Dictature du prolétariat pour l'abolition du travail salarié

Organe central en français du Groupe Communiste Internationaliste (GCI)


COMMUNISME No.39 (Octobre 1993):



Caractéristiques générales des luttes de l'époque actuelle

Ce bref texte tente de schématiser et de synthétiser les caractéristiques générales des luttes d'aujourd'hui en faisant abstraction de tout élément particulier ou exemplatif. Bien que cela ne puisse en aucune manière servir de recette pour chaque moment de la lutte, ce type de schéma nous paraît extrêmement utile pour asseoir les règles internationales d'orientation de l'action des minorités d'avant-garde du prolétariat.

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Formes générales et permanentes de la canalisation de la lutte de classe

Le mode général de maintien de l'ordre bourgeois implique la négation permanente et quotidienne de toute organisation du prolétariat en classe pour la destruction du Capital et de l'Etat. Aujourd'hui néanmoins, pour la bourgeoisie, il ne s'agit pas de nier ouvertement les intérêts des ouvriers --comme c'était le cas dans les premiers temps du développement capitaliste-- mais de les encadrer et de les transformer en intérêts normaux de citoyens ou de vendeurs de marchandises --ce qui constitue bien sûr aussi une négation des intérêts du prolétariat, mais de manière voilée--. Ou mieux dit encore, la forme la plus parfaite qu'ait trouvé le Capital (1) pour maintenir son ennemi historique inexistant comme classe, c'est sa désintégration dans le citoyen atomisé et/ou sa dissolution dans différents secteurs économiques corporatistes en tant que vendeurs de marchandises force de travail (2). Les expressions les plus développées de ces deux négations des intérêts antagoniques de classe sont l'électoralisme et le syndicalisme. Et il est clair que cette négation permanente du prolétariat comme classe, vécue dans la vie de tous les jours, sous les traits de la paix sociale, trouve son fondement, tant sur le plan historique que logique, dans le terrorisme général monopolisé par l'Etat. Mais exceptionnellement, dans ce texte, nous passerons sur cet aspect décisif ainsi que sur la citoyennisation et l'électoralisme qui ont déjà fait l'objet d'autres textes (3) et nous nous concentrerons sur le type de canalisation purement ouvriériste des luttes.

Il ne fait aucun doute que le Capital, chaque fois qu'il le peut, "s'occupe" du prolétariat secteur par secteur --en pleine concordance avec sa tactique générale de division du prolétariat--. Dans ce contexte, les syndicats et autres appareils de contrôle et de division des prolétaires parviennent à maintenir la paix sociale par l'encadrement des luttes dans des "grèves" et "manifestations". Non seulement ces "luttes" ne remettent pas la paix sociale en question, mais le parti historique de la contre-révolution (la Social-Démocratie sous toutes ses formes) utilise la grève des bras croisés et les manifestations pacifistes comme forme par excellence de canalisation et d'épuisement des énergies prolétariennes.

Par cette affirmation, nous ne voulons pas nous référer uniquement aux arrêts de travail partiels, avec préavis et temps déterminé, qui ne peuvent qu'enchanter les patrons. Nous voulons également parler ici de ces "grèves" (4) qu'organisent les syndicats avec parfois une certaine radicalité (incluant même jusqu'à des actions violentes et qui, souvent, passent pour être le fait de syndicalistes "combatifs"), mais qui en général, par leur caractère corporatiste, leur localisme, par le fait de s'enfermer dans leur catégorie sociale, dans une revendication particulariste face à tel ou tel patron ou pouvoir municipal ou national... ne rompent fondamentalement pas avec la paix sociale; ceci se traduit en général par des décisions "de l"ensemble des travailleurs" pour ne laisser entrer personne d'extérieur à ce lieu de travail, etc. En d'autres termes, c'est la sécurité pour les syndicats de diriger une "lutte" qui ne soit pas une lutte prolétarienne contre le Capital, mais une simple expression d'un particularisme et, à un niveau plus global, de la concurrence bourgeoise. D'autre part, la force prolétarienne se trouve canalisée dans des revendications qui n'attaquent pas fondamentalement le taux d'exploitation (on se comporte de façon responsable face aux "nécessités de l'économie nationale"), et/ou on érige des barrières entre les ouvriers de tel ou tel secteur et ceux de tel autre. Evidemment, ce sont dans les pays où la concurrence capitaliste se développe sur base des luttes autonomistes, nationalistes, voire racistes, qu'est jouée à fond cette carte qui vise à augmenter la division des prolétaires.

Pour ce qui concerne les manifestations, le principe est le même: bien que telle ou telle expression radicale soit acceptée, les marches pacifistes, bien encadrées, aux revendications pacificatrices et bénéficiant généralement de la complaisance des forces de l'ordre, n'ont d'autre fonction que de singer la protestation, de dévier et gaspiller les énergies ouvrières (5).

Avec le développement du Capital, ce type de pratique s'est consolidée, acquérant ses véritables lettres de citoyenneté dans toutes les organisations capitalistes plus ou moins stables. Si très tôt déjà, dès la naissance du prolétariat, aux côtés des associations ouvrières, surgirent (comme récupération de ces dernières ou comme créations directement bourgeoises) les syndicats et autres appareils de l'Etat (dont la dénomination varie beaucoup selon le pays) chargés de l'encadrement "ouvrier" des luttes pour les transformer en leur contraire (6), avec le temps, toutes les associations massives et permanentes des ouvriers furent récupérées et transformées en appareils de domination étatique. C'est là une manifestation tangible de l'impossibilité d'une coexistence pacifique entre les intérêts du capitalisme et ceux du prolétariat: à l'inverse de ce qu'affirment tous les syndicalistes et les sociaux-démocrates en général (y compris les maoïstes, les trotskistes ou les guévaristes qui soutiennent que les syndicats, tout en ne luttant pas pour les intérêts historiques du socialisme, défendent les intérêts immédiats des prolétaires) même les intérêts immédiats du prolétariat ne peuvent être défendus sans affrontement au Capital et donc à l'Etat.

Tandis que les syndicats cimentaient leur place aux côtés de la police et de l'armée dans leur fonction d'appareil de liquidation de nos luttes, les pratiques mêmes que ces appareils impulsèrent, à savoir, assembléisme, arrêts de travail partiels et "grèves" contrôlées, manifestations pacifistes,..., se consolidèrent partout comme pratiques indispensables au maintien de l'ordre bourgeois.

Quelles ont été les conséquences de ce processus du point de vue des deux classes ennemies? Du point de vue du Capital, -quoi de plus normal?- il s'agit du processus même du Capital dans lequel s'affirme et se démontre sa toute puissance et sa prétention à l'éternité récupérant tout ce qui, hier, lui était opposé, cooptant les "hommes", les appareils, les organisations, les consignes, les formes de lutte pour les mettre à son service.

Et du point de vue du prolétariat?

Si auparavant, lorsqu'ils entendaient le mot "grève", tous les prolétaires du monde se sentaient concernés, si dans n'importe quelle ville, village, usine ou quartier, les prolétaires se réunissaient entre eux parce que la vie elle-même était vie collective de classe, si pendant des dizaines d'années donc, la vie des exploités comprenait la discussion quotidienne des conditions d'existence, de lutte, si partout et quelle qu'ait été l'hétérogénéité de la conscience de classe, on discutait des maux de cette société, de la nécessité de détruire le capitalisme, d'affronter l'Etat, de construire une société sans exploités ni exploiteurs,... il est indéniable qu'au cours de ces dernières décades, tout cela à disparu. Le prolétariat lui-même semble ne plus exister au niveau mondial (7). Dans la vie de tous les jours, seuls semblent exister les individus, les riches, les pauvres, les ministres, les chômeurs, les délinquants, les nationalistes, les terroristes, les citoyens, les paysans, les intellectuels, les féministes, les étudiants, les électeurs, les écologistes,... Les intellectuels au service de la classe dominante et/ou de la vieille idéologie stupide de la petite bourgeoisie, qui parlent de disparition du prolétariat, ne disent pas seulement des mensonges qui ravissent de plaisir la bourgeoisie mondiale, ils expriment également un aspect partiel d'une réalité que nous subissons aussi, nous, prolétaires.

Les prolétaires eux-mêmes ne se sentent pas prolétaires. L'inconscience est telle qu'ils ne savent même pas qu'ils appartiennent à la même classe. Celui-ci se sent bien supérieur au prolétaire parce qu'il porte la cravate et travaille à la banque, celui-là se croit paysan et pauvre, et cet autre, chômeur; un tel croit que sa mission dans la vie est de lutter pour le féminisme, d'autres s'intègrent à divers niveaux dans les luttes capitalistes racistes (y compris les anti-racistes), nationalistes, anti-impérialistes,... Et pour finir, ils ne se réunissent même pas, ils ne discutent pas sur la vie, sur le monde en tant que prolétaires. Dans les cafés, on parle uniquement de football... et la majorité des prolétaires ne va même plus dans les cafés. Le prolétaire est presque totalement liquidé comme être humain, et le peu d'heures que l'esclavage du travail lui laisse, il reste encore simple spectateur. La combinaison télévision et vidéo a complété l'oeuvre historique de l'Etat, en portant à un niveau supérieur encore la liquidation du prolétariat, sa dilution individualiste et familiale. Après 8 heures enfermé au travail et 8 heures passées à se reposer pour pouvoir retourner travailler, le prolétaire est aujourd'hui également prisonnier dans les 8 heures restantes.

Le Capital fait tout ce qu'il peut pour atteindre l'apogée idéale de ce processus, pour parvenir à une société où il n'y aurait plus d'ennemi historique menaçant, où seuls vivraient des producteurs-bons-citoyens et, si possible, des humanoïdes, idiots-utiles pour reproduire la société sans se poser aucune question. Tous les secteurs d'activité et de recherche travaillent à la réalisation de ce but idéaliste. A l'usine et au bureau, on remplace les hommes par des automatismes et ceux-ci par des machines. L'informatique et la robotique tendent idéalement à un monde dans lequel toute vie humaine aurait été remplacée par un appareillage artificiel. La biologie, la génétique, les recherches sur l'insémination visent le même objectif: la création d'un "homme" qui n'en soit pas un, un "homme" qui ait été programmé pour cette société, c'est-à-dire pour le Capital. Tant que cet humanoïde ne sera pas sorti du laboratoire, tant qu'on ne pourra produire de corps "humain" créant de la valeur sans jamais protester (8), un corps de la génétique duquel on aura extirpé toute capacité de révolte, on essayera de s'en approcher le plus possible grâce à ces instruments d'imbécilisation collective que sont la vidéo, la télévision, les jeux informatiques, les élections, les drogues,... Et pour tous ceux qui refuseraient, il y a toujours les hôpitaux psychiatriques, les prisons, les asiles d'aliénés, les tranquillisants, les guerres, les virus, les accidents nucléaires, etc... Et comme si cette déshumanisation de l'être humain n'était pas suffisante, on nous promet pour très bientôt des jeux à images virtuelles dans lesquelles on pourra "réellement jouir" (9) avec un "partenaire virtuel", "voyager autour du monde" sans sortir de chez soi, "lutter face à face avec quelqu'un se trouvant sur un autre continent",... toujours sans sortir de ses quatre murs.

Il est certain que les succès de nos ennemis sont considérables. La soumission est profonde, la confusion générale, l'imbécilisation collective, et ce plus que jamais dans le passé. Et néanmoins, le prolétariat n'est pas mort.

Il est aussi certain qu'il ne se manifeste pas comme avant, quotidiennement, avec des centaines d'associations permanentes, avec des réseaux de solidarité, avec des groupes internationaux et internationalistes, avec une presse ouvrière reliant les prolétaires de tous les continents,... Mais lorsqu'il s'exprime, il le fait de façon directement violente et généralisée.

En effet, comme les grèves organisées par les syndicats ne sont plus crédibles, comme le système politique national et ses jeux électoraux n'ont plus l'attrait d'antan, du temps où l'on croyait encore qu'un parti parlementaire ou un gouvernement pourrait changer la situation, comme les manifestations pacifistes et autres promenades pour telle ou telle revendication partielle ont perdu leur charme,... comme les vielles médiations étatiques perdent leurs capacités de soupape de sécurité,... le prolétariat, que d'aucun considèrent comme mort et enterré, lorsqu'il réapparaît, resurgit d'autant plus explosivement: sans accepter de médiation, sans qu'on puisse l'arrêter avec des petites grèves, des manifestations pacifistes ou des promesses d'élections.

Plus l'inexistence de structures d'encadrement du prolétariat s'affirmait clairement, plus on considérait comme acquis que le prolétariat avait disparu pour toujours, et plus grande encore fut la surprise lorsque les révoltes généralisées se développèrent dans une, plusieurs ou toutes les villes d'un ou plusieurs pays. Pour ne mentionner que les révoltes les plus importantes, citons: le Vénézuela, la Birmanie, l'Algérie, le Maroc, la Roumanie, l'Argentine, Los Angeles,...

Il est clair que ces exemples diffèrent grandement quant à la profondeur et la durée de la remise en question de l'ordre bourgeois, comme nous avons déjà eu l'occasion de l'analyser dans nos publications; mais ne perdons pas de vue que ce texte ne traite pas de l'analyse de ces différences, ni de la comparaison des situations mais bien au contraire, de la description de leurs traits communs.

Ainsi par exemple, si dans notre énumération nous ne citons pas le cas de l'Irak, ce n'est pas parce que nous ne pourrions y souligner les aspects de force qu'on peut observer dans la majorité des révoltes prolétariennes actuelles mais au contraire, parce qu'au cours de ces dix dernières années, ce pays a connu une réelle continuité quant à l'associationnisme prolétarien, l'action de groupes communistes et la présence de drapeaux prolétariens. Cette continuité exceptionnelle et à contre-courant de la période engendre le fait que la situation de la lutte classe dans ce pays déborde largement du schéma général que nous tentons de dresser dans cet article. Sans pour autant être capables de prévoir jusqu'à quel point la situation en Irak peut déterminer un dépassement généralisé et mondial de la lutte de classe, ce que nous pouvons affirmer, c'est que ce dépassement a besoin de certaines conditions élémentaires pour se produire, dont la principale est la réceptivité du prolétariat mondial à ce qui se déroule dans les endroits de monde où les batailles de classe fondamentales se développent. Par rapport à cela, nous constatons une faiblesse énorme du prolétariat, qui se traduit dans les difficultés, énormes elles-aussi, que le prolétariat de ce pays éprouve pour faire connaître sa lutte, pour pousser d'autres secteurs du prolétariat mondial à agir en fonction de cette situation, et qui se concrétisent encore plus particulièrement dans l'immense difficulté pour nous, prolétaires internationalistes, de centraliser l'action directe internationale dans ce sens (10).

Le type de révoltes prolétariennes caractérisées par la période actuelle: la force prolétarienne

Hier, le prolétariat montrait quotidiennement son existence et son antagonisme à l'ordre social. Aujourd'hui, exception faite des minuscules organisations prolétariennes révolutionnaires qui existent en permanence (tel notre groupe), et dont l'existence même, comme produit historique du prolétariat et de sa pratique historique, affirme à contre-courant la détermination prolétarienne, le prolétariat ne montre son existence, ne dément sa fameuse disparition historique que par ces explosions sociales qui caractérisèrent la décennie '80 et le début des années 90 (11). Nous allons maintenant essayer de souligner les traits que nous considérons essentiels dans ces révoltes.

Ces explosions se caractérisent par l'action violente et décidée du prolétariat qui occupe la rue et s'affronte violemment à tous les appareils de l'Etat. La rue est noire de monde en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la généralisation s'opère en un clin d'oeil. Le fait d'occuper directement la rue tend à produire une rupture violente avec toutes les catégories par lesquelles le Capital divise les prolétaires: le cadre restreint de l'usine, de la mine ou du bureau vole en éclat. Chômeurs, femmes que le Capital condamne au travail domestique, vieux, enfants,... s'unifient dans l'action directe.

Ces révoltes éclatent généralement sans objectif précis et explicites et proposent rarement quoique ce soit de positif. Le point de départ s'exprime le plus souvent par un "Nous n'en supporterons pas plus!" général, dans lequel se mêlent des aspects économiques, politiques et sociaux. "Nous ne supportons plus la répression, les contrôles policiers", "Non, cette augmentation de prix est de trop", "Contre l'omnipotence policière et le parti gouvernemental", "Nous voulons manger", "Nous ne pouvons vivre en continuant à nous serrer la ceinture", "Nous refusons l'augmentation du prix de tel ou tel article de première nécessité",... sont, dans les grandes lignes, les éléments rassembleurs de l'action unifiée du prolétariat. Ceci n'est pas un trait particulier de la période. Dans toute l'histoire de notre classe, les révoltes massives et violentes concentrent ces négations collectives de telle ou telle action du Capital et de l'Etat. Ce qui caractérise peut-être l'actualité, c'est le fait qu'il n'y ait pas de progression quantitative visible avant l'explosion, que le "ras-le-bol" du prolétariat ne soit pas précédé d'un ensemble de grandes luttes partielles. Tout au contraire, la période actuelle se caractérise précisément par cette réaffirmation de l'existence du prolétariat si fugace qu'en dehors de ces moments, le prolétariat semble disposer à tout accepter, et que le Capital lui-même est surpris du peu de résistance que suscitent ses mesures d'austérité criminelles (12).

Du fait même de l'absence de réactions quotidiennes aux différentes attaques du capitalisme, ce dernier va de plus en plus loin et met effectivement le prolétariat dans une situation désespérée. Jamais le prolétariat mondial n'a été aussi maltraité, aussi soumis à une situation intenable, aussi coincé dans une voie sans issue,... jamais il n'a été acculé à de telles extrémités. Voilà une autre caractéristique importante des luttes d'aujourd'hui et s'il s'agit de véritables explosions de colère, c'est parce qu'effectivement le prolétariat est placé dans une situation désespérante, insupportable, intolérable...

L'économie a toujours sacrifié l'être humain, comme Marx le signalait déjà à son époque. Mais jamais par le passé, la renonciation totale à tout ce dont l'être humain a besoin n'avait été avouée, déclarée, appliquée avec autant d'insolence, avec autant d'arrogance et de culot, au nom de la rentabilité des entreprises et de la compétitivité nationale. Jamais dans l'histoire, il n'y a eu aussi peu de protestation quotidienne contre cette raison d'Etat. Jamais une manifestation aussi claire et ouverte de l'inhumanité qui dirige cette société n'avait engendré aussi peu d'indignation. Et c'est cette même logique qui conduit actuellement à des situations explosives: le prolétariat supporte bien plus que tout ce qu'il est possible de supporter, bien plus que tout ce qu'on aurait pu imaginer jusqu'ici, et il arrive nécessairement un moment donné où, quels que soient les mensonges et les fables qu'on nous conte pour nous bercer et nous berner, on ne peut objectivement en supporter plus... L'explosion est dès lors inévitable.

Le fait même que la lutte adopte la forme d'une déflagration imparable détermine un élément de force important: l'effet de surprise. Celui-ci paralyse l'ennemi qui n'a pas la moindre idée sur comment répondre (13). Le vieil arsenal social-démocrate réformiste n'a aucun effet face à l'action décidée et violente du prolétariat. Le syndicalisme, lui aussi, se voit totalement incapable de répondre et d'encadrer la généralisation de la violence prolétarienne. Les différentes structures régionales ou les divisions par quartiers, les assistants sociaux et de manière générale, les différents agents étatiques de médiation sociale, se retrouvent complètement débordés. L'absence de revendications concrètes rend plus ardue encore leur tâche réformiste et liquidatrice du mouvement. S'ils se placent devant le prolétariat, celui-ci leur passe -littéralement- par dessus. Cette absence de revendication positive et la participation du prolétariat sans division catégorielle sont précisément les éléments de force du mouvement: l'opposition à tout ce qui vient du pouvoir, la négation de tout ce qui existe (ce que critique précisément la "gauche" bourgeoise vis-à-vis de ces mouvements), marquent en fait la nécessité de la révolution communiste.

Les protagonistes eux-mêmes bénéficient de l'effet de surprise. La non-communication généralisée qui domine normalement en temps de paix sociale, l'individualisme suprême qui règne dans la vie quotidienne, le "chacun fait ce qui lui plaît chez lui", volent en éclats dans l'action directe dans la rue (même si cela n'est vrai qu'au sein d'une minorité d'avant-garde et si cela n'arrive que dans les moments de lutte ouverte). Tous ceux qui participent à ces mouvements découvrent une solidarité inconnue jusqu'alors et s'étonnent de l'absence d'égoïsme qui règne sur les barricades, de l'extraordinaire organicité avec laquelle se structure l'action. Plus encore, ils découvrent dans ce voisin qu'ils ne saluaient jamais, dans ce collègue de travail qu'ils considéraient comme un imbécile, dans cet ami qui ne causait que de foot,... un camarade qui lutte côte à côte avec lui.

Chaque fois, les commissariats, les locaux des partis gouvernants, des syndicats et autres appareils étatiques (intendances, locaux administratifs officiels, tribunaux,...) sont attaqués, incendiés. L'action directe est appliquée contre les représentants officiels du régime et on règle les comptes des collaborateurs plus ou moins couverts; dans certains cas, les prisons sont attaquées et les prisonniers libérés. Indépendamment de la conscience plus ou moins diffuse des protagonistes, cela constitue non seulement une démonstration brutale de la reconstitution, de l'existence de notre classe mais aussi de l'antagonisme général entre le prolétariat et l'Etat bourgeois dans son ensemble.

Autre élément de force indiscutable de ces révoltes prolétariennes: l'expropriation, plus ou moins organisée par des groupes d'avant-garde, de la propriété bourgeoise. Balayant les préjugés ancestraux, défiant le terrorisme de l'Etat (14), les prolétaires prennent ce dont ils ont besoin et tentent ainsi de détruire toutes les médiations auxquelles le Capital les condamne: monnaie, salaire, travail, etc... C'est la première fois que beaucoup mangent réellement ce qu'ils désirent et une grande partie de ceux qui participent à la révolte s'offrent enfin ce dont ils ont toujours rêvé, sans pouvoir se le payer: une télévision, un chauffage, un édredon en plumes, un costume de soie,... Pour une fois, c'est la fête, on boit sans restriction (et des boissons moins trafiquées que d'habitude puisque leur prix prohibitif interdisent généralement leur consommation) on mange en laissant de côté les privations de tous les jours, on danse, on chante, on fait la fête...

Et en même temps que cette affirmation élémentaire des intérêts prolétariens contre la propriété bourgeoise se déroule, fugace affirmation de la vie humaine annonçant la possibilité et la nécessité de la Dictature du prolétariat contre cette société de privations, de guerre et de mort, les premiers problèmes organisatifs sont soulevés. Sur les barricades, dans les quartiers où la police n'ose pénétrer, des groupes d'action s'organisent: on distribue les responsabilités, on planifie les actions les plus risquées, celles qui requièrent le plus de force organisée (15) et on discute les critères; critères pour l'action, critère de partage, d'usage de la violence, sélection des commerces à attaquer, des formes d'auto-défense à adopter,...

Dans toutes ces protestations, ces luttes, ces pillages,.. s'exprime donc une tendance réelle à assumer de manière embryonnaire la guerre civile à laquelle nous pousse le Capital. Bien souvent, des soldats et/ou des policiers envoyés pour rétablir l'ordre morbide du Capital refusent de tirer et rejoignent même parfois les prolétaires en lutte.

La contre-offensive bourgeoise: le baton, la carotte et la désinformation

Bien entendu, tout n'est pas rose et les corps armés du Capital, spécialement entraînés et formés pour ce genre de circonstances, n'hésitent pas un seul instant à réprimer dans le sang.

Une fois passée la surprise produite par l'extension violente du mouvement, la bourgeoisie prépare sa contre-offensive dont la clé est toujours la même: séparer la majorité des prolétaires de leur avant-garde.

Cette division joue sur les limites propres au mouvement, sur la division réelle qui s'opère au sein du prolétariat, entre ceux qui s'impliquent activement dans la lutte et ceux qui s'y opposent. La puissance de l'idéologie bourgeoise est si forte que, même en ces moments intenses et aigus, seule une minorité va participer à l'action directe. Des secteurs prolétariens, dominés plus fortement par les syndicats ou les partis politiques bourgeois, non seulement refusent de participer mais en plus s'opposent à ces pratiques et sont prêts à accepter la version officielle des événements (ou celle de l'opposition parlementaire qui coïncide toujours avec cette dernière lorsqu'il s'agit d'affronter le prolétariat en lutte).

Basé sur ce principe, tous les appareils de fabrication de l'opinion publique jouent alors leur rôle décisif dans l'institutionnalisation du mensonge: on ne diffuse que ce qui convient à la police (16). On disqualifie les actes les plus décidés, on parle de provocateurs, d'agents extérieurs, de terroristes, de subversion internationale,... Si de plus, la bourgeoise locale peut compter sur telle ou telle division locale, raciale, nationale, idéologique ou autre,... tous les moyens de diffusion profitent de l'aubaine car ils savent que c'est le moment de les utiliser: "ce sont des étrangers qui sèment le désordre", "ce sont des noirs contre des coréens", les fauteurs de troubles sont "ceux des favelas", "les kurdes", "il s'agit là d'un soulèvement intégriste", etc... S'exprime ainsi de concert une série de tentatives de négation du prolétariat. Il va sans dire que ce type d'attaques contre notre classe est répercuté, amplifié, multiplié,... par tous les moyens de communication internationaux. Le point crucial va résider dans le fait d'occulter à tout prix, d'empêcher que quiconque n'aperçoive dans ces révoltes des causes générales ou universelles. Les prolétaires du monde entier ne doivent jamais se rendre compte que d'autres prolétaires ailleurs se révoltent en tant que prolétaires; pour les médias, supposés nous informer, il n'y a jamais de révoltes prolétariennes mais des révoltes "intégristes", "palestiniennes", "anti-dictatoriales", des révoltes "d'immigrés", "d'affamés", "d'arabes", des révoltes "typiques du tiers-monde",...

La contre-offensive se structure en organisant pratiquement la séparation entre "les bons et honnêtes citoyens" et les "provocateurs", entre les nationaux et les étrangers, entre les bons travailleurs et les fainéants, entre les employés honnêtes et les marginaux, réservant aux uns la carotte, aux autres le bâton.

Arrive ensuite le moment des concessions: on sacrifie tel ministre ou tel maire, on annonce des mesures contre la pauvreté ou des mesures caritatives, on annule les augmentations de prix, qui ont déclenché l'explosion de rage prolétarienne, on ravitaille les magasins subsidiés,... Et dans le même temps, on réprime violemment et de la manière la plus sélective possible. En effet, tous les manuels de contre-insurrection insistent sur la sélectivité de la répression, sur le fait que pour "éviter la sympathie de la population envers les subversifs, la répression doit être sélective et ne pas réprimer de façon indiscriminée". Le travail intense des appareils d'Etat officiels, exerçant dans la rue la répression active des secteurs les plus ouvertement combatifs, reste insuffisant et c'est pourquoi il est nécessaire que, bien avant l'éclatement des troubles, des appareils soi-disant officieux (groupes para-militaires, spécialistes du crime moitié syndicalistes, moitié maffieux, escadrons de la mort,...) se préparent.

La désinformation est totale: jamais on ne raconte ce qui se passe réellement dans la rue, mais on mélange, on amalgame des scènes ou des photos de "barbarie", des réappropriations prolétariennes, des incendies, des images de la répression, avec les discours de politiciens "avertis" qui nous expliquent les "causes des troubles" et nous tranquillisent au nom de l'Etat, de l'ordre et de la sécurité. Et comme touche de véracité empoisonnée, il ne manque jamais la cerise sur le gâteau qui rendra spectaculairement véridique tous ces mensonges: zoom avant sur ce pauvre diable dont le magasin, qui parvenait tout juste à faire vivre sa famille, a été exproprié et incendié (17). Ensuite, progressivement et habilement, ce qui se passe dans la rue est délaissé et nous sommes de plus en plus bombardés de discours politiques lénifiants annonçant le retour au calme, la révision de telle mesure, la démission de Mr Untel, de nouvelles élections. Ces discours expriment, avec la plus profonde commisération, qu'il est évident, compris et entendu que la situation de misère est insupportable mais ne justifie pas pour autant telle ou telle action, et que d'ailleurs, le mouvement est manipulé par des agitateurs professionnels, etc... En ces moments délicats du rapport de force réel entre les classes qui se joue dans la rue, tous les agents de l'Etat collaborent à la recherche de solutions politiques: des journalistes aux syndicalistes en passant par les curés, les sociologues, la police, les écolos, les partis de gauche et de droite.

Les faiblesses réelles de notre classe

En résumé, il est incontestable que les bourgeois se payent une sacrée frousse lors de ces explosions. Ils reculent indiscutablement. Nous réussissons même parfois à leur inspirer une terreur telle qu'ils n'en ont jamais connue! Quant à nous, c'est l'occasion au cours de ces quelques journées de lutte de réaliser une partie de nos besoins immédiats. Dans des quartiers, et parfois même dans des villes entières, pour la première fois de notre vie, c'est vraiment la fête!

Mais ne nous leurrons pas, cela ne dure pas. En quelques jours le Capital impose l'ordre terroriste. Bien des fois, si pas malheureusement dans la majorité des cas, le massacre est énorme, le coût en vie humaine, en blessés, est très élevé. On fiche et on emprisonne nos meilleurs camarades. La terreur que l'Etat réussit à nous imposer est effroyable. Prenons l'exemple du Vénézuela, de l'Algérie ou de Los Angeles,... proportionnellement à cette victoire éphémère qui consiste à occuper momentanément la rue, dans tous ces cas, c'est la défaite profonde qui s'ensuit et qui s'impose, et dont on sait qu'il faudra des années pour la remettre en question.

C'est pourquoi il est criminel de se fermer les yeux face à cette réalité et de faire l'apologie de ce type de révoltes en les présentant comme "la forme enfin trouvée de la lutte révolutionnaire" (18). Et si nous ne pouvons empêcher que différents immédiatistes et autres modernistes de salon fassent l'apologie à bon marché de ce type de mouvements, notre tâche, la tâche des révolutionnaires, est de faire la critique militante de ces actions menées par notre classe.

Il est grave, dramatique, que l'on tue nos camarades sans que nous ne puissions réagir. Il est douloureusement triste de voir cette force dont nous avons fait preuve pendant quelques jours voler en éclats en un clin d'oeil, et de constater que du jour au lendemain, nous nous retrouvons aussi seuls qu'auparavant (19). La solidarité pratique que nous avons vécu pendant ces quelques journées disparaît aussi vite qu'elle est née. Il est désolant de nous voir incapables d'arracher nos camarades des prisons. Il est vraiment pénible de constater que le "démerde toi comme tu peux", que la débrouille individuelle revient à la surface dès que nous quittons la rue, et que l'individualisme, l'égoïsme, l'impuissant citoyen reprennent leur place centrale sur la scène historique. Pire encore, l'histoire même de ce que nous avons vécu est niée par les versions dominantes et les oublis de notre propre mémoire soumise aux fabulations de ces dernières.

Ce sont les conséquences du manque tragique d'association permanente du prolétariat qui caractérise le monde aujourd'hui: pas de noyau permanent, ni de centre de réunion; pas de presse classiste et massive, ni d'organisation internationale de révolutionnaires capable de regrouper l'avant-garde de cette réelle communauté de lutte qui se manifeste sporadiquement. On comprendra dès lors l'importance qu'a aujourd'hui plus que jamais le travail militant permanent, l'action directement communiste internationaliste à contre-courant, centrée sur un programme révolutionnaire d'action, d'organisation, de perspective comme celui que développe notre petit groupe militant (le GCI), malgré nos très faibles forces.

L'absence de ces formes générales d'organisation se concrétise, dans les moments décisifs de l'action, par le manque de structures organisatives, par le manque de consignes claires, de perspectives et de direction. Si l'instinct de classe suffit pour reconnaître les lieux à exproprier, les ennemis auxquels s'affronter (en général la police et autres corps de répression ouverte),... dès que l'on passe à une phase plus décisive de la lutte et que la bourgeoisie présente des facettes plus subtiles, dès que les secteurs de l'opposition bourgeoise s'efforcent de transformer le contenu classiste en contenu particulier,... la lutte contre le capitalisme est transformée en une lutte politique particulière: contre la dictature, contre tel gouvernement, tel ministre, contre telle mesure impopulaire, ou pire encore: pour la démocratie, pour l'autonomie régionale ou pour l'Islam,...

Mais tout ceci est également produit par le fait que, même à l'apogée de la lutte, les mensonges et affabulations dont la bourgeoisie nous abreuve en permanence, ont continué à pénétrer profondément notre classe. Le nationalisme, les mobilisations islamiques, les luttes contre telle ou telle dictature,... ne sont malheureusement pas que des discours bourgeois; ils en sont également la matérialisation puissante en une force qui désorganise notre lutte, puisque des dizaines et des centaines de prolétaires sont entraînés et mobilisés pour ces idéologies. Le populisme, le renouveau des sectes et des religions, le racisme et le pseudo anti-racisme comme mouvements politiques se sont énormément développées et leur poids désorganisateur écrase le prolétariat mondial, non seulement durant ces interminables années de paix sociale, mais aussi lors des grandes batailles. Ainsi, lorsque la lutte s'étend, la bourgeoisie parvient à la dévier de ses objectifs. Pire encore, elle arrive, dans la plupart des cas, à mobiliser une partie du prolétariat contre une autre, ce qui constitue un pas décisif dans la transformation de la guerre sociale en guerre impérialiste au sein d'un même pays (20).

Sans atteindre les proportions de la situation en Yougoslavie, où les luttes prolétariennes ont cédé la place à une lutte fratricide pour la défense d'intérêts bourgeois (ce qui, au delà des mérites de telle ou telle fraction locale ou internationale, est une victoire indéniable pour le Capital mondial comme totalité), où le prolétariat est nié en tant que classe, l'Etat cherche (et trouve trop souvent) le moyen de faire s'affronter différents secteurs du prolétariat. Ce fut le cas en Argentine entre les habitants des quartiers qui avaient participé aux "saqueos" (pillages), ce fut le cas aussi aux Etats-Unis, où nombreuses furent les tentatives pour transformer la révolte prolétarienne de Los Angeles en une lutte inter-raciale.

Pour synthétiser, nous pouvons affirmer aujourd'hui que notre histoire n'a jamais connu un tel déphasage entre la force de l'action et l'absence de conscience prolétarienne de cette action, entre la pratique classiste contre le Capital et l'Etat et l'ignorance généralisée des déterminations de cette pratique et de ses objectifs, entre l'homogénéité des conditions de vie et de lutte du prolétariat et la totale et internationale inconscience d'appartenir à la même classe et de lutter pour les mêmes buts. Jamais le décalage entre la remise en question pratique et fulgurante de la propriété privée et la méconnaissance sociale du projet communiste n'a été aussi profond. Ce sont, précisément, l'absence de structures permanentes d'organisations prolétariennes massives et l'absence correspondante de soupapes de sécurité qui rendent ces contradictions plus violentes que par le passé. Ces caractéristiques résument le cadre des luttes d'aujourd'hui tant sur le plan de la force que sur celui des faiblesses. Ces faiblesses se traduisent par la capacité du Capital à transformer nos luttes en conflits inter-bourgeois et, en dernière instance, en un conflit qui s'oppose au projet inconscient des luttes prolétariennes (la révolution communiste), par l'affirmation du projet propre au Capital: guerre impérialiste (c'est-à-dire rénovation de la société bourgeoise par un nouveau cycle de guerre, reconstruction,... expansion,...).

Nécessité et possibilité de combattre nos faiblesses

Le Capital ne peut offrir que plus de misère, plus de chômage, plus de sans-abris, plus de guerres, plus d'atrocités quotidiennes... Envers et contre tous, la paix sociale, composante essentielle de ce monde criminel, ne cessera d'être rompue par ces vagues de luttes prolétariennes. Quelques soient les pirouettes et autres manoeuvres du Capital et de ses agents étatiques, ils ne pourront empêcher la multiplication quantitative et qualitative de ces révoltes que les organismes internationaux, les services de contre-insurrection et de répression, les spécialistes en futurologie prévoient et se préparent à combattre. Syndicalistes, politiciens, curés, assistants sociaux pronostiquent de nouveaux affrontements et font tout ce qu'ils peuvent pour les empêcher d'éclater, mais ils savent pertinemment bien que demain leur rôle sera d'y mettre fin. Il est normal que l'ennemi se prépare.

Et de notre côté, que faisons-nous pour nous préparer? Sans aucun doute, pas grand chose!!!

Cette triste réalité ne peut malheureusement pas changer par les seules volonté et conscience révolutionnaire de tel ou tel groupuscule, alors que le reste de la classe n'est pas réceptif et se contente du monde de misère auquel le système le soumet. L'organisation minoritaire d'une poignée de communistes, quelle que soit l'importance de sa fonction, ne peut suppléer à cette gigantesque absence de préparation collective. La désorganisation que vit notre classe, l'absence de structures permanentes de diffusion des positions, de discussion, d'échange, de coordination, d'organisation ne peuvent être remplacées par une infime activité groupusculaire.

C'est pourquoi, à court et moyen termes, ce type de révoltes continuera d'exister avec toutes ses forces et surtout, malheureusement, avec toutes ses faiblesses. Nous ne pourrons éviter que les prochaines explosions prolétariennes ne se soldent par un coût trop élevé pour notre classe. L'inorganisation, la dispersion provoquée dans nos rangs par l'ennemi dès qu'il réorganise la répression massive et commence à nous tirer dessus, le fait que le prolétariat ne puisse même pas compter sur des groupes d'action capables de répondre au terrorisme d'Etat par l'élémentaire terrorisme sélectif de notre classe, l'absence de structure de solidarité internationale élémentaire, la quasi inexistence de structures prolétariennes capables de diffuser ce qui se passe dans d'autres régions du monde et, globalement, la désorganisation du prolétariat comme classe, permettront encore de multiples fois et en de nombreux endroits à la bourgeoisie de se venger de nos révoltes en arrêtant, brutalisant, assassinant, torturant, en faisant disparaître et en enterrant dans les geôles du régime des éléments d'avant-garde du prolétariat.

Pire encore, la bourgeoisie pourra continuer à occulter le caractère de classe des prochaines révoltes. On continuera d'écrire que ces révoltes obéissent à des causes particulières et la majorité des prolétaires restera indifférente, persuadée qu'il s'agit là de révoltes "islamiques" ou dirigées "contre la dictature", la "corruption". Comme par le passé, cette fausse interprétation fera partie de la vérité (comme l'a dit un philosophe il y a très longtemps: "le faux est un moment du vrai") et le Capital fera tout son possible pour que cela se transforme en vérité unique, pour que la lutte de classe devienne une lutte inter-bourgeoise, inter-impérialiste.

Mais la situation que nous venons de décrire ne s'éternisera pas, d'une part, du fait de l'homogénéisation toujours plus générale du capitalisme qui entravera toute tentative de cacher l'uniformité des conditions de lutte du prolétariat et, d'autre part, du fait de l'inévitable prise de conscience que provoquera la multiplication de ce type de révoltes et de défaites successives.

La crise homogénéise les conditions générales de développement du Capital. Non seulement, les problèmes capitalistes sont toujours les mêmes, non seulement, il y a inévitablement toujours plus de famines, de misère, de chômage,... mais en plus, la politique économique des gouvernements du monde entier est chaque jour plus semblable. De plus, la marge de manoeuvre se rétrécit et les discours ne varient guère: tous acceptent ce qu'ils désignent par le "réalisme", le "pragmatisme" et qui n'est autre que la reconnaissance ouverte et inévitable de leur soumission aux diktats de l'économie. La nouveauté ne réside pas dans cette soumission en tant que telle, il en a toujours été ainsi, mais dans l'aveu généralisé et indéniable de cette soumission. Si les discours de droite et de gauche, du nord et du sud, des impérialistes et des supposés "anti-impérialistes", des nationalistes et des islamistes se ressemblent toujours plus, ce n'est pas parce que ces fractions deviendraient plus capitalistes qu'auparavant, ni parce que le type de gestion capitaliste surnommée "communisme" aurait disparu, mais plutôt parce qu'en pleine période d'expansion, le Capital peut se permettre différentes formes de gestion, alors qu'en période de crise, le Capital mondial ne développe qu'une seule directive dictatoriale: se serrer la ceinture. Tandis qu'à certaines époques, sur base d'une augmentation soutenue du salaire réel, le Capital est capable de gérer de façon populaire la force de travail, tout en dissimulant l'augmentation permanente du taux d'exploitation (ce qui donne lieu à différentes politiques économiques plus ou moins étatistes, plus ou moins populistes, plus ou moins protectionnistes,...), en période de crise, et surtout dans les moments de crise profonde et généralisée telle que nous la vivons actuellement, la loi de la Valeur s'impose violemment et oblige toutes les fractions bourgeoises à une lutte généralisée contre leur propre prolétariat et contre leurs concurrents (21), pour maintenir le processus de valorisation. La croissance "normale" du taux d'exploitation ne donnant pas suffisamment de résultats, la lutte contre le prolétariat nécessite (dans presque tous les cas) l'imposition d'une diminution du salaire réel.

L'application inévitable et universelle de la même politique économique contre la même classe sociale, la répétition jusqu'à épuisement du même type de discours aux quatre coins du globe pour justifier cette politique ("les sacrifices sont inévitables", "nous devons produire plus et de manière plus rentable", "défendons la compétitivité de notre pays",...), tend, à la longue, à unifier les réactions de l'ennemi... et à unifier l'ennemi lui-même, malgré tous les efforts idéologiques déployés pour éviter cette unification. Cette dernière est, dans un premier temps, le résultat plus ou moins automatique, préconscient, de la réaction inévitablement unifiée dans le temps et l'espace. Sa répétition et la coïncidence temporelle en différents endroits du globe de ce type de révoltes compliquera inévitablement le rôle des idéologues et des journalistes, consistant à occulter les causes communes des révoltes, ce qui ouvre nécessairement les possibilités d'un processus de prise de conscience effective pour la constitution d'une seule classe contre un seul ennemi.

D'autre part, l'inévitable intensification quantitative et qualitative de ces révoltes, la répétition des défaites ouvrira les yeux, les oreilles, l'esprit,... du prolétariat qui fera sa propre expérience, entendra celle de ses voisins, recherchera celle d'autres régions, d'autres époques. Au début, ceux qui entameront ce processus seront sans doute peu nombreux, mais, d'une manière ou d'une autre, chacun d'entre nous, comme militants, nous sommes produit de ce type d'ouverture forcée, de ce type de réflexion post-action, du dépassement indispensable des barrières contre lesquelles s'est brisée la lutte précédente, du bilan d'une vague de lutte qui n'aboutit pas où nous le désirions. Les révolutionnaires, ceux qui mènent effectivement la classe de l'avant, ceux qui, à chaque moment concret du mouvement, représentent les intérêts de l'ensemble, les intérêts internationalistes et historiques du communisme,... les révolutionnaires donc, ne se forment pas dans les livres, ils sont le produit complexe d'expériences concrètes, de tentatives de généralisation de ces expériences, d'efforts militants d'abstraction, de mise à l'épreuve des conclusions embryonnaires auxquelles ils arrivent au feu de celles tirées en d'autres temps et d'autres circonstances. C'est dans ce contexte que livres et écrits militants acquièrent toute leur signification de transmission des expériences, de récupération de la mémoire historique de la classe, de bilan d'une défaite pour organiser la perspective de la victoire, de développement et d'affirmation du programme communiste. Le processus est long, difficile et douloureux... mais il n'y en a pas d'autre!

Contrairement à la vision social-démocrate et léniniste d'un parti d'intellectuels bourgeois, qui sait tout et l'enseigne à la masse amorphe et ignorante, la réalité sociale est très différente. Le prolétariat engendre des fractions, des groupes capables de synthétiser l'expérience historique qu'il a accumulée, et c'est là la seule manière de rompre avec l'immédiatisme, d'éviter qu'en chaque lieu et à chaque époque les mêmes erreurs ne se répètent.

Mais ces groupes révolutionnaires, aujourd'hui plus isolés que jamais, ne pourront assumer pleinement leur tâche de direction révolutionnaire que lorsque les luttes futures pousseront des secteurs de plus en plus larges du prolétariat à rompre avec les idéologies qui les emprisonnent, lorsque des minorités commenceront à se distinguer plus nettement, lorsque seront remises au premier plan leurs préoccupations, celles de toujours des communistes: la révolution, la lutte contre le capitalisme sous toutes ses formes.

Alors seulement, nos ennemis, planant du haut de ce nuage idyllique et soporifique, où le communisme est enterré pour toujours, où règne la certitude que le prolétariat n'existe plus, où ils peuvent dormir tranquille éternellement puisque jamais plus personne ne criera VIVE LA REVOLUTION SOCIALE, nos ennemis donc vont soudain éprouver la peur du siècle: livides et terrorisés, par le réveil terrifiant du prolétariat, le rêve merveilleux et imbécile auquel ils avaient cru, au nom de la société qu'ils représentent et qui les subsume, chavirera brutalement et les jettera à terre. Plus dure sera la chute!

Aujourd'hui plus qu'hier, revendiquons le communisme en nous affrontant à l'ensemble de la bourgeoisie dans ses multiples variantes démocratiques, qu'elles soient social-démocrates, nationalistes, staliniens, maoïstes, fascistes ou autres, en mettant en avant le contenu original du communisme: la négation de tout l'être capitaliste!

Contre l'Economie, la Politique et la Religion, contre l'Art, la Science et le Progrès, contre la Famille, le Travail et toutes les Patries, contre le Salariat crions plus fort que jamais:

Vive le communisme !

Vive la révolution sociale mondiale !

Vive l'organisation communiste internationale du prolétariat !

Notes

1. Comme nous l'avons déjà dit plusieurs fois, la démocratie n'est évidement pas une simple forme de domination; elle correspond à l'essence même du Capital, au mode de fonctionnement normal de la société mercantile généralisée: sur le marché les classes sociales n'existent pas, il n'y a que des acheteurs libres et égaux!
2. Pour la clarté de l'exposé, ce que nous sommes obligés de présenter comme des moments séparés ne sont bien sûr que deux volets d'un même processus dans lequel se réalise cette négation du prolétariat en classe.
3. Comme par exemple "1984,..'85,...'87,..'89 pire que prévu. La citoyennisation de la vie", dans Le Communiste No.27 et "Contre le terrorisme d'Etat, de tous les Etats existants" dans Le Communiste No.26.
4. Si nous mettons "grève" entre guillemets, c'est parce que pour nous, une véritable grève est une bataille entre les prolétaires et le Capital, et tant son contenu que sa forme tendent à exprimer cette réalité de mille manières (absence de revendications précises et catégorielles, tendance à la généralisation, durée indéterminée, sabotage de la production, affrontement contre les jaunes, apparition de groupes minoritaires "incontrôlés",...). Ici, tout au contraire, nous faisons référence à une action syndicale (c'est-à-dire à l'action d'un appareil de l'Etat capitaliste) ayant pour but de canaliser (et ainsi liquider) l'énergie prolétarienne.
5. Dans certains cas, la division du travail des appareils de l'Etat bourgeois (par exemple entre syndicats et forces de l'ordre) permet même une certaine dose de violence minoritaire stérile, étant entendu que celle-ci n'attaque en rien l'ordre bourgeois. Ainsi, alors que la majorité de la manifestation est encadrée pacifiquement par d'interminables discours syndicaux, on tolère ou plutôt on promotionne qu'une partie radicale des manifestants se déchiquètent, s'éclatent dans tous les sens face aux forces spéciales de la police prévues à cet effet. La bourgeoisie et sa propriété reste ainsi bien gardée et en profite au passage pour interpeller les prolétaires radicaux et ficher les possibles activistes. Chaque force étatique remplit donc sa fonction, les uns jouant du bâton, les autres faisant diversion (ce qui ne veut évidemment pas dire que les syndicats n'utilisent pas aussi parfois la répression ouverte); et la force prolétarienne, incapable de se diriger vers ses buts propres, d'appliquer la violence minoritaire contre ses véritables ennemis de classe, est dilapidée sans remettre le Capital en question.
6. A l'encontre du mythe décadentiste qui considère que les syndicats répondent aux intérêts prolétariens jusqu'en 1914, nous profitons de cette parenthèse pour rappeler que depuis l'origine, et particulièrement pendant tout le XIXème siècle, existent des syndicats dont l'objectif est identique à celui des syndicats actuels: concilier les classes, trahir les intérêts immédiats des ouvriers,...
En 1890 déjà, l'Eglise catholique préconise la création de syndicats contre la lutte prolétarienne.
Nous renvoyons le lecteur intéressé par ce sujet à l'article "Mouvement communiste et syndicalisme" paru dans les No.4 et 6 de notre revue "Le Communiste".
7. Cette disparition du prolétariat n'est qu'apparente, car en dernière instance, l'existence même de la société bourgeoise a pour fondement et pour source de la reproduction (élargie) le prolétariat lui-même. Mais il est vrai que le prolétariat en tant que classe, force, puissance opposée au Capital est nié. Et cette réalité ne peut être totalement remise en question que dans la pratique. C'est-à-dire qu'il ne sert à rien, dans une période comme celle que nous traversons aujourd'hui, de dire: "Le prolétariat existe". Le prolétariat n'existera pleinement que lorsqu'il se constituera à nouveau en force sociale d'opposition à l'ordre bourgeois existant. Bien entendu, pour compléter cette affirmation, il nous faut ajouter que, matériellement, la possibilité et la nécessité de cette reconstitution du prolétariat en classe et donc en parti est basée sur l'antagonisme permanent de cette société, antagonisme que la bourgeoisie ne peut abolir, pas même aux époques dorées de domination totale. Les centaines de batailles sporadiques et discontinues que nous tentons de schématiser dans ce texte portent déjà en elles le développement de ce mouvement de reconstitution du prolétariat.
8. On nous répliquera avec raison que vu que la valeur est essentiellement du travail humain, un humanoïde ne créera pas de valeur et que pour le capital total, cette limite sera sa propre mort. Néanmoins, ce n'est pas le capital total qui guide ce monde, mais la lutte à mort entre les multiples capitaux particuliers; lutte dans laquelle chacun de ces capitaux obtient une plus-value extraordinaire pour chaque pas en direction de cet humanoïde et est donc intéressé par le développement des forces productives en ce sens. Supposer que le Capital puisse arrêter son propre suicide et/ou celui de l'humanité, c'est lui attribuer des vertus de planification qu'objectivement il n'a pas.
9. Nous ne croyons pas nécessaire d'éclaircir à nos lecteurs pourquoi nous mettons des guillemets à ces "jouissances".
10. Voir à ce propos "Action directe et internationalisme" paru dans Communisme No.38.
11. Ce type d'explosion, qui dans certains cas, ne touche que le quartier d'une ville, dans d'autres, une ville entière et dans d'autres encore, tout un pays et déborde même des frontières ne sont évidemment pas les uniques formes de luttes actuelles mais nous considérons que ce sont là les formes les plus caractéristiques de l'époque contemporaine. Le prolétariat montre aussi son existence et son antagonisme à l'ordre mondial lorsque qu'il refuse l'enrôlement dans l'armée ou lorsqu'il déserte, mais si nous exceptons le cas de l'Irak, ces expressions prolétariennes ne sont malheureusement pas déterminantes aujourd'hui. Nous pouvons également mentionner le cas d'une "grève" syndicale dépassée par les prolétaires qui sortent de l'usine pour généraliser leur lutte; mais vu la rareté et le peu d'importance relative de ce type d'expressions du prolétariat relativement au passé, cela ne mérite pas non plus que nous y prêtions grande attention, tout au moins dans ce schéma général sur les luttes de classes actuelles.
12. Les experts de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International vont jusqu'à se féliciter du peu de résistance que la population oppose aux mesures qu'ils préconisent, et cela devient pour eux un argument de force en vue de convaincre les gouvernements ou les partis politiques de les appliquer.
13. Nous nous référons évidemment à la masse sociale de la bourgeoisie et des appareils d'Etat classiques. Il est clair que l'Etat a depuis longtemps des corps spéciaux (de répression tant directe qu'idéologique) prêts pour ces circonstances: manipulation de l'information, répression sélective, etc... comme nous le présenterons schématiquement dans le chapitre suivant.
14. S'il est clair que ce n'est pas l'Etat qui créa la propriété mais bien l'inverse, puisque l'Etat n'est rien d'autre que la propriété organisée en force pour se reproduire, nous ne devons pas oublier que l'être humain respecte la propriété privée, qu'il va jusqu'à mourir de faim parce qu'il est privé de la propriété de ce qui est le plus essentiel, alors que d'un autre côté on dilapide. Et ceci uniquement par la force exercée sur lui par des siècles et des siècles de terrorisme d'Etat, par l'idéologie du respect de la propriété que ce terrorisme, dans son oeuvre séculaire, est parvenu à imposer et à reproduire.
15. Dans de nombreux cas, passé le premier moment de surprise, des corps de défense de la propriété privée sont organisés et le prolétariat y répond par des formes primaires d'organisation et d'armement.
16. Affirmer uniquement que le journalisme est au service de l'Etat signifierait encore que nous sommes trop condescendants face aux journalistes. En réalité, le journalisme est une des composantes de l'Etat et contribue à dessiner sa politique. Par contre, il serait faux et partial d'envisager que c'est cet appareil d'Etat (ou en général tous les moyens de communication) qui dirige les autres. Cette conception, fort à la mode chez certains modernistes ou ex-militants de gauche, n'est rien d'autre qu'une interprétation idéaliste de la thèse de la "société du spectacle", qui oublie les déterminations fondamentales du Capital. Si le journalisme peut effectivement, dans certaines circonstances, "diriger" la police, le gouvernement, l'armée,... il est lui-même très souvent "dirigé" par la police, le gouvernement ou l'armée et nous ne pouvons oublier qu'en dernière instance, le moteur de cette composante reste la valeur se valorisant et que donc toute structure de l'Etat est soumise à la détermination centrale de ce dernier: reproduire le Capital, reproduire la domination bourgeoise, reproduire l'exploité en tant qu'exploité. La prétention d'un spectacle journalistique dirigeant le monde n'est rien d'autre qu'une soumission spectaculaire au monde du spectacle.
17. Dans toutes ces révoltes, il peut y avoir des expropriations incorrectes, injustes,... des actes individualistes et égoïstes, des petits chefs insupportables et de l'égoïsme, de la même manière qu'il peut aussi y avoir des participants agissant effectivement en tant que provocateurs pour dénigrer le mouvement. Mais, contrairement à la version policière et journalistique, cela ne constitue jamais l'essence de ce type de mouvement. Prétendre que de tels problèmes n'existent pas serait absurde. La transformation de la masse individualiste et égoïste sur laquelle repose le Capital en une classe compacte et révolutionnaire est un processus de longue haleine qui ne fait que (re)commencer avec ces révoltes.
18. Lors de la vague 17-21, cette formule faisait référence aux conseils et aux soviets (structures utiles dans l'organisation des prolétaires) considérés comme la forme qui garantirait éternellement la révolution. Mais aucune forme organisationnelle ne peut garantir le contenu révolutionnaire, et les conseils comme les soviets finirent partout (et clairement en Russie et en Allemagne) par garantir le fonctionnement du Capital. L'apologie a-critique de ces formes (conseillisme) fut l'alliée suprême de l'Etat capitaliste en pleine réorganisation.
19. Il est évident que certains contacts, certaines relations produits du mouvement sont indestructibles, se maintiennent et se développent dans la préparation de nouvelles luttes. Mais compte tenu de la situation mondiale actuelle, on peut affirmer qu'il ne s'agit là que d'exceptions bien trop rares pour caractériser la période.
20. L'exemple suprême de ce type de liquidation de la lutte du prolétariat se situe dans l'Espagne des années '30: le Capital parvient là à transformer la lutte révolutionnaire du prolétariat contre le Capital et l'Etat en une guerre inter-bourgeoise, une guerre impérialiste entre fascisme et anti-fascisme. C'est ce qui constituera en plus, le pas décisif qui manquait au déclenchement de la dite "Seconde Guerre Mondiale".
21. A propos de l'inéluctable exacerbation de la guerre du prolétariat contre la guerre inter-bourgeoise, voir le texte "La catastrophe capitaliste" dans Communisme No.38, avril 1993.



De la guerre en Yougoslavie :

Guerre interimpérialiste

contre

le prolétariat mondial !

* * *

Introduction

Nous vivons une période sombre d'énorme faiblesse de notre classe, ce qui s'exprime entre autre par la quasi inexistence de toute presse ouvrière, d'associationnisme ouvrier, d'internationalisme militant (manque de liens, de communication, d'entraide entre noyaux de prolétaires en lutte,...) et cela malgré les violents sursauts qui à intervalles réguliers secouent les chaînes qui attachent le prolétariat à la société bourgeoise. Un peu partout la bourgeoisie a mis en place, souvent préventivement, des politiques qui visent à attaquer le prolétariat de façon ciblée, "paquet par paquet" et qui ainsi le séparent et l'isolent en différents secteurs (isolant ceux qui résistent et couvrant leurs luttes de mensonges), qui le divisent en autant d'individus atomisés. A coup sûr, la citoyennisation est en marche (forcée)! Tout se passe comme si la bourgeoisie avait pleinement tiré les leçons des affrontements passés qui l'opposèrent à son ennemi historique et agit en conséquence, alors que le prolétariat semble avoir perdu ses repères, sa mémoire, les leçons qu'il pouvait tirer lui aussi de ses combats passés.

L'isolement et la faiblesse des forces communistes dans une telle période rend extrêmement difficile toute activité volontaire, militante, en vue de la centralisation internationaliste des tentatives de ruptures d'avec la paix sociale. Car ces activités militantes se heurtent, outre à une répression sans faille de la part des Etats, au scepticisme, au sectarisme et à l'individualisme qui dominent largement les esprits d'aujourd'hui. En outre, la faiblesse en nombre des militants communistes, leur éparpillement (séparant souvent par des centaines voire des milliers de kilomètres les quelques camarades qui arrivent à maintenir une continuité dans leurs activités), fait aussi que tout un travail permanent d'analyse, de discussion, de confrontation d'informations,... est souvent mal assumé, voire négligé. Des informations essentielles sur les luttes de notre classe, sur les affrontements classistes contre les syndicats et contre toutes les autres forces d'encadrement (pacifistes, réformistes, démocrates de tout poil) sont ainsi perdues et cette perte accentue encore la mainmise totalitaire des partis de l'ordre sur nos vies, renforce l'image d'une défaite totale du projet communiste et perpétue ainsi efficacement notre isolement. Il en résulte un affaiblissement encore plus prononcé du cadre référentiel communiste, un véritable déficit de notre mémoire classiste et par conséquent un éloignement aggravé et réel de la perspective communiste.

Ainsi, nous devons constater aujourd'hui, par rapport aux événements qui ces dernières années ont touché l'ensemble des pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est (1), que cette situation, par ailleurs significative pour les luttes dans l'ensemble du monde, a peu donné lieu à la circulation, au sein de notre classe, d'analyses, de contributions, d'informations,... susceptibles d'enrichir notre connaissance des conditions actuelles dans lesquelles se déroulent les affrontements classistes, de mieux nous renseigner sur les enjeux de cette situation afin de nous permettre de tracer plus explicitement les orientations pour les luttes à venir.

En effet, alors que la presse aux ordres du capital nous livre sa lecture idéologique et unilatérale de ces événements donnant ainsi sa contribution propre à notre soumission en nous divisant et en nous séparant des prolétaires des autres continents, les communistes reconnaissent dans ces événements la même réalité de crise sociale qui traverse l'ensemble de la planète et qui touche de la même façon les prolétaires partout. Il suffit de se rappeler les émeutes qui mirent à feu et à sang Los Angeles, ainsi que de nombreuses autres villes nord-américaines, il y a à peine un an, en réponse à la misère que subissent les prolétaires au coeur de la métropole USA, pour invalider l'image de la "spécificité" russe et est-européenne. Mais il est vrai que les prises de positions émanant de notre classe et mettant en avant l'unité fondamentale des conditions et des méthodes de lutte ainsi que des objectifs du prolétariat révolutionnaire partout où il se trouve, manquent cruellement!

Le présent article au sujet de la guerre en ex-Yougoslavie, n'échappe évidemment pas à ces caractéristiques de faiblesse. Ainsi, il est problématique dans le cadre restreint d'un tel article, de faire référence aux multiples événements de ces dernières années en Russie par exemple, sans pouvoir renvoyer le lecteur vers une analyse détaillée, classiste, produite par notre classe sur ces événements. Nous avons été contraints d'écrire cet article malgré l'existence d'un tel déficit et c'est pourquoi nous avons fait, le cas échéant, de brefs rappels d'événements que nous avons considérés être exemplatifs et susceptibles d'indiquer le cadre global dans lequel il faut inscrire ce nouvel épisode de la guerre de classe qui se déroule en ex-Yougoslavie.

L'analyse de la guerre en Yougoslavie nous paraît indispensable dans la mesure où, comme nous le démontrons dans l'article, cette guerre est non seulement de la plus haute importance pour ses conséquences directes sur les conditions de vie et de lutte des prolétaires de la région mais encore du prolétariat international, et aussi en ce qu'elle annonce et préfigure les conflits de demain.

La guerre d'Espagne en '36, comme plus récemment la guerre du Golfe arabo-persique, nous ont entr'autre démontré que les différentes fractions bourgeoises utilisent les guerres limitées comme terrain d'expérimentation pour infliger une défaite au prolétariat (facteur de guerres plus généralisées) en essayant d'attacher les prolétaires - à l'aide des massacres et des différentes idéologies - au char de l'économie nationale (pour justifier tous les sacrifices) et en même temps pour contracter/consolider les alliances entre les différentes fractions bourgeoises, afin de préparer les futures conflagrations encore plus importantes, qu'elles savent être inévitables!

De ce point de vue, la guerre en ex-Yougoslavie est riche d'enseignements pour le prolétariat révolutionnaire. Notre dénonciation de la guerre, notre appel au défaitisme révolutionnaire, s'accompagne de la mise en évidence des potentialités et dangers que contient la situation actuelle.

La réalité de la guerre: une guerre interimpérialiste contre le prolétariat mondial !

Conversation téléphonique entre le Général Mladic, commandant serbe des corps armées de Knin et le chef du Ministère croate de l'intérieur, à Split. Cette conversation entre les deux hommes qui apparemment se connaissent bien (de leur carrière passée au sein de l'armée yougoslave) a été reporté par le correspondant de la BBC, Misha Glenny, dans son livre (en anglais) "La chute de la Yougoslavie".

A chaque fois que le capitalisme montre ouvertement sa vrai nature, comme aujourd'hui dans l'ex-Yougoslavie où le déchaînement de la violence, des massacres et des persécutions se poursuit depuis plus d'un an, l'ensemble des mythes qui prédominent dans la société ont comme dénominateur commun l'attribution des causes de ces horreurs quotidiennes qui caractérisent la civilisation moderne, à des phénomènes prétendument extérieurs au développement propre du capitalisme. C'est ainsi que seront blâmés des "dirigeants incompétents" ou "dictateurs", un manque de "développement", des causes "religieuses", "ethniques", un manque de "démocratie"...

La réalité est inverse: tous ces facteurs, comme le caractère des hommes, les différences de race, les croyances des hommes, les aptitudes particulières de chacun (facteurs qui dans les sociétés antérieures avaient encore un certain poids et pouvaient encore peser sur l'évolution de ces sociétés)... ne jouent plus aucun rôle déterminant dans le déroulement de la vie sociale, ou exprimé plus précisément, tous ces facteurs sont totalement subsumés (intégrés, absorbés) par le capital au point où ils ne sont plus rien d'autre que les formes différentes par lesquelles le capital concrétise la domination totalitaire de ses besoins, en antagonisme total avec les besoins de l'espèce humaine.

Par rapport à la guerre en ex-Yougoslavie, c'est surtout le prétexte des "conflits ethniques" qui est avancé, ou encore, "la continuité d'une lutte ancestrale des peuples pour leurs droits inaliénables", "les intérêts historiques"...

Les prolétaires n'ont pas de patrie! Notre cri de ralliement internationaliste a non seulement une validité quant aux méthodes et objectifs de notre lutte contre la société capitaliste, mais se vérifie aussi directement dans la réalité de notre situation de classe exploitée, de sorte que les différentes idéologies qui servent à garder les prolétaires enfermés dans leur condition d'exploités en les atomisant en tant que citoyens, en les divisant en "serbes", "musulmans", "macédoniens", etc. et opposant les uns aux autres, ont de plus en plus de mal à cacher l'identité mondiale de nos conditions d'exploitation. Ceci d'autant plus lorsque cette société se dirige inexorablement vers une issue toujours plus catastrophique et se trouve de moins en moins en mesure de donner un contenu palpable et matériel à ses prétentions d'apporter aux prolétaires le règne de la liberté, de la fraternité et de l'égalité. Ces idéologies, en tant que forces matérielles qui emprisonnent les prolétaires derrière les barreaux du salariat et de la marchandise, et qui se basent sur des différences réelles, sur les particularismes de nos conditions d'exploitation (pour mieux en gommer l'essence universelle et unique et donc unificatrice!) se voient ainsi se dérober leurs bases matérielles et se voient placées devant la nécessité de donner, d'inventer souvent, des nouvelles justifications afin de se maintenir. Ainsi il est indéniable que face à l'uniformisation des conditions d'exploitation qui touchent une masse toujours plus grande des prolétaires (2), le fait de porter sur le plan militaire la guerre de tous contre tous qui est la loi de la société bourgeoise, permet une recrédibilisation des idéologies, dans la mesure où elles clament et reflètent une réalité où est affirmé clairement: "Je ne te tue pas parce que tu es Croate, tuons l'autre et ses enfants parce qu'il est Musulman!"

La réalité de la guerre, le sinistre déroulement des bombardements, des massacres, des persécutions, des internements, montrent à l'évidence - sauf pour ceux qui ont un intérêt à défendre la vision d'une guerre "éthnique" et qui travaillent activement au "déchaînement des passions nationalistes" et sauf aussi pour ceux qui sont surpris et trop obnubilés par la force de la société bourgeoise à imposer aujourd'hui ses intérêts de façon aussi sanguinaire - que cette guerre est une guerre contre le prolétariat, contre ses intérêts et contre son mouvement de lutte.

Cette réalité de la guerre, c'est par exemple, en juillet 1991, dans la Banija (en Croatie, à la frontière avec la Bosnie-Herzégovine), des groupes armés, mercenaires, commandos de tueurs, qui débarquent dans les villages et dirigent les massacres. Ils classent les habitants principalement d'après leurs origines serbes ou croates,... obligent les croates qui sont aptes au service à rejoindre leurs rangs et prennent les serbes comme otages,... puis les unités tirent de tous les côtés, la population fuit... ensuite l'armée fédérale investit les villages, commence par les bombarder et chassent les derniers qui n'ont pas fui avec les chars. Les fugitifs d'origines croate, hongroise ou serbe, fuient en direction des grosses villes ou bien vers la Voïvodine ou encore vers la Herzégovine.

Peu à peu, ces opérations de guerre, s'élargissent, tantôt menée par des milices croates, orientant la haine vers tout ce qui sera considéré comme croate, tantôt par des milices serbes, orientant la haine vers tout ce qui sera considéré comme serbe. Ce qui reste des villages laisse penser qu'un tremblement de terre est survenu. Et alors que depuis tant d'années "serbes", "croates" ou "hongrois" se sont mélangés jusqu'à ne plus pouvoir se définir de telle ou telle origine ethnique propre, les forces nationalistes opèrent une séparation systématique selon leur prétendu rattachement ethnique.

Ces opérations de guerre vont de plus en plus viser les plus grandes villes tel le centre industriel de Vukovar qui fut bombardé pendant trois mois par l'armée fédérale. Les habitants se sont terrés jours et nuits dans les caves et ont organisé la résistance, s'entraidant, toutes nationalités confondues. La Garde Nationale Croate et les Ustachi (forces fascistes) quant à elles, organisaient la répression de l'intérieur. Quand l'armée fédérale est rentrée dans la ville, on a pu dénombrer toute une série de morts abattus par derrière, sommairement exécutés pour avoir refusé de se laisser embrigader dans la Garde Nationale Croate et/ou les Ustachi.

Les conséquences générales de ce type d'opérations sont:

Voilà la réalité de la guerre!

oOo

Si nous tenons à rappeler ainsi les conséquences tragiques de la guerre en ex-Yougoslavie, ce n'est surtout pas pour nous perdre en lamentations sur cet état de fait, ni pour tenter d'émouvoir le lecteur ou de le sensibiliser à ces souffrances! Contre l'humanisme et les larmes de crocodile, contre ceux qui se lamentent sur le fait qu'aujourd'hui les massacres et autres horreurs de la guerre se déroulent "à 1 heure de vol de Paris" (sic!!!), nous affirmons que la guerre qui se déroule là-bas, n'est que le prolongement armé de la guerre que mène ici et partout dans le monde, la bourgeoisie contre le prolétariat, et que la seule façon, la seule lutte conséquente contre toute cette misère capitaliste est de lutter ici comme là-bas contre la bourgeoisie qui nous fait face, quelle que soit sa nationalité, sa couleur, pour affirmer pratiquement notre internationalisme, notre identité d'intérêt et de lutte avec les prolétaires en Yougoslavie comme ailleurs...

Ce dernier point devient d'autant plus évident lorsqu'on constate la connivence pratique (en dehors bien sûr de toutes les déclarations d'intention) entre toutes les différentes fractions de l'Etat capitaliste mondial et dont les différentes politiques aboutissent objectivement, toutes, aux massacres généralisés de nos frères de classe.

Et c'est ici aussi que nous devons mettre en évidence le caractère directement international de la guerre. Non seulement la plupart des puissances impérialistes sont déjà directement impliquées dans cette guerre à travers les intérêts financiers et commerciaux qu'ils poursuivent à travers ce conflit (reconstruction, vente d'armes), mais également par les visées géo-politiques qu'ils portent sur ces territoires et ces marchés. Mais d'ores et déjà, partout les différents Etats montrent leurs intérêts convergents quand ils se servent de cette nouvelle guerre pour fomenter la paix sociale "chez eux", pour promouvoir la cohésion nationale, pour attaquer le prolétariat, pour lui imposer sacrifices et austérité. Les répugnantes campagnes humanitaires sont partout en première ligne pour déposséder le prolétariat de toute réelle solidarité de classe, pour faire en sorte que le prolétariat s'aliène encore davantage ses objectifs propres, ses intérêts et ses luttes, seule perspective valable pour affronter la guerre et ses causes profondes!

Le caractère directement international de la guerre se vérifie en outre dans les déclarations des politiciens, quand par exemple un Delors ou un Boutros Ghali, affirment ouvertement qu'ils pensent que l'opinion publique en Europe n'est pas encore prête à accepter les sacrifices liés à une intervention massive de l'OTAN dans le conflit en cours en Yougoslavie!

Contre toutes les justifications idéologiques que mettent en avant les différentes fractions bourgeoises pour enrôler le prolétariat derrière leurs drapeaux et pour mieux l'envoyer se faire massacrer sur les différents fronts de guerre, la réalité nous montre que cette guerre n'est qu'un nouvel épisode tragique de l'affrontement historique qui oppose notre classe à la société du Capital.

Les raisons de la guerre

A. Cadre général

Pour chacun il paraîtra évident de lier le déclenchement de cette guerre en Yougoslavie, aux changements que traversent - depuis plus de 5 ans - les pays de la zone de l'Europe de l'Est et d'Europe centrale. Ces changements eux-mêmes ne sauraient évidemment trouver une explication, comme les médias s'efforcent de nous l'imposer, dans un quelconque phénomène magique appelé "perestroïka", ni dans les plans et projets d'un homme providentiel quelconque.

Au sujet des falsifications que déversent jour après jour politiciens et plumitifs de service par rapport à "la fin du communisme", le communisme révolutionnaire dénonce ces campagnes idéologiques qui ne servent qu'à mieux embrigader les prolétaires derrière les drapeaux de la mère-patrie et y oppose l'analyse classiste et internationaliste affirmant que sur les ruines de l'insurrection prolétarienne en octobre 1917 en Russie et de l'ensemble de la vague révolutionnaire mondiale des années '17-'23 la contre-révolution a organisé le redémarrage de la production capitaliste en Russie comme partout dans le monde. Le capitalisme n'a donc cessé de dominer la planète entière et à l'Est comme à l'Ouest c'est l'inéluctabilité de la catastrophe capitaliste qui pousse toujours plus le monde dans des déflagrations de misère et de guerre. La seule perspective, toujours d'actualité, reste sa mise à mort par le prolétariat révolutionnaire, et l'instauration d'une société enfin communiste.

Ainsi, le contexte général de ces restructurations politiques dans cette zone, c'est la situation de crise sociale que ces pays traversent depuis une bonne dizaines d'années. Crise sociale car crise globale et qui se manifeste tant dans la sphère économique que politique et idéologique, autant d'aspects qui recouvrent les différentes concrétisations d'une même réalité et qui par conséquent ne peuvent être séparés. Et si nous nous attardons ici, dans le cadre de cet article, sur la crise sociale qui touche les pays de cette zone, c'est pour aussitôt souligner qu'il ne s'agit là nullement d'une particularité (contrairement à ce qu'aiment nous faire croire les nombreux "spécialistes" - économistes, sociologues, politiciens,... - au service du discours dominant), mais bel et bien de la concrétisation, dans cette zone, de la crise mondiale qui secoue violemment le vieux monde dans sa totalité. En effet, comment ne pas voir que cette crise fait rage sur tous les continents et frappe durement également l'Afrique, l'Asie ou encore l'Amérique.

C'est cette unité de situation (et donc des perspectives qui en découlent) que nous mettons en avant par rapport à tous ces spécialistes qui cherchent à nous faire avaler que "la situation là-bas n'a rien à voir avec ce que nous connaissons ici".

Sans nous engager ici dans une exposition en détail du processus capitaliste de production (production des marchandises, production des hommes comme marchandises particulières, donc production des rapports sociaux), il est clair que même si nous supposons - idéalement et dans un but de simplification - une période de paix sociale, c'est-à-dire une période pendant laquelle le prolétariat ne manifeste pas - en tant que tel - sa force pour tenter violemment d'imposer ses besoins et son projet social de destruction du capital en réponse aux attaques qu'il subit - il est clair donc que même dans une telle période, la reproduction du capital contient ses propres contradictions insurmontables et sa propre négation. En l'exprimant schématiquement, la raison en est que la surproduction cyclique de capitaux (car la reproduction de capitaux à une échelle toujours plus élargie constitue la finalité propre du mode de production capitaliste) fait que la valorisation d'une partie du capital social mondial entrave et exclut la valorisation d'une autre partie de ce même capital social mondial; ainsi ce ne sera qu'à partir d'une dévalorisation cyclique massive et violente (cyclique, mais sans oublier qu'elle s'opère aussi de façon permanente, à petites doses, - fermetures d'usines, mise au rebut de stocks,...) que pourront se reconstituer les bases et conditions d'une nouvelle valorisation.

Les propriétaires des capitaux les moins rentables (les premiers à être les plus touchés par la baisse du taux de profit), pour échapper à la faillite, tentent de s'opposer tant bien que mal à cette inexorable loi de la valeur, en protégeant leur secteur, en réclamant l'intervention de l'Etat, en tentant d'instaurer des barrières à la circulation des marchandises de leurs concurrents tout en essayant de garantir des zones et marchés pour la libre circulation de leurs propres capitaux (situation qui se rencontre de manière aiguë dans les nouveaux Etats de l'ex-Yougoslavie). Mais dans la mesure où tous les capitalistes recourent aux mêmes types de mesures, les effets se reportent pour ressurgir sans cesse, démultipliés. Ainsi se produit régulièrement une dépression généralisée qui conduit inévitablement à une dévalorisation générale de tout capital existant car celui-ci ne rencontre plus aucune possibilité de rentabilisation.

C'est cette réalité anarchique de la production capitaliste (évoquée ici de façon tout à fait schématique) où l'élimination d'un concurrent constitue la condition de la survie d'un autre concurrent, qui explique le caractère quasi-permanent des guerres limitées que nous subissons et le caractère périodique et inexorable de guerres plus généralisées.

Le prolétariat international se trouve au centre de tout ce processus car c'est cette classe qui assume toute la production au sein de la société capitaliste. Le prolétariat se trouve au centre par le niveau d'exploitation qu'il endure ainsi et par le projet social qu'il porte qui est que s'il ne veut pas périr, il ne peut que s'attaquer sans cesse à ce qui le détruit. Pour le marxisme révolutionnaire la catastrophe du mode de production capitaliste est synonyme de son renversement violent par le prolétariat.

La crise dans la sphère de l'économie se reporte sur toutes les autres sphères de la société. C'est donc l'éclatement des contradictions propres au mode de production capitaliste, c'est la crise de l'exploitation du prolétariat, c'est la crise de l'extraction de la plus-value, c'est la crise sociale, la crise des rapports sociaux. C'est dans un tel contexte de crise mondiale que nous devons recadrer les événements de ces dernières années dans les pays de l'Est et en Europe centrale et c'est dans ce même contexte qu'il nous faut examiner le "cas" particulier de la Yougoslavie. Nous ne pouvons pas, évidemment, dans le cadre de cet article, entrer dans le détail de la situation et des changements qui ont marqué la Russie et ses pays limitrophes ces dernières années; nous nous limiterons à un rapide rappel afin de nous permettre de correctement situer le contexte de la guerre en Yougoslavie.

B. Le contexte international

Dans la zone d'Europe centrale et d'Europe de l'Est, les luttes qui se sont déroulées en Pologne, en '76 et quelques années plus tard, à partir de l'été '80 et durant la plus grande partie de '81, furent sans aucun doute le mouvement dont les ondes de choc allaient se répercuter pour longtemps et jusqu'aux coins les plus reculés de "l'Empire soviétique". D'ailleurs, pour l'Etat capitaliste mondial, ces luttes resteront très significatives et l'on trouve encore aujourd'hui régulièrement des références à ces luttes dans les publications qui expriment les orientations des fractions bourgeoises dominantes (FMI, Banque Mondiale, OCDE,...). Si nous nous attardons sur ces luttes précisément et sur leur signification, c'est parce que nous pensons que ces événements sont plein d'enseignements permettant de mieux saisir les enjeux des événements d'aujourd'hui dans la zone de l'Europe centrale et orientale.

Rappelons-nous brièvement ces luttes en Pologne:

Le 25 juin 1976 déjà, l'annonce de la hausse des prix (officiellement - ce qui ne traduit qu'une petite partie de la réalité - + 70% en moyenne pour les produits alimentaires de première nécessité) déclenche une explosion sociale qui sera réprimée avec une violence à la hauteur du défi (grève immédiate généralisée, pillages, attaques de siège du parti). Mais le gouvernement, face à la détermination des prolétaires, doit ce même 25 juin annoncer le report des hausses envisagées.

Dans une situation de crise mondiale qui ne fait que perdurer, le gouvernement polonais, pris entre les contraintes extérieures et les problèmes internes non résolus (un appareil productif vieilli ainsi qu'une résistance ouvrière se traduisant par une faible productivité) devra, en juin 1980, une nouvelle fois se résoudre à abaisser brutalement le niveau de vie des prolétaires. En refus à cette nouvelle attaque, les premières grèves sauvages éclateront à partir de début juillet, pour se généraliser aussitôt à l'ensemble de la Pologne.

Les caractéristiques de ce mouvement:

La conjonction de ces faiblesses, permettront la signature des accords de Gdansk, fin août '80 et ceux-ci donneront un coup d'arrêt au mouvement de grève, sans toutefois le défaire. En légalisant l'existence et le rôle joué par Solidarnosc, le gouvernement arrivera à obtenir une accalmie du mouvement gréviste pendant le mois de septembre, mais devant le vide des promesses et devant l'absence de tout changement réel de leurs conditions de vie, de nombreux secteurs reprendront la lutte durant les mois d'automne et d'hiver de l'année '80-'81. Durant cette période et très vite, Solidarnosc se révèlera être le pompier social qu'il avait eu l'ambition d'être depuis le début et, incapable d'apporter la paix sociale (les grèves larvées se poursuivront toute l'année '81), le gouvernement en place ne cessera de brandir la menace d'une répression violente, ce qui se produira vers la fin de la même année et plus précisément en décembre '81 quand Jaruzelski prononcera une interdiction légale à l'encontre de Solidarnosc (en réalité, les dirigeants de Solidarnosc n'auront jamais à subir la répression et celle-ci ne touchera que la base combative du syndicat) en même temps qu'il fera intervenir la redoutable Zomo contre les foyers de la résistance prolétarienne.

Les années suivantes, la situation restera marquée en Pologne par des actions diverses de résistance (sabotages, grèves larvées, désordres,...) dans la mesure où le prolétariat avait certes subi une défaite en décembre '81, mais point un écrasement (ou seulement un écrasement partiel). Par rapport à Solidarnosc, s'il paraît évident qu'il a gardé une certaine influence auprès de certains secteurs de la classe ouvrière, il est indéniable que sa politique ouverte de briseur de grève et de défenseur par excellence des valeurs nationales et capitalistes, l'a clairement désigné auprès de nombreux prolétaires comme ennemi, comme défenseur de la société capitaliste.

Si le prolétariat tire les leçons de ses échecs, il en va de même pour la bourgeoisie. Comme nous l'écrivions dans "Leçons des événements en Pologne":

"Au fur et à mesure que se détériorait la situation économique et sociale, le programme de réformes, de solutions de rechange, parvenait de moins en moins à se différencier des solutions avancées par le gouvernement lui-même; plus personne, ni "Solidarnosc", ni le POUP, ni l'Eglise,... n'était en mesure d'avancer une solution cohérente et réalisable, capable de restaurer l'ordre capitaliste, de remettre sérieusement les ouvriers polonais au travail. L'"état de siège" était le recours de la bourgeoisie mondiale avant que n'éclatent de nouveaux troubles sociaux qui, comme l'annonçait Walesa, auraient immédiatement débordé l'encerclement syndical, réformiste. Le prix à payer pour réaliser réellement et amplifier les réformes démocratiques était beaucoup trop élevé pour une bourgeoisie affaiblie et incapable de contrôler la production. D'autant plus que de telles réformes, aussi promotionnées soient-elles en Europe occidentale, ne donnaient toujours pas à manger aux prolétaires et ne parvenaient aucunement à enrayer la crise. C'est pourquoi aussi, la bourgeoisie américano-européenne, au-delà de ses discours libéraux, poussait, par l'intermédiaire de ses banques, l'Etat polonais à agir au plus vite, pour restaurer l'ordre capitaliste en Pologne. (...) L'ouverture apparaissait donc directement pour ce qu'elle était: un simple rideau de fumée lâché pour préparer la répression et la mise au pas des ouvriers. La faiblesse même de l'Etat bourgeois en Pologne -- faiblesse tant de sa structure économique que de la rigidité "socialiste" de sa dictature (rigidité renforcée par l'imbrication de l'Etat polonais, tant idéologique, financière que militaire, dans le bloc capitaliste de l'Est) -- rend impossible tout réel et durable processus de transformation libérale. La bourgeoisie polonaise n'a pas pu se payer le prix trop élevé du libéralisme, elle choisit le bonapartisme."

("Le Communiste" No.13. p.6)

Mais en optant pour cette solution "bonapartiste", avec l'appui de la bourgeoisie internationale, le gouvernement polonais n'obtient qu'une demi-victoire car, d'une part, le POUP se condamne ainsi à exercer seul la gestion du pouvoir, de l'économie et cela donc obligatoirement dans une certaine continuité avec les valeurs et idéologies qu'il défendait déjà auparavant sous peine de se saborder encore davantage; de fait cela lui interdira d'introduire les réformes radicales dont pourtant l'économie polonaise ne pourra plus se passer dans une situation d'aggravation permanente de la crise capitaliste au cours des années '80 et d'autre part, comme nous l'avons rappelé le prolétariat, dont la combativité n'avait que partiellement été entamée, ne se soumettra pas et sa résistance continuera à s'exprimer et à entraver sérieusement les différentes tentatives d'augmenter la productivité, de mise au pas, d'intensification de l'exploitation. Les luttes, dispersées, continueront. Et, de fait, les contacts et la coopération entre le gouvernement et l'opposition "clandestine" ne se démentiront pas non plus (c'est l'époque où Walesa qualifiera Jaruzelski d'"illustre homme d'Etat"), dans le but de venir à bout de la résistance du prolétariat et de définir et imposer une politique nationale et internationale viable.

Ce processus trouve un aboutissement le 19 août 1989 (suite aux élections de juin 1989) lorsque Jaruzelski, Président polonais, désigne un "opposant" Tadeusz Mazowiecki comme premier ministre d'un gouvernement d'union nationale (que la presse désignera un peu rapidement - dans un souci de mieux faire coller la réalité à ses schémas idéologiques - comme étant le "premier gouvernement non-communiste depuis 1948"... alors que les ministères de l'Intérieur et de la Défense (rien que ça) resteront dans un premier temps aux mains des ministres du POUP!). Le POUP décidera de son autodissolution en janvier 1990 et pour encore mieux servir "les polonais" il se transformera en Parti Social-Démocrate de Pologne. Le nouveau gouvernement, truffé d'opposants, d'experts, de démocrates du KOR,... ne perdra pas de temps; il se servira de sa crédibilité auprès de la population pour mettre aussitôt en oeuvre ses réformes "structurelles" qui imposeront une austérité draconienne aux prolétaires. A titre d'illustration (mais en fait il suffit de se référer aux déclarations des responsables politiques mêmes qui ne cachent pas les "sacrifices douloureux" qu'ils réclament de leurs sujets), à la fin de l'année 1990, le nombre de chômeurs dépassait largement le million, atteignant, pour certaines régions, 20% de la population active (suivant "Notes et Etudes documentaires" -Bouleversements à l'Est.) et un an après, 1,9 million (suivant "l'Etat du Monde - 1992" éd. La Découverte). Il s'agit là évidemment de chiffres officiels, dont nous devons nous méfier et que nous ne citons qu'à titre indicatif

Depuis, dans la suite logique de ce que nous annoncions en '80, Walesa est devenu Président de la Pologne et c'est lui maintenant qui peut directement envoyer les troupes de choc de l'appareil policier contre les prolétaires en lutte. Et décidément, ces ouvriers en Pologne restent particulièrement réfractaires aux contraintes de l'économie nationale (3).

Si nous nous sommes attardés sur le "cas" de la Pologne, c'est parce qu'une même dynamique touchera l'ensemble de la zone, à partir des années '80. Avec quelques variantes, avec des nuances d'intensité, les réactions de la classe bourgeoise et du prolétariat dans les autres aires géographiques de cette zone, obéiront à la même logique que dans le "cas" polonais (et d'ailleurs, il est évident que tous ces événements inter-agiront). Nous aurions donc tout aussi bien pu prendre le "cas" hongrois ou roumain et examiner comment l'Etat national et international y faisait face à la crise en changeant la forme de la domination capitaliste ("recrédibilisation" du personnel politique, changement de discours idéologique, rationalisation de la politique économique,...) afin de mieux réussir à imposer l'indispensable augmentation du taux d'exploitation et comment le prolétariat dans chaque zone tentait de résister aux attaques contre ses conditions de vie, par ses luttes marquées de toutes leurs forces et faiblesses, de tout l'héritage des défaites passées et de l'isolement, avec tout le manque de réappropriation de l'expérience historique ensevelie et défigurée.

Si nous avons pris le "cas" de la Pologne, c'est parce que le mouvement y a été précurseur d'une part (et tous les Etats prendront la Pologne comme un signal d'alarme et comme un terrain d'expérimentation d'où ils tireront toutes les conclusions utiles!), et d'autre part à cause de la massivité et la persistance de la combativité ouvrière dans ce pays.

A l'image de ce qui se passe partout dans le monde, c'est en Pologne que fut expérimentée à grande échelle, cette technique qui consiste à présenter une offensive contre la classe ouvrière en tant qu'"avancée démocratique" censée s'exprimer dans la soi-disant perte de pouvoir du parti unique local, en l'occurrence, le Parti "Communiste". Et de fait, il s'agit d'un renforcement de la démocratie capitaliste qui voit le prolétariat enchaîné plus fort encore au monde terroriste de la marchandise.

Néanmoins, il serait erroné de faire un parallèle simpliste entre la situation en Pologne et dans les autres pays, et de n'y voir que la répétition du même éternel scénario, ne fût-ce que parce qu'il y eut un approfondissement de la crise au cours des années 80, ce qui évidemment modifie aussi les conditions d'émergence des nouvelles crises locales. Et dans le jeu d'affrontements inter-impérialistes Est-Ouest, la transformation des équilibres par l'affaiblissement du bloc Est, se solde aussi par des modifications dans les visées géostratégiques des différentes puissances impérialistes, notamment dans ces régions, mais également mondialement. Ainsi, si la dynamique des événements est partout la même, malgré les spécificités locales, l'environnement (international) dans lequel surgira la crise en Yougoslavie par exemple se trouve sensiblement modifié.

Nous devons souligner que dans les autres pays de la région, c'est dans un laps de temps extrêmement court, entre le 19 août '89 (gouvernement d'union nationale en Pologne) et le 22 décembre '89 (renversement de Ceaucescu en Roumanie), c'est-à-dire en à peine 4 mois, que tous les régimes auront opéré leur mue. Ainsi nous pouvons évoquer le "cas" de la Tchécoslovaquie qui se situe pratiquement aux antipodes du "cas polonais", avec une "transition" toute en douceur (pour les bourgeois), ce qui fera déclarer à son Président Vaclav Havel que "ce que les Polonais ont mis dix ans à réaliser, les Tchécoslovaques l'ont obtenu en dix heures"! Cette citation d'ailleurs illustre bien la compréhension de la réalité de ce monde par les hommes politiques: en effet, Havel fait référence justement à ce que toutes les fractions bourgeoises qualifieront de "révolution de velours", à savoir, le changement de forme des superstructures de la domination capitaliste, la réforme de l'Etat, en éliminant de cette interprétation toute référence à la lutte de classe, a fortiori au projet communiste. Ainsi les politiciens renforcent la mystification qui entoure leur domination (car en réalité ils sont très conscients de l'existence de la lutte de classes et des antagonismes qu'elle recouvre, mais pour forger l'union nationale "du peuple" et suivant les circonstances, ils préfèrent ne pas s'en réclamer ouvertement), mais en même temps ils dévoilent ainsi les limites de leur propre projet, incapables de proposer aucune solution fondamentale susceptible d'éviter l'éclatement violent des contradictions inhérentes à la société capitaliste. En Tchécoslovaquie néanmoins, la bourgeoisie semble pour l'instant être en mesure de devancer le danger d'éclatement d'une crise, en menant à bien (c'est-à-dire dans le calme!) la partition du pays en deux Etats indépendants, reforgeant ainsi l'union nationale dans chacun d'eux. Du même coup, la classe dirigeante tchèque se prémunit du danger latent des revendications nationalistes de la minorité hongroise en Slovaquie et du risque que peut lui faire courir une exacerbation du nationalisme hongrois. L'élaboration d'une telle politique en Tchécoslovaquie répond directement à la déstabilisation grandissante de cette partie de l'Europe, dont la crise yougoslave est aujourd'hui devenue un symbole.

Pour mesurer l'ampleur des changements survenus dans l'ensemble de la zone, nous pouvons rappeler qu'ils conditionnèrent par exemple la disparition de la République Démocratique Allemande, principale partenaire économique de l'ex-URRS et aussi nation-clef dans la configuration militaire de l'ex-bloc de l'Est, avec l'intégration/absorption de son Etat dans l'Etat ouest-allemand.

L'éclatement des nations, la dislocation des anciennes constellations des pays,... correspondent à cette période actuelle de crise sociale où chaque fraction bourgeoise, sous l'égide de son Etat national, se voit contrainte, sous peine d'être marginalisée et éliminée par les effets conjugués de la concurrence inter-capitaliste et de la résistance prolétarienne, de se repositionner, de revoir les anciennes alliances avec d'autres fractions (héritage d'une période révolue), de se muer en "fraction réformiste", "démocratique"... Ainsi la volonté nationale de "s'émanciper" de la tutelle du "grand frère" russe, s'explique partout par la nécessité d'un tel repositionnement sur le marché mondial, c'est-à-dire, non seulement par la volonté de dénoncer les anciens accords politico-militaro-économiques qui antérieurement encore exprimaient clairement la prédominance de la puissance de l'Etat capitaliste en Russie sur l'ensemble de cette zone (puissance prédominante consécutive à la défaite en 1918 du mouvement révolutionnaire en Russie et au partage impérialiste tel qu'il résulta de la deuxième guerre mondiale), mais également par le souci de récupérer ainsi le sentiment national "anti-russe" (car synonyme d'oppression dans la conscience populaire) pour mieux forger l'union nationale si précieuse pour la réussite de toute politique d'austérité dans la paix sociale (rappelons-nous que la menace - supposée et réelle -d'une "intervention russe" en '80/'81 fut un facteur important de pacification des luttes ouvrières en Pologne !).

Nous ne sommes pas des adeptes du schématisme de certains "révolutionnaires" --et en fait nous nous y opposons-- qui reprennent à leur compte les catégories journalistiques et qui prennent pour argent comptant les fables que les politiciens et plus généralement l'ensemble de la classe bourgeoise racontent sur leur société. Ainsi leurs analyses sont truffées de références aux "réformistes" et "staliniens", aux "communistes" et "libéraux",... voir au "capitalisme d'Etat", au "marché libre" et autres concepts forgés par les idéologues de service (de préférence "marxistes"), sans jamais réellement soumettre à une critique radicale ces concepts idéologiques.

Aucun de ces concepts, soumis à la réalité des affrontements d'intérêt entre les classes antagoniques, ne résiste aux critères de la vérité historique: tous ces concepts se réduisent à des constructions idéologiques de la société pour asseoir et encore renforcer la domination de la classe bourgeoise, pour davantage enchaîner les prolétaires au joug de l'exploitation. Bon nombre de "staliniens" d'hier sont devenus les "réformateurs" d'aujourd'hui (et vice versa), les "libéraux" préconisent l'interventionnisme de l'Etat pour remettre de l'ordre dans les "sociétés éclatées"... toutes ces catégories se révèlent être au service de l'idéologie dominante (p.e. lors du spectacle de la tentative de "coup d'Etat" à Moscou en août '91 par tous les proches du "réformateur" Gorbatchev!) pour mieux obnubiler les prolétaires ébahis et pour invariablement justifier la politique d'exploitation que tous les Etats du monde doivent renforcer dans une situation de crise généralisée.

Si nous pouvons constater des moments d'alternance, des modifications dans la forme que prennent les divers gouvernements, faisant succéder (et combinant de la sorte) des périodes de répression intensive, de terrorisme étatique ouvert avec son lot de massacres, disparitions, interventions armées,... et des périodes de régime parlementaire, ce n'est nullement parce que ces deux expressions de domination seraient antagoniques et s'opposeraient au sein de la société bourgeoise (nous ne nous référons pas ici à l'idée que se font les différentes fractions bourgeoises de ces enjeux), mais bien au contraire parce que ces deux formes de domination sont complémentaires et co-existent en permanence au sein de la société bourgeoise car toutes les deux sont indispensables pour nier le projet communiste porté par le prolétariat révolutionnaire et pour imposer la dictature terroriste et démocratique de la valeur.

Les discours idéologiques qui font appel à des catégories de la science économique, sociologique, politique, philosophique,... lesquelles catégories seraient prétendument antagoniques entr'elles ("réformisme" et "stalinisme", "marché libre" et "planification",...) recouvrent donc aussi une partie de la réalité, mais uniquement en tant que forces matérielles au service de la bourgeoisie. Les reprendre à son compte de façon a-critique mène directement à faire le jeu de l'Etat, à renforcer encore les mystifications qui dominent les esprits des prolétaires. En étant partiellement vrai (la partie bourgeoise), ces concepts sont globalement faux (dans la globalité de l'affrontement entre bourgeoisie et prolétariat). Parmi les différentes formes de domination de l'Etat, aucune modification organique ne s'opère en réalité, mais il s'agit d'un processus de purification/renforcement de l'Etat pour mieux asseoir l'exploitation du prolétariat et la domination de la bourgeoisie.

Les retournements peuvent s'opérer rapidement ou lentement, les volte-faces peuvent être attendus ou surprenants,... mais aucune fraction ne peut se soustraire à la nécessité d'affronter la question sociale, de mener de front une guerre contre les conditions de vie du prolétariat, pour tenter d'échapper ainsi à l'inexorable verdict que la loi de la valeur (par la baisse du taux d'extraction de la plus-value --dévalorisation généralisée à l'échelle mondiale en période de crise) prononce à son encontre! Partout il s'agira pour l'Etat de liquider les quelques "protections" dont "bénéficiait" encore la main d'oeuvre locale, en pratiquant une politique dite de "vérité des prix", en instaurant des impôts et autres charges de toute sorte, en reconnaissant l'existence du chômage (qui existait donc auparavant, contrairement à ce que pouvaient affirmer les économistes tenants d'une "planification centraliste"), en "rationalisant" la production (fermeture des usines les moins rentables), en abaissant les salaires,... bref, en mettant partout davantage en concurrence les prolétaires en tant que vendeurs de leur force de travail.

Toute cette situation de crise économique, de crise sociale, de changements de forme, de réformes dans les superstructures de la société, d'attaques contre les conditions de vie des prolétaires,... à l'échelle de la planète, constituent donc la toile de fond pour examiner la genèse et le développement de la guerre en ex-Yougoslavie. Plus précisément, le cadre général auquel il s'agit de se référer pour y inscrire les événements en ex-Yougoslavie, c'est la situation de crise généralisée nécessitant des attaques toujours plus virulentes contre le prolétariat ainsi que l'éclatement des anciennes structures qui ne permettent plus d'encadrer les réactions prolétariennes. En corollaire, nous assistons donc à la mise en place de nouvelles formes d'encadrement, de nouvelles frontières (autant de barreaux... à notre prison), plus efficaces que les anciennes car moins déconsidérées par l'expérience passée. Partout, mais de façon plus accentuée encore aujourd'hui en Yougoslavie, ces nouvelles formes d'encadrement s'inscrivent dans des développements tactiques incontournables qui découlent d'une remise en cause des anciennes alliances interbourgeoises et qui se concrétiseront par la constitution de nouvelles constellations impérialistes.

C. Rappel historique: particularités des forces d'encadrement des contradictions sociales en Yougoslavie

Comme en tant d'endroits de la planète à la même époque, durant la 1ère guerre mondiale et en réponse aux orgies de massacres et de misère ininterrompue dont le Capital international s'était nourri pendant des années, cette zone "Slave du Sud" fût secouée par une vague de lutte très importante: au moment de la dislocation de la monarchie austro-hongroise, à la fin de 1918, la situation deviendra particulièrement explosive. Ce seront d'ailleurs le développement et la généralisation des luttes révolutionnaires à l'échelle mondiale qui mettront fin à la guerre (4).

Ainsi, par exemple, à Zagreb, des unités militaires entières revenant du front, manifestent et s'organisent dans le souci de généraliser la révolution internationale à la Yougoslavie (5). Cette révolte de ces régiments conduits par d'anciens prisonniers de guerre de Russie sera réprimée dans le sang. Partout le rôle joué par les soldats démobilisés et les prisonniers de guerre (ayant séjourné en Russie) sera primordial.

Les prolétaires en Serbie seront en continuelle révolte. En juillet 1919, à Marbourg, ce sont les réservistes du 45ème régiment yougoslave qui se mutinent; le même mois, à Varazdin, en Croatie, des défaitistes provenant d'un régiment de cavalerie, aidés par les ouvriers de la ville, emprisonnent leurs officiers et proclament la "Commune". A Esseg, en Slavonie, les prolétaires décrètent la grève générale et arborent le drapeau rouge à l'arrivée de l'armée française,... Dans les campagnes également, les prolétaires se soulèvent, expropriant leurs expropriateurs,... reprenant ainsi les moyens et buts de la lutte de leurs frères de classe partout dans le monde.

En conclusion de la première guerre mondiale et contre ce mouvement de lutte, se constituera la Yougoslavie, autour du royaume de Serbie, sous l'appellation de "royaume des Serbes, des Slovènes et des Croates". Les vainqueurs de la guerre comptent se servir de la nouvelle nation pour leur projet géopolitique dans la région et pour fixer en une entité politique une mosaïque de populations essentiellement mais non uniquement slaves, afin de stabiliser cette zone hétérogène. L'exemple des luttes révolutionnaires qui se déroulaient à la même époque en Hongrie toute proche (et dont l'enthousiasme se communiquait évidemment aux prolétaires au-delà les frontières), rendait une telle stabilisation inéluctable pour les différentes fractions bourgeoises de la région, comme pour l'ensemble de la bourgeoisie mondiale.

Dans son acte de naissance même, nous voyons déjà paraître la finalité de la nouvelle nation yougoslave: la création d'une entité qui sanctionne le rapport de force entre les différentes fractions du capital et qui masque la réalité de l'Etat national --dictature de la classe dominante-- en se présentant comme l'organisation unitaire et démocratique de tous les individus, exploiteurs et exploités! Comme pour toutes les autres nations, la nouvelle nation yougoslave emprisonnera les prolétaires derrière les murs de la défense de l'économie et de l'Etat national.

L'agitation révolutionnaire sera réprimée sans relâche par le nouvel Etat (répression violente de la grève générale des cheminots en avril 1920; répression du mouvement de révolte dans les campagnes); cela aboutira, en décembre 1920, à l'emprisonnement massif et la dispersion des militants ouvriers et à la défaite du mouvement révolutionnaire (et notamment à l'interdiction du Parti "Communiste").

Dans un contexte international de défaite historique du prolétariat révolutionnaire (défaite de la vague de lutte internationale de '17- '23) et d'exacerbation des antagonismes interimpérialistes, la boucherie généralisée d'une deuxième guerre mondiale pourra être enclenchée, propice aux repartages des richesses entre requins impérialistes, à une régénération vigorifiante du processus d'accumulation capitaliste (par les destructions massives des capitaux et marchandises excédentaires -y compris la marchandise force de travail), sans danger de voir interrompre ces festivités sanguinolentes par un prolétariat révolutionnaire. En effet, alors que dans les années '17-'23, c'est la lutte du prolétariat qui met fin à la guerre mondiale, après la terrible défaite qu'il subit par la suite, dans les années '20, le prolétariat fut impuissant à ressurgir de ses cendres.

Ici aussi, "le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" servira de justification et de levier pour préparer la guerre. En mars 1938, l'Etat allemand annexera l'Autriche sous prétexte de garantir le "droit à l'autodétermination des six millions et demi d'allemands vivant en Autriche". Et pratiquement à la même époque, afin de déstabiliser la Tchécoslovaquie, avec l'accord de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de la France (qui comptent ainsi canaliser l'expansionnisme de leur concurrent vers l'Est de l'Europe), l'Etat allemand provoquera l'agitation parmi les "allemands" des Sudètes (région qui se situait en Tchécoslovaquie, le long de la frontière allemande, peuplée de trois millions d'habitants d'origine allemande) en vue d'une sécession. Cette politique aboutira au dépècement de la nation Tchécoslovaque en mars 1939. En septembre de la même année, la Pologne sera annexée. En avril '40, le Danemark et la Norvège, la Hollande, la Belgique et la France. En mars/avril 1941 la Yougoslavie et la Grèce seront occupées. En Yougoslavie, l'armée royale se dispersera au premier coup de feu et le pays sera partagé entre les Etats allemand, italien, hongrois et bulgare. Après la création d'un nouvel état croate rallié à l'Axe, il ne restera de la Yougoslavie qu'une minuscule Serbie gouvernée par une fraction bourgeoise pro-allemande.

De nombreuses poches de résistance prolétarienne surgiront en Yougoslavie dès le début des opérations de guerre, s'appuyant souvent sur des structures communales ou claniques. Mais, dans le contexte de défaite profonde du prolétariat international, cette résistance prolétarienne ne connut pas beaucoup d'expressions propres affichant clairement ses objectifs de classe. Cette résistance fut canalisée dans les mots d'ordre de type antifasciste: "plutôt la guerre que le pacte", "plutôt dans la tombe qu'esclaves", mots d'ordre participant de la polarisation exacerbée des intérêts concurrentiels entre les diverses fractions bourgeoises et amenant les prolétaires à abandonner leur lutte contre la guerre pour tomber dans le soutien à tel front de guerre, à telles fractions bourgeoises, en opposition totale avec ses intérêts révolutionnaires de classe mondiale.

Deux grandes forces politiques entreprendront d'encadrer cette résistance qui s'était développée spontanément:

Les deux armées sont restées militairement plus ou moins équivalentes un certain temps et c'est surtout politiquement que le P"C" s'est imposé avant de liquider son concurrent avec la complicité tacite de Churchill.

Le P"C" a appliqué, conformément aux consignes de Moscou, la stratégie du front patriotique, allant jusqu'à fusiller les auteurs d'expropriations, les transformations sociales ne devant intervenir --d'après le programme stalinien-- qu'après la guerre avec la caution d'une élection. La force décisive de récupération du P"C" résidait dans la perspective fédéraliste de l'Etat, la seule qui eut pu restaurer une autorité stable dans la région, surtout après la défaite de l'armée royaliste en 1940.

Les forces royalistes dirigées par Mihailovic, bien que bénéficiant dans un premier temps de la sympathie des Etats occidentaux, étaient trop marquées par les intérêts nationaux serbes pour être en mesure de réorganiser un Etat cohérent. Dans ces conditions, cet investissement inamortissable fut abandonné à son sort. Cette armée royaliste coupée d'approvisionnement fut réduite puis massacrée avec d'autant plus d'acharnement qu'il fallait lui couper tout appui militaire pour ne pas modifier le résultat des élections, qui, dès la fin de la guerre, devait légitimer le pouvoir du Parti "Communiste" yougoslave.

Dès la fin de la guerre, l'appareil du P"C" calqua les structures de l'Etat sur le modèle soviétique. De ce moment date la genèse du mythe yougoslave qui, pour la première fois depuis la création de la nation yougoslave, correspondait à une adhésion massive des prolétaires embrigadés à la patrie. Cette identification idéologique à la patrie yougoslave, incarnée par le Parti "Communiste", fut d'autant plus facile à mener qu'au cours de ces cinq années de guerre, neuf armées différentes avaient mis à feu et à sang l'ensemble du territoire, laissant les prolétaires survivants disséminés, abattus, les familles disloquées et les cimetières bondés. La force du Parti "Communiste" yougoslave est d'avoir su incarner alors le projet d'un Etat stable et solide capable d'ouvrir une période d'ordre et de reconstruction et Tito s'imposa comme symbole de cette aspiration (signalons que Tito pouvait se prévaloir d'encadrer une armée forte de 800 000 combattants armés!). Comme tout nouvel élan de "reconstruction nationale", la fondation de cette "deuxième Yougoslavie" s'est faite sur base des exécutions sommaires, des persécutions de tous ceux qui n'entraient pas dans le rang, sur base d'arrestations, de déportations, d'intimidations,... bref, de toute la terreur qui caractérise l'essor d'un nouvel Etat.

La force qu'avait acquise le P"C"Y au cours de la guerre, grâce à ses positions patriotiques et nationalistes, conformément aux directives staliniennes, devint un handicap quant à sa capacité à suivre les revirements imposés par l'Etat russe. Le "front patriotique", au risque d'éclater, devait tenir compte des conditions nationales qui permirent sa domination: ainsi, il devait d'une part, garder son discours social pour se garder les ouvriers --du moins ceux qui n'avaient pas été liquidés pendant la guerre à cause de leurs positions réellement communistes-- et il devait en même temps coller aux aspirations des petits propriétaires et paysans ancrés dans leur nationalisme, tout cela pour s'assurer l'audience la plus large.

La nouvelle couche de gestionnaires de l'Etat, largement héritière du personnel d'avant-guerre et qui avait juste changé de discours, s'installa aux commandes avec la conscience de ne rien devoir à Moscou quant à sa "libération".

Lorsque Staline voulut, après la guerre, réaffirmer la prédominance de l'Etat russe sur l'ensemble des nations de sa zone d'influence, une nouvelle situation était née: l'URSS n'était désormais plus la seule "patrie du socialisme" puisque de nouveaux Etats à idéologie marxiste étaient nés. Il aurait été facile pour le chef d'orchestre de Moscou d'imposer sa discipline si les clowns qu'il avait installés aux directions des partis frères n'étaient pas eux-mêmes tenus par les contraintes que leur imposaient leurs propres conditions nationales, pour garder les rênes du pouvoir dans leurs pays respectifs. Ce n'est donc pas une question d'idéologie mais la contrainte d'une gestion directe de "leur" réalité qui imposa alors à ces partis d'élaborer un discours conforme à leurs intérêts immédiats.

Conformément à l'idéologie stalinienne, qui défendait jusque là, pour l'URSS, la notion de défense des intérêts nationaux d'un "Etat ouvrier", chaque nouvel "Etat ouvrier" pouvait défendre ses propres intérêts nationaux sans cesser d'être parfaitement en règle avec l'idéologie stalinienne, ce qui explique que Tito s'indigna qu'on l'accusât de déviation révisionniste. C'est dans ce contexte que surgit l'affrontement ou plus exactement "l'irritation" de Staline vis-à-vis de ce Tito qui de simple exécutant de sa volonté était devenu une personnalité du bloc stalinien international, ce qui, bien qu'aucune divergence ne les opposait, était devenu contraire à ses calculs.

L'autre aspect qui vint renforcer, malgré lui, l'image de Tito fut la composition même de la base titiste. L'appareil sur lequel reposait le pouvoir après la guerre était imbu de sa gloire militaire acquise par la force de ses propres armes. Une grande partie des troupes "communistes" disciplinées et inconditionnelles de Moscou avait péri au cours de la guerre et les nouvelles recrues toutes fraîches à l'idéologie "communiste" yougoslave étaient moins inconditionnelles aux diktats du "petit père des peuples".

L'épopée de l'Armée Rouge, qui était venue "libérer la Yougoslavie", c'est-à-dire qui était venue symboliquement jusqu'à Belgrade, avait laissé quelques profondes cicatrices: les troupes russes s'étaient conduites en pays conquis provoquant des incidents entre eux et la population "libérée" et même vraisemblablement certains affrontements armés limités.

Cette méfiance vis-à-vis de Moscou était d'autant plus réelle qu'on descendait dans l'échelle du Parti "Communiste" yougoslave et dans les couches prolétariennes. La pression de cette base interdisait à Tito, sous peine de perdre le contrôle, de céder ouvertement aux pressions de Moscou. Il se trouva contraint pour tenir son rôle et au fur et à mesure que se développait la pression de Moscou de se mettre en situation d'opposition. Il était en même temps suffisamment familier des méthodes moscovites pour comprendre le sort qu'on lui réservait en haut lieu dans le processus de cette escalade. L'histoire propre de la Yougoslavie n'avait pas permis aux inconditionnels de la domination de l'Etat russe de prendre suffisamment en mains les rouages de l'Etat. Ainsi, cet affrontement personnel dégénéra vite aux yeux des citoyens yougoslaves en un affront à leur sacrifice et à leurs luttes de résistance.

L'attitude de Tito placé par cette situation entre Moscou et sa propre base, fut de développer l'idée qu'il ne s'agissait que d'une erreur d'estimation de Staline, que ce dernier était en train de commettre une faute politique vis-à-vis de lui-même, car Tito, quant à lui, n'avait jamais dévié de l'orthodoxie stalinienne (apprise durant ses années d'exil à Moscou). Tito fut en fait le meilleur défenseur de Staline.

Dans ce contexte de rupture, la Yougoslavie fut contrainte de développer après la guerre sa propre "voie vers le socialisme" c'est-à-dire de se construire une identité idéologique sur mesure autour de laquelle elle puisse consolider son propre Etat terroriste sans craindre de se retrouver à moyen terme en situation d'asphyxie vis-à-vis du bloc russe. La particularité politique de Tito s'est exprimée dans deux axes:

Ces particularités "titistes" montrent l'intelligence politique de Tito en même temps qu'elle trahissent les limites de cet homme politique bourgeois qui, comme tous ses confrères, n'échappe pas aux impératifs de la gestion du rapport social capitaliste. Tito ne fait donc en dernière instance qu'exécuter fidèlement, telle une marionnette, non pas les ordres d'un autre homme éphémère comme Staline ou autre, mais les ordres de son maître absolu, le Capital. En ce sens, nous disons que les Tito, les Walesa, Khomeiny, Saddam et autres Mandela sont littéralement "désignés" par le rapport social capitaliste pour assurer une meilleure gestion de la société marchande.

L'importance des questions nationales, qui caractérisent les conditions idéologiques en Yougoslavie, n'est pas le fruit d'une irrémédiable complexité. Il s'agit simplement d'une expression concrète de la force de mystification, encore bien réelle, de l'Etat yougoslave. Cette pseudo problématique consiste, pour maintenir la cohésion de l'Etat, à l'asseoir sur les jalousies entretenues entre ses diverses fractions locales.

Cet affrontement latent d'intérêts nationaux entre les diverses républiques fonde la nécessité de l'Etat fédéral - c'est-à-dire de la patrie yougoslave - qui est le garant du respect de chaque particularisme. Chaque fraction locale de l'Etat fait ainsi reposer sa force sur la défense de son particularisme, entretenu dans son cloisonnement vis-à-vis des autres par la valorisation politico-culturelle de sa langue, de son histoire, de ses traditions... Cette "autorité" nommée Yougoslavie devient ainsi la possibilité de survivre en tant qu'entité particulière à chacune de ses composantes, face aux autres Etats et dans les conditions conflictuelles de l'économie mondiale.

Cette structure de l'Etat permet en retour un certain cloisonnement des tensions sociales qui peuvent surgir des différentes régions de la fédération. Le ciment historique de l'idéologie yougoslave est la lutte --dont la lutte armée et partisane fut un élément décisif mais pas exclusif-- menée par le P"C" contre les diverses armées qui ont pillé et disséqué le territoire avec ses habitants au cours de la deuxième guerre mondiale, unifiant par là les différentes composantes de la population "slave du sud". Cette lutte constitue, dans l'idéologie yougoslave, sa "révolution". En réalité il s'agit de la tentative capitaliste en Yougoslavie de renforcer le pouvoir local de l'Etat comme élément fondamental de sa domination et de la soumission des prolétaires à l'Etat-nation.

La question nationale yougoslave est en elle-même la réponse particulière formulée par le capital en Yougoslavie pour garantir ses conditions de développement après la deuxième guerre mondiale face à la faiblesse de l'ancien royaume de Yougoslavie. La structure fédéraliste plus tard renforcée dans le même esprit par les structures autogestionnaires, répondait à la nécessité de stabiliser et donc d'intégrer rationnellement à l'économie mondiale, un territoire hétérogène aux fortes traditions de résistance au centralisme qu'incarnait, entre les deux guerres, la classe politique serbe. Cette particularité de l'idéologie yougoslave la rend apte à mener les tensions sociales locales sur le terrain du nationalisme, en expliquant les raisons de la misère par les portions que s'octroient les autres dans la fédération et fait de chaque nationalisme particulier une force d'encadrement social.

Tout développement qualitatif des luttes en Yougoslavie se heurte ainsi directement au nationalisme, de la même manière qu'il se heurte, dans d'autres pays, au syndicalisme (ou à l'action conjointe des deux, saupoudré d'un peu de religion, de corporatisme...) comme force d'intégration à l'économie nationale.

D'une façon schématique, les discours idéologiques en Yougoslavie se divisent suivant deux principaux pôles d'influence géographique. Mais dans chaque région chacun des discours sert à enfermer la lutte des prolétaires dans des problèmes de concurrence de région à région et à enfermer toute préoccupation dans des politiques de réformes propres à cacher la communauté d'intérêt qui lie les prolétaires du monde entier contre toute préoccupation de gestion de l'économie, contre toute réforme de la société capitaliste.

D. Le contexte immédiat

Tito a eu la chance, pour sa légende, de mourir au bon moment. Sa disparition en 1980 coïncidait avec une forte poussée du capital pour rationaliser les conditions de l'activité économique à travers le globe, s'accompagnant aussi d'une homogénéisation des discours idéologiques (partout on mit en avant que "le communisme est mort" et que le salut dorénavant ne pourrait plus venir que "du marché et de la libre concurrence!"; voir aussi l'article "La Catastrophe Capitaliste" dans Communisme No.38.) Parmi l'héritage de Tito, l'un des derniers grands "héros" de la boucherie de 39-45, relevons la dette extérieure qui atteignait à sa mort le chiffre record d'à peu près 18 milliards de dollars (suivant l'Etat du Monde, 1992), dette qui dans ces années-là, avec la hausse des taux d'intérêt, allait immanquablement pousser la Yougoslavie vers la faillite.

La première contribution post-mortem de Tito fut d'assurer le rôle régulateur des instances centrales afin de contrer l'émergence d'une direction fédérale trop marquée par l'un des nationalismes yougoslaves. Cela s'est concrétisé par une structure collégiale du pouvoir fédéral accompagnée d'un processus électoral complexe mobilisant, pendant des mois, toute la panoplie des comités locaux, économiques, régionaux,... dont le but était, exactement de la même façon (éprouvée) que procéda l'Etat pour l'introduction des lois sur l'autogestion dans les années '50, de lier les citoyens au fonctionnement de l'Etat par une participation encore plus directe que dans les types démocratiques classiques de l'Est ou de l'Ouest. Cette structure collégiale du pouvoir fédéral, sous ses aspects bâtards et "bordéliques" a néanmoins atteint, pour un temps, le but recherché: un affaiblissement apparent de l'autorité du pouvoir central vis-à-vis des différentes régions ce qui, en retour, confirme la nécessité accrue de son rôle d'arbitre et de régulateur suprême de toutes les tensions locales. C'est de cette contradiction qu'il tire sa force et sa justification. Cette position lui a permis d'inscrire le mouvement idéologique avec une plus grande souplesse dans les nouvelles tendances générales qui s'expriment au niveau mondial et auxquelles sont invités à participer les "peuples" (terminologie bourgeoise faisant référence aux citoyens atomisés sans appartenance de classe, constituant prétendument des groupes homogènes) de la Yougoslavie.

Le réveil social

Le mouvement de paupérisation qu'engendre la restructuration du capital mondial, avait créé, ici comme ailleurs, les conditions objectives d'un indispensable réveil social.

Au mois de mars '89, durant plusieurs semaines, le Kosovo sera le théâtre de luttes de plus en plus massives et violentes. Une grève générale y paralysera également toute activité. Toutes les villes de cette "province autonome" seront touchées par une vague de luttes analogue à celle qui avait secoué l'Algérie quelques mois plus tôt. Dans un cas comme dans l'autre, les symboles et représentations les plus marquants de l'Etat seront pris comme cible par les prolétaires soulevés: des commissariats seront pris d'assaut; à Podujevo, le commandant de la milice (pourtant "de souche albanaise"... mais qu'importe pour les insurgés, puisqu'il est flic!) sera liquidé et un peu partout les forces de l'ordre essuyeront les coups de feu tirés depuis les toits des maisons, des trains seront attaqués, les magasins dévastés.

L'Etat (dans son expression fédérale et provinciale) riposte en décrétant, dès le 1er mars, l'état d'urgence dans la région et à partir du 27 mars par l'instauration d'un couvre-feu. Le lendemain du jour où les émeutes connurent leur paroxysme, c'est-à-dire le 28 mars, le Parlement de Serbie votera à l'unanimité la suppression presque totale de l'autonomie de la province du Kosovo (et de celle de la Voïvodine) dans le double but de pouvoir plus directement y écraser la révolte prolétarienne et de mieux la dévier (vers les polarisations nationalistes anti-albanais et anti-serbe) et ainsi récupérer le mécontentement en Serbie même.

Cette explosion de colère au Kosovo, était le point culminant d'une vague de lutte pratiquement ininterrompue qui, depuis '85, avec ses hauts et ses bas, balaya toute la Yougoslavie, tous les secteurs.

Ainsi, un journal yougoslave ("Studensk List" du 3/10/85) écrira:

"... Les informations de cet été nous rapportent qu'à peu près tous les jours, dans deux de nos entreprises, les travailleurs étaient en grève... En ce qui concerne les grèves de cet été, les groupes de hauts dirigeants (qui aiment rendre visite aux usines en grève) expriment leurs préoccupations à cause de nouvelles circonstances, qui étaient absentes dans les grèves précédentes. Cela concerne particulièrement le fait que les travailleurs à travers les grèves, manifestent leur mécontentement général et non plus seulement des revendications propres à leur entreprise. Concrètement, les travailleurs qui font grève, exigent des hauts responsables des Républiques et de la Fédération qu'ils trouvent une issue à la situation dans laquelle ils ont amené le pays..."(cité dans "Quelques ingrédients...").
Au début du mois d'avril 1987, dans le gisement houiller de Labin, se déroulera la plus longue grève recensée en Yougoslavie depuis la guerre et cela dans une situation de grèves généralisées qui toucheront l'ensemble du pays. L'Etat ne put venir à bout de cette grève qu'en réprimant les grévistes les plus déterminés et en concédant une hausse du salaire nominal de plus de 40% (les prolétaires revendiquaient des augmentations de l'ordre de 100%) et ceci surtout pour contrer une éventuelle union des prolétaires en grève, puisque au moment où la grève de Labin, dans le Nord-Est du pays, s'achevait, éclataient d'autres grèves dans des usines les plus variées, dans le Nord-Ouest du pays et sur la côte adriatique.

Dans certaines régions, des "groupes de travailleurs" se rencontrent pour coordonner leurs actions! Les prolétaires d'une aciérie bosniaque fondent un nouveau parti communiste ouvertement contre "le syndicat corrompu" et revendiquent "l'expropriation de la propriété de l'Etat et du Parti". Malheureusement, nous n'avons pas plus d'informations sur cette tentative de centralisation de la lutte. Partout les protestations se dirigent toujours plus contre "la mafia gouvernementale" et les banques étrangères. A la même époque, plus de 700 aciéristes en Slovénie commencent leur grève "contre la corruption et le mauvais management" avec une manifestation devant le parlement de la république. En juillet à Vukovar, 10 000 ouvriers d'une entreprise de souliers et de pneus font grève. 5 000 d'entre eux se rendent à Belgrade pour exiger le doublement de leurs salaires et la tête de l'ancien directeur (à présent ministre du commerce extérieur). Ils exigent en outre le renvoi de la direction ainsi que de tout le conseil municipal de Vukovar. Au même moment, des manifestations éclatent devant le parlement de la Croatie, à Zagreb. L'expédition des grévistes de Vukovar à Belgrade (deux autres luttes renouvelleront cette action à la même époque) constituait en quelque sorte une nouveauté dans la mesure où c'était la première fois durant cette vague de lutte que les prolétaires s'organisaient pratiquement pour s'extraire des limites régionales en allant non seulement crier leurs revendications au niveau le plus élevé de l'Etat, mais surtout en appelant sur place à l'unité avec les travailleurs de Belgrade. Une telle action nécessitait, de la part des prolétaires, un affrontement important par rapport à l'encadrement république par république, entretenu par les syndicats. Cette initiative impliquait donc l'ébauche d'une rupture vis-à-vis du nationalisme ambiant.

A ce moment-là, la presse officielle ne parlait jamais de grèves mais de simples "arrêts de travail" tout en informant que le gouvernement de Belgrade avait menacé d'utiliser les chars contre les grévistes faute d'un retour immédiat au calme.

Fin mai '88, en réponse à une nouvelle loi d'"encadrement des salaires", adopté le 15 du mois par les députés du parlement fédéral à Belgrade et qui devait entraîner une baisse de salaires de 20 à 45% suivant les secteurs, des mouvements de grève toucheront le secteur des transports et des mines (en Bosnie-Herzégovine et en Serbie). Plus de 10 000 prolétaires en lutte manifesteront à Belgrade "contre la vie chère". En octobre de la même année, des heurts violents auront lieu entre manifestants et unités spéciales de la police. Des ouvriers qui veulent marcher sur Titograd pour se joindre aux protestations sont arrêtés par la police. Pendant deux jours, la ville restera verrouillée par les unités spéciales. 12000 personnes participent à la protestation. Les manifestants exigent une "réforme économique" et des salaires plus élevés. Ce mouvement entraîne la démission du gouvernement. Il en va de même dans la province "autonome" de Voïvodine où le gouvernement face à la pression de la rue saute pour laisser la place à des gestionnaires plus compétents ou tout au moins déconsidérés. Le gouvernement menace de décréter l'état d'urgence au plus fort de la contestation ouvrière.

Ces multiples grèves viendront encore accentuer l'affaiblissement de l'économie yougoslave. En effet, pour donner une idée du niveau des luttes: si, en 1989, le taux d'accroissement annuel des prix de détail sera officiellement de 1256%, le taux d'accroissement annuel des salaires pour la même période sera de 1595%! C'est ainsi que, sur l'ensemble de l'année 1989, les revenus réels avaient pu augmenter de 25% (suivant Notes & Etudes documentaires No.4920-r1). Et les analystes de la même revue d'ajouter: "... une évolution difficilement acceptable dans une économie dite "en crise". Chômage et baisse importante du niveau de vie sont les prix à payer pour assainir la situation."

Nous ne donnons ces chiffres qu'à titre d'indication; en aucune manière ils ne permettent de mesurer l'aggravation du taux d'exploitation que subit le prolétariat en ce moment en Yougoslavie. Mais néanmoins ces chiffres peuvent nous donner une idée de la combativité et de la résistance qu'ont opposées les prolétaires à ce moment-là aux attaques contre leurs conditions de vie.

Nous devons relever les faiblesses qui caractérisent cette vague de lutte et qui deviendront un levier important que l'Etat exploitera pleinement pour imposer une défaite aux prolétaires. Notamment, la non apparition de tentatives d'organisation autonome de la part des prolétaires en lutte et cela malgré la durée et l'intensité des luttes et malgré le fait qu'un certain ras-le-bol des syndicats officiels perçait durant ces années d'affrontement avec l'Etat en Yougoslavie. Mais la critique des syndicats a souvent été limitée à une opposition à la "bureaucratie syndicale", réduisant la critique à une question de "mauvais chef" sans que, cela implique la lutte contre le caractère contre-révolutionnaire du syndicalisme en tant que tel avec par conséquent, une prise en charge des tâches d'auto-organisation, des actions classistes d'élargissement de la lutte, de centralisation du combat. Il existe en Yougoslavie une forte tendance à personnaliser les conflits et à agir contre des "personnes" en guise de lutte. Dans la plupart des cas, les luttes ne dépassaient pas le stade de la mise en cause du "mauvais syndicaliste", du "politicien incapable" ou du "cadre corrompu" en s'en prenant seulement à leur "mauvais travail personnel" et non à leur fonction! Aux yeux de l'Etat cela s'est avéré efficace et plus d'un "individu-bureaucrate" a ainsi été jeté en pâture à la colère des ouvriers pour protéger l'ensemble de la classe bourgeoise et du rapport social capitaliste. En réalité, il y eut très peu d'esquisses d'organisations classistes durant cette période.

Un deuxième facteur d'affaiblissement et qui constitue certainement un élément d'explication de la première faiblesse que nous évoquions ci-dessus, c'est le poids du nationalisme qui pesait sur les consciences des prolétaires. En effet, le mouvement de lutte n'avait pas marqué de rupture vis-à-vis de l'encadrement nationaliste, y compris lors des émeutes du Kosovo en 1989. Dans le contexte de la Yougoslavie, où la question nationale est l'arme par excellence avec laquelle l'Etat affronte le prolétariat, tout développement qualitatif doit d'emblée et impérativement se poser la tâche de la rupture effective, consciente, ouvertement assumée d'avec les forces d'encadrement nationaliste. Si la solidarité prolétarienne au-delà des frontières des différentes républiques trouva maintes occasions pour s'exprimer au cours de ces centaines de grèves et manifestations, cette solidarité ne s'est jamais transformée en des actions concertées, organisées contre les différentes forces nationalistes! Nous devons donc être prudents dans l'utilisation du terme "unitaire" ou "solidaire". La réalité de l'existence de nombreuses grèves simultanées et ce des années durant, est un fait. Cependant, l'expression immédiate de l'unité de lutte et de perspective, en dehors de la solidarité locale, ne s'est pas exprimée de façon conséquente en termes d'organisation et de centralisation. Y compris au Kosovo, où pourtant les prolétaires descendront armés dans les rues pour s'attaquer violemment à leur misère, toutes les potentialités d'extension seront castrées par l'Etat qui arrivera trop facilement à réduire les émeutes à une affaire strictement "albanaise".

Réformes économiques, politiques et sociales

Si cette vague de luttes constituera la réponse classiste du prolétariat à l'intensification des attaques qu'il endurait depuis le début des années '80, la classe bourgeoise également ne restera pas inactive et affrontera la nouvelle situation de crise par toute une série de mesures draconiennes qu'elle prendra sur les plans économique, social et politique.

La crise économique ne se déclara ouvertement en Yougoslavie qu'en 1979. Jusque là, les mécanismes spécifiques de la "planification centraliste" des pays du bloc russe ainsi que les particularités du "socialisme auto-gestionnaire" de la Yougoslavie, permettront à l'économie yougoslave de s'adapter aux conséquences de la crise mondiale. Mais il est évident que les différents facteurs (protectionnisme, dirigisme centraliste) qui peuvent permettre et qui en réalité ont permis dans cette zone de repousser les effets de la crise mondiale du capital, ne font que retarder un éclatement encore plus violent des mêmes contradictions capitalistes, ultérieurement. C'est en cela que pour le communisme révolutionnaire "auto-gestion", "planification économique" ne sont que des leurres, des mythes qui visent en premier lieu à attirer les prolétaires vers l'acceptation de leur condition dans la société bourgeoise et qui en réalité, au-delà des prétentions et au-delà des variations à court terme dans les formes que revêt l'exploitation, n'apportent aux prolétaires rien d'autre que la misère capitaliste, à savoir toujours plus d'exploitation et de guerres.

Dès le début des années '80, en Yougoslavie, les courbes de croissance s'inversent, le chômage se développe, la dette extérieure explose, l'inflation galope (jusqu'à atteindre un taux record de 2685% par an, c'est-à-dire que tous les mois les prix doublent!). Avec le début des années '80, apparaissent aussi les premières pénuries des produits de première nécessité: coupures de courant, manques d'essence,...

"Le déclin du niveau de vie a été si grand qu'il est difficile d'imaginer un autre pays qui n'aurait réagi à cette situation par des changements politiques radicaux, ou même par une révolution." (H.Lydall "Yougoslavia in Crisis" - 1989, cité par Paul Garde dans "Vie et mort de la Yougoslavie".)

Durant toute cette période, le gouvernement Yougoslave tentera d'"accompagner" la situation de crise, avec des mesures d'austérité, des programmes de stabilisation économique,... le tout sous l'égide du Fond Monétaire International qui compte bien veiller aux intérêts des capitaux investis en Yougoslavie.

Mais, comme nous l'avons évoqué ci-dessus, dès 1985 ces mesures provoqueront une riposte massive de la part du prolétariat ce qui ne fera que rajouter aux difficultés de la situation économique.

Parmi les dernières réformes en date, relevons celles de décembre 1989, introduites après des nouvelles baisses en volume de la production industrielle yougoslave, après une nouvelle augmentation du chômage, l'accroissement des pénuries, l'inflation,... et une "explosion" des salaires consécutive aux luttes. Cette nouvelle réforme portera les marques de la crise qui secouera violemment la Yougoslavie à peine un an plus tard, car en introduisant ces réformes pour attaquer de front le prolétariat, l'Etat fédéral affirmera en même temps son ascendant sur les républiques constitutives de la Yougoslavie. Le nouveau Premier ministre fédéral, Markovic, introduit un plan qui prévoit le blocage total des salaires et un blocage partiel des prix, la création d'un "nouveau dinar", convertible et rattaché au mark allemand, une politique monétaire restrictive (limitation des crédits) et une nouvelle politique fiscale (ponction sur les salaires, augmentation du budget de l'Etat central). Il ressort clairement de ces réformes que l'Etat cherche à assainir l'économie, c'est-à-dire à réduire la part de valeur consacrée aux salaires et à imposer des augmentations de la productivité en éliminant (par la suppression des différents mécanismes de protection susceptible de répartir sur l'ensemble des entreprises les effets de la concurrence internationale, ou, comme le dira Markovic "en aidant les entreprises qui affichent des bons résultats et en laissant les mauvaises assumer les conséquences de leur incapacité") les entreprises déficitaires (déficitaires du fait qu'elles étaient incapables de bouleverser durablement le statu quo dans l'opposition intérêts de l'entreprise intérêts des prolétaires). Le gouvernement fédéral prévoyait que 150 000 personnes supplémentaires se trouveraient sans emploi après un an seulement d'application des nouvelles mesures. En même temps, les indicateurs économiques officiels affichaient déjà une baisse des revenus salariés réels de 9% pour le mois de décembre 1989 et de 29% pour le mois de janvier 1990.

Par ces nouvelles réformes l'Etat fédéral affirme ses prétentions à dominer la vie politique et économique dans les différentes républiques, avec le souci de mieux contrôler la situation sociale. Cette solution "centraliste" (que nous pouvons aussi appeler "serbe" (6) tant elle correspond directement et pour des raisons historiques aux intérêts de la bourgeoisie de cette république) avait encore l'appui de secteurs importants de la société yougoslave, par exemple au sein de l'armée, dans les différents républiques y compris en Slovénie et en Croatie, mais aussi internationalement. Mais force est de constater que ces mesures draconiennes visant à encadrer les antagonismes qui secouent la société yougoslave, viendront trop tard pour permettre à l'Etat fédéral de survivre. Si sous l'effet de la crise les fractions bourgeoises des différentes républiques verront de plus en plus leur salut dans l'affirmation de leur indépendance face aux prétentions de l'Etat fédéral à juguler leur souveraineté, c'est surtout par l'intervention internationale et notamment par la politique impérialiste des puissances occidentales, que cette "option centraliste" deviendra caduque et que le jeu habituel des confrontations nationalistes en Yougoslavie débouchera sur le conflit armé.

S'il est clair que cette question des "républiques autonomes" de la Yougoslavie constitue une force idéologique de première importance contre le prolétariat, nous avons voulu souligner, à ce niveau précis de notre analyse, qu'elle coïncide aussi et en partie avec des intérêts économiques propres à telle ou telle république en particulier et de ses fractions bourgeoises correspondantes. Loin de vouloir analyser ses particularités en tant que particularismes propres à mener les prolétaires sur le terrain de quelconques "tâches spécifiques" comme le préconise souvent l'extrême-gauche bourgeoise, toujours en mal d'agitation et de popularité, nous les analysons dans le but de mettre en lumière la complémentarité entre et la convergence d'intérêts que partagent les différentes fractions bourgeoises face aux nécessités d'affronter un prolétariat internationaliste qui n'a pas d'intérêts régionaux ou nationaux à défendre.

Les prémisses de la guerre

C'est dans ce contexte immédiat que se produira l'éclatement de la Yougoslavie. Il y a à cela donc deux éléments essentiels d'explication: le premier, c'est justement la situation de lutte, le manque d'adhésion des prolétaires à l'économie nationale, aux intérêts de la nation yougoslave. Il serait faux de ne vouloir voir ici que les différentes luttes que nous avons brièvement évoquées ci-dessus. Non, nous faisons avant tout référence ici à la situation historique en Yougoslavie (et que nous avons déjà évoqué ci-dessus, en point A.) et dont aussi bien le prolétariat que son ennemi historique, l'Etat, héritent et qui forme le cadre organique dans lequel se jouent les affrontements d'aujourd'hui. Cela ne nécessite pas d'autres développements si l'on songe tout simplement au fait que "la spécificité" yougoslave par exemple (autogestion, non-alignement) s'explique justement, comme nous l'avons vu, par la situation particulière en Yougoslavie à la sortie de la deuxième guerre mondiale (comme d'ailleurs toujours les différentes concrétisations dans tel ou tel zone trouvent leur explication dans le passé d'affrontements historiques entre les deux classes antagoniques de la société capitaliste dans la zone donnée).

Ce sera avant tout ce manque d'adhésion des prolétaires à l'intérêt national qui aura déterminé l'Etat capitaliste (dans ses différentes expressions régionales, croate, slovène, serbe, bosniaque,...) à ne pas reculer devant la mise en oeuvre de politiques beaucoup plus radicales pour la défense de ses intérêts: réformes draconiennes "de crise", "démocratisation" (nous employons le drapeau utilisé par la bourgeoisie dans ses campagnes, pour faire référence au renforcement de l'atomisation, du chacun pour soi, de la mortelle concurrence entre prolétaires, du règne de la citoyennisation et de la terreur, bref, à une désintégration avancée du prolétariat, au renforcement de la terreur démocratique propre à la dictature généralisée de la marchandise) et nationalisme, guerre (enrôlement de force, réquisitions, emprisonnement et liquidation des réfractaires, militarisation de l'ensemble de la société,...).

Le cadre de la nation yougoslave se révèlera être dépassé pour faire efficacement face au prolétariat dans ces régions. Le déclenchement de la guerre inter-impérialiste dans cette zone permettra à l'Etat capitaliste mondial de noyer les antagonismes de classe qui déchirent sa société dans des massacres généralisés où les prolétaires s'entre-tueront, et de faire ainsi un pas en direction de la solution bourgeoise à la crise de surproduction de valeurs.

Le deuxième élément, primordial et qui est directement lié au premier dans la mesure où il n'échappe pas non plus au contexte historique dont il est le produit, mais qui se trouve subordonné au premier facteur (dans la mesure où les antagonismes interbourgeois passent toujours au deuxième plan face au surgissement révolutionnaire du prolétariat, c'est-à-dire que les différentes fractions bourgeoises arrivent toujours - sous peine de se faire éliminer - à faire abstraction de leurs intérêts particuliers et à réaliser leur unité de circonstance face au communisme pour faire prévaloir l'intérêt suprême de sauvegarde de leur monde de l'argent, du salariat et des marchandises) concerne la compétition exacerbée entre les différentes fractions bourgeoises qui se livrent une guerre sans merci pour ne pas être au nombre des perdants dans la concurrence qui les oppose sur le marché mondial (loi de la valeur universelle qui sanctionne les capitaux dans les secteurs non rentables par leur dévalorisation pure et simple).

C'est cette exacerbation des oppositions d'intérêt entre les nombreuses fractions bourgeoises et entités capitalistes et ceci directement à l'échelle internationale où ces antagonismes s'exprimeront entre autre par l'appui des différentes puissances à telle ou telle partie en présence sur le territoire de la Yougoslavie et des Balkans, couplé à la situation générale du manque d'adhésion des prolétaires à l'économie nationale, qui seront la cause profonde de la déflagration inter-impérialiste en Yougoslavie. Nous pouvons déjà souligner ici (nous y reviendrons plus loin) que la phase "militaire" de l'explosion en Yougoslavie a été directement cautionnée et encouragée par le processus de reconnaissance internationale de l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Et que donc l'orchestration de la guerre et des massacres entre prolétaires n'est pas simplement l'expression d'une crise interne à la Yougoslavie mais correspond à la direction qu'ont donnée à cette crise les puissances impérialistes occidentales. Comment donc ne pas voir là les mêmes termes de ce qui se joue actuellement par rapport à tous les autres pays de la zone, y compris à l'ouest.

Exacerbation des antagonismes interimpérialistes

Nous avons déjà signalé les disparités existantes (dans les domaines économiques, politiques, sociaux, culturelles,...) entre les différentes républiques. La situation de crise, loin de diminuer les disparités régionales va encore voir s'accroître ces disparités.

Disparités, entre la Slovénie par exemple, qui est la république la plus industrialisée où les prolétaires de la Bosnie et du Kosovo servent de main d'oeuvre immigrée, où le niveau de vie "occidental" est largement supérieur à celui des républiques du Sud et où l'idéologie locale charrie la fierté de sa réussite économique, et d'autre part la Serbie, dont la base économique "intérieure" est dépourvue de la solidité de celle des régions du nord, mais qui historiquement constitue le pôle autour duquel s'est érigé l'Etat yougoslave et dont les intérêts coïncident beaucoup plus avec le destin de la Fédération yougoslave. Les dirigeants serbes assoient fièrement leur nationalisme sur la conscience d'être le ciment politique de l'entité yougoslave. La prédominance de la Serbie est donc en premier lieu politique. L'héritage de sa fonction centraliste s'exprime par un certain discours sur les "intérêts supérieurs de la Yougoslavie" qu'elle assume. Sa situation dans la fédération en fait l'arbitre obligé entre les républiques du nord et les républiques du sud. Elle abrite à Belgrade, sa capitale, toutes les instances fédérales.

C'est sur cette base objective des disparités dans le développement économique, politique, social et historique, que les fractions bourgeoises et le personnel dirigeant de chaque république pourront asseoir leur propagande nationaliste, exactement de la même façon que nous assistons aujourd'hui, dans une période de crise exacerbée, à une évolution similaire en Belgique ou encore en Italie, au Cameroun, dans l'ex-URSS ou ailleurs. Ainsi, la bourgeoisie slovène par exemple, consciente de sa position économique dans la fédération et ayant dans un premier temps largement bénéficié de la crise économique, subit d'autant plus douloureusement l'arrivée des vaches maigres. Cela se traduira, bien plus nettement qu'en Croatie, par la montée nationaliste qui présentera la crise comme le résultat de la facture que la fédération tente de lui faire payer pour ses "erreurs de gestion" (lors des élections de '90, la coalition slovène "Démos" aiguisera encore le nationalisme des citoyens en exploitant habilement les préjugés très répandus au sujet du montant supposé injuste des impôts dont la Slovénie devait s'acquitter au profit du budget fédéral et donc indirectement de la Serbie). La bourgeoisie en Slovénie encouragera le développement d'une volonté nationale slovène créant une force de pression en perspective de l'ouverture vers l'ouest où elle effectuait déjà une partie importante de ses échanges commerciaux. Cette fraction bourgeoise est aussi celle qui a toujours su le mieux utiliser les contradictions sociales dans le sens de l'adaptation de son appareil politique. C'est aussi ce qui explique qu'elle a été la première, en Yougoslavie, a légaliser les grèves, les syndicats indépendants et les partis politiques multiples. Ce qu'elle a largement utilisé pour affirmer sa différence d'avec ses homologues "arriérés" du sud.

Dans ce domaine, celui des antagonismes interimpérialistes, nous assisterons aux heurts entre deux forces opposées. Une force centrifuge qui exprime la tendance des différentes républiques à s'affranchir de la tutelle centraliste du gouvernement fédéral. Une autre force, centraliste, centripète et qui cherchera au maximum à préserver la nation yougoslave comme son espace productif propre et cherchera pour cela à affirmer sa prédominance (y compris au moyen de concessions au vu du rapport de forces existant et évoluant) dans chaque république. La confrontation entre ces deux forces opposées se double de l'affrontement d'intérêt entre chacune des républiques. Et au fur et à mesure que l'affrontement entre les forces politiques bourgeoises des républiques et de la fédération yougoslave perdra de son impétuosité (par exemple par le démantèlement partiel de la Yougoslavie), il cèdera la place à l'affirmation et à l'éclatement des antagonismes entre les différentes républiques. La bourgeoisie en Serbie utilisera d'ailleurs --pour les raisons historiques que nous avons déjà évoquées-- la fédération, son appareil politique, son armée, ses institutions, son idéologie,... comme outils efficaces pour mieux promouvoir ses intérêts propres en tant que fraction bourgeoise particulière.

Nous ne devons pas perdre de vue que l'éclatement des antagonismes inter-bourgeois en Yougoslavie même n'est qu'une expression de la situation générale de mûrissement des contradictions mortelles qui traversent la société bourgeoise. Si nous pouvons trouver dans la situation historique propre à la Yougoslavie toute une série de raisons qui expliquent l'éclatement violent de ces antagonismes avec toutes leurs concrétisations dans ce pays, nous devons souligner que la guerre en Yougoslavie reflète une situation similaire dans nombre d'autres régions de l'Europe orientale (7), comme dans les autres pays balkaniques et dans les républiques anciennement soviétiques où des guerres larvées et/ou ouvertes font déjà rage, comme en Transcaucasie (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Lituanie, Estonie, Lettonie,...), mais également sur d'autres continents et cela nous montre que cette situation correspond à l'aggravation mondiale des tensions entre les différentes puissances impérialistes et nécessite PARTOUT l'embrigadement des prolétaires, à chaque fois sûrement à travers "les particularités" de leur situation régionale, au sein des différents fronts de la guerre impérialiste.

Les frontières politiques et géographiques de l'Europe orientale sont le résultat du rapport de force entre les adversaires successifs de la première, puis de la deuxième guerre mondiale. Mais ces rapports de force se trouvent aujourd'hui ébranlés (affaiblissement de l'URSS, puissance économique de l'Allemagne), et de ces nouveaux déséquilibres découlent une fragilisation des anciennes frontières et une tendance irrésistible à bouleverser celles-ci.

Il est relativement aisé de constater, à travers le positionnement des différentes puissances vis-à-vis du conflit en Yougoslavie, les rivalités d'intérêts qui motivent chacune d'entre elles. En Europe plus particulièrement, le conflit en Yougoslavie a été révélateur des intérêts concurrents entre les nations. Les efforts de l'Allemagne (avec l'Autriche) pour obtenir au plus vite la reconnaissance internationale de l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, outre que cela correspond aux intérêts historiques de l'Allemagne dans la région, révèle clairement les ambitions allemandes comme puissance mondiale de première ordre et cela à un moment où l'Allemagne affirme son rôle de locomotive de l'Europe, réexamine dans ce cadre son potentiel militaire,... et tout cela dans un contexte où les négociations sur les accords de commerce international (GATT) montrent l'exacerbation des rivalités entre les USA et l'Europe. Nous pouvons affirmer que la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie, au-delà de sa signification immédiate, symbolise pratiquement la mise en cause des anciennes frontières et d'ailleurs a été le facteur primordial du déclenchement de la guerre en Yougoslavie et de son internationalisation. En quelque sorte, cette reconnaissance fut le signal international de l'ouverture d'une nouvelle étape dans les rapports inter-impérialistes en Europe et dans le monde et de l'intensification des affrontements entre les puissances impérialistes. Contre la vision bourgeoise qui "accuse" telle ou telle fraction, programme politique, homme d'Etat,... d'être la cause de la guerre, nous réaffirmons que toutes les fractions bourgeoises, tous les Etats capitalistes, que l'Etat capitaliste mondial est directement responsable de la guerre qui se déroule actuellement en ex-Yougoslavie (et ici nous ne faisons évidemment pas référence à la conscience ou la volonté subjective qui opposent les différentes fractions bourgeoises!)

La France --copromoteur avec l'Allemagne de l'unité européenne dans le but, elle aussi, de réconforter ainsi sa place de puissance parmi les requins impérialistes au sein d'une Europe unie puissante-- s'est trouvée en porte-à-faux avec l'Allemagne sur la question Yougoslave (ainsi la diplomatie française persistera à promouvoir les intérêts d'une "Fédération Yougoslave" des longs mois après que l'éclatement de celle-ci soit déjà entrée dans les faits!) dans la mesure où elle se trouve de plus en plus distancée par son concurrent direct en Europe. L'Italie et la Turquie également ont des intérêts bien spécifiques d'ordre économique et géopolitique dans la région et ce sont donc l'ensemble de ces antagonismes qui ont déterminé l'incapacité de la CEE --en tant qu'entité politique-- à peser de façon autre qu'anarchique sur le déroulement des événements en Yougoslavie. Sans mentionner les antagonismes entre fractions bourgeoises qui au sein de chaque nation s'affrontent également et qui constituent souvent un facteur de paralysie pour sa politique extérieure. Et sans mentionner que dans la mesure où la guerre en ex-Yougoslavie préfigure l'éclatement de conflits similaires dans les régions limitrophes, toutes les puissances régionales (Iran, Grèce, Russie, Hongrie, Roumanie,...) s'y intéressent et y soutiennent directement ou indirectement les factions dont les intérêts convergent le plus avec les leurs.

Ici se révèle l'anarchie même qui régit les rapports au sein de la société bourgeoise. Face à la menace du surgissement violent de son ennemi historique --le prolétariat révolutionnaire-- la bourgeoisie est capable de fomenter son unité et de, momentanément, faire taire ses rivalités incontournables. Mais en dehors de cette nécessité impérieuse pour sa propre survie, la bourgeoisie mondiale est incapable de maîtriser les antagonismes qui déchirent ses différentes fractions concurrentes. Mais comme d'autre part, l'éclatement de ces conflits est, pour elle, une solution --momentanée-- à l'explosion de ses contradictions économiques et sociales, à court terme, le type de guerre que mène la bourgeoisie en Yougoslavie constitue un réel précurseur des guerres qu'elle se propose de mener à l'échelle de la planète.

Pour analyser la situation de guerre, nous ne devons pas confondre la conscience que peuvent avoir les différentes fractions bourgeoises de la réalité contradictoire de la société capitaliste (telle qu'elle s'exprime dans leurs discours et telle qu'elle nous est répercutée jour après jour par les médias) avec la réalité des tendances irrésistibles qui déchirent cette société et dont les bourgeois n'aperçoivent que partiellement les enjeux.

Ainsi telle ou telle alliance conclue aujourd'hui entre fractions bourgeoises et qui sera idéologiquement justifiée à travers les discours habituels sur la fraternité, la paix, les rapports anciens et privilégiés,... éclatera demain sous la pression des intérêts contradictoires de chaque fraction (nous pensons par exemple à l'alliance fragile entre la Croatie et la Bosnie-herzégovine, ou encore entre la Serbie et les différentes institutions de la fédération yougoslave et nous pensons également à la fameuse "construction européenne").

De façon plus générale, nous devons bien distinguer d'une part la réalité même des antagonismes inter-impérialistes qui, historiquement, constituent les conditions "naturelles" du développement du capital, menant à l'exacerbation permanente de toutes les contradictions au sein de la société et d'où surgissent les luttes communistes ("... du sol de la société moderne", de sa putréfaction) et d'autre part, la conscience que la classe bourgeoise peut avoir de sa propre réalité et dont évidemment la perspective de son propre anéantissement par le mouvement communiste est absente!

La dénonciation, par les fractions communistes, de la guerre capitaliste en tant que guerre interimpérialiste contre le prolétariat, et la mise en avant conséquente de l'internationalisme prolétarien comme unique réponse valable contre la paix et la guerre impérialistes, ne peut se réaliser qu'en critiquant, en luttant contre l'embrigadement idéologique que l'Etat capitaliste mondial organise pour rallier le prolétariat à sa société de misère et de massacres systématiques. La défaite du prolétariat et son écrasement dans/par la guerre impérialiste, tels qu'ils s'expriment aujourd'hui partiellement en ex-Yougoslavie, s'expliquent en revanche par la soumission du prolétariat aux idéologies bourgeoises et par la négation de ses propres intérêts de classe, sa dispersion/atomisation au sein des différents fronts bourgeois.

Pour le prolétariat dans cette région, comme partout et toujours, il n'existe qu'une seule perspective réaliste: la réappropriation de ses objectifs et moyens de lutte révolutionnaires tels qu'ils se sont historiquement affirmés, antagoniquement au développement du capital mondial. La lutte contre la guerre et contre le nationalisme se mène en organisant le défaitisme révolutionnaire par des actions oeuvrant à la défaite de son propre camp et à la solidarisation avec les prolétaires "d'en face", par le retournement des fusils contre les officiers, la fraternisation,... et tout ce qui va dans le sens de l'affirmation de l'internationalisme militant.

L'éclatement de la nation yougoslave

Nous avons déjà indiqué pourquoi les différentes fractions bourgeoises en Yougoslavie avec leurs expressions politiques respectives, auront recours, à partir de la deuxième moitié des années '80, à des politiques beaucoup plus radicales pour la défense de leurs intérêts propres. Il nous reste à indiquer le comment.

Nous pouvons éclairer ici un aspect qui aura son importance dans le déroulement des événements des dernières années et qui sera utilisé à volonté par chaque fraction bourgeoise, à savoir la "perestroïka" à la yougoslave, c'est-à-dire la nécessité pour l'Etat capitaliste en Yougoslavie (nécessité au vu de la situation de crise économique et au vu des indispensables réformes et attaques contre les conditions de vie du prolétariat) de se restructurer et de restructurer la société à l'aide d'une sorte de "révolution culturelle" afin de sortir de l'impasse, de la même façon que nous avons pu le constater dans tant d'autres pays cette dernière décennie.

L'Etat ne pourra raisonnablement espérer mener d'autres attaques contre un prolétariat déjà durement éprouvé que s'il est en mesure d'avancer des nouvelles justifications crédibles. Ces justifications se résument en général dans la perspective d'un avenir meilleur, mais plus précisément par les promesses d'un changement dans le domaine politique et économique. Mais de tels changements se heurtent aux intérêts des hommes anciennement en charge de la gestion politico-économique, car un changement de forme de la domination capitaliste implique le changement de ces hommes. Ceci induit donc l'éclatement de tensions au sein de l'appareil d'Etat, au sein du personnel politique. Pour y faire face, il sera de l'intérêt de ces différentes factions bourgeoises, représentatifs chacune de "leur" secteur capitaliste particulier, de non seulement adopter un changement de nom, d'étiquette, de discours, de "look", mais également de tenter de dévier l'hostilité des citoyens à leur égard (en tant qu'anciens responsables de la situation) vers des échappatoires, vers d'autres coupables, vers des boucs émissaires.

Le procédé est donc relativement simple et éprouvé: il s'agit pour les politiciens de se refaire une virginité en changeant de discours et de regagner l'appui de la population en ressuscitant l'enthousiasme national (ou sélectif, suivant les objectifs que l'on poursuit) dans une mobilisation contre un quelconque adversaire que l'on aura eu le soin auparavant de bien désigner comme étant à l'origine de tous les malheurs (en se basant sur des pages de l'histoire passée quand le prolétariat était défait et absent de la scène sociale et quand donc les perspectives bourgeoises dominaient également!)

C'est l'opération que réaliseront les dirigeants de la Slovénie et de la Croatie, en accusant la fédération et par conséquent la Serbie, d'être responsable de la situation dans leurs républiques. Et c'est aussi l'opération que réalisera le président de la Ligue "Communiste" de Serbie, Slobodan Milosevic. Il saura lui aussi choisir les thèmes politiques qui lui garantiront un large soutien parmi la population et qui lui donneront la force et la crédibilité (la paix sociale!) pour se positionner favorablement face aux fractions bourgeoises concurrentes.

A partir de 1986, en Serbie, le président de la Ligue "Communiste" de cette république, relève le défi de mener une sorte de "révolution culturelle" dans le but de fomenter l'union nationale au sein de sa république, pour --sur base d'un pouvoir populaire reconquis-- redistribuer les cartes parmi les différentes républiques et pour tenter de résoudre ainsi les blocages qui maintenaient la société yougoslave immobile face à la situation de crise. Cette "révolution" bourgeoise a coïncidé avec les premières luttes d'envergure du prolétariat en Yougoslavie.

La campagne que mènera Milosevic s'articulera autour de deux axes: une campagne "antibureaucratique" et une campagne de protestation contre le sort fait aux habitants serbes du Kosovo.

Le premier thème recoupera la même propagande que l'on entend un peu partout dans une période de crise, à l'Est comme à l'Ouest, au Nord comme au Sud, c'est "la lutte contre les gaspillages et la corruption, contre les privilèges,..." et cette campagne servira surtout, outre à rassembler la grande masse des citoyens serbes, du fait de son contenu populiste et démagogique (Milosevic déclara que "le conflit avec la bureaucratie a le caractère d'un conflit de classe"!), à préconiser une importante dérégulation de la société, l'acceptation et la reconnaissance des règles de la compétition internationale "sans entremise politique". Il s'agira donc, suivant cet homme sincère, "communiste" orthodoxe de longue date, de "démocratiser" la société yougoslave, de "rendre transparent" le pouvoir, l'économie.

Ce discours qui sonne familier aux oreilles tant il est aujourd'hui décliné partout dans le monde et sur tous les tons, trouve un accueil enthousiaste dans le contexte yougoslave et plus particulièrement serbe.

Mais tous les prolétaires du monde apprennent vite (à leurs dépends) qu'en réalité cela signifie l'aggravation de leurs conditions de vie par une nouvelle diminution de salaire (sous prétexte que dans la nouvelle situation les "privilèges" d'avant ne se justifient plus), sous quelque forme que ce soit, diminution ou suppression d'allocations, de subsides, de la gratuité de certains services, développement du chômage,... et par l'augmentation de l'intensité de travail.

Le second thème était spécifiquement serbe dans la forme mais également universel dans son contenu. Dans la forme, précisons que le pouvoir à l'intérieur de la province du Kosovo était dirigé par des politiciens kosovars d'origine albanaise et que cette gestion s'exerçait, conformément à la Constitution de 1974, sans aucune interférence légale de la république de Serbie. Milosevic se servira de cette situation pour monter en épingle le moindre incident "anti-serbe" dans la province, dans le but d'exciter les passions nationales des deux côtés des frontières de chaque république. On dénoncera quotidiennement, à la télévision, dans la presse et les discours officiels, le "génocide" contre les Serbes du Kosovo. Nous savons dans quelle mesure l'Etat est capable d'occulter l'horreur et l'étendue des massacres qu'il perpétue et aussi comment il est maître dans l'art de fabriquer de toutes pièces, de mettre en scène des événements à ses fins de propagande. Ainsi en est-il notamment des commandos mandatés pour isoler les "serbes" des "hongrois", "croates", "albanais",... et selon l'endroit de massacrer tel ou tel groupe... dans le but explicite de monter "serbes" contre "croates" contre "albanais" contre "hongrois", etc. d'attiser des haines racistes/nationalistes.

L' aspect "anti-albanais" aura toute son importance dans la campagne de Milosevic, dans la mesure où il fomentera ainsi l'union nationale et la paix sociale dont tout Etat a besoin pour mener à bien les réformes anti-prolétariennes susceptibles de sortir le pays de la crise.

Ainsi se produira en Serbie --et cela correspondait à merveille à l'histoire officielle (bourgeoise!) et à l'"héritage culturel" de cette république comme nous l'avons souligné ci-dessus-- une prise de conscience de l'unité "du peuple serbe" et de la responsabilité de la république serbe et de ses citoyens envers tous les serbes, où qu'ils soient. La vague de nationalisme serbe s'enflera à souhait, le sentiment d'identité nationale, appuyé par l'Eglise orthodoxe, s'exacerbera et la revendication s'étendra à tous les territoires où vivent des Serbes, pour la constitution d'une "grande Serbie". Cette affirmation unilatérale des intérêts "serbes", sans tenir compte des intérêts des autres républiques, tranchait avec la politique titiste d'équilibre savant entre les différentes républiques pour sauvegarder l'unité yougoslave: elle accompagnera donc logiquement l'éclatement de la Yougoslavie et s'accompagnera d'ailleurs d'une dénonciation de la politique et de la personne même de Tito.

Cette nouvelle orientation de la politique bourgeoise en Yougoslavie, correspond entièrement à la nouvelle situation de crise mondiale qui frappe de plein fouet notamment l'ensemble de la zone Est- et Centre-Européenne et met en lumière le processus d'exacerbation des affrontements interimpérialistes et d'aggravation des antagonismes d'intérêt entre la bourgeoisie et le prolétariat. Ainsi, l'orientation de la politique "serbe" correspondra à 100% aux intérêts des fractions bourgeoises dans les autres républiques et celles-ci auront tôt fait d'emboîter le pas à la Serbie comme frondeur.

Nous devons constater que cette politique obtient des succès: malgré une résistance prolétarienne importante et une lutte massive et de longue durée pour la défense des intérêts classistes des prolétaires en Yougoslavie, luttes dont nous avons donné quelques exemples, mais à cause des importantes faiblesses qui caractérisent ces luttes (dont l'emprise du nationalisme et l'isolement international du prolétariat à l'intérieur des frontières de la Yougoslavie et de chaque république) et parce que la bourgeoisie est acculée à réagir et le fait donc avec force et détermination, la vague de lutte faiblit au cours de l'année 1989 et cède finalement face au déchaînement des campagnes nationalistes et xénophobes de la bourgeoisie.

Dès 1988 aura lieu une succession constante de meetings de plus en plus nombreux dans toutes les villes de Serbie, sur les deux thèmes du soutien aux Serbes du Kosovo et de la lutte contre la bureaucratie. Les foules comptent, selon les villes, des dizaines ou centaines de milliers de personnes; un million à Belgrade en novembre. Cette mobilisation touchera également toutes les régions habitées par des Serbes, c'est-à-dire des régions en Voïvodine, au Monténégro, au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Au Kosovo, c'est dans cette atmosphère et malgré cette atmosphère qu'éclateront les grèves très dures de février et mars 1989, qui déboucheront sur le mouvement insurrectionnel dont nous avons déjà parlé. Le pouvoir ne viendra à bout de ce mouvement qu'à coup de massacres, de prison et de couvre-feu. La répression sera menée par le gouvernement provincial soutenu directement par l'armée fédérale.

L'"opposition démocratique" serbe se trouvera piégée par ses propres revendications: elle qui s'appuie sur le déferlement des idéologies "anti-communistes" démocratiques et qui, dans cette atmosphère ambiante réclamait des élections libres, peut difficilement contester le pouvoir et les décisions d'un homme largement plébiscité par le peuple serbe! Il ne lui restera plus qu'à rivaliser avec Milosevic sur le terrain de la surenchère nationaliste et chauvine. Ainsi, l'opposition acceptera la nouvelle constitution serbe (de 1990) qui annexera pratiquement le Kosovo et la Voïvodine. Et lors des élections libres de décembre 1990 elle n'aura d'autre choix que de se satisfaire du résultat qui donna 194 des 250 sièges aux députés du parti socialiste serbe (anciennement Ligue "Communiste" de Serbie, rebaptisé pour l'occasion) et 65% des voix à Milosevic comme président, contre 20% à Draskovic du Mouvement serbe du renouveau ("ultra-nationaliste"). Dans le Monténégro également, la Ligue des "Communistes" (qui n'avait même pas pris la peine de changer d'appellation) emportera la majorité des voix à plus de 75%.

Au moment même où le gouvernement serbe supprime l'autonomie de la Voïvodine et du Kosovo, c'est l'heure des élections, dans les autres républiques de la Yougoslavie. Et partout les campagnes électorales constitueront des summum de la rhétorique nationaliste et de la surenchère xénophobe entre les différentes forces démocratiques. Ici aussi, comme partout ailleurs sur la planète, les élections serviront à forger l'union nationale pour mieux imposer la terreur étatique.

Mais contrairement à ce qui se passera en Serbie et au Monténégro, dans les autres républiques (c'est-à-dire en Slovénie, en Croatie, en Bosnie-herzégovine et en Macédoine) ce ne seront pas les anciens partis "communistes" qui seront plébiscités et qui emporteront la palme du nationalisme mais ce seront les partis nouvellement crées qui gagneront les élections et la course à la surenchère nationaliste (8).

Après ces élections: nous pouvons distinguer trois groupes parmi les différentes républiques:

Ainsi se profile la situation politique au début 1991.

Avant d'entrer plus dans le détail des formes et expressions concrètes que prend l'éclatement des antagonismes entre les différentes fractions bourgeoises en Yougoslavie, nous voulons souligner ici qu'à chaque fois cet éclatement plus violent est le produit de l'aggravation de la crise mondiale et de la tendance impérieuse, dans cette situation, à la dévalorisation du capital. Voilà le noeud de la guerre en Yougoslavie, en voilà le moteur. Il ne s'agit donc pas d'une guerre religieuse, ni d'une guerre ethnique ou d'une guerre qui "fait exploser des haines millénaires dans ces territoires",... comme l'affirment les média, mais d'une guerre interimpérialiste qui porte sur le terrain d'un conflit militaire les antagonismes d'intérêt qui opposent des fractions bourgeoises entre elles et d'une guerre qui détourne l'éclatement violent des antagonismes de classe menaçant la survie de la société bourgeoise, dans des conflits conduisant à des massacres généralisés où les prolétaires eux-mêmes s'entre-tuent,... Une telle guerre correspond à la nécessité d'une destruction brutale d'une partie significative des marchandises en surnombre --y compris de la marchandise/force de travail, les prolétaires en surnombre éliminés au cours de la guerre, (les autres voient leurs conditions de survie et de reproduction réduites au minimum par la militarisation de tous les aspects de la vie (9))-- créant ainsi, à travers ce large processus de dévalorisation, les conditions d'un nouveau cycle de valorisation. Une telle déflagration entraîne évidemment une redistribution des cartes au sein des différentes forces bourgeoises en présence tandis que pour les prolétaires, cela signifie des conditions de vie et de reproduction extrêmement précaires et une militarisation de tous les aspects de la vie.

Quelques repères chronologiques retraçant l'éclatement de la guerre

La Slovénie votera par référendum en décembre '90 le principe de son indépendance. En Croatie on assistera à la mobilisation des réservistes de la police dès le début '91. Des milices armées d'autodéfense commenceront dès ce moment à se constituer dans les régions de la Croatie à majorité serbe et à partir de mars se multiplieront les combats localisés entre milices serbes et forces de police croates (Faut-il rappeler ici que de nombreux liens de parenté existent entre les prolétaires des différentes "origines", "serbes" et "croates" du fait d'un brassage de longue date entre ces groupes de populations dont une majorité parle d'ailleurs la même langue serbo-croate?) Dans ce contexte, la désintégration de l'ancienne fédération progressera rapidement. L'armée fédérale, disposant de tout l'armement lourd (10), sera envoyée sur les lieux comme force d'interposition et prêtera de plus en plus ouvertement son appui aux combattants serbes qui gagneront peu à peu du terrain.

Le 25 juin 1991 l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie sera proclamée simultanément (reconnue par la CEE le 15 janvier 1992 - le 23 décembre '91 par l'Allemagne). Pendant une dizaine de jours, la Slovénie sera le théâtre de combats entre les forces territoriales slovènes et l'armée fédérale pour le contrôle des postes frontières avec la Hongrie, l'Autriche et l'Italie, où les autorités slovènes entendent substituer leur autorité et leurs représentants à ceux de la fédération yougoslave. Ces conflits se soldent, après une suspension provisoire de la déclaration d'indépendance, par l'évacuation totale des forces fédérales du territoire de la Slovénie et cela au bout de 10 jours seulement.

"La défense territoriale slovène a alors repris possession des passages frontaliers (de l'ancienne fédération yougoslave) tandis que l'on assistait à des redditions en masse au sein de l'armée yougoslave: officiers slovènes enjoignant leurs unités à les suivre, soldats de toutes nationalités, en grande majorité des appelés, mal préparés à ce type d'action et peu motivés."

(L'état du monde - 1992).

La rapidité de cette "première guerre yougoslave" s'explique non pas par la vaillance des unités territoriales slovènes ni par l'intervention de la CEE mais bien par le manque de cohésion et la déliquescence d'une armée fédérale dont les troupes se seront rendues parfois sans combattre!

Le 8 juillet 1991, sous l'impulsion de la CEE, les accords de paix de Brioni entrent en vigueur. De fait, ces accords (frontières de la Slovénie contrôlées par la police slovène, impôts versés à Belgrade, retour des unités de l'armée fédérale yougoslave dans leurs casernes) entérinent le déplacement de la guerre de la Slovénie (sûrement trop homogène "ethniquement" pour servir de champs de bataille dans ce scénario) vers la Croatie, où les différentes fractions bourgeoises pourront plus sûrement s'appuyer sur un long travail de préparation arrivé à maturation de division des prolétaires, où chaque nationalisme s'est renforcé en prenant pour cible le camp d'en face: les "croates" s'appuyant sur le fait que les "minorités serbes" de la Krajina et de Slavonie rejettent l'autorité de Zagreb et réclament leur rattachement à la Serbie; et en face, les "serbes" dénonçant les discriminations (bien réelles, d'ailleurs) dont sont victimes ces dites minorités. C'est à cette époque qu'on voit publiquement apparaître les premiers "commandos de la mort" qui pénètrent dans les villages et en expulsent les habitants le plus souvent selon des critères de nationalité, en massacrant les récalcitrants. Les appelés seront pris en otages et contraints de se battre. Les villages deviendront de plus en plus divisés "ethniquement", suivant les critères stratégiques et racistes des plus forts et ainsi tous les villages finissent par se ranger dans un camp ou l'autre PAR LA TERREUR.

Les réfugiés, "croates", "hongrois", "serbes" et autres, fuient soit en direction des grandes villes, soit vers la Herzégovine ou la Voïvodine.

Le théâtre de la guerre se transporte toujours plus vers les grandes villes. En Banjia et en Slavonie, des villes et des centres industriels comme Vukovar, Osijek, Sisak, Petrinja, etc. sont bombardés. Vukovar (port industriel sur le Danube) qui, il y a quelques années portait le flambeau de l'agitation ouvrière, est verrouillée pendant trois mois et la ville est complètement détruite: pas une maison, pas un bâtiment public, pas une infrastructure industrielle n'a été épargné. Les cratères d'obus et les impacts de balles témoignent de l'âpreté des combats. Habitations réduites à des amas de gravats, immeubles incendiés, façades aux trous béants, toitures effondrées, murs défoncés... L'intensité des destructions (nous laissons le hasard et la fatalité aux naïfs!) démontrent, par sa nécessité, le niveau de résistance ouvrière rencontré dans cette ville. Les médias soporifiques nous ont trop habitués à ces clichés éculés d'habitants terrorisés (ce qui reste néanmoins une réalité mais n'en constitue qu'une facette), terrés jours et nuits dans des caves; elles se doivent, en bons larbins de l'Etat, d'escamoter au mieux la réalité et ses contradictions et de nier que ce sont les habitants eux-mêmes qui, ne tenant pas compte de leur "nationalité", ont ensemble essayé de se défendre, les armes à la main, jusqu'aux derniers jours contre tout attaquant. C'est cette résistance prolétarienne, toute contradictoire qu'elle puisse être, qui explique l'acharnement de l'armée fédérale, de la garde nationale et des ustachi à détruire Vukovar et ses habitants. C'est la lutte des classes et non la "sauvagerie", la "barbarie" des hommes en général --notion morale et a-historique-- qui produit le déchaînement d'une telle rage destructrice. Pour nous, il n'y a pas de hasard dans l'histoire: le "martyre" de Vukovar correspond à un besoin pour l'Etat de liquider un maximum de prolétaires et qui plus est de prolétaires combatifs. Le 17 novembre, la ville est envahie par l'armée serbe et le blocus est levé. Le fait que l'on découvre alors beaucoup de corps qui ont été abattus dans le dos démontre encore qu'on n'a pas tué "au hasard"!

Et tous ces mois de combats, de bombardements (à la fameuse "artillerie lourde"!) des grands centres industriels et urbains, ensevelissant des milliers de prolétaires, se dérouleront sous l'oeil impassible des "observateurs de la CEE" (que sont-ils donc venus observer? sinon le bon déroulement du massacre de nos frères et de leurs velléités de lutter!) et sous "l'indignation" des artistes de l'UNESCO (!), sauveteurs du "patrimoine historique" des villes yougoslaves comme Dubrovnik (l'"observateur" Cyrus Vance qualifie le bombardement de Dubrovnik "d'outrageux et sans aucune excuse"...).

En Croatie l'extension de la guerre se confirmera durant tout l'été et jusqu'en janvier 1992, pendant que les régions "serbes" proclament leur autonomie, voire leur indépendance et leur rattachement à la Serbie. C'est le cas de la Krajina, de Banija et de la Slavonie. Les forces serbes occuperont bientôt un tiers du territoire de la Croatie. Le 21 février 1992 le Conseil de Sécurité de l'ONU votait une résolution prévoyant le déploiement de 14000 soldats dans quatre "zones protégées" de la Croatie, tenues par les forces serbes, consacrant ainsi en quelque sorte la partition de la Croatie.

Suite à l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, les prolétaires catalogués "croates" et "slovènes" se trouvent dorénavant séparés par une nouvelle frontière. Nous avons vu comment les prolétaires ont été militairement forcés de prendre cette identité ethnique et nous voyons maintenant comment l'Etat entend consolider les séparations. A ces frontières officinent des douaniers désormais croates ou slovènes (mais qui par ailleurs portent toujours les anciens uniformes yougoslaves!) veillant au respect des nouvelles lois en matière d'emploi, d'immigration, de scolarisation, d'importation, faisant payer les droits de douane lors du passage de la frontière. Et la situation économique se dégrade encore: en Slovénie les prolétaires subiront un quadruplement du niveau de chômage entre 1990 et 1992, une inflation galopante (+260% en un an) et diverses mesures d'austérité dans le cadre du "pacte social" national négocié entre gouvernement et syndicats slovènes.

Au sein des autres républiques on verra bientôt également la constitution d'entités administratives autonomes: entités serbes au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine, entités croates en Bosnie-Herzégovine (par les négociations de Gratz, fin avril 1992, entre Serbes et Croates, ces derniers tenteront d'obtenir un partage de la Bosnie-Herzégovine qui laisserait à la Croatie -allié "officiel" de la Bosnie-Herzégovine dans le conflit qui l'oppose à la Serbie - la Herzégovine occidentale).

Pendant que la république de Macédoine votait sa souveraineté le 8 septembre 1991 et choisissait donc de quitter à son tour la défunte Fédération de Yougoslavie, les "Albanais" de la Macédoine (environ 30% de la population), menaceront de faire sécession si la communauté européenne reconnait l'indépendance de cette république. La Grèce fera connaître son hostilité à une reconnaissance de la nouvelle nation Macédoine, arguant qu'une telle indépendance menacerait son intégrité territoriale et pourrait entraîner une conflagration balkanique impliquant également la Bulgarie et l'Albanie.

La Bosnie-Herzégovine, à population nettement plus hétérogène que la Serbie, la Slovénie ou la Croatie, est gouvernée, depuis les élections de décembre 1990, par une coalition tri-nationale, composée par les trois partis majoritaires lors de la consultation: le Parti démocratique serbe, antenne du Parti Socialiste de Serbie de S. Milosevic; l'Union démocratique croate de Bosnie-Herzégovine, filiale du parti gouvernemental en Croatie; et le Parti de l'action démocratique (SDA) qui regroupe les "Musulmans" (11) et est conduit par A. Izetbegovic, élu également président de la république.

Suite au référendum du 29 février 1992 en faveur de l'indépendance, les premiers incidents armés éclateront dans la république. Le 6 avril, la CEE et les Etats-Unis reconnaîtront l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, suite à quoi l'état d'urgence sera décrété sur l'ensemble du territoire par la présidence bosniaque. A partir de ce moment-là, les bombardements et les massacres se poursuivront de manière ininterrompue, transformant les affrontements sporadiques en guerre totale et les différents cessez-le-feu ne serviront plus qu'à consolider de part et d'autre les positions acquises.

Trois "républiques autonomes serbes" s'autoproclameront, une au nord de la Bosnie, près de Banja Luka, une en Herzégovine orientale (à côté d'une "république croate d'Herceg Bosna" en Herzégovine occidentale) et une en "Romanija", à l'est de Sarajevo. Dans l'ensemble, ces territoires atteignent les deux tiers du territoire de la Bosnie-Herzégovine.

Au Kosovo, selon l'opposition, 99% (!) des "albanais" (citoyens nationalistes votants!) voteront en faveur de l'indépendance de leur province lors d'un référendum clandestin (l'état d'urgence y règne toujours) en septembre 1991. Ils éliront un parlement et un chef d'Etat (en exil).

En Serbie, suite au démembrement de fait de l'ancienne Fédération yougoslave, la "République Fédérale de Yougoslavie", présentée comme l'unique héritière de l'ex-Yougoslavie, sera proclamée avec le Monténégro, le 27 avril 1992. Dans cette république, dont l'isolement international est croissant, la situation est extrêmement tendue: les réfugiés affluent de partout, de nombreux jeunes ont quitté le pays pour éviter l'enrôlement de force, l'économie (12) s'est transformée en une économie de survie au jour le jour (un tiers de la population active se trouve au chômage), la misère et le mécontentement règnent.

Les mesures d'austérité mises en oeuvre le 30 juin 1992 afin de pallier les effets de l'embargo international, prévoyaient entre autre le blocage partiel des prix "précédé par une augmentation de 116% du prix de l'essence et de 76% pour l'électricité" (Le Monde du 2.07.92). Ce plan d'austérité visait principalement à "contenir le mécontentement qui menace de se transformer en révolte sociale." (id.) Et dans sa propagande, le gouvernement utilisera habilement le blocus international comme thème mobilisateur pour souder l'union nationale face "aux ennemis extérieurs de la Serbie" et pour dénoncer et réprimer ceux qui, de "l'intérieur", font le jeu de ces ennemis.

L'opposition serbe tentera de se fortifier en essayant de récupérer le mécontentement grandissant des prolétaires et notamment le refus de la guerre en organisant des mobilisations pacifistes depuis le début de l'année. A partir de décembre 91, elle appellera à des élections pour se débarrasser de Milosevic, désigné comme responsable et "tête de turc"; mais ces "opposants" n'ont rien à envier aux bourgeois en place et ne se "différencient" même pas d'eux par une quelconque nuance; de plus, ils sont eux-mêmes les "anciens" amis politiques de Milosevic et ne "divergent" en fait que par le besoin de présenter une "alternative" crédible. Mais ça ne fonctionne pas et plus aucune fraction bourgeoise n'est réellement crédible: les dernières élections législatives, au printemps 92, étaient marquées par plus de 50 % d'abstentions!

L'enlisement du conflit, les rigueurs de l'hiver rendant les pénuries d'autant moins supportables, le mécontentement croissant face à l'économie de guerre, les défections massives de conscrits,... la non-adhésion générale des prolétaires aux sacrifices imposés par la guerre, précipiteront la nécessité pour l'Etat de convenir, le 3 janvier 92, sous l'égide de l'ONU, parrain attitré de toute l'opération, d'un cessez-le-feu définitif en Croatie, après 14 accords d'armistice. Si la guerre en Croatie s'est si soudainement arrêtée, ce n'est pas parce que "la voix de la raison" aurait enfin été entendue et encore moins "grâce aux efforts" de l'ONU ou de la CEE. Non, la principale raison qui a fini par décider les belligérants à arranger une trêve, c'est le défaitisme (malgré ses énormes faiblesses) des prolétaires et la menace de désordres, voire de soulèvements à l'arrière du front (13). La bourgeoisie "serbe" notamment avait besoin d'un répit et après 14 cessez-le-feu infructueux et l'échec de la "Conférence de Paix" de La Haye, l'ONU (une des concrétisations de l'Etat mondial) a réussi à négocier et à imposer son arbitrage. Cette intervention, comme celle qui sera lancée quelques mois plus tard sur Sarajevo, n'est pas une oeuvre de bienfaisance, mais bien le terrain d'expérimentation et d'entraînement, la préparation matérielle à grande échelle et à peu de frais de vastes opérations de maintien de l'ordre. De plus en plus souvent, les généraux paradent fièrement sur les écrans télévisés, accompagnés d'un Kouchner ou d'une star quelconque comme conseillers-ès-humanisme: les interventions militaires se couvrent du voile pudique de l'aide humanitaire, allant même jusqu'à "l'humanitaire musclé", comme toujours les guerres se préparent et se font au nom de la paix!!!

Le plan de paix pour la Croatie définit les territoires sur lesquels les troupes de l'ONU stationneront. L'armée yougoslave et autres milices serbes devront se retirer des terrains de combat. Le siège des casernes de l'armée fédérale devra être levé, l'armée devra évacuer la Croatie. La police croate devra se charger du maintien de l'ordre après que des élections aient eu lieu.

En Voïvodine, province du nord de la Serbie dont l'histoire est marquée par un important brassage de prolétaires de toutes origines (serbe, croate, hongroise, ruthène, slovaque,...), l'opposition à la guerre est également forte et la mobilisation militaire pour la guerre y a été un échec, obligeant les autorités de la province à lancer d'incessants appels dans l'espoir de recruter des volontaires pour combler leur manque de "chair à canon".

Aujourd'hui, mi-1992, cinq nouveaux Etats se sont constitués sur les ruines de l'ancienne République Socialiste Fédérative de Yougoslavie, dont trois ont été reconnus par la communauté internationale des Etats: la Slovénie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. La reconnaissance de la République Fédérale de Yougoslavie (composée de la Serbie et du Monténégro) et de la Macédoine restent en suspens. La guerre continue de faire rage sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, se poursuit sporadiquement en Croatie et menace d'éclater également au Kosovo surtout mais aussi en Voïvodine (où vivent 400 000 personnes de souche hongroise et dont les leaders politiques réclament depuis également un statut d'autonomie au sein de la Serbie), au Sandzak - enclave "musulmane" au sud de la Serbie -ou encore en Macédoine.

Les interventions des principales puissances impérialistes

Depuis la propagation de la guerre en Bosnie-Herzégovine, les différentes parties (CEE, ONU, Allemagne, France, Etats-Unis, Hongrie, Autriche, Turquie, Italie, Serbie, Croatie, Iran, Libye,...) ont volontiers affiché leur désir d'intervenir dans le conflit yougoslave, "dans l'intérêt de l'aide humanitaire". Le 30 mai 1992 le conseil de sécurité de l'ONU adoptera une résolution imposant un triple embargo commercial, pétrolier et aérien contre la Serbie et le Monténégro et décidera, une semaine plus tard, de déployer un millier de "casques bleus" en Bosnie-Herzégovine, alors que dans cette région le nombre de civils armés est estimé à 300.000. Comme nous l'avons indiqué, l'ONU avait déjà déployé 14.000 hommes en Croatie depuis le 21 février 1992.

Mais depuis, les différentes conférences de Londres, Lisbonne ou Genève, consacrées au "problème yougoslave" n'ont démontré que la non-volonté des différentes parties à mettre fin à la guerre et les divergences quant à la poursuite de la guerre tant il est vrai que les enjeux de celle-ci les divisent et que les risques immédiats d'un embrasement plus général de la région sont réels et posent trop d'inconnues, d'où le souci de stabiliser la situation telle qu'elle existe actuellement (ce qui explique le déploiement de "casques bleus" d'interposition, consacrant le statut quo).

Contrairement à ce qui se passa lors de la guerre du Golfe arabo-persique quand les principales puissances impérialistes se rangèrent comme un seul homme au sein d'une coalition pour déclencher un conflit armé avec l'Iraq --puissance impérialiste régionale au moyen-orient ayant confirmé par l'invasion du Koweit ses visées expansionnistes dans la région-- nous constatons que dans la guerre en ex-Yougoslavie, ces mêmes puissances sont beaucoup plus hésitantes, avancent à pas comptés, "imposent" des cessez-le-feu à répétition mais jamais respectés,... (ce qui d'ailleurs exaspère tous les humanistes qui sont pour une intervention militaire en Yougoslavie beaucoup plus ouverte).

Objectivement et au-delà du spectacle donné par les conférences de paix, la "couverture" médiatique de la guerre ainsi que les campagnes humanitaires qui --n'en doutons pas-- ne servent qu'à nous faire et accepter cette guerre et à nous préparer aux guerres à venir! au-delà du spectacle que les différents protagonistes jouent pour la sauvegarde de leur crédibilité auprès de "l'opinion publique", nous pouvons tirer la conclusion que ces puissances impérialistes ont tout intérêt au maintien du statut quo, qu'ils n'ont aucun intérêt à intervenir dans ce conflit de façon à le pousser à évoluer rapidement dans un sens ou un autre; au contraire, nous constatons qu'ils y interviennent principalement dans le but de stabiliser la situation, de la bloquer, de faire en sorte qu'elle n'évolue pas. Ceci est cohérent avec notre analyse qui met en avant que la société capitaliste est une société anarchique où les bourgeois eux-mêmes sont au service du Capital et où aucune fraction bourgeoise n'est réellement en mesure de diriger cette société qui évolue inéluctablement vers son écroulement catastrophique.

La principale intervention de "la communauté internationale" (c'est-à-dire du gang des Etats terroristes qui nous gouvernent!), lourde de conséquences, fût la reconnaissance de l'indépendance de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine, car cette intervention légitimait en quelque sorte la guerre et elle fût le signal du bouleversement des équilibres d'influence hérités de la deuxième guerre mondiale pour l'instauration à terme d'un autre équilibre de la terreur, plus conforme aux nouveaux enjeux de la situation actuelle (nécessité de pouvoir faire face à une instabilité mondiale grandissante) et aux nouveaux rapports de forces tels qu'ils se dessinent en cette fin de siècle (affaiblissement/éclatement du "bloc russe", réunification allemande et construction européenne, puissance du Japon, hégémonie militaire d'une Amérique du Nord pourtant économiquement en perte de vitesse,...).

Les bouleversements qui se jouent réellement en Yougoslavie, à savoir l'éclatement des antagonismes inter-impérialistes et qui constituent une illustration, une expression de l'exacerbation des tensions entre les principales puissances impérialistes, met directement en jeu l'évolution pour les décennies à venir... d'où les hésitations, la circonspection et les divisions qui marquent les interventions de "la communauté internationale".

Le but de "l'intervention occidentale" pour l'instant, c'est de fixer, de "figer" en Bosnie-Herzégovine le foyer de la guerre, car l'arrêt ou l'extension des combats en Bosnie, signifierait presque inévitablement le déplacement du foyer de guerre vers d'autres régions (comme après la Slovénie, c'était le tour de la Croatie, puis de la Bosnie puis...) et notamment vers le Kosovo, la Voïvodine et la Macédoine. Ces trois régions ont la particularité de toucher directement les intérêts vitaux d'autres pays limitrophes, comme la Grèce (pour qui "sa" Macédoine constitue son poumon industriel indispensable) et la Bulgarie, l'Albanie, la Hongrie et la Roumanie,... Au stade actuel, l'arrêt des combats en Bosnie entraînerait la menace d'une déstabilisation générale en centre-Europe et dans les Balkans.

Les principales puissances impérialistes ne sont pas prêtes aujourd'hui à s'engager dans cette voie-là car indubitablement il reste au prolétariat international d'importantes capacités de résistance et de lutte (comme le démontrent les violents sursauts prolétariens qui, à intervalles réguliers, viennent secouer le vieux monde) et son embrigadement au sein des différents fronts bourgeois pour la guerre n'est aujourd'hui nullement acquis et demande encore tout un processus de préparation dont la guerre en Yougoslavie constitue une étape!

Le gel d'une reconnaissance internationale de l'indépendance de la Macédoine s'explique ainsi aisément (et elle ne s'explique bien sûr pas par les schémas idéologiques sur "la liberté et le droit des peuples... blablabla" comme les politiciens osent l'avancer pour justifier leur reconnaissance de la Slovénie ou de la Croatie!) ainsi que tous les palabres au sujet d'une éventuelle intervention armée en Bosnie-Herzégovine de la part des "partenaires européens" et cela en dépit de leurs lamentations hypocrites sur le sort des "pauvres victimes" de la "barbarie de la guerre". ("Ah! si seulement la guerre pourrait être propre!" se lamente le bourgeois humaniste).

La lutte contre la guerre

Comme nous l'avons déjà souligné et comme l'histoire des luttes de notre classe le montre, c'est avant tout face au surgissement révolutionnaire du prolétariat (par exemple dans une situation de guerre) que toutes ces fractions bourgeoises concurrentes sauront faire taire leurs divisions pour intervenir énergiquement et dans l'unanimité contre la menace communiste afin de protéger leurs intérêts communs.

Ce facteur --la menace d'un surgissement révolutionnaire du prolétariat-- est évidemment présent dans la nouvelle situation crée par la guerre en ex-Yougoslavie. Là encore nous devons regarder ce facteur non seulement dans son contexte immédiat, mais encore dans ses potentialités futures.

Face à la mobilisation prolétarienne, à Belgrade, le 9 mars 1991, plusieurs groupes d'opposition organiseront une manifestation en réponse aux premières escarmouches armées entre forces croates et serbes dans la ville de Pakrac (en Slavonie) et participent ainsi objectivement à l'embrigadement nationaliste. Mais la manifestation ne se déroulera pas comme prévu, elle débordera de ses buts initiaux et se transformera en affrontements de classe contre les forces de l'ordre (preuve s'il en est que le prolétariat, malgré la force du nationalisme, n'était pas encore battu et qu'il continuait à contre-courant à défendre ses intérêts). La manifestation (avec à sa tête les nationalistes-concurrents de Milosevic, ceux du "Mouvement du renouveau serbe") commence dans les faubourgs de Belgrade. Mais de plus en plus d'ouvriers qui attendent leurs salaires depuis des mois la rejoignent, ainsi que des étudiants, des écoliers et des chômeurs; ils crient: "donnez-nous la liberté, donnez-nous du pain" ou encore "Milosevic=Saddam, envoyez-le dans le désert". Quand la manifestation atteint le centre de Belgrade, elle compte presque 100000 personnes. La police tente d'arrêter la protestation et de chasser les manifestants armés de matraques et de pierres. Un policier en civil est tué. C'est alors que la manifestation se dirige vers la place de la République en passant par le centre; en chemin, des banques, des magasins... sont à maintes reprises attaqués de façon très rapide. Des drapeaux nationaux "yougoslaves" et "serbes" sont brûlés. Les prolétaires s'attaquent aux véhicules blindés de la police, des combats de rue ont lieu pendant des heures, des voitures de police sont incendiées et partout se dressent des barricades. La police abat un manifestant. Le soir, l'armée doit intervenir, 100 blindés roulent à travers la ville et occupent les points stratégiques. La protestation dure encore 4 jours jusqu'au départ de l'armée. Après cette émeute, les partis d'opposition poursuivront leurs négociations avec Milosevic et ils décideront ensemble d'une politique commune d'unité nationale. L'UNION SACRÉE SERA SCELLÉE DANS LE SANG DES PROLÉTAIRES.

Déjà pendant la guerre en Croatie, une grande partie des prolétaires en Serbie refusait de soutenir les partis poussant à la guerre. Par exemple, des prisonniers "serbes" libérés par les forces de la défense territoriale bosniaque lors d'un échange de prisonniers "ont préféré rester à Sarajevo et se sont éclipsés dans la ville, trois par trois, en profitant de l'autobus qui ramenait les Musulmans au centre-ville de Sarajevo." On compte ainsi de massifs refus d'embrigadement militaire et un grand nombre de désertions. En décembre '91, après de nombreuses "victoires" pour l'armée fédérale, les "croates" faisaient état de leurs premiers succès importants en 5 mois de guerre, ce qui signifie aussi que l'armée fédérale se désagrégeait de plus en plus. En Serbie, beaucoup d'appelés ne partent pas à la caserne. Quand aux volontaires, relativement nombreux, ils sont composés soit de nationalistes enragés, soit de prolétaires tenaillés par la misère et le chômage qui sans cela seraient sans emploi (ils reçoivent d'ailleurs une solde double de celle des conscrits). Seuls 15 % des conscrits ont répondu à l'appel de mobilisation durant l'automne '91: le refus de se présenter pour le service militaire est largement répandu et afin de contrer cet absentéisme, il est maintenant interdit à tout homme valide de moins de 30 ans de quitter la république sans permis. Devant cette situation, l'Etat décide de prolonger, par décret, en décembre 91, de 3 mois la durée du service militaire pour les recrues de la classe 91 et cela "pour un temps indéterminé, selon les besoins (en chair à canon!) de l'armée yougoslave" et de fixer à 4 mois la durée de mobilisation des réservistes de l'armée. Le service militaire était de 12 mois et les réservistes étaient auparavant mobilisés entre 45 et 60 jours. Ces mesures visent à maîtriser les problèmes de recrutement, l'armée avouant que plus de 10.000 réservistes ont refusé de rejoindre leurs unités. Des contrôles militaires sont établis sur les routes, aussi bien pour arrêter les déserteurs que pour contrôler tout trafic d'armes. Certains déserteurs, qui sont des prolétaires en lutte, tentent de s'organiser et quittent l'armée avec armes et bagages. Dans toutes les parties du pays, des groupes appellent ouvertement à refuser le service militaire. Des réseaux de cachettes pour déserteurs sont mis en route ainsi que des filières par la Voïvodine permettant à un grand nombre de ceux-ci de quitter le pays le plus souvent vers l'Allemagne (dont le nombre de réfugiés en provenance des pays d'Europe de l'Est et majoritairement constitué de "Yougoslaves" ne cesse d'ailleurs d'augmenter, fuyant la guerre, les famines, les massacres, la conscription - ici le rôle ouvertement anti-prolétarien et la complémentarité des tâches entre les diverses fractions bourgeoises deviennent clairs quant aux attaques répétées contre des foyers de réfugiés en Allemagne ainsi que les limitations prévues par l'Etat allemand au fameux "droit d'asile"). Tant la résistance à la guerre que la répression se situent principalement dans la province de Voïvodine: c'est le point de passage obligé de tous les déserteurs en provenance de Serbie fuyant vers la Hongrie et l'Allemagne. L'Etat doit se rabattre pour son recrutement et son embrigadement militaire sur des populations peu touchées jusqu'à présent, sans compter que c'est là l'occasion de ranimer la flamme de la haine "ethnique". Rappelons qu'à ce point de rupture d'avec l'union sacrée, les prolétaires n'ont pas de nationalité, pas de patrie! Ici, en Voïvodine, c'est ce que les médias présentent comme étant la "minorité hongroise" qui fait les frais de l'opération: mais, "serbes", "croates", "hongrois" ou autres, ce sont toujours des prolétaires que la bourgeoisie enrôle de force dans ses régiments pour les envoyer au massacre.

La répression contre les déserteurs et tous ceux qui luttent ouvertement contre la guerre et s'organisent en conséquence s'est mise en place: les autorités militaires fédérales menacent les insoumis et les déserteurs à de lourdes peines de prisons en application de l'article 121 qui prévoit des peines minimales de 3 ans de prison à la peine de mort si le déserteur quitte le pays. D'autres déserteurs qui se cachaient après avoir refusé publiquement d'être mobilisés sont enlevés dans les rues, emprisonnés pendant 2 ou 3 jours, puis envoyés sur le front pour dégager les champs de mines avec au bout du compte, la mutilation ou la mort! De nombreux corps non identifiés sont ainsi régulièrement enterrés au front sans que l'on puisse déterminer exactement leur provenance, bien que l'on sache également que des escadrons de la mort opèrent en Croatie, traquent les déserteurs et les opposants à la guerre, et déposent au front les cadavres des anti-patriotes qu'ils assassinent.

A Senta, une ville de Voïvodine, 3 réservistes "hongrois" sont traduits en cour martiale pour leurs actions contre la guerre: ils avaient organisé une manifestation rassemblant 7.000 opposants à la mobilisation, suivie d'un convoi "pour la paix" (la contradiction du mouvement!) comprenant de nombreux habitants "serbes" (expression de la solidarité de classe contre le patriotisme!), convoi devant rejoindre une autre manifestation dans la ville de Temerin. En chemin, le convoi est intercepté par les flics et forcé de rebrousser chemin.

Partout en Serbie et en Voïvodine, des jeunes réservistes se cachent pour éviter d'être enrôlés de force: 25.000 "hongrois" ont quitté le pays pour éviter la conscription, plus de 100.000 ont fait de même pour l'ensemble de la Serbie. Partout, les jeunes en âge de conscription choisissent l'exil. En Croatie aussi, malgré le black-out des médias sur ce sujet, l'état de mobilisation est permanent et de nombreuses pressions sont exercées (doux euphémisme) sur les jeunes afin qu'ils aillent se battre pour défendre "la patrie croate".

De ce mouvement contre la guerre surgit une opposition qui s'organise en-dehors des partis officiels "d'opposition", mais hélas pas du tout suffisamment CONTRE ceux-ci. Les femmes prolétaires jouent un grand rôle dans ces luttes. N'étant pas mobilisées sur les différents fronts, ce sont elles qui vont organiser l'opposition à la guerre. Ce sont encore elles qui vont arracher leurs enfants à la conscription obligatoire, organiser les nombreux groupes faisant circuler les informations sur les mouvements de désertions, prendre en charge la défense juridique de ceux qui refusent d'aller se battre. Ce sont elles encore qui apporteront une "aide psychologique" aux soldats qui reviennent traumatisés du front. Lorsque les premiers régiments sont revenus des combats en Slovénie (et les massacres n'ont fait que se développer par après en Croatie puis en Bosnie) certains ont évoqué le syndrome du Vietnam. Depuis, bien sûr, la situation s'est détériorée: les "actes de folie", les suicides se sont multipliés. Certains médecins n'ont rien trouvé de mieux que de renvoyer au front dans les 48 heures, six soldats atteints de graves troubles mentaux, après les avoir menacé de "punition" s'ils continuaient leurs comportements "irresponsables".

Mais, le refus de faire la guerre est loin de se manifester individuellement et les protestations collectives sont de plus en plus nombreuses sans qu'elles prennent pour autant la forme d'une résistance déclarée, d'un mouvement clairement organisé. Il ne se passe pas une semaine sans que des conscrits résistent collectivement aux ordres. Le plus grand refus a lieu à Kragujevac, une ville de garnison, lorsque 7.000 réservistes se présentent au rappel sans leurs armes. Ils s'enferment dans leurs camps, en refusant de bouger. L'autorité militaire les exemptera TOUS, mais distribuera aux employeurs locaux la "liste d'infamie" de tous ces "traîtres à la patrie" qui se verront donc interdit de marchander leur force de travail. En novembre 1991, 200 réservistes se postent devant la présidence du district de Valjevo jusqu'à ce que leur commandant signe leur livret militaire stipulant qu'ils avaient accompli leur rappel. Le 18 décembre, à Markutsica, sur le front, 700 réservistes refusent de continuer à se battre après avoir déjà effectué leurs 45 jours de rappel. Un général ordonne d'arrêter leurs officiers, mais fait marche arrière lorsque les troupes s'apprêtent à lui tirer dessus. Début janvier 1992, 150 réservistes désertent en groupe le front d'Osijek après plus d'un mois passé en première ligne et rentrent à Belgrade pour protester contre leurs conditions de vie. En mars 1992, plus de 700 réservistes en permission se révoltent à Gornji Milanovac et refusent de retourner au front en Slavonie orientale, dénonçant "l'incapacité des cadres du commandement de l'armée et l'inexactitude des informations en provenance du front." Parallèlement, 4 officiers de réserve sont arrêtés à Belgrade après avoir abandonné le front et 2 autres sont condamnés à la prison à Nis, alors que des milliers de soldats réservistes doivent passer devant les cours martiales.

Toutes ces désertions et ces refus de faire la guerre, aussi contradictoires que ces actions puissent être (le pacifisme et le manque de perspectives pour dépasser la situation vécue sont ses faiblesses les plus marquantes!), sont néanmoins la preuve flagrante que la cohésion nationale n'est pas aussi forte qu'espérée par les crevures bourgeoises de chaque camp et que le prolétariat n'est certainement pas prêt à partir au front "dans la joie et l'allégresse".

Parallèlement au refus de la guerre sur le front militaire, d'autres manifestations de la combativité du prolétariat font irruption sur le front de la production: des grèves éclatent, au cours desquelles les prolétaires commencent à s'organiser, par la force des choses, dans des structures "autonomes". Dans les universités naissent également de nouveaux mouvements d'opposition (au sujet desquels nous n'avons pas plus d'informations pour l'instant).

Avant l'éclatement de la guerre en Bosnie-Herzégovine, 100.000 personnes descendent dans la rue à Sarajevo pour protester contre la guerre. En février 1992, d'importants combats de rue auront lieu entre l'armée fédérale et les habitants de plusieurs villes dans cette république. Et quand, le 29 février 1992, sous la pression de la CEE et des USA, la Bosnie-Herzégovine organise un référendum pour l'indépendance, et lorsque le même jour des barricades seront construites à l'intérieur de la ville de Sarajevo par des éléments masqués appartenant aux milices extrémistes de Serbie et de Croatie, des affrontements armés auront lieu devant ces barricades, 30.000 manifestants exigeant d'enlever ces barricades "ethniques" divisant leurs quartiers.

Début avril 1992, deux grandes manifestations ont lieu à Sarajevo. 100.000 personnes de Sarajevo et des autres villes du pays manifestent contre la guerre et pour la dissolution de tous les partis nationalistes! Des tireurs d'élite tirent sur les manifestants, il y a beaucoup de morts. Le jour suivant, 100.000 personnes descendent encore dans la rue et à nouveau des tireurs d'élite leur tirent dessus. Ensuite, Sarajevo est complètement coupée du monde extérieur. La ville est soumise de l'extérieur à des bombardements permanents. Pendant ce temps à Sarajevo, les gens s'organisent et défendent ensemble leurs maisons; ils barricadent les rues contre les blindés et attaquent ceux-ci. Des francs-tireurs tirent sur tout ce qui bouge.

Nous venons de donner certaines informations au sujet de la résistance qu'opposèrent les prolétaires à la guerre. Mais nous devons insister sur les faiblesses de ces luttes et en effet, dans le contexte immédiat de la guerre, il paraît évident que le prolétariat y a subi une défaite importante. Une des raisons du déclenchement de la guerre était justement le besoin pour l'Etat en Yougoslavie de battre le prolétariat, de le soumettre, de défaire ses luttes et de le disperser. Comme nous l'avons indiqué, le cadre de l'ancienne nation yougoslave ne permettait plus de remplir efficacement ce rôle et son éclatement a été le prix à payer pour domestiquer les prolétaires. Et aujourd'hui on ne peut pas nier que les massacres systématiques, les bombardements, les destructions et la répression, les viols, l'intoxication par la propagande,... bref, le déchaînement de la terreur étatique a entamé la combativité prolétarienne.

Alors que le début de la guerre, en Slovénie et en Croatie, fut surtout une guerre des milices, des forces armées professionnelles qui exécutèrent la guerre, réprimant toute résistance au rouleau compresseur --et nous voulons rappeler ici avec force que cette résistance existait comme en témoignent tragiquement ces fosses communes où des réfractaires appartenant aux différentes communautés étaient ensevelis et qui furent découvertes aux alentours de plusieurs villes et villages! et comme nous le montre aussi le déroulement des "opérations de guerre" autour des villes comme Vukovar et Sarajevo où les prolétaires des différentes origines (y compris "serbe") tentent tous ensemble de résister et de ne pas se soumettre passivement aux bombardements de l'artillerie "serbe"-- et au fur et à mesure que cette guerre progressait et s'étendait, relayée par une propagande nationaliste et guerrière et alors que les bombardements se faisaient plus sélectifs et que la répression commençait aussi à davantage cibler ses victimes "ethniquement", on vit une participation plus active des différentes couches de la population aux opérations de guerre. La guerre impérialiste prenait donc la forme d'une "guerre populaire" au fur et à mesure que le prolétariat cédait à l'embrigadement nationaliste et se dissolvait ainsi dans le peuple pour s'enrôler dans les différents fronts nationalistes.

En Bosnie-Herzégovine il ne s'agit plus tellement aujourd'hui d'une force étrangère qui serait venue d'ailleurs en ordre de bataille pour mener une guerre sur un terrain qu'elle connaîtrait mal mais il s'agit de plus en plus d'une guerre mobilisant les populations (ce qui n'enlève strictement rien à son caractère impérialiste) et qui investit chaque localité, chaque foyer. Cette adhésion plus massive --SOUS LA TERREUR-- des prolétaires à la guerre, leur transformation en soldats/citoyens, en chair à canon, signifie l'éloignement de la perspective internationaliste.

Cette évolution tient aussi à la structure des forces armées et au système de défense qu'avait adoptés l'Etat yougoslave (avec tout l'équipement militaire, armements, stocks, munitions, support logistique,... disséminés sur l'ensemble du territoire et est encore favorisée par la nature même du terrain, montagneux, avec des nombreux villages, à fortes traditions communautaires, implantés sur l'ensemble de cette république.

Cette réalité rend aussi la situation plus inextricable pour toute intervention extérieure. Ainsi la déclaration du général Barry McCaffrey, adjoint au chef de l'état-major inter-armes de l'armée américaine qui estimait qu'il faudrait aux Nations Unies 400 000 hommes et une année pour venir à bout de la violence dans l'ex-Yougoslavie, sans pour autant avoir la garantie que le conflit ne recommencerait pas dès le départ des soldats étrangers.

Nous sommes bien contraints d'admettre que notre classe a subi une sévère défaite en Yougoslavie (et nous ne nous référons pas uniquement aux secteurs prolétariens en Yougoslavie, mais aussi et autant aux autres secteurs du prolétariat qui en dehors des frontières de la Yougoslavie se sont par leur passivité rendus complices des Etats assassins!) et que nombre de prolétaires ont déserté les combats de classe pour s'enrôler au sein d'un des camps impérialistes en présence. Le manque d'informations ne nous permet par ailleurs pas de nous prononcer sur la force des prolétaires qui continuent de résister à la guerre, aux campagnes nationalistes et à la propagande démocratique, par leurs efforts et leurs activités pour la sauvegarde des perspectives internationalistes classistes. Nous savons par expérience que de tels noyaux existent, résistent, survivent dans de telles conditions de guerre. Dans ce mouvement, ces camarades cristallisent la tendance innée du prolétariat à transformer la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire pour le communisme.

Perspectives

L'histoire nous a aussi montré que si le déclenchement d'une guerre impérialiste avec l'enrôlement des prolétaires des différents camps derrière les drapeaux sanguinaires des Etats bourgeois, constitue une défaite pour le prolétariat, que de telles situations de guerre contiennent aussi leurs propres contradictions. Par la généralisation de la misère et de la mort comme seul avenir que peut encore offrir la société capitaliste à l'ensemble des prolétaires, la guerre crée aussi de façon indéniable les conditions (nécessaires mais non suffisantes) d'un resurgissement prolétarien dans la mesure où elle impose aux prolétaires des sacrifices sans nom pour des intérêts qui se dévoileront nécessairement comme étant totalement étrangers aux intérêts prolétariens: ce sont par contre les luttes pour les intérêts prolétariens qui s'imposent comme la seule solution réaliste et réalisable pour sortir des massacres et de la guerre. L'alternative de lutter contre la guerre ou de crever par la guerre devient pratiquement la seule existante. Le seul choix réaliste devient de lutter, de s'organiser, de se battre contre cette société et ses guerres. L'identité des conditions misérables et mortelles qui se profilent partout pour tous les prolétaires (sans préjuger des différences de situation que la bourgeoisie essaiera à maintenir coûte que coûte au sein du prolétariat pour mieux régner par la division dans nos rangs!), rend dans une telle situation le terrain fertile pour propager les actions défaitistes, la lutte pour retourner les armes contre nos oppresseurs, pour mener la guerre sociale contre le Capital et tous ses défenseurs! Cela met aussi en évidence l'importance vitale des noyaux communistes qui résistent à l'embrigadement impérialiste, qui se maintiennent et qui maintiennent les liens de centralisation internationaliste, qui militent pour propager le défaitisme révolutionnaire.

Nous devons regarder ces perspectives dans leur contexte plus large, c'est-à-dire dans leur devenir. Il s'agit certes de tenir compte de la situation sur le terrain (que nous connaissons trop mal d'ailleurs) et de l'évolution du conflit, du développement difficilement prévisible ou maîtrisable de la guerre avec la possibilité d'une contagion ultérieure des combats vers l'ensemble des Balkans, impliquant aussi directement d'autres pays. Mais nous devons aussi considérer le rapport de force à l'échelle mondiale entre bourgeoisie et prolétariat, rapport de force où la bourgeoisie internationale doit s'orienter de plus en plus vers une assumation explicite et entière de la situation de crise catastrophique dans laquelle se débat sa société, avec notamment l'éclatement des antagonismes inter-impérialistes --ce qui pour nous est la signification première du déclenchement de la guerre en Yougoslavie-- et un rapport de force où d'autre part le prolétariat est sur la défensive, où il réussit certes à riposter ponctuellement contre les attaques violentes qu'il subit mais où néanmoins il se trouve dispersé et affaibli et où ce sont seulement d'infimes minorités qui dans l'isolement maintiennent difficilement les perspectives internationalistes et où par ailleurs l'Etat capitaliste mondial est très avancé dans la guerre qu'il mène préventivement contre la subversion de son ennemi historique (campagnes antiterroristes, flicage intensif et extensif, paix sociale plombée,...).

Si la vague de lutte de 1967-1973 constituait une réponse classiste, à l'échelle internationale, du prolétariat aux premiers effets de la crise du système capitaliste, depuis, c'est-à-dire depuis 20 ans maintenant, les luttes se sont déroulées en ordre dispersé et par ailleurs se sont presque toujours "distinguées" d'une part par leur radicalité (souvent avec des affrontements violents avec pratiquement toutes les forces de conservation du vieux monde, syndicats, réformistes,...), mais d'autre part aussi par leurs multiples faiblesses dont la première est sans doute le refus presque systématique à assumer ce pourquoi surgissent ces luttes, à savoir la signification directement historique et internationaliste de ces combats. Nous faisons référence ici à l'atmosphère ambiante de sectarisme, de refus de l'organisation et de la centralisation des luttes, ce qui constitue indéniablement une concession majeure à notre ennemi de classe.

Ces quelques lignes dressent un tableau non-nuancé de la situation et il est nécessaire de le compléter avec une multitude d'autres éléments, contradictoires. Néanmoins nous considérons que c'est surtout le caractère systématique, non-nuancé de la situation qui nous impose un tel schématisme dans notre constat. Pratiquement partout où nous agissons, nous nous heurtons à ce sectarisme, à ce refus, aux multiples excuses afin de ne pas assumer la communauté de lutte qui existe dispersée de par le monde, la centralisation internationaliste du mouvement révolutionnaire. Comme les lecteurs de nos revues le savent, dans ce tableau plutôt sombre que nous dressons de la situation internationale, nous avons surtout relevé les quelques exceptions à ce constat que constituent les luttes qui se sont déroulées en 1978-'79 en Iran, en 1981 en Pologne, en 1988 en Birmanie et en 1991 en Iraq. Il nous semble que la lutte héroïque des prolétaires en Afrique du Sud ainsi que probablement encore d'autres luttes ailleurs, méritent également de figurer sur cette liste, mais là encore nous manquons d'éléments précis pour solidement étayer cette affirmation. Ces luttes se sont affirmées en rupture avec la situation ambiante par leur durée, dépassant ainsi le caractère trop ponctuel et immédiat de la plupart des luttes contemporaines et se sont aussi partiellement distinguées par le niveau d'organisation et de centralisation internationalistes qu'elles engendrèrent. Néanmoins les faiblesses importantes que nous avons évoquées ont fait sentir leurs effets néfastes au cours de ces luttes également (voir à ce sujet les différentes analyses que nous avons produites dans nos revues).

Le temps où la bourgeoisie bernait les prolétaires en leur demandant de faire quelques sacrifices en attendant qu'on arrive "au bout du tunnel" est bel et bien révolu. Depuis les dix dernières années et face à la persistance et à l'aggravation de la situation de crise, le discours dominant dit clairement que ceux qui refusent de faire des sacrifices ou ceux qui pensent pouvoir s'accrocher à "leurs privilèges" seront eux-mêmes sacrifiés et resteront "sur le bord de la route". Par ailleurs, ces indispensables sacrifices sont partout entrés dans les faits et c'est déjà par millions que se comptent les prolétaires qui vivent dans une pauvreté absolue au coeur même des énormes métropoles capitalistes. Depuis plusieurs années plus personne ne parle de "salaire minimum" (qui autrefois pourtant était régulièrement brandi comme revendication) tant les conditions générales de survie se situent largement en dessous d'un tel niveau de vie "minimum". Il nous semble que la bourgeoisie se prépare activement à franchir un nouveau pas dans cette escalade en portant la guerre directement au niveau de la vie quotidienne. C'EST À CE TITRE QUE NOUS AFFIRMONS QUE LA GUERRE, C'EST ICI ET MAINTENANT, CE N'EST PAS AILLEURS OU PLUS TARD!

Voilà pour le prolétariat international la signification fondamentale de la guerre en Yougoslavie.

Nous nous dirigeons donc à grands pas vers un approfondissement de l'antagonisme bourgeoisie/prolétariat, dans lequel notre classe encaisse les coups et où la bourgeoisie impose de plus en plus violemment sa solution --la guerre impérialiste généralisée-- à la crise catastrophique de son système social. Il serait criminel de se voiler les yeux devant cette réalité, de la nier, de ne pas exposer cette vérité.

Et il serait autant criminel de faire miroiter aux yeux de notre classe que cette situation pourrait être bouleversée dans l'immédiat. Même dans le cadre des luttes très importantes, insurrectionnelles, qui se sont déroulées en Iraq au cours de l'année 1991, suite à la guerre du Golfe arabo-persique, nous devons souligner que ces luttes sont restées enfermées dans les frontières nationales, ont pu être circonscrites dans leur isolement par les fractions réformistes et ont été ainsi largement défaites.

Dans notre article sur la guerre du Golfe arabo-persique (Communisme No.33), nous avions évoqué les quelques très faibles réactions prolétariennes et militantes contre la guerre (hors l'Iraq) et nous avons dressé le constat que le prolétariat fut incapable d'arrêter la guerre (spécialement du côté de la Coalition) ce qui s'exprima entr'autre par l'absence de structures plus larges d'association et d'action de la classe (ne permettant donc pas à la rage, la révolte que chacun ressent intérieurement de s'exprimer autrement qu'individuellement, isolément!) et que le capitalisme avait atteint ses objectifs de mobilisation nationale et de soumission des prolétaires aux intérêts des Etats nationaux. Dans le cas de la guerre en ex-Yougoslavie, nous constatons que la situation est encore plus dramatique. En Europe occidentale, plus question d'une quelconque mobilisation, de diffusion (même faible) de tracts, d'affiches, de manifestation, d'action de sabotage. C'est la paix sociale qui s'impose.

Les activités que nous devons assumer et que nous mettons en avant dans une telle situation, découlent en partie du constat de faiblesse tel que nous l'avons dressé: dispersion, sectarisme, manque de centralisation, non-circulation des informations,...

Il s'agit pour nous de lutter contre ces faiblesses, de défendre la nécessité d'activités militantes directement internationalistes, de favoriser la centralisation et la circulation des informations sur les luttes de notre classe, de nous organiser au-delà des frontières. De telles tâches sont à la fois énormes et élémentaires. Enormes quand on pense par exemple aux difficultés et au scepticisme ambiant que l'on rencontre dès que l'on évoque la nécessité de l'organisation, de la centralisation, de l'assumation des tâches de réappropriation programmatique, de la militance en général. Mais très élémentaires quand on garde à l'esprit --lorsque surgit le prolétariat révolutionnaire-- la façon dont toutes ces données sont rapidement bouleversées, et comment en l'espace de quelques semaines, jours ou même heures le prolétariat se réapproprie ses moyens de lutte révolutionnaires, se réorganise, s'approprie ses actions et ses perspectives. Nous ne nous proposons pas et ne proposons à personne d'agir aujourd'hui en fonction de la situation de merde qui sévit actuellement. Nous proposons au contraire d'agir aujourd'hui en fonction du devenir, en fonction des inévitables polarisations classistes qui resurgiront demain, suite par exemple à une intensification des attaques contre nos conditions de vie et à une généralisation de la guerre. Nous proposons de préparer un tel resurgissement du mouvement révolutionnaire et nous proposons d'y travailler dès maintenant. De telles perspectives ne visent pas à obtenir aujourd'hui un écho considérable au sein d'un prolétariat dont les capacités de riposte ont été largement anesthésiées et nous tenons à détromper les camarades qui espèrent des résultats immédiats. Comme nous venons de le souligner, même à moyen terme --par exemple dans la perspective d'un surgissement révolutionnaire du prolétariat durant la guerre en Yougoslavie-- la situation générale telle qu'elle se dessine depuis deux décennies maintenant, nous oblige ici d'insister sur et de mettre en garde contre les multiples faiblesses qui entravent l'action révolutionnaire de notre classe.

Si nous insistons sur les tâches de préparation des affrontements à venir, cela évidemment ne signifie pas qu'il s'agit d'attendre ces affrontements et qu'en attendant on se cantonnerait à faire "de la théorie"! Il est clair que les affrontements de demain ne se préparent pas "théoriquement" mais se préparent en assumant aujourd'hui la défense intransigeante des perspectives communistes et que ces perspectives ne changent pas en fonction de tel ou tel résultat immédiat possible.

Nous n'avons pas d'autre choix et de façon plus générale, les faibles minorités communistes qui se maintiennent aujourd'hui malgré cette peste sociale suffocante, n'ont pas d'autre choix que d'une part renforcer encore l'intransigeance des positions communistes qui en aucune façon ne peuvent dépendre ou évoluer suivant les situations plus ou moins défavorables que nous traversons et de redoubler d'efforts pour défendre ces orientations communistes dans une telle période de déboussolement et d'autre part réinsister auprès des contacts, sympathisants, autres noyaux de militants communistes, pour qu'ils s'associent avec nous et pour qu'ils assument activement avec nous leur opposition à la guerre et à la paix impérialistes.

Notes

1. Nous faisons référence ici aux événements comme la restructuration sociale en URSS, l'éclatement de la constellation des Etats est-européens, l'indépendance de nombreuses républiques de l'ex-Union Soviétique, la réunification allemande, la libéralisation dans le domaine de la politique économique,... événements révélateurs de la situation de crise capitaliste qui touche de plein fouet l'ensemble de cette zone, y imposant aux prolétaires, comme partout ailleurs dans le monde, encore plus de sacrifices, plus de misère, plus de chômage, plus de guerres...
2. Les prolétaires font fi de leurs "particularismes" (de couleur, d'origine géographique, de sexe, de statut, d'âge,...) tant leurs conditions de survie à tous s'imposent à eux de façon à ne guère laisser de place à d'autres considérations que celle de n'être qu'une marchandise que l'on jette comme un fruit pressé dès qu'on en a extrait tout le jus qu'elle contenait.
3. Nous reproduisons ici un article du journal Le Monde du 15 septembre 1992, paru sous le titre "Fiat piégé":
"En décidant de confier à l'usine FSM de Tychy (sud de la Pologne) l'exclusivité de la fabrication de la Cinquecento, sa nouvelle petite voiture, Fiat pensait avoir pris une longueur d'avance. La Pologne présente en effet des coûts de main-d'oeuvre réduits (un atout décisif pour un véhicule qui doit faire aussi bien sur le marché occidental que la légendaire Topolino, lancée en 1957) et constitue une base idéale pour la conquête des nouveaux consommateurs de l'Europe de l'Est: 1 milliard de dollars avaient donc été investis.
Fiat doit aujourd'hui déchanter. Entamé le 22 juillet, le conflit social qui paralyse l'usine de Tychy a empêché la production de près de 10 000 Cinquecento et le constructeur ne dispose d'aucune solution alternative. Rapatrier la production de la petite Fiat, commercialisée depuis mars en Italie et depuis juillet en France, prendrait un an. L'élan de la Cinquecento, dont 40 000 exemplaires ont été vendus depuis mars en Italie et 1 500 en France depuis juillet, est brisé. Les stocks disponibles s'amenuisent et les délais de livraison ne cessent de s'allonger. Certes, dimanche 13 septembre, la médiation de l'archevêque de Katowice a été acceptée par le comité de grève de l'usine de Tychy, occupée par quelque 2 300 de ses 7 000 salariés. En revanche, le ministre des finances polonais, M.Jerzy Osiatynski, a fait savoir que l'Etat ne disposait pas des fonds nécessaires pour faire redémarrer l'usine lorsque la grève sera terminée. Au conflit social s'ajoute un différend financier. Outre le milliard de dollars (5 milliards de francs environ) investi, Fiat a versé 160 millions de dollars d'argent frais. FSM, qui devait s'acquitter de la même somme, n'a apporté que 30 millions, contraignant la firme de M. Giovanni Agnelli à avancer les 130 millions restants. Du coup, la création de la nouvelle entité juridique, détenue à 90% par Fiat et à 10% par l'Etat polonais, n'a toujours pas été formalisée. Voilà qui n'arrange pas les affaires de Fiat, qui ne peut fournir la demande de Cinquecento, mais doit parallèlement fermer des usines et programmer deux semaines de chômage technique en Italie pour combler la production excédentaire d'autres modèles. La mésaventure de Tychy - le plus gros contrat industriel passé par la Pologne depuis la chute du communisme - va aussi exercer un très mauvais effet auprès des investisseurs occidentaux intéressés par l'Europe centrale."
Bel exemple de sabotage de l'économie nationale!
4. Nous reprenons ici en grande partie des éléments de la brochure "Quelques ingrédients de base de l'idéologie yougoslave".
5. Quelques années plus tard, le "communiste" Djouro Tsviyitch, membre du CC du P"C"Y, en faisant référence à cet épisode de la lutte révolutionnaire, répondit que "les communistes ne se mettraient jamais à la tête d'une telle racaille et ne lui confieraient jamais le drapeau rouge" (cité dans "La révolution d'octobre et le mouvement ouvrier des pays balkaniques" par Jacques Schärf).
6. Ne confondons pas cette "option serbe", centraliste, avec l'option "grande Serbie". Cette dernière option n'a été remise au goût du jour et popularisée par la bourgeoisie serbe uniquement après que la caducité de "l'option serbe", centraliste, se soit avérée être irréversible. La politique "grand Serbe" est donc plutôt une conséquence de l'éclatement de la guerre (la réponse "serbe" à la reconnaissance internationale de l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie), et pas du tout la cause de cette guerre comme les média s'efforcent de nous l'imposer.
7. En dehors d'une similitude des conditions objectives qui existent partout et qui déterminent déjà l'éclatement de situations conflictuelles dans ces zones, notons que les prétextes particuliers qui, dans chaque endroit, devront servir à justifier la guerre, sont déjà partout largement exploités par les différentes fractions bourgeoises. Ainsi, si nous prenons le cas de la Hongrie, nous pouvons relever par exemple que le Premier ministre hongrois, Joszef Antall déclarait, en prenant ses fonctions, qu'il n'était pas seulement le dirigeant des 10 millions de personnes vivant sur le territoire de la Hongrie mais aussi des 6 millions de "hongrois" habitant en Yougoslavie, en Transsylvanie roumaine, en Slovaquie, en Ukraine.
8. Nous devons néanmoins souligner l'ambivalence de cette situation: à titre d'exemple, "on" (les média) a beaucoup parlé des liens de Milosevic avec le P"C"Y, en ce qui concerne la Serbie. Mais "on" a souvent et volontairement oublié que les ex-"communistes" restent majoritaires dans l'appareil étatique de la nouvelle nation slovène et que d'ailleurs le président de cette république est issu des rangs "communistes". Depuis l'écriture de ce texte, et notamment lors des dernières élections en Slovénie, le secteur lié au P"C" s'est électoralement consolidé alors que "les démocrates" ont subi un sérieux recul électoral, car ces derniers sont automatiquement associés, dans l'opinion publique, aux attaques féroces qu'ont eu à subir les prolétaires ces dernières années.
9. "Pendant la première guerre mondiale, 10% des victimes étaient des civils, pendant la deuxième guerre, 50%; mais depuis dix ans, 80% des victimes de toutes les guerres sont des civils, en majorité des enfants" suivant J. Grant, responsable de l'Unicef en Yougoslavie.
10. Cette armée fédérale avait été très équipée par le gouvernement yougoslave avec la justification qu'il fallait contrebalancer la menace que faisait longtemps peser sur la Yougoslavie l'Union Soviétique. Elle s'est trouvé, en Slovénie et en Croatie, aux prises avec des milices et des forces territoriales d'autant mieux armées et entraînées que le gouvernement central en avait fait un élément majeur de sa stratégie de résistance en cas d'invasion des armées du pacte de Varsovie. La défense territoriale avait été organisée par une loi de février '69 (après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les forces du pacte de Varsovie). Il s'agissait, conformément au concept de "guerre générale populaire" et à l'expérience de la guerre 1940-1945, de créer une myriade de foyers de résistance impliquant toute la population, placés sous la direction de l'armée mais susceptible d'agir de façon autonome dans un territoire occupé par l'ennemi. Ainsi les équipements, armements, stocks et munitions étaient disséminés sur toute l'étendue du territoire, en vue de leur utilisation par les forces constituées localement et par un commandement très décentralisé.
11. En 1971, le gouvernement fédéral yougoslave instaurait la nouvelle "nation Musulmane" pour désigner la population non-serbe et non-croate de la Bosnie-Herzégovine. Les "Musulmans" yougoslaves se "distinguent" par la majuscule des musulmans comme membres d'une religion. Il faut savoir que les musulmans bosniaques (avec m minuscule) sont slaves et parlent une variante du croate ou du serbe. Leur conversion à l'islam serait liée aux guerres menées contre les bogomiles dont ils seraient les descendants. La Bosnie avait été, au XIIIème siècle, un lieu d'épanouissement de l'"hérésie" bogomile née au Xème siècle en Bulgarie. Beaucoup de ses adeptes se sont convertis à l'islam sous l'occupation ottomane. Suivant la constitution yougoslave, le terme "Musulman" ne devait pas exprimer "l'appartenance à une communauté musulmane à définition religieuse" mais devait "acquérir un sens nouveau, national" et c'est pour cela qu'on mit une majuscule au mot musulman.
12. Qu'on en juge par ces quelques chiffres éloquents, qui au-delà de leur froideur comptable expriment la tragique réalité que subit aujourd'hui notre classe. A la mi-juin 1990, le dinar est dévalué (en fait, son taux de change est aligné sur le marché noir): de 1 Deutsche Mark pour 68.000 dinars, on passe à la parité de 1 DM pour 700.000 (!) dinars, soit 10 fois plus, sans pour autant que les salaires augmentent dans la même proportion. A la mi-août, la Banque Nationale, incapable de continuer à faire fonctionner ainsi la planche à billets pour alimenter le gouffre et faire semblant de payer les maigres salaires des prolétaires qui ont encore un travail, émet un nouveau billet de... 500 millions de dinars. Tel un morphinomane épuisé en quête de sa dope, une nouvelle dose plus importante lui est injecté à peine quinze jours plus tard: un nouveau billet de... 1 milliard de dinar est émis. Et enfin, trois semaines plus tard, c'est un billet de... 10 milliards de dinars qu'il faut imprimer en toute hâte. Si la hausse des prix payés par les prolétaires pendant les 8 premiers mois de l'année 93 doit continuer à ce rythme, les experts (!?) prévoyent une inflation annuelle de... 1.671.000.000% (1 milliard 671 millions). Pour l'anecdote, chaque heure, le dinar perd 1% de sa valeur par rapport au DM. La valse des étiquettes devient hallucinante, les prix s'affichent aujourd'hui en milliards de dinars alors qu'en 1992, l'inflation n'était "que" de... 20.000%. Au début septembre 1993, le pain, le lait et d'autres denrées "de première nécessité" sont rationnés dans presque toutes les villes de Serbie et du Monténégro. De toute façon, les produits de base ont disparu des magasins dont les étalages sont quasiment vides. Des gens meurent dans les hôpitaux par manque de médicaments adéquats. Les bourgeois doivent admettre, selon leurs normes, que "90% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté." Les plus touchés sont les retraités qu'il n'est plus rare de voir disputer aux chiens et chats errants le contenu des poubelles. Voilà la situation à laquelle le prolétariat est réduit, avec la facilité pour la bourgeoisie de l'imposer de force en période de guerre! Milosevic n'avait pas tord d'affirmer que les sanctions et le blocus offriraient à la Serbie "l'occasion de restructurer son économie"!
13. Cf. notre "Nous soulignons" sur les mutineries de septembre 1993 à Banja Luka, dans cette même revue.



Nous soulignons

Mutinerie à Banja Luka

Septembre 1993

Au moment où nous cloturions notre texte sur la guerre en Yougoslavie et les luttes menées par le prolétariat contre la dégradation permanente de ses conditions de survie, des mutineries ont éclaté dans certains secteurs de l'armée serbe, confirmant que même dans la pire des situations contre-révolutionnaires, notre classe continue à être la seule alternative vivante à l'horreur capitaliste. Les informations qui nous parviennent de cette zone en guerre sont très fragmentaires, mais nous donnent néanmoins un aperçu si pas de la force du prolétariat, du moins du caractère subversif qu'il contient et de la contradiction sociale qu'il véhicule et qui mine tous les organismes, jusques et y compris les troupes "sûres" et "fidèles" de la bourgeoisie.

* * *

Dans le bastion serbe de Banja Luka (nord-ouest de la Bosnie), trois unités d'élite, le 1er Corps d'armée de la Krajina, la 16ème unité motorisée et la 1ère brigade blindée, déclenchent le 10 septembre une mutinerie à leur retour du front. Les mutins "serbes" -à un tel moment d'affrontement, les nationalités se dissolvent!- entrent dans la ville avec leurs chars d'assaut et prennent le contrôle des principaux bâtiments officiels, notamment la radio et la télévision locales, la mairie et le Quartier Général de l'armée! Les rebelles se donnent immédiatement une direction, un "état-major de crise", baptisé "Septembre 93", dirigé par des sous-officiers et des officiers subalternes, à la tête duquel se trouve un caporal!

Leurs exigences sont: l'augmentation de leur "solde de misère" (à peine l'équivalent de 1 dollar par mois pour les simples soldats), l'arrestation "des profiteurs de guerre, qui au lieu de veiller dans les tranchés ont augmenté leur richesse avec la bénédiction du pouvoir actuel, menant à l'arrière une vie facile, parfois mondaine". Une "liste noire" de 700 de ces "profiteurs" est dressée et des arrestations commencent à s'opérer. Le soir même, le maire de la ville a l'honneur d'inaugurer les cachots humides. Depuis des mois déjà, les soldats, qui ne sont que des prolétaires embrigadés sous l'uniforme de la patrie, dénoncent leurs conditions de non-existence et menacent à plusieurs reprises de "retourner leurs fusils contre les arrières!", selon leurs propres dires. A chaque nouvelle permission, ils appréhendent le retour dans des familles réduites à la misère. Misère que même leur propre mort ne parvient pas à effacer. L'allocation versée par l'Etat à leur famille ne couvre même pas les frais de leur inhumation!

Ce mouvement est révélateur des profondes fractures sociales qui se développent au fur et à mesure que la guerre s'éternise. Ici, c'est clairement l'union sacrée qui VOLE EN ÉCLATS. Tous les "appels au calme et à la raison" sont vains. La bourgeoisie impose dès lors un silence prudent qui en dit long sur ses craintes d'attiser le brasier des luttes de classes. Les bourgeois doivent reconnaître "leur hantise de voir se réveiller des conflits serbo-serbes auxquels ils n'ont jamais réussi à échapper à travers l'Histoire." Derrière ce verbiage journalistique extrait du "Monde", la bourgeoisie tente de voiler le spectre qui la hante, la terreur de voir les prolétaires reprendre leurs véritables armes, classe contre classe, pour affronter ce cauchemar.

Dans les faits, les mutins tiennent la ville entre leurs mains avec le soutien des autres prolétaires. Ils sont l'expression formelle et ponctuelle d'un profond mouvement de ras-le-bol. Dans la ville, la situation est "calme", plus aucun coup de feu n'est tiré la nuit, càd que l'Etat n'ose pas ou n'a plus les moyens d'envoyer des troupes "sûres" pour mater la rébellion. Les "Rambos" de service qui font habituellement les choux-gras des manchettes ont disparu des boulevards, balayés par la mutinerie. Pour la première fois depuis plusieurs mois, Banja Luka bénéficie d'un ravitaillement ininterrompu en électricité. Les insurgés s'emparent des centrales électriques et recommencent à approvisionner la région qu'ils contrôlent. Contre tous les sacrifices imposés par les bourgeois et leur économie de guerre, les prolétaires défaitistes de Banja Luka IMPOSENT DANS LES ACTES ET PAR LA FORCE la satisfaction immédiate de nos besoins élémentaires!

Très rapidement, à l'annonce de la mutinerie de Banja Luka, de nombreux prolétaires incorporés dans diverses brigades de l'armée serbe de Bosnie envoient des télégrammes de solidarité. Grâce à ce soutien, les mutins déclarent prendre le contrôle de TOUTES ces unités. Hélas, ce n'est pas avec des phrases que l'on généralise un mouvement: les déclarations et les télégrammes de solidarité ne suffisent pas. Derrière les mots ce sont les actes qui importent. Si le prolétariat désire se débarrasser définitivement de la boucherie qui l'extermine depuis plus de deux ans dans la région, la seule et unique solution est la GÉNÉRALISATION en actes du défaitisme révolutionnaire. Il faut en finir avec les "serbes", les "croates", les "musulmans" et autres catégories dans lesquelles le Capital tente de nous anéantir. Le développement de la lutte a ses exigences: elle doit briser la cohésion sociale non seulement des unités de l'armée, mais aussi de l'ensemble de la société. Pour cela, il faut en finir une bonne fois pour toute avec le nationalisme en réaffirmant haut et fort que les prolétaires n'ont aucun intérêt dans cette guerre, ni dans ce monde agonisant. Nous ne revendiquons qu'UNE SEULE GUERRE, celle qui nous oppose à nos exploiteurs, qu'ils soient serbes, croates, musulmans ou autres. Contre eux aucune pitié ne peut être tolérée. En avoir, c'est faire preuve de faiblesse.

L'amélioration de nos conditions de vie -et même leur DÉPASSEMENT- ne peut s'imposer que par une généralisation du rapport de forces que les mutins de Banja Luka n'ont pu établir que trop localement. Généralisation signifiant dans les faits l'attaque directe et la destruction de tout ce qui de près ou de loin représente l'Etat. Les prolétaires des diverses unités solidaires des mutins se sont contentés de déclarations d'intention, alors que la situation EXIGEAIT autre chose. Passer non seulement ouvertement AVEC ARMES ET BAGAGES dans le camp de l'insurrection, mais aussi ACCÉLÉRER celle-ci par une radicalisation des revendications en les globalisant pour mettre fin à la boucherie. La situation exigeait l'arrestation de leurs propres officiers, l'utilisation de leurs armes pour attaquer l'Etat, etc...

Les paroles n'ont jamais rien changé à notre misère!!!

Cette situation est caractéristique de l'état de faiblesse généralisée de notre classe à travers toutes ses luttes de par le monde, du manque de continuité, de liaison et d'extension. Partout éclatent des luttes, des grèves, des émeutes en des endroits séparés, et le Capital parvient à maintenir cette séparation, là où précisément existe la communauté de misère et de lutte! Pendant qu'à Banja Luka, les mutins signeront leur perte en commençant à négocier, en Lituanie, d'autres soldats se mutinent également dans l'indifférence totale. Par ce type d'action, les prolétaires mettent de plus en plus en avant notre seule réponse de classe face aux guerres d'extermination: le défaitisme révolutionnaire, le refus de marcher dans les plans du nationalisme, de se sacrifier pour "leur" nouvelle patrie! Partout où la bourgeoisie parvient à embrigader des prolétaires citoyennisés et atomisés dans cette masse appelée "le peuple", notre classe relève tôt ou tard la tête! D'ailleurs, la mutinerie de Banja Luka, bien qu'étant "le premier mouvement de rébellion militaire parmi les Serbes de Bosnie depuis le début de la guerre" (comme aime à le claironner l'ensemble des médias), n'est pas pour autant la première manifestation du défaitisme du prolétariat contre ce conflit (voir à ce propos les nombreux exemples dans notre texte central (1)).

Malgré les faiblesses évoquées, la contagion de la mutinerie de Banja Luka gagne néanmoins du terrain. Le 14 septembre, les journaleux annoncent que non seulement les mutins ont durci leur mouvement, mais que le défaitisme s'étend à d'autres unités, dont la ville de garnison de Sokolac près de Sarajevo.

Mais traversée par toutes les contradictions, la mutinerie balance maintenant entre ses forces et ses faiblesses. Les prolétaires tombent dans le piège tendu par les professionnels de la palabre. De plus en plus, la mutinerie se vide de sa substance subversive pour rentrer dans un cycle infernal de négociations, propositions, contre-propositions, accords et autres salades du même genre qui ne changent STRICTEMENT RIEN à leurs conditions de misère insupportable. Petit à petit, les insurgés vont trouver place dans le grand spectacle permanent de la politique bourgeoise. Après des revendications immédiates visant à l'amélioration de leur sort, les prolétaires vont être gangrenés par le politicisme et incriminer leurs malheurs à une fraction de l'Etat contre une autre. Dans le bourbier des négociations, les insurgés y perdront leur force en exigeant la démission du gouvernement nationaliste de Karadzic. Au même moment, ils feront rentrer par la fenêtre ce qu'ils avaient éjecté par la porte: ils réclament... des élections générales anticipées. Jusque là, ils n'avaient compté que sur leurs propres armes -la grève, le défaitisme- pour imposer l'amélioration de leurs conditions de vie, les voilà qui lâchent pied en se soumettant au cirque électoral.

Profitant de ces faiblesses, l'Etat réussi, après un premier temps d'impuissance, a ramener le mouvement dans un cadre strictement négociable afin d'éviter qu'il ne déborde. L'objectif étant de le réduire à une situation particulière, de le résorber et de le vider de tout contenu subversif. Pour telle unité, la question de la solde sera l'enjeu des négociations, pour telle autre c'est la destitution de certains officiers ou politiciens "corrompus", etc... C'est là le début de la fin. Les mutins n'osent même plus affirmer leur supériorité face à l'Etat tout-puissant. Aucun des différents négociateurs de haut rang qui viendront successivement parlementer avec eux ne seront pris comme otages, ce qui aurait manifestement apporté du poids à leurs revendications. Non, une fois engagées, les négociations se sont déroulées selon le schéma classique du pacifisme et de la conciliation. Le parlementarisme et les négociations devient le véritable terrain: c'est toute la force de la bourgeoisie de parvenir à l'imposer. Le mouvement se prolonge pendant plus d'une semaine. Mais de part et d'autre, c'est le statu quo. Après avoir agité tour à tour, menaces, flatteries et appels au patriotisme, les bourgeois ont de toute évidence misé sur un pourrissement du mouvement. Le temps et le manque de perspectives des prolétaires auront renforcé la bourgeoisie.

Celle-ci tente de temporiser et déclare "justifiées" les revendications, mais non les méthodes des mutins. En faisant ainsi siennes certaines de leurs revendications, la bourgeoisie tente de fixer le mouvement tout en le laissant pourrir. Elle espère ainsi dégoûter les prolétaires en isolant les plus combatifs, en les accusant de "traîtres". Elle les appelle à rejoindre leurs casernes tout en agitant le drapeau de "la patrie en danger". Stigmatisant cette révolte qui "profite à nos ennemis", elle fait un vibrant appel au patriotisme des mutins au moment où les combats redoublent de violence en Krajina.

Coincés par la logique parlementariste, les mutins sont réduit à réclamer "des mesures énergiques contre les profiteurs de guerre". Et à qui s'adressent-ils et demandent-ils cela!? A l'Etat, à ceux-là mêmes qui sont les premiers représentants de cette classe qui VIT de la guerre: la bourgeoisie. Malgré le fait qu'ils affirment que les députés actuels "ne sont pas dignes de leurs fonctions" dont ils ont abusé "pour s'enrichir", jamais sur leur "liste noire" ne figurent ceux-là même avec qui ils négocient! Et c'est aussi celà le prolétariat dans ses contradictions.

Une fois déstabilisée, épuisée, la mutinerie rend les armes et passe sous les fourches caudines des promesses et de la répression. L'Etat attribue aux mutins, qui renient ainsi leur lutte, 10 jours de permission et promet de satisfaire leurs exigences sociales, tandis qu'une répression sélective frappe les principaux dirigeants de la mutinerie. Les arrestations seront la réponse finale de nos ennemis.

La continuation de la boucherie capitaliste et la reprise du jeu diplomatique (les négociations de Genève) ne pouvaient s'imposer que lorsque le prolétariat serait battu!!! "Pour un nouveau Genève, il fallait que le calme règne à Banja Luka!" Les bourgeois auront toujours l'art de régler la guerre comme la paix au mieux de leurs intérêts, de nous pacifier, de nous mener docilement soit à l'abattoir, soit à l'usine!!! Profitant de toutes les faiblesses de la mutinerie, de son manque d'extension, du poison démocratique qui le gangrène, l'Etat l'écrasera pour ramener temporairement la paix sociale et relancer sa guerre sur le champs de bataille.

Malgré l'impitoyable critique que nous devons mener contre les faiblesses et les limites exprimées dans cette mutinerie, les militants communistes ne peuvent que mettre en lumière de tels actes qui nous démontrent que des minorités défaitistes existent bel et bien. De telles actions indiquent la voie à l'ensemble de notre classe. Demain, les mutins défaitistes révolutionnaires donneront le saut de qualité que constitue la liaison et l'organisation de la lutte contre la guerre AVEC LEURS FRÈRES DE CLASSE de l'autre côté des saloperies de frontières que nous impose le Capital.

Mais aujourd'hui déjà, la résistance des prolétaires de Banja Luka nous prouve que le prolétariat n'est jamais complètement prêt à se faire massacrer sans broncher dans une nouvelle boucherie capitaliste. Ni à accepter les sacrifices, l'austérité, la misère, la mort,...

Solidarité de classe avec

les défaitistes révolutionnaires

de tous les camps !

Retournons nos armes

contre nos généraux,

contre notre propre bourgeoisie !

Note

1. D'autres mouvements collectifs de défaitisme se sont également produits cette année sur d'autres fronts, comme par exemple en Azerbaïdjan où pour contrer la vague de désertions qui mine l'armée sur le front du Nagorny-Karabagh, la bourgeoisie a ordonné la suspension de toutes les permissions et l'enrôlement de tous les jeunes de 18 à 25 ans dans l'armée nationale à compter d'avril '93. Des sanctions contre les déserteurs ont aussi été renforcées, confirmant ainsi le défaitisme qui traverse les troupes azéries.



Nous soulignons

Il était une fois un projet pénitentiaire

* * *

"C'était le plus grand projet de construction d'une prison en Allemagne. Sur un terrain de quelques 10 hectares, hautement contaminé par la multinationale pharmaceutique Merk, devait être construite la prison la plus moderne d'Europe: 7 sections pour hommes et 2 sections pour femmes et partout des caméras contrôlant les moindres faits et gestes des détenus.

Les modules furent construits de façon à ce qu'il n'y ait aucune possibilité de communication entre les prisonniers. Ces derniers, enfermés dans des modules autonomes de 20 personnes, devaient jouir de tout le luxe des nouvelles technologie: cellules insonorisées et contrôlées par caméras vidéos, communication en dehors de heures d'activités communes uniquement par interphones, le tout agrémenté d'installations sportives généreuses, d'ateliers bien équipés et autres agréments.

Ces groupes, lorsqu'ils se déplaceraient dans la prison, ne devaient avoir aucun contact avec les autres détenus puisque, conformément à la stratégie de construction en modules, ceux-ci vivaient totalement indépendants les uns des autres.

Avant d'être incorporé à l'un de ces modules, chaque prisonnier subirait un contrôle psychologique et psychiatrique approfondi dont les résultats détermineraient le groupe auquel il serait incorporé. Les avantages dont il aurait bénéficié variant en fonction du groupe auquel il serait intégré (les groupes étant hiérarchisés selon le degré présumé de danger et de non-conformisme). Prison modèle à la mesure des temps modernes, d'une blancheur immaculée, elle devait opérer le regroupement scientifique des individus et annihiler toute possibilité d'échapper à l'oeil omniprésent des gardiens.

Le projet rencontra de nombreux obstacles, et notamment une certaine réticence de la part des "verts" qui comprenaient parfaitement que les Etats modernes requièrent toujours plus de prisons modernes.

Avec le temps, le projet pris corps et son envergure crût.

On ajouta des sections de haute sécurité pour femmes et on envisagea même de destiner une partie de la prison aux réfugiés en attente d'expulsion hors des frontières allemandes.

La nuit du 27 mars 1993, six jours avant l'inauguration de "ce modèle de système pénitentiaire humain", un commando de la Fraction Armée Rouge (R.A.F.) escalade les murs à l'aide de quelques échelles, prend les 11 gardiens du bâtiment et les enferme dans une fourgonnette à 100 mètres de là.

Ensuite, ayant fouillé minutieusement les lieux afin qu'il n'y restât personne, le commando place 200 Kg d'explosifs en différents lieux stratégiques et réduit en poussière cet exemple de progrès humain.

Résultat: les premières estimations parlent de quelques 100 millions de marks de dégâts matériels, la section centrale de la prison (contenant toute l'électronique de contrôle) est complètement détruite.

Ce modèle de "système pénitentiaire humain" devra donc encore attendre encore quelques années avant de se réaliser (s'il ne lui arrive pas d'autre malheur de ce type)."

oOo

Le texte que nous présentons ici est extrait de la revue "A/Parte" publiée à Barcelone, en Espagne (Rec Condol No.18, 1, 1a, 08003 Barcelona). Il nous a semblé indispensable de le diffuser parce qu'il souligne, à contre courant de l'actualité mondiale d'exploitation, d'oppression, de répression, de progrès de l'ensemble des instruments de soumission et de destruction de l'espèce humaine, la résistance de cette dernière, la lutte séculaire face à l'Etat.

La publicité d'une action de ce genre a d'autant plus de valeur qu'il existe un véritable boycott de ce type d'information dans la presse bourgeoise, ce qui se traduit par le fait qu'en dehors de l'Allemagne ce qui s'est passé a quasiment été ignoré, et si l'on peut dire que l'information a très peu circulé en Europe, dans le reste du monde elle est carrément restée inconnue.

Mais si, comme n'importe quel être digne de l'espèce, nous nous réjouissons de voir voler en éclats des instruments de torture et de destruction, conçus par les oppresseurs pour perpétuer leur oppression,... cela ne signifie pas que nous partagions le programme, la pratique globale des auteurs ou de l'organisation qui mena l'action. Etant donné l'état actuel de désorganisation du prolétariat mondial, de faiblesse de ses organisations, d'inexistence de structures internationalistes de combat, qui l'empêchent d'assumer quotidiennement son rôle historique de représentant de l'humanité, il ne faut pas s'étonner que d'autres secteurs sociaux et politiques, avec des positions réformistes, centristes, voire directement bourgeoises, apparaissent et assument des tâches partielles ou ponctuelles d'opposition à l'Etat, en occupant ainsi momentanément la place laissée vacante par le prolétariat. Concrètement, la RAF (Fraction Armée Rouge) n'est pas de notre point de vue une organisation prolétarienne, révolutionnaire bien qu'elle assume ce type d'action et s'oppose à la répression de l'Etat en Allemagne. Sa pratique antérieure la définit tout au contraire, comme une organisation d'affirmation de la guerre impérialiste opposée au bloc USA, mais totalement ambiguë par rapport au bloc URSS, ambiguïté qui l'a conduite à défendre la collaboration avec d'autres Etats capitalistes, en particulier l'ex-RDA (note).

Note

Il nous faut faire ce type de déclaration vu la politique d'amalgame que développe l'Etat capitaliste mondial, et tout particulièrement les secteurs qui, tout en s'auto-proclamant marxistes et révolutionnaires (tel le pseudo "milieu révolutionnaire": Battaglia Communista et le CCI) se soumettent aux campagnes terroristes de l'Etat sous prétexte d'anti-terrorisme.