conférence nationale de consensus" devant désigner le général Zéroual -ex- et actuel ministre de la Défense- comme nouveau Président de la République, et cela pour une nouvelle "période de transition" de trois ans. Il s'agissait en même temps d'une énième tentative pour relancer le processus de reconnaissance et de cooptation politique entre les différents partis. Cette conférence, boycottée par la plupart des partis, était révélatrice de la force avec laquelle les contradictions qui traversent la société éclatent au grand jour et des difficultés que rencontre l'Etat pour faire face à l'explosion de ses contradictions.
Dans le même ordre d'idée, en janvier 95 s'est organisé à Rome, sous les hospices de l'association catholique Sant'Egidio, une réunion d'élaboration pour un "contrat national" entre huit partis bourgeois algériens (10). En est ressortie une plate-forme qui devait permettre des négociations gouvernement/opposition. Cette nouvelle tentative de conciliation ne représente rien d'autre qu'une alliance de différents partis bourgeois candidats à la gestion de l'austérité en Algérie tentant de créer une alternative bourgeoise susceptible de se vendre aux prolétaires.
Comme nous l'avons écrit, les différents moments de stratégie contre-révolutionnaire se recoupent. Il est à souligner que toutes les alternatives restent intactes pour faire face à un possible resurgissement ultérieur du prolétariat, et plus particulièrement, l'alternative du FIS qui peut alors se prévaloir d'avoir été réprimé par le gouvernement en place, d'avoir été jeté en prison, ses militants sacrifiés, etc. et qui de ce fait y gagne des capacités de mystification et d'encadrement renforcés sur une partie des prolétaires.
Le règne de la terreur bourgeoise est total et se renforce grâce à l'amalgame qui est maintenu par toutes les fractions bourgeoises qui s'opposent notamment lors des ratissages et massacres où les prolétaires en lutte sont systématiquement accusés et arrêtés par les uns comme étant sympathisants, militants et cadres du Front Islamique du Salut ou réprimés par ceux-ci comme étant sympathisants du gouvernement. Ceci rendant la situation très confuse et permettant de mieux isoler les prolétaires d'avant-garde, de les couper encore davantage de leurs frères de classe au sein des luttes en rendant extrêmement difficile la démarcation classiste par rapport aux forces bourgeoises qui s'affrontent.
Partout à l'extérieur de l'Algérie, les autres Etats participent pleinement à l'offensive anti-prolétarienne en cours en imposant le black-out total des informations concernant la lutte de nos frères de classe là-bas, en imposant la mystification d'un affrontement entre fractions bourgeoises FLN-FIS-GIA uniquement, niant toute expression prolétarienne dans ce qu'il se passe en Algérie. Ce qui bien sûr ne permet à aucun prolétaire d'ailleurs de se sentir solidaire. L'image d'une violence absurde, d'un affrontement incompréhensible entre des forces obscures amalgamant allègrement les assassinats de jeunes filles, journalistes, artistes,... avec des attaques de commissariats, casernes,... voilà tout ce qui transperce des luttes de notre classe en Algérie depuis 1988!
Comme toujours, l'Etat cherche à noyer nos actions classistes dans la condamnation hypocrite d'une prétendue violence aveugle, non ciblée, amalgamant toutes les manifestations violentes qui s'expriment dans la société, celles de notre classe et celle des forces bourgeoises qu'elles soient gouvernementales, islamistes, nationalistes,... pour mieux nous désarmer et nous pacifier. L'Etat condamne évidemment la violence en général dans le but de désarmer les prolétaires et de se préserver le monopole exclusif de l'exercice systématique de la terreur. Il s'agit d'une stratégie contre-révolutionnaire éprouvée, appliquée systémati-quement partout où notre classe a pu reprendre le chemin de la lutte intransigeante contre l'Etat (cf. les campagnes anti-terroristes à l'échelle de la planète). En Algérie, cela s'est manifesté par l'identification de toute action armée avec les pratiques de guérilla menée par les "groupes islamistes" (GIA, MIA,...) niant toute existence de rupture prolétarienne par rapport à cet encadrement. Pour la presse bourgeoise il n'existe que des attentats islamistes. L'amalgame est d'autant plus facile que la polarisation "groupes islamistes clandestins contre forces gouvernementales" agit comme réelle force de répression des forces prolétariennes. Le fait que certains prolétaires soient contraints d'intégrer des réseaux ou simples noyaux "islamistes" pour tenter de se protéger de la répression, exprime la difficulté pour le prolétariat de s'affirmer comme force autonome et de se doter de ses propres organes de lutte.
La situation de crise économique qui en Algérie comme partout, signifie ralentissement et fragilisation du processus d'accumulation capitaliste, avive les contradictions propres au système capitaliste et exacerbe les antagonismes de classes. La "question de la dette" en est une expression. En Algérie, elle est de l'ordre de 26 milliards de dollars, son service absorbe 75% des recettes tirées des exportations algériennes (hydrocarbures principalement)! Alors que depuis la mi-janvier 94 l'Algérie n'honorait plus que très partiellement le remboursement de sa dette extérieure, le 27 mai le FMI lui accordait un "rééchelonnement" des remboursements, ainsi que deux nouveaux crédits d'un montant total de plus d'un milliard de dollars en échange d'un engagement des autorités algériennes à appliquer un "programme d'ajustement structurel" sévère à l'économie: dévaluation du dinar, suppression des subventions aux produits de base, liquidation des "canards boiteux", licenciements en masse, entre autre dans la fonction publique,... bref, un ensemble d'attaques en règle contre les conditions de survie précaires des prolétaires! Ces nouveaux arrangements financiers et politiques entre capitalistes illustrent la solidarité dont bénéficie l'Etat algérien de la part des autres puissances impérialistes face aux risques de déstabilisation sociale. La violence de ces dernières mesures antiprolétariennes met en lumière la profondeur de la crise en Algérie. Les années qui viennent sont sous les mêmes hospices que les précédentes: austérité, guerre,... Pour 1996, les accords entre le FMI et le gouvernement sont non seulement maintenus, mais renforcés, les négociations se portent sur 1,5 milliard de dollars, ainsi que les accords habituels avec la France qui accorde chaque année 6 milliards de francs français. Non seulement il s'agit de continuer le plan prévu en 1994, mais bien sûr de le renforcer, notamment par une réforme du système fiscal; en effet la situation est telle que le gouvernement n'arrive à pomper fiscalement que le secteur public et les fonctionnaires qui sont soumis au régime du prélèvement à la source, le but est évidemment d'imposer un maximum de gens. Les privatisations des entreprises publiques (assurances, distribution, tourisme,...) sont prévues, le nombre de licenciements est estimé à 200.000 rien que pour ce secteur tandis que les entreprises jugées non rentables seront tout simplement fermées. Les plans prévus pour les trois ans à venir sont clairs: toujours plus d'austérité pour les prolétaires, et c'est possible grâce à la guerre qui sévit là-bas. Tous ces milliards investis en Algérie servent aussi à financer l'entretien des opérations militaires, des effectifs de 2.000 à 3.000 soldats d'élite sont disponibles pour réduire les maquis de quelques centaines d'hommes. Le tout accompagné de tirs d'artillerie, bombardements aériens. Le milliard de dollars de 1994 a servi à acheter des stocks de munitions, des hélicoptères Ecureuil, des systèmes de vision nocturne ainsi qu'à augmenter les soldes et primes des troupes engagées dans les opérations de guerre interne. La durée du service militaire a été allongée dans plusieurs contingents.
L'alternance et ou la concomitance du processus électoral avec la répression massive, les aller-retour entre reconnaissance et interdiction du FIS, les "plate-forme" de Rome et autres "Conférence nationale du consensus", le FLN débouté par l'armée, la création du HCR et autres instances, la répression ouverte, la torture,... sont tous des moments de la guerre que mène la bourgeoisie contre le prolétariat. La guerre électorale (12) s'est montrée inefficace à restaurer une paix sociale durable et s'est transformée en guerre tout court, guerre qui permet de continuer à imposer les nécessaires mesures d'austérité au prolétariat. Ainsi, même si des émeutes de quartiers, grèves (13) continuent à surgir régulièrement montrant un prolétariat qui continue à se battre, il semble que le rapport de forces soit globalement en faveur de la bourgeoisie. Si des noyaux de prolétaires continuent de résister, bravant quotidiennement le terrorisme capitaliste, la récente décantation qui s'est opérée au sein du "mouvement islamiste" constitue la réponse directe de l'Etat face à la persistance de cette combativité. Le FIS prétend aujourd'hui contrôler une grande partie de la "mouvance armée islamiste" en l'ayant agglomérée au sein d'une "Armée islamique du salut" sous la houlette d'une direction nationale unifiée et inféodée aux directives politiques du FIS -une évolution qui renforce la respectabilité de "l'islamisme modéré" aux yeux des autres fractions bourgeoises, tandis que le GIA (Groupe Islamique Armé), responsable d'actions plus spectaculaires et plus mystificatrices (anti-étrangers, anti-Occident, avec des mots d'ordre autonomistes comme "ni Est ni Ouest") prétend regrouper les éléments les plus radicaux et jusqu'auboutistes en lutte contre le gouvernement, ne cesse de voir ses rangs grossir. Les prolétaires restent prisonniers des pratiques réformistes de toutes ces fractions qui se sont créées durant ces quelques années. De plus, à aucun moment, durant ces sept dernières années, d'autres révoltes dans les pays limitrophes ne sont venues consolider les moments de détermination et de force du prolétariat en Algérie. La faiblesse tragique des niveaux de centralisation internationaliste entre les éléments révolutionnaires de notre classe ne fait que renforcer les frontières géographiques et idéologiques dans lesquelles les Etats enferment les luttes prolétariennes.
Le niveau de terreur étatique que la bourgeoisie met ouvertement et quotidiennement en oeuvre à très grande échelle, dans la situation d'isolement des luttes que nous venons d'évoquer ainsi que l'incapacité du prolétariat à s'autonomiser des partis réformistes, finit par achever sa combativité.
La situation actuelle en Algérie constitue une confirmation éclatante de ce que notre classe manque cruellement de structuration internationale des contacts, de capacités à coordonner et à diriger les luttes en dehors et contre toutes les structures de l'Etat bourgeois, en fonction de l'internationalisme prolétarien et du programme de révolution de fond en comble de ce système pourri.
Ces manifestations de colère ne sont pas les premières -ni certainement les dernières- dans ce coin de planète qui n'a décidément rien d'un paradis. Des émeutes avaient déjà éclaté quelques mois auparavant. En février 1995, suite au licenciement de deux ouvriers, des grèves, des manifestations, des affrontements violents avec les forces de l'ordre (un grand nombre de voitures et de camions furent incendiés, des bouteilles de gaz imbibées d'essence avaient été lancées sur les gendarmes,...) avaient mis à mal l'économie de l'île durant plus d'un mois et demi. Les causes de tout cela, il ne faut pas les chercher bien loin. La situation de misère généralisée dans laquelle se trouve le prolétariat est terrifiante. Plus de 50% de la population est au chômage, c'est-à-dire presque sans aucun revenu (1), et s'entasse dans des bidonvilles construits avec tout ce qui est possible de récupérer sur les décharges. Ces cloaques-ghettos sont des dépotoirs de bout du monde, où le trop plein de bras inutiles doit "vivre", suspendu à quelques minables allocations de chômage et autre RMI de survie. Dans les rues, traînent plus de 20.000 jeunes sans autre avenir que celui, bien mince, d'aller travailler comme larbin dans un des innombrables hôtels de luxe qui peuplent l'île.
Mais de tout ce contexte social, la presse n'a pas parlé. D'après les journalistes, les événements de Papeete ne seraient que l'oeuvre, "le complot" de quelques indépendantistes. Mais là aussi, la réalité rattrape et dépasse ces vendeurs de mensonges. Si les syndicalistes et autres indépendantistes étaient présents lors des émeutes de septembre 1995, c'est bien avant tout pour faire leur sale boulot de chien de garde du système et tenter de mobiliser les prolétaires vers des objectifs bourgeois. Ils ne s'en cachent même plus, c'est ouvertement qu'ils revendiquent leur rôle de pacificateur social: "Je refuse de porter le chapeau pour la démolition de l'aéroport et le saccage de la ville... Ces jeunes désoeuvrés, je ne les connaissais pas et je n'ai pas organisé leur action... J'ai même essayé de les calmer quand ils ont commencé à détruire l'aéroport. Je leur ai dit qu'"A Tia I Mua" n'était pas là pour ça. Ils ne m'ont pas écouté." (Hiro Tefaarere, leader syndicaliste, qui dans le civil est inspecteur des... Renseignements Généraux, in Libération 09/09/1995).
Si tous les défenseurs de l'ordre se mettent eux-mêmes à dévoiler leur fonction profonde...
Depuis le 1er septembre 1994, l'IRA a lancé une nouvelle campagne contre ce qu'elle appelle "les éléments antisociaux". 162 agressions ont été commises alors que les milices pro-britanniques en comptabilisaient eux, 103. C'est sous le nom de "punishment beating" pour les petits délits et de "punishment shooting" pour les plus graves que l'IRA sous le couvert du DAAD (Direct action against drug) règle ses comptes et fait sa police. Comme toute fraction bourgeoise qui se respecte, les "catholiques" comme les "protestants", les nationalistes d'un bord comme de l'autre cherchent à faire régner l'ordre social. Ainsi le sale boulot que n'assure même plus les forces de répression officielles, ce sont les diverses fractions nationalistes qui le prennent en charge. Dans l'assumation de cette tâche, l'IRA-DAAD est passé maître et pratique toutes sortes d'exactions -de la mutilation à l'exécution- au nom de leur état, le tout sous le regard bienveillant des "ennemis" britanniques: membres brisés à coup de marteau, corps déchiquetés par l'utilisation de planches à clous, humiliations, punitions publiques, chantages, séquestrations...
Mais la répression nationaliste et patriotarde ne s'arrête pas là. Régulièrement, l'IRA et les autres milices paramilitaires décrètent des "amnisties" à conditions que les "criminels" viennent confesser publiquement leurs crimes. Une fois le délai passé, le suspect qui ne s'est pas confessé subit la peine du "kneecaping", c'est-à-dire reçoit une balle dans le genou et finit par boiter. Ainsi, il sera marqué pour le restant de ses jours comme "élément antisocial". Une justice bien plus rapide et plus expéditive, et toujours plus terroriste, que le cirque des tribunaux et des prisons. Pour d'autres, les punitions sont encore plus radicales, c'est carrément la balle dans la tête. Ainsi récemment, 7 personnes soupçonnées par les nationalistes protestants de trafic de drogue ont été purement et simplement abattues par balles. Pas besoin de preuves, de dossiers, de tribunaux... il suffit d'avoir des soupçons. Cela ne rigole pas. Les prolétaires n'ont qu'a bien se tenir. Même si la faim les tenaille, il n'est pas question pour eux, sous peine de mort, de faire quoi que ce soit pour survivre: magouille, combine, vol, recel, trafic, détournement, pillage... seront punis sévèrement... tout cela évidemment sous le patronage du gouvernement anglais, avec la compréhension polie de la police officielle et la bénédiction des curés catholiques.
Cette politique de répression ouverte contre le prolétariat n'est pas neuve. Depuis que l'armée britannique s'est installée en Irlande du Nord en 1969, l'IRA et les autres groupes nationalistes n'ont pas cessé de mener des campagnes contre les "éléments antisociaux". Au milieu des années 1970, les permanences du Sinn Fein (la branche politique de l'IRA) servaient carrément de commissariat de police. C'est là que les plaintes aboutissent et se concrétisent immédiatement par la condamnation des "délinquants". Toute la panoplie des châtiments s'applique: des "travaux d'intérêt général" pour les petits "déviants", à la mise au pilori pour les "voleurs", jusqu'aux badigeonnage de goudron pour les "cambrioleurs", alors que les "violeurs" eux, sont punis d'une balle dans le genou et les "mouchards" directement exécutés.
"Ce n'est pas facile de lutter pour l'instauration d'une société que l'on veut idéale, alors qu'elle brise déjà les os des voleurs de bonbons!", s'interroge un peu tardivement ce vieux soldat "catholique".
Décidément, pour tous ceux qui en doutaient encore, l'IRA est bien un Etat dans le plus pur style bourgeois avec son gouvernement, son parlement, son armée, ses flics, ses élections, ses juges, ses prisons...
Et quelle catastrophe: dix morts, 80 blessés dont une vingtaine gravement atteints, plus de 200 véhicules transformés en un amas de ferraille indescriptible. Pour les masse-merdias avides de catastrophe à offrir au citoyen-voyeur, c'est du pain béni. Les flashes spéciaux crépitent, les rédactions sont sur pied de guerre. Ça va certainement faire grimper l'audimat et vendre du papier. Tout y passe, interviews des rescapés, images racoleuses sur les corps déchiquetés que les secouristes arrachent des voitures et des camions en feu, le tout offert avec le commentaire habituel sur la "fatalité". Rien n'est laissé au hasard dans cette gigantesque mise en scène, tout est scientifiquement organisé, mesuré, dosé jusqu'au mensonge lui-même orchestré par le spécialiste de service qui joue comme d'habitude son rôle de baratineur professionnel: "Dans le brouillard, l'oeil n'a généralement rien à quoi se raccrocher. Il va donc automatiquement se régler sur l'infini, ce qui naturellement nous entraîne à accélérer. Involontairement, nous dépassons donc la vitesse de sécurité. De plus dans le brouillard, on se trompe dans l'estimation des distances. Un véhicule qui nous précède semble être plus éloigné qu'il ne l'est réellement. Du fait de l'accoutumance à la vitesse élevée, l'estimation erronée de la vitesse que l'on adopte dans le brouillard est également source de danger."
Derrière tout le blabla, c'est encore une fois une bien banale histoire de pognon, de rentabilité qui est à l'origine de ce carnage. Deux jours après la catastrophe, un petit entrefilet, passé tout à fait inaperçu, nous apprenait que le brouillard à l'origine du carambolage n'était pas dû au hasard...
"Ce qui s'est produit mardi matin est un phénomène bien connu [nous soulignons NdR], lié à des conditions très locales. Lié, en fait, à la construction même de l'autoroute...".
Ce n'est donc pas la vitesse, la distance, le brouillard, la fatalité qui... Et Monsieur Hugo Ottoy, un prévisionniste à l'Institut Royal Belge de Météorologie d'affirmer: "Il a fallu extraire beaucoup de sable pour construire l'autoroute. Les sablières toutes proches se sont remplies d'eau. Or, une masse d'air au-dessus d'un plan d'eau est toujours un peu plus chaude qu'au-dessus du sol. Elle contient donc plus de vapeur d'eau. Porté par un vent faible, cette masse d'air saturé d'eau s'est déplacée juste au-dessus du sol de l'autoroute, fort refroidi par le ciel dégagé de la nuit... les gouttelettes microscopiques se sont condensées, et ont trouvé de quoi se déposer sur les innombrables impuretés qui stagnent au-dessus des autoroutes."
Et le journaliste qui fait l'interview d'ajouter: "Et voilà comment, brutalement, ces innombrables noyaux en suspension vont former une masse compacte, bouchant la vue aux automobilistes. Inévitable? Oui, à moins d'installer ces sablières à des kilomètres d'une autoroute en construction. Ce qui serait budgétairement intenable." (sic!)
C'est donc pour un budget... "tenable" que trois personnes supplémentaires sont mortes 1 mois plus tard exactement au même endroit. Décidément, à chaque fois que la bourgeoisie nous parle de "catastrophe naturelle", il ne faut pas chercher bien loin pour découvrir que c'est SA PROPRE responsabilité qu'elle occulte. Et encore, ce nouveau "spécialiste" même s'il avance une explication plus plausible que ses collègues n'en reste pas moins assez loin de la vérité. S'est-il seulement posé la question de savoir pourquoi chaque jour entre 6 et 22 heures circulent sur cette portion d'autoroute plus de 63.000 véhicules dont 20% de camions? S'est-il posé la question de savoir pourquoi les bagnoles se transforment sous le moindre choc en véritables corbillards roulants? S'est-il posé la question de savoir pourquoi des camions de plus de 45 tonnes filent à 140km/h? Bien sûr que non! Se poser ce genre de question, c'est remettre en question le fonctionnement global de cette société, une société fondamentalement basée sur la DICTATURE DE LA RENTABILITÉ, la tyrannie de la valeur, de la concurrence, de la marchandise et du commerce; une tyrannie garantie par la démocratie. Et c'est au nom de cette dernière qu'on nous demande de ne pas lutter pour imposer, CONTRE la dictature de la rentabilité, la dictature du prolétariat pour l'abolition du travail salarié!
L'unique responsable du carnage de ce 27 février, ce n'est ni le brouillard, ni la vitesse excessive ou les distances non respectées, mais bien le Capital qui divise le temps et l'espace pour comptabiliser, pour vendre, pour faire des bénéfices, des dividendes, du fric... la mort n'étant finalement qu'un facteur marginal dans les calculs glacés de ces intégristes de l'or.
Cette organisation, qui n’a jamais rompu avec les conceptions social-démocrates et pacifistes, n’a jamais cessé non plus d’affirmer sa conception européiste et raciste du monde. Concrètement, alors que ce groupe fait l’apologie de quantités de grèves et de manifestations pacifistes (en général syndicalistes) qui ont lieu en Europe Occidentale et spécialement en France (1), il s’est spécialisé dans le dénigrement des luttes prolétariennes sur tous les autres continents (Moyen-Orient (2), Amérique, Afrique).
Quelque soit l’endroit, le CCI ne se trompe jamais de camp. En Europe, il s’oppose à chaque tentative de rupture classiste et dénonce toute action violente du prolétariat en la qualifiant de provocation. Partout ailleurs, armé de cette bonne vieille idéologie eurocentriste et social-démocrate, il nie le caractère de classe du mouvement social révolutionnaire ainsi que les groupes classistes qui le défendent.
"Il est évident que les premières bagarres, si elles ne furent pas directement fomentées par la police, furent amplement favorisées par elle..." (3)
"De plus ces provocations furent un bon moyen pour la bourgeoisie de chercher à intimider les ouvriers au travers du déploiement de son arsenal répressif pour leur faire croire que face à l’Etat ils n’ont aucun moyen d’imposer un rapport de force en leur faveur..."
"Quant aux "actions explosives" basées sur le terrorisme, elles n’ont non seulement rien à voir avec la lutte du prolétariat, mais elles font chaque fois plus partie des moyens utilisés par la bourgeoisie pour perpétuer sa terreur de classe. Il s’agit dans le meilleur des cas de réactions désespérées de la petite bourgeoisie rebelle et sans avenir, et au pire (dans la majorité des cas) d’actions de groupuscules manipulés par l’Etat et ses services secrets..."Remarquez que c’est exactement la même argumentation qu’utilise la social-démocratie contre les groupes prolétariens partout dans le monde, une argumentation identique à celle qu’ont utilisé les opportunistes et les réformistes contre tous ceux qui conquirent l’autonomie révolutionnaire du prolétariat dans la rue en 1917-23. Ceux qui passent à l’action directe, ceux qui n’acceptent pas la paix sociale sont accusés de servir l’ennemi et de constituer le prétexte de la bourgeoisie pour durcir la terreur d’Etat. Comme si le terrorisme d’Etat avait jamais eu besoin de prétexte!
Les camarades du Collectif que nous citons concluent qu'"il viendra un temps où ceux qui écrivent de telles choses devront raser les murs"... et ils ont raison!
Souvenons-nous que ce sont les mêmes arguments social-démocrates qu’utilisèrent les Domingo Arango et autres Abad de Santillan face aux actions violentes des militants révolutionnaires comme Di Giovani ou Rocigna en Argentine dans les années ’20. Et pour ce type de calomnie, dont l’utilité pour l’Etat est ici bien réelle, Domingo Arango reçut une balle dans la tête, et nous ne pouvons que déplorer qu’Abad de Santillan n’ait pas subi le même sort, lui qui par la suite, en Espagne en 1936/37, joua un rôle de premier plan dans la liquidation et le désarmement républicain du prolétariat qui avait triomphé dans l’insurrection.
Comme nous le disions auparavant, nous ne pouvons nous arrêter à chaque falsification, à chaque mensonge. Nous nous contentons de dénoncer la méthode générale de falsification. Ainsi par exemple, à tout moment, les rédacteurs de cet article font comme s’ils citaient nos textes en mettant des demi-phrases entre guillemets, alors qu’en réalité ce ne sont que des constructions de l’esprit du CCI qui n’ont rien à voir avec nos affirmations.
A commencer par le titre lui-même: "Le GCI et son appui au ‘mouvement zapatiste’". Jamais notre groupe n’a appuyé un quelconque "mouvement zapatiste", mais bien le mouvement du prolétariat contre la bourgeoisie au Mexique.
Autre exemple: "Voilà son appui ‘critique’ à Sentier Lumineux au Pérou". Ici, en plus d’une parfaite falsification, on trouve une véritable collaboration avec la politique d’amalgame que réalise la police. Nous n’avons jamais formulé d’appui critique ou a-critique à Sentier Lumineux. Nous avons globalement dénoncé ce groupe comme un danger pour l’autonomie du prolétariat dans la région. Nous considérons en outre comme contre-révolutionnaires et vouées à l’impasse ses positions sur la guerre paysanne ou la lutte pour la démocratie. Ce que nous avons fait et continuerons à faire, c’est soutenir la lutte du prolétariat au Pérou, y compris la lutte des prolétaires prisonniers, et ce, même si certains, voire un grand nombre, d’entre eux portent le drapeau de Sentier Lumineux. Et pendant que cette bande de salopards que constitue le CCI déclarait qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques prolétariens en Amérique Latine, nous luttions, quant à nous, pour libérer les prolétaires emprisonnés. Au moment même où le CCI restait indifférent à (et se rendait complice de) l’impressionnant massacre de prisonniers prolétariens orchestré par la social-démocratie dans ce pays sous prétexte que ces prisonniers appartenaient à telle ou telle organisation, notre groupe, lui, se définissait ouvertement pour les prisonniers et appelait à la dénonciation du massacre et à la lutte du prolétariat international (4). En réalité, pour le CCI comme pour l’Etat bourgeois, et en particulier pour la police péruvienne, se situer du côté des réprimés, c’est soutenir Sentier Lumineux. Et c’est bien là la base de toute la stratégie policière au Pérou, une stratégie meurtrière qui consiste à réprimer n’importe qui en l’accusant de collaborer ou de soutenir Sentier Lumineux. C’est précisément sur base de cet amalgame que beaucoup de camarades internationalistes ou qui se définissent comme anarchistes sont réprimés. Comme nous le disions à l’époque: "de toute façon, nous croyons que se désolidariser des réprimés sous prétexte que ce sont des staliniens, maoïstes ou autres, c’est se faire complice de l’Etat et de toute la presse internationale qui identifie Sentier Lumineux et son idéologie au prolétariat écrasé dans le sang aujourd’hui au Pérou." Mais le fait de se situer franchement du côté du prolétariat en affrontant et en dénonçant le terrorisme d’Etat n’a rien à voir avec un appui critique à telle ou telle organisation formelle; de la même manière que, par exemple, le soutien à la révolution prolétarienne en Russie ne doit pas être amalgamé au soutien à la politique de l’organisation formelle bolchevique. D’ailleurs, cette dernière ne se démarquait pas non plus du terrain de la social-démocratie de gauche et c’est pourquoi elle oscilla entre l’insurrection et l’appui au gouvernement démocratique bourgeois, entre l’action directe et le parlementarisme, entre l’affrontement au Capital et la politique économique de développement de ce dernier (fortification du "capitalisme d’Etat", taylorisme, NEP, etc.). Dans le camp ouvrier, on a toujours considéré comme flic ou indic celui qui contribue à ce type d’amalgame policier et qui "confond" l’action décidée face à l’Etat avec telle ou telle organisation formelle qui se trouve dans la clandestinité et est pourchassée par la police. Comme le montre l’exemple de la politique de l’état italien durant ces dernières années, cette politique d’amalgame est fondamentale dans la répression étatique.
Enfin, chaque fois que le CCI nous cite dans cet article et que les passages entre guillemets sont censés constituer une affirmation de notre groupe, il s’agit de mensonges, de calomnies. Ainsi, on apprend que le GCI se présente comme le "continuateur de la tradition bordiguiste" (les guillemets sontdu CCI!). On pourra lire les milliers de pages que nous avons écrites dans toutes les langues, on ne rencontrera aucune absurdité de ce genre. Ceci est la pure idéologie du CCI. Ni notre groupe, ni Bilan, ni Prometeo... ne se sont jamais présentés comme bordiguistes, et encore moins comme continuateurs de la tradition bordiguiste (pauvre Bordiga!). Même chose quand il dit que nous revendiquons la "Révolution Mexicaine", ou que nous considérons que le "mouvement de Emiliano Zapata fut influencé par le prolétariat", le CCI débite une quantité de conneries ayant pour seul fondement sa propre idéologie social-démocrate qui fait une distinction entre "les paysans" et le "prolétariat"; mais cela n’a rien à voir avec nos positions.
Ce qui est important dans tout ça, ce n’est pas de dénoncer telle ou telle insulte lancée contre nous, mais de dévoiler la méthode utilisée par la contre-révolution: des citations qui ne sont pas fidèles, des falsifications, des amalgames,... Comme s’il s’agissait d’un procès, le but recherché est de nous discréditer et, si possible, de nous livrer pieds et poings liés aux flics.
"Que sont la ‘majorité du prolétariat en armes’? Une poignée de paysans dont la désespérante misère a servi les organisateurs du mouvement"..."quelques paysans qui rêvent d’une sorte d’autonomie pour les ethnies, qui ne cherchent pas l’abolition de la propriétéprivée et de l’exploitation mais bien la ‘restitution de terres’... en fait, son objectif ne va pas plus loin que l’ordre établi, elle n’aspire à rien d’autre que ‘rendre plus juste et humaine l’exploitation’."On remarque qu’ils ne perdent pas la manie de mettre entre guillemets et d’attribuer à leurs adversaires (les prolétaires au Mexique) des phrases qu’ils énoncent eux-mêmes. Observez bien la manoeuvre grossière qui consiste à mettre entre guillemets la phrase "rendre plus juste et humaine l’exploitation" comme si leurs contradicteurs avaient déclaré cela! Et de dénigrer ainsi la lutte du prolétariat en inventant des phrases qu’eux seuls soutiennent!
Comme c’est courant dans la social-démocratie, on discrédite le prolétariat, on tente de le diviser, on le traite de paysan pour le seul fait de vivre à la campagne, et de la même manière s’il vit en ville, on tente de le dissoudre dans les citadins, les citoyens. En effet, le CCI sait comme tout le monde qu’ici il ne s’agit pas du "paysan à parcelles" français dont parle Marx dans "Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte", il ne s’agit pas du petit propriétaire, mais au contraire de l’ouvrier agricole dépossédé de tout (5), du prolétaire classique qui n’a rien d’autre à vendre que sa force de travail, dont l’unique propriété est sa prole, et qui, en tant que tel, se trouve objectivement opposéau monde de la propriété privée. Opposition qui, de notre pointde vue, n’émerge pas d’une quelconque idée, de telle ou telle manifestation ou déclaration idéologique, mais au contraire de la vie même des prolétaires, de la privation totale de moyens de vie, de la seule classe dont l’existence sociale et matérielle s’oppose à la propriété des moyens de vie (et de production). Et quand on attribue aux prolétaires (qu’ils soient ou non agricoles) d’autres objectifs que la révolution sociale, on agit purement et simplement du côté de la contre-révolution, celui d’où a toujours agi la social-démocratie.
Ce qu’affirme ici le CCI, en attribuant à ceux qui crèvent de faim des intérêts différents du reste du prolétariat, c’est ce qu’a toujours affirmé la contre-révolution. Pendant que les Maderos, les Carranza,... la social-démocratie, le CCI au Mexique et l’EZLN désignent comme objectif au prolétariat agricole dans ce pays la réforme et la défense de la propriété privée, les révolutionnaires d’hier et de toujours, de Zalacosta à Julio Chávez López, en passant par Librado Rivera et Flores Magón,... et jusqu’aux révolutionnaires d’aujourd’hui, fixent clairement pour objectif l’abolition de la propriété privée et la destruction de l’Etat.
"La guerre au Mexique de 1910-1920 ne fut pas d’abord une révolution prolétarienne. Le prolétariat industriel jeune et dispersé (6) ne constitua pas une classe décisive durant celle-ci. De fait, ses tentatives de rébellion les plus importantes, la vague de grèves du début du siècle, avaient été complètement écrasées la veille. Dans la mesure où certains secteurs prolétariens participèrent à la guerre, ils le firent comme wagon de queue d’une fraction bourgeoise. Quant au prolétariat agricole, sans son frère industriel comme guide et encore fort attachéàla terre, il resta fort intégréà la guerre paysanne... Mais la dénommée ‘révolution mexicaine’n’épuise pas son contenu dans le conflit social interne. Elle reste aussi pleinement inscrite dans les conflits impérialistes qui secouèrent le monde au début du siècle et qui menèrent à la Première Guerre Mondiale... et à un changement dans l’hégémonie des grandes puissances." (7)A partir du moment où le prolétariat passe de la vague de grèves à la lutte armée, lorsqu’il tranche la tête aux bourgeois etexproprie, alors la social-démocratie ne parvient plus à cacher sa répugnance, elle refuse de lui octroyer le certificat de lutte prolétarienne et la taxe de "terroriste" etc.
Sur le fond de la question, nous n’avons plus rien à ajouter; à nos yeux il est normal que le CCI ne reconnaisse pas le caractère révolutionnaire de la lutte du prolétariat. Nous nous en remettons aux textes que nous présentons, et que nous continuerons à présenter, sur la révolution et contre-révolution au Mexique. Il y a 80 ans,le camarade Flores Magón répondait à ces mêmes calomnies et remettait ses auteurs à la place qu’ils méritaient. A l’époque, la social-démocratie et des secteurs de l’"anarchisme" social-démocrate (comme par exemple Grave ou Galleani) niaient également le caractère prolétarien, le caractère communiste de ces luttes; et à cette époque aussi, la barricade n’avait que deux côtés: soit on se situait du côté du prolétariat et de sa lutte, soit on était contre celle-ci.
"Qui sont ceux qui doutent qu’il y ait au Mexique un mouvement révolutionnaire, et que ce mouvement ait pour objet immédiat, non l’ascension d’un nouveau Président, mais bien l’appropriation de la terre et de la machine de production?
Seuls quelques fripons qui par leur silence ou leurs attaques, aident la bourgeoisie et l’Autorité, ôtant la force morale et matérielle à ceux qui se sont soulevés en armes en brandissant le Drapeau Rouge du prolétariat mondial."
Ricardo Flores MagónEn ce qui concerne l’invention réactionnaire qui consiste à dire que cette lutte s’inscrirait dans la guerre impérialiste, nous pouvons seulement rajouter que seuls ceux qui confondent la révolution avec la contre-révolution peuvent faire une telle affirmation, parce que c’est seulement lorsque la contre-révolution triompha, quand l’extraordinaire mouvement révolutionnaire de nos camarades fut liquidé, que le prolétariat fut transformé en wagon de queue et chair à canon de la guerre interbourgeoise. Et ceci n’est pas propre au Mexique. Dans toutes les autres grandes tentatives révolutionnaires de ce siècle, comme en Russie ou en Allemagne, ou plus tard encore en Espagne, c’est lorsque la contre-révolution a triomphé (sous le drapeau de la révolution ou non) qu’on a réussi à mobiliser les ouvriers comme peuple et qu’on est parvenu à en faire de la chair à canon pour les différentes fractions bourgeoises qui se disputaient la direction de l’Etat, ce qui se conclut par la gigantesque boucherie impérialiste que la fameuse opinion publique et ses défenseurs idéologiques s’obstinent encore à appeler "seconde guerre mondiale".
dans "La Guerre de Classes"
Regeneración, 6 avril 1912
Pour nous, comme l’explique le camarade Flores Magón (Cf. le texte "Esta resuelto el problema del hambre" publié dans notre revue centrale en espagnol Comunismo No.35), ou comme l’expose Marx, la révolte prolétarienne naît des nécessités du prolétariat. De même, le contenu socialiste, communiste de sa lutte réside dans sa vie même, dans son opposition internationale et, si l’on veut, pré-consciente au capital. Les programmes formels révolutionnaires, communistes, n’émanent pas des idées de tel ou tel individu, mais sont contenus dans cette réalité, ce qui bien sûr ne signifie nullement nier l’importance d’expliciter le mouvement et donc l’action organisatrice, consciente et disciplinée, l’action révolutionnaire de parti, dans la lutte pour la société communiste.
Pour la social-démocratie, c’est tout le contraire. Comme le développe Kautsky, Lénine et bien d’autres, les ouvriers ne luttent pas pour leurs intérêts historiques, mais exclusivement pour les intérêts immédiats. Selon eux, le socialisme, ou les idées du socialisme, doivent venir de l’extérieur de la classe.
Voici la fameuse explication de Kautsky sur la conscience socialiste qui vient de l’extérieur:
"...Mais le socialisme et la lutte de classe surgissent parallèlement et ne s’engendrent pas l’un l’autre; ils surgissent de prémisses différentes. La conscience socialiste d’aujourd’hui ne peut surgir que sur la base d’une profonde connaissance scientifique. En effet, la science économique contemporaine est autant une condition de la production socialiste que, par exemple, la technique moderne et malgré tout son désir le prolétariat ne peut créer ni l’une ni l’autre; toutes deux surgissent du processus social contemporain. Or, le porteur de la science n’est pas le prolétariat, mais les intellectuels bourgeois (souligné par Karl Kautsky): c’est en effet dans le cerveau de certains individus de cette catégorie qu’est né le socialisme contemporain, et c’est par eux qu’il a été communiqué aux prolétaires intellectuellement les plus évolués, qui l’introduisent ensuite dans la lutte de classe du prolétariat là où les conditions le permettent. Ainsi donc, la conscience socialiste est un élément importédu dehors (von Aussen Hineingetragenes) dans la lutte de classe du prolétariat, et non quelque chose qui en surgit spontanément. Aussi le vieux programme de Heinfeld disait-il très justement que la tâche de la social-démocratie est d’introduire dans le prolétariat (littéralement: de remplir le prolétariat) la conscience de sa situation et la conscience de sa mission."La thèse exposée provient du social-démocrate Karl Kautsky et la version que nous présentons ici est reprise par son disciple Lénine qui amène cette idéologie à son expression maximum dans "Que Faire?":
"La conscience social-démocrate... ne pouvait leur venir que du dehors. L’histoire de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste (syndicaliste NDR)... Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels."La social-démocratie, dans la version mexicaine du CCI, va encore plus loin dans cette négation du prolétariat, de sa lutte, de ses objectifs, de sa conscience. Elle ajoute à sa conception kautskiste de base, toute son idéologie raciste européiste. Pour elle, non seulement, le socialisme vient de l’extérieur du prolétariat, de l’extérieur du Mexique, mais, bien pire encore, il provient directement des apports de la race blanche européenne. A la page 16 de la revue mexicaine que nous venons de commenter, dans un article concernant les syndicats au Mexique, on peut lire la perle suivante:
"Les grèves étaient rarissimes avant 1870, elles commencèrent à se généraliser à partir de cette décennie. Cette transformation ne fut pas une acquisition "spontanée" du prolétariat naissant au Mexique; au contraire, c’était le résultat de l’influence des organisations qui se développaient en Europe."C’est à dire, que selon le CCI, pas même la généralisation des grèves, dont la nécessité se fait sentir dans chaque grève, ne pouvait se manifester dans la lutte du prolétariat mexicain. Pauvres ouvriers mexicains, on ne leur donna même pas un cerveau pour ça..., probablement parce qu’ils sont indiens, parce qu’ils n’appartiennent pas à la race blanche européenne!
La version mexicaine du CCI l’explique ainsi:
"En général, il y avait au Mexique moins de connaissance du développement du socialisme que dans beaucoup d’autres pays latino-américains. Elle émanait dans sa quasi-totalité des activités et des écrits de quelques ouvriers et intellectuels immigrés; néanmoins, l’immigration au Mexique ne joua pas un rôle aussi substantiel dans la formation du prolétariat. En 1910 les étrangers constituaient 59,4% en Argentine et 32,2% au Brésil, alors qu’au Mexique ils étaient à peine 0,77% et de ceux-là seulement 4,2% étaient ouvriers. S’ajoute à cela l’immaturité du prolétariat au Mexique qui fit en sorte que ceux qui se réaproprièrent les expériences organisatrices du prolétariat européen furent les riches artisans..."Voilà donc la version du CCI au Mexique de la théorie kautsko-léniniste de la conscience venant de l’extérieur: elle ne vient pas seulement de l’extérieur de la classe, mais de l’extérieur du pays et c’est évidemment une création de la race blanche européenne.
Ici, on ne nie pas seulement la base fondamentale du déterminisme historique matérialiste, mais beaucoup plus globalement le communisme comme être universel, comme communauté humaine en opposition historique à la communauté de la marchandise et de l’argent. Ici, c’est tout l’arc historique du communisme qui est ignoré, les siècles et les siècles de lutte des exploités contre les exploiteurs, les siècles et les siècles de lutte de l’espèce humaine contre la propriété, contre la valeur en procès,... et pour finir en beauté, le communisme est réduit à une idéologie inventée plus particulièrement en Europe. On constate donc parfaitement, et même si parfois on pourrait croire le contraire, que la social-démocratie ne dépasse pas la conception judéo-chrétienne du monde.
Laissons donc ici les émules modernes de Kautsky. On ne pourrait mentionner ici les dizaines de preuves historiques, pratiques par lesquelles le prolétariat au Mexique, dans sa propre lutte, s’est opposé à la société bourgeoise et a affirmé son caractère révolutionnaire, communiste, non seulement depuis 1910, mais bien avant cela. De toute manière, la lutte révolutionnaire de notre classe n’a pas attendu que le CCI vienne avec ses élucubrations idéologiques pour se développer, tout simplement parce que notre classe n’a besoin de faire aucune investigation théorique, elle n’a besoin d’aucune importation d’idées pour combattre pour ses besoins, pour lutter pour la révolution communiste et en finir avec ses ennemis.
Comme le disait Marx dans "Les luttes de classes en France":
"Dès qu’elle s’est soulevée, une classe où se concentrent les intérêts révolutionnaires de la société trouve aussitôt dans sa propre situation le contenu et la matière de son activité révolutionnaire: des ennemis à abattre, des mesures à prendre, dictées par les besoins de la lutte; les conséquences de ses propres actes l’entraînent plus loin. Elle ne se livre à aucune exploration théorique sur sa propre tâche."
Un demi siècle s'est écoulé depuis les accords de Bretton Woods (le 22 juillet 1944) et la création du Fond Monétaire International et de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD). Tandis que pour le prolétariat ce saut qualitatif dans la centralisation du Capital en Etat mondial engendrait encore et toujours plus de barbarie capitaliste, plus de misère, plus de guerre,... pour d'autres, tout au contraire, depuis lors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes (ce qui n'est sans doute que le reflet idéologique immédiat du bien que cela fit au Capital et, plus personnellement à leur portefeuille) et ils n'hésitent pas à le proclamer et à le démontrer sur base de la science des statistiques."Pour commencer, j'affirmerais que la réussite la plus importante des pères fondateurs de Bretton Woods fut la création de structures durables pour la résolution commune et internationale des problèmes. Leur travail représenta une victoire sur le nationalisme économique et les politiques d'appauvrissement du voisin durant la période de l'entre deux guerres... La moitié de siècle depuis Bretton Woods a été une période de prospérité et d'accroissement sans précédent dans l'histoire. En chiffres ronds, la production mondiale s'est élevée de 300.000 millions de dollars annuels à la fin de la seconde Guerre Mondiale, à presque 30 billions aujourd'hui. Le commerce mondial a augmenté de 30.000 millions de dollars annuels jusqu'à dépasser clairement les 3 billions. Même en tenant compte de l'inflation et de l'augmentation de la population, cet accroissement au centuple représente une amélioration extraordinaire pour le bien-être de l'homme de la rue. Les cinq dernières décennies ont vu plus de progrès dans l'amélioration du niveau de vie que n'importe quelle époque antérieure dans l'histoire..."
Richard N. Gardner "L'Esprit de Bretton Woods" dans El País (Espagne Juillet 1994) (1)
Note
1. Ce monsieur est ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique en Espagne et auteur de "La diplomacia del dólar y la esterlina: origenes y futuro del sistema de Bretton Woods-GATT".