COMMUNISME

Dictature du prolétariat pour l'abolition du travail salarié

Organe central en français du Groupe Communiste Internationaliste (GCI)


COMMUNISME No.41 (Décembre 1994)



En guise d'éditorial:

Plus ça change, plus c'est la même chose!

* * *

Les besoins de restructuration liés à la gestion capitaliste obligent l’Etat à sacrifier régulièrement les cartes qu’il tient en réserve. Confrontée à la difficulté croissante d’imposer sa domination avec des acteurs de plus en plus discrédités par des décennies de gestion, la bourgeoisie se voit contrainte de renouveler son personnel politique pour préserver un semblant d’aspect crédible dans l’organisation de l’esclavage salarié.

Ces dernières années ont vu s’accélérer ce processus. Les gestionnaires du Capital semblent être pris de tournis. Les gouvernements changent de plus en plus vite, encore plus vite, toujours plus vite. Ils s’usent, et de nouvelles coalitions politiques, économiques, militaires... se reforment. Puis se défont. Quand le fusible “civil” saute, on met des “militaires” en place, et vice versa. Le jeu de l’alternance fait se succéder à un tel rythme “droites” et “gauches”, “socialistes” et “libéraux”, “conférences démocratiques” et “dictatures”, qu’il est de plus en plus difficile pour les politiciens de se définir différemment de l’équipe précédente, même superficiellement.

Malgré tous les efforts accomplis par la bourgeoisie pour présenter le plus petit artifice “alternatif” comme une transformation profonde, rien n’y fait: la folle valse des couleurs propres aux différents partis qui se succèdent, a pris une telle vitesse qu’elle n’en fait plus apparaître que ce gris informe unifiant dans la tristesse la façon dont s’habille chacun de leurs représentants.

Sur le marché mondial, les capitalistes s’affrontent de plus en plus violemment pour le contrôle des parts d’une Economie toujours plus en crise, ce qui conduit également à restructurer en permanence: baisses de salaires, fermetures d’entreprises, licenciements massifs, diminution des allocations et des services, augmentation des impôts,... La paix sociale, pourtant toujours fort pesante, en devient précaire et diminue la marge de manœuvre de la bourgeoisie. Pour gérer ces contradictions et le mécontentement croissant, il faut donc encore et toujours brûler de nouvelles cartes, de nouveaux politiciens, de nouveaux gouvernements, de nouveaux partis, de nouveaux “pactes sociaux”.

En Europe et au Japon, diverses campagnes “mains propres”, “anti-corruption”, “lutte contre l’argent sale”... parviennent à vendre, telle une savonnette, l’une ou l’autre génération inédite de gestionnaires. En Afrique, c’est l’épidémie des “Conférences nationales démocratiques” qui frappe la plupart des pays et soutient la mise en place de “nouvelles” marionnettes promettant de “laver plus blanc”. Dans l’ex-URSS et en Europe de l’est, le discrédit des nouveaux gestionnaires est tellement profond, que malgré l’histoire récente de la sanglante et longue répression assumée par les staliniens, on remobilise déjà ces derniers pour participer au maintien de l’ordre. Loin des plans quinquennaux, en Amérique du sud, les multiples “Plan Printemps/Hiver/Automne/Eté...” mis au point par les différentes fractions qui se succèdent ne tiennent même plus le temps d’une saison: à quand les plans hebdomadaires?!

Tous ces scénarios, dictés par l’Economie, se caractérisent par leur impuissance à gérer la crise et parviennent de moins en moins à cacher le véritable dictateur qui se dissimule derrière le jeu de chaises musicales ministériel: le Capital, c’est-à-dire la nécessité d’accumuler de l’argent, de faire fructifier la valeur, d’extraire de la plus value.

Et c’est bien là le nœud de la question. Toutes ces restructurations, ces prétendus “bouleversements”, ces changements qui n’en sont pas, cachent mal le véritable objectif que s’assignent toutes les fractions bourgeoises du monde: renforcer l’austérité, la faire accepter par le prolétariat et postposer momentanément -si cela est encore possible- les effets de la crise. L’Etat mondial espère ainsi (re)mobiliser les prolétaires autour de son “ordre économique mondial” (qu’elle n’ose déjà plus qualifier de “nouveau”!) afin de relancer sa course vers de nouveaux profits.

C’est cette fuite en avant que nous avons voulu souligner dans cet éditorial, en développant trois exemples -la Palestine, l’Afrique du Sud et Cuba- qui, outre le fait d’illustrer l’usure des fractions bourgeoises face à la résistance de plus en plus vive du prolétariat, ont également d’autres points en commun.

Les luttes de libération nationale menées dans chacun de ces pays ont constitué trois des grands mythes importants de l’extrême-gauche bourgeoise internationale pour ces quarante dernières années.

Dans ces trois pays, l’agitation sociale a poussé des bourgeois présentés comme ennemis historiques et irréconciliables à se serrer la main, dévoilant ainsi que lorsqu’il s’agit de préserver la gestion capitaliste, les inimitiés de façade s’effacent pour céder la place à la communauté d’intérêts qui unit tous les bourgeois du monde: la perpétuation de ce système de mort.

oOo

Malgré le nombre impressionnant de serments faits par l’Etat d’Israël, s’engageant à ne jamais copiner avec Yasser Arafat (qui jurait lui-même ne jamais reconnaître l’Etat d’Israël!), voilà maintenant soudain que ce même gouvernement fait du passé table rase et s’engage, la main dans celle de l’ennemi juré, à gérer les difficultés de gestion capitaliste que connaît la région.

L’Apartheid était éternel et jamais les “terroristes” de l’ANC ne participeraient au gouvernement de la région. Voilà encore une fois quelques paroles en l’air qui n’ont pas résisté à la nécessité capitaliste de maintenir, le contrôle sur une situation sociale de plus en plus explosive. Mandela et son équipe au gouvernement, se font aujourd’hui féliciter officiellement par leurs partenaires blancs et par le FMI pour la façon dont ils réussissent à faire passer les plans d’austérité nécessaires au bon fonctionnement du système.

Quand à Fidel Castro, cet ennemi quasi atavique des Etats-Unis, le voilà négociant ouvertement le nombre d’immigrés clandestins/réfugiés à fourguer à ces derniers. Castro a trop de prolétaires. Clinton est dans le même cas. On est tellement plus forts quand on négocie ce genre de question entre gestionnaires capitalistes.

“Terroristes arabes” et “sionistes”, “libérateurs noirs” et “colons blancs”, “castristes” et “yankees”,... mais qu’est-ce qui peut donc bien pousser à s’unir ceux qui nous sont présentés depuis des décennies comme d’irréductibles ennemis?

Pour continuer à se valoriser, le Capital a besoin d’assurer sans heurts l’extorsion de plus value. En période d’expansion capitaliste, les salaires et la forte demande de main d'œuvre assurent relativement la paix sociale. Mais quand survient la crise, les prolétaires deviennent excédentaires par rapport aux besoins du Capital et les salaires de ceux qui ont un travail tendent à être comprimés. Cette situation accentue les tensions sociales et les gouvernements font alors office de fusibles, de responsables désignés pour pareille situation. Tout bourgeois est dès lors mobilisé pour aider à maintenir l’ordre capitaliste. Qu’il soit noir ou jaune, protestant ou juif, qu’il ait vécu dans la pauvreté ou dans l’opulence, qu’il ait passé sa vie en prison ou dans des palais, qu’il soit d’extrême droite ou d’extrême gauche sur l’échiquier parlementaire,... cela ne compte pas dès le moment où il accepte de gérer pour le mieux les intérêts capitalistes et ramener la paix sociale.

Il n’est pas jusqu’au “terroriste international” Carlos que Pasqua n’hésiterait à réhabiliter si la nécessité l’exigeait!

La Palestine, l’Afrique du Sud et Cuba sont trois exemples de pays où la crise capitaliste et la contradiction sociale poussent les gestionnaires locaux vers le gouffre. Castro est brûlé depuis longtemps, mais sa chute s’accélère encore. Arafat est à peine mis en place que sa police assassine déjà des prolétaires dans les rues et que des accusations de torture sont portées contre elle. Quant à Mandela, il se fait féliciter par la bourgeoisie internationale pour la façon dont il impose l’austérité.

Plus ça change... et plus c’est la même chose! Jamais cet adage n’avait sans doute été autant d’actualité.

Le plus amusant dans tout ça, c’est encore de voir l’extrême gauche de la bourgeoisie, maoïstes, trotskystes et anarchistes de salon en tête, se perdre en justifications pour tenter d’expliquer le soutien qu’ils ont apporté, pendant de si nombreuses années, à ces vieilles crapules bourgeoises que sont Arafat, Mandela et Castro. Car voilà maintenant enfin leur programme de libération nationale réalisé! Et tout le monde de constater, dans la réalité cette fois-ci, les merveilleuses avancées que constituent pour le prolétariat l'œuvre de libération nationale à laquelle ces gauchistes bourgeois ont si largement contribué: plus d’exploitation, plus de misère, plus de répression,...

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Beaucoup plus fondamentalement maintenant, à travers cette valse de têtes et de gouvernements transparaît une chose: derrière les luttes entre les différentes fractions bourgeoises, c’est le fantôme du prolétariat qui hante le monde de la valeur, c’est la critique prolétarienne en actes qui s’inscrit comme perspective.

Aujourd’hui, cette critique n’est sans doute encore trop souvent que “résistance”. Demain, elle sera active et organisée. C’est l’Histoire qui parle. Non pas qu’elle se répète; elle s’amplifie. Les leçons que la bourgeoisie a su tirer de la plus formidable vague révolutionnaire internationale qu’ait connu le monde dans les années ’20 de ce siècle, lui ont permis de contenir la crise révolutionnaire tout au long d’une période interminable de contre-révolution dont nul militant communiste n’avait sans doute jamais pu prévoir l’ampleur. Mais durant ce long cauchemar de plus de 70 ans, le prolétariat n’est pas resté inactif. Il a mené des luttes et en a tiré d’importants bilans, porteurs de précieux enseignements pour le futur, et dont la dimension est à la mesure des forces mises en place par la bourgeoisie pour contenir l’émergence de la révolution.

La classe dominante a érigé un énorme rempart pour se prémunir du retour de la révolution, mais elle a ainsi aussi obligé la prolétariat à prendre plus d’élan. Plus de ce recul indispensable pour saisir les innombrables facettes des forces de conservation du Vieux Monde, et les affronter armés de toutes les ruptures nécessaires à sa mise à mort. Le prolétariat a compris, pour l’avoir expérimenté, que l’ennemi contre-révolutionnaire ne se limite pas aux capitalistes affirmés, ou a tel ou tel parti, à tel ou tel individu,... mais qu’il existe comme force au sein même de ses propres efforts pour s’organiser en classe, en parti. Comprendre la contre-révolution et la combattre, c’est saisir l’incroyable capacité du Capital à transformer les plus insignifiantes faiblesses prolétariennes en véritable “bélier” pour “rentrer” au sein même des polémiques programmatiques du prolétariat et en détruire les perspectives. Pour prendre un exemple, la force de la contre-révolution réside moins dans l’existence des syndicats en tant que tels, que dans sa capacité à transformer une pratique ouvrière en pratique syndicaliste. Mais cette énorme puissance réformiste du Capital a son revers. C’est précisément pour avoir vécu dans sa chair la force et les aspects multiformes de la contre-révolution bourgeoise, que le prolétariat a dû, pour empêcher la reproduction des mêmes erreurs, produire des niveaux de démarcation fondamentaux avec la démocratie, le syndicalisme, le parlementarisme, le pacifisme, etc. Ces ruptures sont déterminantes pour l’affirmation des perspectives que se donneront les futures structures internationales de notre classe. L'ampleur de la prochaine vague révolutionnaire sera à la mesure des leçons que nous avons été contraints de tirer de notre écrasement.

L’entrée dans le troisième millénaire sera terrible pour la bourgeoisie.

1. Lutte de classe en Palestine

Durant les années ’60 et ’70, l’extrême gauche de la bourgeoisie nous fait prendre la lutte de libération nationale du “peuple palestinien” pour la Mecque de la lutte révolutionnaire. Les plus radicaux allant même jusqu’à qualifier le soutien à cette lutte bourgeoise comme la plus haute expression de l’internationalisme prolétarien (1).

La réalité est pourtant bien différente. Derrière la création d’un “nouvel Etat”, ce que la bourgeoisie mondiale tente de dissimuler ce sont les contradictions explosives qui s’accumulent depuis des décennies dans cette région. Les conditions de survie du prolétariat sont devenues, au fil des ans, toujours plus misérables, toujours plus insupportables. Gaza n’est qu’un gigantesque camp où la concentration prolétarienne au mètre carré est la plus forte au monde. Les ouvriers sont parqués dans ce minuscule territoire comme dans un mouroir. Entassés les uns sur les autres, sans eau, sans électricité, sans égouts, sans rien à manger, cela ne pouvait plus éternellement durer. Face à la détermination des prolétaires à changer leurs effroyables conditions de survie, la bourgeoisie locale va répondre, d’abord et comme toujours, par la répression violente.

La polarisation bourgeoise se cristallisera durant des années autour de l’extraordinaire répression que mènera l’armée israélienne. Encadrés par les fractions des “libérateurs” palestiniens, un grand nombre de prolétaires feront les frais de cet affrontement inter-bourgeois entre la fraction palestinienne et israélienne. Pourtant, cette gigantesque répression n’a pas suffit à ramener la paix sociale. Dans les années 1980, les luttes reprennent de plus belle, aussi bien dans les fameux “camps palestiniens” du Liban que dans les dits “territoires occupés”. A nouveau la réponse bourgeoise sera la répression. Malgré plus de 1.000 morts, de 20.000 blessés, de 140.000 arrestations, malgré les déportations massives, l’instauration de couvre-feu prolongés dans les agglomérations, la démolition de maisons servant de refuge à des “suspects”, la dispersion des manifestations à coups d’armes automatiques, l’exécution de prolétaires par des escadrons de la mort,... malgré les licenciements massifs de prolétaires “palestiniens” -comme les 100.000 ouvriers originaires des “territoires occupés” en mars 1993-, malgré le bouclage régulier des territoires pour une durée indéterminée condamnant plus fortement encore les prolétaires au chômage et à la misère; malgré cet étalage quotidien de la terreur, de la répression bourgeoise dans toute sa force, jamais la situation ne s’est réellement calmée. Au contraire même, la répression a provoqué l’accélération des conflits à tel point que toutes les fractions bourgeoises de la région s’inquiètent car elles perçoivent ces camps de misère comme de véritables poudrières sociales prêtes à exploser. Explosion qui serait, d’après les craintes exprimées par les possédants, capable de faire tache d’huile dans toute la région.

Devant son impuissance à mater la révolte de ces prolétaires, la bourgeoisie mondiale change son fusil d’épaule. La seule répression militaire ne suffit plus à assurer la paix sociale. D’autant plus que la cohésion sociale tend à s’effilocher au sein même, non seulement, de l’armée israélienne (désertions, refus d’obéissance, démissions d’officiers,...) mais aussi de l’ensemble des prolétaires de la zone israélienne qui refusent chaque jour d’avantage de payer le prix des sacrifices qu’il faut consentir pour protéger l’Etat israélien. Les troubles persistants entraînent une diminution des bénéfices, situation qui accélère le besoin commercial de “faire la paix”. En cooptant les bourgeois de l’OLP, à peine un peu plus crédibles que l’armée israélienne, pour devenir les gestionnaires directs de la force de travail du coin, l’Etat ne cherche qu’une seule chose: pacifier la zone par l’imposition d’une nouvelle Union Sacrée autour de la défense du “nouvel Etat” peint aux couleurs palestiniennes.

Or, nous savons très bien ce que cela signifie. Le prolétariat a déjà subi mille fois cet appel aux sacrifices, à la reconstruction, à “retrousser ses manches”, à “produire français”, “palestinien” ou n’importe quoi d’autre du moment que le Capital puisse vampiriser nos vies et relancer un nouveau cycle de profit. Après chaque guerre, c’est la même chanson: il faut repartir de zéro, il faut tout reconstruire, un “nouvel Etat”, une “nouvelle nation”, une “nouvelle démocratie”. Cette ère “nouvelle” qui s’ouvre signifie pour le prolétariat une période de sacrifices encore plus douloureux, de vaches maigres avant de pouvoir cueillir les fruits d’un avenir radieux. L’avenir radieux que les bourgeois nous promettent, nous le connaissons très bien. Leur libération nationale, nous la connaissons aussi. C’est le renforcement de notre misère, c’est la création d’un “nouveau” camp de travail forcé, d’une nation aux couleurs différentes, d’une patrie ayant son histoire propre, sa langue propre, sa culture, ses traditions,... mais qui, pour tous ceux qui ne possèdent rien d’autre que leur force de travail, ressemblera étrangement à la même survie misérable d’avant “le grand changement”.

Dans les faits, l’application pleine et entière des “accords de paix” (sociale!) sur l’autonomie palestinienne s’est concrétisée par l’évacuation de l’armée israélienne de la bande de Gaza et de Jericho. Ce retrait n’est qu’un simple redéploiement et un partage de la répression entre la fraction palestinienne et israélienne. L’objectif est commun: empêcher le prolétariat d’ouvrir sa gueule. Pendant que l’armée israélienne protège les colonies juives -pôles de valorisation importants- de toute intrusion de prolétaires rongés par la misère, les flics palestiniens sont chargés d’assurer le maintien de l’ordre social dans les grandes concentrations urbaines. Pour le prolétariat, cette redistribution des cartes, cette division du travail signifie encore et toujours plus de répression. Les “nouvelles autorités palestiniennes” ne font pas dans le détail: à Gaza, la quasi totalité des lois militaires “israéliennes” restent en vigueur et sont dorénavant appliquées par l’administration palestinienne qui assure la continuité du maintien de l’ordre social.

Il faut que le “nouvel Etat” se fasse respecter et craindre comme l’ancien, comme TOUS les Etats. Il faut montrer qui est le maître aux esclaves salariés. L’Etat palestinien se dote donc sur place d’un encadrement impressionnant, aidé, organisé, sponsorisé par tous les Etats de la région, y compris par l’ennemi d’hier. C’est en effet l’Etat israélien qui assurera la formation des troupes spéciales anti-émeutes. Ces flics palestiniens sont avant tout recrutés parmi les soldats et les officiers de l’OLP vivant en exil, mercenaires appointés qui ont déjà derrière eux une longue expérience dans la répression des luttes prolétariennes. Pas plus tard qu’en début de cette année 1994, des manifestations ont éclaté dans les camps en Syrie, au Liban et en Jordanie. La répression fut nette, rapide et sans bavure. Les prolétaires doivent rester ce qu’ils ont été et ce qu’ils seront demain au sein de la sainte patrie palestinienne: des esclaves salariés. Celui qui refuse cet état de fait sera considéré comme un “traître à la cause du peuple palestinien” et donc liquidé. Pourtant, la misère qui règne dans ces camps gérés par l’OLP et les autres organisations palestiniennes est à peine descriptible. Le chômage massif, les salaires qui ne sont plus payés,... font que les prolétaires les plus jeunes ont d’autres préoccupations que la “libération nationale”!

Le gouvernement palestinien s’installe donc en Palestine et prend ses fonctions. Ses premières préoccupations sont de faire face à la gigantesque armée de réserve du Capital constituée de centaines de milliers de chômeurs qu’il faut gérer, calmer et au besoin réprimer par la force des armes. Déjà, les bonnes vieilles recettes du temps de l’occupation israélienne reviennent au goût du jour: début juillet 1994, un prolétaire, présenté comme un “collaborateur”, meurt dans un commissariat après avoir été torturé pendant plus de 10 jours. Décidément, tous les Etats du monde se ressemblent lorsqu’il s’agit de réprimer les prolétaires. Suite à de nombreux incidents aux barrages dressés par la police palestinienne, des prolétaires qui refusent de se faire contrôler se font arrêter et conduire directement devant les tribunaux. La justice militaire palestinienne frappe fort: des prolétaires sont condamnés “pour l’exemple” à des peines de 6 mois de prison ferme.

Mais la réponse du prolétariat ne se fait pas attendre. Les luttes pour de meilleures conditions de vie, pour des hausses de salaires, contre la misère,... se cristallisent dans les émeutes d’Erez en juillet et de Rafah en août 1994. Ces luttes constituent un refus de la paix sociale dans l’euphorie de la “paix retrouvée”. Le mécontentement des prolétaires dû à des conditions de survie catastrophiques n’est pas facile à résorber malgré la “fête” permanente et l’orgie nationaliste qui atteint son comble. Mais toutes ces festivités organisées dès le premier jour de “l’Autonomie”, ne se déroulent pas comme prévu. Ainsi, lors de leur évacuation, les soldats israéliens sont bombardés de pierres à tel point que ce sont les flics palestiniens qui doivent s’interposer pour permettre aux militaires de se retirer.

Le “nouvel Etat” palestinien sera confronté encore à un autre problème tout aussi explosif: le paiement de ses propres fonctionnaires. Yasser Arafat livrera ses états d’âme à la presse israélienne au sujet de ses “misères” comme gestionnaire du rapport social capitaliste: “Je suis désespéré et il m’est de plus en plus difficile de continuer. Une explosion peut se produire à n’importe quel moment.” De quelle sorte d’explosion peut donc bien parler ce bourgeois!? S’agirait-il d’explosion sociale!?: “Comment vais-je régler la paie des employés, des policiers? La Banque mondiale refuse de nous transférer de l’argent sous des prétextes futiles et met déjà en doute notre crédibilité. Tous les jours, je me demande comment nous allons tenir le coup.” Ces quelques citations sont bien révélatrices du climat social qui règne aujourd’hui dans le “nouvel Etat”.

La venue d’Arafat à Gaza et Jericho sera d’ailleurs sans cesse reportée jusqu’au 1er juillet 1994. Il s’agit là d’une des conséquences les plus spectaculaires de l’explosion sociale qui guette et de l’incapacité du “nouvel Etat” palestinien à gérer ses contradictions. La crainte est évidente de voir cette visite troublée par des prolétaires venant réclamer le payement de leurs salaires pendant que la bourgeoisie palestinienne (et mondiale!) fête dignement l’événement: “ce serait une catastrophe!”, déclare un officiel palestinien. Le “succès” de la venue d’Arafat est à l’image de la désillusion grandissante ressentie par les prolétaires du coin: “Il parle, il parle, mais pour nous rien ne change”! Les masses de centaines de milliers de citoyens agitant les petits drapeaux de la patrie nouvellement célébrée n’étaient pas au rendez-vous, et Arafat a repris l’avion dépité.

Même la fraction bourgeoise israélienne s’inquiète de cette situation. Son premier ministre, Y. Rabin, lance un appel de soutien au “nouvel Etat” palestinien. Il appelle, comme Arafat et l’ONU, à la cohésion sociale et nationale de l’entité palestinienne afin d’éviter que les conflits sociaux ne débordent sur Israël, voire sur toute la région. Il demande enfin que les autres fractions bourgeoises passent à la caisse et honorent leurs engagements financiers. Les flics palestiniens seront-ils capables d’assumer leur fonction de maintien de l’ordre si leurs salaires ne sont pas garantis? Déjà dans certains quartiers de Gaza, même les flics palestiniens n’osent pas mettre les pieds en-dehors de leurs commissariats. Il faut dire à leur décharge qu’officiellement plus de 20.000 armes à feu sont en circulation dans cette poudrière.

Les contradictions sont si fortes qu’une réelle division du travail s’accentue entre les principales fractions bourgeoises de la région. Une fois l’OLP au gouvernement, le rôle d’”opposants” est tenu par la tendance islamiste du Hamas, permettant ainsi de polariser et de cristalliser sur elle toutes les expressions du mécontentement qui grandit. Le Hamas a dès lors le champs libre pour tenter de prendre le contrôle des manifestations spontanées de la colère ouvrière en “radicalisant” son discours et en appelant à la grève générale quand la situation l’exige. Après plus de 20 ans de luttes pour la “libération de la patrie palestinienne”, un nouveau mirage est mis en avant par la bourgeoisie pour détourner le prolétariat de sa véritable lutte: la création d’un “Etat islamiste” en Palestine.

Malgré la propagande que mènent inlassablement les curés locaux, les premières émeutes ouvrières n’éclatent pas pour célébrer Mahomet, Bouddha ou Jéhovah mais bien CONTRE la misère. Le 17 juillet 1994 l’explosion sociale se produit dans la bande de Gaza, plus précisément à Erez. Chaque jour, plus de 20.000 ouvriers de Gaza vont vendre leur force de travail en Israël pour échapper au chômage qui touche plus de 60% de la “population active”. Au point de passage d’Erez, des milliers d’ouvriers (dont beaucoup sans permis de travail) qui n’en peuvent plus d’attendre l’autorisation de traverser la frontière et qui en ont marre des contrôles, prennent d’assaut les postes frontières et s’affrontent violemment aux représentants de l’Etat. Ils s’attaquent d’abord aux unités de la police palestinienne qui, impuissante et débordée par les émeutiers, doivent vite laisser la place à l’armée israélienne. La collaboration entre ces deux corps de répression pour mater les prolétaires est patente: “La police palestinienne et l’armée israélienne ont coopéré de façon exceptionnelle. Il ne faut pas se dépêcher de critiquer cette police inexpérimentée alors que nous-mêmes n’avons pas fait nos preuves durant l’intifada”, déclare un ministre israélien. La violence des affrontements fait passer certains flics palestiniens de l’autre côté de la barricade: quelques-uns rejoignent les prolétaires et retournent leurs armes contre l’armée israélienne. Le niveau d’affrontement est extrêmement bref et violent. Les émeutiers attaquent l’armée à coups de pierres et de cocktails molotov, saccagent des stations d’essence et les bureaux de douane, incendient plus de 150 autobus dans un dépôt, ceux-là même qui doivent les amener sur leur lieu de travail. Les fusillades font deux morts et plus d’une centaine de blessés.

Un mois plus tard, la situation reste toujours aussi explosive dans la région. Un rien peut à nouveau mettre le feu aux poudres. Le 21 août 1994 éclate une nouvelle émeute, à la suite de la mort d’un jeune prolétaire de Palestine lors d’une “bavure”. Des centaines de jeunes prolétaires prennent d’assaut le commissariat de police de Rafah (dans la bande de Gaza) et s’affrontent aux flics du “nouvel Etat” palestinien qui doivent riposter en utilisant leurs armes à feu. Décidément la bourgeoisie a beau nous présenter de nouveaux visages, la technique utilisée est toujours la même, les drapeaux ont beau changer, la répression reste toujours et partout identique lorsque le prolétariat tente de prendre en main son histoire et de mettre fin à l’esclavage salarié (2).

2. Mandela contre le prolétariat

Cette année 1994 marque la fin définitive de l’apartheid et le passage au gouvernement de “la majorité noire”. Après 100 jours de règne, Mandela fait son bilan en annonçant qu’il faudra “se serrer la ceinture”. Pour nous, prolétaires, décidément rien ne change. Les bourgeois en appellent toujours plus à notre patience, à la nécessité de faire et de refaire encore et toujours plus de sacrifices, comme partout sur cette maudite planète, comme Arafat le fait à Gaza, comme Castro le fait à Cuba, comme... La seule chose qui ait réellement changé en Afrique du Sud avec l’arrivée de Mandela au gouvernement, c’est la Bourse de Johannesburg qui “flambe”, ce sont les indicateurs macro-économiques qui sont en “hausse”, ce sont les bourgeois qui sont comblés de joie devant les perspectives du retour des bonnes affaires et des dividendes qui vont remplir, espèrent-ils, leurs coffre-forts. La “Chambre de Commerce et d’Industrie”, la principale organisation patronale sud-africaine, vient de donner un satisfecit au nouveau gouvernement en déclarant que l’indice mensuel de confiance des hommes d’affaires a atteint son plus haut niveau depuis décembre 1987. Il est révélateur que les hautes instances de la bourgeoisie reconnaissent ainsi les fonctions éminemment anti-prolétariennes de l’équipe Mandela. Ce que l’apartheid n’était plus capable de faire, l’ANC le pourra et s’en donne les moyens.

L’apartheid a fait son temps. Il a permis durant plusieurs décennies de maintenir les coûts de reproduction de la main d’oeuvre des prolétaires “noirs” aux plus bas niveaux possibles -ce dont rêvent et que tentent de réaliser TOUS les bourgeois!-, et d’extraire un maximum de plus-value et d’accumuler à ce pôle de développement du marché mondial une quantité impressionnante de richesses. L’apartheid n’était pas seulement un système de “développement séparé des races”, mais avant tout une politique visant à imposer la paix sociale, à nous faire trimer plus fort en fermant notre gueule. Pourtant, ce joli rêve devait se heurter à la réalité. Le prolétariat en Afrique du Sud a déjà un long passé de luttes menées contre la dégradation permanente de ses misérables conditions de survie, contre les baisses de salaires, contre l’intensification de notre exploitation. Rappelons simplement à titre d’exemple les luttes les plus récentes, celles de 1976-77 que l’on ne peut circonscrire aux “émeutes de Soweto”, celles de 1984-86 (3) ou encore de 1989-91. A travers ces luttes, le prolétariat s’est affronté directement à toutes les forces de conservation de ce monde, en revendiquant chaque fois une part plus élevée de la richesse sociale produite par ses propres bras, en menant des grèves très dures, en pratiquant le pillage massif,... luttes qui constituent autant d’attaques au veau d’or de la bourgeoisie: son taux de profit.

Après plusieurs décennies de domination “blanche”, l’apartheid s’est finalement révélé ne plus être suffisamment rentable. Les coûts nécessaires à son maintien sont devenus trop élevés et les conséquences désastreuses. Il fallait rompre avec le passé et tourner la page. Place donc au gouvernement de “la majorité noire”, au système universellement reconnu et apprécié (surtout par les bourgeois!) du “one man, one vote!”. La légalisation et la cooptation de l’ANC, reconnu ouvertement comme partenaire et surtout comme gestionnaire plus crédible, seront les points forts et les plus médiatiques de cette opération de police. Ainsi la bourgeoisie s’est vu obligée d’abattre une carte importante qu’elle gardait encore en réserve. Cet atout, ce joker doit permettre la participation élargie des citoyens noirs aux institutions politiques par la mise en avant d’un homme: Nelson Mandela. Comme si pour nous, l’Histoire pouvait se résumer à l’histoire d’un homme, qu’il soit génial, noir ou président. La libération de Mandela en février 1990 -au moment même où le prolétariat luttait- n’aura que ce but: désamorcer l’explosion sociale, enrayer le processus qui soulèvent les townships, arrêter les grèves sauvages, ramener la paix sociale.

Mandela se révélera d’ailleurs rapidement être ce qu’il a toujours été: un grand commis de l’Etat. Après avoir été ce “terroriste”, le “plus ancien prisonnier politique du monde”, le voici donc devenu, pour cause de pacification sociale, le premier président noir de la “nouvelle” Afrique du Sud. D’autres bourgeois ont déjà pu apprécier les “largesses” octroyées par l’Etat lorsque celui-ci comprend la nécessité de coopter des éléments plus radicaux pour pouvoir mieux réformer -et donc conserver- la totalité du rapport social. Il y a peu, un “petit électricien de Gdansk” en prouvant ses talents de sabotage des luttes de notre classe a, lui aussi, accédé à la plus haute marche du podium.

Durant cette “période de transition”, l’Etat utilisera tous les moyens dont il dispose pour pacifier le prolétariat: légalisation de l’ANC et du Parti “Communiste” (4), levée de l’Etat d’urgence très médiatisée, renforcement des syndicats, création par l’ANC de milices (police des ghettos) visant à militariser et à vider de leur contenu les “comités de rues” issus des émeutes de 1985, etc... Comme toutes ces mesures ne suffisaient pas pour mettre un frein aux luttes de classes, aux grèves, aux émeutes dans les townships, la bourgeoisie développera et généralisera une autre forme de réponse: l’”ethnicisation” des affrontements et la médiatisation nécessaire pour imposer cette version des faits. A partir de ce moment, il n’y aura plus que des militants de l’ANC aux prises avec des militants zoulous de l’Inkhata. Ces massacres se traduiront par des attaques meurtrières à l’arme automatique dans des trains de banlieues, des razzias dans des camps de squatters, des bombes “aveugles” dans de fortes concentrations de prolétaires, etc... semant le trouble et la terreur dans les rangs du prolétariat en lutte. Ces opérations de pacification feront plus de 10.000 morts en 4 ans.

Malgré cette répression meurtrière, notre classe continue de lutter: le boycott permanent des cours par les jeunes prolétaires exprime la difficulté de leur inculquer des notions bourgeoises comme la “discipline”, l’”effort” ou le “travail contrôlé”. Les groupes de jeunes issus des luttes de 1985-86 sont devenus “incontrôlables” de l’aveu de l’ANC qui a tenté sans succès de les intégrer dans ses “comités de défense”. L’ANC, lui-même, est traversé par ces contradictions sociales, au point que, dans les townships, des groupes de prolétaires issus de cette organisation s’organisent pratiquement en rupture avec elle. Leur organisation autonome les fait s’affronter directement à l’ANC et à ses syndicats, ses groupes locaux, etc... Des “bandes armées qui, pour la plupart, ne se réclament d’aucune idéologie ou projet politique”, (telles que les décrivent les journaux bourgeois), se développent dans des banlieues sordides comme Soweto qui deviennent des foyers de luttes importants.

La remise au travail des prolétaires se fera par une vaste campagne de promotion du parlementarisme qui servira à noyer ceux qui luttent dans la masse de citoyens appelée “le peuple”. Les “élections libres” d’avril 1994 sont l’occasion pour l’Etat d’initier une vaste opération de police et de recensement de millions de prolétaires “noirs” réfractaires au contrôle de l’Etat. Pendant ces années de lutte, la résistance de notre classe s’est en effet exprimée, entre autre, par le refus de tout contrôle social: les prolétaires brûlaient systématiquement leur “pass” et autre livret de travail, etc... Grâce au processus électoral et au mythe de la “majorité noire”, des millions de prolétaires seront contrôlés, recensés, fichés avec tous les moyens technologiques et informatiques modernes dont dispose l’Etat.

Début mai 1994, l’investiture du premier gouvernement présidé par Mandela se fait sous l’oeil satisfait de la bourgeoisie mondiale qui célèbre sa victoire ainsi que l’imposition de la paix sociale renforcée par un consensus généralisé; l’”état de grâce” commence.

Mais pour notre classe, la survie est toujours aussi dure. Les townships et les bantoustans (5) débordent de ventres creux souffrant de toutes les maladies secrétées par le Capital: alcoolisme, prostitution, criminalité, virus de la misère, sida, chômage, etc... Dans les banlieues de Johannesburg, plus d’un million de squatters sont parqués dans des dépotoirs de bout du monde. Il y a sept millions de squatters dans tout le pays. A Soweto, sur 2 millions et demi d’habitants, 50% sont au chômage, trois-quarts des jeunes sont sans travail, 600.000 prolétaires vivent dans des logements insalubres, 45.000 logent dans des “hostels” pour célibataires qui, depuis le début du siècle, font office de camps de concentration de la main d'œuvre et sont gérés par l’Inkatha dans une parfaite division du travail entre les fractions bourgeoises.

A tous ces maux, bien “naturels” pour cette civilisation, la nouvelle équipe de gestionnaires répond, avec son cynisme tout aussi “naturel”, par des appels désespérés à la patience. Les promesses de l’ANC d’un “mieux-être” ne sont que de la poudre aux yeux à destination des prolétaires, bientôt viendront les désillusions. La gestion du rapport social impose et imposera toujours à notre classe plus de sacrifices, de misère, de réductions de salaire, d’intensification de notre exploitation. C’est cela la réelle nature du Capital. Nelson Mandela n’est rien d’autre qu’une marionnette qui applique et continuera d’appliquer là comme ailleurs, les mêmes recettes d’austérité, de sacrifices,... autant de mesures nécessaires à la bonne marche du commerce.

Très rapidement d’ailleurs, l’ANC montre son vrai savoir-faire en imposant au prolétariat une série de mesures drastiques visant dans un premier temps à accroître la concurrence entre les ouvriers. Ainsi l’”immigration clandestine” (plus de 2 millions de prolétaires principalement originaires du Zaïre et du Mozambique viennent vendre leur bras au plus offrant pour échapper à la misère!) sera “jugulée”. Ce qui signifie concrètement la déportation massive de ces millions de prolétaires excédentaires sur le marché du travail qui n’auront qu’à crever “dans leur pays”. La continuité dans le changement, c’est cela la “fin de l’apartheid”.

Les nouveaux patrons “noirs” réservent d’autres surprises à “leurs millions d’électeurs”. Pour remettre les prolétaires au travail et leur extorquer une plus-value accrue, les bourgeois sont obligés de restructurer. Il faut “rendre les exportations sud-africaines plus compétitives dans les marchés mondiaux et redynamiser notre richesse en ressources humaines”, dixit un ministre de l’ANC tandis que ses confrères poussent à “l’accroissement de la productivité” et à “restreindre les revendications salariales”.

Mais le spectre des luttes du prolétariat continue à hanter la bourgeoisie. Le prolétariat voit clairement dès le début, la signification du pouvoir de “la majorité noire”. Un danger que la Banque mondiale a très bien compris: “La stabilité sociale est une condition préalable à la réussite de tout programme économique en Afrique du Sud. Si les gains de la croissance ne sont pas partagés plus équitablement par l’ensemble des communautés, les troubles politiques et économiques resurgiront tôt ou tard.” Dans les mois qui précèdent la farce électorale, la productivité dans les mines ralentit à cause notamment des grèves déclenchées par des prolétaires qui attendent autre chose qu’un simple ravalement de façade. A peine Mandela entre-t-il en fonction que 9.500 mineurs de la mine d’or de Kloof se mettent en grève; ils étaient déjà partis en grève au mois de mars.

Les syndicats (principalement la COSATU) dont les dirigeants ont trouvé des places dans la “nouvelle” administration, assument au mieux leur fonction: saboter les grèves et imposer des baisses de salaires. Mais le prolétariat continue à lutter. Les ouvriers s’affrontent directement à l’Etat et à ses syndicats en refusant par leur pratique le moratoire des grèves conclu entre l’ANC et la COSATU en avril.

Durant le mois de juillet, une importante vague de grèves se développe dans tous les secteurs mais elle est récupérée par les syndicats: l’important pour les bourgeois n’est pas qu’il y ait des grèves (il y en aura toujours!) mais de savoir comment les gérer.

Le 13 juillet 1994, ce sont les 15.000 prolétaires de la chaîne de magasins “Pick and Pay” (Choisir et Payer!) qui paralyse le secteur de la grande distribution alimentaire. Des affrontements très violents les opposent à plusieurs reprises aux flics. Cette grève est le premier test important pour que les syndicats puissent évaluer leur marge de manœuvre quant à leur contrôle social.

Le 21 juillet, les grèves s’étendent à la métallurgie -plusieurs milliers d’ouvriers manifestent à Johannesburg- ainsi qu’aux cheminots de Pretoria et aux mineurs de la De Beers, entre autres. Du 1er août au 7 septembre, 25.000 ouvriers de la construction automobile se mettent en grève. La bourgeoisie s’inquiète de voir le conflit s’étendre à d’autres secteurs dans une vague de grèves susceptible de remettre en cause les acquis bourgeois sortis des urnes. Pourtant, si des grèves ont bien éclaté dans plusieurs mines pendant l’été, aucune réelle généralisation de la lutte ne s’est opérée. Les syndicats (COSATU en tête) ont parfaitement joué leur rôle de saboteurs en empêchant l’extension massive des grèves à d’autres secteurs, en semant la confusion et la désorganisation au sein du prolétariat.

Une des façons pour la bourgeoisie de ramener la paix sociale est de lâcher quelques miettes pour ne pas perdre tout le gâteau. Craignant de voir les prolétaires des mines, traditionnellement très combatifs, prendre la tête des grèves qui éclatent un peu partout, leur salaire sera finalement augmenté de 10%. Cette politique visant à calmer une frange du prolétariat par des hausses de salaires est un classique de la bourgeoisie (6).Cette tactique sera reproduite pour briser la grève des ouvriers de l’automobile. Le gouvernement lâche donc pour l’instant du lest afin d’éviter la contagion. Il concède une augmentation salariales de 10,5% qui sera de toute façon rapidement grignotée par l’inflation. Pour Mandela comme pour les autres bourgeois, la tâche est la même, les moyens d’action aussi.

3. Cuba ou la fin du “socialisme” tropical

Arafat se brûlant les doigts en Palestine, Mandela ne sachant déjà plus où donner de la tête en Afrique du sud, une autre formalisation de l’Etat (plus ancienne), va bientôt trouver son épilogue: Cuba. Durant les années ’60 et ’70, il était de bon ton pour tout étudiant “contestataire” d’avoir dans sa chambre un poster du “Che” symbolisant la victoire du lilliputien “socialisme tropical”, version cubaine aux portes du plus terrible des impérialistes planétaires, l’oncle Sam. Seulement voilà, là comme partout ailleurs, les contradictions qui minent toujours plus fortement le Capital produisent l’inexorable disparition d’une autre illusion que la bourgeoisie mondiale a entretenue à destination des prolétaires pendant plusieurs années: l’existence d’un paradis tropical qui allierait le sable, les cocotiers, la salsa et la révolution sociale. Foutaises, balivernes dont ne rêvent plus que quelques gauchistes orphelins qui s’accrochent à Cuba comme à leur ultime espoir.

La réalité est bien plus prosaïque que cette carte postale pour touristes sociaux en manque de sensation. Depuis des années, le prolétariat vit dans sa chair que ce “socialisme” tropical n’a strictement rien de différent des autres bagnes salariés qui composent l’enfer capitaliste au quatre coins du monde. L’équipe castriste au pouvoir, comme toutes les fractions bourgeoises d’ailleurs, est chaque jour d’avantage acculée à prendre des mesures qui attaquent directement les conditions de survie merdiques dans lesquelles se débattent les prolétaires. Pour rester compétitive dans la course catastrophique au profit, la bourgeoisie locale peinte au radicalisme le plus rouge est obligée de faire ce que toutes les fractions bourgeoises font aujourd’hui: solidifier la paix sociale autour d’un “nouvel effort national” appelé “plan d’embauche”, “plan global”, “défense des acquis socialistes”,... pour relancer un nouveau cycle d’accumulation du Capital et extraire encore et toujours plus de plus-value de la marchandise force de travail. Le Capital, pour remplir ses coffre-forts, a besoin de tranquillité, de paix sociale. Grèves, sabotages, refus de travailler pour rien,... émeutes, pillages,... ne sont jamais des conditions dans lesquelles il peut se développer et assurer sa reproduction toujours plus élargie.

La disparition du bloc soviétique, sur lequel l’équipe actuelle des gestionnaires cubains s’était alignée dans la confrontation mondiale inter-bourgeoise, a aiguisé les contradictions qui minent ce minuscule bagne salarial perdu dans la mer des Caraïbes. Très vite, les différents gouvernements qui se succèdent régulièrement depuis 1989 ont dû prendre une série de mesure pour faire face à l’arrêt brutal des relations commerciales avec l’ex-bloc soviétique. Les échanges commerciaux des pays de l’Est vers Cuba avaient jusque-là autorisé le gouvernement cubain à octroyer certains avantages sociaux comme la gratuité de la médecine, de l’éducation, des transports,... Cette petite boutique du “socialisme réel” était tenue à bout de bras par l’empire soviétique comme une provocation permanente devant le super-marché rutilant de marchandises de l’oncle Sam. Aujourd’hui, la boutique n’est plus qu’un anachronisme faisant bien pâle figure. Le dépôt de bilan, la faillite guette les gestionnaires actuels.

Pour éviter tout cela, la bourgeoisie va changer son fusil d’épaule, ranger les vieilles recettes d’exploitation héritées du grand frère soviétique et se mettre au diapason de la dite “économie de marché”. En août 1993, la “dollarisation” de l’économie est annoncée comme un bouleversement, alors que dans la pratique le dollar a remplacé depuis fort longtemps le papier local à l’effigie du “socialisme” insulaire. Dans la foulée, certaines propriétés d’Etat sont transformées en coopératives, des investissements étrangers sont favorisés,... entraînant immanquablement des “dégraissages d’effectifs”, en d’autres mots des remerciements pour bons et loyaux services à la “patrie socialiste” et la mise au chômage. Pour faire face à l’absentéisme important dans les fabriques d’Etat, la privatisation est accélérée. En intéressant directement les salariés aux bénéfices de leur entreprise, les bourgeois espèrent stimuler une production qui s’est, en quelques mois, effondrée malgré les campagnes de mobilisation massive et l’encadrement du travail par des unités militaires permanentes.

Au premier semestre de 1994, les hausses des prix des transports, de l’essence, de l’électricité, de l’eau, des cantines d’entreprise, etc... achèvent de briser la vitrine du magasin appelé “socialisme cubain”. La situation devient si préoccupante que l’Etat mondial par l’intermédiaire du FMI se penche sur le cercueil du dernier paradis “socialiste”. Un plan “d’ajustement” est ébauché par l’ancien ministre espagnol de l’économie Solchaga qui sans aucune surprise ne voit qu’une seule et unique solution pour sortir de “la crise”: renforcer la discipline au travail et privatiser les entreprises non rentables, c’est-à-dire les trois-quarts. Si cette mesure était réellement appliquée, elle devrait entraîner un véritable séisme social: la mise au chômage massif de plus de 3,5 millions de prolétaires. Ce qui correspond à plus de 30% de la population. Et ce après de longues années de plein emploi artificiel, mais garant de la paix sociale.

La crainte des conséquences sociales de ce plan sont si sérieuses que l’équipe dirigeante actuelle semble comme tétanisée. Une importante agitation se fait jour au sein même des entreprises. Des “débats houleux” se déroulent entre les dirigeants et les prolétaires. Rien n’est sérieusement décidé sur la thérapie de choc que propose le FMI. Entre temps tous les bourgeois sont au chevet du malade cubain pour éviter qu’une fièvre sociale ne l’emporte. De nombreuses délégations étrangères visitent le pays comme au bon vieux temps des experts soviétiques. Une délégation patronale française donne le diagnostic: “Cuba pourrait être un marché émergent avec un bon potentiel”. Reste à assurer la paix sociale. Malheureusement pour les requins financiers français, l’équipe dirigeante actuelle ne fait pas le poids et se réfugie dans un immobilisme qu’aucune opposition intérieure crédible ne peut briser.

Sortant de sa torpeur, l’équipe castriste envisage une nouvelle série de mesures qu’elle n’ose pas appliquer immédiatement vu les menaces d’explosion sociale. Peut-être pour la fin de l’année 1994? Rien n’est moins sûr... Entre temps, d’autres réjouissances sont prévues pour les prolétaires du coin: la suppression des subventions alimentaires, la fermeture progressive des entreprises non-rentables, la limitation du versement des allocations de chômage à trois mois,... le tout justifié comme des sacrifices nécessaires au nom de la “patrie socialiste en danger” et de la promesse de “lendemains meilleurs”.

Mais l’éternelle rengaine ne prend décidément plus. Des milliers de prolétaires tentent de quitter l’île en espérant trouver de quoi survivre aux Etats-Unis. Tous les moyens sont bons pour construire un radeau. Des familles entières se cotisent pour acheter au marché noir, à des prix exorbitants, une ou deux bouées afin d’échapper à l’enfer cubain. Le gouvernement de Castro laisse faire, trop content de se débarrasser de ces prolétaires remuants et d’évacuer, du même coup, vers un concurrent direct, les USA, le trop plein de bouches à nourrir dont il ne sait que faire.

Mais la réaction prolétarienne ne se limite pas à quitter Cuba. Sur place, plus personne n’est dupé par les promesses démagogiques des bourgeois déguisés en guérilleros. Les prolétaires ne croient plus aux slogans qui recouvrent les murs, ils refusent de se sacrifier plus longtemps sur l’autel de la production nationale.

Le 5 août 1994, à nouveau des luttes éclatent dans une île où, paraît-il, elles avaient définitivement disparu. De violentes émeutes secouent dans la zone portuaire de La Havane, s’étendant aux quartiers ouvriers environnants. Plusieurs milliers de prolétaires, “des éléments anti-sociaux, des délinquants”, comme les nomment la propagande castriste pour les discréditer, dont certains voulaient fuir en masse la misère du “socialisme” en prenant d’assaut des bateaux, s’affrontent aux flics et s’attaquent à des bâtiments administratifs et à divers établissements. Devant la violence des événements, les flics doivent riposter en faisant usage de leurs armes à feu, faisant plusieurs dizaines de blessés; un flic sera tué.

Aujourd’hui, encore trop peu d’informations filtrent sur la situation sociale réelle dans l’île. Le black-out entretenu par la bourgeoisie locale est relayé mondialement par tous les masse-médias qui préfèrent nous parler d’événements moins dangereux. Alors que tous les apologistes de cette caricature de “socialisme” trompettent que Cuba est victime d’une “vaste campagne de propagande menée par les impérialistes”, nous ne constatons qu’une chose: la bourgeoisie doit occulter la véritable nature des luttes qui se déroulent dans cette région, comme dans d’autres. Et pourtant, dans un passé proche, le prolétariat a déjà exprimé son ras-le-bol de la misère. Ainsi, en août 1993, dans plusieurs quartiers de La Havane, des “actes de vandalisme” et des “incidents sporadiques” manifestent notre exaspération devant les interminables coupures d’électricité, entre autre. En juillet 93, de très violents incidents éclatent dans le port de Cojimar où les prolétaires s’opposent violemment aux flics qui venaient de tirer sur des candidats à l’exil, faisant au moins 3 morts.

Toutes ces informations ne seraient que des “rumeurs”, des “ragots” colportés par “la cinquième colonne yankee”. Et pourtant, le très “socialiste” ministre des affaires étrangères cubain doit admettre une “certaine tension en province” et des “incidents provoqués par des civils ayant volé des armes et des uniformes dans la région de Guantanamo”. D’autres “rumeurs” font état de “malaises internes”, de départs pour l’exil de fils de dignitaires, de défections importantes dans les rangs du P”C”C, de limogeages de membres des brigades de choc Blas Roca pour “indiscipline”. Décidément, rien ne va plus dans le casino cubain! L’Etat pourra-t-il encore compter sur ses forces de l’ordre (7), elles aussi traversées par les contradictions sociales, minées par les désertions et les “trahisons”?

Le 19 août 94, le président américain Clinton annonce que les prolétaires cubains qui fuient la misère ne se verront plus accorder automatiquement le statut de “réfugié politique”. Ils seront parqués sur la base de Guantanamo (8) où croupissent déjà 15.000 boat-people haïtiens. La veille, ces prolétaires “haïtiens” se sont révoltés contre leurs conditions de survie et ont affronté les militaires américains dans une violente émeute blessant 4 soldats US. Les 20 et 21 août, la révolte continue sur la base de Guantanamo transformée en camp de concentration. Le bilan des affrontements du week-end est de 65 blessés. Finalement un accord intervient entre “l’impérialiste yankee” et le “socialiste Castro” pour mieux contrôler l’afflux d’immigrants: contre la promesse d’investissements américains à Cuba, le gouvernement de l’île s’engage à empêcher par la force tout nouveau départ de prolétaires vers les USA.

Ces accords entre “frères ennemis” se comprennent d’autant mieux qu’aux USA même, la stabilité sociale est loin d’être garantie. La Floride est devenue une véritable poudrière sociale avec l’afflux toujours plus important de boat-people, non seulement d’Haïti ou de Cuba, mais aussi d’un grand nombre d’îles des Caraïbes ainsi que d’Amérique latine. La bourgeoisie américaine est très peu friande de voir se reproduire chez elle de nouvelles émeutes comme celle de Los Angeles de 1992 ou de celles qui embrasèrent Miami à plusieurs reprises durant les années 1980. Sortant de leurs quartiers de misère, de ces cloaques dans lesquels le “rêve américain” ne peut que les enfermer, des prolétaires de toutes origines, “cubains”, “haïtiens” et autres “latinos”, avaient fait voler en éclats le mythe de Miami, la vitrine dorée de l’Amérique en face de la “misère socialiste”. C’est pour cela que Clinton a rapidement éjecté les militaires duvalliéristes du pouvoir en Haïti et aidé Castro à Cuba à fixer, par la force, les prolétaires dans la zone où ils sont condamnés à valoriser l’être suprême mondial: le Capital. Les USA n’ont rien de plus à offrir aux prolétaires du coin que ce qu’ils trouvent sur place: toujours plus de misère, toujours plus d’exploitation.

Avec la fin de la polarisation du monde en deux grands blocs, la bourgeoisie triomphante nous avait annoncé la naissance d’une nouvelle aube pour l’Humanité. Le “nouvel ordre économique” tant vanté n’est finalement rien d’autre qu’un gigantesque désordre où s’affrontent toujours plus violemment les différentes fractions du Capital. L’état catastrophique dans lequel s’enfonce chaque jour le Capital ne peut appeler, à court ou à moyen terme, qu’à une seule et unique réponse de la part du prolétariat: la révolution mondiale!

Mais, si nous savons que le communisme est un fait inéluctable, déjà advenu, que sa réalisation est inscrite comme dépassement des contradictions du rapport social capitaliste; nous savons aussi que le prolétariat doit s’organiser en classe, en parti. Notre tâche essentielle aujourd’hui est de structurer, de centraliser les noyaux de communistes qui émergent des luttes du prolétariat partout sur cette planète. Nos perspectives de bouleversement total de l’ordre social ne se limitent pas à telle ou telle région du monde, mais se situent clairement dans une attaque internationale et internationaliste. Pour ce faire, nous appelons tous les militants de notre classe à faire circuler les informations des luttes qui éclatent partout sous le soleil noir du monde de la valeur, et à centraliser cette activité pratique!

- Septembre 1994 -

Notes

(1) Pour de plus amples développements sur les luttes de notre classe dans cette zone, nous renvoyons le lecteur à notre texte: “Cisjordanie, Gaza, Jérusalem... en réponse à la lutte des prolétaires, ce que prépare la bourgeoisie (une fois de plus): le massacre!” paru dans notre revue centrale, alors intitulée Le Communiste, n°26 de février 1988.
(2) Cf. aussi dans cette même revue “Palestine: les accords de paix contre le prolétariat”.
(3) Voir à ce sujet les développements que notre groupe a produit en français: “Nous soulignons: classe contre classe en Afrique du Sud” paru dans L.C. n°21 de décembre 1984, ainsi que “Afrique du Sud: lutte de classe contre lutte de race” dans L.C. n°23 de novembre 1985.
(4) Il est à souligner que le P”C” sud-africain qui fait partie intégrante de l’ANC est probablement le plus important d’Afrique, voire du monde. La nécessité pour la bourgeoisie de mettre en avant ses staliniens reconvertis au libéralisme bon teint est révélatrice du besoin de contenir tout mouvement prolétarien dans cette région explosive. En mars 1991, le P”C” déclare que sa “principale responsabilité est de contenir les espoirs des ouvriers”.
(5) Bantoustan est un mot qui cache mal la sordide réalité. Les bantoustans ne sont rien d’autre que des parcs à bétail humains pour des prolétaires corvéables à merci.
(6) Ainsi en Roumanie, les mineurs de la vallée du Jiu furent “choyés” par Ceaucescu dans les années 1970 et 1980.
(7) A Cuba, l’Etat dispose de forces anti-émeutes estimées à 50.000 hommes des troupes spéciales du ministère de l’intérieur, 10.000 hommes des brigades de choc Blas Roca (du nom d’un vieux dirigeant de la “révolution”) et d’environ 1 million de miliciens (les “contingents de travailleurs d’élite”) théoriquement mobilisables en cas de coup dur.
(8) Base militaire US située sur le territoire cubain, au sud de l’île, dont la concession fut “accordée” suite à une opération américaine de maintien de l’ordre menée en... 1898! A noter que la bourgeoisie tire rapidement les leçons des luttes précédentes, puisqu’aujourd’hui elle ne reproduit plus l’erreur de parquer dans des camps disséminés partout aux USA les prolétaires comme elle le fit lors de l’exode massif de 1980. A cette époque, des révoltes éclatèrent entre autre au camp de Fort-Chafee dans l’Arkansas, Etat dont le gouverneur n’était autre qu’un certain... Bill Clinton! C’est bel et bien pour circonscrire de telles révoltes et mieux les gérer, que les prolétaires fuyant le “paradis socialiste” sont expédiés manu-militari à Guantanamo.



La bannière de Zapata flotte-t-elle à nouceau sur les campagnes du Mexique?

* * *

Les déclarations officielles

Comme chacun sait, l'année 1994 s'est ouverte sur le soulèvement armé du Chiapas. Le prolétariat prenait-il à nouveau les armes pour combattre le capital?

Nous ne disposons que de peu d'information directe pour l'instant. La majorité de ce qui a filtré publiquement à propos des protagonistes du soulèvement armé ainsi qu'au sujet de l'appellation même de l'EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional, c'est-à-dire Armée Zapatiste de Libération Nationale) parle d'un mouvement nationaliste, anti-latifundiste (1), un mouvement de défense de la démocratie, des élections libres, etc, c'est-à-dire un mouvement bourgeois timidement réformiste.

Ceux que la grande presse définit comme les chefs du mouvement ont même été plus loin encore, faisant des déclarations explicites d'adhésion à la démocratie, à l'anti-terrorisme, affirmant leur opposition à la révolution, au socialisme, se désolidarisant des luttes qui se déroulaient en d'autres lieux, etc.

Ainsi le major Mario, un homme de 25 ans (dont 10 de préparation à la guerre, dit-il), affirme:

"Nous ne sommes pas des terroristes et nous n'avons rien à voir avec les bombes qui ont explosé à Mexico et Acapulco... Notre organisation n'est pas socialiste... ce que nous voulons c'est la démocratie, la tenue d'élections sans fraude, des terres pour les paysans, des maisons convenables, des soins médicaux, des écoles. Nous voulons être traités comme des êtres humains, manger de la viande comme tout le monde. C'est aussi simple que cela. La guerre peut durer très longtemps car nous ne rendrons pas les armes avant d'avoir obtenu ce que nous désirons. Nous préférons mourir au combat dans la dignité plutôt que du choléra, de paludisme ou de la rougeole et endurer les mauvais traitements des propriétaires terriens"

Les communiqués de l'EZLN ainsi que les déclarations de celui que l'on présente comme son représentant suprême, le sous-commandant Marcos abondent tous dans le même sens: ils posent simplement des revendications démocratiques et de libération nationale,... comme si ce mouvement n'était qu'une énième répétition du réformisme bourgeois classique.

Et le mouvement réel?

Nous pensons néanmoins que le mouvement réel peut dépasser ces drapeaux, que le prolétariat s'opposera à ces misérables consignes et revendications bourgeoises dans lesquelles les prétendus représentants du mouvement aimeraient l'enfermer.

Nous pensons de plus que, comme dans le Mexique de la révolution prolétarienne du début de ce siècle (et comme en tant d'autre lieux et époques) l'antagonisme irréconciliable séparant ces revendications des intérêts du prolétariat recouvre déjà aujourd'hui un caractère explosif, nous pensons que la majorité des prolétaires qui ont pris les armes au Mexique luttent pour leurs intérêts de classe qui sont totalement antagoniques au capital, à la démocratie, aux élections et à la fameuse libération nationale.

Mais évidemment, le blocus de l'information est et restera total. De la droite à la gauche bourgeoise, au Mexique comme à l'extérieur du pays, tout est organisé pour écraser, par l'intermédiaire de la démocratie et de la libération nationale, les prolétaires qui luttent, et les isoler ainsi du combat que mènent leurs frères de classe partout dans le monde.

Mais aujourd'hui déjà certaines choses contredisent les versions officielles.

D'abord, et contrairement aux déclarations officielles de l'EZLN, du gouvernement mexicain et de tous les moyens d'information selon lesquels le soulèvement du Chiapas aurait uniquement eu des causes locales et aurait pris pour cible les chefs locaux, le mouvement prolétarien s'est étendu à tout le territoire du Mexique. Les manifestations de solidarité avec le soulèvement armé ont été très importantes à Mexico où un ensemble de grèves ont été déclenchées en soutien explicite à la lutte du Chiapas.

Aux premiers jours de février 1994, un ensemble de faits sont venus confirmer que le mouvement ne se réduisit pas aux limites dans lesquels l'EZLN voulait l'enfermer ni quant à la pratique sociale et programmatique ni en termes géographiques:

Mais comme nous le disions, l'extension du mouvement ne s'est pas limitée à l'Etat de Chiapas: Mais ce qui est encore plus important c'est que ces éléments démontrent une indéniable extension du mouvement qui va en se généralisant à travers tous les Etats Unis d'Amérique dénommés Mexique (il ne faudrait pas oublier qu'historiquement le prolétariat des autres "Etats Unis d'Amérique", un peu plus au Nord, est composé d'une grande majorité de prolétaires d'origine mexicaine, et ses luttes ont toujours été influencées par ces derniers), et que, malgré les efforts de toute la gauche bourgeoise, latino-américaine (partisane de la libération nationale) et mondiale, le mouvement ne se laisse pas enfermer dans le programme bourgeois de libération nationale et démocratique. Dans toutes ces luttes, les revendications classistes, prolétariennes prédominent que ce soit comme affirmation de lutte contre l'exploitation ou comme déclarations de guerre ouverte à la société capitaliste.

Les télévisions mexicaine et espagnole laissèrent échapper l'interview de l'un des protagonistes de la première heure au Chiapas; il apparut un bref instant masqué et armé et lorsqu'on lui demanda quels étaient les objectifs de la lutte, non seulement il ne fit aucune apologie de la démocratie ou de la libération nationale mais il déclara platement le contraire:

"Nous n'abandonnerons notre lutte que lorsque nous aurons détruit l'armée bourgeoise et l'Etat mexicain et changé le système"

Et Zapata?

Souvent la contre-révolution se pare des atours de la révolution. La reconstitution capitaliste, une fois la révolution vaincue, utilise des drapeaux ou le nom de certains leaders révolutionnaires pour affirmer la contre-révolution avec "l'appui" des prolétaires.

Comme on le sait, ce qu'en Russie on a appelé "la révolution socialiste", la transformation "du capitalisme en socialisme" n'était qu'une invention du stalinisme et se consolida au rythme de la liquidation de tout ce qui restait de résistance révolutionnaire. Le pays se transforma en un vaste camps de concentration et de travail, reproducteur du Capital: le "socialisme" national russe fut le résultat direct de la liquidation de l'internationalisme prolétarien et révolutionnaire. Et, jusqu'à ce jour, rien n'a empêché Staline et ses héritiers de continuer à s'appeler "bolcheviques" et "parti communiste", ni de se revendiquer de Lénine alors que les véritables communistes et la majorité des bolcheviques qui avaient participé à l'insurrection de 1917 sont morts, torturés, disparus, liquidés par l'appareil politique staliniste.

Au Mexique, le processus est le même. Le Parti Révolutionnaire Institutionnel résulte, comme son nom l'indique, de l'institutionnalisation de la révolution, c'est-à-dire de sa castration et de sa transformation en son contraire: une force de gestion de l'ordre bourgeois. De la même manière qu'en Russie le parti bolchevique formel a assuré sa continuité tout aussi formelle avec la révolution qu'il avait écrasée en parlant de "révolution", de "socialisme", "d'internationalisme prolétarien", en invoquant Marx, Lenine et d'autres drapeaux qu'il avait trahi dans la pratique; au Mexique, voilà 80 ans qu'on parle de "révolution", de Zapata, de gouvernement ouvrier, d'anti-impérialisme, etc... Pas étonnant donc qu'aujourd'hui se revendiquent de "la révolution" et de Zapata non seulement deux forces aussi contradictoires que le prolétariat en lutte et une organisation battant le pavillon de la libération nationale, mais encore Carlos Salinas Gortari lui-même (2).

La révolution prolétarienne initiée au début du siècle (la première tentative insurrectionnelle date de 1906, la seconde de 1908 et celle-ci se généralise entre 1910 et 1917), avait été castrée, liquidée par la démocratie, la libération nationale. En effet, grâce à l'action des constitutionnalistes et des démocrates regroupés autour de la figure de Francisco Madero d'abord, grâce à l'action contre-révolutionnaire des syndicats urbains qui firent un pacte avec Carranza ensuite, grâce à la trahison chaque fois plus claire du mouvement dirigé par Pancho Villa enfin, la lutte révolutionnaire entamée par le prolétariat contre le régime social capitaliste fut liquidée, écrasée.

Le mouvement commandé par Emiliano Zapata, si connu internationalement, s'inscrivait dans un mouvement social beaucoup plus vaste et, quoique moins connu, beaucoup plus clair programmatiquement ayant pour centre révolutionnaire le Parti Libéral et qui ne cessa jamais de dénoncer le réformisme: le constitutionnalisme de Madero, la réforme agraire et ouvriériste de Carranza et le "gouvernement travailliste et ami de l'ouvrier" qui arborerait aussi le drapeau de "la lutte contre l'impérialisme yankee".

Si grâce à l'influence permanente des noyaux communistes (3) les secteurs du mouvement prolétarien dirigés par Emiliano Zapata s'opposèrent au capital, affrontèrent la propriété privée, les réformes agraires, la loi, les partis et gouvernements réformistes et ouvriéristes et les soi-disant "révolutionnaires" et "anti-impérialistes" qu'on leur imposait, jamais Zapata lui-même ne rompit ouvertement, en tout cas d'un point de vue formel, avec le projet réformiste radical connu sous le nom de Plan de Ayala, ni avec la réforme agraire (voir la fameuse Loi Agraire).

Mais malgré cela, malgré la profondeur des divergences existant entre la position des militants révolutionnaires au Mexique et Zapata, il ne fait aucun doute que ce dernier ait été influencé par le mouvement même du prolétariat et par ses militants révolutionnaires, et ce jusqu'à affirmer, à la fin de sa vie, dans la pratique et verbalement, des actions qui horrifieraient aujourd'hui nombre de ceux qui se disent zapatistes au Mexique, et plus spécialement ceux qui s'arrogent le titre de commandant d'une "armée zapatiste de libération nationale". Prenons pour exemple quelques paragraphes du Manifeste de Milpa Alta d'août 1914:

"Cette histoire de gouvernement militaire d'abord et de parlementarisme ensuite, de réformes de l'administration pour qu'elle reste organisée, pureté idéale, sous la conduite des fonds publiques, de responsabilités officielles scrupuleusement exigées, de liberté d'imprimer pour ceux qui ne savent pas écrire, de liberté de vote pour ceux qui ne connaissent pas les candidats; d'administration correcte de la justice pour ceux qui jamais ne font appel à un avocat, toutes ces beautés démocratiques, toutes ces grandes phrases qui charmaient nos aïeux et nos parents ont perdu leur attraction magique et leur sens pour le peuple. Le peuple a vu qu'avec ou sans élection, qu'avec ou sans suffrage effectif, avec dictature porfiriste ou démocratie madériste, avec une presse bâillonnée ou avec le libertinage de la presse, toujours et de toutes les façons, il continue à ruminer ses amertumes, dévorant ses interminables humiliations et pour cela, il craint, à juste titre, que les libérateurs d'aujourd'hui ne soient semblables aux dirigeants d'hier." Emiliano Zapata, 1914.

Solidarité prolétarienne

La solidarité prolétarienne avec le mouvement du prolétariat au Mexique, aujourd'hui comme hier, est étrangère à tout appel à l'unité avec les patriotes, avec les partisans de la libération nationale ou de la bonne démocratie.

Au contraire, aujourd'hui comme hier, nous avons intérêts à montrer l'abîme total qui sépare les intérêts du prolétariat de ceux de la bourgeoisie, l'opposition irréconciliable entre libération nationale et internationalisme prolétarien, entre lutte démocratique et lutte pour la révolution sociale, entre réforme agraire et liquidation du capitalisme, entre politiciens, caudillos, démocrates bourgeois (les Madero, Carranza ou Pancho Villa d'hier et les sous-commandant Marcos, major Mario,... d'aujourd'hui) et les communistes internationalistes.

C'est pourquoi dans ce numéro, en solidarité avec les prolétaires qui ont pris les armes au Mexique, nous publions pour suivre un texte de rupture avec la contre-révolution, l'institutionnalisation de la révolution (PRI), la libération nationale, un texte de rupture de classe rédigé par nos camarades du Parti Libéral du Mexique.

Cette petite contribution ne peut être considérée comme une analyse de la révolution et de la contre-révolution au Mexique au début de ce siècle, une telle analyse dépasse nos possibilités actuelles. Nous nous limiterons à publier un texte programmatique fondamental. Il s'agit du Manifeste du 27 septembre 1911, rédigé par la Junta Organizadora del Partido Liberal Mexicano (Comité Organisateur du Parti Libéral Mexicain) qui constitua un drapeau et une direction décisive pour le prolétariat aux moments de poussée révolutionnaire même s'il s'y manifeste déjà toutes les tentatives de récupération bourgeoise.

Mais pour conclure cette partie de la revue autour des luttes au Mexique, nous publions également, à la suite de ce Manifeste, deux courts textes d'un des co-signataires du Manifeste: Ricardo Flores Magon, que nous présentons plus loin.

- Février 1994 -

Notes

(1) Les latifundias sont d'énormes propriétés terriennes sur lesquelles travaillent un grand nombre de prolétaires agricoles pour un salaire de misère.
(2) Il n'y a pas si longtemps, dans le "Cinquième Rapport du Gouvernement", Carlos Salinas déclarait:" dans la Nation il y aura des batailles en faveur de la justice sociale tant que la mémoire et l'exemple d'Emiliano Zapata resteront dans le coeur des mexicains".
(3) La lutte contre toute idée réformiste de partage de la terre fut une constante chez les militants au Mexique, tant dans leurs actions organisées et unifiées que dans leur action d'agitation dans les campagnes et au sein des groupes armés de prolétaires, en particulier au sein de l'armée zapatiste.
"... la solution au problème de la faim ne se trouve pas dans la division de la terre en petites propriétés, mais dans l'union de toute la terre et son travail en commun, sans patrons, sans gouvernants, tous les hommes et toutes les femmes ayant les mêmes droits à la travailler ... plusieurs régions de ce qu'on appelle la République Mexicaine sont aux mains de populations communistes qui savent à la fois travailler la terre et se battre pour la défendre. Exemples: le Yaqui, la région du centre de l'Etat de Durango, Mexico, Guanajuato, Michoacan, Jalisco, Guerrero, Sur de Puebla, et autres.... Il ne faut pas se contenter d'une répartition des terres, il faut la prendre toute pour en faire une propriété commune, non individuelle, et pour obtenir ce résultat, les membres du Parti Libéral Mexicain non seulement luttent dans des groupes nettement libertaires organisés pour la guerre, mais aussi, éparpillés individuellement dans tout le pays, propagent dans les campagnes et les villages les principes salvateurs contenus dans le Manifeste du 23 septembre 1911, principes qui prônent la disparition pour toujours de l'Autorité, du Capital et du Clergé." Regeneracion, 13 Juin 1914.



Manifeste du 23 septembre 1911 ("Regeneracion")

MEXICAINS,

Le Comité Organisateur du Parti Libéral Mexicain voit avec sympathie vos efforts pour mettre en pratique les hauts idéaux d'émancipation politique, économique et sociale, dont le règne sur la terre mettra fin à cette déjà trop longue lutte de l'homme contre l'homme, qui a son origine dans des inégalités de fortunes, inégalité produite par le principe de la propriété privée.

Abolir ce principe signifie l'anéantissement de toute les institutions politiques, économiques, sociales, religieuses et morales qui composent le milieu dans lequel s'asphyxient la libre initiative et la libre association des êtres humains qui se voient obligés, pour ne pas périr, d'établir entre eux une concurrence acharnée, de laquelle sortent triomphants, non pas les meilleurs, ni les plus dévoués, ni les plus doués physiquement, moralement ou intellectuellement, mais les plus malins, les plus égoïstes, les moins scrupuleux, les plus durs de coeur, ceux qui mettent leur bien-être personnel au-dessus de n'importe quelle considération de solidarité et de justice humaine.

Sans le principe de propriété privée, le Gouvernement n'a pas de raison d'être, car il est seulement nécessaire pour tenir en respect les déshérités dans leurs querelles ou dans leurs révoltes conte les détenteurs de la richesse sociale; l'Eglise aussi perdra toute raison d'être, elle dont l'objet exclusif est d'étrangler en l'être humain la révolte innée contre l'oppression et l'exploitation en prêchant la patience, la résignation et l'humilité, elle qui fait taire les cris des instincts les plus puissants et féconds par la pratique des pénitences immorales, cruelles et nocives à la santé des personnes. Et pour que les pauvres n'aspirent pas aux jouissances de la terre et ne constituent pas un danger pour les privilèges des riches, ils promettent aux humbles, aux plus résignés, aux plus patients, un ciel qui se mérite dans l'infini, plus loin que les étoiles qu'on arrive à voir...

Capital, Autorité, Clergé: voilà la sombre trinité qui fait de cette belle terre un paradis pour ceux qui sont arrivés à accaparer dans leurs griffes par l'astuce, la violence et le crime, le produit de la sueur, des larmes, du sang et du sacrifice de milliers de générations de travailleurs, et un enfer pour ceux qui avec leurs bras et leur intelligence travaillent la terre, conduisent les machines, construisent les maisons, transportent les produits; de cette façon, l'humanité se trouve divisée en deux classes sociales aux intérêts diamétralement opposés: la classe capitaliste et la classe ouvrière; la classe qui possède la terre, les machines de production et les moyens de transport des richesses, et la classe ouvrière qui ne peut compter qu'avec ses bras et son intelligence pour se procurer la subsistance.

Entre ces deux classes il ne peut exister aucun lien d'amitié ni de fraternité parce que la classe possédante est toujours disposée à perpétuer le système économique, politique et social qui lui garantit la tranquille jouissance de ses pillages, tandis que la classe ouvrière fait des efforts pour détruire ce système inique pour instaurer un milieu dans lequel la terre, les maisons, les moyens de production et les moyens de transport soient d'usage commun.

MEXICAINS: le Parti Libéral Mexicain reconnaît que tout être humain, par le seul fait de venir à la vie, a le droit de jouir de tous et de chacun des avantages qu'offre la civilisation moderne, parce que ces avantages sont le produit de l'effort et du sacrifice de la classe travailleuse de tous temps.

Le Parti Libéral Mexicain reconnaît que le soi-disant droit de propriété individuelle est un droit inique, car il contraint le plus grand nombre d'êtres humains au travail et à la souffrance pour la satisfaction et l'oisiveté d'un petit nombre de capitalistes.

Le Parti Libéral Mexicain reconnaît que l'Autorité et le Clergé sont le soutien de l'iniquité capitaliste, et par conséquent, le Comité Organisateur du Parti Libéral Mexicain a déclaré solennellement la guerre à l'Autorité, la guerre au Capital, la guerre au Clergé.

Contre le Capital, l'Autorité et le Clergé, le Parti Libéral Mexicain arbore le drapeau rouge sur les champs de bataille du Mexique, où nos frères se battent comme des lions, disputant la victoire aux armées de la bourgeoisie, c'est-à-dire: les maderistes (1), les reyistes (2), les vazquistes (3), les scientifiques, et tant d'autres dont le seul but est de mettre un homme à la tête du pays pour pouvoir prospérer dans son ombre, sans considération aucune pour la masse entière de la population du Mexique, et reconnaissant toutes, comme sacré, le droit à la propriété individuelle.

En ces moments de confusion, si propices pour l'attaque contre l'oppression et l'exploitation; en ces moments où l'Autorité est ébranlée, déséquilibrée, vacillante, attaquée sur ses flancs par les forces de toutes les passions déchaînées, par la tempête de tous les appétits vivifiés par l'espoir d'un prochain rassasiement, en ces moments d'inquiétude, d'angoisse, de terreur pour tous les privilèges, des masses compactes de déshérités envahissent les terres, brûlent les titres de propriétés, mettent leurs mains créatrices sur la terre féconde et menacent du poing tout ce qui, hier, était respectable: Autorité, Capital, Clergé; ils ouvrent le sillon, sèment le grain et attendent, émus, les premiers fruits d'un travail libre.

Ce sont, Mexicains, les premiers résultats pratiques de la propagande et de l'action des soldats du prolétariat, des généreux qui soutiennent nos principes égalitaires, de nos frères qui défient toute autorité et toute exploitation avec ce cri de mort pour tous ceux d'en haut, cri de vie et d'espoir pour ceux d'en bas: Vive Terre et Liberté!

La tempête redouble de jour en jour: maderiste, reyistes, vazquistes, scientifiques vous appellent à grands cris, Mexicains, pour que vous alliez défendre leurs drapeaux usés, protecteurs des privilèges de la classe capitaliste. N'écoutez pas les douces chansons de ces sirènes qui veulent profiter de votre sacrifice pour établir un gouvernement, c'est-à-dire un nouveau chien qui protège les intérêts des riches. Levez-vous tous mais pour mener à terme l'expropriation des biens que détiennent les riches!

L'expropriation doit être entreprise par le sang et par le feu pendant ce grandiose mouvement, comme l'ont fait et le font nos frères les habitants de Morelos, au sud de Puebla, Michoacan, Guerrero, Vera Cruz, au nord de Tamaulipas, Durango, Sonora, Sinaloa, Jalisco, Chihuahua, Oaxaca, Yucatan, Quintana Roo, ainsi que d'autres Etats -comme a dû le reconnaître la presse bourgeoise mexicaine- , où les prolétaires ont pris possession de la terre sans attendre qu'un Gouvernement paternaliste daigne les rendre heureux, conscients qu'il ne faut rien attendre de bon des Gouvernements et que "l'émancipation des travailleurs doit être l'oeuvre des travailleurs eux-même".

Ces premiers actes d'expropriation ont été couronnés par le plus souriant succès; mais il ne faut pas se limiter à seulement prendre possession de la terre et du matériel agricole: il faut que les travailleurs prennent possession des industries dans lesquelles ils travaillent, obtenant de cette façon que les terres, les mines, les usines, les ateliers, les fonderies, les voitures, les trains, les bateaux, les magasins de toutes sortes et les maisons soient ainsi aux mains de tous et de chacun des habitants du Mexique, sans distinction de sexe.

Les habitants de chaque région où un tel acte de suprême justice est réalisé n'ont rien d'autre à faire que de se mettre d'accord pour que tous les produits qui se trouvent dans les boutiques, magasins, greniers, etc. soient conduits dans un lieu facilement accessible à tous, où hommes et femmes de bonne volonté feront un minutieux inventaire de tout ce qui a été ramassé, pour calculer la durée de ces produits, en tenant compte des besoin et du nombre d'habitants qui devront se servir, durée qui devra s'établir entre le moment de l'expropriation et le moment des premières récoltes, et la remise en marche des industries.

Tout ce qui sera produit sera envoyé au magasin général de la communauté où tout le monde aura le droit de prendre TOUT CE QUI LUI EST NECESSAIRE SELON SES BESOINS, sans autre formalité que de présenter une carte qui prouve qu'il travaille dans telle ou telle industrie.

Comme l'aspiration de tout être humain est de satisfaire le plus grand nombre de besoins, avec le moindre effort possible, le moyen le plus adéquat pour obtenir ce résultat est le travail commun de la terre et des autres industries. En divisant la terre afin que chaque famille prenne son lopin, outre le grave danger qu'on encourt de retomber dans le système capitaliste, car il ne manquera pas d'hommes rusés habitués à faire des économies qui arriveront à avoir plus que les autres et pourront à la longue exploiter leurs semblables; outre ce grave danger, il y a le fait que si une famille travaille un morceau de terre il lui faudra travailler autant ou davantage qu'aujourd'hui, sous le système de la propriété individuelle, pour obtenir le même résultat mesquin qu'on obtient actuellement; tandis que si on groupe la terre et que les paysans la travaillent en commun, ils travailleront moins et produiront davantage. Bien sûr, il y aura assez de terre pour que chaque personne puisse avoir sa maison et un bon terrain pour en faire usage selon son plaisir.

Ce qu'on a dit à propos du travail en commun de la terre, on peut le dire du travail en commun à l'usine, à l'atelier, etc.; mais chacun, suivant son tempérament, suivant ses goûts, suivant ses inclinations pourra choisir le genre de travail qui lui convient le mieux, pourvu qu'il produise suffisamment pour couvrir ses besoins et ne soit pas une charge pour la société.

Oeuvrant de la manière ainsi décrite, c'est-à-dire en organisant, immédiatement après l'expropriation, la production, libre alors de patrons et basée sur les besoins des habitants de chaque région, personne ne manquera de rien malgré le mouvement armé, jusqu'au jour où, une fois ce mouvement achevé et la disparition du dernier bourgeois et de la dernière autorité ou de son représentant, une fois détruite la loi qui soutient les privilèges et lorsque tout sera remis aux mains de ceux qui travaillent, nous nous embrasserons tous fraternellement et nous célébrerons avec des cris de joie l'instauration d'un système qui garantira à tout être humain le pain et la liberté.

MEXICAINS: c'est pour cela que lutte le Parti Libéral Mexicain. C'est pour cela qu'une pléiade de héros qui se battent sous le drapeau rouge au cri prestigieux de "Terre et Liberté!" versent leur sang généreux.

Malgré les traités de paix du traître Madero avec le tyran Diaz et malgré les incitations de la bourgeoisie qui a essayé de remplir leurs poches d'or, les libéraux n'ont pas laissé tombé les armes parce que nous, les libéraux, sommes des hommes convaincus de ce que la liberté politique profite non pas aux pauvres mais aux chasseurs de postes, et notre but n'est pas de décrocher des places ou des distinctions mais d'arracher tout des mains de la bourgeoisie pour que tout soit aux mains des travailleurs.

L'activité des différents partis politiques qui, en ce moment, se disputent la suprématie pour faire, une fois au pouvoir, exactement ce que fit le tyran Porfirio Diaz, parce que aucun homme si bien intentionné soit-il, ne peut agir en faveur de la classe pauvre lorsqu'il se trouve au pouvoir; cette activité a produit le chaos dont nous devons profiter, nous les déshérités, en tirant parti des circonstances spéciales dans lesquelles se trouve le pays, pour mettre en pratique, sur le champs et dans le même temps les sublimes idéaux du Parti Libéral Mexicain. Il ne faut pas attendre que la paix soit faite pour effectuer l'expropriation, car à ce moment-là, les produits seraient épuisés dans les boutiques, magasins, greniers, et autres dépôts et comme en même temps de par l'état de guerre où se trouvait le pays, la production serait suspendue, la faim serait la conséquence de la lutte tandis qu'en effectuant l'expropriation et l'organisation du travail libre pendant le mouvement, on ne manquerait pas du nécessaire pendant et après le mouvement.

MEXICAINS: si vous voulez êtres libres une fois pour toutes ne luttez pas pour une autre cause que celle du Parti Libéral Mexicain. Les autres partis vous offrent la liberté politique après le triomphe: nous, les libéraux, nous vous invitons à prendre la terre, les machines, les moyens de transport et les maisons, bien sûr sans attendre que personne vous donne tout cela, sans attendre qu'une loi décrète une telle chose parce que les lois ne sont pas faites par les pauvres mais par les messieurs en redingote qui se gardent bien de faire des lois contre ceux de leur caste.

C'est notre devoir à nous, les pauvres, de travailler et de lutter pour briser les chaînes qui nous rendent esclaves. Laisser la solution de nos problèmes aux classes éduquées et riches c'est nous mettre volontairement entre leurs griffes. Nous la plèbe, nous les déguenillés, nous les affamés, nous tous qui n'avons même pas une motte de terre où poser la tête, nous tous qui vivons tourmentés par l'incertitude du pain du lendemain pour nos compagnes et nos fils, nous tous qui, arrivés à la vieillesse sommes licenciés ignominieusement parce que nous ne pouvons plus travailler, c'est à nous de faire de puissants efforts, de grands sacrifices pour détruire jusqu'à ses fondations l'édifice de la vieille société qui a été une mère affectueuse pour les riches et les méchants, et une marâtre infâme pour ceux qui travaillent et sont bons.

Tous les maux dont souffre l'être humain proviennent du système actuel qui oblige la majorité de l'humanité à travailler et à se sacrifier pour qu'une minorité de privilégiés satisfasse tous ses besoins et tous ses caprices, vivant dans l'oisiveté et le vice. Elle serait moins mauvaise si le prolétariat avait la sécurité de travailler mais comme la production n'est pas réglée en fonction de la satisfaction des besoins des travailleurs mais de manière à produire des bénéfices pour la bourgeoisie, celle-ci s'ingénie à ne pas produire davantage que ce qu'elle calcule et est sûre de pouvoir écouler, et de là les arrêts périodiques des industries ou la restriction du nombre de travailleurs, qui proviennent aussi du fait du perfectionnement des machines qui remplacent avantageusement les bras du prolétariat.

Pour en finir avec tout cela il faut que les travailleurs prennent en main la terre et les machines et que ce soient eux qui règlent la production des richesses, en tenant compte de leurs besoins.

Le vol, la prostitution, le crime, les incendies, l'escroquerie sont les produits du système qui met l'homme et la femme dans des conditions où, pour ne pas mourir de faim, ils se voient obligés de prendre là où ils trouvent ou de se prostituer, car dans la majorité des cas, même si on a une très grande envie de travailler, on ne trouve pas de travail ou il est si mal payé que le salaire n'arrive pas à couvrir les plus impérieux besoins de l'individu et de sa famille, outre le fait que la durée du travail sous le présent système capitaliste, et les conditions où il s'effectue détruisent en peu de temps la santé du travailleur et même sa vie dans les catastrophes industrielles qui n'ont d'autre origine que le mépris avec lequel la classe capitaliste traite ceux qui se sacrifient pour elle.

Le pauvre, irrité par l'injustice dont il est l'objet; plein de colère contre le luxe insultant qu'étalent ceux qui ne font rien; battu dans les rues par le policier pour le seul délit d'être pauvre; obligé de louer ses bras pour des travaux qui ne le satisfont pas; mal rétribué, méprisé par tous ceux qui ont plus de savoir que lui ou par ceux qui, du fait de leurs richesses, se croient supérieurs à ceux qui n'ont rien; face à l'expectative d'une vieillesse triste et d'une mort semblable à celle de l'animal mis à la porte de l'écurie parce qu'inutilisable, inquiet devant la probabilité de se trouver sans travail du jour au lendemain; obligé de considérer même ceux de sa classe comme des ennemis parce qu'il ne sait pas lequel d'entre eux ira se louer pour moins cher que lui, il est naturel que dans un tel contexte il se développe chez l'être humain des instincts anti-sociaux et que le crime, la prostitution, la défiance, soient les fruits naturels du vieil et odieux système que nous voulons détruire jusque dans ses plus profonde racines pour créer un monde nouveau d'amour, d'égalité, de justice, de fraternité, de liberté.

Levez-vous tous comme un seul homme! Dans les mains de tous résident la tranquillité, le bien-être, la liberté, la satisfaction de tous les désirs sains; mais ne nous laissons pas guider par des dirigeants; que chacun soit le maître de soi-même; que tout s'arrange par le consentement mutuel des individualité libres. Mort à l'esclavage! Mort à la faim! Vive Terre et Liberté!

MEXICAINS: La main sur le coeur et la conscience tranquille, nous vous lançons un appel formel et solennel pour que vous adoptiez tous, hommes et femmes, les hauts idéaux du Parti Libéral Mexicain. Tant qu'il y aura des pauvres et des riches, des gouvernants et des gouvernés, il n'y aura pas de paix et cela ne vaut pas la peine d'y aspirer parce que cette paix serait fondée dans l'inégalité politique, économique et sociale des millions d'êtres humains qui souffrent faim, outrages, prison et mort tandis qu'une petite minorité jouit de toutes sortes de plaisirs et de libertés pour ne rien faire.

Au combat! Exproprions avec l'idée du bénéfice pour tous et non pour quelques uns, car cette guerre n'est pas une guerre de bandits mais d'hommes et de femmes qui désirent que tous soient frères et jouissent, comme tels, des biens que nous offre la Nature et que le bras et l'intelligence de l'homme ont crées avec la seule condition que chacun se consacre à un travail vraiment utile.

La liberté et le bien-être sont à portée de mains. L'effort et le sacrifice nécessaires à la nomination d'un gouvernant, c'est-à-dire d'un tyran, suffisent à l'expropriation des biens que détiennent les riches.

Choisissons donc: ou un nouveau gouvernant, c'est-à-dire un nouveau joug, ou l'expropriation salvatrice et l'abolition de toute imposition religieuse, politique ou de quelqu'ordre que ce soit.

TERRE ET LIBERTE!

Fait en la ville de Los Angeles, Californie, Etats Unis d'Amérique, le 23 septembre 1911.

Ricardo Flores Magon
Librado Rivera
Anselmo L. Figueroa
Enrique Flores Magon

(De "Regeneracion")

En remettant en avant des textes qui constituent aujourd'hui encore des armes de l'émancipation du prolétariat, nous voulons contribuer à la lutte actuelle pour la conquête de son autonomie de classe.

La mémoire du prolétariat, tout comme sa lutte, est par essence internationale. On nous demandera dès lors, pourquoi insister particulièrement ici sur des textes produits par des militants révolutionnaires au Mexique, au début du siècle? La réponse est que depuis toujours, la bourgeoisie internationale a cherché à nier le caractère révolutionnaire de la lutte du prolétariat dans ce pays en prétendant qu'il ne s'agissait là seulement que de simples luttes paysannes pour une réforme agraire... réforme agraire qui constitua précisément la négation pratique des luttes, assumée par la contre révolution elle-même lorsqu'elle triompha et parvint au gouvernement.

Il nous semble important dès lors, au-delà de nos propres affirmations internationalistes, de laisser les révolutionnaires de l'époque exprimer eux-mêmes les niveaux de rupture programmatiques manifestés à l'aube de ce siècle. Cela n'aura que plus de poids face aux calomnies de type eurocentriste.

Les deux courts textes que nous présentons à la suite de ce manifeste ont été écrits par Ricardo Flores Magon, un militant encore trop peu connu des révolutionnaires actuels. Nous espérons que l'actualité, la clarté et la simplicité avec lesquelles ils expriment les positions des communistes encourageront nos lecteurs, nos correspondants, nos camarades à les reproduire, à les faire connaître, à les diffuser. Ces textes permettront peut-être d'ouvrir d'autres chemins vers la découverte de la totalité de l'oeuvre de Ricardo Flores Magon, Librado Rivera, Praxedis Guerrero, Enrique Flores Magon,... et nous sommes certains qu'ils constitueront dans le futur des armes aux mains de notre classe, pour lutter contre les multiples récupérateurs de révolutions, contre tous les démocrates et nationalistes.

Notes

(1) Partisans de Francisco Madero.
(2) Partisans de Bernardo Reyes.
(3) Partisans de Vazquez Gomez.



"L'ouvrier et la machine" de Ricardo Flores Magon (12 février 1916)

"Maudite machine!", peste l'ouvrier, suant à grosses gouttes, las et découragé. "Maudite machine qui m'obliges à suivre ton rythme infernal, comme si, moi aussi j'étais fait d'acier et entraîné par un moteur! Je te hais, engin de malheur, car en faisant le travail de dix, vingt ou trente ouvriers, tu m'ôtes le pain de la bouche - et tu me condamnes, ainsi que ma femme et mes enfants, à crever de faim".

La machine geint sous les coups du moteur, paraissant ainsi partager la fatigue de son compagnon de sang et de muscles. Toutes les pièces qui la composent sont en mouvement, ne s'arrêtant jamais. Certaines glissent, d'autres tressaillent. Celles-ci oscillent, celles-là pivotent, suintant de l'huile noirâtre, couinant, trépidant, fatiguant la vue de l'esclave de chair et d'os qui doit suivre attentivement tous leurs mouvements et résister à l'abrutissement qu'ils provoquent, pour ne pas se laisser prendre un doigt par un de ces rouages d'acier, ou perdre une main, un bras, voire la vie...

"Machines infernales! Vous devez toutes disparaître, suppôts de Satan! Joli travail que vous faites! En un jour, sans autre dépense que quelques seaux de charbon pour alimenter le moteur et avec un ouvrier, vous abattez chacune davantage d'ouvrage que ne le fait un seul homme en un mois, de sorte qu'un travailleur, qui pourrait avoir du labeur pour trente jours, le voit réduit en un seul à cause de vous... Si nous crevons de faim cela t'es indifférent! Sans toi, vingt familles de prolétaires auraient leur pain quotidien assuré."

Les mille et une pièces de la machine sont en action. Elles tournent, glissent dans tous les sens, se rejoignent et s'écartent, suant d'infectes graisses, trépidant et couinant jusqu'à en avoir le vertige... La sombre machine n'offre pas un moment de répit. Elle respire bruyamment comme si elle était vivante. Elle semble épier la moindre seconde d'inattention de l'esclave humain pour lui mordre un doigt, lui arracher un bras -ou la vie...

A travers un soupirail pénètre une pâle lueur carcérale et sinistre. Le soleil lui-même se refuse à éclairer cet antre de misère, d'angoisse et de fatigue, où se sacrifient de laborieuses existences au profit de vies stériles. Des bruits de pas viennent de l'extérieur - c'est le troupeau qui est en marche! Des miasmes sont à l'affût dans chaque recoin de l'atelier. L'ouvrier tousse... tousse! La machine geint... geint!

"Cela fait sept heures que je suis à tes côtés et il m'en reste encore trois à tirer. J'ai le vertige, mais je dois résister. J'ai la tête lourde, mais gare au moindre moment d'inattention! Je dois suivre tous tes mouvements si je ne veux pas que tes dents d'acier me mordent et que tes doigts de fer m'emprisonnent... Encore trois longues heures! Mes oreilles bourdonnent, une soif terrible me dévore, j'ai la fièvre, ma tête va éclater."

Des sons joyeux parviennent du dehors: ce sont des enfants qui passent, espiègles. Leurs rires, gracieux et innocents, effacent un instant la grisaille environnante, engendrant une sensation de fraîcheur semblable à celle qui procure le chant d'un oiseau dans un moment d'abattement. L'émotion s'empare de l'ouvrier. Ses propres enfants gazouillent de même! C'est ainsi qu'ils rient! Et tout en regardant le mouvement des mécanismes, il se met à gamberger. Son esprit rejoint le fruit de ses amours, qui l'attend chez lui. Il frissonne à l'idée qu'un jour ses gosses devront eux aussi venir crever pour une machine dans la pénombre d'un atelier où les microbes pullulent.

"Maudite machine! Je te hais!"

La machine se met à trépider avec plus de vigueur, elle a cessé de geindre. De tous ses tendons de fer, de toutes ses vertèbres d'acier, des dures dents de ses rouages, de ses centaines de pièces infatigables, sort un son rauque plein de colère qui, traduit en langage humain, signifie:

- Tais-toi misérable! Cesse de te plaindre, espèce de lâche! Moi je ne suis qu'une machine, entraînée par un moteur, mais toi, tu as un cerveau et tu ne te révoltes pas, malheureux! Arrête de te lamenter sans cesse, imbécile! C'est ta lâcheté qui est cause de ton malheur, pas moi. Empare-toi de moi, arrache-moi des griffes de ce vampire qui te suce le sang, et travaille pour toi et les tiens, crétin! En elles-mêmes, les machines sont un bienfait. Nous épargnons des efforts à l'homme, mais vous autres travailleurs, êtes si stupides que vous nous laissez aux mains de vos bourreaux, alors que vous nous avez fabriquées. Comment concevoir plus grande bêtise? Tais-toi, ne dis plus un mot! Si tu n'as pas le courage de rompre tes chaînes, alors cesse de te plaindre! Allons il est l'heure de sortir. Déguerpis et réfléchis!

Les paroles salutaires de la machine, associées à l'air frais de la rue provoquèrent une prise de conscience chez l'ouvrier. Il sentit qu'un monde s'écroulait dans son esprit: celui des préjugés, des interdits, du respect de l'ordre établi, des lois et des traditions et, le poing levé il s'écria:

- "Je suis anarchiste! Terre et Liberté!"

"Les illégalistes" de Ricardo Flores Magon (1910)

Le révolutionnaire est un illégaliste par excellence. L'homme dont les actes sont toujours conformes à la loi ne sera, au mieux, qu'un animal bien domestiqué, mais jamais un révolutionnaire.

La loi conserve, la révolution régénère. Si l'on veut donc changer, il faut commencer par briser la loi.

Prétendre que la révolution peut se faire en respectant la loi est une aberration, un contresens. La loi est un joug et qui veut s'en libérer doit le briser.

Quiconque fait miroiter aux travailleurs l'émancipation du prolétariat par la voie légale est un escroc, car la loi interdit d'arracher des mains des nantis la richesse qu'ils nous ont volée. Leur expropriation au bénéfice de tous est la condition essentielle à l'émancipation de l'humanité.

La loi est un frein et ce n'est pas avec des freins qu'on se libère.

La loi castre et les châtrés ne peuvent prétendre être des Hommes.

Toutes les libertés conquises par l'humanité sont l'oeuvre d'illégalistes qui se sont emparés des lois pour les réduire en miettes.

Les tyrans meurent poignardés, et nul article du code ne saurait nous en débarrasser.

L'expropriation ne peut se faire qu'en écrasant la loi, et non en la subissant.

C'est la véritable raison pour laquelle, si nous voulons être révolutionnaires, nous devons être illégalistes. Il nous faut sortir des sentiers battus et ouvrir de nouveaux chemins aux transgressions.

Rébellion et légalité sont inconciliables. Qu'on laisse la loi et l'ordre aux conservateurs et aux bonimenteurs.


"Le capitalisme est loin d'être à la dernière extrémité. Aux yeux de quiconque est persuadé du contraire -il suffit de persévérer un peu et, ensuite, ce sera la victoire finale- voilà qui est se dorer la pilule. Le plus ardu, presque tout, à vrai dire, se trouve encore devant nous; nous ne sommes qu'au pied de la montagne. Il est difficile aujourd'hui de prévoir l'évolution économique à court terme. Si une phase d'expansion vient à s'ouvrir, il est tout aussi certain qu'elle sera suivie d'une crise tout aussi considérable. Et avec la crise réapparaîtra la révolution. L'ancienne révolution est terminée; nous avons à préparer la nouvelle."

Principe et Tactique (1927) - A. Pannekoek



Premier numéro de la revue centrale du GCI en langue allemande:

"KOMMUNISMUS"



Nous soulignons

50 and de paix... cela se fête

* * *

"50 ans de paix... cela se fête!” Voilà ce qu’on nous ressasse depuis plus d’un mois. Drapeaux nationaux, cortèges de médaillés, félicitations royales, galeries de souvenirs... Pas une semaine ne passe sans que tous en chœur, les médias ne nous chantent encore et encore “la reconnaissance envers les Alliés”, “le courage des résistants”, “l’honneur du soldat inconnu”,...

Prise de vertige face à la crise catastrophique dans laquelle elle s’enfonce chaque jour d’avantage, la bourgeoisie se prend à rêver du bon vieux temps où le prolétariat, écrasé sous des tonnes de bombes et de terre, acceptait en silence l’austérité nécessaire au bon fonctionnement du système. Mitterrand et Chirac profitent, par exemple, de la commémoration de la “Libération de Paris” pour rappeler aux “français” que dans “ces grands moments” tous les conflits d’intérêts disparaissent pour laisser place à l’Union Sacrée de tous les citoyens dans la défense commune de la nation.

Pourtant, malgré les efforts que déploie l’Etat capitaliste mondial pour nous rendre amnésiques, nous, communistes, n’avons rien oublié de notre histoire.

Alors que de 1939 à 1945 la bourgeoisie mondiale enfermait le prolétariat dans les mâchoires de la défense nationale, alors que la guerre battait son plein et malgré la terreur généralisée, l’agitation ouvrière persistait. Le spectre de la négation du Vieux Monde continuait à hanter la terre. Malgré les justifications apportées par chaque camp pour conduire les soldats à la boucherie, nombres de prolétaires, avec beaucoup de difficultés sans doute, ont néanmoins continué à lutter pour leurs propres intérêts.

Mais cela, bien sûr, le racket bourgeois des “commémorations” ne peut que l’omettre. Les grèves, les manifestations, les occupations “sauvages”, l’action directe, les sabotages, le refus du travail, le refus du front, les tirs des soldats contre leurs officiers ... tout cela ferait tache dans la fête bourgeoise.

Et bien faisons donc quelques taches!

Dès avant le déclenchement de la guerre, en septembre 1939, des mutineries éclatent dans certaines unités allemandes. Brisant l’image d’une armée allemande bien huilée, sans contradiction et fanatisée, des prolétaires sous l’uniforme refusent de servir de chair à canon. Ce sont ces manifestations de résistance classiste qui obligeront l’OKW (le Haut Etat-major Allemand) à repousser plusieurs fois l’invasion de la Pologne.

Dans l’autre camp, en mai 1940, pour échapper à la mobilisation et résister à la boucherie, de nombreux prolétaires sous l’uniforme français, belges ou hollandais préfèrent également se rendre plutôt que d’être sacrifiés sur l’hôtel de la patrie.

Dans les pays soit disant “socialistes”, des résistances prolétariennes se font jour aussi et lorsque les troupes allemandes envahissent l’URSS, des divisions entières se rendent en masse, désobéissant aux ordres de Staline les enjoignant à se battre jusqu’à la dernière cartouche pour la défense de la “patrie du socialisme”. La situation est telle que des troupes spéciales du NKVD sont systématiquement placées derrière les soldats pour les empêcher de fuir ou de se rendre. Malgré cela, d’importantes mutineries éclatent du côté de Rostov en 1941. Staline décide alors d’envoyer un de ses fidèles lieutenants, le très libéral Kroutchev, à la tête d’unités composées des meilleurs tueurs du NKVD. La répression sera impitoyable. Les troupes du Ministère de l’Intérieur feront plus de morts que l’avance des armées de l’Axe!

En 1943, ce sont les ouvriers de la Clyde en Angleterre qui se mettent en grève. Ce n’est pas un hasard si en 1915 déjà, c’est là qu’avaient été déclenchées, aux cris de “nous ne sommes pas germanophiles, nous sommes la classe ouvrière!”, les premières grèves contre la guerre.

L’année 1943 verra aussi les ouvriers des usines d’armements en Allemagne débrayer et exiger de meilleurs salaires, une meilleure nourriture... La répression s’abat, terrible: pendaisons, emprisonnements, camps de travail, envois au front dans des bataillons disciplinaires prêts à être sacrifiés...

Et la même année, c’est encore le prolétariat qui se soulève contre la misère, contre les privations, contre la famine lorsque des dizaines de milliers d’ouvriers prennent les armes dans le ghetto de Varsovie, résistant plusieurs semaines plutôt que de se laisser froidement assassiner.

C’est encore le prolétariat qui affirme son existence dans l’insurrection organisée au camps de concentration de Sobibor, toujours en 1943.

Et c’est pour se débarrasser du prolétariat qui la hante que la bourgeoisie organise le bombardement de nombreuses villes d’Allemagne, massacre qui culminera dans la destruction de Dresde en février 1945 où plus de 300.000 prolétaires seront brûlés vifs dans une tempête de feu provoquée par le largage de milliers de tonnes de bombes au phosphore. Et que dire du sort réservé aux prolétaires d’Hiroshima et de Nagasaki au Japon!

C’est encore et toujours le prolétariat qui s’insurge dans le nord de l’Italie entre 1944-1945 et crée des “communes rouges” à Milan, Venise et d’autres villes de moindre importance.

Ce sont ces mêmes exploités qui débarquent du “maquis” à Toulouse pour faire, comme ils le disaient, “la révolution sociale” en 1944.

A l’ouest comme à l’est, des “maquisards” refusent de ramener leur lutte à la “libération de la patrie”. Les troupes soviétiques réagissent à cela en envoyant systématiquement au Goulag tous les prisonniers “russes” qu’ils libérent. Parallèlement, elles font une chasse impitoyable à tous les groupes armés rebelles qui se cachent encore et parmi lesquels se trouvent un grand nombre de déserteurs “russes”, “allemands”, “polonais”, “juifs”... En Roumanie et en Bulgarie ces “déserteurs” continueront à lutter (fin 1945, début 1946) contre toutes les institutions en place: armée “rouge”, pouvoir civil, grands propriétaires ... La plupart d’entre eux seront soit liquidés sur place, soit expédiés au Goulag où croupissent déjà à ce moment plus de 15 millions de leurs frères.

Cette évocation de quelques luttes n’est évidemment pas exhaustive: il faudrait encore parler des soulèvements prolétariens en Grèce, des luttes en France, en Belgique,... et de tout ce que la contre révolution occulte.

Aucun manuel d’histoire n’évoque ces faits mais, une chose est certaine: à travers toutes ces luttes, toutes contradictoires et faibles qu’elles puissent être, c’est bel et bien le prolétariat qui réémerge et, malgré un rapport de force très défavorable, oppose la défense de ses propres intérêts au déluge de feu dans lequel le noient les puissances impérialistes.

Nous, communistes, ne pouvons effacer de notre mémoire la mort de millions de nos frères, une mort organisée dans le cadre des enjeux impérialistes pour lesquels se battaient l’ensemble des fractions bourgeoises concurrentes. Cette préservation de la mémoire historique du prolétariat est une tâche de toujours des minorités révolutionnaires, des communistes. Et nous lutterons jusqu’à notre dernier souffle pour vaincre ces tentatives d’ensevelissement, pour retrouver les traces de nos luttes, pour saisir le fil rouge de NOTRE histoire que vous, bourgeois, vous acharnez à défigurer, nier, effacer.

Prolétaire, si tu veux la paix, prépare la guerre sociale!

- Octobre 1994 -



Nous soulignons:

Palestine: Les accords de paix contre le prolétariat

* * *

Des "Palestiniens", "réfugiés", "occupés", s'affrontant à des "israéliens", "colons", "occupants", voilà ce que nous présente la bourgeoisie mondiale depuis bientôt 50 ans. Des territoires occupés et une lutte pour leur libération, voilà dans quoi on noie la lutte de classe depuis des années et comment on masque la réalité, comment on élude les vraies questions... Voilà des décennies que l'ensemble des officines de l'extrême gauche bourgeoise photographie le rôle de gendarme local assumé par l'Etat d'Israël dans cette région du monde pour imposer des tâches de libération "à tous les palestiniens opprimés". L'idéologie de la libération nationale définit des buts communs aux deux classes pour la nation palestinienne, et nie l'existence des prolétaires dans la nation israélienne. Nous rejetons vigoureusement cette vision fausse et volontairement entretenue pour étouffer toute vélléité de lutte de classe des DEUX côtés.

A contre-courant de cette idéologie asphyxiante qui tente de noyer le prolétariat dans l'ignorance de sa propre réalité, nous affirmons, comme nous l'avons toujours fait (et continuerons à le faire), qu'il n'y a ni "peuple palestinien" ni "peuple israélien", ni "colons", ni "occupés", mais qu'en Palestine, à Gaza, en Cisjordanie comme en Israël et comme partout ailleurs, il y a deux classes sociales antagoniques et ennemies.

Mais la mystification de la "libération nationale", comme toute idéologie, prend pour base matérielle certains aspects partiels de la réalité.

Ainsi, il n'est pas nécessaire de se taper la lecture de l'imbuvable bouillie idéologique "trotskyste" ou "maoïste" pour reconnaître que l'Etat Israélien, parce qu'il a réussi à cimenter la paix sociale à l'intérieur de ses frontières et qu'il fait office de gendarme régional, est le délégué local des intérêts d'ensemble de la bourgeoisie internationale. Que des prolétaires bougent quelque part ou se concentrent dangereusement dans la région, et voilà l'armée israélienne qui vient mettre de l'ordre ...et du sang!

Mais si cet Etat est si puissant, c'est aussi parce qu'il se distingue particulièrement dans sa capacité à imposer la démocratie, c'est-à-dire à nier les antagonismes de classes et à unifier ces dernières sous son aile nationalisto-protectrice. Entretenant et développant son image de nation opprimée depuis la nuit des temps, entourée d'ennemis prêts à tout pour le détruire, l'Etat israélien a choyé et dorloté cette menace salutaire qui ramenait dans son giron les citoyens nationaux (ou dans ses prisons les prolétaires récalcitrants) et qui le plaçait dans le rôle de la victime aux yeux des citoyens du reste du monde.

Et si, basée sur la communauté fictive du "juif-éternellement-persécuté", cette idéologie de "l'ennemi-aux-portes-du-pays" a été si chèrement entretenue, c'est qu'il est toujours bon d'agiter le spectre de l'ennemi extérieur pour écraser celui beaucoup plus dangereux qui pourrait se réveiller à l'intérieur.

C'est toujours sous prétexte de "trahison de l'intérêt national", de "crime contre la nation", de "collaboration avec l'ennemi" que l'Etat fusille, enferme, envoie à l'asile ou en exil tout qui remettrait en question l'ordre intérieur, l'équilibre de terreur démocratique négateur de la lutte de classe.

Israël fait d'autant moins exception à cette règle que son arsenal idéologique pour souder les classes sociales derrière la défense nationale est particulièrement impressionnant: l'idéologie démocratique et la religion bien sûr, mais aussi le sionisme, "l'identité" juive et l'antifascisme. Et la représentation internationale qui est aujourd'hui faite de la dernière guerre mondiale vient parfaire ce conglomérat idéologique: on a transformé et réduit une guerre de destruction de millions de prolétaires de toutes nationalités en une guerre de destruction des seuls "juifs", et Israël se repose sur cette récupération pour justifier la nécessité de son existence comme nation!

Et le piège se referme sur le prolétariat de la région lorsque l'0LP (soutenu par l'extrême gauche bourgeoise internationale) puise les éléments clés de son union nationale dans la réelle démesure du rapport de force existant entre les deux Etats.

Car comme toujours, le sentiment nationaliste de la "nation opprimée" s'exacerbe proportionnellement à la terreur qu'inspire "l'ennemi de la nation"; en effet, les bourgeois locaux, les aspirants gestionnaires palestiniens de la force de travail locale, éprouvent peu de peine à convaincre "leurs" prolétaires qu'une nation libérée du joug israélien ne pourra qu'être plus juste et plus humaine.

Mais voilà donc qu'aujourd'hui, le rêve de la libération de la nation palestinienne opprimée par l'Etat israélien, ce rêve véhiculé par tous ceux qui défendirent peu ou prou "la lutte de libération nationale du peuple palestinien" et accordèrent leur soutien (toujours critique bien entendu, pour se garder la conscience tranquille) à l'OLP, a progressivement pris corps et frontières: les accords de paix entre Arafat et Rabin ont enfin permis l'édification d'une véritable nation palestinienne.

Une nation palestinienne et une nation israélienne se côtoyant convivialement dans une reconnaissance mutuelle des frontières, voilà qui met sérieusement du plomb dans l'aile des idéologies soudant la paix nationale.

Mais l'Etat en Israël comme en Palestine ne pouvait faire autrement. En effet, d'un côté l'union nationale réalisée autour de la guerre menée par Israël commençait à sérieusement se lézarder, et il devenait de plus en plus difficile pour l'armée israélienne d'assurer l'ordre non seulement en Palestine mais dans ses propres rangs; de l'autre, en Palestine même, l'Intifada commençait tout aussi sérieusement à faire ressurgir les contradictions sociales à l'intérieur même des territoires occupés, l'OLP se décrédibilisant de plus en plus aux yeux des prolétaires en lutte (1).

L'Etat d'Israël voyait décroître sa crédibilité internationale, et de victime il devenait bourreau; Arafat, de son coté, avait grand besoin de reprendre les choses en main et de redorer son blason. D'un commun accord, et sous l'oeil ému de la bourgeoisie mondiale, ils ont donc signé les accords de paix et poussé simultanément un soupir de soulagement: enfin le besoin impérieux de mettre un terme à l'Intifada allait se réaliser, enfin les deux camps verraient s'arrêter cette "révolte des pierres" qui n'en finissait plus d'humilier Israël et de gêner l'OLP dans sa quête frénétique de reconnaissance internationale (2).

L'installation territoriale de l'Etat palestinien requérait impérativement de mettre un point final à ce désordre. Intérêt partagé par l'Etat d'Israël qui voyait d'un mauvais oeil sa crédibilité et le potentiel d'estime dont il jouit encore au niveau international s'effriter dangereusement. Enfin, la "révolte des pierres" devait cesser car elle représentait une menace permanente pour la bourgeoisie mondiale du fait de la "facilité" avec laquelle des prolétaires, désarmés mais décidés, semblaient pouvoir résister à l'une des meilleures armées du monde; exemple dangereux dont s'étaient déjà revendiqués des prolétaires en colère, un peu partout dans le monde, à Trafalgar Square et à Vaulx-en-Velin notamment.

Voilà donc que les fractions bourgeoises hier rivales, s'embrassent aujourd'hui devant les yeux émerveillés de l'extrême gauche internationale, et unissent leurs efforts pour "rendre l'accord concret et acceptable aux yeux des deux opinions publiques" (3). Car, répétons-le encore, la signature de l'accord de paix n'est que le parachèvement éclatant de la lutte que mène depuis toujours, main dans la main, les bourgeoisies palestinienne et israélienne contre le prolétariat dans la région. Hier il s'agissait de diviser pour régner, alors, s'accrochant à leur drapeau national, les fractions bourgeoises attisaient les haines; aujourd'hui, c'est l'union et la fraternité entre cousins qu'on prône, et l'entente est à l'ordre du jour, il s'agit maintenant de réconcilier pour mieux dominer.

Et le rêve des staliniens de tous les pays se réalise donc: la Palestine vole vers la liberté! Mais quelle est donc la nature de cette "liberté" tant vantée par les supporters des différentes fractions bourgeoises palestiniennes? Celle qui règne au Nicaragua, en Roumanie ou au Vietnam: la liberté d'exploiter des prolétaires livrés pieds et poings liés à l'union nationale par une longue lutte de libération nationale! La liberté d'emprisonner les récalcitrants à la nouvelle patrie grâce à l'aide active des anciennes forces armées de libération reconverties en forces de police!

Et en effet, tandis que Rabin et Arafat dissertaient c'est, comme de bien entendu, l'appareil de répression (mieux connu sous le vocable "d'appareil de maintien de l'ordre") qui s'installait le premier dans les nouveaux "territoires autonomes" palestiniens.

Quelle grande victoire, quel énorme pas en avant dans la libération de l'homme: les prolétaires en Palestine ont maintenant le droit de se faire taper sur la gueule par leurs propres policiers! Quelle fierté pour l'extrême gauche internationale! Toutes fractions confondues, ces multiples sectes ennemies se voient réunies dans cette récompense à leurs prières: un Etat palestinien disposant de ses propres forces de répression nationale!

Depuis le 13 décembre 1993, date officielle du retrait des troupes israéliennes de Jericho et de Gaza (4), les prolétaires de ces deux villes ont l'immense privilège de voir se déployer face à eux (grand acquis de toute lutte de libération nationale) une police palestinienne! Et pas n'importe laquelle: une "force de police puissante" composée d'un effectif de 30.000 hommes équipés de matériels légers (fusils et mitrailleuses) et soutenue financièrement par la CEE et les Etats Unis. L'Etat israélien restera malgré tout vigilant et vérifiera "si les palestiniens sont capables ou non de contrôler le terrorisme" comme l'affirmait Yossi Beilin, le bras droit de S. Peres.

Omar al-Khatib, le n°2 de l'OLP chargé des Affaires de sécurité, s'est tout spécialement assuré que ces charmants messieurs soient "entraînés à la lutte anti-terroriste, anti-émeute et contre la criminalité". L'Europe et les Etats Unis veilleront également à ce que cette formation soit des plus efficaces et enverront pour ce faire des spécialistes-ès-maintien-de-l'ordre.

Mais ce n'est pas tout, l'accord de paix précise encore que les services secrets palestiniens (dont Israël vante le professionnalisme!!) devront transmettre à l'Etat hébreux "les informations sur des groupes palestiniens radicaux".

Prolétaire de Palestine, ton ennemi est dans ton pays, c'est ta propre bourgeoisie. Après t'avoir enfermé dans le piège de la libération nationale, elle réclame ta participation à la reconstruction nationale, et pour s'assurer de ta collaboration elle "compte sur l'importance des effectifs de la police non seulement pour réduire le chômage, mais pour 'dissuader au maximum les troubles'".

Dorénavant, prolétaire, les balles qui t'atteindront, les bombes qui feront sauter ta maison, les bâtons qui te matraqueront,... seront "palestiniens". Tu n'as plus à t'inquiéter car la nouvelle police ne sera composée que d'hommes de confiance, recrutés et formés avec le plus grand soin par un palestinien: Ibrahim Youssouf Mouhana. Et monsieur Mouhana sait y faire: ancien officier de police lui-même, il a été formé à l'école de police d'Israël!

Voilà, prolétaire, le programme de cette nouvelle patrie qu'on te propose comme une carotte tout en polissant le bâton qui s'abat sur toi au moindre écart. Voilà ce que tu subis chaque jour dans ta chair; les balles, les tortures, les cachots d'Arafat n'ont rien à envier à ceux de Rabin. Aujourd'hui comme hier, quand nous luttons pour défendre nos intérêts de classe, la bourgeoisie répond de la même façon: par de la mitraille et du plomb!

Nous n'avons pas de patrie, de territoire ou d'Etat à défendre. Partout sur cette planète nos intérêts sont identiques. Organisons-nous sans concession au nationalisme. Seul notre internationalisme nous permettra de mettre à bas ce système de mort.

A bas toutes les patries!

Mort à l'union nationale!

Vive l'organisation internationaliste du prolétariat mondial!

A la veille de mettre sous presse nous parviennent des informations confirmant le rôle invariablement répressif de toute force de l'ordre. A Gaza, débordant une manifestation, de jeunes prolétaires en colère se sont violemment affronté à la police palestinienne. Celle-ci a réagit comme réagissent toutes les polices du monde: par les armes. Les flics (palestiniens!) n'ont pas hésité à tirer et à tuer. A ce jour les informations font état de 18 morts et 200 blessés. Voilà comment, en Palestine comme ailleurs, les force de l'ordre répondent à la colère de notre classe. Voilà le progrès que nous offre l'autonomie nationale de la Palestine enfin libérée!

Notes

(1) Voir à ce sujet notre éditorial "Plus ça change... et plus c'est la même chose!" dans cette même revue.
(2) Pour une analyse approfondie de la situation de notre classe dans les "territoires occupés" et la lutte qui s'y déroule depuis des années, nous renvoyons le lecteur à notre article "Cisjordanie, Gaza, Jérusalem, en réponse à la lutte des prolétaires, ce que prépare la bourgeoise (une fois de plus): le massacre" paru dans Le Communiste n°26, février 1988.
(3) Toutes les citations reprises en italiques dans ce texte sont extraites de la presse des 14 et 15 octobre 1993.


Le développement de la lutte de classe au Nigéria

* * *

Les mois de juillet et d'août 1994 ont vu une importante vague de luttes prolétariennes se développer au Nigéria: grèves et émeutes se sont succédées de manière quasi ininterrompues. L'Etat est finalement arrivé à bout du mouvement en utilisant son habituel arsenal de répression. Pour épuiser puis briser l'action des prolétaires, les syndicats détournèrent les grèves vers l'appel au remplacement d'une fraction bourgeoise par une autre, et la police organisa des arrestations de plus en plus massives.

Un des foyers d'agitation prolétarienne s'est organisé autour des ouvriers du secteur pétrolier. Ce secteur est vital pour l'économie nationale. Le Nigéria est le cinquième producteur de l'OPEP, avec une production équivalente à celle du Koweit. Forts d'une longue expérience de lutte qui se manifeste régulièrement par des grèves et sabotages de la production dans le delta du Niger (la principale concentration de puits, raffineries, terminaux pétroliers et gaziers dans la région), les ouvriers du pétrole ont mené une grève qui a eu des répercussions importantes sur l'économie nationale.

Cette grève menée dans un pays défini par l'idéologie dominante comme "sous-développé" (avec tout ce que cette conception peut sous-entendre de raciste, et qui va jusqu'à réfuter l'existence de prolétaires dans ces pays) a constitué une réaction importante de notre classe face aux agressions qu'elle subit. Les répercutions de cette lutte ont touché les cours mondiaux: les prix du baril de pétrole se sont mis à flamber sous l'effet de la paralysie des raffineries nigérianes et de l'arrêt des exportations. Au moment où la bourgeoisie clame à qui veut l'entendre que la "sortie du tunnel" est proche et que c'est la "fin de la récession", au moment où, pour l'industrie, une "timide reprise" (1) nécessite un accroissement de la consommation d'énergie primaire, ce mouvement de lutte vient perturber les illusions dont se bercent les capitalistes. Les idéologues croyaient avoir définitivement enterré le prolétariat, et le voilà qui surgit dans la lutte, au coeur de l'Afrique aussi.

Profitons de l'occasion qui nous est offerte de saluer la lutte de nos frères prolétaires au Nigéria pour souligner au passage le ridicule de plus en plus achevé dans lequel tombe les idéologies eurocentristes s'acharnant à nier le caractère prolétarien de telles luttes. Face à la thèse bourgeoise développée par des groupes autoproclamés "internationalistes" qui consiste à dénigrer la lutte des ouvriers quand celle-ci n'a pas comme terrain d'action les soit-disants "pays centraux industrialisés"; face à cette thèse raciste et nationaliste qui ne conçoit le prolétariat que "blanc", "européen" voire "parisien"; face à cette vision eurocentriste qui n'est que la négation en acte de l'internationalisme prolétarien, l'action anti-capitaliste au Nigéria réaffirme avec force et dans la pratique l'universalité des conditions d'existence et de lutte du prolétariat mondial. Au Nigéria, comme partout sur cette fichue planète, pour imposer nos besoins de classe, notre pratique est identique: grèves, émeutes et tentatives d'organisation de la lutte.

Après avoir camouflé les intérêts impérialistes qui provoquèrent plus d'un million de morts au Rwanda, la bourgeoisie n'a pas hésité à diffuser l'information à propos de ces massacres (2). Par contre, en ce qui concerne le Nigéria ce fut le black-out total. Et pour cause! Les moyens de désinformation internationaux préfèrent déverser leurs larmes de crocodiles sur des situations où les prolétaires subissent le massacre, plutôt que de s'attarder sur l'exemple dangereux d'une tentative volontaire de notre classe pour affirmer de manière combative ses propres intérêts.

A chaque fois que le prolétariat réagit et qu'au moyen de l'action directe, il recommence à s'affirmer en tant que force autonome, c'est d'abord par un silence total et une occultation sans faille que la bourgeoisie enveloppe les luttes qui surgissent. C'est ce qui permet, dans un deuxième temps, de mieux les réduire à ce qu'elles ne sont pas, par exemple des "luttes" pour plus de démocratie,... L'insurrection prolétarienne en Irak en mars 1991 est un exemple édifiant de ce que la bourgeoisie est capable de faire en terme de mensonge organisé (3).

Ce qui est certain en tout cas, c'est que le prolétariat en lutte au Nigéria n'a absolument pas respecté les règles du jeu de l'"alternance démocratique", si prisé par les bourgeois. C'est le champs de la lutte classe contre classe que les prolétaires ont opposé au choix entre "les militaires" et "les civils", que leur proposait la bourgeoisie pour justifier la démocratie.

L'histoire de notre classe, au Nigéria comme partout, est jalonnée de nombreuses luttes, parfois sanglantes, pour la défense de ses intérêts immédiats -et donc aussi historiques- contre les sacrifices imposés par la bourgeoisie mondiale. C'est quelques unes de ces luttes que nous voudrions rappeler très brièvement avant d'évoquer le mouvement qui vient de se dérouler.

A partir de 1986, l'approfondissement de la crise économique internationale oblige la bourgeoisie nigériane à imposer, ici comme partout ailleurs, les mesures d'austérité nécessaires pour résister à la concurrence internationale et tenter de relancer ses affaires (4). Sous l'égide du FMI, le gouvernement tente d'imposer un "programme d'ajustement structurel", c'est-à-dire un plan d'austérité impliquant restructurations, licenciements, diminutions de salaires, etc. Diverses mesures concrètes sont prises au cours des années qui suivent, notamment le lancement en janvier 1989 d'une "nouvelle politique industrielle" visant à obtenir "une productivité accrue et un secteur public rationalisé"; en d'autres termes: imposer aux prolétaires toujours plus de misère et de sacrifices. L'année suivante, ne sachant plus quoi inventer pour tenter de réaliser ses besoins, la bourgeoisie concocte un plan triennal de développement "à horizon mobile" (sic!).

La résistance des prolétaires à ces mesures est telle que le FMI avoue sa réticence à poursuivre ses prêts s'il n'y a pas "d'améliorations rapides". En d'autres mots, et comme toujours, l'Etat mondial donne carte blanche à ses valets locaux pour mater notre classe. Dans cette situation de paix sociale instable, les différentes fractions bourgeoises en présence doivent être capables de percevoir laquelle d'entre elles sera la plus à même de faire passer la pilule de l'austérité. C'est à la fraction bourgeoise "militaire" qu'incombera cette tâche. "Comment, d'ailleurs, un gouvernement civil pourrait-il appliquer dans ces conditions les mesures d'austérité indispensables à l'exécution du plan d'ajustement structurel?" écrit la presse de l'époque.

De la mitraille et du plomb, c'est ce que le capital réserve au prolétariat lorsqu'il commence à lutter!

En 1988, en réponse à l'augmentation du prix des carburants, des émeutes éclatent à Jos, ainsi qu'à Sokoto, ce sont les prémisses de vagues de luttes plus intenses. En mai et juin 1989, plusieurs villes dont Lagos, Ibadan, Benin City et Port Harcourt s'embrasent contre les plans du FMI: on relève entre cent et deux cents morts. "L'armée tire à vue pour empêcher une généralisation de troubles de nature à remettre en question la politique d'ajustement structurel...", déclare ouvertement un journal bourgeois. De nombreux soldats sont à deux doigts de fraterniser avec les prolétaires. Craignant la persistance des désordres, la bourgeoisie n'ose pas relever les prix des tarifs publics et baisser les subventions des produits de base.

En avril 1991, de nouvelles émeutes éclatent dans le nord, à Kano, Katsina et Bauchi, ainsi qu'à Lagos. Et comme toujours, pour effacer les clairs contours de la guerre de classe, pour empêcher que cette lutte ne se relie aux autres moments et aux autres endroits de lutte, la bourgeoisie encourage le développement de polarisations inter-ethniques pour, sur base du micro-nationalisme qui en découle, diviser les prolétaires et atomiser leur lutte. La bourgeoisie a besoin de nous cataloguer dans des catégories spécifiques ayant chacune quelque chose de particulier à défendre. La désinformation bourgeoise exprime idéologiquement cette réalité en définissant avec insistance chaque catégorie ethnique et en accolant de nettes différences dans les perspectives politiques qu'elles se donnent. Le tour est joué, le prolétariat n'existe plus. Pour les médias, tout mouvement social se brise dans la mosaïque des spécificités religieuses, ethniques, politiques,... On trouve donc "des musulmans au nord", "des chrétiens au sud", "des partisans des militaires sur les hauts-plateaux", "des supporters de l'alternance démocratique le long des côtes". Quelle foutaise!

Au nord comme au sud, ce sont les mêmes intérêts antagoniques à ceux de la classe honnie qui conduisent les prolétaires à lutter. Et cette réalité est on ne peut plus visible en plein coeur de la lutte (5). Un exemple nous en est donné à la fin du mois de mai 1993, quand l'émir de Kano (un grand centre industriel du nord, "musulman" comme aiment à le répéter le choeur journalistique!) est lapidé par des prolétaires d'un quartier très pauvre lors de la sacro-sainte procession du Sallah ou Fête du sacrifice. Voilà qui malmène sans doute quelque peu le dit émir, mais qui relativise également toutes les fables sur la religiosité des prolétaires de la région et les intérêts soit-disant différents qui en découlent.

En mai 1992, au moment même où des prolétaires envahissent les rues de Los Angeles aux USA, de nouvelles émeutes embrasent l'ensemble du Nigéria. En cause: une dévaluation de 70% de la monnaie nigériane, et une grave pénurie des carburants qui fait flamber les tarifs des transports publics. Lagos, Ibadan, Kaduna, Port Harcourt, Benin City, Abuja,.. s'embrasent. Les syndicats ne parviendront à ramener le calme qu'après plusieurs jours et avec l'aide de la féroce répression de l'armée.

En juin et juillet 1993, confrontée à une crise sans précédent et au mécontentement des prolétaires qui ne fait qu'amplifier suite aux conséquences d'une nouvelle dévaluation, la bourgeoisie redoute l'éclatement de nouveaux troubles. Devant la montée des tensions, le gouvernement menace de promulguer l'état d'urgence. La "communauté internationale" -c'est-à-dire l'Etat Mondial du Capital!- s'inquiète fortement de la situation. Si la lutte prolétarienne embrase le Nigéria, le mouvement risque bien de déborder, telle une onde de choc, sur les pays voisins et ce serait une catastrophe pour la bourgeoisie mondiale.

Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler l'importance des intérêts en jeu pour les grandes compagnies pétrolières telles que Elf Aquitaine (française), Occidental Petroleum (américaine), Shell (anglo-hollandaise) dans pratiquement toute l'Afrique noire.

C'est dans ce contexte d'instabilité sociale croissante que la bourgeoisie locale va ressortir sa veille carte éculée des élections et organiser, le 12 juin 1993, des présidentielles. Un grand show, très médiatisé, met en concurrence le candidat de la fraction bourgeoise "militaire", le général Babangida, et son opposant "civil", le très réel milliardaire Moshod Abiola, candidat du "Parti Social-Démocrate". Pour tenter de récolter un maximum de voix dans les banlieues pourries mais très peuplées des grandes villes, ce dernier axe sa campagne électorale sur le thème démagogique et populiste de "Adieu à la pauvreté". Et pourquoi pas "devenons tous millionnaires" tant qu'on y est! Comme si la bourgeoisie pouvait nous offrir autre chose que la misère!

Ces élections sont un échec flagrant pour toutes les fractions bourgeoises confondues. Aux meetings de soutien organisés par la fraction "militaire" à Kano, Kaduna ou Katsina (région traditionnellement présentée comme un de ses fiefs), l'affluence est maigre. Le 23 juin, les "militaires" annulent les élections et publient un communiqué justifiant l'arrêt du "processus démocratique" afin d'"éviter que le système légal et judiciaire du pays ne soit ridiculisé". Les "civils" crient au scandale, à "la confiscation du processus démocratique". Cette annulation n'est pourtant que la suite logique de la non-publication des résultats officiels car il s'agit d'élections sans résultat. Cela se comprend aisément lorsqu'on sait que seul 30% de la population s'est rendue aux urnes. Un taux d'abstention de 70% voilà qui est toujours relativement intéressant de notre point de vue et qui exprime, même si ce n'est que de façon très passive, un certain refus du prolétariat de collaborer à l'aménagement de sa propre misère.

"Processus démocratique" ou non, ce que le prolétariat cherche, c'est la transformation profonde de ses conditions d'existence. Sa vie est un enfer permanent alimenté par l'obligation de travailler pour survivre, sa vie est une non-vie, et ce n'est certainement pas l'élection d'un nouveau gestionnaire qui changera quoi que ce soit à sa situation.

Lorsque la bourgeoisie parle de "processus démocratique" pour revendiquer les élections libres, le respect des Droits, le liberté de presse,... il s'agit d'un simple changement de forme de gouvernement qui ne remet pas plus en question la gestion de l'exploitation que la situation des prolétaires. Dans le cas qui nous occupe un gouvernement parlementaire cède la place à un gouvernement bonapartiste. La démocratie, comme nous l'avons déjà expliqué à plusieurs reprises, n'est que l'expression d'une réalité marchande qui veut que dans le monde de l'Economie n'existent que des vendeurs et des acheteurs, et pas des prolétaires ni des bourgeois. En ce sens, une des déterminations profondes de la démocratie consiste à embrigader les prolétaires (niés comme tels) et à les transformer en citoyens responsables (c'est-à-dire silencieux ou rabachant le discours des dominants), et cela par la force... ou par le vote. Le vote lui même n'exprime rien d'autre que la docilité par rapport au système mis en place pour exploiter le prolétariat. L'important pour la bourgeoisie, c'est que chaque citoyen participe aux élections et devienne, de ce fait, dépendant de son vote. S'il n'est pas content, il n'aura qu'à choisir un meilleur gestionnaire aux prochaines élections. Le jeu parlementaire ne peut fonctionner qu'avec la participation d'une majorité de prolétaires individualisés, du peuple, concept a-classiste s'il en est.

Si, comme c'est le cas au Nigéria, s'exprime un refus général de participation à ce cirque, c'est à la fraction bourgeoise la plus adéquate, qu'elle soit syndicaliste, militaire, religieuse ou autre qu'incombe la tâche de prendre les choses en mains. Il importe peu au Capital que ses gestionnaires soient "civils" ou "militaires", il faut seulement que ses impératifs de gestion soient rencontrés. Il est évident que chaque forme de gouvernement (parlementariste ou bonapartiste) offre des avantages et des inconvénients et n'est jamais purement "civil" ou "militaire". Les gouvernements plutôt parlementaires (assimilés à des gouvernements "civils") ne se gênent évidemment pas, pour imposer des mesures d'austérité voire organiser des "coups d'Etat". De même que, des gouvernements plus bonapartistes (assimilés à des gouvernements "militaires") sont prêts à jouer le jeu du vote lorsque cela leur facilite la tâche. Tout dépend de la marge de manoeuvre dont dispose la fraction dirigeante du moment, marge de manoeuvre qui, elle-même, dépend de la situation sociale.

On remarque donc une alternance de ces formes de gouvernement: quand l'une est décrédibilisée, l'autre peut prendre sa place et vice versa. Mais quelque soit la forme que prend un gouvernement, c'est toujours la nécessité de gestion du Capital qui prédomine dans ce choix, même si c'est le rapport de force entre les classes qui impose en définitive à la bourgeoisie, telle ou telle forme de gouvernement. "L'arrêt du processus démocratique", tel que l'évoque le communiqué des généraux nigérians n'exprime donc rien d'autre que ce passage d'une forme de gouvernement à une autre. La revendication du redémarrage du "processus démocratique" par les "civils" manifeste déjà quant à elle la mise en place d'un nouveau fusible, au cas où les "militaires" ne parviendraient toujours pas à contrôler la situation (6).

Et précisément, à la fin du mois de juin, l'agitation reprend de l'ampleur: dans plusieurs villes du sud-ouest, des prolétaires dressent des barricades pour s'affronter aux forces de l'ordre. A Ibadan, des prolétaires attaquent la prison et libèrent plusieurs centaines de détenus. A Lagos, ils dévastent le siège des syndicats pour protester contre l'annulation de la grève générale.

Les 5-6-7 juillet 1993, au moment même où Abiola et sa bande s'autoproclament vainqueurs des élections et appellent le peuple à leurs accorder sa confiance, le prolétariat descend dans la rue. Des émeutes éclatent et des pillages ont lieu. A Lagos, le gouvernement se révèle incapable de faire reculer les émeutiers qui sillonnent les quartiers de la ville en pillant tout sur leur passage. De jeunes prolétaires descendent des banlieues vers le centre-ville, érigent des barricades, incendient des voitures et attaquent la Banque centrale du Nigéria ainsi que plusieurs supermarchés. Plusieurs flics sont tués. Les insurgés tiennent les principales artères de la ville ainsi que des ponts. Ils attaquent des convois militaires pour se procurer des armes et incendient des véhicules de l'armée. Le gouvernement réagit en faisant intervenir l'armée. Mais comme en 1989, même au sein de celle-ci "des dissensions éclatent", comme le disent les journaux. Mutineries, défaitisme ou nouvelles polarisations inter-bourgeoises!? Peu de détails nous sont parvenus à ce jour, mais il est clair que la contradiction sociale au sein même de l'armée est le moteur de ces "dissensions".

Dans les semaines qui suivent, "civils" et "militaires" négocient en vue de former un gouvernement d'union nationale. Toutefois, la fraction "militaire" ne croit pas que les "civils" soient capables de gérer la situation sociale. Durant tout le mois d'août, la fraction "civile" et les syndicats tenteront de faire leurs preuves. L'agitation continuera à se développer et les ouvriers de l'industrie pétrolière déclencheront grèves sur grèves notamment dans la raffinerie de Port Harcourt, entraînant dans leur sillage celle de Kaduna qui devra momentanément s'arrêter. Pourtant, fin août, après 8 années de bons et loyaux services, le général Babangida cède la place à un gouvernement "civil" dans un geste d'apaisement et de pacification sociale.

L'un des problèmes auquel sont confrontés les gestionnaires du Capital pendant ces grèves est évidemment le maintien des profits tirés de l'exploitation des ouvriers du pétrole. Or, avec la lutte de classe, d'importantes pénuries de carburant perturbent les circuits d'approvisionnement, ce qui a également une influence négative sur d'autres secteurs de l'Economie. D'autre part, pour éviter des explosions sociales, le gouvernement a été amené à subventionner l'essence à 95% et celle-ci ne devrait coûter à la pompe que 0,70 naira (soit 0,15FF). Mais cette décision, résultant de la lutte des prolétaires, s'avère peu rentable pour les capitalistes. En conséquence, le carburant prend plus volontiers la direction des pays frontaliers où il se vend entre 2,6 et 4FF, c'est-à-dire de 17 à 26 fois plus cher. Un tiers du carburant nigérian est ainsi exporté, ce qui entraîne une augmentation des prix sur place vu la pénurie et une augmentation conséquente de la demande. La bourgeoisie explique dès lors les hausses de prix par des phénomènes de corruption ou par d'autres justifications encore, mais la réalité du problème est: comment ajuster à la hausse les prix des carburants sans risquer une explosion sociale?

En novembre 1993, le gouvernement "civil" décide une nouvelle hausse des prix du carburant de 700% à 900% et les luttes repartent de plus belle. Les syndicats sautent dans le train en marche lors de la grève générale organisée par les prolétaires. Celle-ci touche principalement les grandes cités industrielles comme Lagos, Ibadan, Abuja, etc. Dans les banlieues de Lagos, des bandes de jeunes prolétaires affrontent la police et l'armée lors de violentes échauffourées. Reconnaissant son incapacité à gérer l'agitation sociale, le gouvernement "civil" se voit obligé de démissionner. La situation est reprise en main par la fraction "militaire", sous la houlette du général Sanni Abacha. Avant d'avoir pu suffisamment se renforcer par une plus large extension, les grèves sont brisées par la force: "le pays ne saurait faire face plus longtemps à la dislocation et à la destruction de son économie", déclarent les "nouveaux" gestionnaires.

Voilà où on en était à la fin de l'année 1993. Les "militaires" faisaient taire toute revendication, et la lutte des prolétaires semblait écrasée par l'étreinte de fer que faisait peser le nouveau gouvernement.

Mais le Capital ne peut indéfiniment étouffer les braises d'un l'incendie social qui couve. Les luttes qui vont se déclencher au cours des mois de juillet et août 1994 expriment, comme nous l'avons souligné précédemment, la maturation d'un processus où le prolétariat n'a cessé d'affirmer ses intérêts de classe contre l'ensemble des fractions bourgeoises, toutes plus discréditées les unes que les autres.

A notre connaissance, ces luttes reprennent vigueur au début du mois de juin 1994, lorsque des émeutes éclatent dans plusieurs banlieues de Lagos. De nouveau, des barricades sont érigées et des axes de communications importants dans la région sont coupés, bloquant ainsi toute libre circulation des marchandises. Dans cette partie de bras-de-fer avec le prolétariat qui dure depuis plusieurs années, la bourgeoisie tente de jouer encore une fois sa vieille carte de "l'alternance démocratique".

A la mi-juin, "l'opposition démocratique" organise également une campagne interpellant les "citoyens responsables contre le régime militaire" pour tenter de remettre en selle sa figure de proue: le toujours aussi milliardaire Abiola. Elle organise également une semaine de "désobéissance civile" qui culmine par des journées "villes-mortes", des caricatures de "journées de barricades" (sic!) et autres "journées de prière". Mais d'une manière générale, au Nigéria comme au Zaïre ou dans d'autres zones d'Afrique, toutes ces tentatives de grandes mobilisations organisées par la fraction bourgeoise dans l'opposition sont très peu suivies.

A partir du 4 juillet 1994, le mouvement de grève s'élargit par l'entrée en scène, une nouvelle fois encore, des ouvriers du pétrole qui, pour défendre leurs intérêts, développent l'affrontement social dans tout le pays et à tous les niveaux de la production. Dans ce secteur, l'Etat se structure autour de puissants syndicats, véritables fers de lance de la contre-révolution: le NUPENG ("Syndicat des travailleurs du pétrole et du gaz naturel") et le PENGASSAN ("Syndicat des cadres de l'industrie pétrolière"). Soucieux d'éviter d'être dépassés par des prolétaires qui s'organisent de façon autonome, les syndicats sont contraints de lâcher la pression et essayent d'encadrer la lutte en appelant à une "grève illimitée", qui de toute façon était inévitable. C'est ainsi que, le 12 juillet 1994, la principale centrale syndicale ("Nigerian Labour Congress" -NLC) reconnaît la grève générale. Plutôt que d'être dépassé par les luttes, mieux valait s'intégrer dans une grève et en prendre la direction, c'est à dire la saboter. Les syndicats tentent de ramener l'opposition de classe du terrain social sur lequel elle se situe (revendications salariales, luttes contre la misère, le chômage, etc.), au terrain strictement politique en prônant le remplacement d'une fraction bourgeoise, "les militaires", par une autre, "les civils". Mais la grève paralyse toute activité à Lagos et dans d'autres grandes villes. Parallèlement, la répression se renforce tout azimut. Tandis que les ouvriers du centre pétrochimique de Warri subissent le lock-out, la pénurie de carburant paralyse tout le pays. Des émeutes sanglantes éclatent le 18 juillet à Lagos et Ibadan où les prolétaires des banlieues misérables sortent encore dans les rues. Le bilan de ces journées d'émeutes est de plus d'une vingtaine de morts dont plusieurs flics battus à mort. A Port Harcourt, une des plus grande raffinerie du pays, les conséquences des grèves sont telles que le ministre du pétrole affirme qu'il faudra plusieurs mois pour en résorber tous les problèmes techniques.

Le 21 juillet, l'appel à la reprise du travail lancé par les syndicats reçoit pour seule réponse la multiplication des grèves et des manifestations. Le prolétariat impose le maintien de la grève. Le 26 juillet, de nouvelles émeutes éclatent à Lagos, les grévistes imposent par la force la cessation immédiate de toute production et du commerce. Des combats de rues avec les mercenaires du Capital se prolongent en pillages du centre commercial. A la fin du mois, les syndicats adressent des mises en garde aux compagnies pétrolières les avertissant de risques de sabotages si les patrons continuent à employer des jaunes pour briser la grève. Ces jaunes composés notamment, d'ouvriers à la retraite et d'expatriés parmi lesquels des ingénieurs américains et européens, se font d'ailleurs casser la gueule par les grévistes. Les syndicats avouent par ce fait ne plus contrôler "leur base".

Début août, après un mois de grève, la bourgeoisie mondiale commence à s'inquiéter de la flambée des prix du baril de pétrole sur les marchés mondiaux. Encore une fois, c'est la persistance des troubles sociaux qui impose à l'Etat, via les syndicats, de prendre des mesures pour ramener les violentes attaques du prolétariat à des revendications négociables. Le 3 août, la NLC proclame une nouvelle "grève générale" et tente de ramener le mouvement prolétarien à une contestation raisonnable qui tienne compte des intérêts de la nation. Mais encore une fois, des groupes de prolétaires organisés débordent cette farce de "grève générale" et la transforment en véritable affrontement social qui s'exprime par des incendies, pillages et barricades dans diverses banlieues du nord de Lagos, ... Déjà la veille, dans les mêmes quartiers, des camions de nourriture avaient été pillés par des groupes de "jeunes voyous" et leur contenu immédiatement redistribué "aux passants" (dixit les média!). Devant la tournure que prend la "grève" syndicale, ces pompiers sociaux décident d'arrêter les frais et d'appeler à la reprise du travail. Cet appel reste, comme les autres, sans écho.

Avec ces réactions prolétariennes, c'est toute l'économie nationale qui en prend un coup. A Lagos, les coupures d'électricité sont de plus en plus fréquentes, les transports publics pratiquement inexistants et les centrales électriques à l'arrêt, faute de carburant. Le 5 août, les raffineries de Port Harcourt doivent à nouveau fermer suite à la grève. Le 8 août, la compagnie Shell annonce la suspension, "jusqu'à nouvel ordre", de ses exportations de brut en raison des dégâts causés à un important oléoduc "dans le contexte de la grève".

Afin d'imposer la reprise du travail, le gouvernement se voit dans l'obligation d'épurer ses propres structures. Le 17 août, il dissout les trois principaux syndicats qui se sont avérés incapables d'encadrer et de gérer raisonnablement les prolétaires. Cette mesure, pour toute spectaculaire qu'elle soit, ne consiste pourtant qu'en une simple et temporaire sanction qui sera annulée lorsque la situation le permettra, et dont la fonction est de faciliter une recrédibilisation ultérieure de ces syndicats.

Simultanément, la bourgeoisie durcit le ton et menace: "tout nouvel acte de vandalisme contre les installations stratégiques du pays sera promptement et fermement réprimé". Par ces menaces, outre que la bourgeoisie avoue être en danger, elle affirme clairement la nécessité de passer l'offensive. Quelques heures plus tard, lorsque des manifestations éclatent à Kaduna (grand centre commercial du nord) et Benin-City, des affrontements violents opposent des grévistes à l'armée qui a été déployée aux endroits stratégiques de la ville. Mais la Shell annonce la fermeture du terminal pétrolier de Forcados (l'un des plus importants) suite à un sabotage dans ses installations....

Malgré les menaces de licenciements, les lock-out, l'emploi de jaunes, la répression, les arrestations, la reprise du travail ne se fait pas immédiatement, la grève des ouvriers du pétrole continue. Il faudra au gouvernement plus de deux semaines et demi pour reprendre la situation en main et obliger les prolétaires à reprendre le chemin des bagnes industriels. A partir du 26 août, toutes les grandes entreprises publiques (secteur du pétrole, compagnie d'électricité, etc.) sont militarisées. C'est l'armée qui se charge de livrer massivement le carburant nécessaire à la reprise de la production, les stations d'essence sont réapprovisionnées par la force des armes dans tout le pays. Le 29 août, l'armée occupe Wari et Port Harcourt. Le 5 septembre, la grève semble brisée, en tout cas le réapprovisionnement en essence s'effectue. Ensuite, plus aucune nouvelle ne nous parvient, si ce n'est que l'ordre règne et que les mesures répressives se sont intensifiées.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de tout ceci?

Tout d'abord, nous ne pouvons que constater une nouvelle fois le manque cruel d'informations précises en dehors des canaux organisés par les médias bourgeois; nous ne pouvons que constater l'absence décisive de réseaux de centralisation prolétariens internationaux et internationalistes.

Par ce texte, nous avons voulu faire circuler le peu d'informations à notre disposition sur la situation de nos frères de classe au Nigéria. Mais ces informations proviennent pour la plupart de journaux bourgeois, et nous savons que les aspects d'organisation et de continuité dans la lutte, les manifestations de violence prolétarienne, les affrontements aux syndicats,... (quand on en parle!) sont la plupart du temps complètement distorsionnés par le point de vue soumis du journaliste qui ne peut les envisager que dans l'espace borné de l'idéologie dominante au service de laquelle il se trouve. Quant à l'existence de minorités organisées, de tracts de notre classe, de textes exprimant des ruptures avec la démocratie ou de manifestations de la solidarité prolétarienne, on n'en parle même pas. Ces faits ne sont tout simplement pas rapportés parce qu'ils ne rentrent pas dans le cadre de l'idéologie de bois démocratique véhiculée par les médias internationaux.

Bref, nous ne nous faisons aucune illusion sur les informations recueillies auprès de nos ennemis. Et il est vrai à ce titre, que la quasi-inexistence de structures propres à notre classe constitue indéniablement une expression de notre faiblesse et manifeste aussi l'expression du rapport de force en faveur de la bourgeoisie.

Quels types d'organisations ont surgit de ces années de lutte au Nigéria? Quels mots d'ordre en ont émergés? Quelles leçons pratiques notre classe a-t-elle tirées de son expérience?... Autant de questions sans réponse à ce jour.

Nous n'avons donc pas, à l'heure actuelle, suffisamment d'éléments pour analyser en profondeur les niveaux de rupture prolétarienne qui se sont exprimés dans ces luttes, notamment en ce qui concerne l'existence, permanente ou non, de minorités organisées. Malgré cela, nous ne doutons pas, au vu de toutes ces années d'agitation sociale, que des groupes ouvriers aient pu émerger et/ou émergeront. Nous savons aussi que l'action directe a vu le jour à différents moments et que des sabotages ont régulièrement eu lieu pour soutenir les grèves. Il s'agit là assurément d'un symptôme de l'existence de niveaux d'organisations ouvrières, même si le plus souvent ces actes restent encore limités dans leurs buts, dans le temps et dans l'espace.

La paralysie organisée de la Compagnie Nationale d'Electricité et les niveaux de structuration que cela a dû impliquer manifeste par exemple l'existence de ces niveaux d'organisation.

Nous nous doutons bien que la répression à l'encontre des prolétaires à l'origine de ces actions fut terrible -nous savons que certains de ces militants ouvriers ont écopé de condamnations allant de 10 ans de prison à la peine capitale-, mais il est clair que le chemin est ouvert, que des initiatives sont accomplies pour la structuration des prolétaires, et que ces minorités qui s'organisèrent activement pour développer la grève constitueront -si ce n'est déjà le cas aujourd'hui- des noyaux pour l'organisation internationale du prolétariat.

Nous pouvons constater également en conclusion, que malgré toutes les faiblesses encore présentes du côté de notre classe, la bourgeoisie a eu bien du mal à calmer le jeu, qu'elle a dû utiliser toutes les ficelles dont elle disposait: syndicats, tentatives de polarisation gauche/droite via des élections, mais aussi et surtout la répression ouverte par des arrestations, la liquidation de prolétaires et le déploiement de l'armée un peu partout. Comme en 1988 en Algérie, la répression armée a, semble-t-il, été la plus efficace.

Pourtant, au Nigéria, rien ne semble indiquer que le mouvement soit mort. Et c'est finalement, ce qu'il y a de plus étonnant par rapport à la répétition des "scénarios" de lutte dans la plupart des autres pays, ces dernières années. Partout, les prolétaires cassent, brûlent, se réapproprient des marchandises, tuent quelques flics, sabotent,... occupent la rue et s'affrontent violemment à tous les appareils de l'Etat, mais la continuité et l'homogénéité des actions, leur généralisation semblent bien souvent fort précaires. La lutte une fois retombée, trop rares sont encore les manifestations de solidarité et d'organisation qui survivent à l'arrêt du mouvement.

Il semble qu'au Nigéria cela n'ait pas été le cas, puisque depuis 1988, chaque tentative pour ramener violemment les prolétaires sur le chemin de la démocratie s'est soldée par une reprise des luttes. Que ce soit face aux promesses d'élections libres des "civils" ou aux coups de matraques des "militaires", les prolétaires ont réagi en sanctionnant chaque mode de gouvernement d'un ensemble de grèves, de sabotages, de pillages marquant ainsi, dans la systématisation des attaques contre tous les appareils de l'Etat, une continuité dans la lutte qui contraste quelque peu avec les caractéristiques générales des luttes de l'époque actuelle (7).

Cette situation tranche donc avec une situation générale où l'on voit bien le Capital parfois agité de convulsions sociales, mais qui restent malheureusement passagères, limitées dans le temps et dans l'espace: telle ne semble pas être l'évaluation globale que l'on peut tirer du récit des luttes de classe au Nigéria.

Nous terminerons en soulignant encore une fois le caractère commun des réponses que manifestent les prolétaires, de manière universelle, face à la dégradation permanente de leurs conditions d'existence.

Et contre tous les illusionnistes qui crient haut et fort que les classes sont mortes et que la lutte de classe n'existe plus; contre tous les donneurs de leçons qui considèrent l'Europe comme le centre du monde; contre ceux qui, pour nous diviser, mettent en avant des particularités dans nos conditions d'existence, suivant les latitudes où nous luttons; nous réaffirmons que partout sur cette planète nous affrontons le même ennemi qui se drape des mêmes oripeaux. Partout le prolétariat doit affronter les mêmes armées, les mêmes syndicats, les mêmes médias, les mêmes démocrates, les mêmes religieux...!

A l'HOMOGENEITE de nos conditions de survie toujours et partout plus déplorables, nous répondrons par l'UNICITE des réactions prolétariennes!

- Septembre 1994 -

Notes

(1) Cette reprise actuelle ne doit sa réalité qu'à l'imposition généralisée de l'austérité à tout le prolétariat mondial, et ce, depuis plusieurs années.
(2) Cf. l'article "Au Rwanda comme partout, les campagnes humanitaires contre le prolétariat", dans cette même revue.
(3) Cf. nos articles "Guerre ou révolution" in Communisme 33, "Défaitisme révolutionnaire en Irak" in Communisme 34 et "Irak: prolétariat contre nationalisme" in Communisme 36.
(4) Dans les années 70, les recettes du pétrole rapportaient au Nigéria 26 milliards de dollars par an. Les années de crise ramèneront ces recettes à 6 milliards de dollars en 1993.
(5) Il est évident que l'idéologie dominante se nourrit de la faiblesse internationale actuelle du prolétariat dans l'affirmation de ses perspectives communistes, pour généraliser son discours mystificateur sur la disparition de la lutte de classe et l'inexistence du prolétariat. Comme toujours, l'idéologie prend sa source dans un aspect ponctuel et superficiel de la réalité.
(6) Sur la question de la démocratie nous renvoyons le lecteur à notre revue centrale en français, "Le Communisme" n°10/11.
(7) Cf. notre texte "Caractéristiques générales des luttes de l'époque actuelle" in "Communisme" 39 et qui, comme son titre l'indique, tente de dégager les grandes lignes de force et de faiblesse des luttes actuelles.



Perle de la bourgeoisie:

Un extrait de la "bibliothèque des Emeutes"

"La démocratie est un mode de fonctionnement d'une organisation qui stipule l'élection et la révocation, à tout moment, de ceux qu'elle délègue. Ce mode de fonctionnement est le nôtre, et nous sommes donc partisans de la démocratie, contrairement à l'Etat qui nous gouverne qui stipule bien l'élection, mais pas à tout moment, et pas la révocation de ses délégués".

Une devinette pour nos lecteurs!

Qui donc est l'auteur de cet hymne à l'organisation marchande du monde: Lech Walesa? Dany Cohn-Bendit? Georges Marchais?

Aucun d'entre eux! Il s'agit d'un extrait du Bulletin n°7 des inénarrables écrivaillons de la "Bibliothèque des Emeutes".

Non contents de présenter Marx comme "un défenseur de l'Economie", de dénoncer aux côtés de Paris-Match la subsistance de "groupuscules communistes" et d'attendre sans aucune prétention que "l'offensive de ce monde absorbe leurs lumières" (sic), les jésuites modernes de la "Bibliothèque des Emeutes" enfoncent un coin supplémentaire dans la clarification de leurs orientations: ils s'affirment maintenant sans honte comme d'incontournables "partisans de la démocratie".

Sans commentaires!

Une conclusion tout de même.

La "Bibliothèque des Emeutes" évoque humblement dans un texte la possibilité d'"exploser" lors du surgissement d'une époque de lutte... c'est tout le bonheur que nous leurs souhaitons!


Les campagnes contre le prolétariat: l'exemple du Rwanda

* * *

Aujourd'hui plus que jamais, les massacres généralisés, véritables génocides sont le quotidien de cette société de mort et aujourd'hui plus que jamais ce qu'on nous en dit n'est qu'un tissu de mensonges.

On nous parle de conflits ethniques. Au Rwanda, il s'agirait d'un conflit entre Hutus et Tutsis qui serait dû à la "persistance malheureuse de coutumes ancestrales", des "moeurs barbares" qui ont survécu à l'oeuvre civilisatrice du progrès (1).

Pour nier la nature intrinsèque du capitalisme qui est exploitation, exclusion, famine, guerre... et qui domine la planète entière depuis des siècles, la bourgeoisie nous fait croire que le Rwanda est un pays "sous-développé", autrement dit, que ce n'est pas un pays capitaliste, qu'il y règne encore des modes de production archaïques, de type féodal... et que c'est ce "retard économique", le "manque de démocratie", qui explique les "moeurs barbares" qui font que Hutus et Tutsis s'entre-tuent. Comme ça, c'est facile, la bourgeoisie apparaît extérieure aux massacres qui y sont perpétrés. Mieux, en se camouflant derrière ses "missions humanitaires", elle se présente comme celle qui vient sauver les "pauvres Rwandais" du pétrin dans lequel ils se sont fourrés.

Mais ce qui se passe au Rwanda est tout autre. Premièrement les Rwandais, tout comme les Tutsis ou encore les Hutus, ça n'existe pas. Ce qui existe au Rwanda comme dans tous les pays de ce monde capitaliste, ce sont des bourgeois et des prolétaires c'est-à-dire, d'un côté, une classe sociale qui détient tout et qui s'enrichit, s'enrichit,... et de l'autre, une masse de prolétaires qui ne possède rien si ce n'est sa force de travail qu'elle est obligée de vendre jour après jour contre un salaire... et qui s'appauvrit, s'appauvrit... jusqu'à en crever de faim. On observe la même chose en Belgique, en France, aux Etats-Unis, dans tous les pays du monde. Cette division en classes, en deux classes sociales est mondiale, tant au Rwanda qu'au Burundi, qu'au Zaïre, qu'en Afrique du Sud, qu'en Thaïlande, qu'en Chine, à Cuba ou au Japon. Et partout dans le monde se joue le même antagonisme: bourgeoisie/prolétariat.

Au Rwanda, il y a donc des bourgeois qu'ils soient d'origine hutue ou tutsie ou encore d'origine irlandaise, anglo-saxonne ou occitane,... et des prolétaires quelle que soit leur origine, hutue, tutsie, zaïroise, pakistanaise ou haïtienne!

Pour cacher cette réalité, ceux qui façonnent l'opinion publique, utilisent des subterfuges tels que celui-ci: la presse fait état d'affrontements au Burundi, entre "paysans hutus" et "armée tutsie"; l'article poursuit en ne faisant plus état que d'affrontements entre Hutus et Tutsis... On voit comment, en fait, un affrontement de classes --un soulèvement de prolétaires des campagnes en butte à la répression militaire--, c'est-à-dire un moment de l'affrontement général du prolétariat contre l'Etat, est tout à fait travesti en concepts intrinsèquement a-classistes, en concepts ethniques (2).
Lorsque nous affirmons que "les Hutus", "les Tutsis" n'existent pas plus que "les Rwandais", "les Français",... c'est parce que nous nous positionnons d'un point de vue de classe. En dehors de ce point de vue, il est clair qu'existent les noirs, les blancs,... et parmi les noirs, ceux de descendance hutue et ceux de descendance tutsie, de même qu'existent, évidemment, les femmes, les hommes,... Mais, ces catégories ne constituent pas les déterminations fondamentales de cette société. La dictature de l'argent a divisé la société en deux classes sociales aux intérêts irréversiblement antagoniques, division qui détermine tous les rapports humains aujourd'hui. Par rapport à cette division en deux classes, les critères de couleur de peau, d'appartenance à tel groupe ethnique, de rattachement à tel groupe linguistique,... sont tout à fait annexes. Il y a des Hutus et des Tutsis bourgeois et des Hutus et des Tutsis prolétaires, tout comme il y a des femmes bourgeoises et des femmes prolétaires. Etc. Nous ne reprenons donc pas ces catégories "les Hutus", "les Tutsis", "les noirs", "les blancs" non seulement parce que cela ne recouvre pas la réalité déterminante de la division en classe, mais surtout parce que ces catégories sont mises en avant pour nier la réalité de classes. Elles ont pour but de camoufler l'identité de classe de notre seul et réel ennemi --la bourgeoisie-- et de diviser le prolétariat en une série de "couches sociales" ayant chacune des intérêts bien particuliers. De plus, elles sont mises en avant comme éléments de définition de l'existence ou non des nations au nom de la défense desquelles des millions de prolétaire se sont fait et continuent à se faire massacrer de par le monde. Contre l'affirmation contre-révolutionnaire de ces pseudo-identités ethniques, linguistiques,... nationales, nous réaffirmons le mot d'ordre de toujours des communistes: le prolétariat n'a pas de patrie. Le prolétariat est une classe mondiale et a partout, quelles que soient ses conditions d'exploitation, les mêmes intérêts.

Lire à ce sujet "Contre la mythologie justifiant la libération nationale"
dans Le Communiste n° 15, 16, 20.

Aujourd'hui, au Rwanda comme en Yougoslavie, en Somalie comme en Irak, c'est bien d'une guerre contre le prolétariat qu'il s'agit: alors que la situation tend à une explosion sociale (3), le prolétariat de ces régions se retrouve isolé face aux armées bourgeoises, venues, elles, du monde entier.

Ainsi, aujourd'hui, au Burundi, au Rwanda ou au Zaïre, les prolétaires n'ont pas seulement affaire aux armées burundaise, rwandaise et zaïroise (déjà au Rwanda les prolétaires sont pris entre deux feux: entre les tirs des FAR et Interhamwe d'un côté et ceux du FPR de l'autre) mais en plus, ils sont face aux armées nord-américaine, française, anglaise, belge,... les forces de l'ONU,...

Pourquoi une telle concentration d'armées dans cette région du monde? Parce qu'il y a des capitaux à défendre. Parce que, depuis plusieurs années (depuis 1991 sûrement), s'est ouverte une période de déstabilisation sociale avec d'un côté,

et de l'autre: Et voilà les vautours capitalistes concurrents prêts à chasser le cadavre pour se faire une petite (ou grande) place.

Ce qui se joue aujourd'hui au Rwanda n'est donc pas nouveau. Si tous les bourgeois rappliquent dans cette région du monde c'est pour prendre la meilleure place possible dans le nouveau rapport de forces que l'issue de la guerre tranchera.

Comme on le voit, au Rwanda, tous ces bourgeois ne se disputent pas la médaille à qui sauvera les pauvres Rwandais de leur triste sort. Par contre, ils se disputent allègrement l'or, le wolfram, l'uranium, le gaz naturel,... dont l'exploitation nécessite des "pauvres Rwandais", prolétaires soumis et disciplinés, suant un maximum de valeur pour remplir les poches de ces messieurs-là! L'intérêt capitaliste n'étant pas les ressources elles-mêmes mais uniquement la possibilité, à partir de leur exploitation, de réaliser un profit maximum.

Aujourd'hui, au Rwanda, ce sont principalement des capitaux français, nord-américains, anglais et belges qui sont engagés. Comme on le voit, ces capitaux ne se regardent pas comme des chiens de faïence ni ne se disputent qu'en bourse. C'est par les armes, et surtout par le massacre des prolétaires qu'ils se partagent le butin.

Ces guerres ont toujours deux fonctions: l'une, le partage des ressources, voies de communication, etc. et l'autre, la mise au pas des prolétaires, corvéables à merci pour mettre en valeur ces ressources. A un certain moment du développement de la guerre, quand chaque vautour aura bien marqué son territoire, la "paix" viendra enregistrer les positions de chacun, les consacrera dans un traité, entérinera les rapports de force établis manu militari... la "paix", cette consécration de la guerre! Quant aux prolétaires, ayant connu les pires douleurs, la perte des proches, l'errance sur les routes, les camps où règnent le typhus et autres maladies, la faim, la soif, le manque de tout... ils seront mûrs pour accepter n'importe quelles conditions de travail sans broncher!

Le commerce des armes symbolise à lui seul tout ce qui se joue dans ces guerres; d'un côté la course à qui accaparera le marché de l'achat et de la vente de ces machines de guerre, prolongement militaire des intérêts concurrentiels des différentes fractions bourgeoises s'affrontant dans la région, et de l'autre l'encadrement militaire de la région, c'est-à-dire l'encadrement militaire du prolétariat.

Donc, si d'un côté les bourgeois s'unissent pour mener la guerre contre le prolétariat, de l'autre, ils s'entre-déchirent aussi. Leurs intérêts sont nécessairement concurrents et cette concurrence, n'est pas du tout pacifique ou polie, ainsi que l'enseignent les règles de bienséance énoncées dans les traités de savoir vivre. Cette concurrence est l'objet de la guerre perpétuelle que se mènent les bourgeois entre eux. Et au Rwanda, c'est bien de cette guerre bourgeoise, guerre interimpérialiste, qu'il s'agit aujourd'hui. Et si, pour mener cette guerre, il faut massacrer des millions de prolétaires, comme la guerre en Somalie l'a montré, comme la guerre en Iraq l'a montré, comme la guerre au Vietnam l'a montré, comme la guerre de 39 à 45 l'a montré, comme la guerre de 14-18 l'a montré... comme la "découverte" de l'Amérique l'a montré avec ses 90 millions de morts, comme aujourd'hui le montre encore la guerre en Yougoslavie et comme le montrent le million de morts et les trois millions d'exilés du Rwanda, la bourgeoisie n'hésite pas, elle n'a aucun scrupule "humanitaire".

Ses "missions humanitaires" ne sont que la façade dernier cri, pour camoufler l'horreur de son système qui ne vit que de guerres! Mais plus fondamentalement encore, elles font partie de la mobilisation pour la guerre et représentent même un moment très important des campagnes idéologiques indispensables à son déclenchement: quelle fraction ne mène-t-elle donc pas aujourd'hui la guerre au nom de l'humanitarisme et des Droits de l'Homme? Les missions humanitaires constituent bel et bien un puissant acte belligérant mené par une constellation impérialiste contre une autre.

Les forces US massées à Goma, prétendent ne pas participer au maintien de la paix ni s'intégrer à la mission des Nations-Unies pour l'aide au Rwanda (Minuar) mais seulement "se maintenir dans la région pour un temps indéterminé pour collaborer à l'effort humanitaire"... C'est aussi sous couvert d'installer une "zone de sécurité humanitaire" que les troupes françaises ont occupé les territoires du Sud-Ouest du Rwanda et se sont installées à Goma, Bukavu et Kisangani...

Chacun y va de son couplet humanitaire. A les entendre, aucune de ces armées n'est là pour faire la guerre! Leurs intentions sont merveilleusement pacifiques!!! Et on n'a jamais vu autant de photographies de soldats apportant de l'aide à des enfants, eau, nourriture et même "réconfort moral"! On n'a jamais autant vu ces mercenaires vendus à toutes les guerres, formés à casser du noir ou de l'arabe, se fendre d'un sourire, un sac de farine à la main et poser pour la photo --si possible un enfant dans les bras-- pour vendre leur saloperie de mensonge humanitaire. Le sarcasme va jusqu'au concours du meilleur cliché qui a primé la photo d'une enfant agonisant, le vautour à deux pas, déjà prêt à en faire son repas! Contemplation ou assassinat?!

C'est ainsi que les pires massacres, génocides sont vendus auprès du public. Les bourgeois savent le but à atteindre mais savent aussi que le prolétariat en lutte arrête la guerre. Alors, ils font des études de marché pour voir comment leur saloperie de guerre peut passer auprès du public. Et comme pour n'importe quelle boîte de saucisses merdiques, ces messieurs cherchent quel est l'emballage qui fera que ça se vende. Aussi les images que la presse nous présente de la guerre sont-elles très étudiées. Toutes ces images de soldats au secours des enfants, ce n'est absolument pas innocent et sûrement pas de la générosité. En tenant compte du fait qu'aujourd'hui tout le monde a plus ou moins conscience de la pourriture qui nous entoure, de la corruption des politiciens, des arnaques en tout genre, du fait que la Justice aussi ça s'achète et ça se vend... l'étude de marché à mis en évidence que la maltraitance des enfants était encore une question susceptible d'émouvoir le grand public. Voilà pourquoi on nous sert des photos de soldats jouant au bon samaritain avec les enfants à chaque reportage sur l'Afrique noire.

Par exemple, les images de la guerre du Golfe ont strictement été étudiées pour faire passer le syndrome du Vietnam, c'est-à-dire pour mettre un terme au souvenir, longtemps présent, de la guerre abjecte, cruelle, anti-humaine, (parce que les objectifs mêmes de toute guerre bourgeoise sont abjects, cruels, anti-humains) pour effacer de la mémoire ouvrière le souvenir des mobilisations contre la guerre et contre la société en général, redorer l'image de la guerre propre, civilisatrice, humanisatrice, pour les droits de l'homme et rétablir l'ordre du travail, du sacrifice pour la patrie, de la guerre,... Et l'"on" --les bourgeois, les journalistes,... et tous les agents de la contre-révolution-- continue sur cette lancée pour justifier toutes les guerres dans le monde d'aujourd'hui. Plus que jamais, la survie du système capitaliste nécessite la généralisation de la guerre et plus que jamais le discours de la bourgeoisie porte sur la paix dans le monde!
Quand nous mettons en avant, à propos de la guerre au Rwanda, que toute guerre est contre le prolétariat, nous ne nous référons pas, pour expliquer cela, à un machiavélisme grossier qui verrait les hauts responsables des diverses nations concurrentes définir systématiquement ensemble et dans l'ombre les moyens de massacrer le plus possible de prolétaires des deux camps, et déclencher la guerre à cet effet. Si ce n'est quand le prolétariat se dresse clairement face à la bourgeoisie, les motivations subjectives de chaque fraction bourgeoise se situent la plupart du temps beaucoup plus prosaïquement dans la recherche d'un renforcement de ses positions face à ses concurrents. Les guerres ne sont rien d'autre que les matérialisations inévitables des oppositions entre les multiples parcelles qui composent le Capital, et ce sont ces antagonismes qui constituent précisément la forme suprême de destruction de notre classe.

Il est évident que du point de vue de la fraction bourgeoise intervenant dans la guerre, l'intention subjective se situe, pour chaque partie capitaliste, dans la volonté de préserver tel ou tel marché, de s'approprier des moyens de production, ou pour soutenir tel ou tel autre intérêt économique particulier,... et pour mener à bien la défense de ces intérêts, il est logique qu'elle mobilise, au nom de la Nation, les Hutus, les Tutsis, etc. Mais cela n'empêche pas que le rôle objectif de la guerre soit l'affirmation de la concurrence capitaliste, la destruction de l'être révolutionnaire en puissance que constitue le prolétariat. C'est à ce niveau -qui constitue pour nous le niveau fondamental- que toute guerre capitaliste, indépendamment de toute motivation subjective, est toujours une guerre contre le prolétariat.

Pour occulter sa réalité belliciste, la bourgeoisie ne recule devant rien. Comme nous l'avons vu, étude de marché, sélection des images, réécritures de l'histoire,... Il est de plus en plus difficile de savoir, au travers de la presse bourgeoise, ce qui se passe dans le monde aujourd'hui. La réalité des contradictions des classes est de plus en plus occultée, les silences et les mensonges sont de plus en plus énormes. Des événements mêmes, la presse en dit toujours moins mais par contre, elle nous développe largement ce qu'il faut en penser. Lorsque les médias commencent à parler d'une situation quelque part dans le monde, c'est que la bourgeoisie en a déjà pris le contrôle et que les contradictions prolétariat contre bourgeoisie ont été déviées dans des contradictions interbourgeoises et/ou étouffées dans un bain de sang. La presse nous rend alors la polarisation telle que la bourgeoisie l'a mise en place. Le cas de l'ex-Yougoslavie est frappant: tant qu'il s'agissait d'affrontements de classe se répétant et se généralisant en une attaque de l'Etat, seules quelques bribes d'informations filtrèrent. Par contre, une fois que la bourgeoisie réussit à casser la lutte, à la dévoyer de ses objectifs de classe, à transformer la nature de l'affrontement --prolétariat contre bourgeoisie-- en une polarisation qui lui est propre --Serbes contre Bosniaques contre Musulmans contre Albanais, etc.-- alors sur les ondes et dans la presse ont déferlé des documentaires, reportages, émissions spéciales détaillant le "rôle historique des Serbes", la "place particulière des Albanais", etc. substituant à l'antagonisme fondamental prolétariat/bourgeoisie, des contradictions inter-régionales, inter-bourgeoises.

Et si malgré tout le déploiement de force opéré par la bourgeoisie pour taire la réalité de la lutte des classes, pour taire les réels enjeux de ses guerres, des éléments d'informations passent, c'est parce que les bourgeois se tirent dans les pattes. Par exemple, de la guerre au Rwanda, les journaux belges ont publié des témoignages du FPR dénigrant l'opération turquoise de l'armée française,... de leur côté, les journaux français ont fait étalage du déploiement des forces nord-américaines dans toute l'Afrique,... etc. Pourquoi? Parce qu'il est de l'intérêt de certaines fractions bourgeoises de "dénoncer" les prises de position des fractions concurrentes (ce qui ne les empêche pas de revenir sur leurs déclarations quand le rapport de force change). Vu qu'elles sont l'expression de leurs intérêts concurrentiels, les informations données par la bourgeoisie sont nécessairement parcellaires et poussent toujours à prendre parti pour une fraction contre une autre. De plus, à force de s'attacher à des épiphénomènes, à des aspects marginaux, à force de présenter les situations comme inextricables "tant les contradictions sont diverses", de faire état de facteurs non essentiels, d'individualiser les responsabilités,... le cumul de ce genre de "dénonciations" --scoops, flashes,...-- banalise l'horreur de la guerre. Tout comme la dénonciation des "crimes de guerre" (les soi-disant abus, excès, bavures...) ne fait, en définitive, que rétablir la légitimité de la guerre.

Tout cela fait que, même si quelques articles de la presse nous parlent du sous-sol rwandais, des luttes d'influence des grandes puissances capitalistes, ce qui reste, en dernière instance dans la tête du citoyen moyen, le message qui passe est celui du bienfait des "missions humanitaires".

Ainsi aujourd'hui, ces mensonges, aussi immenses soient-ils, passent pour la réalité. Aussi grossier que cela puisse paraître, les sommets de l'horreur passent aujourd'hui pour de réelles "missions humanitaires". Alors que les bourgeois anglais, français, belges, nord-américains et autres organisent sciemment la guerre au Rwanda, ils arrivent à se faire passer pour les grands sauveurs d'une situation dont ils n'apparaissent évidemment pas comme en étant les principaux acteurs.

Ce bourrage de crâne est d'autant plus facile que la bourgeoisie détient tous les canaux de l'information (presse, radio, télévision, satellites,...). Ainsi, si à propos de la guerre du Golfe, les bourgeois s'accordaient pour dire que c'était une guerre pour le pétrole, tous aussi s'accordaient pour occulter complètement l'existence d'insurrections prolétariennes contre la guerre, insurrections dont l'objectif n'était ni la défense de l'Irak, ni celle du Koweit, ni celle des USA, ni celle du Kurdistan mais bien la lutte contre toutes les fractions bourgeoises en présence, et contre les nationalistes kurdes, et contre la garde républicaine baasiste, et contre les armées US et Cie. Et si les échos de cette lutte prolétarienne ont franchi les frontières irakiennes, c'est l'expression d'une centralisation -encore embryonnaire- des forces prolétariennes de par le monde. Et il est vital pour le développement de nos luttes, que, pour tout ce qui est diffusion de l'information, propagation d'une grève, organisation de la solidarité,... on ne s'en remette pas à la presse bourgeoise! Tout comme il est vital de s'organiser en dehors et contre les syndicats, il est vital de s'organiser en dehors et contre la presse bourgeoise. A nous d'organiser notre propre presse, nos réseaux d'information, de coordination et de centralisation de nos luttes. "L'émancipation des prolétaires sera l'oeuvre des prolétaires eux-mêmes"!

Ce que l'"on" ne dit pas non plus, c'est le rôle de ces organismes, ONG (organisations non gouvernementales), MSF (médecins sans frontières), CR (croix-rouge) et autres... qui, main dans la main avec les casques bleus, organisent la police des camps de réfugiés.

Qu'en est-il du pouvoir que détiennent ces "missions humanitaires"? Il est énorme! Après avoir dépouillé les prolétaires du peu qu'ils ont (logement, bout de terrain, casseroles,...), après les avoir parqués dans des camps, et avoir rendu leur survie plus que jamais dépendante de la classe bourgeoise (qui elle continue à détenir tous les moyens de production,... et de destruction!) nos "gentils humanitaires" continuent à faire régner la terreur en laissant s'étendre épidémies et famines: d'une main, quelque nourriture et l'eau surtout, et de l'autre, le bâton! C'est très simple: ceux qui ne répondent pas au critère de "réfugié" n'ont pas droit aux secours, ni alimentaire, ni médical. T'obéis pas, tu crèves!

Et alors que certains reportages dénoncent les trafics en tout genre qui se font à partir des convois de nourriture, couvertures et médicaments, quand des prolétaires crevant de soif et de faim menacent les flics du camp (nos gentils organisateurs!), se révoltent et "volent" un peu d'eau ou un sac de farine, c'est l'esclandre, le scandale! Ils se font traiter de brigands, sont jetés en prison et/ou assassinés. Eux à qui est destinée cette charité, eux pour qui tous ces efforts ont été organisés, eux pour qui on se sacrifie, manquer ainsi de reconnaissance, d'humilité dans la misère! (On manque de mots pour qualifier l'hypocrisie). Quant aux militaires qui sont souvent au premier rang de ces trafics en tout genre, pas de problème, les armées ont de tout temps pillé, violé,... c'est légitime!

En Somalie où, visiblement, la résistance du prolétariat était plus forte (cf. les récentes émeutes à Mogadiscio notamment) les convois "humanitaires" ont systématiquement été reçus à coups de pierres et dévalisés par les prolétaires qui organisaient eux-mêmes la distribution. De même qu'il était plus clair à leurs yeux que les armées en présence, qu'elles portent un casque bleu ou kaki, n'étaient pas amies (!) mais étaient là pour les désarmer et redonner sa toute puissance à l'ordre du travail... et de la misère. L'un ne va pas sans l'autre.

En Iraq, face aux prolétaires réfugiés dans les montagnes du Kurdistan, la pression était claire: on vous donne à manger à condition que vous déposiez les armes. Collaborant directement avec les forces nationalistes qui avaient coincé les prolétaires insurgés dans la montagne, les "missions humanitaires" se sont révélées pour ce qu'elles sont: des agents du désarmement du prolétariat.

Au Rwanda, au Burundi, au Zaïre, les enjeux sont les mêmes: après les massacres, maintenir les prolétaires sous la terreur en les affamant et en les réprimant.

Comme on le voit, les camps de réfugiés sont des camps de reproduction du prolétaire comme prolétaire: la dépossession totale de tout moyen de vie, le maintien de la pression fusil dans le dos, l'emprisonnement, le contrôle des moindres faits et gestes, la vie tributaire de la possibilité ou non de retourner vendre sa force de travail dans ces autres bagnes que sont les usines. Les camps de réfugiés sont des camps de répression et de mise en réserve de la force de travail pour répondre aux besoins capitalistes. Ce sont des camps de concentration.

La presse et les Etats Majors de toutes les armées du monde disent que c'est la famine qui détermine l'envoi de convois humanitaires. Mais ce qui motive les bourgeois, ce n'est pas la misère mais la peur de la révolte qui peut se développer contre cette misère. Quand il apparaît aussi cruellement que, dans cette société, l'homme n'a rien à perdre, que ses chaînes... le pas pour enfin briser ces chaînes est plus vite franchi. C'est ça que craignent les bourgeois en Somalie, au Rwanda, au Zaïre, au Soudan,...

Aujourd'hui, les missionnaires modernes ont remplacé la croix et le bénitier par un casque bleu et un sac de farine. Mais derrière les uns et les autres traînent toujours les chaînes de l'esclavage salarié, et la fusillade et les barbelés pour ceux qui ne l'acceptent pas.

Ce rôle de flic, "Médecins Sans Frontières" se propose aujourd'hui de l'assumer sans vergogne. Voici comment ils présentent le développement de leur action: ne plus seulement jouer un rôle médical mais directement se préoccuper de la vérification de l'application des droits de l'homme. Or comme nous l'avons déjà dénoncé maintes fois, les droits de l'homme sont:

Les droits de l'homme ce sont les règles de la pacification sociale, c'est-à-dire la soumission des prolétaires aux lois de ce monde bourgeois, pieds et mains entravés par les chaînes du travail mais libres... d'avoir faim. C'est la non-lutte et en dernière instance, le respect des guerres qui déchirent ce monde et donc celle qui se déroule aujourd'hui au Rwanda.

Si l'on compare les nouveaux objectifs de "Médecins Sans Frontières" avec une déclaration du Congrès US: "... au contraire, on prévoit un rôle toujours plus actif et important pour le renforcement et l'expansion de la démocratie et des droits de l'homme dans les pays en voie de développement", on voit comment "Médecins Sans Frontières" s'inscrit en parfaite continuité avec les visées impérialistes des "grands" de ce monde.

Sur la base de la défense des "droits de l'homme", d'œuvres charitables, de médecins dévoués,... de "missions humanitaires", on voit comment la bourgeoisie généralise l'exil comme méthode de dispersion du prolétariat.

L'exil c'est d'abord l'éclatement d'une zone de concentration de prolétaires qui menaçait de devenir une zone de centralisation de la lutte prolétarienne. C'est la destruction des liens: les prolétaires perdent de vue leurs camarades de tous les jours, sont envoyés dans des zones qu'ils ne connaissent pas, où ils ne connaissent personne, et où la langue leur est étrangère aussi,... Tous les liens sont à refaire: vérifier l'existence ou non d'une communauté de lutte, reconstruire les liens de solidarité,... L'organisation de la lutte est d'autant plus difficile que les conditions de survie sont accaparantes: toute l'énergie est absorbée par l'absolue nécessité de trouver à boire, à manger, un abri,... Les enfants pleurent de faim, les épidémies font des ravages, de plus en plus nombreux sont ceux qui sont happés par la mort,... Les impératifs sont là qui nous mettent un couteau sur la gorge. Et bien souvent, le manque de tout est tellement écrasant que les critères de classe font place à la démerde individuelle: on est prêt à frapper ses anciens camarades pour un bout de pain. Et, pour parfaire l'isolement et le déboussolement des prolétaires exilés, nos "gentils organisateurs" se chargent en plus de régulièrement déplacer des groupes de réfugiés d'un camp à l'autre, sous divers prétextes.

Mais ce manège n'échappe pas aux "réfugiés": dans certains camps la révolte gronde. Au lieu de s'agenouiller devant l'autel de la charité (qui célèbre la toute puissance de l'argent et sur lequel on n'a pas hésité à sacrifier les leurs!!!) ils se lèvent, dénoncent l'organisation volontaire de la pénurie, l'empoisonnement de leur eau et menacent les "gentils organisateurs" des "missions humanitaires".

Pour défendre ses intérêts, la bourgeoisie ne recule devant rien. Sa domination a fait de l'horreur sa quotidienneté. Pour maintenir enchaînés les prolétaires au sort qu'elle leur réserve, la bourgeoisie se voit obligée de revêtir cette horreur quotidienne de la guerre, de la toge de l'abnégation et du martyr et aujourd'hui, les massacres des prolétaires prennent le nom de "missions humanitaires". Mais ces missions n'ont de l'abnégation et du martyr que le sacrifice des prolétaires sur l'autel du capital! "Missions humanitaires"... voilà comment les forces de l'Etat mondial de la bourgeoisie organisent aujourd'hui la police mondiale du prolétariat.

Une police mondiale, parce que la police organisée dans ces camps n'a pas pour seul effet l'embrigadement des prolétaires de ces régions. Les campagnes publicitaires pour les missions humanitaires ne rapportent pas qu'aux capitaux en jeu dans la région. C'est aux yeux des prolétaires du monde entier que ces campagnes humanitaires font de l'esbroufe. Avec ces campagnes, les pires tortionnaires apparaissent comme des bienfaiteurs, des sauveurs. Et des massacres de nos frères de classe, on fait un problème d'une autre civilisation, qui ne nous concernerait pas. On en fait "un problème africain" et on nous fait espérer "une solution africaine" (comme lors de la guerre du Golfe, les pacifistes proposaient "une solution arabe"). De sorte que les prolétaires d'"ici" ne se reconnaissent pas dans le sort des prolétaires de "là-bas" et que le seul acte de "solidarité" qu'ils puissent envisager soit de débourser une aumône.

Ainsi ces campagnes publicitaires des ONG ont rapporté des millions à des chaînes de supermarchés organisant des ventes spéciales de produits non périssables à envoyer dans les camps de réfugiés! Publicité pour la chaîne de supermarché, publicité pour les droits de l'homme, publicité pour la guerre, publicité pour nous faire dire qu'"ici" on ne peut quand même pas se plaindre!!!

Contre toutes ces saloperies mensongères, reprenons le mot d'ordre de toujours des communistes: "Prolétaires de tous les pays, unissons-nous"!

oOo

Si à partir d'une prise de position sur la situation au Rwanda, nous en venons à parler des conflits en général, des "missions humanitaires" en général, de la presse en général, c'est parce que la situation au Rwanda n'est qu'une expression particulière d'une situation beaucoup plus... générale. La guerre au Rwanda est une manifestation particulière des affrontements interimpérialistes qui traversent toute l'Afrique, le Moyen-Orient et au-delà, la terre entière.

Dans le monde entier, les impérialismes s'affrontent de manière toujours plus acerbe. La course au profit est de plus en plus âpre. Les capitalistes se bouffent les uns les autres mais ceux qui font les frais de cette guerre, ce sont les prolétaires. Ils servent tout simplement de chair à canon et répondent par là à un besoin aujourd'hui accru du capitalisme mondial du fait de sa catastrophe mondiale: le besoin de revalorisation par la destruction de capitaux excédentaires --dont la marchandise force de travail-- ce qui signifie, ni plus ni moins, l'extermination des prolétaires!

Quant à la réalité immédiate des affrontements interimpérialistes au Rwanda, voilà ce qu'il en est: au Rwanda, se joue principalement l'affrontement entre les impérialismes français et américain. Le Rwanda, ancienne colonie allemande avait fait place à l'impérialisme belge lui-même supplanté par l'impérialisme français, lequel, dans le conflit actuel, continue à soutenir les FAR (forces armées de l'ancien gouvernement). Le FPR aujourd'hui en place à Kigali, a, lui, été armé par les forces US prépositionnées en Ouganda. Ce même affrontement se retrouve au Soudan où l'Etat des USA et l'Etat de la Grande Bretagne soutiennent la dite "armée populaire de libération" tandis que la France soutient le gouvernement de Khartoum. De même au Yémen où le port d'Aden est aux mains des forces US tandis que juste en face, Djibouti est une base française...

Chaque conflit apparemment isolé, confiné aux frontières de tel pays ou telle région, fait, en fait, partie d'une stratégie globale élaborée par les grandes puissances. On pourrait ainsi constituer une carte du monde mentionnant la disposition de toutes les forces impérialistes engagées! Ce que fait sûrement la bourgeoisie et ce que nous vend effectivement la presse bourgeoise. Mais avec de telles analyses, on n'est pas encore très avancé. Ces éléments ne donnent qu'une partie de la réalité. Et s'arrêter à ces éléments-là, c'est encore reproduire la vision limitée et limitative de la classe dominante. On reste spectateur d'un conflit entre "grandes puissances" face auquel le prolétaire se sent infiniment petit et impuissant.

L'analyse devient classiste quand, au travers des événements, l'on remet en avant l'antagonisme fondamental bourgeoisie/prolétariat qui, aujourd'hui, s'exprime par le fait que si, de la guerre au Rwanda, certains capitaux sortent vainqueurs, les prolétaires, eux, en sont réduits à n'être que les décombres sur lesquels reconstruire les nouvelles industries!!!

Remettre en avant l'antagonisme fondamental bourgeoisie/prolétariat, c'est aussi voir que la guerre au Rwanda est un moment de la guerre que la bourgeoisie, toutes fractions confondues, mène mondialement contre le prolétariat. C'est-à-dire, que la guerre que la bourgeoisie mène "ici" contre le prolétariat, à coup d'augmentations effrénées du rythme du travail, de licenciements, d'expulsions,... et de répression de toute tentative de lutte, est la condition de la guerre telle qu'elle est menée au Rwanda. Tous les sacrifices imposés aujourd'hui constituent une parfaite mise en condition du sacrifice de notre vie sur les fronts des guerres impérialistes. Après s'être tué au travail, il ne nous reste plus qu'à mourir pour la patrie. Voilà toute la perspective capitaliste! Et c'est cette même perspective qui a été offerte (!) aux prolétaires du Rwanda. "Ici" comme "là-bas", c'est fondamentalement la même guerre qui est menée contre le prolétariat. La guerre ouverte portée, comme au Rwanda, sur le plan militaire, est le prolongement de la guerre menée "ici" au nom de la paix sociale. C'est la même guerre, poussée à ses extrêmes. "Ici" on supprime peu à peu les allocations de chômage, "là-bas", on élimine les prolétaires à coup de machette. L'un comme l'autre répond à la nécessité pour le capital d'éliminer la force de travail excédentaire. Et le passage de l'un à l'autre montre que le manque de réponse du prolétariat face aux attaques de plus en plus serrées de ses conditions d'existence mène tout droit à la guerre.

Et c'est la menace permanente de cette perspective sanglante qui maintient le prolétariat mondial dans la peur d'affirmer ses propres intérêts de classe contre la guerre bourgeoise. Au nom du plein emploi, on nous fait accepter des pertes de salaires, au nom de la lutte contre le chômage, on supprime les allocations de chômage,... au nom de la paix, on nous fait accepter la guerre! Et alors que l'on reste terrassé par les images des massacres au Rwanda et surtout par le sentiment d'impuissance face à ces massacres, l'opinion publique a beau jeu de faire croire qu'"on est quand même mieux ici". Or la réalité est inverse: plus le prolétariat se fait petit et s'écrase, plus il prend de bombes sur la tête. Plus nous nous taisons "ici", sur ce qui se passe "là-bas", plus nous laissons la bourgeoisie libre de développer sa guerre en tout point de la terre.

Concrètement, aujourd'hui, le silence du prolétariat face aux attaques de plus en plus serrées de ses conditions d'existence est un appui implicite à la guerre au Rwanda.

Ouvrons-nous les yeux, les mesures de plus en plus austères que nous impose le capital sont une préparation à cette austérité achevée qu'est la guerre telle qu'elle se passe au Rwanda!

La seule solidarité avec la guerre au Rwanda est de reprendre la lutte contre la logique capitaliste qui veut que nous travaillions toujours plus pour un salaire toujours moindre jusqu'à mourir pour la patrie.

La lutte des prolétaires "ici" et "là-bas" est la même.

C'est une seule et même lutte.

A bas la dictature du travail, de l'argent!

A bas la société du capital!

Vive l'internationalisme prolétarien!

Vive la révolution mondiale!

Notes

(1) Ce qui, soit dit en passant, remet en avant, aux yeux du monde entier, l'idéal occidental où, pour l'instant rien ou presque rien ne vient troubler le froid et discipliné calcul de l'argent, le respect des droits de l'homme, l'ordre du travail et de la sacro-sainte démocratie (malgré, là aussi, le développement vertigineux de la misère et de la faim). Et qui, soit dit en passant également, relance le sentiment de supériorité de la "race blanche", cette puissante arme de division qu'est le racisme et qui règne en maître aujourd'hui. Idéologie véhiculée jusque dans les rangs du prétendu "milieu révolutionnaire" qui ne reconnaît l'existence du prolétariat que dans les métropoles occidentales.
(2) Même la bourgeoisie se perd dans ses catégories. Aujourd'hui les bourgeois sont obligés de constater que des Hutus massacrent des Hutus. Et ils font mine de n'y rien comprendre. Cf. ce diplomate Hutu faisant part de son étonnement et déclarant: "Pourquoi irait-on tuer des nôtres? Ce ne peut être que le fait de Tutsis". Or aujourd'hui ce qu'il se passe, c'est que, au Zaïre notamment, la police des camps est organisée par les forces armées de l'ancien gouvernement (les FAR) et face à la rébellion de certains prolétaires contre le fait de rester dans ces mouroirs que sont les camps, ils organisent la répression et assassinent.
Dans les camps de réfugiés ou au Rwanda même, ce sont les prolétaires qui ont été massacrés. Les prolétaires d'origine tutsie, assassinés massivement au saut du lit, au coin d'une rue,... sous couvert d'une vengeance hutue, et les prolétaires d'origine hutue, mourant le long des routes et dans les camps, sous couvert de la vengeance tutsie,... un massacre étant plus particulièrement organisé par les FAR, l'autre par le FPR,... et derrière eux les impérialismes français, nord-américains,... il s'agit d'un massacre massif de prolétaires organisé par la diverses forces de la bourgeoisie mondiale! De ce point de vue de classe il y a effectivement des Hutus (bourgeois!) qui tuent des Hutus (prolétaires!)... et le diplomate pourra toujours feindre de n'y rien comprendre!
(3) Au Rwanda, comme partout, l'approfondissement de la crise économique a rendu de plus en plus intenables les conditions d'existence des prolétaires. Fin 1989, les prix du café -80% des recettes d'exportation du Rwanda- ont chuté de plus de 50%, ce qui a conduit à la mise au chômage de milliers de prolétaires supplémentaires. Et suite à toute une série de restructurations imposant l'austérité, les prix des carburants et des produits essentiels furent augmentés en novembre '90 d'abord, et une seconde fois en juin '92 rendant la survie encore plus difficile pour les exploités. Cette réalité a également partiellement conditionné l'enrôlement massif dans l'armée. A partir d'octobre 1990: ses effectifs gonflèrent en peu de temps et passèrent de 5000 à 40 000 hommes. Les maigres soldes proposés étaient de loin supérieurs à la situation désastreuse que subissaient les milliers de chômeurs venus s'agglutiner dans les villes.


"Ce n'est point par ses conquêtes tragi-comiques directes que le progrès révolutionnaire s'est frayé la voie; au contraire, c'est seulement en faisant surgir une contre-révolution compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment révolutionnaire."

Les luttes de classes en France

- K. Marx -