Dictature du prolétariat pour l'abolition du travail salarié

Organe central en français du Groupe Communiste Internationaliste (GCI)


COMMUNISME No.36 (Juin 1992):



En guise d'éditorial...

La guerre fait rage aux quatre coins du globe. Pas un continent n'échappe à ce qui nous est présenté comme une calamité naturelle. En Yougoslavie, dans l'ex-Urss, en Turquie, en Birmanie, en Afrique, en Asie,..., le nationalisme réunit les classes en une étreinte odieuse autour de la Patrie abjecte et les prolétaires s'entre-tuent par milliers.

Et ce n'est pas suffisant encore. Les guerres locales ne satisfont pas les infinis besoins de valorisation du monde marchand. Pour se ressourcer, pour relancer un cycle de valorisation, pour se donner ce deuxième souffle qui lui manque tellement dans la crise actuelle, le Capital a impérieusement besoin d'une guerre mondiale.

Quel que soit le chemin qu'il faudra prendre, les horizons bouchés de chaque économie nationale conduiront inéluctablement la bourgeoisie à poser la question d'une guerre généralisée. C'est inscrit en lettres de sang dans l'histoire et c'est de cette histoire dont nous allons parler tout au long de cette revue, en rappelant à chaque page que la seule alternative à la guerre bourgeoise réside dans l'organisation en force du prolétariat autour de son projet historique: l'abolition révolutionnaire de l'esclavage salarié et des classes sociales.

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La guerre est donc aujourd'hui présente à chaque page de journal. La guerre sous sa forme militaire bien sûr, mais aussi celle qui rejette quotidiennement des milliers d'ouvriers hors du circuit de production, leur laissant la possibilité de l'aumône sursitaire que représente l'allocation de chômage ou, quand elle n'existe pas, le choix de voler ou de crever!

Par les paillettes qui recouvrent le spectacle médiatique, par l'abrutissement qu'exercent les éternels sourires figés de ceux qui nous font l'information et les "variétés", on nous fait passer cet immense désordre, drainant quotidiennement 120.000 morts de faim, pour un immense Disneyworld "où tout irait mieux demain".

Face à cela, le Vieil Ordre International est à bout de souffle et n'a plus rien d'autre à présenter que la "modernité": son désordre, il l'appelle maintenant le "Nouvel Ordre Mondial". Ce "Nouvel" ordre prétend même à l'éternité. Face à l'horizon bouché et angoissant de la crise économique et politique mondiale, ses idéologues décrètent la fin de l'histoire:

"... la démocratie libérale pourrait bien constituer le point final de l'évolution idéologique de l'humanité et la forme finale de tout gouvernement humain, donc être en tant que telle la fin de l'histoire."
C'est Francis Fukuyama, ancien conseiller du Département d'Etat américain, qui a osé écrire cela dans un livre intitulé "La Fin de l'Histoire et du Dernier Homme".

Il est vrai qu'une société qui génère chaque jour un cimetière ordinaire de centaines de milliers de morts n'a rien à envier aux camps d'extermination de la dite "Deuxième Guerre Mondiale" et apparaît effectivement pour une "Solution Finale" à l'histoire. En ce sens sans doute, le livre de l'idéologue libéral qualifie bien la société qu'il défend.

Mais la "modernité" derrière laquelle se réfugie le monde actuel a d'autres bases que cette "utopie enfin réalisée".

Sa base essentielle pour se maintenir idéologiquement en vie est toujours la même: la démocratie. La bourgeoisie nous vend son système "où tout change sans que jamais rien ne change" sous d'autres atours et en d'autres termes. Pourtant, l'essentiel de son objet reste le même: nier les classes, dissoudre l'antagonisme irréconciliable entre ceux qui exploitent et ceux qui sont exploités. Faire disparaître ces derniers sous des tonnes et des tonnes de mots qui consacrent l'existence d'un peuple, de gens, de citoyens,... d'une société civile.

La "modernité" cache la même réalité en d'autres termes.

On parle de "restructuration" pour parler de licenciements massifs de prolétaires. On parle de "commissaire du peuple" ou de "représentant de l'Etat" pour parler des gestionnaires de notre force de travail. Le prolétaire qui crève de froid ou de faim parce qu'il n'intéresse plus la production capitaliste, on l'appelle cyniquement, un "sans abri" ou encore un "assisté social", comme pour prouver que jusqu'au bout,... "la société pense à toi"!

Le balayeur de rue lui-même est pudiquement qualifié de "technicien de surface". C'est moderne!

L'euphémisme de bois du langage démocratique n'a pas de limites: prolétaires et bourgeois sont maintenant sur un pied d'égalité civile dans la catégorie des "partenaires sociaux".

Mais ce qui est beaucoup plus préoccupant, c'est de retrouver cette même tendance à nier l'existence de classes sociales au sein même des quelques publications ouvrières qui subsistent encore en cette période.

Dans la plupart des tentatives pour remettre la contradiction de ce monde mort au coeur des questions, on retrouve aujourd'hui cette même pudeur à affirmer clairement que notre projet, notre programme, le programme communiste d'abolition de l'argent et des classes, trouve comme sujet actif le prolétariat et comme ennemi irréductible, la bourgeoisie.

Soumis à la terreur bourgeoise et citoyenne qui nie l'existence des contradictions sociales en noyant exploiteurs et exploités dans le même monde civil, dans le même code civil, on voit maintenant ceux-là mêmes qui prétendent s'opposer au Capital, se cacher pudiquement derrière une sorte de virginité sociale qui les amène à parler de "peuple", de "pauvres", d'"émeutiers", de "déclassés", d'"insurgés", de "révoltés",... pour éviter la claire définition de ce que nous sommes: une classe d'hommes libre de toute propriété si ce n'est celle de notre force de travail et de notre progéniture (la prole!); une classe qui n'a d'autre solution pour supprimer son exploitation que de se nier elle-même, et par là de nier toutes les classes sociales; bref, une classe -le prolétariat!- qui a comme projet social le communisme, la pleine disposition du temps et des choses comme champ d'épanouissement de l'Homme.

Cette situation est le propre des périodes de paix sociale au cours desquelles la démocratie triomphante se présente comme un horizon indépassable, interdisant toute contradiction, soumettant la terre entière à l'appel de la réussite individuelle.

Ici, les classes n'ont plus droit de cité. Ou plutôt si, mais celle qui domine s'impose tellement puissamment comme prétention aux valeurs universelles, que les exploités eux-mêmes semblent disparaître derrière le mariage qu'ils consomment avec l'idéologie de leurs prédateurs.

L'habitant du taudis ne se révolte plus contre les rois du pétrole, il se prend désormais pour un héros de l'univers, pourtant impitoyable, de Dallas.

A propos de la rédaction des statuts de l'AIT, Marx écrivait à Engels en 1864, dans cette période de paix sociale coincée entre les luttes de 1848 et celles de 1871:

"Toutefois, j'ai été obligé d'accepter dans le préambule des statuts deux phrases où il est question de "devoir" et de "droit", de même que de "vérité, morale et justice", mais je les ai placées de manière qu'elles ne fassent pas de dégâts... Il était bien difficile de donner un texte en exprimant nos vues sous une forme qui les rendît acceptables dans la situation actuelle du mouvement ouvrier... Il faudra du temps, avant que le mouvement ressuscité permette, comme autrefois, l'audace du langage."
Comme on le voit, nous ne sommes pas la première génération de révolutionnaires à être confrontés aux effets pervers de la paix sociale!

Et puisque nous en sommes au chapitre des "vieilleries" de l'histoire qui redeviennent tellement actuelles dès que le prolétariat reprend vie et lutte, nous ne résistons pas au plaisir de faire partager à nos lecteurs cette citation du vieux Blanqui qui, en 1852, au moment où la contre-révolution triomphait des assauts prolétariens de 1848, lançait à l'égard des bourgeois gauchisants et modernes de l'époque:

"Les roués se complaisent dans ce vague qui fait leur compte; ils ont horreur des points sur les 'i'. Voilà pourquoi ils proscrivent les termes: prolétaires et bourgeois. Ceux-là ont un sens clair et net; ils disent catégoriquement les choses. C'est ce qui déplaît... Il s'agit d'empêcher que les deux drapeaux ennemis ne se posent carrément en face de l'autre... On ne veut pas que les deux camps adverses s'appellent de leurs vrais noms: prolétariat, bourgeoisie. Cependant, ils n'en ont pas d'autres."
Nous pourrions prendre bien d'autres exemples pour confirmer que toute l'histoire de la lutte entre prolétariat et bourgeoisie est rythmée par ces moments où, disparaissant momentanément sous les coups de la démocratie, la classe ouvrière est amenée à nier sa propre existence. Il était normal qu'à l'écrasement de la vague de lutte 1968-1973, succède une telle période.

A tous ceux qui, comme nous, sont traités de dinosaures de l'histoire, parce qu'ils gardent dressé le drapeau des luttes de notre classe, à tous ceux qui ne croient pas plus en Dieu qu'en un quelconque paradis démocratique, nous proposons de lire les quelques textes de cette revue.

Le plongeon dans l'histoire a l'avantage de laisser se redessiner plus clairement les grands mouvements d'affirmation et de négation de la révolution. La perspective donnée par le regard vivant sur un passé de luttes offre alors, à l'encontre de toute la bimbeloterie moderne, un joli point de vue sur l'état de plus en plus précaire du monde marchand, miné par les galeries creusées par des générations d'adeptes de cette vieille taupe qu'est la révolution. Creusons encore, camarades!

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Pour commencer cette revue, nous avons placé quelques leçons tirées de la guerre du Golfe et des luttes qui ont éclaté en Irak. Cet article complètera utilement les informations que nous avions publiées dans les Communisme No.33 et 34. On y verra la confirmation de ce que nous annonçions dès le mois de février 1991: en Irak, la guerre a été arrêtée à cause de l'attitude déterminée du prolétariat à ne pas se battre et à se retourner contre "sa propre" bourgeoisie. L'article trace également un court historique des luttes dans les régions du Sud, région où l'insurrection fut aussi forte qu'au Kurdistan, mais pour laquelle nous disposons de beaucoup moins d'informations.

En annexe à cet article, et en contraste avec le peu de réaction des soldats sous l'uniforme américain pendant la guerre du Golfe, nous soulignons la mémoire des luttes qui désorganisèrent l'armée américaine pendant la guerre du Vietnam, à la fin des années soixante.

On trouvera également dans ce numéro, un article composé à l'occasion des macabres "festivités" du 500ème anniversaire du début du massacre des indiens en Amérique, ainsi qu'une mémoire ouvrière consacrée au souvenir des conditions dans lesquelles la Social-Démocratie, toutes fractions "socialistes", "anarcho-syndicaliste", "anarchiste",... confondues, envoya le prolétariat se battre en 1914. Les leçons sont plus actuelles que jamais.

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Enfin, pour terminer cet éditorial, nous aimerions saluer la publication d'une brochure anti-nationaliste produite par des camarades au Canada et qui regroupe une série de textes au sujet des luttes de classes qui viennent de se dérouler en Irak, après la guerre. Voici un extrait de la préface, auquel nous ne pouvons que souscrire:
"Nous aimerions aussi profiter de l'occasion pour rappeler que les événements de l'année qui vient de s'écouler, sont là pour nous signifier la nécessité toujours plus impérieuse de développer intensément les relations entre révolutionnaires de tous les continents afin de pouvoir rencontrer les exigences d'une efficacité optimum dans la mise en oeuvre de nos tâches internationalistes.

Il conviendrait donc de songer aux moyens pratiques de réagir toujours plus simultanément aux situations, où que nous soyons, afin d'être en mesure de porter les affrontements qui s'annoncent à un niveau supérieur."

La brochure s'intitule "Irak - Les Révoltes inconnues - La guerre des Shoras". Le lecteur intéressé pourra se procurer la brochure en nous écrivant ou en contactant directement leurs auteurs à:

C.D.L.
C.P. 5209, succ. C
Montréal, Québec
Canada
H2X 3N2



Irak :

Prolétariat contre nationalisme

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Plus d'un an après le cessez-le-feu intervenu entre l'Irak et les armées de la Coalition (1), nous pouvons mieux que par le passé, tenter de développer, critiquer et soutenir la lutte menée par nos frères de classe dans cette région.

Rappelons une fois encore que notre critique se fait en pleine continuité avec notre "vieille" Proposition Internationale, dont l'une des concrétisations fut une réunion à Berne en octobre 1989 (2). Cette proposition reste centrée sur la lutte contre la terreur d'Etat et contre la préparation à la guerre, et garde toute son actualité.

A Berne, la réunion fut axée plus concrètement sur les luttes de classe en Irak et en Iran, peu après la guerre que s'était livrée ces deux pays. Cette réunion se voulait une tentative de coordination de l'activité internationaliste, et plusieurs propositions concrètes y furent formulées pour assumer la lutte et la solidarité face à l'Etat.

Depuis longtemps déjà, l'importance des luttes prolétariennes en Irak a déterminé notre tentative pour activement lancer un travail de centralisation de ces luttes avec d'autres militants communistes. Pendant et après les luttes dans cette région ont surgi, dans différents coins du monde, des volontés militantes et des tentatives d'organisation. Mais ces tentatives furent dramatiquement isolées et exceptionnelles.

Alors qu'en Irak, le prolétariat tendait à sa reconstitution comme classe, et que nos camarades réussissaient à s'organiser dans une perspective internationaliste (en diffusant nos matériaux par exemple, en distribuant nos brochures dans la région, en imprimant même localement nos "Thèses d'Orientation Programmatiques" en arabe,...), ici, en Europe, la phase sectaire prédominait, et nous devions constater que même les propositions minimales décidées à Berne (tentative d'organisation de la solidarité par la circulation des informations et des militants, par la création d'une adresse de contact, d'une caisse de fonds d'aide,...) ne pouvaient être maintenues.

En Europe, malgré cette situation de dispersion, malgré le peu d'initiatives prolétariennes dans ce coin-ci de la planète, nous avons essayé de maintenir autant que possible la solidarité internationale avec nos frères en lutte en Irak. Les militants et les informations ont circulé, et nous avons tenté de tirer collectivement les leçons de ces événements.

Il est vrai que dans quelques endroits du monde, des militants de notre classe ont porté un intérêt aux luttes du prolétariat en Irak et cela s'est concrétisé par des tracts, brochures, revues qui y ont été consacrées. Mais sans vouloir porter un jugement définitif sur le contenu de ces différentes productions, nous ne pouvons que regretter que l'énergie qui s'est exprimée au travers de celles-ci soit restée essentiellement dispersée et donc notoirement moins efficace à tout point de vue, cela tant immédiatement qu'historiquement.

Quant aux groupes dits "ultra-gauche", c'est encore et toujours le rejet raciste de toute lutte dépassant Milan ou Paris qui a prédominé. Pendant qu'en Irak, le prolétariat tendait à sa reconstitution en tant que classe, et que nos camarades réussissaient à s'organiser avec des perspectives propres, les militants du "Petit Milieu Révolutionnaire" portaient le même regard attardé sur leur nombril et lâchaient, tels des pontifes, quelques avis du haut de leur chaire. L'auto-suffisance et les leçons à donner ont marqué l'eurocentrisme propre à ce milieu complètement étranger à la centralisation des forces communistes de par le monde. Rappelons encore que le CCI, un représentant éminent de l'eurocentrisme, nie purement et simplement l'existence de luttes prolétariennes dans cette région, considère la classe ouvrière comme inexistante en Irak, et affirme qu'elle ne "possède quasiment aucune expérience historique de combat contre le capital (sic!)" (3).

Outre l'eurocentrisme et le mépris que ce type d'analyse exprime, ce qu'elle nie avant tout, c'est le développement de la contradiction capitalisme/communisme. La situation explosive en Irak ne montre pas seulement le présent de cette contradiction, mais bien plus encore son futur. Car "ici" aussi, la barbarie de la civilisation capitaliste, la guerre que le Capital mène contre le prolétariat, ne peut que se développer et s'accentuer jusqu'à atteindre l'intensité avec laquelle elle existe "là-bas", en tant qu'unique solution du Capital pour résoudre cette contradiction qui lui est mortelle. Notre lutte, les réponses des prolétaires en Irak, nous montre la seule voie possible au combat contre cette barbarie, la lutte pour la révolution.

C'est pourquoi, une fois encore, et malgré le peu d'écho rencontré dans le passé et même le présent (en dehors de certains contacts et camarades que nous connaissons personnellement), nous n'hésitons pas à réitérer notre appel de toujours:

Organisons ensemble le défaitisme révolutionnaire et la communauté de lutte contre la guerre !

Sur base des propositions que nous avons faites, sur base de toute proposition sérieuse partant des intérêts du prolétariat, sur base de toute initiative révolutionnaire émanant d'un militant ou d'un groupe de militant, unissons nos forces face à tous ceux qui préparent la guerre, regroupons-nous pour être plus forts!

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Ce texte a pour but de compléter nos précédents articles. Il faut savoir que nous avons à tout moment favorisé l'actualité des informations arrivant du Golfe. Face à l'occultation générale, face au blocus complet opéré par les médias à propos des luttes révolutionnaires en Irak, nous avons favorisé la diffusion des informations que des militants de notre groupe ou d'autres organisations nous ont fait parvenir. Ces informations nous sont arrivées par fragments, insistant tantôt sur l'importance des différentes organisations présentes, tantôt sur la force de l'organisation de l'insurrection, tantôt sur les débats politiques en cours, etc. Nous avons préféré publier l'ensemble de ce qui nous parvenait, au fur et à mesure des publications, plutôt que d'attendre un hypothétique moment où nous aurions disposé d'un tout nous permettant de faire un texte unique et plus structuré.

En ce qui concerne ce texte-ci, nous avons à nouveau profité de récentes informations qui viennent de nous parvenir, ici en Europe, pour compléter les sujets que nous voulions traiter, à savoir, les luttes dans le Sud de l'Irak, l'apparition des Shoras au Kurdistan et les organisations présentes sur le terrain, les campagnes humanitaires de la bourgeoisie. Nous avons placé en annexe une liste de slogans utilisés le temps de l'existence des Shoras, ainsi que des extraits de textes datant de juillet 1991, en provenance de différentes organisations. On trouvera également dans nos annexes, un tract que notre groupe a tout récemment diffusé -mai 1992- dans la région de Soulaymania.

Que le lecteur nous excuse donc pour l'aspect relativement décousu de ce texte. En Irak aujourd'hui même, des minorités déterminées tirent les leçons de ce qui s'est passé, critiquent le démocratisme des Shoras, discutent les moyens de généraliser la lutte anti-nationaliste, résistent au désarmement que la bourgeoisie tente d'imposer à ceux qui l'affrontent. C'est dans ce contexte chaotique et périlleux, que nos camarades tentent de briser le mur des nations en nous faisant parvenir leurs textes, tracts, analyses, informations.

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Le premier chapitre se veut une rapide fresque de l'histoire des luttes en Irak, principalement dans le Sud. Nous voudrions par là, à la fois tenter de combler le peu d'informations dont nous disposions à propos des luttes défaitistes qui s'y sont déroulées pendant la guerre, et répondre également à l'incroyable préjugé "euroraciste" consistant à penser que les camarades de ces régions n'ont aucune expérience de lutte! Ces quelques lignes sur les luttes dans les régions des marais suffiront à démontrer l'intensité de la lutte contre l'Etat qui s'y est historiquement déroulée. Ce chapitre complètera utilement l'information que nous avons donnée sur les luttes en Irak, pendant et après la guerre.

Le deuxième chapitre traitera du surgissement contradictoire des Shoras durant la guerre du Golfe, d'abord comme réponse associationniste de notre classe face à toutes les organisations bourgeoises, puis, comme frein démocratique au développement de la lutte.

Le troisième et dernier chapitre traitera d'une manifestation particulièrement cynique de la lutte de la bourgeoisie mondiale, pour réprimer le prolétariat: les campagnes humanitaires et électorales.

1. La "région des marais": refuge traditionnel de la résistance à l'Etat

La résistance anti-étatique dans le sud de l'Irak, particulièrement dans la "région des marais" est bien antérieure à l'arrivée des Baassistes au gouvernement. Au travers des siècles, cette région a toujours servi de refuge à tous les pourchassés, les réprimés, les rebelles,... La configuration des marécages rend ceux-ci inaccessibles par voie de terre et en fait un endroit privilégié pour se cacher. La répression du gouvernement Baassiste n'est qu'un exemple, à une époque donnée, de la cristallisation de la volonté historique de l'Etat bourgeois d'en finir avec les désordres et l'indiscipline sociale qui règne depuis toujours dans cette région.

Il existe des dizaines de tribus, clans,... dans la "région des marais", et comme il est très difficile de se déplacer dans cette région, les communications entre les habitants des différents endroits sont rares. Pourtant, au delà de ces obstacles, ce qui les unifie, c'est la tradition du refus systématique à se soumettre à l'Etat.

Au début du siècle déjà, la bourgeoisie anglaise avait cru pouvoir utiliser à son propre compte les réactions anti-étatiques qui surgissaient contre les Turcs dans ces régions du sud. Elle essaya de rallier les luttes sociales qui éclataient contre l'Etat turc, à ses propres intérêts. Mais les réactions des prolétaires furent loin de correspondre à l'attente des colons anglais, et les actions contre ceux-ci devinrent tellement violentes que l'Etat turc tenta à son tour de s'approprier historiquement les combats livrés aux bourgeois anglais: ils présentèrent la résistance de la "région des marais" comme l'exemple même de la lutte pour la décolonisation!

Aujourd'hui encore, l'opposition officielle (les chiites) tente de confisquer ce qui reste de lutte sociale dans le sud, et la présente comme l'expression du soutien à leur propre politique.

Le parti Baas est connu comme l'un des gouvernements les plus répressifs de l'histoire moderne de l'Irak. Et bien qu'il ait réalisé d'énormes projets sociaux et économiques dans cette région, des projets qui dépassent de loin la somme de tout ce qui a été fait dans ce domaine par les autres gouvernements depuis le début de ce siècle, l'indiscipline sociale resta toujours présente.

Cette particularité a fait des populations de la "région des marais" une sorte d'"ennemi naturel" de l'Etat toutes fractions confondues (baassistes, chiites, nationalistes,...).

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Peu avant la guerre Iran/Irak, quelques centaines de militants pourchassés se réfugient dans les plaines marécageuses. Ces déserteurs trouvent un appui auprès des populations locales des frontières sud de l'Iran. A cette époque, ces militants ne constituent pas une force organisée et ne possèdent que peu de moyens de défense parce qu'ils ne représentent qu'une poignée d'hommes éparpillés et très isolés.

On trouve parmi ces militants des anciens membres du Parti "Communiste" Irakien venus des villes du sud et du centre. Ils sont recherchés pour la plupart, à cause de leur refus de collaborer au traité d'alliance signé entre le gouvernement et leur parti. Dans certains cas, le Parti "Communiste" Irakien les dénonce auprès du gouvernement.

On y trouve aussi des militants ouvriers actifs dans l'agitation et les actions de classe qui eurent lieu dans des villes comme Bassora, Amara, Nassiria. Il y a enfin de nombreux déserteurs et prolétaires qui refusèrent le travail obligatoire dans des organisations du parti Baas (organisation d'étudiants, syndicats, travail populaire,..).

Au début des années 70, un plan de réaménagement du territoire dans la région est élaboré par le gouvernement. Celui-ci a pour but d'augmenter la terreur d'Etat en prenant pour cible directe la destruction des villages les plus proches des marais. Le gouvernement veut par là limiter au maximum l'appui des habitants aux rebelles en déportant les villageois vers d'autres lieux. Les maisons de ceux qui refusent de partir sont dynamitées par l'armée, obligeant ses habitants à vivre dans les décombres.

Quand la guerre avec l'Iran est déclenchée, les rangs de ces réfugiés et déserteurs augmentent de plus en plus. Profitant du peu de préoccupation de l'Etat à leur encontre (occupé par le conflit), la survie de ces militants devient momentanément plus facile, bien qu'elle ne soit pas encore assez structurée que pour se définir comme une force clairement organisée.

La première année de guerre permet donc de soulager quelque peu la pression directe que le gouvernement exerçait sur eux. La question de la survie immédiate devient moins lourde. Beaucoup de prolétaires se réfugient dans cette zone avec leurs familles.

Mais malgré l'augmentation du nombre de ces réfugiés et déserteurs, le manque de perspective, le manque de projet social clair limite la lutte à la survie individuelle d'une masse au potentiel pourtant révolutionnaire.

La victoire de l'Etat irakien dans les premiers assauts contre l'Iran renforce cette tendance à la désorientation. L'Etat est dans une phase où il comptait plus ses victoires que ses défaites. Il est donc plus à l'aise que jamais pour combattre ses ennemis "intérieurs" et justifier la répression.

Ce rapport de force en faveur de la bourgeoisie réduit le champ d'action des militants à des liens de plus en plus difficiles à maintenir. Cette présence massive de "hors-la-loi" attire l'attention des autorités et évoque la nécessité d'une réaction musclée contre eux. Toute action de la part des déserteurs risque de provoquer dès lors une réaction de la part du gouvernement.

C'est durant cette période (il y en aura d'autres) que l'Etat menace d'exécution les habitants de la région s'ils aident des "hors-la-loi". Les autorités mettent leurs menaces à exécution et détruisent des villages proches des marais. L'Etat exécute par dizaines des habitants accusés d'aider des déserteurs. Le simple fait d'indiquer la route à un déserteur est considéré comme suffisant pour s'attirer les foudres de la répression.

Janvier 1981 est marqué par le début des contre-offensives iraniennes pénétrant en territoire irakien dans la région d'Ahwaz. Quelques milliers de déserteurs s'ajoutent à ceux qui étaient déjà présents. La plupart fuient le front et les régiments d'arrière-garde.

Durant cette période, le gouvernement change les axes de sa propagande de façon à ce qu'ils correspondent mieux aux nécessités du moment, c'est-à-dire à sa situation de défaite militaire. Cette propagande défend le fait que l'Irak n'a jamais eu l'intention d'envahir l'Iran et que l'attitude agressive de l'Iran (ses victoires militaires) ne peut qu'amener tout bon patriote "à défendre responsablement sa patrie". Les implications pratiques de cette propagande consistent en une large distribution d'armes à tous les habitants des régions du sud à qui on propose de "se défendre soi-même contre les fanatiques iraniens".

Les bourgeois iraniens, de leur côté, multiplient les appels à la résistance et à la "Jihad sacrée" contre le "satan Saddam", pour "la libération des villes saintes de Karbala et Najaf".

La grande défaite de l'armée irakienne en 1982 renforce le mouvement de désertion et le repli de l'armée vers les régions sud du pays. La peur d'une victoire de l'armée iranienne dans le sud et le centre contraint l'Etat irakien à lancer une opération de nettoyage sur ses propres territoires du sud. L'Etat tente de liquider toute résistance anti-gouvernementale à l'intérieur du pays et au sein même de l'armée.

C'est dans le courant de cette même année que des villages dans les marais sont bombardés aux armes chimiques. On prend pour cible les villages qui ont refusé d'obéir aux ordres de quitter la région et de rejoindre la mobilisation générale pour la défense de la patrie.

Les déserteurs se retrouvent dans une situation assez complexe. D'un côté, une armée iranienne aux frontières sud qui se prépare à l'offensive finale contre l'armée irakienne (l'Iran essaye de couper la route principale qui relie Bagdad au sud, à Bassora). D'un autre côté, une armée irakienne bien équipée, quoique affaiblie par un manque manifeste de volonté d'obéir aux ordres, de la part de nombreux soldats. Le désordre règne dans les rangs des déserteurs et laisse une situation peu claire du point de vue prolétarien. Les réfugiés des marais s'expriment plus comme une masse que comme un mouvement organisé.

Pendant toute cette période, une kyrielle de petits groupes (dont nous ne connaissons pas les noms) lance des appels (non centralisés) pour l'auto-organisation, l'auto-défense et pour le maintien de la lutte contre les deux armées. Des groupes ou plutôt des unités de combattants organisent des opérations de sabotages au coeur même des territoires détenus par l'armée irakienne (attaques de dépôts de munitions, de lignes de chemin de fer, de convois, de sièges du gouvernement, exécution de membres connus du parti baassiste, propagande pour pousser à la désertion d'autres soldats,...).

L'Etat iranien tente aussi d'utiliser ces actions à son propre compte, aux travers de la fraction bourgeoise chiite basée en territoire irakien, le parti Dawa islamiste (4). Mais, celui-ci ne parvient pas à mobiliser les prolétaires de son côté, sauf une toute petite partie d'entre-eux, qui, aussitôt convaincus, quittent la région pour rentrer dans les rangs des petites unités Dawa en Iran.

Pour recruter des militants dans le parti Dawa, le gouvernement iranien facilite la vie à ses adhérents ou sympathisants en leur donnant des avantages matériels: soin des malades et des blessés, autorisation de visites et de déplacements en Iran, nourriture,... Ceux qui refusent le cadre de ce parti, doivent se démerder clandestinement pour se soigner ou se procurer de quoi survivre. Certains déserteurs se font d'ailleurs passer pour des adhérents de ce parti le temps de se soigner.

Plus le temps passe, plus le besoin d'organisation et de centralisation devient fort. A cette époque, la région sud est le théâtre d'un véritable carnage organisé entre les deux armées iraniennes et irakiennes. La situation de tous les déserteurs réfugiés dans cette région en est aggravée.

En 1983, il y a jusqu'à 20.000 déserteurs relativement bien équipés: une véritable armée révolutionnaire de défaitistes. C'est alors que, l'Etat irakien lance une vaste offensive contre ces insurgés.

A cette époque, les frontières de la guerre se stabilisent plus ou moins. Les bourgeois parlent de plus en plus de trouver une solution pour "faire la paix".

En fait, au front, les avant-postes de l'armée irakienne montrent de plus en plus d'hésitation à appliquer les ordres. La désobéissance des soldats se généralise. Finalement, l'état major irakien donne l'ordre d'anéantir une partie de ses propres troupes, trop sensible au défaitisme, et dont elle craint une contagion au reste de l'armée. Ainsi, un régiment entier d'un millier de soldats est purement et simplement massacré. Les bombardements massifs font 8.500 morts dans les rangs des déserteurs. L'armée iranienne basée à quelques kilomètres de là ne lève évidemment pas le petit doigt pour s'y opposer. Bien au contraire, elle empêche tant les blessés que leurs familles de se réfugier en Iran.

Malgré l'ampleur, la brutalité des bombardements et l'immonde massacre qu'elle engendre, l'armée ne réussit pas à entrer à l'intérieur des zones occupées par les déserteurs.

Les journaux d'opposition irakiens (Parti "Communiste" Irakien, nationalistes kurdes, Dawa, islamiste,...), soulignent: "il est bien dommage que tous ces enfants du peuple n'aient pas pu se donner un corps politique, un parti, pour entrer dans les rangs des autres partis démocrates, anti-fascistes, pour travailler dans le front démocratique irakien". Ils montrent par ce genre de déclarations qu'ils ne contrôlent rien du mouvement.

A l'époque, l'UPK (Union Patriotique Kurde) de Jalal Talabani négocie avec le gouvernement irakien pour trouver une solution pacifiste aux questions kurdes.

Après cette défaite, une partie des déserteurs se réfugie avec leur famille en Iran, mais une petite minorité d'entre eux arrive à gagner les régions du Kurdistan. Ceux-ci doivent à la fois fuir la répression de l'armée irakienne mais également se défendre contre les nationalistes kurdes (tout particulièrement l'UPK). Ces derniers livrent aux autorités les déserteurs qu'ils attrapent, en échange de quoi, le gouvernement leur accorde des concessions dans les négociations.

Quelques uns échappent aux nationalistes et survivent grâce à l'aide d'autres déserteurs ou trouvent refuge dans des villages Kurdes. Ceux qui n'ont pu fuir les régions du sud, sont condamnés à résister et combattre pour survivre.

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Entre 1986 et 1989, dans le centre du pays et aux alentours de Bagdad, l'activité prolétarienne réémerge. Différentes unités de déserteurs organisent des opérations de sabotage, des réappropriations prolétariennes, des attaques de stocks de munitions, de nourriture, des sabotages de lignes de chemins de fer, des organisations d'expéditions punitives contre des membres du parti Baas ou de son service de sécurité. Des affrontements ont lieu entre des troupes de sécurité du gouvernement et des groupes prolétariens armés.

Les journaux irakiens relatent journellement des arrestations et des exécutions de "traîtres", de "voleurs", de "bandits" et de "trafiquants",... et ce, dans la seule région du centre.

Des villages entiers sont une nouvelle fois détruits et leurs habitants massacrés pour avoir été suspectés d'avoir donné à manger aux "saboteurs" ou simplement pour leur avoir laissé traverser leur village.

Dans cette période, on distingue deux fronts de guerre. Un à l'extérieur de l'Irak. L'autre plus menaçant, à l'intérieur. Un peu partout dans toutes les villes surgissent des luttes contre le gouvernement. Ces luttes prennent de plus en plus un aspect massif et organisé.

A notre connaissance, une multitude de groupuscules surgit dont les membres actifs dépassent rarement le nombre de quelques dizaines. Les centres de ces petits groupes se trouvent dans les villes de Bagdad, Nassiria, Bassora, Diwanya, Shatora, Al Amara, Kut,... Toutes ces structures prennent des arrangements pratiques entre elles à propos du partage du territoire et de l'influence militaire. Elles essayent d'organiser la solidarité, l'entraide, l'échange d'informations, les soins des blessés, l'organisation des magouilles pour survivre, les méthodes de déplacements des unités, les liens avec les villes et la population,... En fait, la création de ces structures date d'après la grande défaite de 1983, qui n'a laissé sur place que 3 à 4.000 combattants. Ce sont des officiers déserteurs qui sont à l'origine de la plupart de ces structures.

Trois groupes sont connus pour leurs tracts ou appels. Ce sont des organisations réunissant des prolétaires, malgré une forte influence de l'idéologie maoïste: "l'Avant-garde ouvrière", "La révolution permanente", "Autonomie de combat",... Il existe également un organe du nom de Shakhila (travailleurs).

Ce n'est qu'à partir de la dernière année de guerre contre l'Iran, que des tentatives de centralisation parmi ces structures voient le jour. La démobilisation à l'intérieur de l'armée, les conditions de vie de plus en plus difficiles de la population, le poids de la répression de plus en plus féroce contre la résistance anti-gouvernementale a encouragé cette démarche.

Cette résistance surgit à chaque fois que sont ramenés les corps de soldats tués au front. Les prolétaires des villes ou des villages en profitent pour organiser des rassemblements et des manifestations contre l'Etat, contre la guerre. Des manifestations ont lieu tous les jours devant des sièges de gouverneurs ou du parti Baas. Au cours de ces manifestations, les flics n'hésitent pas à tirer ou à arrêter les meneurs pour les exécuter publiquement.

Mais la répression ne décourage pas les révoltes des prolétaires habitués à ces méthodes et qui ont vécu dix fois pire. Après chaque agitation, aussi bien dans les villes qu'à l'intérieur de l'armée, les débordements sont brutalement réprimés dans le sang. Les exécutions de soldats et d'officiers sont monnaie courante. Le gouvernement leur reproche "d'avoir laissé des malfaiteurs mettre en péril les intérêts nationaux et la sécurité d'Etat". Des hauts responsables sont également parfois exécutés. Ainsi, on a pu voir des "héros de la nation" décorés plusieurs fois par Saddam lui-même, finir devant un peloton d'exécution. Certaines de ces exécutions ont lieu publiquement. La situation est telle que les remplaçants de ceux qui viennent d'être exécutés ne savent plus comment agir. Ils ont peur d'être accusés à leur tour de brutalité par la population ou de laxisme par l'Etat.

Les quelques vieux militants qui ont eu la chance de survivre, après la systématisation des exécutions de leurs camarades avant et pendant la guerre Iran/Irak, reprennent un bol d'air grâce à la réémergence des luttes. Les appels à la résistance dans les villes sont nombreux. Ces appels sont signés: "Prolétariat", "Peuple exploité", "Révolutionnaires",...

Les tentatives de centralisation formelle restent malheureusement très faibles et ne dépassent guère les limites du renouvellement des anciens liens militants entre telle ou telle personne, auparavant séparée par la répression.

La résistance passive s'organise aussi. On refuse de participer aux cérémonies officielles organisées par l'Etat. On refuse de fêter les victoires militaires du pays, on refuse d'aller voir les défilés des nombreux prisonniers, on refuse d'accepter les "trésors de guerre" pris à l'ennemi, et redistribués aux soldats et à la population pour cimenter la cohésion nationale. Dans de nombreux cas, de "bons citoyens" utilisent leur place dans l'administration pour aider et/ou cacher des déserteurs. Beaucoup d'entre eux sont exécutés, leurs maisons dynamitées et leurs familles massacrées.

Il est très difficile de donner des dates exactes pour chacun de ces événements car ce qui s'est passé n'a pas de date. C'est un problème pour tous ceux qui les ont vécu sur place: toutes ces actions de notre classe étaient tellement systématiques qu'il arrivait même qu'une personne racontant un événement dont elle était elle-même l'auteur se trompe une fois sur deux, tant sur l'exactitude des dates que sur la description des faits.

Entre 1988 et 1990, c'est surtout dans les régions du sud et du centre de l'Irak que la lutte s'intensifie, particulièrement dans les villes. La population compte ses victimes qui se multiplient avec les années de guerre et la situation économique qui se détériore encore. La bourgeoisie se trouve dans une situation très difficile. Elle doit contrôler des milliers de déserteurs en armes, maîtriser le manque de confiance par rapport au gouvernement, et réprimer les débordements dans l'armée.

Dans les marais, l'armée de déserteurs essaye de se structurer un peu plus, les groupes tentent de se donner plus de cohérence. Au plus les luttes se développent, au plus les besoins de centralisation font surface pour casser l'isolement.

En 1989 et 1990, l'armée lance plusieurs assauts contre le mouvement dans les marais. Le bilan des pertes est très lourd des deux côtés. L'isolement dans lequel se retrouve les prolétaires du sud réduit leur résistance face à l'Etat et crée une situation très critique. Fin 1990, le nombre de déserteurs se réduit de nouveau à quelques centaines de combattants organisés dans de petites unités mobiles, décentralisées et indépendantes. Nombreux sont ceux qui n'ont pu résister et ont rejoint l'autre côté des marais en territoires iraniens, près d'Ahwaz. Certains ont même intégré, pour survivre, les corps armés du parti Dawa islamiste. Parmi ceux-là, beaucoup de blessés et de familles.

A chaque fois que les prolétaires se soulèvent, la bourgeoisie internationale parle de mouvement chiite dans le sud et de nationalisme kurde dans le nord. Ce ne sont que mensonges et falsifications idéologiques. Les chiites eux-mêmes n'ont jamais considéré ce mouvement comme le leur. Le Parti Dawa islamiste, tout comme les autres partis d'opposition bourgeoise, critique ce mouvement. Ils traitent la masse de déserteurs des marais, de "foule de sans principe, d'anarchistes, d'athées et de saboteurs qui boivent du whisky et font l'amour dans les lieux saints"!

La description de cette résistance prolétarienne à la guerre et du refuge qu'ils trouvent dans la "région des marais", démontre l'impossibilité pour la bourgeoisie de rétablir la paix sociale intérieure permettant de poursuivre les buts de guerre de Saddam Hussein. En ce sens, l'arrêt des combats entre l'Iran et l'Irak a eu comme cause fondamentale le défaitisme des prolétaires en Irak.

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Les causes de l'occupation du Koweit se trouvent également dans l'ensemble des contradictions que nous avons décrites ci-dessus.

Avant et pendant l'occupation du Koweit, des grèves surgissent un peu partout en Irak: grèves contre l'effort de guerre, contre l'augmentation de l'austérité,...

Du mois de mai au mois de décembre 1990, durant toute cette période où les prolétaires sentent la guerre arriver, l'action directe contre l'Etat se généralise. A Arbil, Mossoul, Touzkhourmato, Tikrit, Kirkouk, Bagdad, Soulaymania, Bassora... des actions éclatent dans des secteurs les plus divers: les ouvriers municipaux, les ouvriers du carrelage, du plâtre, de la confection, des sacs plastic, des Ponts et Chaussées, du tissu, des transports, de l'électricité, du souffre, de l'énergie nucléaire,... Les luttes éclatent contre les licenciements, contre les suppressions de jours fériés, contre les jours de travail gratuits pour la patrie, contre les heures supplémentaires, contre la quantité de nourriture réduite dans les cantines, contre les réductions de salaires et l'augmentation du temps de travail, contre les retards de paiements de salaires, les recrutements forcés pour le front, le rationnement,... Les réactions des prolétaires se matérialisent par des manifestations, des grèves, des incendies d'usines, des occupations, des pillages,... Nombre de ces actions vise à établir un rapport de force pour obtenir des augmentations de salaire. Face à cette terreur ouvrière généralisée, les patrons font très souvent marche arrière.

Pour ce qui est de l'armée, des soldats sur le front et à Bagdad témoignent que dès le troisième jour du début de l'offensive terrestre, la plupart des casernes autour et dans la ville de Bagdad était pratiquement vide. Les désertions sont massives et préparées depuis de longs mois. Les soldats attendent la première occasion pour se sauver. Ils utilisent massivement de faux laisser-passer et sont aidés par des prolétaires de la ville qui leur fournissent des vêtements civils, des caches et de quoi manger. Seuls ceux qui n'ont pas de contacts ou de connaissances sur place ne peuvent pas s'enfuir, ne sachant où aller.

Sur le front, la situation est plus dramatique. Ce sont principalement d'anciens déserteurs qui sont mis en première ligne. C'est le meilleur moyen de s'en débarrasser. Ces soldats ne peuvent ni se sauver pour se constituer prisonnier chez les Alliés (le

terrain qui les sépare d'eux est miné), ni faire demi-tour sous peine de se faire tirer dessus par les gardes républicains. Ainsi coincés, la quasi totalité des forces du front de sud-ouest est restée dans les tranchées, sans nourriture et sans eau,.. C'est fatigués, affamés et assoiffés que des milliers d'entre eux sont enterrés vivants par les bulldozers des Alliés. Glorieuse victoire technologique!

Sur le front sud-est, grâce à l'existence des villes proches telle que Bassora, les soldats ont plus de facilité pour quitter le front et regagner la ville. Dès la fin du mois de janvier, des centaines de soldats désertent et se réfugient dans la ville de Bassora et ses alentours. Les anciennes forces du mouvement des marais intensifient leurs actions et renforcent leurs contacts avec d'autres déserteurs et insurgés dans des villes telles que Amara, Bassora, Nassiria,...

Les débordements se généralisent dans l'ensemble du pays, plus particulièrement à Bagdad. Les quartiers de Thaoura, Kazimia, Shouela se soulèvent. Fin février et début mars, le mouvement s'étend à Bassora, Kerbala, Najaf, Nassirya, Soulaimanya, Mosoul, Arbil, Kirkouk,... Les prolétaires attaquent les sièges du parti Baas, libèrent les prisonniers, dévalisent les bureaux gouvernementaux, attaquent les quartiers des services de sécurité, exécutent par centaines les responsables du parti Baas et les tortionnaires de la terrifiante police secrète.

Cette situation explosive amène l'Etat bourgeois mondial à organiser, par le biais de ses gouvernements, des actions de soutien aux partis d'opposition chiites, nationalistes, démocrates,...

Le parti Dawa islamiste prend des contacts directs avec les américains et les saoudiens. Les nationalistes kurdes en font autant. Chaque fraction prétend être l'instigateur et l'avant-garde d'une partie du soulèvement. Mais aucun d'entre eux n'a l'influence qu'ils prétendent avoir.

Devant la radicalité du mouvement, tous se contredisent. D'un côté, ils affirment être l'avant-garde du mouvement et d'un autre côté, ils nient avoir un quelconque lien avec les actions perpétrées par les prolétaires; ils nient la responsabilité des actes de rébellion. Les bourgeois des autres pays se rendent vite compte que la situation est incontrôlée et commencent à prendre distance.

Les fractions chiites finissent par dénoncer le mouvement comme étant un soulèvement organisé par des anarchistes et des fauteurs de troubles. La bourgeoisie mondiale prend conscience de ce qui se passe et, au vu de l'incapacité de ses interlocuteurs à contrôler le mouvement, elle prend tout de suite les mesures qui s'imposent pour stopper le conflit dans le Golfe.

Entre une opposition amie mais faible et la fraction bourgeoise au gouvernement, ils choisissent la deuxième. Saddam Hussein a encore la force nécessaire pour s'occuper des soulèvements, étant donné que les Alliés n'ont jamais détruit les troupes de chocs de l'armée irakienne contrairement à ce qu'ils ont prétendu dès les premiers jours de la guerre. Ainsi, grâce à la fin des opérations alliées, l'armée irakienne (la garde républicaine) peut enfin consacrer toutes ses forces à la lutte contre les prolétaires du sud d'abord, et du nord ensuite. Sous les yeux bienveillants des armées Alliées (5), les positions occupées par la rébellion sont reprises pas à pas. L'armée irakienne entre avec chars et blindés dans les villes et font des milliers de morts parmi les insurgés.

Une fois cette besogne accomplie, l'armée oriente ses forces vers le nord tout en s'accouplant aux fractions bourgeoises nationalistes. Les nationalistes kurdes UPK-PDKI (Union Patriotique Kurde et Parti Démocratique Kurdistan Irakien) organisent les contacts avec le gouvernement et signent un accord de cessez-le-feu sur le front nord du pays. Ils s'engagent à prendre en charge le contrôle des villes du nord (Soulaymania, Kirkouk, Arbil,...) pour rétablir la paix sociale.

2. Les Shoras: révolution et contre-révolution

Nous avons vu dans nos articles précédents, les développements des insurrections de Mars et de Juillet 1991 dans le nord de l'Irak.

Nous allons maintenant revenir sur certains éléments de ces luttes surgies dans cette zone du Kurdistan irakien, et particulièrement à Soulaymania, à partir d'informations directes que nous avons reçues, et qui sont venues confirmer ce que nous en disions dans nos revues précédentes. Soulaymania semble être la ville du Kurdistan où la lutte de classe fut la plus forte et où la contradiction à l'Etat mena le prolétariat à poser la question d'une centralisation plus puissante de ces luttes. C'est ce que nous allons analyser maintenant. Mais d'abord, quelques mots sur les Shoras.

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Comme toujours, lorsque le prolétariat se met à lutter, il essaie de donner des réponses à la nécessaire centralisation de ses forces. Au travers des luttes, l'associationnisme ouvrier passe par des concrétisations plus ou moins claires, suivant les niveaux de réappropriation de l'expérience prolétarienne.

Ainsi, en Irak, ont surgit les Shoras (6). "Shora" signifie littéralement "Conseil", "Soviet". La reprise de ce drapeau fait référence à l'histoire immédiate du prolétariat dans la région. En effet, le souvenir des luttes d'Iran des années 1978, 1979 y est encore vivace: à cette époque, des centaines de Shoras furent constitués, avec les mêmes contradictions que connaît ce type de regroupement élémentaire du prolétariat quand il tente un premier pas dans la centralisation de sa lutte (comme les Soviets en Russie, en 1905, puis 1917 ou les Conseils en Allemagne en 1918). En Iran, les "Shoras" disparurent définitivement sous les coups conjugués du démocratisme qui les animait et de la répression des bourgeois islamistes.

Mais "Shora" resta associé à la violente vague de lutte qui secoua l'Iran à cette période et qui vit les prolétaires défaire une des armées les plus puissantes au monde. Dès lors, c'est tout naturellement que le prolétariat en lutte en Irak reprit cette référence classiste comme drapeau de ses associations.

Et, comme toujours, c'est dans le feu de l'action que les frontières de classe surgissent au sein même des organisations que les ouvriers se donnent. Il ne s'agit donc pas pour nous de revendiquer en soit un drapeau (les Shoras), mais bien d'essayer de comprendre où se trouve le prolétariat révolutionnaire (ses forces) et comment il répond aux besoins de sa lutte.

Les Shoras concrétisent un niveau de lutte important, relativement à la situation mondiale du prolétariat où la tendance est plus au spontanéisme qu'à la centralisation de ses forces dans des organisations communistes. Mais les Shoras furent également le lieu d'immenses niveaux de confusions et de faiblesses énormes par rapport aux besoins du mouvement. C'est ce qui amena une bonne part de ces structures à sombrer bien vite dans les bras du nationalisme kurde.

Les Shoras sont des structures surgies de la lutte et organisées sur base de quartiers, d'usines,... Ils furent également mis sur pied à l'origine, pour lutter contre le pillage opportuniste d'une clique de requins commerçants et/ou nationalistes qui détournaient systématiquement les récupérations prolétariennes en marchandage et ce, contre les besoins du mouvement. Les exemples foisonnent où des camions de l'armée, des lits d'hôpitaux ou des équipements électriques furent pris et revendus en Iran, alors que dans la bataille, les prolétaires avaient un besoin désespéré de ce type de matériaux.

Certains Shoras assumèrent également durant leur éphémère existence, la centralisation de toute une série de niveaux de résistance face à l'Etat. Ainsi, certaines de ces structures organisèrent militairement la protection des déserteurs visés par les nationalistes.

Les Shoras vécurent le temps des insurrections de Mars et Juillet 1990 et disparurent d'eux-mêmes une fois que leur relative institutionalisation alourdit les développements de la lutte. Aujourd'hui, il n'y a plus de Shoras, mais ses militants les plus combatifs se sont organisés en petits groupes pour tenter de tirer les leçons du mouvement tout en luttant contre le désarmement organisé par la bourgeoisie mondiale.

Entachés par toutes les limites actuelles du mouvement ouvrier (manque de rupture avec la démocratie, anti-substitutionnisme, ouvriérisme,...), ces Conseils subiront des influences politiques aussi diversement antagoniques que celles des nationalistes kurdes et des groupes internationalistes. On trouve ainsi des Shoras sous la direction des contre-révolutionnaires du Front Kurde et sous celle, tout aussi anti-ouvrière, du Parti "Communiste" Irakien. D'un autre côté, des organisations plus radicales exprimeront les intérêts des prolétaires, au sein de certains Shoras. Ainsi, le groupe "Perspective Communiste" (7), malgré des manques évidents de rupture avec l'idéologie maoïste, assumera néanmoins pratiquement des niveaux très importants de centralisation des luttes anti-nationalistes. De même, des groupes plus restreints tels CAG (Groupe d'Action Communiste), SWE (Passion du Travailleur Socialiste) ou encore RWU (Union Ouvrière Révolutionnaire), tenteront, avec beaucoup de limites, d'affirmer plus clairement les intérêts des prolétaires en lutte. On comprend que l'histoire des Shoras soit l'histoire des affrontements entre ces différentes tendances, et principalement entre nationalisme et internationalisme. En annexe de ce texte, des slogans des Shoras, des tracts de minorités organisées, ainsi qu'une brève critique de "Perspective Communiste" à propos des Shoras, contribuent à éclaircir les contradictions présentes dans ce type de structure.

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Durant tout le mois de février 1991, alors que les bombardements de la Coalition s'intensifient, les déserteurs reviennent du sud et font circuler des informations sur les insurrections qui ont lieu à Kut, Amara, Nassiria, Samawa et Hella. A la fin de ce même mois, les prolétaires du nord apprennent que la ville de Bassora est tombée aux mains des insurgés et que des unités entières de l'armée se sont ralliées au mouvement avec armes et tanks. Certains quartiers de Bagdad, tel que celui de Al-Thawra, se soulèvent. Face à ces informations, les chefs de clan (8) appellent au calme en arguant que toute action insurrectionnelle implique la venue de la Garde républicaine, et que l'on court ainsi au massacre.

Le 5 mars 1991, juste avant le soulèvement de la ville, des chefs de clan se réunissent avec des représentants du parti Baas. Ces derniers donneront carte blanche aux leaders des clans pour réprimer toute personne impliquée dans un soulèvement.

Mais rien n'empêchera le déferlement de prolétaires armés dans la plupart des quartiers de Soulaymania. En sept heures, la ville est prise et les Shoras poussent comme des champignons.

Ce même jour, c'est au tour de Ranya dans le nord de se soulever, puis le lendemain, la ville de Chwar Korna se joint au mouvement.

A Soulaymania, du 7 au 20 mars, vont s'exprimer différents moments de lutte où dans chaque action, nous pouvons voir les expressions des forces et faiblesses du prolétariat. Une des grosses difficultés à laquelle vont s'affronter les prolétaires sera de donner une réponse homogène face aux tentatives des nationalistes kurdes de phagocyter leurs actions.

Des flottements ont lieu à différents moments, notamment lorsque, le 7 mars, des partisans des Shoras font 600 prisonniers de la police secrète et que se pose la question de quoi en faire. Certains vont consulter des chefs de l'Union Patriotique Kurde dans les montagnes. Le chef militaire de l'UPK (Noshirwan) prône de ne pas les tuer parce "qu'ils peuvent être utilisés plus tard". D'autres membres des Shoras veulent, quant à eux, les traîner dans les rues pour rappeler à tous, quel genre de torture ils sont capables d'infliger aux prolétaires. L'épisode se conclut par la liquidation pure et simple des 600 flics, et non 2.000, comme il l'a été mentionné par erreur dans une des revues précédentes. Des prolétaires en colère vont ainsi refuser de blanchir les atrocités commises par ces tortionnaires dans la réponse "commerciale" des leaders de l'UPK.

L'ambivalence de certains Shoras apparaît ici dans le fait qu'ils veulent que l'UPK dirige cette question. Pourquoi demander aux pires ennemis du mouvement de prendre la direction des opérations? Ce type de situation se reproduira souvent, laissant de fait une place aux nationalistes dans le mouvement.

D'autres exemples de confusions surgissent. Des minorités communistes s'organisent depuis des mois pour prendre la ville avec une stratégie déterminée, des buts précis: prendre les casernes, les locaux de la police secrète,... Des ouvriers "bien intentionnés" vont spontanément faire courir le bruit que le quartier général de police est occupé par les nationalistes. Ces ouvriers croient qu'en propageant un faux bruit, ils vont pousser les prolétaires à sortir dans la rue. Les nationalistes ne se gêneront évidemment pas pour utiliser à leur propre compte cette fausse rumeur et tenter de se réapproprier une image de combativité face aux flics.

Tout au long des luttes de mars 1991, les nationalistes arrivent manifestement à imposer d'une manière ou d'une autre leur présence au sein du mouvement, au sein de certains Shoras également. Ils réussiront avec plus ou moins de succès à casser ainsi des actions prolétariennes.

Le 7 mars toujours, 30.000 prolétaires (certains armés, d'autres non) répondent à l'appel d'un Shora et se rendent dans son quartier général à l'école Awat. Des mots d'ordre sortent de cette assemblée: "La conscience de classe est l'arme de la liberté!"; "Ici, ce sont nos quartiers généraux, une base pour les conseils ouvriers!"; "Faites des Shoras votre base pour la lutte à long terme!"; "Faites vos propres conseils, apportez ici les marchandises et la nourriture pillés, nous les distribuerons!"; "Exploités, révolutionnaires, le succès de la révolution nous a coûté notre sang! Continuons! Ne le gaspillons pas!".

Durant toute cette journée, se créent jusqu'à 56 Shoras rien que pour la seule ville de Soulaymania, à Arbil 42 Shoras prennent le contrôle de la ville en 3 heures.

A Soulaymania, pendant la confusion de la prise de la ville, les nationalistes débarquent et en profitent pour prendre ce que les prolétaires ont négligé, c'est-à-dire les véhicules et propriétés gouvernementales,... et les banques. Les prolétaires laissent ainsi aux nationalistes la possibilité d'augmenter le rapport de force en leur faveur. En négligeant de s'occuper de la question de l'argent, les prolétaires se coupent de la possibilité d'avoir les moyens de renforcer leurs luttes à plus long terme (achats de médicaments, nourritures, armes, faux papiers...).

A Soulaymania toujours, les Shoras des éboueurs, des usines de ciment, de vêtements, de cigarettes, de sucre, sont en contacts étroits avec le Shora de "Perspective Communiste" (CPS), qui tente de donner une direction purement prolétarienne et donc anti-nationaliste aux Shoras. Toutes ces structures se réunissent pour discuter comment les prolétaires doivent prendre les usines et les protéger contre les destructions pour les utiliser ensuite pour la lutte, comment lutter contre les patrons et employés baassistes,...

Des tentatives d'unification de l'action ont lieu entre Soulaymania et Arbil. Le 12 mars, dans un meeting organisé à Arbil, le Shora Awat propose l'organisation d'un comité central des Shoras. La concrétisation de cette proposition va pousser chaque Shora à déterminer plus clairement ses positions. Trois positions s'opposent:

Le 16 mars, lors de la commémoration du massacre de Hallabja, se retrouvent des Shoras de toutes sortes (ceux du Front Kurde, ceux des partis religieux, du Parti "Communiste" Irakien, ainsi que les Shoras de petites organisations révolutionnaires). Dans cette manifestation regroupant 10.000 personnes, CPS prend la parole à propos des luttes de classe en Turquie, au Brésil,... Les orateurs expliquent en quoi le prolétariat et le communisme sont opposés au mouvement nationaliste, en quoi le conflit au Kurdistan est le même que partout et qu'il oppose la bourgeoisie, quelque soit sa nationalité, au prolétariat mondial.

Dénoncé par toutes les fractions bourgeoises présentes, CPS, le Shora de "Perspective Communiste", affirme avec force l'importance de la lutte contre le nationalisme. C'est à partir de ce moment que le Front Kurde réalise que les positions de CPS sont de plus en plus reprises auprès des prolétaires.

Le 17 mars, le Front Kurde entame une campagne radio pour dénigrer systématiquement le Shora de "Perspective Communiste". Ils font courir le bruit que ses membres sont des ex-baassistes, des hooligans, des pilleurs, et qu'ils sont opposés à l'Islam. Ils préparent ainsi, en continuité avec la pratique bourgeoise historique d'isolement de l'avant-garde, la future répression des militants communistes.

C'est à ce moment aussi que le Front Kurde annonce l'établissement d'une "force de paix kurde" et redouble d'efforts à tous niveaux pour organiser des élections et le rétablissement de la paix sociale.

Le 18 mars, les Shoras opposés aux négociations avec le Front Kurde organisent une manifestation pour dénoncer sa politique réactionnaire. Les manifestants insistent sur leur opposition à la nation kurde.

Ce même jour, Kirkouk s'insurge. Plusieurs Shoras, dont CPS, décident d'aller soutenir le soulèvement.

Le 20 mars, Kirkouk tombe aux mains des insurgés et 6 Shoras sont constitués.

Les nationalistes tentent de reprendre la situation en main et organisent un rassemblement à Soulaymania, avec la participation de Talabani. Mais il n'y a que les convaincus du nationalisme qui s'y rendent.

Les nationalistes se rendent alors compte du développement de plus en plus évident de la force des organisations telles CPS, que cela soit à Soulaymania ou dans d'autres villes.

Le Front Kurde va dès lors organiser une campagne de terreur, en prétendant que l'armée de Saddam, accompagnée d'unités armées des Moudjahidines du Peuple (9), sont à Chamchamal (pas très loin de Soulaymania) et qu'ils vont les massacrer aux armes chimiques, au napalm,... Pour parachever le travail, Talabani fait prévenir toutes les familles des nationalistes pour qu'ils quittent la ville le plus vite possible. Cet appel fait l'office de thermomètre pour les prolétaires, qui savent que si ces familles quittent la ville, cela signifie que ça va vraiment chauffer! (10)

Cette campagne de terreur, ajoutée à la famine et à l'insécurité généralisée, jouera le rôle de milliers de bombes contre le mouvement. Le jour même, certains Shoras organisent des manifestations pour tenter d'empêcher la débandade, en criant dans leurs hauts-parleurs: "Nous voulons rester et nous battre! Ceux qui s'en vont sont des lâches et les fossoyeurs de cette ville".

70% de la population quittent néanmoins la ville. Le lendemain, 5.000 soldats et 60 tanks débarquent. Il semble qu'il n'y ait pas eu beaucoup d'exécutions à Soulaymania. Ce ne fut pas le cas à Kirkouk et Chamchamal, où les nationalistes en ont profité pour se venger sur tout le monde.

La suite est connue puisque c'est à ce moment que les médias mirent tout leur poids pour relayer les images de ces milliers de prolétaires fuyant vers les montagnes. En profitant de la terreur qu'inspirent les troupes de Saddam, les nationalistes réussirent ainsi habilement à transformer le mouvement de lutte en un spectacle horrible, relayé par toutes les télévisions du monde, et au prix duquel ils allaient bientôt obtenir l'autorisation de la bourgeoisie internationale de gérer la paix sociale au Kurdistan. A un moment où s'affirme de plus en plus ouvertement la nécessité de lutte contre les nationalistes, les troupes de Saddam arrivent à point nommé pour permettre aux nationalistes de se redonner le visage de la pseudo-opposition à cette société.

3. Campagnes humanitaires et électorales contre le prolétariat

Le retrait massif des prolétaires dans les montagnes du Kurdistan a constitué une défaite importante pour le mouvement révolutionnaire dans le nord du pays. Mais rien n'est encore réglé. Le problème central de la bourgeoise reste comme toujours, la question du désarmement des insurgés.

Avec l'aide des organisations humanitaires, les nationalistes tentent d'assumer cette tâche. Mais ils savent qu'il s'agit d'une question très délicate et dangereuse pour leur existence. Déjà dénoncés par de nombreux prolétaires, ils risquent d'être complètement décrédibilisés s'ils assument cette tâche trop ouvertement.

De plus, en Iran, la situation sociale est explosive (11). Les conditions de vie misérables ont poussé les prolétaires d'Iran, habitant le long de la frontière, à développer la solidarité avec les déserteurs irakiens. Les campagnes de l'Etat iranien (contre le "grand satan") n'ont que peu d'effet dans la région. La solidarité et la fraternité entre réfugiés et insurgés sur la longue frontière commune qui sépare les deux pays, se met en place. Dans certains endroits, des actions s'organisent: participation à des opérations communes avec des groupes d'insurgés irakiens, aide matérielle, soins médicaux... Le gouvernement iranien, conscient de cette réalité et des dimensions que prennent ces mouvements, va alors essayer, assez subtilement, d'encadrer les volontés de solidarité spontanées dans une campagne très large d'aide au "pauvre peuple irakien", de façon à détourner et enterrer ce qu'il sait être dangereux pour lui.

D'autres bourgeois de par le monde, vont organiser des actions humanitaires dans le même but contre-révolutionnaire: parachever le travail entamé par les fractions bourgeoises présentes sur place (Alliés, Saddam, nationalistes, chiites...). Toutes ces campagnes cyniques recouvrent le même but: désarmer les prolétaires pour les pacifier, isoler et réprimer l'avant-garde, écraser ensuite définitivement toute vélléité de lutte.

Les camps organisés par l'ONU ont leur propre rôle à jouer. Les prolétaires, dans leur exode forcé, sont désarmés non seulement militairement mais aussi psychologiquement. Dépossédés de leur lutte, ils ne sont plus maître de rien. La bourgeoisie les tient à sa merci et en est consciente: le prix de la nourriture, des abris, des médicaments,... c'est leurs armes!

Réduits à l'état de mendiants, les prolétaires, s'arrachant les sacs de farines que les bourgeois satisfaits ont la bonté de leur envoyer du monde entier (12), sont condamnés à crever comme des mouches dans ces camps de la mort. Les distributions de nourriture sont organisées par les nationalistes kurdes sous les bons hospices des bourgeois "Onusiens". Seuls en bénéficient les membres du Front Kurde et ceux qui déposent les armes.

Ici, nous voulons explicitement dénoncer le cynisme de la bourgeoisie internationale qui tente de nous apitoyer sur le sort des kurdes, pour ensuite se présenter comme le sauveur d'humanité, à travers l'organisation internationale d'opérations humanitaires. Sur base de multiples exemples de camarades présents récemment dans la région, nous pouvons ici mettre violemment en lumière le travail complémentaire des envoyés humanitaires de l'ONU et des agents nationalistes du front Kurde, dans la reprise de contrôle du prolétariat.

Les entrepôts regorgent de nourriture, mais le front Kurde refuse de les distribuer, en accord avec les consignes de l'ONU. En effet l'ONU a pour objectif énoncé dans son programme humanitaire local, la réduction de la population armée à 80.000 hommes, c'est-à-dire à 20.000 policiers et à 60.000 soldats du Front Kurde. Cette campagne de désarmement est en fait la raison principale pour laquelle l'ONU refuse de distribuer les vivres. De fait, les prolétaires affamés vendent tout ce qu'ils ont et donc essentiellement leurs armes, pour nourrir leur famille.

Outre cette politique générale, les organisations membres du Front kurde se partagent le racket effectué plus ou moins ouvertement sur les vivres et le matériel qui arrive. Un nombre impressionnant d'anecdotes circule à propos de la découverte de multiples caches dans lesquelles des prolétaires ont trouvé, par hasard, des sacs de riz, des machines à écrire, du matériel électrique,... planqués là, pour être ensuite revendus en Iran et en Turquie.

Les nationalistes du Front Kurde se partagent l'argent des usines, des moyens de transport, des marchandises de toutes sortes, du matériel électrique et électronique qu'ils ont récupéré à leur propre compte et qu'ils vendent à l'étranger. Ils n'hésitent pas, par contre, à dénoncer les prolétaires en lutte. Des services de sécurité et de police, des douanes ont été instaurés pour réprimer les petits vols commis par les prolétaires affamés.

Une installation entière de câbles électriques placée par une organisation dite non-gouvernementale, pour la redistribution d'électricité dans un quartier détruit de Soulaymania, fut ainsi récemment entièrement démontée et revendue en Iran par des gens liés à l'UPK.

L'ONU, quant à elle, distribue dans ses propres camps des conserves alimentaires périmées depuis 1987. A Nzara, plusieurs enfants sont morts pour avoir mangé ces conserves.

Telle est la réalité des aides humanitaires dans les camps de l'ONU.

De même, parmi les réfugiés kurdes d'Europe, différentes initiatives ont été prises et de multiples projets de "bienfaisances" démocratiques ou sociaux "pour améliorer les conditions de vie des malheureuses populations kurdes ou irakiennes" ont été élaborés.

Ces nouveaux "amis du peuple" ou soi-disant "comités de soutien aux Shoras" et "au soulèvement du peuple kurde irakien", prétendent n'être membre d'aucun des partis bourgeois en place. Au contraire, pour eux, le problème, c'est qu'il y a trop de partis, trop de contradictions, trop de groupes.

Ces comités de soutien, soi-disant indépendants, dénoncent les éléments les plus décidés du mouvement comme irresponsables, organisateurs du chaos et du désordre qui règne dans les villes et dans les régions "libérées".

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Une autre façon de pacifier l'explosion sociale en Irak consiste à tendre la carotte des élections. En ce sens et pour combler la décrédibilisation dont il souffre, le Front Kurde a ouvert ses portes à tous ceux qui portent "une volonté constructive". Le Front Kurde n'est qu'un Parlement de plus qui regroupe les partis et groupes d'opposition, pour amener les prolétaires à les soutenir dans leur oeuvre destructrice des forces prolétariennes en Irak. Il représente entre 50 et 70 petites organisations différentes qui tentent de rétablir l'ordre social par une participation volontaire des prolétaires au cirque électoral.

C'est ainsi que le Front Kurde s'est battu pour organiser des élections libres, au terme desquelles seraient nommés des "délégués du peuple", des nouveaux ministres donc. Ces élections devaient avoir lieu le 28/04/92, mais elles ont dut être reportées deux fois parce que "les garanties de leur bon déroulement n'était pas assuré". Des attentats contre des sièges du FK se sont régulièrement déroulés durant le mois d'avril 92. Finalement, ces élections ont eu lieu en mai.

Ces élections ont bien sûr la bénédiction de toutes les fractions bourgeoises du monde par la supervision du très fameux ONU, mais aussi de Saddam qui s'est mis d'accord avec le FK. Pendant que ce dernier organise les élections, les armées de Saddam qui ceinturent le Kurdistan garantissent de ne pas intervenir, garantissent le blocus de la région, empêchant les prolétaires du sud et du nord de se contacter... et ce, tant que l'ordre ne sera pas rétabli.

Pourtant, malgré une campagne électorale fanfaronnante, la participation des prolétaires au cirque électoral a été très faible. A Hallabja, où la population votante avoisine 28.000 personnes, un référendum pré-électoral a rassemblé en tout et pour tout 253 voix! Les résultats électoraux claironnés sur les ondes du monde entier sont tronqués: on nous annonce 48% en faveur de l'UPK et 52% pour le PDKI. Les 4% annoncés comme différence entre les deux organisations-phares du nationalisme ne font rien d'autre que révéler, derrière la magouille des chiffres, le danger pour chacune des organisations de se retrouver seule à la tête d'un gouvernement kurde.

Le Front Kurde essaie à tout prix de concentrer et d'orienter les préoccupations générales vers la question de l'autonomie du Kurdistan. Pour cela, il se sert le plus possible des horreurs commises par les baassistes, décrivant dans tous ces détails la répression et actes brutaux qu'ils ont commis. Ils espèrent ainsi faire oublier leur propre rôle dans l'étouffement de l'insurrection.

Le blocus du Kurdistan par l'armée irakienne a renforcé de plus en plus l'isolement des luttes des prolétaires au Kurdistan d'avec celles du reste du pays, de façon à ce que tout contact soit désormais impossible avec ceux du sud. Dans ces conditions, la tentative de centralisation et de globalisation des luttes est quasiment paralysée. La famine et les maladies participent largement à cette désorganisation.

Mais nous voudrions pourtant insister, en conclusion de ce texte, sur le fait qu'en ce moment même, le prolétariat est loin d'être défait en Irak. Au contraire, sa combativité impose aujourd'hui encore, un rapport de force tel que les tracts, les affiches, les journaux, les revues,... d'organisations révolutionnaires anti-baassistes et anti-nationalistes circulent publiquement, du moins dans le nord. Le tract que nos camarades ont diffusé récemment dans la région en est un témoignage, à côté du foisonnement d'affiches, de graffitis, de textes,... qui sont visibles un peu partout.

Les nationalistes sont encore aujourd'hui incapables d'assumer la répression ouverte des militants communistes. Ils doivent se contenter pour l'instant de les dénigrer, de les dénoncer. Et lorsqu'il survient que des nationalistes arrachent des affiches ou insultent des militants, la réaction ne se fait pas attendre: les prolétaires revendiquent leur lutte contre la répression de l'Etat et affirment bien haut ne pas être prêts à se laisser museler. Par de telles attitudes, le PDKI et l'UPK sont assimilés au parti Baassiste, dont ils prétendent être les ennemis. Ils évitent donc, dans la mesure du possible, d'être confrontés à ce type de situation alors que le rapport de force ne leur permet pas encore le plein exercice de la coercition propre à tout état.

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Soutenir la lutte prolétarienne qui se déroule en Irak, c'est faire connaître celle-ci et dénoncer le partage de l'écrasement opéré entre les différentes fractions bourgeoises présentes: armées Baassistes et nationalistes, Front Kurde, hérauts humanitaires de l'ONU, etc.

Soutenir la lutte du prolétariat en Irak, c'est briser le mur du silence imposé par les médias internationaux et révéler la force des ruptures opérées par le prolétariat dans cette région.

Soutenir nos frères de classe en Irak, c'est lutter ici-même contre la guerre à laquelle "nos" bourgeois nous contraignent.

A tous les internationalistes, à tous les militants révolutionnaires, nous proposons de reproduire ces informations, de les diffuser, d'en discuter, bref de contribuer le plus largement possible à faire connaître ces luttes.

Notes

1. Les armées de la Coalition sont aussi appelées "armées Alliées" par les médias, ces serviles marchands de l'information militaire, comme pour souligner la pseudo-similitude entre la "Guerre du Golfe" et la "Deuxième" guerre mondiale, au cours de laquelle, les "Alliés" se donnèrent l'image d'une Coalition de défenseurs de la justice et de la démocratie (on les leur laisse!) face à un tyran fourbe et cruel mettant en danger la "paix du monde". C'est cette même image qu'utilisera la Coalition pour justifier cette guerre et préparer l'explication de la prochaine.
2. Pour plus de précisions concernant le bilan cette réunion de Berne, nous renvoyons nos lecteurs au No.29 de notre revue centrale en français (octobre 1989): Annexe "A propos d'une réunion internationale de travail".
3. Cf. notre "Perle de la Bourgeoisie", publiée dans Communisme No.33, pour la citation entière de ces drôles d'internationalistes.
4. "Dawa islamiste" signifie "Appel islamiste".
5. L'armée de la Coalition va activement participer aux massacres en renvoyant systématiquement les fuyards sur les territoires irakiens, après les avoir désarmés.
6. "Shora" est également le nom qu'a pris une organisation dans le cours de l'insurrection, et dont nous avons parlé dans une revue précédente.
7. "Perspective Communiste" est une organisation créée en 1983. Ses militants sont présents un peu partout en Irak, principalement au Kurdistan, mais également dans le sud. Ils disposaient, le temps de l'existence des Shoras, de leur propre Shora (CPS - Shora de Perspective Communiste).
8. Les clans, ou Jash, correspondent à un type de structure ayant le cul entre deux chaises. Ils sont à la fois chargés de faire régner la paix sociale au niveau local et sont subsidiés en ce sens par le gouvernement, à qui ils doivent donc rendre des comptes. Mais d'un autre côté, ils ont des intérêts particuliers qui peuvent rentrer en contradiction avec le gouvernement. Les Jash constituent en effet, des rassemblements de personnes ayant des liens ancestraux de familles, de religions, de cultures,... C'est une espèce de mafia qui doit répondre à ses propres obligations. Ainsi, notamment pendant la guerre Iran/Irak, certains clans étaient obligés de protéger des déserteurs en leurs donnant des papiers, de l'argent, des laissez-passer et même des armes.
Ils y étaient contraints pour plusieurs raisons. Premièrement parce que plus ils pouvaient prouver d'adhérents à leur clan, plus ils recevaient de subsides. Et deuxièmement parce que le déserteur, comme membre de telle ou telle famille, était dans l'obligation "clanesque" d'être protégé.
Certains clans se sont toujours clairement rangés du côté de la bourgeoisie, mais d'autres, parce qu'ils étaient remplis de prolétaires menacés par l'Etat, ont soutenu les luttes.
9. Les Moudjahidines du Peuple ("Moudjahidin-e Khalq", littéralement "Organisation des combattants de la liberté du peuple iranien") se sont réfugiés en Irak dans les années 80. Ils sont protégés par le gouvernement et servent de troupes de choc lors des luttes de classe. Ce n'est pas pour rien que les prolétaires sont terrorisés rien qu'à l'idée de les voir débarquer.
10. La vieille des bombardements chimiques de Hallabja, les nationalistes avaient fait fuir leurs familles.
11. Au moment d'écrire ces lignes (30 mai 1992) des émeutes viennent encore d'avoir lieu dans une des grosses villes de l'est d'Iran, à Meched, entraînant 300 arrestations. Des prolétaires en colère ont mis à sac la mairie et la direction provinciale du ministère de l'Economie. Cette information confirme celles dont nous disposons et qui font part de la généralisation progressive de ce type d'affrontement un peu partout dans le pays.
12. Tout au long des luttes en Irak, les journalistes n'ont pas montré une seule image de la lutte de classe. Mais dès qu'il s'est agi de décrire la mort de ces luttes, ils se sont précipités comme des hyènes, repassant à plaisir ces misérables images d'affamés s'entre-tuant pour un quignon de pain. Aux images d'hommes vivants qui se battaient ensemble pour un même projet, ils ont évidemment préférés ces morts-vivants, s'étripant les uns les autres pour survivre. Et pour cause! Ces images étaient destinées aux prolétaires d'Europe, des Amériques, d'Afrique,... pour nous prouver que malgré tout "dans 'nos' régions, c'est vachement mieux"!


Annexe 1: Traduction de tracts distribués en Irak - Juillet 1991

Pour commencer voici simplement quelques uns des slogans utilisés par les Shoras. Ces slogans sont l'expression même des contradictions du mouvement. On verra bien sûr, la façon dont ces structures furent animées par toutes une série de demandes démocratiques ou nationalistes et ouvertement réactionnaires, mais la combativité contenue dans certains de ces mots d'ordre révèle néanmoins, dans les perspectives que le mouvement a tenté de se donner, la force et la détermination des ouvriers en lutte.

"Pain, travail, liberté; gouvernement des Shoras!"

"Vive le pouvoir des Shoras!"

"Tout le pouvoir aux Shoras!"

"La seule alternative au régime Baassiste, c'est les Shoras!"

"Liberté de parole, d'opinion et d'organisation!"

"Liberté politique inconditionnelle!"

"Nous devons être armés pour défendre le règne des Shoras!"

"Droits égaux pour les hommes et les femmes!"

"Nous demandons les conseils ouvriers, pas la démocratie parlementaire!"

"Hallabja, Budenan sont les Hiroshimas du Kurdistan!"

"Pour la semaine de 35 heures!"

"Peuple révolutionnaire lève-toi et rejoins les Shoras!"

"Pour le droit aux villageois dépossédés de rentrer chez eux!"

"Lève-toi et combat! Brise l'institution de la peur!"

"Les forces d'occupation doivent quitter le Kurdistan!"

"Vive l'auto-détermination de la nation Kurde!"

"Vive la solidarité avec tous les Shoras ouvriers!"

"Non à la reconstruction des bâtiments de la police des Jash et des milices publiques!"

"Les Shoras guériront les blessures du Kurdistan exploité!"

"Tous les organes administratifs doivent être élus démocratiquement!"

Voici donc maintenant la traduction de quelques tracts diffusés en juillet 1991, dans la région de Soulaymania, avant que les nationalistes et les Baassistes ne parviennent à faire fuir les prolétaires dans les montagnes. Ils témoignent de la force des discussions et des questions que se posent les prolétaires. Aujourd'hui encore, en mai 1992, cette discussion a lieu au sein des avant-gardes.

D'innombrables petits groupes de prolétaires se sont créés et tentent de se centraliser par la discussion politique et la coordination de l'action. Malgré les manoeuvres conjuguées des nationalistes et des autres forces de la réaction internationale, le prolétariat continue à démontrer sa vie, par la richesse et la qualité des débats en cours. Les dénonciations anti-nationalistes sont particulièrement importantes pour le devenir du mouvement.

"Le Front Kurde et les nationalistes n'auraient-ils pas des intérêts communs avec le parti Baassiste? Si non, comment expliquer que, quand nous attaquons le quartier général de la police, le Front Kurde semble partager leurs douleurs et nous appelle: "calmez-vous,... de toute façon, vous les avez encerclés". Comment expliquer que le Front Kurde tue des soldats, mais épargne la vie des membres de la police secrète? Et comment expliquer que le jour suivant l'attaque du Quartier Général, des policiers étaient postés sur le toit de l'immeuble, entièrement armés?

Nous avons tous vu comment les peshmergas ont rendu les tanks et l'artillerie aux forces gouvernementales.

Est-ce que tout cela ne signifie-t-il pas que le Front Kurde protège l'Etat et le régime Baassiste?

La réponse est oui et nous devons reconnaître qu'ils sont des ennemis du peuple."

Extrait du journal "New Life", organe du SSFA (Action Socialiste Solidaire)

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"Le prolétariat doit se distinguer du nationalisme et des partis de Dieu. Le socialisme prolétarien ne peut survivre s'il ne réalise pas cette séparation. Il ne peut subsister sans une puissante organisation autonome qui puisse effectivement prendre en charge les tâches du prolétariat et des masses exploitées en général. Dans leurs luttes quotidiennes, les prolétaires et les masses exploitées doivent exprimer leur autonomie; ils doivent montrer à tout le monde qu'ils ont leur propre mouvement social, une perspective sociale différente et qu'ils ne sont pas les suiveurs du capital et de son marché libre. Ils ne sont liés à aucune stratégie américaine (le "Nouvel Ordre Mondial"), à aucun nationalisme arabe ou Kurde, à aucun autre parti de Dieu.

Au contraire, ils doivent montrer qu'ils sont opposés à tout cela et qu'ils ont un but complètement différent: la dictature du prolétariat et la libération universelle.

C'est pourquoi, il est essentiel que les prolétaires dans leurs activités quotidiennes, dans les assemblées, les grèves, dans leurs revendications et leurs mots d'ordre, mettent en avant leurs intérêts politiques. Dans ce processus, les prolétaires socialistes, les fractions radicales et les avant-gardes du mouvement ont la tâche pratique d'assurer la formation, la propagande et l'organisation des prolétaires au sein d'un cadre différent. Nous devons faire face aux conditions de vie misérables, au blocus économique,... Si l'on nous dit que notre unité et nos intérêts sont inappropriés et servent les intérêts du pouvoir baassiste, alors la réponse du prolétariat socialiste sera claire: nous ne voulons pas nous sacrifier pour les antagonismes interbourgeois et, tout en étant contre le blocus économique, les prolétaires exigent des augmentations de salaire pour ceux qui contribuent à la production. Les prolétaires doivent se battre contre la pression des forces de police impérialiste des Nations-Unies au Kurdistan et dans le Sud, parce que ces forces, non seulement, n'aident pas le peuple, mais au contraire, mettent en pratique les politiques capitalistes de destruction des forces révolutionnaires. Il n'y a pas de doute sur le fait que les luttes ouvrières actuelles au travers du monde et particulièrement en Irak, ont montré que le prolétariat ne peut rien obtenir tant qu'il est divisé? C'est la raison pour laquelle, nous devons nous serrer les coudes, faire preuve de solidarité et nous battre pour mettre en place des assemblées générales, pour organiser un mouvement centralisé qui puisse donner la force aux prolétaires de "monter sur la scène mondiale" et de devenir vraiment actif, représentant les besoins de leurs lutte (...) Le prolétariat ne sera capable d'affronter la bourgeoisie et de diffuser son message au prolétariat du reste du monde que comme un mouvement centralisé et uni. C'est seulement de cette façon, que face aux autres tendances qui existent dans le mouvement, les prolétaires et les groupes socialistes seront capables de développer et réaliser le contenu communiste de la lutte prolétarienne..."

Extrait du journal "Vues ouvrières" No.2, organe du CAG (Groupe d'Action Communiste)

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"Les contradictions entre la bourgeoise et la classe ouvrière, le développement des perspectives prolétariennes et du changement social, étaient au coeur des soulèvements de Mars. Depuis lors, la lutte des exploités en Irak contre le mode de vie capitaliste, est apparue dans une activité agitatoire répétée contre l'Etat. Le renforcement toujours plus étendu de l'auto-organisation et la création des Shoras ouvriers signifie un important pas qualitatif dans le développement révolutionnaire de l'activité politique prolétarienne. Les ouvriers s'impliquèrent à fond dans la mise sur pied de Shoras dans les villes libérées. A Arbil, les ouvriers de l'usine de cigarettes, les tisserands et les éleveurs de poulets ont créé des Shoras et, conséquemment, un centre pour les Shoras ouvriers était établi. Le but était d'avoir un quartier général par l'intermédiaire duquel l'activité de différents Shoras pouvait être coordonnée. De la même façon, dans l'usine de cigarettes de Soulaymania, dans celle d'électricité, de vêtement, de travailleurs communaux, incluant les usines de "Tahrir" et "Hamuraby", les ouvriers ont formés des Shoras dans le camp "Nassir". Les éleveurs de poulets et les chômeurs de Soulaymania ont créé un Shora commun avec les ouvriers du pétrole de Kirkouk. Le point principal de discussion pendant la première assemblée ouvrière était le besoin d'organisation et son importance dans la lutte de classe. Des discours ont été fait au sujet des Shoras et de leur formation. Dans les meetings ultérieurs, les ouvriers ont élu des représentants au vote direct et libre. Des suggestions économiques et politiques furent faites, et on se mit d'accord sur les principes et les buts de base. Les travailleurs municipaux venant de Soulaymania ont lu un rapport, qui fut publié plus tard, à propos des liens entre les travailleurs et les partis politiques.

Ce meeting montrait aux ouvriers la force qu'ils peuvent trouver dans l'unité et ils commencèrent à sentir que Big Brother Saddam n'était pas capable de les surveiller. Par moment, aux différents coins de la salle, des ouvriers prenaient la parole et décrivaient la pauvreté et la misère de la vie imposée par le capitalisme, la répression et l'intimidation dont les faisaient souffrir les patrons et les capitalistes. Ils donnèrent des exemples de comportements barbares et inhumains ainsi que de l'insoutenable vie des ouvriers. Succédant aux précédentes expériences historiques mondiales, la cloche de la liberté, de l'égalité et du gouvernement ouvrier sonna dans tout l'Irak (...). La création des Shoras n'est pas seulement l'expression du pouvoir ouvrier contre la bourgeoisie par l'auto-détermination résolue; les Shoras donnent l'instrument utile et nécessaire au prolétariat avec lequel réclamer l'unité des revendications politiques et sociales et grâce auquel établir une organisation politique très étendue.

La vue d'une ville libérée donne une idée de l'ampleur des batailles menées par les ouvriers pour la liberté et une réelle égalité. Comme une force socio-politique, les ouvriers émergent des profondeurs de la société vers un rôle social et politique sérieux. En tant qu'organisations militantes larges et base du pouvoir ouvrier, les Shoras sont devenus une réalité, créant un précédant dans l'histoire de la classe ouvrière d'Irak. Néanmoins, ils sont le résultat des expériences de plus de dix ans de changement social en Irak, ainsi que de l'histoire des Shoras ouvriers à travers le monde.

A mesure que le régime Baassiste despotique faiblissait, les ouvriers purent respirer plus facilement et commencer à mener des activités de classe sur une plus grande échelle.

Le mouvement des Shoras s'est répandu comme l'évangile parmi les ouvriers... Le mouvement s'est développé en dépit de faiblesses de notre organisation. Néanmoins, le manque d'organisation, l'isolement et la séparation des militants socialistes radicaux d'avant-garde, et un manque de la vision communiste et de la perspective socialiste, ont permis aux réformistes de prendre le dessus. Avec comme résultat, la brutalité de la contre offensive étatique, la ré-invasion des villes et la courte durée du soulèvement. Les ouvriers n'ont pas eu assez de temps pour dépasser leurs faiblesses à l'égard des Shoras.

Les "exploités" se sont organisés eux-mêmes dans les Shoras, dans la plupart des camps de villages et des villes, dans les zones libérées du Kurdistan, mais les faiblesses des Shoras ouvriers ont eu une mauvaise influence sur la création et le fonctionnement de tels Shoras de "pauvres gens".

L'opposition bourgeoise a essayé désespérément de mettre sa politique en pratique, par peur des revendications économiques et sociales de la classe et du programme politique des Shoras, qui donnaient aux ouvriers la capacité de prendre le pouvoir. Les partis d'opposition ont utilisé les institutions et les organes de répression du régime précédent.

Dans le Sud de l'Irak, le mouvement réactionnaire chiite a mis sur pied son propre "Shora Islamique", dans le but de discréditer et de manipuler les seuls Shoras ouvriers radicaux. Dans le Kurdistan, les nationalistes n'ont pas hésité à utiliser toute la force nécessaire pour contrer les associations ouvrières. Ils ont tiré sur des ouvriers en grève, menacé leurs leaders, protégé et armé les patrons et diffusé par les médias des informations comme quoi les revendications ouvrières étaient le fait d'anarchistes et de faiseurs de troubles. Cet antagonisme entre les forces nationalistes et les Shoras ouvriers a déterminé le climat politique au Kurdistan.

Maintenant, après la ré-invasion des villes par le régime Baassiste barbare, les perspectives sociales et politiques sont comme auparavant famine, misère, pauvreté, chômage qui, plus que jamais, menacent les ouvriers. Néanmoins, l'insatisfaction qui éclata bien avant le soulèvement, continuera d'encourager la bataille contre ce monde en portant la mémoire du soulèvement.

La contre-offensive militaire du régime, l'alliance entre les nationalistes Kurdes et le gouvernement central ne pourront s'effacer de la mémoire et de l'activité des ouvriers".

Extrait de "Prolétariat" No.6, organe de "Perspective Communiste"

Nous publions maintenant un autre extrait de texte de "Perspective Communiste", provenant de la même revue "Prolétariat", dont le No.7 de septembre 1991 proposait un rapport essayant de tirer un bilan de leurs actions dans les luttes de mars 1991.

Le premier point de ce rapport traite "du manque de critique internationaliste et communiste face à l'attaque de la bourgeoisie mondiale pour imposer sa politique contre-révolutionnaire à l'ensemble de la planète..."

"Pour nous, la question n'est pas de nier notre lutte contre la guerre du Golfe et l'offensive américaine, mais les questions sont: est-ce que cette lutte était bien l'axe central à mettre en avant dans notre pratique et nos orientations politiques? Dans la réalité, l'intérêt internationaliste du prolétariat a-t-il vraiment constitué l'axe central de notre mouvement?

L'importance de cette critique apparaît lorsque, indépendamment de ce nous avons assumé comme lutte contre la crise, la guerre du Golfe et l'assaut de la bourgeoisie impérialiste mondiale, nous mettons en avant d'autres tâches que nous avons négligées. En réalité, nous manquions d'une perspective internationaliste communiste dans la compréhension des causes et des buts de cette guerre en tant que guerre de l'impérialisme mondial, en conséquence de quoi nous n'avons pas orienté notre lutte comme une force du prolétariat internationaliste... Dans le meilleur des cas, nous avons développé une action et une critique radicale plutôt qu'une action et une critique internationaliste, ce qui a eu pour conséquence de ne pas avoir pris une attitude et une politique directement produite des intérêts et perspectives du prolétariat internationaliste."

Le point 2 du rapport aborde l'"attitude par rapport au mouvement prolétarien et aux forces d'opposition bourgeoises (nationalistes kurdes) dans les événements sociaux et politiques en Irak".
"Ne pas avoir eu une politique et une critique pratique internationaliste communiste dans l'évaluation et l'analyse de la guerre du Golfe comme d'une guerre impérialiste mondiale contre le prolétariat mondial, montre le manque de position par rapport à cet aspect c-à-d le manque de critique de la pratique, de la politique et de la stratégie de la bourgeoisie d'opposition, face aux événements sociaux et politiques en Irak... Ce manque d'analyse et de perspective internationaliste pratique sera évident pour ceux qui auront lu nos orientations et appels durant l'année passée à propos des derniers événements. Nous n'avons pas pu montrer les liens entre ces oppositions bourgeoises (nationalistes kurdes, arabes, chiites,...) et les forces de l'impérialisme mondial, et cela surtout dans la pratique... Les moteurs et auteurs directs des massacres dans les soulèvements du sud et du nord, sont, sans doute, les bassistes, mais cela ne remet pas en cause les liens entre la guerre de la bourgeoisie américaine dans le Golfe et le sacrifice de milliers d'ouvriers dans une contradiction interbourgeoise.

Dans notre critique à l'opposition bourgeoise en général et au nationalisme kurde et chiite en particulier, nous avons perdu de vue les liens de toutes ces fractions entre elles. Nous n'avons pas réussi à montrer l'unité d'intérêts coordonnée par leurs actions contre le communisme et le prolétariat mondial.

Ne pas avoir pu clarifier la place de la bourgeoisie d'opposition au sein de la stratégie de l'impérialisme mondial a laissé le champ libre à la bourgeoisie pour imposer son influence dans le large espace social au sein du mouvement du prolétariat insurgé... Ce que nous n'avons pas fait, c'est affronter ces forces face à face, là où elles agissaient comme mouvement anti-communiste et anti-prolétarien. De là vient leur force.

Sur ce terrain, il était crucial de définir la politique et le rôle que jouaient ces forces bourgeoises contre le mouvement.

Il est vrai que depuis toujours, nous avons défini les nationalistes et les chiites comme deux mouvements sociaux bourgeois, mais dans la pratique, nous n'avons pas respecté cette analyse comme cela aurait été nécessaire. La conséquence pratique de notre analyse résidait dans l'action contre les personnifications de ces forces bourgeoises et leur stratégie impérialiste mondiale. Nous avons mal évalué les possibilités et les forces réelles des nationalistes kurdes et arabes à s'imposer aux prolétaires. Nous n'avons pas réussi, comme c'était nécessaire, à montrer les caractéristiques du mouvement dans son ensemble, dans ses contradictions... et nous n'avons pas réussi à mettre l'accent sur le rôle néfaste de dénaturation et de désarmement des objectifs prolétariens que pouvait jouer les nationalistes et les chiites sur le mouvement."

Cette critique sur le manque d'attention directe autour des nationalistes et des chiites, est suivie d'un 3ème point abordant la question des Shoras: "Le mouvement des Shoras ouvriers".
"Ce mouvement surgit comme un mouvement autonome au sein des soulèvements. Il n'a pas réussi comme mouvement social politique puissant à imposer sa force au sein de la société. "Perspective Communiste" a essayé d'imposer une direction prolétarienne à l'intérieur des événements, comme un mouvement autonome, en essayant de développer ses propres mots d'ordre, ses exigences et ses organisations comme force classiste indépendante au sein du mouvement. Dès le début nous avons travaillé pour montrer que le prolétariat a ses intérêts de classe particuliers, en dehors des nationalistes kurdes et autres mouvements de la bourgeoisie. Nous avons insisté sur le fait que c'est une question vitale, pour les communistes, de développer le mouvement prolétarien pour ses objectifs sociaux et politiques propres, comme parti, comme Shoras indépendants..."

Annexe 2: Traduction d'un tract de notre groupe diffusé le 11 mai 1992, à Soulaymania

"Le mouvement communiste contre le parlementarisme et la démocratie"

La question essentiellement antagonique entre bourgeoisie et prolétariat est la question de la propriété privée. La bourgeoisie mondiale protège la propriété de sa classe, en maintenant le prolétariat comme classe productrice. A l'opposé, le prolétariat menace cette propriété, en attaquant tout pouvoir de classe et en s'abolissant lui-même en tant que classe. C'est pourquoi, il n'y a rien qui relie l'intérêt de ces deux êtres contradictoires, et tous ces bavardages sur les "fronts unis", sur la participation au parlement,... ne sont que manipulations contre-révolutionnaires pour amalgamer l'intérêt du prolétariat et celui de son ennemi, la bourgeoisie.

Qu'est ce que le parlement?

C'est l'Etat au plus haut niveau, c'est l'image parfaite de la démocratie, le moyen le plus efficace pour réprimer toujours plus les exploités. C'est la force organisée qui protège les capitalistes et leurs biens, c'est l'union de tous les bourgeois de "gauche" et de "droite" pour maintenir la société actuelle et assurer la réforme nécessaire de ses partis, évitant ainsi que leur usure continuelle ne mène à leur destruction. Face à cette réalité, le prolétariat mondial répond unanimement et donne une seule direction: la lutte contre la propriété privée, c'est-à-dire, la lutte contre les institutions qui la protègent. Cela se définit non pas par la réforme et le changement des lois et des institutions, mais par leur anéantissement; non pas en rendant l'Etat et le parlement plus démocratique, mais en luttant contre eux pour les détruire.

Connaître donc l'assemblée du Front Kurde, de la démocratie du Capital mondial et de la Social-Démocratie (UPK) et aussi du pouvoir des Shoras ou des gauchistes, c'est reconnaître, au nom des exploités, le pouvoir du Front Kurde et de la politique anti-révolutionnaire contre l'insurrection et le cours de la révolution. Cela signifie enrôler les exploités dans l'organisation et la centralisation de la domination d'une classe qui lutte pour la destruction du mouvement révolutionnaire, une classe dont toutes les offensives visent le mouvement révolutionnaire et dont le seul but est le maintien de ce monde de classe. Participer au parlement signifie essentiellement pour le prolétariat, participer à sa propre exploitation et par là, collaborer aux attaques de son ennemi contre son propre mouvement. En deux mots, participer au parlement renforce les institutions du Capital, institutions grâce auxquelles la bourgeoisie mate le mouvement prolétarien. Enrôler le prolétariat dans le parlementarisme, c'est lui donner la responsabilité d'anéantir ses propres intérêts, car qui dit parlementarisme, dit reconnaissance d'un ensemble de lois, de règles et de pratiques qui emprisonnent et détruisent le mouvement.

Oui, l'assemblée du Front Kurde (qui n'est autre que le parlement de la contre-révolution mondiale dans cette partie insurgée du monde) avec tous ses partis, avec tous ses drapeaux colorés, avec tous ses accords et désaccords, avec tous ses enfants utilisés pour leur propagande électorale, avec l'utilisation subtile des cultures et du folklore contre-révolutionnaire dans le monde, cette assemblée du Front Kurde n'est rien d'autre que "le plat de résistance" de l'organisation de la classe dominante.

C'est pourquoi le Front Kurde n'est rien d'autre qu'un toit contre-révolutionnaire pour cacher tous les conflits entre les classes, pour semer la confusion chez les prolétaires, afin de renforcer le pouvoir de la bourgeoisie, d'anéantir l'insurrection et toute tentative d'organisation révolutionnaire, toute unité classiste du prolétariat.

C'est pourquoi le Front Kurde déploie d'immenses efforts contre-révolutionnaires pour maintenir, renforcer et renouveler son organisation sociale, détournant et aveuglant les exploités, les liant toujours plus au travail, pour que la société d'exploitation reste toujours vivante.

L'assemblée du Front Kurde n'est en rien différente de l'assemblée nationale d'Irak ou du congrès d'Amérique ou des Shoras islamiques d'Iran..., ce n'est qu'un théâtre trompeur que le Capital mondial présente aujourd'hui afin de protéger et maintenir son monde. C'est la comédie du changement de "dictateur" pour un autre "démocrate", de l'élimination de tel terroriste pour un autre pacifiste..., bref c'est toujours soit, la répression des protestations, car elles sont hors-la-loi; soit, l'imposition de l'ordre international en provoquant des guerres destructrices. Pendant que les révolutionnaires se battaient contre l'Etat à Kirkouk, ces messieurs du Front Kurde étaient en train de préparer leur réponse à une lettre envoyée par le gouvernement de Bagdad leur proposant de négocier. La réponse du Front Kurde marquait son plein accord. Cette réponse n'est jamais parvenue à destination. "Dieu sait que la voiture qui a transporté cette réponse a brûlé, victime des combats qui se déroulaient dans la région à ce moment-là. Les occupants de la voiture ont pu s'en sortir mais la lettre a brûlé", expliquera un des responsables!

Comme les événements de ces dernières années en témoignent, il y a, dans le monde, une tendance révolutionnaire montante, avec des hauts et des bas momentanés qui prennent quotidiennement la tournure de conflits de classe ouverts. L'affrontement du Capital mondial contre ces vagues révolutionnaires qui surgissent ici et là, démontrent une évidence historique: cette phase de lutte de classe produit une rupture nette du mouvement révolutionnaire contre ce monde.

A nous d'affronter la contre-révolution et ses tentatives de réorganisation. Dans le monde, il y a un million de fronts et d'assemblées, de partis de gauche et de droite, qui composent un seul pouvoir mondial, unis pour gérer ce système d'exploitation.

IL FAUT:

* rompre avec toutes les assemblées et les partis de gauche comme de droite et refuser de participer à leurs réunions et de se soumettre à leur direction.

* lutter pour le développement et le renforcement de l'identité sociale de l'internationalisme de notre mouvement, en attaquant toutes soumissions aux organisations contre-révolutionnaires.

* orienter la direction de notre mouvement (élever le niveau de notre lutte, de notre regroupement, de notre armement, de nos efforts de rupture avec les manipulations bourgeoises, etc...), dans l'objectif d'élever le niveau d'internationalisme de notre mouvement, en développant notre unité, notre coordination, vers l'organisation classiste internationale.
A bas tous les efforts et les agitations que le Front Kurde mène pour sauver et gérer cette société d'esclavagisme!

A bas ce monde de domestication!

Pour l'avenir d'une communauté humaine!

-Groupe Communiste Internationaliste-
Soulaymania, le 11/5/92.


Nous soulignons

Quelques cauchemars plus tôt,

au Vietnam...

* * *

C'est toujours le prolétariat qui est déterminant dans le déroulement et l'issue de la guerre. Les luttes qui se sont succédées dernièrement en Irak et l'issue de la guerre dans le Golfe arabo-persique, nous l'ont rappelé de façon dramatique (voir notre analyse dans Communisme No.33).

La cohésion, la solidité, la paix sociale au sein du camp bourgeois sont les données essentielles, les conditions primordiales de toute victoire nationale bourgeoise; aucune activité guerrière, quelque soit son ampleur, ne peut être engagée si le commandement politico-militaire n'est pas assuré de la bonne tenue de ses troupes. Et la bonne tenue des arrières est tout autant indispensable aux fauteurs de guerre: c'est de la paix sociale et du patriotisme de ceux qui sont mobilisés sur le front de la production que dépend également en grande partie le moral des troupes au combat: le soutien logistique, l'approvisionnement, le soutien moral... doivent permettre, dans l'intérêt des bourgeois, de "ne pas être trahis dans le dos"!

Nos bourreaux prendront toujours soin, lors de leurs campagnes guerrières (ce qui inclut aussi la préparation de ces campagnes), de tenir en compte une série de facteurs:

Et si des généraux se sont penchés sur ces questions, s'ils ont écrit de savants essais de stratégie militaire, c'est simplement et avant tout pour disserter sur ce "facteur humain", ou, exprimé plus crûment (mais c'est la réalité qui est crue!) pour "connaître les soldats et savoir s'en servir"!!! Voilà où réside la clef de la supériorité d'une armée sur une autre, voilà la raison essentielle de la victoire d'un Hannibal sur les Romains à Cannes, ou de la victoire d'un César lors de la bataille de Pharsale contre son rival Pompée; voilà encore ce qui fit dire à Napoléon que "2 Mamelouks tenaient tête à 3 Français, mais que 1.000 cavaliers français battaient 1.500 Mamelouks".

Plus près de nous (dans le temps), et en rapport évident avec l'analyse que nous avons faite des raisons de la défaite militaire irakienne lors de la guerre du Golfe arabo-persique, nous voulons rappeler ici comment ce furent les luttes prolétariennes des années '70 qui sabotèrent réellement les efforts de guerre nord-américains au Vietnam, et qui déterminèrent le gouvernement US à abandonner les opérations militaires au profit d'un cessez-le-feu et d'un accord négocié avec Saïgon.

Lorsque, au sujet de la victoire des Alliés dans le Golfe arabo-persique, la presse et les responsables politiques soulignent que ce triomphe sonne le glas du "syndrome de Vietnam", c'est exactement à cela qu'ils font référence: l'Unité Nationale retrouvée. Cette Union Sanglante et Sacrée, triomphante et arrogante, espère jeter aux oubliettes des mauvais souvenirs, les dernières séquelles de la guerre de classe qui s'est développée durant la guerre du Vietnam.

Nous allons bien volontiers, rappeler quelques éléments du cauchemar qui secoua les Schwarzkopf et les Bush de l'époque!

oOo

Au Vietnam, à partir de 1969, surgissent les premiers symptômes d'un mécontentement généralisé au sein des troupes terrestres. Pour les soldats qui se trouvent sur le théâtre des affrontements, l'opposition à la guerre devient la seule issue, le seul espoir d'éviter des blessures horribles et/ou la mort. C'est ainsi que les expéditions militaires deviennent de plus en plus des missions où les soldats déploient beaucoup d'ingéniosité pour éviter le contact et l'affrontement avec l'ennemi.

Dans un article de l'époque (juin 1971), publié dans le "Journal des Forces Armées", le colonel Robert D. Heinl dénonce: "Nos forces qui se trouvent actuellement au Vietnam sont en train de s'effondrer: des unités évitent ou tout simplement refusent le combat, alors que leurs officiers et sous-officiers trouvent mystérieusement la mort." Et il cite un journaliste du très respectable New-York Times à qui un appelé avait déclaré: "Les garnisons sur les bases américaines les plus importantes sont pratiquement entièrement désarmées. Les militaires de carrière nous ont enlevé nos armes (...), je peux également signaler que dans notre bataillon plusieurs officiers ont été accidentellement déchiquetés par des grenades perdues." Dans le jargon des soldats américains au Vietnam, de tels accidents qui avaient tendance à se multiplier à l'encontre des officiers particulièrement haïs de leurs subordonnés, sont désignés par le terme "fragging". "Fragmentez" vos officiers, pourrait-on dire en français!

Dans le même article, le Colonel Robert D. Heinl signale encore que la tête des supérieurs militaires est souvent mise à prix; en effet, des récompenses, variant de 50 à 1.000 dollars, récoltées auprès des appelés, sont offertes aux soldats qui réussiraient à liquider les officiers désignés. "Peu de temps après l'attaque meurtrière de Hamburger Hill au milieu de 1969, un journal clandestin des GI au Vietnam, promis ouvertement 10.000 dollars de récompense pour avoir la tête du Lieutenant-colonel Weldon Hunnicutt, l'officier qui avait ordonné et mené l'attaque désastreuse. Par ailleurs, le Pentagone a révélé que le nombre d'attaques en 1970 contre les officiers avait plus que doublé (209) par rapport à l'année précédente (96 en 1969)."

En 1970, l'armée comptabilise 65.643 déserteurs, à peu près l'équivalent de 4 divisions d'infanterie.

En 1972, on recense environ 300 journaux contre la guerre édités par les appelés. Les équipements militaires au sol sont fréquemment sabotés et/ou détruits.

Face à cette situation, au début des années 70, le gouvernement américain commence à réduire les engagements terrestres sur le terrain et à remplacer les batailles au sol par des raids aériens, et ceci principalement parce que les troupes au sol paralysent, par leurs actes de sabotage et de résistance, la force militaire la plus puissante du monde. Ce changement de stratégie implique un engagement plus important des forces navales dans le conflit... et c'est dès lors au sein de ce corps d'armée que la résistance contre la guerre va se répandre comme une traînée de poudre. Rappelons quelques faits significatifs de cette résistance:

Par ailleurs, sur d'autres bâtiments également, des équipements seront régulièrement "perdus" en mer. La situation devient très critique et le Comité de la Chambre des Forces Armées fait le constat suivant: "La US-Navy est soumis à des pressions... qui, si elles ne sont pas contrôlées, détruiront sûrement sa tradition de discipline si remarquable. Les actes récents de sabotage, d'émeute, de désobéissance et de mépris pour toute autorité... constituent les symptômes évidents d'une détérioration dangereuse de la discipline."

Sans entrer dans plus de détails, signalons ici au passage l'impact important que peut avoir sur le moral des troupes, les informations que les soldats reçoivent sur les luttes qui se déroulent aux Etats-Unis mêmes, directement contre la guerre (fortement entachées de pacifisme néanmoins) et, de façon beaucoup plus radicale, à propos des luttes contre la misère et l'exploitation qui secouent des villes comme Watts, Detroit, Lordstown et de nombreuses autres encore (181 villes s'enflammeront en 1968 à l'occasion du meurtre de Luther King!).

C'est en rappelant ces quelques faits significatifs au sujet de la guerre du Vietnam et du défaitisme qui s'y manifesta, que nous pouvons mesurer le gouffre qui nous sépare aujourd'hui, à peine vingt ans plus tard, de cette période de lutte. Mais en insistant sur cet aspect de la guerre, nous voulons mettre en valeur que c'est toujours la menace d'un surgissement prolétarien qui reste déterminante, qui reste la clef de l'issue de la guerre.

Et c'est peut-être avec cette menace en tête, ou avec le souvenir lointain mais bien vivant de ce qui s'est passé au Vietnam, que le commandement militaire américain, lors de la guerre du Golfe arabo-persique, a pris soin de désarmer tous les soldats qui devaient rencontrer ou se trouver dans la proximité immédiate du président Bush, en visite en Arabie Saoudite!

Sans doute Bush craignait-il que l'un de ceux qu'il envoyait à la mort ne se souvienne un peu trop violemment des actions de ses frères de classe, quelques années plus tôt, au Vietnam!
 

Rompre les rangs !

La forte cohésion sociale de l'armée américaine pendant la guerre du Golfe, relativement à la guerre du Vietnam comme nous le soulignons ici, ne signifie pourtant pas qu'il n'y eut aucun acte de résistance.

Même au sein de cette armée de mercenaires, les contradictions sociales qui traversent les classes ont éclaté comme des boutons de fièvre: face à la perspective d'aller se faire trouer la peau pour le bien-être de l'Etat, des milliers de soldats américains ont rompu les rangs, suivant en cela l'exemple de millions de leurs frères défaitistes dans l'histoire déjà longue de la résistance à la guerre.

Dès les premiers jours de l'opération "Desert shield" en août 1990, la résistance des soldats s'est matérialisée par le refus d'embarquer à bord des avions à destination de l'Arabie Saoudite. Sur certaines bases US en Allemagne, les récalcitrants ont dû être envoyés de force, menottes aux poings; ils croupissent encore à l'heure actuelle dans les geôles militaires.

Ce refus de se laisser mener docilement à l'abattoir s'exprimera jusque dans le corps des officiers qui aura aussi ses "moutons noirs", tels le Capitaine Higgins, diplômé de la "prestigieuse" école de West Point qui forme l'élite des tueurs en uniforme, ou encore la Capitaine Yolanda Huet-Vaughn condamnée à 30 mois de prison. Tous deux refusèrent de partir au front.

Malgré le black-out que la bourgeoisie impose sur ces actes de défaitisme, nous pouvons néanmoins affirmer, au vu des maigres informations dont nous disposons, que plusieurs centaines de soldats, au moins, sont passés en cour martiale et ont été condamnés à plusieurs années de prison pour "ne pas avoir participé à des mouvements de troupes", pour "des absences non-autorisées", des refus d'obéir aux ordres, des désertions ou désobéissances.

La palme revient probablement au sergent Robert Pete, condamné à six ans de prison pour "avoir conspiré à la grève, tenté de déserter, incité à la désertion, organisé une grève ou une manifestation impliquant des membres de l'armée".

Les communistes ne peuvent que soutenir de tels actes qui, malgré leur isolement au sein de l'armée américaine, nous démontrent que des minorités défaitistes existent bel et bien au sein de la plus puissante armée au monde, ce qui nous prouve que le prolétariat n'est jamais complètement prêt à se faire massacrer sans broncher dans une boucherie capitaliste.

Nous sommes et serons toujours et partout solidaires de tous les actes de défaitisme révolutionnaire.



Nous soulignons

LOS ANGELES

Le prolétariat appelle à la lutte aux Etats-Unis!

* * *

En 1965, les révoltes prolétariennes du sud des Etats-Unis et du nord de l'Amérique Latine annoncèrent une importante vague de luttes de classe, dont l'apogée se situa entre 1967 et 1970.

Aujourd'hui, alors que les Etats-Unis se présentent comme le modèle à exporter (sans doute parce que la catastrophe intérieure des Etats-Unis devient inoccultable!), la révolte prolétarienne de Los Angeles, qui s'est étendue comme une traînée de poudre à des dizaines de villes de l'Amérique du nord (jusqu'au Canada), constitue un appel international au prolétariat mondial pour qu'il lutte contre le Capital et l'Etat.

Les prolétaires qui vivent dans ce pays qu'on nous présente comme un modèle de développement, d'égalité, de liberté, de démocratie, de bien-être..., nous crient que sous le régime capitaliste, toute amélioration des conditions de vie est une chimère, que le développement du Capital, c'est le développement de la misère, que l'égalité mercantile renforce ce monde d'êtres dépossédés de toute propriété, que la seule liberté, c'est celle de crever de faim, que la démocratie est la dictature des exploiteurs et que la société de bien-être qu'ils nous promettent, la société de Disney World, Mac Donald et Coca Cola, est incapable de satisfaire les besoins les plus élémentaires de l'être humain (il n'y a ni air pur, ni eau potable, ni amour entre êtres de la même espèce). Les prolétaires révoltés d'Amérique du nord nous crient qu'ils ne veulent pas de ce monde, ni de ce celui que le Capital veut nous construire pour demain. En attaquant le monde de la propriété privée et de l'Etat, ils nous appellent à suivre leur exemple.

Une révolte des noirs contre les flics racistes de Los Angeles?

Non! Au delà des prétextes immédiats, au delà des tentatives des médias pour circonscrire la révolte à telle ou telle bavure policière, la lutte du prolétariat est, en réalité, une lutte générale contre l'ensemble du système capitaliste, contre la propriété privée et l'Etat. Ce n'est pas tel policier, tel maton qui est raciste, le racisme est l'essence même du système social bourgeois. Jamais il ne pourra être vaincu sur base de l'anti-racisme politique et réformiste. Il ne sera aboli qu'avec la destruction du système capitaliste. Il est symptomatique à cet égard que ni les promesses de sanctions contre les flics, ni la reconnaissance du fait qu'il s'agissait d'une bavure, ni les attitudes de Ponce Pilate des politiciens, ni les condamnations des anti-racistes bourgeois, ni les appels au calme n'ont pu contenir cette extraordinaire expression de la rage prolétarienne. Et, s'il y a une chose à regretter, c'est le nombre extrêmement élevé de morts dans notre camp (1).

Non, il ne s'agit pas d'une lutte de noirs contre des blancs, il s'agit de la lutte du prolétariat mondial et plus particulièrement de ses fractions que constituent les exploités contre lesquels le racisme, le sexisme et l'égoïsme généralisé de toute cette société s'expriment le plus: chômeurs, parias, noirs, métis, enfants, femmes, immigrés, clandestins,... L'hétérogénéité apparente dans la composition du prolétariat d'une part, l'homogénéité réelle de ses intérêts et de ses objectifs de l'autre, expriment très clairement la réalité du prolétariat mondial et confirme (si besoin en est) que notre classe ne peut se constituer qu'en opposition à tout l'ordre établi.

Comme à chaque fois, tout est mis en oeuvre pour que toi, prolétaire, dont la peau a une autre couleur, tu ne te sentes pas concerné par les luttes de tes frères à Los Angeles, Atlanta, New-York, Toronto,...

La bourgeoisie trouve à chaque fois un moyen de camoufler l'origine commune de nos luttes: ici, il s'agit d'excès caractéristiques des Etats-Unis, là, de luttes de libération nationale ou religieuse, etc. Mais que ce soit aux Etats-Unis, en Irak, en Algérie, en France ou au Venezuela, les causes et objectifs de nos luttes sont à chaque fois identiques: le rejet de ce monde et c'est logique, parce que le capitalisme est unique et mondial. L'exploitation, au delà des formes qu'elle revêt, a toujours le même but: l'extorsion de plus-value, l'affirmation du monde inhumain du profit. Face à cela, le prolétariat mondial constitue une seule classe internationale, quelque soit la couleur de sa peau, quelque soit la nationalité dans laquelle le Capital l'enferme, la religion dans laquelle il l'enrôle. Les médias n'ont pas pu occulter la participation massive de jeunes prolétaires blancs, aux côtés des noirs et des chicanos à Los Angeles; on a même admis publiquement que, pour une fois, "les communautés noires et latino-américaines sont apparues unies contre la police et que les bandes rivales elles-mêmes ont fait la paix". Cette unification de prolétaires, dont la peau, l'âge, le sexe, le statut, les idéologies diffèrent,..., cette unification contre le monde de la propriété privée, indique précisément que leurs intérêts, antagoniques au Capital, unifient les prolétaires et que la seule perspective réside dans la constitution du prolétariat en classe révolutionnaire, en une seule force mondiale, en un seul Parti mondial, pour détruire l'ensemble du système social marchand.

Répercutons et prolongeons l'appel internationaliste et révolutionnaire du prolétariat de Los Angeles! (2)

oOo

Quelques records

du modèle économique mondial: U.S.A.(3)

La paix:

  • En 1989, 36 millions de personnes sont victimes de la délinquance, 19.000 meurent assassinées.
  • On compte 8,3 assassinats pour 100 habitants (en France, ce taux est de 0,6).
  • 90% des hommes et 74% des femmes seront un jour attaqués, violés ou volés.
  • La liberté:

    L'égalité:

    (et "vive la patrie")

    La société du bien-être:

    (ou l'"american way of life")

    La culture:

    (ou "progrès et développement de l'intelligence")

    Californie:

    (ou le paradis des paradis)

    C'est à toutes ces personnes que s'est adressé le président Bush: il expliquait récemment que ceux qui, face à toutes les possibilités qu'offre le libéralisme économique, ne parviennent pas encore à réaliser leur bonheur, ne peuvent être que des débiles mentaux.

    Notes

    1. Ceci est un reflet des difficultés rencontrées par notre classe sur le chemin de la révolution, et du manque de continuité théorico-organisative avec les générations précédentes.

    2. Une analyse détaillée et globale des forces et faiblesses de ce type d'explosion prolétarienne sera l'objet d'une analyse ultérieure.

    3. Les données qui suivent sont extraites de "L'Autre Journal" de février 1991 et furent également publiées dans Le Monde Diplomatique.



    Mémoire Ouvrière

    1914 - 1918

    A propos de la social-démocratie comme parti historique

    ... et quelques ruptures !

    * * *

    Ce que l'histoire officielle retient de la guerre qui déchira le monde entre 1914 et 1918,... c'est la guerre! Les classes sociales sont niées, absentes. Dans les livres d'histoire ne se découpent que des communautés nationales, séparées puis opposées par des frontières. Chacun de nous est ainsi passé un jour ou l'autre sur l'estrade, obligé de répéter à l'aube de l'adolescence, les âneries terrifiantes qu'un professeur gâteux nous débitait à propos de la "pauvre et frêle Belgique", traîtreusement attaquée par un monstre Teuton qui cherchait à en découdre avec la France républicaine.

    Dans le paradis idéologique de la bourgeoisie, tout est affaire d'honneur national, de défense de la République, de lutte contre l'autocratie,... Les classes n'existent plus. Et pour cause! Pour envoyer le prolétaire se faire déchiqueter au front, il faut avant tout nier son existence d'exploité, lui injecter le sentiment qu'il est membre à part entière de la société civile. Le prolétaire ainsi transformé en citoyen participe de son mieux, côte à côte avec le bourgeois qui le fait suer tous les jours, à la défense de l'économie nationale. La possibilité pour la bourgeoisie de mener la guerre contre un concurrent dépend essentiellement de la résistance du prolétariat à cette monstrueuse dissolution de ses intérêts dans le patriotisme.

    Rappeler que le prolétariat est au centre de la guerre nous apparaît plus actuel que jamais, à un moment où la guerre trouve chaque jour de nouveaux développements et où, en même temps, le prolétariat n'a jamais été autant nié.

    oOo

    A travers la mémoire ouvrière que nous publions aujourd'hui, nous voulons redonner quelques éléments des débats organisationnels qui précédèrent le déclenchement de la guerre '14-'18, en prenant comme exemple la France et en suivant pas à pas les ruptures et non-ruptures qui se réalisèrent sous des drapeaux ou contre des drapeaux aussi divers que l'anarcho-syndicalisme, l'anarchisme et le socialisme.

    Nous verrons d'abord comment, sur toile de fond de la vague de lutte internationale en 1905, l'anti-militarisme constitua la réponse bourgeoise à la lutte du prolétariat contre la guerre. Nous verrons comment les fractions les plus gauchistes de la Social-Démocratie (1) dévoyèrent toute velléité d'action directe dans le cadre d'une soumission à la discipline démocratique de ses syndicats et de ses partis.

    Nous décrirons également brièvement la violence de l'adhésion du prolétariat à l'Union Nationale et Sacrée, dès que les premiers coups de canon furent tirés, en 1914. Pour illustrer cette repoussante fusion entre les classes, nous présenterons des déclarations officielles de courants dits "anarchistes", "anarcho-syndicalistes" ou "socialistes", ces mêmes courants qui peu auparavant juraient leurs grands dieux qu'on ne les verrait jamais prendre le fusil pour défendre leur patrie.

    Enfin, nous présenterons quelques textes significatifs de quelques minorités qui, à contre-courant, gardèrent fièrement dressé le drapeau de la lutte contre toute guerre, annonçant ainsi la violente révolution prolétarienne qui surgit des champs de bataille, à partir de 1915, obligeant petit-à-petit la bourgeoisie mondiale à arrêter le massacre.

    Mais pour présenter ces quelques extraits de texte, nous n'allons pas entrer dans le détail et les développements des différents moments de révolution et contre-révolution que fit jaillir cette période de l'histoire. On pourra se rapporter aux différents articles de nos revues qui traitent de cette période (2), pour se rappeler les arguments "défensistes" de chacune des fractions bourgeoises en présence, l'Allemagne convainquant ses "socialistes" (les plus puissants du monde!) de voter les crédits d'une guerre démocratique "pour en finir définitivement avec le monstre impérialiste et autocratique russe", et la France, alliée à la Russie, argumentant de la même démocratie pour engager "socialistes" et "anarchistes" à réaliser l'Union Sacrée autour d'elle et à "partir en croisade contre l'Allemagne éternellement guerrière".

    Non, dans cet article sur la guerre et la révolution et en publiant côte à côte des exemples de ruptures et non-ruptures des différentes "saintes familles" politiques, nous voudrions faire ressortir une fois de plus, qu'au delà de l'appellation de tel ou tel groupe ou organisation formelle, ce qui importe essentiellement, c'est la pratique sociale que recouvre son activité militante.

    L'"anarchisme" et le "marxisme", comme idéologies, se renvoient effectivement mutuellement l'image d'une "sainte famille", d'autant plus consistante qu'elle a pour fonction de matérialiser chez chacun la défense de sa propre pseudo-famille. L'idéologie devient matière.

    Et comme pour la "Sainte Trinité" chrétienne, dont Marx explique, à l'encontre de Feuerbach, qu'elle trouve son secret dans la "famille terrestre", le secret des "saintes familles" "marxistes" et "anarchistes" trouve sa réponse et sa négation pratique dans toute l'histoire des violents affrontements entre révolution et contre-révolution, qui se matérialisèrent tout aussi bien entre les "communistes" Miasnikov et Staline, qu'entre les "anarchistes" Severino Di Giovanni et Abad de Santillan!

    Rappelons pour le lecteur peu averti que Staline est l'assassin travesti en rouge de notre camarade Miasnikov et que Severino di Giovanni descendit à coups de revolver le secrétaire général de "La Protesta", le journal d'Abad de Santillan, journal devenu réformiste dans les années '20, et qui traitait di Giovanni de "flic" parce qu'il menait l'action directe contre l'Etat.

    Les "saintes familles" "marxistes" et "anarchistes" n'existent pas... il faut les détruire!!!

    L'unité du "marxisme" ou de l'"anarchisme" n'existe pas comme communauté programmatique. Mais en tant qu'idéologies, elles se sont matérialisées; elles ont une existence comme communautés fictives. Et celles-ci sont à détruire.

    En opposition au triste formalisme et à l'imbécile "esprit de famille" qui règne autour de la revendication de la révolution, nous voudrions contribuer à la démolition de ces mythes en démontrant dans ce court plongeon historique que le nom que prend l'organisation de la révolution (ou de la contre-révolution) n'est jamais l'élément déterminant pour l'évaluation du contenu social qu'il sous-tend.

    oOo

    Révolution et contre-révolution s'opposent comme communisme et capitalisme, comme prolétariat et bourgeoisie. Mais cette ligne de fracture entre les programmes de révolution et de conservation du monde ne recouvre absolument pas telle ou telle expression formelle, telle ou telle appellation.

    Ce petit rappel pourrait paraître élémentaire et pourtant, c'est bien cette méthodologie qu'utilise le réformisme pour expliquer qu'un courant est révolutionnaire ou non. Ainsi, plus d'un groupe gauchiste, faisant référence formellement au "communisme" explique la faillite de "l'anarchisme" en prenant comme base les déclarations ultra-bellicistes de ce contre-révolutionnaire que fut Kropotkine, et invalide par là toute expression classiste qui aurait pu postérieurement surgir sous le drapeau de "l'anarchie". C'est un peu comme si des "socialistes-révolutionnaires" arguaient en 1914 du caractère contre-révolutionnaire de tout "parti communiste", sous prétexte de la faillite du parti Bolchevik, dont la majorité de la section en France s'engagea en 1914, sous la direction d'Antonov-Ovséenko, dans le premier régiment républicain russe, pour défendre la République française!

    Les termes de "socialistes", "anarchistes" ou "communistes" ne garantissent en rien le caractère classiste de ceux qui en endossent l'étiquette: sous toutes ces dénominations se sont retrouvés des défenseurs de l'Etat. Les grands théoriciens du réformisme, les Lassalle, les Bernstein, les Proudhon (3), les Kautsky, les Abad de Santillan,... tous ces défenseurs d'un ordre bourgeois épuré de contradictions, s'appelleront "socialistes", "anarchistes",...

    Et dans les moments-clé de la lutte entre les classes, ces idéologies social-démocrates justifieront l'action d'hommes qui furent décisifs dans la défense du Capital et de l'Etat bourgeois: Noske et Scheidemann en 1919 en Allemagne, les ministres "anarchistes" en 1936-1937 en Espagne, Staline en Russie,... De même, pour cette période qui nous occupe aujourd'hui, c'est au nom du "socialisme" et de "l'anarchisme" que Plékhanov ou Kropotkine appelèrent à défendre la patrie et mourir pour elle.

    Quant à la révolution, en opposition à la collection de contre-révolutionnaires que nous venons de citer, elle fut portée et développée par des camarades qui se sont appelés "communistes", mais aussi "anarchistes", "socialistes", "socialistes-révolutionnaires", "communistes-anarchistes"... et même "libéraux"(!!!) telle l'organisation révolutionnaire de Ricardo Florès Magon, Praxedis Guerrero et Librado Rivera, durant la révolution prolétarienne au Mexique...

    oOo

    Plus que de longues dissertations sur ce sujet, nous voudrions maintenant illustrer cette question par la simple juxtaposition d'extraits de textes rapidement présentés et commentés, autour de positions prises au sein de différents courants ou organisations politiques, avant, pendant et après la guerre de 1914-1918. Nous nous sommes limités à un exemple -la France- et nous avons puisé nos sources respectivement dans les courants "socialistes" (Parti Socialiste Français), "anarcho-syndicalistes" (CGT), "anarchistes" (différentes organisations).

    Sans faire l'historique de ces trois courants, disons simplement que le Parti Socialiste Français n'était rien d'autre qu'un représentant typique de la 2ème Internationale contre-révolutionnaire, que la Confédération Générale des Travailleurs, comme syndicat ne fut jamais qu'une réalisation réformiste imbibée d'anarchisme idéologique, organisée, subsidiée, soutenue par l'Etat pour donner aux ouvriers un cadre leur permettant de négocier "responsablement" leur force de travail. Quant au courant "anarchiste", on le retrouvera tout aussi bien au sein du Parti socialiste (Hervé et Almareyda ne cachèrent jamais leur sympathie pour les "anarchistes"), qu'au sein de la CGT, ou d'autres groupes encore, tels "Les Temps Nouveaux", qui n'eurent jamais rien de révolutionnaire.

    Il n'en demeure pas moins que c'est sur base des ruptures qui interviendront avec la question de soutenir ou non la patrie, que surgiront de ces différents courants ou organisations, des ruptures classistes et internationalistes contre la guerre.

    1. L'anti-militarisme avant la guerre

    Les trois premiers extraits de texte que nous présentons ici datent d'avant le déclenchement de la guerre. Ces trois textes sont des textes anti-militaristes qui révèlent l'opportunisme de leurs auteurs: tous trois prendront plus tard violemment position pour la guerre, et cela constituera notre deuxième volet.

    Mais la seule lecture de ces textes, du point de vue du devenir contre-révolutionnaire futur de leurs auteurs, n'est pas suffisante. Ces textes expriment aussi, quoique confusément, le puissant courant anti-guerre qui se manifesta peu après les mouvements révolutionnaires de 1905. La lutte contre la guerre s'exprima alors avec comme toile de fond, la montée des antagonismes entre les différentes puissances capitalistes. Il faut y voir avant tout l'expression d'un refus de la guerre par le prolétariat et ce refus s'exprimera tout autant en Allemagne par exemple, où Karl Liebknecht publie "Militarismus und Antimilitarismus" (4), qu'en Autriche-Hongrie où naîtra bientôt le "Cercle Galilée", etc.

    La lutte contre le militarisme manifesta la résistance du prolétariat à se faire embrigader sous les drapeaux patriotiques de la bourgeoisie. En tant que lutte internationale, elle amena ainsi une importante fraction du prolétariat à réaffirmer l'essence anti-patriotique de son programme, et donc à produire des ruptures avec la dictature de la Social-Démocratie sur le mouvement ouvrier, à ce moment. Quand la guerre est de plus en plus à l'ordre du jour, la dénonciation de nationalisme et du patriotisme, sont des concrétisations particulièrement saillantes de la lutte contre le programme de destruction que la bourgeoisie met en place à l'encontre du prolétariat. Et c'est en ce sens que l'insurrection, comme seule alternative à la guerre, fut posée, dans l'action, par des minorités prolétariennes.

    Evidemment, à tout besoin social exprimé par le prolétariat, correspond une tentative de réponse de la part de la bourgeoisie. Là où le prolétariat opposait la grève insurrectionnelle à la guerre, la bourgeoisie formula ses propres alternatives: lutte pour la paix, front avec des organisations bourgeoises, unité nationale, syndicalisme, électoralisme, etc. Les textes ci-dessous sont des exemples de ces manifestations d'un anti-militarisme au vernis radical, mais qui noie le projet du prolétariat dans le vide d'un "A bas la guerre", formulé sans perspectives, à l'image de ce fameux tableau de Munsch intitulé "Le Cri", où l'angoisse et la peur sans perspectives sont les seuls sentiments dirigeant la réaction à l'abîme guerrier.

    Les trois textes qui suivent se caractérisent donc, indépendamment du courant politique "socialiste", "anarcho-syndicaliste" ou "anarchiste" auquel ils font référence, par un même discours anti-militariste radical, au moyen duquel leurs auteurs ramènent les velléités révolutionnaires du prolétariat dans le giron des organisations réformistes qu'ils défendent (la CGT pour Jouhaux, le PSF pour Hervé) ou du plus plat pacifisme civil (Jean Grave).

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    "Le congrès considérant que peu importe aux prolétaires l'étiquette nationale et gouvernementale des capitalistes qui les exploitent, que l'intérêt des travailleurs, est sans diversion possible, la lutte contre le capitalisme international, répudie le patriotisme bourgeois et gouvernemental qui affirme mensongèrement l'existence d'une communauté d'intérêts entre tous les habitants d'un même pays; affirme que le devoir des socialistes de tous les pays est de ne se battre que pour instaurer le régime collectiviste ou communiste et de le défendre lorsqu'ils auront réussi à l'établir, et en présence des incidents diplomatiques qui menacent la paix de l'Europe invite tous les citoyens à répondre à toute déclaration de guerre et de quelque côté qu'elle vienne, par la grève militaire et l'insurrection."

    Motion présentée par Gustave Hervé au Congrès de Nancy du Parti Socialiste Français -1907-.

    Un "socialiste"

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    "Ces querelles intestines ne diminueront jamais nos sentiments internationalistes. Jamais l'on ne nous opposera à nos frères d'Allemagne ou d'Angleterre; qui donc oserait prétendre cela? Nous mettons en application les deux principes qui furent la base de la première internationale ouvrière: les travailleurs n'ont pas de patrie; travailleurs de tous les pays, unissez-vous... Comment pourrions-nous concevoir l'idée d'une patrie, nous qui ne possédons absolument rien, nous qui sommes obligés de lutter pour défendre nos droits à l'existence? ... Aux cris lugubres des hyènes de la finance, aux cris féroces des tigres du patriotisme, travailleurs allemands et travailleurs français, répondons par le cri, toujours plus vibrant de: A BAS LA GUERRE!"

    Léon Jouhaux, dirigeant de la Confédération Générale des Travailleurs -1907-.

    Un "anarcho-syndicaliste"

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    "On l'a dit depuis longtemps: le système de la paix armée est un système qui ne peut s'éterniser, qui mène les nations à la faillite ou à la guerre! Et cependant voilà plus de quarante ans que ça dure et que l'on tire encore sur la ficelle.

    Mais, lorsqu'on demande à la ficelle de soulever plus que sa force de traction ne le comporte, la ficelle casse. Et plus on tire dessus, plus on lui demande de tirer, plus vite on approche du moment où elle cassera.

    Seulement, les requins qui vivent de la paix armée ne craignent pas que la corde casse, car, dans le conflit que pourra amener cette folie de l'armement, ils pourront trouver moyen de gagner encore plus et encore plus vite.

    ...Ah! s'il restait encore quelque énergie chez les travailleurs, s'ils avaient conscience des cataclysmes vers lesquels on les achemine, dès qu'il a été question de la loi de trois ans, on aurait dû voir se lever de tous côtés les protestations indignées de ceux qui en ont assez de payer de leur liberté, de leur sang, de leurs sueurs, les honteux tripotages qui doivent assurer quelques millions de bénéfice aux mercantis de la finance, de la politique, de l'industrie...

    Les cris de réprobation auraient dû être tels qu'ils auraient dû couvrir la voix des braillards du militarisme, faire taire la gueule des loups-cerviers du patriotisme."

    Jean Grave dans la publication No.63 du journal "anarchiste" "Temps Nouveaux" -1913-.

    Un "anarchiste"

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    Ces prises de position de l'"anarcho-syndicaliste" Jouhaux et de l'"anarchiste" Grave, ci-dessus, sont des exemples éminents de cri pacifiste et d'appel sans conséquence.

    Il en va de même pour le texte du "socialiste" Hervé, mais là, le radicalisme est encore plus fort. Ici, on voit que ce qui limite la position défendue par Hervé sur la guerre (et qui la transformera plus tard en une position ouvertement patriotique), ce n'est pas que son auteur ait retourné sa veste au moment du déclenchement de la guerre et ce n'est évidemment pas non plus parce qu'il formula une résolution opposant l'insurrection à la guerre lors du Congrès de Nancy en 1907; ce qui fait de ses prises de positions "insurrectionnalistes" un moment d'une pratique qui mènera son auteur dans les bras de la contre-révolution, c'est que, malgré le refus du Parti social-démocrate d'adopter ses résolutions opposant l'insurrection à la guerre, Hervé n'appela jamais à la rupture politique avec la Social-Démocratie. Au contraire, en enjoignant à rejoindre le Parti Socialiste Français, tout en reprenant certains mots d'ordre en rupture avec ce même parti, Hervé et son journal, "La Guerre Sociale" (5), faisaient office de rabatteurs d'extrême gauche pour la Social-Démocratie. L'appel à l'insurrection, à l'anti-patriotisme ne constituait finalement plus qu'une vitrine achevant de désorganiser les dernières fractions du prolétariat qui n'avaient pas succombé aux séductions réformistes de la Social-Démocratie.

    2. Le bellicisme lors du déclenchement de la guerre

    Quant on relit les impressions des militants ouvriers qui assistèrent impuissants à la ruée vers la guerre dès le déclenchement du conflit, le 2 août 1914, tout semble irréel. La veille encore, les manifestations, déclarations, appels, assemblées,... donnaient à ces militants l'image d'une classe ouvrière peu prête à partir en guerre.

    Nous avons lu ci-dessus quelques exemples de déclarations anti-militaristes, durant les années antérieures au conflit mondial; mais regardons maintenant les quelques jours qui précèdent directement la guerre. C'est encore le même discours qui prédomine.

    Le 27 juillet 1914, six jours seulement avant la mobilisation, une foule énorme manifeste violemment son opposition sur les boulevards de Paris à l'appel de la CGT. Malgré les charges de flics, de l'Opéra à la République, on n'entend qu'un seul cri: "A bas la guerre!".

    Le lendemain, la CGT place en manchette de son journal -"La Bataille Syndicaliste"- le slogan "Guerre à la guerre!"; elle organise des meetings contre la guerre. Un orateur y prépare une intervention particulièrement violente sous le titre de "L'heure de la Crapule, de la Folie, et du Crime ne sonnera pas":

    "Elle ne sonnera pas! quoi qu'en disent les crétins et les hurleurs du nationalisme efflanqué.

    La comédie jouée par les dirigeants de l'Internationale capitaliste semble à présent tourner en tragédie d'une sauvagerie insensée, d'une barbarie inouïe, une tragédie dont le dernier acte les surprendra, car il mettra face à face, pour le combat final, non plus les nations, mais la classe ouvrière et la classe capitaliste, le Peuple et les parasites, ceux qui vivent de leur travail et ceux qui vivent du travail des autres.

    ... Au cri de: A bas la guerre! Vive la révolution ouvrière! nous empêcherons de sonner l'heure de la Crapule, de la Folie et du Crime." (6)

    Le 29 juillet a lieu à Bruxelles un grand meeting international regroupant les grosses légumes de la Social-Démocratie internationale. Troelstra, Morgari, Luxembourg, Vandervelde, Roubanovitch, Haase, Jaurès,... ne parlent que de paix. A Paris, les ouvriers affluent en masse pour une autre manifestation, interdite celle-ci, et les flics chargent.

    Le 1er août encore, "La Bataille Syndicaliste", l'organe de la CGT, s'insurge contre la guerre, mais dès que la mobilisation est décrétée, le lendemain, un article de lamentations du même journal se clôture par:

    "Et que le nom du vieil empereur François-Joseph soit maudit!"
    Tout semble basculer. Le 4 août, on peut lire dans l'éditorial du même journal:
    "C'est l'Autriche qui a provoqué la crise; c'est l'Allemagne qui, par sa duplicité d'abord, par ses agressions ensuite, a fait jaillir l'étincelle qui met l'Europe en feu ... Evident aussi est notre rôle: contre le droit du poing, contre le militarisme germanique, il faut sauver la tradition démocratique et révolutionnaire de la France."
    Et le 6 août, sans plus de subtilité, le même journal explique:
    "... Dans le conflit actuel, la question ethnique a son importance. Les Germains, de sang plus lourd, partant d'esprit plus soumis et résigné, n'ont pas notre esprit d'indépendance."

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    Pour le prolétariat, la guerre n'est pas inévitable. La capacité de la bourgeoisie à précipiter le prolétariat dans la guerre dépend de la résistance de ce dernier, de sa capacité à lutter ou à s'y laisser conduire. En épousant les justifications légalistes des différents courants "anarchistes", "anarcho-syndicalistes", "socialistes" de la Social-Démocratie, en acceptant d'organiser sa lutte autour des consignes réformistes, les prolétaires s'étaient préparés à accepter les explications de la bourgeoisie qui les conduisait à la guerre en les prenant par la main.

    C'est ainsi que l'"anarchiste" Jean Grave déclare après la guerre, à l'image de toutes les explications données par les pacifistes patriotes pour mener les prolétaires à la guerre et comme synthèse de toutes les justifications défensistes fournies par ceux qui appelèrent à participer au conflit, qu'ils soient d'extrême droite ou d'extrême gauche, de Maurice Barrès à la section Bolchevik à Paris:

    "Nous avons tenté de rendre la guerre impossible. Nous n'avions pas été écouté. La guerre avait fondu sur nous. Des régions entières étaient livrées à l'envahisseur qui fusillait, pillait, volait, maltraitait les populations. J'aurais voulu y voir ces partisans de la non-résistance s'ils persistent à me dire qu'en agissant ainsi, ils agissaient en anarchistes, en révolutionnaires, je leur réponds qu'ils agissaient en Jean Foutre."
    Voilà bien la justification suprême! La France attaquée doit se défendre (7) et lutter pour sa survie. Le devoir patriotique reprend le dessus. Devoir patriotique, devoir "socialiste", "anarchiste", devoir républicain ne font qu'un. Les intérêts principaux pour tous ces patriotes social-démocrates déguisés en syndicalistes, socialistes, anarchistes,... sont et resteront toujours: nationaux! Il faut donc réaliser l'Union Nationale.

    L'"anarchiste" Almareyda, lieutenant de Hervé, va trouver le ministre de l'Intérieur Malvy pour lui demander de ne pas appliquer le décret qui lui permet d'emprisonner les milliers de militants fichés sur son fameux "Carnet B", le carnet recensant les noms des militants les plus "remuants". Malvy accepte sauf pour ceux qu'il range dans la catégorie des "anarchistes individualistes". Almareyda s'engage alors à aller discuter avec ceux-ci et leur fait promettre qu'ils ne tenteront aucune action contre la guerre. Malvy accepte encore. Almareyda sert ainsi d'intermédiaire entre le Ministère de l'Intérieur et certains des plus irréductibles "anarchistes". Il participe ainsi à la solidification des derniers liens, réalisant ainsi la totale Union Sacrée. Pour prix de son oeuvre de réconciliation, Almareyda vit son journal "Le Bonnet rouge" subsidié par Malvy!

    Jouhaux, le chef de la CGT, jura quant à lui sur la tombe de Jaurès de défendre la patrie contre l'envahisseur et, animé du feu du plus pur patriotisme, il cria bien haut afin que la France entière l'entende:

    "Au nom de ceux qui partent et dont je suis, je déclare que ce n'est pas la haine du peuple allemand qui nous poussera sur les champs de bataille, c'est la haine de l'impérialisme allemand."
    Cette crapule, dont nous avons présenté plus haut un virulent échantillon de prises de positions anti-militaristes, écrira ensuite une série d'articles sur la guerre et les problèmes qu'elle soulève (notamment l'oisiveté, le travail, l'économie, tout un programme édifiant). Citons au passage un de ses articles du 14 août qui a pour titre: "Profitons-en!".
    "Profitons-en! Profitons de la guerre, profitons du fait que l'Allemagne est bloquée, qu'elle ne peut plus communiquer avec ses clients du dehors pour lui prendre ses marchés."
    Effarant!
    Trahison, retournement...?
    Il y a en fait continuité dans la pratique. Social-Démocratie et patriotisme sont inséparables. Ce qui les déterminent avant tout, c'est la défense de la nation, la défense de la république. Pour mémoire, il suffit de se rappeler la résolution de la 2è Internationale sur les questions de la guerre et de l'anti-militarisme:
    "La paix est la condition première et indispensable de toute émancipation ouvrière."
    La "traduction" est claire: les ouvriers doivent lutter côte à côte avec "leurs" exploiteurs pour imposer la paix, la paix sociale, la paix des tombes. Autrement dit, il doivent réclamer les conditions qui permettent le développement de leur exploitation. Ces positions sociales-chauvines ("participer, oui mais...") n'ont comme unique fonction que de faire participer les prolétaires à une boucherie, pour des intérêts qui ne sont et ne seront jamais les siens. Qu'on se réfère à ce que dit Hervé, celui qui appelait spectaculairement en 1901 à planter le drapeau tricolore dans le fumier:
    "Le socialisme oui, mais il faut d'abord lutter contre les oppresseurs, contre l'avalanche prussienne qui met la France en ruine. Le parti socialiste, animé par la flamme patriotique, républicaine et socialiste, va lutter becs et ongles pour la défense de la patrie en danger."
    Vaillant, l'ancien blanquiste, maintenant chef du PS, se référant quant à lui à la charte de la 2ème Internationale, justifiera l'envoi de l'armée contre les prolétaires en Allemagne de cette façon:
    "La guerre doit être menée contre l'impérialisme allemand et non contre le peuple allemand que nous voulons délivrer."
    La journée du 2 août, au meeting de la salle Wagram, il termine son discours ainsi:
    "Les socialistes rempliront à la fois leur devoir patriotique et leur devoir socialiste. En présence de l'agression, ils accompliront tous leurs devoirs, pour la patrie, pour la république, pour la révolution."
    Entre les deux moments (avant la guerre: défense de la paix contre les horreurs de la guerre; pendant la guerre: défense de la patrie contre l'ennemi qui nous envahi), il n'y a ni revirement, ni trahison, mais bien continuité, la guerre et la paix n'étant que deux manifestations de l'évolution du capitalisme mondial, deux moments de ces périodes de valorisation et de dévalorisation. La reconnaissance de la patrie et de la nation font partie de ces deux moments: avant la mobilisation, on se bat pour la paix parce que la guerre déchaîne des catastrophes et des monstruosités, et pendant la guerre, on se bat pour la sécurité du territoire et des citoyens.

    Vaillant donne encore quelques coups sur la tête du prolétariat pour le convaincre de monter au front:

    "La préoccupation d'assurer la sécurité de la nation française est aussi grande, chez nous, socialistes, que chez tous les autres citoyens, car nous avons plus que personne, en vue la défense de la république par laquelle seule pourra être réalisée la transformation sociale nécessaire, l'avènement de la république socialiste."

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    Nous proposons maintenant quelques extraits que nous avons choisis pour illustrer ce qui fut toujours présenté comme une trahison, comme une faillite de la Social-Démocratie et qui n'est, pour nous, que la manifestation aboutie du caractère contre-révolutionnaire intrinsèque d'une force qui s'est toujours référée au légalisme, au parlementarisme, à la démocratie, à la nation ou encore à l'assembléisme et au syndicalisme, bref au programme de réformes du Capital, indépendamment des appellations formellement adoptées. Voici donc quelques manifestations littéraires des fleurs empoisonnées que des "socialistes", des "anarcho-syndicalistes" et des "anarchistes" placèrent sur les fusils des prolétaires qu'ils envoyaient au front!

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    "La défaite de l'Allemagne et de l'Autriche dominantes sera fatalement un triomphe et une consolidation de la démocratie, un coup mortel au militarisme et aux survivances de l'absolutisme féodal dans les états allemands.

    (...) Considérant la guerre comme un fait accompli, l'Internationale socialiste, qui n'a pu l'empêcher, est profondément intéressée à de tels résultats de la guerre. C'est pourquoi il est du devoir des socialistes de tous les pays d'influencer activement la marche de la guerre dans cette direction et d'étouffer toutes les tentatives possibles de la réaction de tous les pays intéressés à transformer la victoire sur l'Allemagne en une victoire de la réaction et du chauvinisme sur la démocratie, en particulier sur la démocratie allemande et russe.

    C'est pour accomplir ce devoir, pour atteindre ces buts que nos camarades français participent activement à la guerre.

    En prenant tout ceci en considération, nous, socialistes russes, sommes profondément convaincus que nous servons fidèlement les intérêts du prolétariat international, en restant des ennemis intransigeants de l'autocratie russe, et que nous manifestons, enfin, une volonté maximum d'une action socialiste consciente, en rentrant dans l'armée de la République française, avec les mots d'ordre:

    Vive la démocratie!
    Vive la République allemande!
    A bas le tsarisme!
    Vive le socialisme allemand!"

    Déclaration des socialistes russes engagés comme volontaires dans l'armée française -21 août 1914-.

    Un "socialiste"

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    "D'immenses espoirs, d'incalculables espoirs se lèvent sur le monde.

    ... Partez sans amertume, partez sans regret, camarades ouvriers qu'on appelle aux frontières pour défendre la terre française.

    ... Partez sans amertume, partez sans arrière-pensée, camarades ouvriers. C'est bien pour la révolution que vous allez combattre.

    Et s'il faut que vous tombiez, tous ceux des vôtres qui restent, les jeunes et les vieux, dont l'heure n'est pas encore venue mais dont elle viendra, tous vous en font aujourd'hui le serment solennel, en même temps qu'ils vous donnent le baiser d'adieu: soldats avancés de la Révolution, ce n'est pas en vain que vous serez tombés."

    "Partez sans amertume" de Charles Albert, in "La Bataille Syndicaliste" -8 août 1914-.

    Un "anarcho-syndicaliste"

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    "En notre profonde conscience, l'agression allemande était une menace -mise à exécution - non seulement contre nos espoirs d'émancipation, mais contre toute l'évolution humaine. C'est pourquoi nous, anarchistes, nous, antimilitaristes, nous, ennemis de la guerre, nous, partisans passionnés de la paix et de la fraternité des peuples, nous nous sommes rangés du côté de la résistance et nous n'avons pas cru devoir séparer notre sort de celui du reste de la population. Nous ne croyons pas nécessaire d'insister que nous aurions préféré voir cette population prendre, en ses propres mains, le soin de sa défense. Ceci ayant été impossible, il n'y avait qu'à subir ce qui ne pouvait être changé. Et, avec ceux qui luttent, nous estimons que, à moins que la population allemande, revenant à de plus saines notions de la justice et du droit, renonce enfin à servir plus longtemps d'instrument aux projets de domination politique pangermaniste, il ne peut être question de paix. Sans doute, malgré la guerre, malgré les meurtres, nous n'oublions pas que nous sommes internationalistes, que nous voulons l'union des peuples, la disparition des frontières. Et c'est parce que nous voulons la réconciliation des peuples, y compris le peuple allemand, que nous pensons qu'il faut résister à un agresseur qui représente l'anéantissement de tous nos espoirs d'affranchissement."

    Extrait du "Manifeste des Seize" -28 février 1916-.

    Un "anarchiste"

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    Pour illustrer le bellicisme aux couleurs du "socialisme", nous avons choisi quelques extraits de la déclaration des volontaires russes, déclaration faite à l'initiative d'une série de membres de la Section des Bolcheviks à Paris, pour justifier leur embrigadement dans le Premier régiment républicain russe qui partit défendre les couleurs de la République Française. Cette position n'est que la conséquence logique de la non-rupture, ni théorique, ni organisationnelle de cette organisation, avec la Deuxième internationale.

    Ces extraits ont également le mérite de casser toute cette légende qui s'est historiquement installée autour de la prétendue intransigeance du parti Bolchevik, seul à porter les positions internationalistes malgré le déclenchement de la guerre et l'hystérie nationaliste. Rien n'est plus faux! En 1914, dans toute l'émigration russe, aussi bien chez les Bolcheviks que chez les Mencheviks ou les socialistes-révolutionnaires, la confusion fut extrême et s'il est vrai qu'il demeura bien quelques partisans de l'internationalisme au sein de ces groupes, la majorité n'en posa pas moins la question de l'enrôlement volontaire au sein de l'armée française.

    Dans son livre de souvenirs intitulé "Lénine à Paris", Aline raconte:

    "... La question de l'enrôlement volontaire se posa avec acuité... Sur la place des Invalides où s'inscrivaient les volontaires, les premiers groupes de Russes se montrèrent. C'était pour le moment des individualités. Mais quelques jours plus tard, le mouvement prit un caractère plus organisé.

    ... Dans le local miséreux du Club ouvrier dont le secrétaire était Antonov-Ovséenko, commença sous sa direction, l'inscription des émigrants volontaires. S'inscrivaient des bolchéviks, des menchéviks, des socialistes-révolutionnaires, des anarchistes.

    Et en quelques jours, le premier régiment républicain russe fut constitué, dans lequel entrèrent les membres suivants du groupe bolchévik: Sapojkov, Antonov-Popov, Mikhaïl Davidov, Moïsséev et d'autres. Sur l'initiative de ces derniers fut élaborée à la première réunion, une déclaration... (dont nous avons reproduit ci-dessus quelques extraits - NDR)."

    (Cité par Alfred Rosmer in "Le Mouvement ouvrier pendant la guerre -Tome I-).

    Sous le drapeau de l'anarcho-syndicalisme, l'extrait de "La Bataille Syndicaliste" du 8 août 1914, signé Charles Albert et intitulé, "Partez sans amertume", n'appelle pas plus de commentaires!

    Et pour illustrer la traduction "anarchiste" du programme social-démocrate, nous avons placé le paragraphe final de la déclaration de 15 "anarchistes" qui prirent position pour la guerre dans un texte qui est aujourd'hui plus connu sous le nom de "Manifeste des Seize". Cette profession de foi patriotique fut saluée par l'ensemble de la bourgeoisie. Le texte fut publié dans différents journaux réactionnaires et les félicitations plurent sur ces respectables "anarchistes" de la même manière qu'elles saluèrent les "socialistes" de l'Union Sacrée.

    Parmi les signataires du Manifeste des Seize se trouvait le même Jean Grave dont nous avons vu la position pacifiste parmi les extraits choisis pour illustrer l'anti-militarisme, plus haut. On y trouve également, en tant que représentants typiques de l'anarchisme idéologique Charles Malato, Christian Cornelissen et Pierre Kropotkine.

    Pour ce qui concerne le bellicisme de ce dernier, on peut carrément parler de continuité dans la forme même de ses déclarations. Kropotkine n'a jamais caché ses positions contre-révolutionnaires derrière cet anti-militarisme qui servit de façade à plus d'un. En 1906 déjà, Kropotkine avait piqué une violente crise lors d'une session plénière du congrès anarchiste russe à Londres: lorsqu'il entendit les arguments anti-militaristes de ses compagnons, il se leva et cria qu'au cas où une guerre verrait s'affronter la Russie et l'Allemagne, le devoir des anarchistes était d'y participer les armes à la main, ce qu'il ferait personnellement!

    3. Les ruptures pendant la guerre

    Les différentes justifications idéologiques contenues dans les extraits ci-dessus démontrent la violence avec laquelle l'Etat, toutes fractions confondues, soumit le prolétariat à la guerre.

    Messimy résumait clairement les nécessités terroristes de la bourgeoisie quant à l'envoi de prolétaires au front. Ce parlementaire s'adressait en ces termes au Conseil des ministres, à propos des opposants à la guerre qui s'étaient manifestés fin juillet:

    "Laissez-moi la guillotine et je garantis la victoire.

    Que ces gens-là ne s'imaginent pas qu'ils seront simplement enfermés en prison. Il faut qu'ils sachent que nous les enverrons aux premières lignes de feu: s'ils ne marchent pas, eh bien! ils recevront des balles par devant et par derrière. Après quoi, nous en serons débarrassés!"

    Cette crapule patriotarde française ne fait que décrire très précisément les conditions réelles dans lesquelles l'Etat capitaliste place des millions de prolétaires en temps de guerre: réduits à l'état de chair-à-canon, ils sont poussés par les balles de leurs propres gendarmes à se découvrir au feu des mines et des obus de l'armée adverse. Où qu'ils aillent, on leurs tire dessus!

    Mais c'est précisément parce que ce bourgeois exprime trop clairement, trop froidement, trop franchement les visées profondes de sa classe, que les réformistes, les chefs syndicalistes, "socialistes" et "anarchistes" sont là pour proposer, en tant que forces "ouvrières" soutenant le programme de la bourgeoisie, des explications plus crédibles pour les prolétaires; ils sont là pour présenter le besoin guerrier de l'Etat comme un avantage pour le futur de l'ouvrier. La Social-Démocratie prétend conserver l'objectif final des ouvriers (la société sans classes) et présente la lutte "contre le militarisme", "contre le fascisme", "contre l'impérialisme",... comme une première étape qui, une fois réalisée, permettra de s'atteler aux autres tâches. C'est ainsi que la bourgeoisie parvient à organiser son front avec les ouvriers, à noyer ces derniers dans la défense de ses propres intérêts, à les embrigader sous ses bannières,... et finalement les amener à accepter la prosaïque réalité de l'enfer des champs de bataille.

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    Pour briser ce court parcours dans le musée des horreurs de l'histoire, nous allons maintenant citer quelques extraits qui manifestèrent, à contre-courant de l'Union Nationale, la vie de notre classe, la lutte contre sa mort sociale, la contradiction à la guerre.

    Malgré les coups portés conjointement par l'ensemble des forces bourgeoises pour soumettre le prolétariat à la guerre, des îlots de résistance annoncèrent bientôt la vague de fond révolutionnaire qui se préparait à déferler mondialement.

    Nous proposerons pour illustrer les ruptures avec le programme contre-révolutionnaire de la Deuxième Internationale, un extrait des consignes défaitistes révolutionnaires proposées par Lénine. A contre-courant de toutes les positions opportunistes prises aussi bien dans les congrès de la 2è Internationale qu'à Zimmerwald (8), à contre-courant du programme contre-révolutionnaire du parti Bolchevik lui-même (et en contradiction avec l'oeuvre de reconstruction de l'Etat bourgeois qu'il accomplit en Russie, après l'insurrection!), Lénine formula, sous formes de consignes précises, les perspectives révolutionnaires: retourner les fusils contre les officiers, organiser la désertion, lutter contre sa propre bourgeoisie, fraterniser avec les prolétaires des armées adverses,... transformer la guerre civile en guerre révolutionnaire internationale.

    Pour illustrer les ruptures produites au sein du courant "anarcho-syndicaliste", nous avons placé un extrait de la conclusion que Rosmer donne à son livre "Le mouvement ouvrier pendant la guerre - De l'union sacrée à Zimmerwald", écrit en 1935, à la veille de la deuxième guerre mondiale.

    Alfred Rosmer fut, avec quelques autres militants présents en France en 1914, un des seuls révolutionnaires à avoir tenté d'organiser dans ce pays, dès le début, une résistance à la guerre. Son journal, "Vie Ouvrière", très proche de la CGT avant la guerre, malgré une approche très ouvriériste de la lutte, deviendra un des pôles d'organisation de la résistance à la guerre. Rosmer travailla ensuite avec Trotsky au sein du Comité pour la Reprise des Relations Internationales qui, au-delà des perspectives très confuses que se donna ce comité (9), fut également un moment de centralisation des forces qui, à contre-courant de toute la société, refusaient l'adhésion à l'Union Sacrée.

    Nous avons choisi un extrait écrit par Rosmer en 1936, parce qu'il est particulièrement intéressant de voir en quoi ce militant de notre classe, au-delà de telle ou telle illusion syndicaliste, au delà de telle ou telle limite sur la question du défaitisme révolutionnaire (10) même, conserva néanmoins suffisamment d'instinct de classe pour refuser l'anti-fascisme en tant que réponse démocratique menant à la guerre. Les leçons qu'il avait tirées au feu de la guerre et de la révolution qui lui succéda au début du siècle, lui permirent de garder la même position contre tout conflit capitaliste et ce, à l'aube même d'une guerre encore plus dévastatrice et dans laquelle la polarisation entre le fascisme et l'anti-fascisme constitua les mâchoires d'un piège plus traître encore pour le prolétariat.

    Enfin, et pour terminer, nous proposons, en regard des ruptures communistes brandies sous les drapeaux "socialistes" et "anarcho-syndicalistes", un exemple d'une rupture avec le programme social-démocrate, entreprise sous le drapeau de l'anarchie.

    Il s'agit du paragraphe de conclusion d'une "Déclaration Anarchiste" signée par le "Groupe International Anarchiste de Londres", qui se veut la négation violente du "Manifeste des Seize", cette déclaration pro-guerre "anarchiste" présentée plus haut. "Qu'y trouve-t-on?" se demandent ces contradicteurs du Manifeste des Seize:

    "Toutes les niaiseries nationalistes que nous lisons, depuis près de deux années, dans une presse prostituée, toutes les naïvetés patriotiques dont ils se gaussaient jadis, tous les clichés de politique extérieure avec lesquels les gouvernements endorment les peuples. Les voilà dénonçant un impérialisme qu'ils ne découvrent maintenant que chez leurs adversaires.

    ... Si nous considérons synthétiquement, plutôt, les idées qu'exprime leur Déclaration, nous constatons qu'il n'y a aucune différence entre la thèse qui y est soutenue, et le thème habituel des partis d'autorité groupés, dans chaque nation belligérante, en "Union Sacrée". Eux aussi, ces anarchistes repentis, sont entrés dans l'"Union Sacrée", pour la défense des fameuses "libertés acquises", et ils ne trouvent rien de mieux, pour préserver cette prétendue liberté des peuples, dont ils se font les champions, que d'obliger l'individu à se faire assassin et à se faire assassiner pour le compte et au bénéfice de l'Etat."

    oOo

    Nous espérons ainsi, avec ces quelques extraits repêchés dans la mémoire des violents heurts entre révolution et contre-révolution, avoir quelque peu contribué à casser le mythe social-démocrate prétendant situer la ligne de fracture entre programme bourgeois et prolétarien, au niveau de l'opposition "anarchiste"/"socialiste" ou "communiste".

    Ce mythe, renforcé par les "familles sacrées" tant "marxistes" qu'"anarchistes", ne résiste pas à la lecture de l'histoire réelle qui voit la frontière entre révolution et contre-révolution se dessiner beaucoup plus profondément au sein même des organisations ouvrières qui, soumises à l'importante crise politique que provoque la montée de la révolution ou de la contre-révolution, voient soudain leur groupe formel se polariser autour des questions vivantes que pose le devenir du mouvement: le prolétariat a-t-il une patrie? est-il possible de faire alliance avec une fraction de la bourgeoisie? soutenons-nous la guerre ou non? faut-il assumer pratiquement notre refus de la guerre en organisant l'action défaitiste?

    La réponse à ces différentes questions, les polarisations qu'elles occasionnent, situe les militants -plus que toute appartenance formelle à telle ou telle organisation- soit dans un camp (celui de la révolution), soit dans l'autre (celui de la contre-révolution); elle mène également à la réalisation de sauts de qualité dans la centralisation des différentes expressions militantes communistes à un autre niveau d'organisation. Et ce sont aussi ces réponses qui déterminent la richesse des ruptures que nous vous proposons en conclusion.

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    "Une propagande universelle, étendue jusqu'à l'armée et sur le terrain des opérations militaires, pour la révolution socialiste et pour la nécessité de retourner les armes, non contre ses frères esclaves des autres pays, mais contre les gouvernements réactionnaires et bourgeois de tous les pays. La nécessité inconditionnelle d'organiser des cellules et des groupes clandestins au sein des armées de tous les pays pour répandre cette propagande dans toutes les langues. Une lutte sans merci contre le chauvinisme et le patriotisme de la bourgeoisie de tous les pays sans exception."

    Lénine -Oeuvres complètes, Tome 18-.

    Un "socialiste"

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    "Les enseignements pratiques qu'il faut tirer de toute cette expérience peuvent se résumer ainsi:

    ... Les faits ont montré que c'est une illusion absolue de croire qu'on peut, en entrant dans la guerre avec d'autres buts que les rapaces impérialistes -avec l'idée de lutter contre le militarisme, pour la défense de la démocratie- la purifier, éliminer sa tare originelle, lui imprimer un autre caractère: c'est l'erreur des socialistes russes qui se sont engagés dans l'armée française.

    ... Toute guerre qualifiée antifasciste, toute guerre menée soi-disant pour abattre le fascisme, répéterait l'illusion de 1914, l'illusion de ceux qui croyaient sincèrement que la victoire de la Triple Entente signifierait la destruction du militarisme. Ni le militarisme, ni le fascisme ne seront jamais détruits par la guerre; la guerre peut seulement les renforcer, les étendre à travers le monde. Fascisme et militarisme ne seront et ne peuvent être abattus que par la classe ouvrière."

    Alfred Rosmer in "Le mouvement ouvrier pendant la guerre - De l'Union Sacrée à Zimmerwald" - 1935-.

    Un "anarcho-syndicaliste"

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    "Producteurs de la richesse sociale, prolétaires manuels et intellectuels, hommes de mentalité affranchie, nous sommes, de fait et de volonté, des "sans patrie". D'ailleurs, patrie, n'est que le nom poétique de l'Etat. N'ayant rien à défendre, pas même des "libertés acquises" que ne saurait nous donner l'Etat, nous répudions l'hypocrite distinguo des guerres offensives et des guerres défensives. Nous ne connaissons que des guerres faites entre gouvernements, entre capitalistes, au prix de la vie, de la douleur et de la misère de leurs sujets. La guerre actuelle en est l'exemple frappant. Tant que les peuples ne voudront pas procéder à l'instauration d'une société libertaire et communiste, la paix ne sera que la trêve employée à préparer la guerre suivante, la guerre entre les peuples en puissance dans les principes d'autorité et de propriété. Le seul moyen de mettre fin à la guerre, de prévenir toute guerre, c'est la révolution expropriatrice, la guerre sociale, la seule à laquelle nous puissions, anarchistes, donner notre vie. Et ce que n'ont pu dire les Seize à la fin de leur Déclaration, nous le crions: Vive l'Anarchie!"

    Déclaration du Groupe Anarchiste Internationale de Londres, en réponse au Manifeste des Seize -Avril 1916-.

    Un "anarchiste"

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    Notes

    1. Comme nous l'avons déjà spécifié à diverses occasions, pour nous, la Social-Démocratie, en tant que véritable parti bourgeois pour les ouvriers, ne se limite pas aux différentes organisations "socialistes" affiliées à la Deuxième Internationale contre-révolutionnaire, mais inclut bien évidemment tous les secteurs de l'"anarchisme" réformiste.
    2. Cf. entre autres: "Brest-Litovsk: la paix, c'est toujours la paix du Capital" in Le Communiste No.22 et 23, "1919 -Révolution et contre-révolution en Hongrie" in Communisme No.32, "Insurrection prolétarienne en Ukraine" in Communisme No.35.
    3. Proudhon, comme tous les réformistes, a critiqué certains aspects de la société actuelle, mais au nom d'un programme qui maintient l'essentiel: la valeur, le prix, la banque, le crédit, l'échange, l'impôt, la marchandise, la concurrence, le bénéfice, le monopole,... et donc (que cela lui plaise ou non) le Capital et l'Etat. Il est vrai que certaines formules de Proudhon sont révolutionnaires et qu'elles furent adoptées par le mouvement communiste (telle l'affirmation que le suffrage universel est contre-révolutionnaire ou que le pouvoir sur les choses remplacera le pouvoir sur les hommes, dans la société future), mais avec les concessions décrites plus haut, son opposition à l'Etat ne sera jamais rien de plus que les classiques lamentations de la petite bourgeoisie impuissante. Comme telles, ces protestations constitueront la clef de l'"anarchisme" populiste et contre-révolutionnaire dominant, qui ira jusqu'à faire naître des hommes d'Etat qui s'auto-proclameront "anarchistes". Sans aller jusque là, Proudhon fera tout de même la coquette avec Bonaparte ("en forçant en réalité, à le rendre acceptable pour les ouvriers français" - Marx, dans sa lettre à Schweitzer, 1865)!
    4. Ce livre qui valut à Liebknecht un procès retentissant, exprime le même manque de rupture avec la Social-Démocratie que les extraits des "socialistes" français. Non seulement théoriquement, dans le sens où Liebknecht ne voit pas l'opposition inconciliable entre le parlementarisme et sa lutte contre le militarisme au sein du SPD, mais aussi pratiquement parce qu'il entend ne rompre à aucun prix avec cette organisation qui pourtant réprime ses positions.
    5. De 1907 à 1912, "La Guerre Sociale" est la revue animée par Hervé, principal dirigeant de la Fédération de l'Yonne au sein du Parti Socialiste. La tendance anti-militariste de Hervé était tellement forte et considérée comme si radicale qu'on parlait de l'hervéïsme, pour dénoncer toute tendance révolutionnaire, toute volonté de rupture au sein du PSF. "La Guerre Sociale" avait également énormément d'influence au sein de la CGT. Le principal collaborateur de Hervé était Almareyda, qui s'auto-proclamait "anarchiste" et qui, tout comme Hervé, terminera dans les bras du ministère de l'intérieur français, pro-patriote convaincu et financé pour cela par Malvy lui-même, le ministre de l'intérieur au moment du déclenchement de la guerre.
    Ce sont ces cyniques individus (Hervé fut mobilisé et nommé porte drapeau du patriotisme, Almareyda, mobilisé et nommé lieutenant recruteur des Jeunes Gardes Françaises,...) qui pendant la guerre pousseront les misérables dans l'épouvantable hécatombe, marqueront les coups, compteront les victimes, étudieront la carte de guerre, planteront des petits drapeaux: "Nous avons pris 10 canons, nous avons fait 90 prisonniers, nous avons avancé de 400 mètres, nous en avons massacré 1.200..."
    6. Celui qui parle est Michel Della Torre, le même auteur "anarcho-syndicaliste" qui déclarait un mois plus tard, le jeudi 10 septembre, toujours dans la Bataille Syndicaliste, et sous le titre: "Un abri dans la tourmente":
    "Bandits couronnés et soudards teutons ont ouvert les écluses du sang, et bientôt les corbeaux et les vautours trouveront une abondante nourriture sur les champs de bataille, devenus des charniers fumants...
    Lutte épique et géante où nous verrons le Droit sacré triompher de la Force abjecte, et la civilisation européenne délivrée du militarisme oppresseur!"
    7. La "défense obligée" est le point de passage inévitable de la bourgeoisie pour entraîner le prolétariat dans la guerre. Il n'y a pas une guerre dans l'histoire qui n'ait été faite au nom de la paix, de la sauvegarde de la nation, de la défense de l'intégrité territoriale, etc. C'est toujours parce que la nation concurrente a "attaqué, menacé, agressé,...", qu'il faut maintenant partir en guerre "pour se défendre".
    8. La Conférence de Zimmerwald est généralement considérée comme l'expression même de la rupture avec la 2ème Internationale, alors qu'elle n'en fut d'abord qu'une tentative de redressement. Lénine lui-même accepta de signer, avec les "gauches" qu'il avait rassemblées préalablement à la réunion, un manifeste inconsistant et pacifiste, dont il prétendait pourtant prendre distance. Les communistes "Tribunistes" de Hollande furent les seuls à refuser de signer ce manifeste de compromis, conséquents en cela avec la lutte contre l'opportunisme et le démocratisme qui avaient marqué toute l'histoire de la 2ème Internationale.
    9. Trotsky et son groupe organisé autour du journal "Nache Slavo" étaient moteurs au sein de ce comité et l'on sait que la position de Trotsky à ce moment n'était en rien défaitiste révolutionnaire, mais plutôt centriste ("Ni guerre, ni paix") et qu'elle fut assimilée à juste titre par Lénine, à la position de Kautsky!
    10. Rosmer n'adopta, ni ne lutta jamais pour l'affirmation du défaitisme révolutionnaire comme réponse, comme consigne pratique pour le prolétariat face à ceux qui l'envoient au massacre. Au contraire, il critiqua cette position avec des arguments démocratiques typiques du syndicaliste qui craint de heurter les sentiments des masses.



    A propos des festivités du

    500ème anniversaire

    de la dite découverte de l'Amérique

    * * *

    La soi-disant découverte

    C'est le 12 octobre 1492 qu'a commencé pour les habitants du continent appelé aujourd'hui Amérique (en l'honneur d'un de ses colonisateurs!) un interminable calvaire. Exploitation, oppression, terrorisme d'Etat, répression de toute résistance,... constituèrent entre autres choses ce calvaire, qui s'est perpétué jusqu'à nos jours.

    "Le capital vient au monde ruisselant de sang et de boue par tous les pores, des pieds à la tête", comme l'a exprimé Marx dans "Le Capital". Ainsi, ce que l'on présente comme "la découverte de l'Amérique", de même que la conquête et la colonisation qui l'a suivie, expriment, en réalité, un processus hyper-concentré dans le temps, par lequel le Capital a imposé ses conditions terroristes de reproduction. Ce qui en Europe avait nécessité des dizaines de siècles d'accumulation primitive sanglante et terroriste du Capital, siècles pendant lesquels les producteurs furent séparés et expropriés de leurs moyens de production (alors que simultanément à l'autre pôle se concentrait le Capital), s'est réalisé sur la majeure partie des terres américaines en quelques décennies seulement. Ce processus global n'a duré en fait qu'un siècle ou deux (1).

    Sur l'échelle de l'histoire de l'espèce humaine, cette barbarie inhérente au progrès et au développement du Capital, menée à bien par la civilisation, est l'une des plus atroces de toute l'histoire du genre humain.

    Tout type de comparaison entre atrocités ne peut être qu'une atrocité de plus dans le sens où la vie d'un seul de nos frères résistant à la civilisation du Capital devrait émouvoir chaque être humain qui, sur la terre entière, lutte pour la destruction du système. Pourtant, malgré la publicité faite à certains génocides et l'occultation systématique entretenue quant à d'autres, nous tenons au moins à affirmer que le massacre des êtres humains engendré par le Capital conquérant et colonisateur du continent américain fut supérieur à celui des dites première et deuxième guerres mondiales réunies, en incluant, c'est évident, tous les meurtres de tous les camps de concentration qu'a construits la bourgeoisie progressiste européenne et nord-américaine au cours de ce siècle !!!

    Dénoncer les réjouissances que les classes dominantes d'Europe et de toutes les Amériques préparent pour commémorer les 500 ans d'une si "glorieuse épopée", implique que l'on se situe pratiquement en opposition à l'idéologie que le Capital colonisateur nous impose et que l'on mette en évidence que toute la terminologie dominante en porte sa marque. "La découverte de l'Amérique", dans le langage utilisé tous les jours à l'école, dans les lycées, les usines, les commerces, les rues,... pourrait sembler n'être que la simple description innocente et impartiale d'un fait. Néanmoins, en y réfléchissant un peu, on peut voir qu'il s'agit au contraire de la vision subjective et intéressée du colonisateur, de l'exploiteur, de la classe dominante européenne qui mène à bien la conquête et la colonisation: de son point de vue, et uniquement du sien, eut lieu la découverte d'un continent. Jamais les indigènes qui vivaient sur ces terres ne "découvrirent l'Amérique"!!! Au contraire, ce qu'ils eurent le malheur de découvrir à cette date fut LA BARBARIE DE LA CIVILISATION CAPITALISTE EUROPEENNE. Le sujet grammatical lui-même de la "découverte" (qui a découvert???) cache mal le sujet réel, historique, ce qui met à nu qu'il s'agit bien d'une vision de l'histoire intéressée et partiale.

    Du point de vue du Capital (véritable sujet historique de la "découverte" ainsi que la colonisation et la conquête qui suivirent), ce fut, effectivement, la découverte d'une masse énorme de forces productives utilisable pour sa valorisation, qui lui permettra (au Capital) de se constituer en tant que mode de reproduction de l'espèce humaine. Du point de vue, par exemple, des membres d'une société communiste primitive, établie sur une terre que l'on appellera plus tard Amérique, ce fut une INVASION militaire, politique et culturelle; ce fut le début de la fin de sa communauté, le commencement du massacre, du travail, de l'exploitation, de l'oppression.

    Ce qui d'un côté fut l'expansion de la forme sociale de reproduction de la race blanche européenne et de sa culture judéo-chrétienne avec ses formes spécifiques d'exploitation et de cannibalisme, fut de l'autre, selon la faculté d'adaptation à cette forme d'exploitation, soit la soumission, avec la complicité des classes exploiteuses locales (seules purent s'adapter les sociétés dans lesquelles préexistait l'exploitation de l'homme par l'homme), soit la destruction physique et généralisée.

    A quelques mois du 500ème anniversaire de cette date fatidique à laquelle le Capital commencera à imposer la barbarie de la civilisation sur tout le continent américain, les classes dominantes d'Europe et d'Amérique préparent les réjouissances qu'ils organiseront en 1992. Et elles ont le culot de parler de la fête de la "découverte" et de la "rencontre de deux mondes", comme s'il s'agissait de deux civilisations qui se seraient rencontrées volontairement pour améliorer leur vie respective et non de ce qui fut en réalité l'imposition sanguinaire et terroriste du capitalisme contre l'humanité qui vivait en "Amérique".

    On comprend dès lors aussi pourquoi parmi les exploités de ce continent a surgi un mouvement encore diffus de rejet et de dénonciation de cette campagne réalisée par tous les grands du capitalisme international: l'Eglise, les gouvernements d'Espagne et d'Amérique (du Sud, du Centre et du Nord), les partis politiques, les médias, les compagnies de cinéma et de télévision...

    Rejet et dénonciation

    Le document que nous reproduisons maintenant est représentatif de ce mouvement de rejet et de dénonciation de telles réjouissances; un des premiers à traiter de ce sujet, il a été élaboré voici presque deux ans:
    "Les organisations paysannes et indigènes de la Région des Andes: l'Organisation Nationale Indigène de Colombie (ONIC), l'Association Nationale des Usagers Paysans - Unité et Reconstruction (ANUC) et la Fédération Nationale Syndicale Unitaire des Agriculteurs et des Eleveurs (FENAGRO) de Colombie; la Fédération Nationale des Organisations Paysannes et Indigènes (FENOC-I), la Confédération des Nationalités Indigènes d'Equateur (CONAIE) et le Mouvement ECUANRUNARI de l'Equateur; la Confédération Paysanne du Pérou (CCP) et la Confédération Nationale Agraire (CNA) du Pérou; la Confédération Syndicale Unique des Travailleurs Paysans de Bolivie (CSUTCB) et le Mouvement Sans Terre du Brésil, réunis à Bogota (Colombie) les 14, 15 et 16 juillet, 1989 tenant en compte que:

    1.- Alors qu'approchent les cinq cents ans de la mal nommée "découverte" et conquête de l'Amérique, les gouvernements, églises, institutions, moyens de communication, agences de publicité, grands entrepreneurs transnationaux, ont pris une série d'initiatives pour "célébrer" ce qu'ils appellent "la rencontre entre deux mondes".

    2.- Le fatidique 12 octobre 1492, ce n'est pas une telle "rencontre" qui eut lieu, mais bien une invasion militaire, politique et culturelle de notre continent, venue d'Europe et particulièrement de l'Etat espagnol, qui nous soumit à un génocide brutal et tronqua violemment le développement politique, économique, culturel et mental de nos ancêtres. Ainsi, ce qui aurait pu être un fructueux échange entre cultures déboucha sur l'imposition de la culture des conquistadors par la force des armes et l'évangélisation, et sur un ordre social injuste et discriminatoire, empoisonné par le racisme.

    3.- La présence de la civilisation européenne en terres américaines s'y est traduite par la mort sous toutes ses formes: depuis les massacres jusqu'à l'extermination physique par la sur-exploitation, en passant par les tortures et l'exportation de maladies et d'épidémies. Sur le continent cet ethnocide des communautés indiennes laissa derrière lui 9O millions de victimes: un des pires crimes commis contre l'humanité ! Et qui continue aujourd'hui sous des formes plus raffinées, mais pas pour autant moins brutales et impitoyables.

    4.- Au nom d'une supériorité supposée de la civilisation européenne, les envahisseurs détruisirent une grande partie des nombreuses avancées scientifiques et techniques, des expressions culturelles et artistiques, des langues et de l'organisation sociale des peuples autochtones, pour s'emparer de tout par l'expropriation des terres, le pillage des ressources et l'appropriation du fruit du travail des conquis.

    5.- La "découverte" marqua également l'enchaînement séculaire de l'Amérique Latine aux intérêts des grandes puissances européennes de l'époque et à ceux des Etats-Unis d'aujourd'hui, ce qui a conditionné le drame de la pauvreté, de la misère et du sous-développement dans lesquels se débattent nos peuples; drame aggravé aujourd'hui par le poids accablant de la dette externe.

    6.- Il est naturel, donc, que nous, les principales victimes de ces outrages et du dépouillement de notre terre mère, nous élevions notre voix pour rejeter de telles "célébrations" et pour convertir ce 500ème en un espace de réflexion et d'auto-découverte de notre Amérique, en un motif de soutien à tous les opprimés.

    Nous décidons de:

    Ratifier la convocation à la Rencontre des Organisations Indigènes et Paysannes d'Amérique du Sud, d'Amérique Centrale et des Caraïbes, qui se tiendra du 7 au 12 octobre 1989 en la ville de Bogota - Colombie.

    Cette rencontre cherche à centraliser et unifier les diverses dynamiques que les organisations populaires impulsent dans les différents pays d'Amérique vis-à-vis des cinq cents ans de domination et d'exploitation; ainsi qu'à ouvrir un espace de réflexion et de réponse commune aux grands défis du présent."

    Notre position:

    Le Groupe Communiste Internationaliste n'hésite pas un seul instant à se situer ouvertement contre toutes ces festivités, contre toutes ces célébrations que préparent nos ennemis de toujours et il appelle le prolétariat international à l'action directe contre ces derniers.

    Il y a des milliers de millions de dollars investis dans la campagne pour les célébrations et les festivités avec lesquelles ils fabriqueront l'opinion publique dont ils ont besoin et avec lesquelles ils harcèleront les exploités des cinq continents, mais plus spécialement ceux d'Amérique. Contre cela, nous appelons les prolétaires d'avant-garde au développement de tous types d'action contre une telle campagne; nous les appelons à transformer chaque usine, chaque mine, chaque école, chaque bureau, chaque lycée,... en une tranchée de dénonciation des partis, syndicats, gouvernements, moyens de communication qui y participent, en un champ d'action contre les capitalistes d'aujourd'hui et d'hier qui tous sans exception ont du sang indien, métis, noir, blanc,... sur les mains.

    Les modalités concrètes que peut prendre l'action directe dépendront bien sûr des possibilités et du rapport de forces en chaque lieu à un moment où la faiblesse internationale du prolétariat face à son ennemi historique est notoire, toute recette générale ne saurait être plus qu'une simple déclaration platonique. Si nous n'appelons pas au sabotage généralisé ni à la grève insurrectionnelle révolutionnaire, ce n'est pas parce que nous ne sommes pas d'accord avec ce type d'action mais bien, parce que, premièrement, cet appel, dans la situation actuelle d'un prolétariat sans aucune direction internationale, sans aucune action commune consciente, ne saurait être qu'un voeu pieux. Et deuxièmement, parce que lancer quelques oeufs pourris ou quelques cocktails molotov lors d'un acte de commémoration du dit anniversaire, ou faire une grève ici ou une occupation là-bas, ne mérite pas encore le nom de sabotage, pas plus que cela n'implique l'existence d'une quelconque direction générale. Ce sera plutôt la modeste expression du mouvement de rejet existant que précisément nous luttons pour radicaliser et généraliser.

    Nous entendons radicaliser dans le sens le plus profond du terme, c'est-à-dire, aller à la racine. Et la racine de ce problème c'est, comme nous le disions au début du texte, notre vieil ennemi le Capital qui a soumis l'espèce humaine, c'est notre vieille ennemie la société bourgeoise dans son ensemble, et voilà pourquoi radicaliser le mouvement contre les dites célébrations et festivités ne saurait être autre chose que lutter contre la totalité du capitalisme. De plus, nous ajoutons généraliser, et ce aussi bien dans le sens de l'extension quantitative et qualitative de la participation prolétarienne à cette lutte, que dans le sens de l'affrontement à la totalité des forces du capitalisme, et que dans celui de la relation historique entre cette lutte de résistance contre le Capital que menèrent les exploités et les opprimés des cinq continents lors de la colonisation, et la lutte du prolétariat aujourd'hui, celle de tous les jours contre l'austérité, contre l'exploitation capitaliste et pour la destruction de ce système criminel. C'est pourquoi la dénonciation et l'affrontement à la campagne de festivités n'est pas une lutte différente, mais un aspect de plus de la guerre sociale entre exploiteurs et exploités.

    Toute parcellisation de la lutte, tout détournement de son contenu contre le capitalisme en une lutte pour la coexistence pacifique des classes (qu'elle se fasse au nom de la rencontre des deux mondes ou de l'unité latino-américaine contre l'impérialisme yankee) constitue une barrière réactionnaire. C'est pourquoi, dans la lutte contre les festivités, nous appelons à affronter et dénoncer toutes les forces de la droite ou de la gauche bourgeoise qui tenteront de transformer cette lutte historique contre le Capital en une simple contradiction entre ses propres fractions, entre les "impérialistes" et "les autres", ou pire encore, entre nations: entre européens et américains, ou entre habitants du sud et habitants du nord du continent américain.

    Contre la gauche bourgeoise

    Prenons par exemple, le point 5 du document que nous citons plus haut: bien qu'il décrive une partie de la réalité, il ne fait aucun doute qu'il parcellise et par conséquent dévie les objectifs en confondant tout avec tout. Il finit ainsi par dissoudre la contradiction essentielle dans une autre qui oppose débiteurs et créditeurs de capital, c'est-à-dire une contradiction entre fractions bourgeoises, comme nous le dénoncions dans notre revue centrale en français (2).

    Cette erreur s'opère consciemment ou inconsciemment, en considérant comme sujet grammatical ce qui n'est pas le sujet historique: l'Amérique Latine, et en suggérant une continuité entre les exploités et soumis d'hier dans toute l'Amérique et ce non-sujet qu'est l'Amérique Latine. Il ne fait aucun doute que cette position concorde avec les intérêts de la bourgeoisie latino-américaine (et donc avec ceux du capitalisme mondial), celle-là même qui se présente comme victime d'un génocide auquel elle participa, et de plein gré.

    Ceci nous rappelle une vieille anecdote: un journaliste sud-américain tenant Juan Ramon Jimenez pour responsable, le harcelait: "... vous les espagnols, les colonisateurs,... ceux qui firent le massacre,... les obscurantistes,... vos grands-pères..." "Ce seront les vôtres, répondit-il sans manquer à la vérité, les miens, les pauvres, ils sont là-bas en Espagne, bien enterrés."

    Et ceci est vrai, les colonisateurs, les massacreurs, ce sont fondamentalement ceux qui sont devenus les bourgeois du continent américain; du Nord; du centre; du Sud...

    Et ceci est non seulement vrai en ce qui concerne la classe exploiteuse latino-américaine d'origine latine et européenne, mais également en ce qui concerne la bourgeoisie de sang indien, vu qu'en de nombreux cas la barbarie de la colonisation se fit avec la complicité des classes dominantes indigènes. En effet, comme nous le disions plus haut, les indigènes qui ne vivaient pas dans une société d'exploitation de classe, résistèrent jusqu'à la mort au travail salarié et/ou furent exterminés (ou s'auto-éliminèrent d'une multitude de manières différentes, y compris par l'infanticide collectif, décidé et conscient); c'est pourquoi, la majorité des indigènes d'aujourd'hui, exploités et prolétaires, sont les descendants de sociétés où existait déjà l'exploitation; et au-delà du fait que leurs propres exploiteurs les aient vendus ou non à des patrons capitalistes, ils purent accepter le travail salarié que leur imposa le Capital parce qu'ils étaient habitués à travailler pour d'autres, à produire un sur-travail que s'appropriaient d'autres indigènes. Ainsi par exemple, dans l'empire Inca existait la "mita" et le "yanaconaje" qui étaient des formes d'extorsion du sur-travail, que plus tard le mode de production capitaliste subsuma en son être, dans beaucoup de cas grâce à l'encadrement de la force de travail assuré par les caciques.

    Le latino-américanisme exprime clairement les intérêts contre-révolutionnaires de la gauche bourgeoise qui, à cette occasion, comme chaque fois qu'un mouvement prolétarien se développe, essaye de transformer la guerre de classes en une guerre inter-nationale (c'est-à-dire entre nations) du Capital. Pour cela elle n'a d'autre solution que:

    Il faut bien reconnaître que ce gigantesque mensonge qui veut qu'en Europe et aux Etats-Unis il n'y ait pas de pauvres, a, objectivement sur les prolétaires d'Amérique Latine, la force d'un préjugé populaire; et la bourgeoisie sait l'utiliser. Seule la lutte du prolétariat contre sa propre bourgeoisie changera cet état de chose. Pour le moment, les mouvements continuent à surgir de façon très séparée, contrairement à ce qui se passait à la fin du siècle passé et au début de celui-ci, période où il y avait une unité ainsi que différents niveaux de coordination entre les prolétaires du sud, du nord, et du centre du continent américain. A notre connaissance même le mouvement de lutte et de rejet des festivités du 500ème anniversaire n'y fait pas exception: les organisations qui ont commencé à travailler contre ces festivités en Amérique Latine ignorèrent le mouvement du prolétariat indigène en Amérique du Nord jusqu'à ce que des luttes importantes au Canada et de façon secondaire aux Etats-Unis, mettent en évidence, une fois de plus, l'identité historique et d'intérêts actuels entre les exploités du Nord et du Sud.

    Dans quelle mesure le mouvement de contestations des festivités est-il infesté ou dominé par la gauche bourgeoise?

    Il est encore difficile de se prononcer sur la question, et, en réalité, ce sera le développement même des festivités et de la lutte de dénonciation de celles-ci qui démarquera l'autonomie du prolétariat face à la dite gauche, ou, au contraire, sa subordination. C'est pourquoi, la lutte décidée contre les festivités doit toujours s'accompagner de la dénonciation de la gauche bourgeoise pseudo anti-impérialiste.

    Ce qui nous paraît objectif c'est que, dans toutes les structures et organisations préexistantes ou qui se sont développées depuis deux ans pour dénoncer les festivités, il existe une importante lutte de positions à ce sujet. Dans les divers espaces de discussions et de réflexions qui se sont développés tant sur le plan international que dans chaque pays, nous voyons que coexistent des organisations et regroupements réellement prolétariens et de vieilles structures syndicales ou gauchistes (comme beaucoup de celles qui signent le premier communiqué que nous avons repris plus haut). Nous constatons aussi que beaucoup de structures capitalistes de gauche, depuis l'état cubain jusqu'aux groupes d'intellectuels américains ou des syndicats de différents pays, qui au départ semblaient opposés aux festivités, se sont peu à peu pliés (et dans beaucoup de cas vendus) de façon plus ou moins effrontée aux festivités de 1992 et que pour beaucoup, ils en arrivent aujourd'hui à condamner (et parfois réprimer) ceux qui ne se vendent pas.

    D'abord, nous avions conçu cet article comme une exposition générale de notre position, en tant que groupe, contre les festivités et, en particulier, comme une prise de position sur divers matériaux de dénonciation et de réflexion qui nous sont parvenus. Mais, vu la diversité et la contradiction de ces derniers, nous avons préféré, dans ce premier texte, nous limiter à une démarcation générale de notre position de lutte contre les festivités (incluant seulement cette dénonciation générale de la gauche bourgeoise).

    Contre les festivités

    Pour terminer, nous réitérons notre position et notre appel à la lutte contre les festivités du 500ème anniversaire.

    Les chiffres réels du gigantesque massacre que le Capital mondial fête avec les "500 ans" personne ne les connaît en réalité, mais personne ne peut douter qu'il fut des dizaines de fois supérieur aux chiffres que tous les impérialistes qui gagnèrent la "première et la deuxième" guerre mondiale attribuent à leurs ennemis. Récemment, avec toute cette agitation, on a publié de vieux renseignements et réalisé de nouvelles recherches. Par exemple, des études réalisées à l'Université de Berkeley soutiennent que sur les 25.200.000 habitants que contenait la région centrale de l'actuel Mexique en 1519, seuls 1.075.000 survivaient un siècle plus tard, ce qui signifie un niveau d'extermination (répression, travail, maladies,...) de 24.125.000 d'êtres humains. Selon une compilation de renseignements effectuée par Adolfo Colonbrees, et publiée dans son oeuvre "Aux 500 ans du choc de deux mondes", les Aztèques, les Mayas et les Incas comptaient au début de la colonisation 70 à 90 millions d'êtres humains; un siècle et demi plus tard, ils en totalisaient 3.500.000. Disons au passage que comme la grande majorité des indigènes succombait à l'exploitation capitaliste, la bourgeoisie a amené comme main d'oeuvre de substitution les noirs d'Afrique, ce qui selon Jose Chiavenato, dans son oeuvre "Le noir du Brésil", aurait coûté quelques 100.000.000 de vies humaines (de race noire) à notre espèce.

    Rajoutons que se rendent complices de tout cela tous ceux qui, se disant marxistes, font l'apologie du progrès et de la civilisation. Pour nous, il est clair que l'oscillation de Marx et d'Engels, entre le soutien à la résistance à l'exploitation (essence de la position séculaire du communisme y compris dans le pré-capitalisme) et le soutien à tout le progrès du capitalisme (essence de la position historique de la contre-révolution, la Social-Démocratie), les mènera à soutenir des positions bourgeoises telles que, par exemple, le soutien, au nom de la civilisation, à la guerre menée par les yankees contre les "mexicains fainéants" (3). Les Thèses Programmatiques (1989) de notre groupe combattent explicitement de telles positions. Elles dénoncent le progrès, la civilisation (cf. thèse No.32, entre autres), et affirment que la lutte actuelle du prolétariat n'est pas la prolongation de la lignée du progrès et de la révolution bourgeoise (comme l'exprime la Social-Démocratie) mais bien celle de toutes les classes exploitées du passé. Parmi les complices que nous dénonçons ici se trouvent aussi inclus certains de ceux qui se prétendent continuateurs des "gauches communistes". En effet tous ceux qui soutiennent l'existence d'une phase progressiste du capitalisme jusqu'en 1914, ou quelqu'autre date, tous les partisans de la théorie de l'ascendance et de la décadence du Capital, soutiennent de fait l'oeuvre criminelle de la civilisation du Capital. Il n'est donc pas étonnant que face à la gigantesque campagne généralisée des Etats bourgeois pour les fêtes du 500ème, ces gens-là n'aient pas ouvert la bouche et sont devenus les complices de cette campagne.

    Nous terminons cet article sur les fêtes de 1492-1992 en répétant notre appel à la guerre sociale contre le Capital:
     
     
     

    Vive l'action directe du prolétariat contre toutes les forces du Capital qui sont les seules à avoir de vraies raisons de commémorer cinq siècles d'exploitation et d'oppression !!!

     
     

    - Mars 1991 -

    Notes

    1. La préexistence de certaines formes de capital commercial en Amérique n'est pas à exclure, mais de toutes façons, ce n'est pas ici le lieu d'engager la polémique pour savoir si ce capital pré-diluvien serait arrivé ou non à réaliser cette même barbarie, ou pour évaluer le temps qui lui aurait été nécessaire pour réaliser, de façon autonome, cette soumission généralisée à l'exploitation.
    2. Voir à ce sujet "La cuestion de la deuda: basta de versos" in Comunismo numéro 19 de juin 1985, "Deuda externa: las fantasias sin salida" in Comunismo numéro 21 de février 1986 ainsi que "La question de la dette: assez de prose" in Le Communiste No.27.
    3. Cette position apparaît clairement exposée dans un éditorial non signé de la Neue Rheinische Zeitung: "Le panslavisme démocratique", réponse au "Appel aux esclaves" de Bakounine. On peut y lire textuellement ceci: "... et Bakounine reprochera-t-il aux Nord-Américains de réaliser une 'guerre de conquête' qui, certes, administre un rude coup à sa théorie basée sur 'la justice et l'humanité', mais qui fut menée à bien uniquement et exclusivement au bénéfice de la civilisation? Ou serait-ce par hasard un malheur que la magnifique Californie ait été arrachée aux paresseux mexicains qui ne savaient qu'en faire ? Est-ce un malheur que les magnifiques yankees, par l'exploitation rapide des mines d'or qui existent là-bas, augmentent les moyens de circulation, concentrent sur la côte la plus appropriée de ce paisible océan, en peu d'années, une population dense et un commerce actif, créent de grandes villes, établissent des lignes de bateaux à vapeur, aient un chemin de fer depuis New York jusqu'à San Fransisco, ouvrent en réalité pour la première fois l'Océan Pacifique à la civilisation et, pour la troisième fois dans l'histoire, impriment une nouvelle orientation au commerce mondial?"
    Comme on le voit, c'est la classique position bourgeoise partisane du progrès et de la civilisation contre la résistance au travail et à l'exploitation, que soutiennent ici Marx et Engels.
    On a essayé de disculper Marx en disant que ce n'était pas lui qui écrivit directement cet article mais, comme on le sait: "La rédaction de la 'Neue Rheinische Zeitung' était organisée sous la dictature pure et simple de Marx." (Engels MEW t.XXI p.19). D'autre part Engels se chargea d'éclaircir que ceci était bien la position de Marx dans une lettre à Herman Schüler datée du 15 mai 1885: "De même, l'article contre Bakounine et le panslavisme. A cette époque, vu la division du travail, il est absolument impossible de séparer les travaux de Marx et les miens."