Dans le précédent numéro de Communisme No.33, nous annoncions notre intention de continuer à centraliser les informations en provenance d'Irak au fur et à mesure que nos camarades présents dans la région réussissaient à nous les faire parvenir. Nous avions relaté les quelques éléments dont nous disposions à ce moment-là, décrivant le défaitisme des prolétaires en Irak (cf. plus particulièrement le chapitre "La situation en Irak" de l'article intitulé "Guerre ou Révolution"). Depuis lors, de nouvelles informations nous sont parvenues en provenance directe de nos camarades, ou par le biais de prolétaires qui ont tenu à faire connaître le plus rapidement possible, et parfois même dans le feu de l'action, le type de situation auquel ils étaient confrontés. L'ensemble de ces informations confirme et renforce en tous points les conclusions auxquelles nous arrivions au terme de notre précédent article: le défaitisme révolutionnaire du prolétariat en Irak a été exemplaire et sa lutte autonome, face à toutes les fractions capitalistes, y compris ses fractions nationalistes et islamistes, fut d'une énorme importance.Nous allons donc brièvement tenter ici de redonner les principaux éléments qui nous sont parvenus. Nous demandons aux lecteurs d'être indulgents quant au relatif désordre et au caractère partiel et parfois morcelé de la présentation de ces informations. Tenez compte du fait que nous avons reçu ces informations par des voies parfois très indirectes et à partir de communications avec des camarades et des prolétaires, qui, dans certains cas, s'affrontaient à l'Etat les armes à la main.
La situation locale au terme de la guerre Iran/Irak, constitue déjà un contexte difficilement maîtrisable par l'Etat. Le contrôle des villes est très difficile. Dix ans de guerre ont littéralement armé la majorité des prolétaires: la région des marais, par exemple, est depuis lors un lieu historique de rencontre pour les déserteurs et autres prolétaires en rupture avec l'Etat. D'autre part, pour le soldat qui s'est battu pendant ces dix années, la soumission à la discipline d'une administration qui lui réclame des impôts, aux injonctions d'un chef de service ou d'un contremaître à l'usine, etc., est très difficilement acceptable. De plus, en glorifiant le soldat de retour du front comme héros national (propagande indispensable pour la poursuite de la guerre), l'Etat encourage indirectement l'insoumission et la résistance à la discipline quotidienne. Il réagit de façon plus ou -moins confuse pour maintenir la paix sociale, mais ne parvient pas à mettre un frein à la désobéissance et à la désorganisation généralisée.
Ainsi, dès le moment où la menace d'une nouvelle guerre se fait de plus en plus précise, la résistance à celle-ci se concrétise de différentes manières: de la réaction passive à l'action violente et armée contre les recruteurs. Les historiques noyaux armés de prolétaires combatifs, qui pendant la guerre Iran/Irak jouèrent un rôle très important, sont ici encore décisifs. Avant et pendant cette guerre-ci, ils assument différents niveaux de direction dans la résistance à l'encadrement militaire. C'est ainsi qu'au moment même où se déroule une résistance passive (le refus de l'enrôlement, le refus d'accepter les ordres des supérieurs, le refus de partir au front --avec l'appui fréquent et manifeste de la famille et des amis--), en de nombreux endroits, cette résistance est transformée, grâce à ces minorités d'avant-garde, en une action militaire consciente d'affrontement aux recruteurs et à tous ceux qui exhibent des galons.
Comme toujours, l'action des minorités les plus décidées à exécuter quelques officiers ne trouve de prime abord aucun appui ouvert de la part des prolétaires soumis à l'uniforme. Malgré la sympathie que ces derniers éprouvent pour ce type d'action, les campagnes de l'Etat contre les défaitistes réussissent encore à imposer le terrorisme d'Etat. Mais peu à peu, la peur disparaît et les exécutions d'officiers augmentent jusqu'à devenir massives. Dans de nombreux cas, les soldats lynchent en masse "leurs propres officiers". On arrive ainsi à une situation de rupture de toute la verticalité nécessaire à la cohérence de l'armée. Les officiers prennent peur, ils perdent le rapport de force. Les soldats font ce qu'ils veulent. Les officiers en sont réduits à s'excuser et à demander pardon. Ils prétendent qu'eux aussi sont contre la guerre et qu'ils ne sont pas responsables de la mobilisation.
La situation au sein de l'armée est devenue tellement chaotique que lorsque la Coalition a déclenché l'offensive militaire, ces mêmes officiers ont arraché les galons de leur uniforme de crainte d'être reconnus et exécutés sur place par la masse des déserteurs. Se présenter avec des galons face à la troupe relevait du suicide.
Dans différents points stratégiques du sud, les noyaux défaitistes vont plus loin encore: ils attaquent les locaux du parti officiel, occupent les dépôts d'aliments et les distribuent aux prolétaires affamés; ils détruisent les locaux de la police secrète et exécutent les agents de l'ordre. Dans les villes de Bassorah, Nassouria et Diwenia, la situation devient insurrectionnelle. Il faut savoir que cette région est un lieu historique de concentration de déserteurs et autres prolétaires en rupture avec l'Etat. Nous avons relaté dans des numéros précédents ("Iran/Irak: Guerre de classe contre guerre impérialiste" in Le Communiste No.20) les offensives militaires que l'Etat en Irak avait lancées sur ces régions des marais, faisant, un an après la guerre avec l'Iran, des milliers de morts. A l'époque, le gouvernement reconnaissait officiellement 10.000 déserteurs cachés dans cette région. Aujourd'hui, il en reconnaît 1 million, dont 55.000 déserteurs armés.
Dans cette région du sud de l'Irak, les insurrections se sont déclenchées au moment de l'offensive terrestre de la Coalition. La situation des prolétaires était de plus en plus intenable à cause des bombardements massifs dans les villes de Bassorah, Amaara, Nasiria, Nadjaf et Karbala... Les minorités organisées ont centralisé ces réactions, et des luttes ont eu lieux autour de toutes ces villes. Contrairement à tout ce qui a été dit à propos du caractère religieux du mouvement, les prolétaires n'ont eu dans leur lutte, aucun égard par rapport à la religion. Nadjaf et Karbala sont, pour les chiites des lieux sacrés, mais l'insurrection n'a rien à voir avec le chiisme, contrairement à tout ce que la presse bourgeoise en a dit. Ainsi, les prolétaires se sont servis des lieux sacrés pour y pendre, dans les lieux de prière, les baassistes qu'ils avaient attrapés. Les mausolées ont été criblés de balles et les prolétaires en colère ont pissé dans les mosquées! Difficile de parler de "fanatisme religieux"!
Pendant l'insurrection de Nadjaf et Nasiria, l'armée de la Coalition était aux portes de ces villes. Ils ont clairement arrêté l'offensive terrestre pour permettre à l'armée irakienne de lancer l'offensive contre le mouvement insurgé. Le débarquement de l'armée irakienne à provoqué la débâcle dans les rangs ouvriers et les déserteurs sont partis en tous sens. Ceux qui essayaient de se réfugier auprès des troupes "alliées" pour leur demander un asile, une aide,... se voyaient répondre: "vous avez soif, on vous donne à boire, et en échange vous déposez les armes"! Ils étaient ensuite renvoyés désarmés dans la ville pour se faire massacrer. Bel exemple de collaboration contre l'insurrection, entre Saddam et la Coalition.
Nous avons également relaté dans Communisme No.33 le processus qui mène de grandes franges du prolétariat du sud à monter en arme sur Bagdad et la réaction immédiate de Saddam Hussein qui rappelle les troupes dont il dispose au Nord, dans le Kurdistan, renforçant par là même la désorganisation de l'Etat sur cette région.
Ainsi sont-ils des milliers à se retrouver dans le nord avec des militants d'autres régions: des turcs venant de Kirkuk, des iraniens ayant fui la guerre et la répression à l'époque des insurrections en Iran,... A cause de la destruction des villes telle que Hallabja, Kharadisa par Saddam il y a quelques années... ils vont se réfugier autour de Sulaymaniya (plus de 70.000 déserteurs se sont retrouvés dans cette région, plus de 70.000 prolétaires qui s'organiseront en groupes radicaux pour l'auto-défense, pour la lutte contre les contrôles étatiques, contre les nationalistes kurdes ou autres). Le mélange de prolétaires de différents horizons, expériences,... déterminera une situation où les nationalistes kurdes auront très peu de poids dans les luttes, leurs mots d'ordre habituels de "libération du peuple kurde", du "droit du peuple kurde",... n'auront que peu d'incidence sur l'insurrection de Sulaymaniya du mois de mars.
Rappelons à ce propos également que pour contrer les importants soulèvements de villes du nord telles Mossoul, Arbil, Kirkouk, Sulaymaniya,... qui se déroulèrent dès le déclenchement de l'offensive terrestre, Saddam Hussein signa des accords de coexistence pacifique avec les nationalistes. Jalal Talabani, leader de l'Union Patriotique du Kurdistan (UPK), puis Massoud Barsani, leader du Parti Démocratique du Kurdistan Irakien (PDKI), annoncèrent publiquement en avril et mai 1991, qu'ils étaient arrivés à un accord avec Saddam Hussein. Et tout récemment encore, Talabani confirmait que pendant la guerre, par "respect national", son groupe s'abstint de toute action pouvant déstabiliser l'Etat, assurant qu'il y eut un respect mutuel des territoires dans lesquels chaque force assurait le monopole de la violence. Nous savons également maintenant que les "Moudjahiddin du peuple" d'Iran participèrent également à ces accords et que leurs troupes de choc furent utilisées contre le prolétariat insurgé.
Dans le nord donc, la lutte prolétarienne se situe d'emblée en dehors et contre les organisations nationalistes d'opposition officielle, telles que l'UPK et le PDKI. Dès le début, l'avant-garde prolétarienne internationaliste et défaitiste, dénonce ces fractions comme participationnistes à la guerre.
En ce qui concerne les luttes qui se sont déroulées dans cette région, outre les informations que nous avons publiées dans notre précédent numéro, nous possédons maintenant plus de renseignements quant au contexte et aux conditions dans lesquels eurent lieu ces affrontements avec l'Etat, et ce plus particulièrement à propos de l'insurrection du mois de mars à Sulaymaniya.
Mais avant d'aborder l'insurrection en mars, nous voudrions compléter une information que nous avons donnée dans notre précédent numéro, à propos d'une manifestation de femmes dans cette même ville, manifestation pendant laquelle 300 femmes furent arrêtées et assassinées plus tard. Lors de cette manifestation une militante originaire d'Iran tenta de s'emparer de l'arme d'un soldat et fut abattue par un autre militaire posté en haut d'une tour. C'est cet événement qui déclenchera la bagarre générale durant la manifestation, et cette militante est devenue, aujourd'hui, un symbole de la lutte des prolétaires contre la guerre, contre l'Etat, un martyre reconnu de tous et représentant l'image des combats de Sulaymanya. Que cette militante soit d'origine iranienne ne compte pas pour les prolétaires en Irak; l'important, c'est ce qu'elle a fait. Ce n'est pas pour raconter une anecdote, que nous relatons ce fait, c'est parce qu'il exprime globalement le contenu anti-nationaliste de l'antagonisme à l'Etat qui surgit d'une lutte où les prolétaires ne marchent plus dans les ornières tracées par l'ensemble des idéologies bourgeoises où l'on tente de les faire s'opposer en tant qu'irakien ou iraniens, kurdes ou chiites,...
Pendant les six mois qui précèdent l'insurrection, l'activité militante des minorités est ardue. Un groupe fait surface: Perspective Communiste, qui publie un journal intitulé "Le Prolétaire", journal qui circule principalement entre les militants. Les liens entre ceux-ci sont très réduits car la répression et le poids des massacres passés pèsent très lourd. Les militants s'organisent dans la clandestinité. Avec le développement des émeutes pendant l'occupation du Koweit, des camarades de Perspective Communiste organisent des débats avec d'autres minorités militantes. D'autre part, des prolétaires s'organisent autour d'un groupe qui s'intitule Shora (qui signifie Conseil). Shora représente plus ou moins 300 militants (d'Irak et d'Iran) qui décident de s'organiser, d'homogénéiser leurs positions, de mettre au point les questions techniques et médicales, de récupérer des armes,...
A Sulaymaniya, ils décident d'attaquer le 8 mars à 13h. Des équipes sont formées qui reçoivent des cibles précises: casernes, polices, sièges de police secrète et de renseignements: "l'Hôtel des nations unies", entrées principales de la ville et alentours de façon à empêcher les nationalistes et les journalistes d'entrer,... Ces dernières décisions sont accueillies avec joie par tous les prolétaires. En effet, depuis quelques temps, la tension était grande, tout le monde attendait qu'il se passe quelques chose. L'armée aussi sentait grandir la haine et la tension, elle prévoyait l'explosion. Mais l'attaque de Sulaymaniya la surprit: la ville fut attaquée partout en même temps.
Nos camarades nous ont communiqué des situations précises dans lesquelles, tel que cela survient dans tout processus insurrectionnel, les groupes d'insurgés internationalistes eux-même furent fréquemment dépassés par l'action de masse de prolétaires stimulés par leurs intérêts et leur haine de classe. C'est ainsi que lorsque les quelques centaines de révolutionnaires armés pénètrent dans Sulaymaniya, ils voient arriver des masses de prolétaires insurgés, les armes à la main, qui les saluent. Leur surprise est plus grande encore de constater que les prolétaires insurgés, sans autre intention que d'imposer leurs intérêts par la violence contre tous les oppresseurs, ne possèdent pas seulement des armes légères mais ont également récupéré des pièces d'artillerie lourde qu'ils se préparent à utiliser contre l'Etat.
Pendant l'attaque de la ville, de plus en plus de prolétaires se joignent au combat. Lorsque les groupes s'emparent de casernes, ils distribuent directement les armes à tous les prolétaires prêts à se battre et leur donnent des directives: attaquer les stocks de lait -qui est rationné- les prisons, libérer les prisonniers,... Tout ce qui porte uniforme est massacré sur le champ sans autre forme de procès.
L'insurrection est particulièrement violente: les prolétaires se vengent des années de massacre et de terrorisme organisés par l'Etat en attaquant ouvertement les forces de la police secrète de Saddam Hussein.
Après deux jours de combats, le "Foyer Hausmann" (cache de la police politique) tombe aux mains des insurgés. La lutte est acharnée, les soldats, très bien entraînés défendent chèrement les lieux et ce n'est que grâce à l'afflux d'un nombre de plus en plus imposant de prolétaires que la victoire est acquise. Les centaines de flics baassites qui se trouvent dans ce bâtiment seront tués.
L'occupation de la ville s'organise, en commençant par la réappropriation de machines, de documents secrets, d'armes,... Ce qui explique les déclarations de quelques dirigeants nationalistes dans des journaux occidentaux:
"Le désordre ne profite à personne, il est indiscutable qu'il y a des provocateurs parmi ceux qui sèment le désordre... ils détruisent tout. Non seulement ils attaquent et tuent des membres de la police secrète de Saddam Hussein, ce qui est compréhensible, mais ils brûlent également toutes les archives policières, les registres de propriété et d'état civil... il est clair que pour nous il y a des agents provocateurs, baassistes, car vous vous rendez bien compte que nous aurons besoin de tout cela plus tard, que toute organisation de l'Etat à besoin de ces archives!"Ce que ces bourgeois ne comprennent pas, ou mieux dit, ce qu'ils n'ont pas intérêt à admettre, c'est le fait que cette révolte n'a pas pour but la réorganisation de l'Etat et la gestion du capital, ou la libération de la nation, mais que comme toute insurrection prolétarienne importante, elle lutte contre l'Etat lui-même et attaque l'ensemble de ses expressions: militaires, policiers, édifices publics, partis de l'ordre, archives de la Sûreté et de la Propriété.
Lorsque les prolétaires apprennent que des baassistes sont cachés en dehors de la ville dans un parc, ils s'y ruent aux cris de:
Les nationalistes vont alors à Kirkouk pour prendre le contrôle la ville. Ils arrivent les premiers, suivis de très près par les militants de Shora, armés jusqu'aux dents. A Kirkouk, l'UPK et le PDKI sont majoritaires; forts de ce rapport de force en leur faveur, ils se battent contre le gouvernement et contre Shora.
L'accord entre Saddam et les nationalistes pour mâter la rébellion, prévoit le renvoi des "arabes" (les déserteurs venus du sud et qui ont participé aux insurrections du nord) dans "leur" région ainsi que la lutte pour l'autonomie du Kurdistan.
Après les insurrections, la "Radio Libre du Kurdistan" émet tous les jours des menaces d'exécution contre tous ceux qui se trouvent en possession de tracts de Shora ou d'armes.
La communauté de lutte unissant pratiquement Perspective Communiste et Shora comprend néanmoins des désaccords de positions dont on n'a guère de détails. Ces désaccords et cette rupture vont démobiliser et éloigner un grand nombre des prolétaires sympathisants. Pourtant, les militants des deux groupes resteront solidaires face à la répression des nationalistes.
Très brièvement résumé, Shora se définit comme un groupe prolétarien internationaliste, opposé aux nationalistes kurdes ou autres; il se bat pour renforcer le mouvement révolutionnaire, non seulement en Irak, mais partout dans le monde. Il définit le Capital comme un rapport social mondial qui ne peut donc être supprimé que mondialement, par une révolution mondiale.
Après les insurrections, le mouvement est retombé quelque peu et Shora est passé à la clandestinité pour ne pas être massacré.
L'armée et les nationalistes reprennent Sulaymaniya mi-avril. L'alliance du gouvernement et des nationalistes est parfaite: les nationalistes dénoncent les militants de Shora à l'Etat et donnent toutes les informations qu'ils détiennent: noms, adresses, activités...
Shora appelle alors à dénoncer les nationalistes partout dans le monde. Ceux-ci organisent des campagnes radiophoniques clamant qu'ils ont libéré le Kurdistan, que les villes ont été libérées grâce à l'UPK et au PDKI, qu'il faut suivre l'exemple et nettoyer la ville des anarchistes, fauteurs de troubles,... Les 30 et 31 mai, il y a encore eu des émeutes à Sulaymaniya. Des pillages sont organisés et nombreux sont les soldats qui lâchent leurs armes de peur d'être massacrés. Les forces gouvernementales et les nationalistes appellent du renfort. Pourtant, malgré la haine envers les nationalistes, les prolétaires ne les tuent pas, l'UPK peut donc se permettre de tirer sur toute personne qui sortirait de chez elle après 19h. Cette organisation reste donc maintenant maître de la situation.
A Kirkouk, Rania et Arbil d'importants soulèvements prolétariens ont également eut lieu. Le rôle des déserteurs et des groupes minoritaires armés y est également important. Ces minorités, qui se définissent explicitement contre toutes les fractions bourgeoises (gouvernementales et nationalistes), se sont concentrées et entraînées dans les régions de Karadakh Kawkaman. L'affrontement entre nationalistes et internationalistes est clair et ouvert. Les camarades internationalistes savent que la défaite est synonyme de massacre et que les milices nationalistes agissent sans pitié.
A Bagdad même, avant les premiers bombardements, tout le monde s'était préparé à s'enfuir notamment grâce à un véritable trafic de faux laissez-passer et l'organisation de planques, de lieux de retraite,... Tous avaient organisé leur désertion avant même que soit lâchée la première bombe sur Bagdad: les simples soldats, mais aussi certains officiers qui arrachaient leurs galons et étaient parfois les premiers à partir. La caserne la plus grande de Bagdad s'est ainsi vidée en moins de deux dès les premiers obus, et aucun coup de feu pour défendre ces casernes n'y a été entendu. Il y a eu des affrontements, des désertions, des exécutions d'officiers. Des soldats et d'autres prolétaires insurgés constituent des corps de choc armés pour se battre contre les forces baassistes et parviennent, pendant la guerre, à contrôler deux quartiers de la ville: Althaoura et al Shïela. A l'intérieur de Bagdad, ces quartiers constituent des pôles d'attraction pour l'extension de la désertion: des centaines de soldats (originaires d'autres régions du pays) s'échappent des principales casernes de Bagdad et rejoignent des quartiers où ils reçoivent un appui total leur permettant de retourner dans leur région d'origine: repos, habits civils, nourriture,...
Quant aux sanglants combats dans lesquels s'affrontèrent les "héros" de la Coalition et les soldats de la Garde Républicaine, il s'agit là encore d'un mensonge intégral. Seuls 5% de la Garde Républicaine furent victimes de la guerre; la destruction de ce corps de choc de l'Etat assumée par la lutte prolétarienne fut beaucoup plus importante que celle effectuée par la totalité de l'offensive de la Coalition.
Comme il fallait s'y attendre, le maintien de l'ordre bourgeois fut beaucoup plus préoccupant et déterminant pour la Coalition que ses contradictions avec Saddam "le maudit". Aujourd'hui encore (juillet '91), les troupes de choc de l'Etat irakien jouent un rôle essentiel dans la région. Il n'y a pas de doute qu'au-delà des désirs de liquider Saddam, le Pentagone, et en général les forces les plus puissantes du capitalisme international, considèrent le parti Baas comme un bon garant de l'ordre dans la région (ce qui n'exclut pas, bien au contraire, des alliances avec les nationalistes et les religieux). Il est clair que tant la décision de ne jamais attaquer les secteurs décisifs de la Garde Républicaine que celle d'arrêter la guerre furent motivées par l'impérieuse nécessité d'une force locale capable de garantir la paix sociale.
Les médias eux-mêmes ont diffusé des images où l'on voit cette scène, surréaliste de leur point de vue, de marines nord-américains protégeant les soldats et les Gardes Républicains contre la colère et la subversion prolétariennes.
De la même manière, les missions humanitaires consistent fondamentalement en une action concertée pour désarmer le prolétariat. Dans les camps, l'ONU travaille avec les nationalistes et rien ne se fait sans leur accord. On ne donne de la nourriture qu'à ceux qui remettent leur fusil! Les nationalistes font des appels incessants à la radio. Sur un ton à la fois menaçant et rassurant, ils appellent les militants recherchés, par leur nom, affirment connaître l'endroit où ils se cachent et les enjoignent de se rendre; ils leur promettent l'amnistie et s'engagent à leur donner de la nourriture en échange de leurs armes... L'aide "humanitaire" est ainsi uniquement vendue à ceux qui sont prêts à accepter la discipline de l'Etat, la soumission à l'ordre,... Les forces de la Coalition les récompensent alors d'un peu de pain et d'attention médicale.
Ni le gouvernement, ni les nationalistes, ni les forces de la Coalition ne parvenaient à contrôler la situation. C'est clairement pour cette raison qu'ils ont dû s'allier. Le gouvernement a lancé plusieurs patrouilles dans chaque ville du nord avec pour consigne de découvrir les prolétaires venant du sud et de les y renvoyer. Mais la tension est si grande que les soldats lâchent leurs armes et clament leur solidarité à chaque fois qu'un prolétaire refuse de leur montrer sa carte d'identité.
Par ignorance et/ou en conséquence de l'action délibérée de désinformation, on identifie les masses de prolétaires insurgés dans le nord au nationalisme kurde, et celle du sud à l'islamisme de l'Etat iranien.
"... Sans le rôle anti-prolétarien des nationalistes kurdes et des autres oppositions démocrates, les prolétaires insurgés auraient aujourd'hui réglé leur compte, non seulement à Saddam mais également à l'Irak; ils auraient menacé toute la région par l'extension de leur action déterminée et révolutionnaire et leur désir d'en finir avec la société d'exploitation capitaliste.... La défaite d'une fraction bourgeoise dans la guerre dépend non pas du fait que l'autre camp soit plus fort, mais essentiellement du manque d'enthousiasme des prolétaires révolutionnaires à défendre la nation et "leur" bourgeoisie ainsi que de leur volonté de trahir la patrie;
... En Irak, les prolétaires n'ont pas seulement refusé d'accomplir le devoir de défense de la nation, ils ont utilisé leurs armes contre l'Etat ainsi que contre toutes les forces armées d'opposition (la lutte des militants internationalistes dans le nord contre les nationalistes!)...
DETRUISONS L'ETAT CAPITALISTE!
LUTTONS CONTRE L'AUTONOMIE DU KURDISTAN ET LA DEMOCRATIE EN IRAK!
Renforçons l'unité et l'organisation de notre mouvement communiste internationaliste, comme objectif fondamental dans la lutte contre le capitalisme. FAISONS DES MOSQUEES ET DES EGLISES, LES TOMBES DES ORGANISATIONS RELIGIEUSES!
Avril 1991 - Groupe Communiste Internationaliste.
Dans le nord, nous avons vu que l'opposition entre les nationalistes et les insurgés a mené à l'affrontement armé et que pendant et après la guerre, toute lutte sérieuse contre celle-ci s'est heurtée à l'union de la Garde Républicaine et des milices nationalistes.
Dans le sud, là où la lutte contre la guerre fut sans doute plus générale, massive et violente mais moins organisée que dans le nord, les islamistes pro-Iran, ont eu beaucoup moins de poids que ce qu'en ont dit les médias. Si les insurrections dans les régions des marais avaient été partisanes de l'Etat d'Iran, il y a longtemps que la masse de prolétaires incontrôlés qui existe dans cette zone depuis des temps immémoriaux se serait unanimement réfugiée sur le territoire iranien. Or aujourd'hui, il y a quelques 55.000 personnes en arme dans cette région qui n'acceptent aucun embrigadement du Capital, ni celui-ci, ni aucun autre. L'ensemble des nouvelles en provenance de cette région confirme l'existence de l'affrontement permanent entre les prolétaires "insoumis" et les islamistes.
Selon des informations que nous avons récemment reçues, malgré l'unité de toutes les fractions du Capital (baassistes, coalition, nationalistes, religieux,...) pour écraser le prolétariat, la lutte continue avec beaucoup d'intensité.
Les nationalistes font tout leur possible pour imposer l'ordre bourgeois mais la désorganisation et la désobéissance sont générales. Le fait même qu'il n'y ait pas de travail et que toutes les règles imposées par l'Etat aient été remises en question par le prolétariat, rend très difficile le travail de ceux qui veulent rétablir l'ordre bourgeois.
La politisation est énorme. On discute partout de "ce qu'il faut faire". Toutes les organisations politiques classiques éclatent. Des fractions, des groupes et des dizaines de nouvelles organisations se créent. Rien qu'à Sulaymaniya, des camarades nous ont dit avoir compté, pendant le mouvement, 36 sièges d'organisations différentes.
De leur côté, les forces répressives de l'Etat, loin de la fureur prolétarienne, se réorganisent. Avec l'appui de la Coalition, la Garde Républicaine et les milices nationalistes reconstituent leurs forces et préparent un nouveau massacre.
Nos camarades nous communiquent, dans un document qui nous est parvenu, qu'ils ont de nombreux blessés dans leurs rangs, qu'ils sont menacés par les nationalistes et en danger de mort. Ils nous demandent de répercuter leur appel à la solidarité dans le monde.
Il est clair qu'aussi exemplaire que puisse être la lutte du prolétariat de la région, étant donné l'isolement et la faiblesse de l'action autonome du prolétariat dans les autres parties du monde, le rapport de force nous est défavorable. Seule l'action internationale du prolétariat contre "sa propre bourgeoisie" peut apporter une véritable solidarité à nos camarades sur ce front de la bataille.
Nous appelons donc à redoubler les efforts de solidarité avec le prolétariat en Irak. Nous appelons plus que jamais à faire connaître ce qui se passe dans cette région, en diffusant nos matériaux ainsi que toutes les informations qui proviennent des camarades internationalistes de la région. Nous appelons à dénoncer partout dans le monde (parce qu'ils sont présents partout dans le monde!) le rôle criminel et complice de Saddam Hussein, des nationalistes kurdes du PDKI et de l'UPK, des islamistes de tout type et des troupes internationales de la Coalition.
CAMARADES! L'OPPOSITION ENTRE LES CLASSES EST LA MEME LA OU TU TE TROUVES; LORSQUE TU AS FACE A TOI UN NATIONALISTE (KURDE,IRAKIEN, OU QUELQU'IL SOIT), N'OUBLIE PAS QU'IL S'AGIT DU MEME ENNEMI QUE CELUI QU'AFFRONTE TON FRERE PROLETAIRE EN IRAK!
Le texte que nous publions ici et l'appel que nous formulons est en continuité directe avec le travail que notre groupe réalise depuis des années dans la région Iran/Irak, ainsi qu'avec la réunion internationale que nous avons organisée il y a deux ans à Berne. Ce texte prolonge également l'ensemble des tentatives que les communistes internationalistes font pour fortifier et centraliser la communauté de lutte du prolétariat contre le capitalisme mondial.
Lors de la présentation de la réunion de Berne (Cf. l'annexe intitulée "A propos d'une réunion internationale de travail" in Communisme No.29), nous formulions un appel concret dans le même sens qu'aujourd'hui. Nous appelions à envoyer des informations, des prises de positions, des contributions matérielles,... pour tenter de centraliser l'action communiste au niveau le plus large possible. Aujourd'hui, alors que des camarades sont menacés de mort, nous réitérons cet appel avec plus de force que jamais.
Nous tenons néanmoins à signaler que la boite postale et le compte courant que nous avions ouvert en grande Bretagne après la réunion de Berne sont resté pratiquement sans effet, et nous appelons les camarades qui ont des contributions ou des propositions pour centraliser l'action communiste, à entrer si possible en contact direct avec les militants du Groupe Communiste Internationaliste dans les pays où ils sont présents. Si cela n'était pas possible, qu'ils envoient leurs contributions à l'adresse centrale du groupe en Belgique.
KOMMUNIZMUS
Premier numéro de la revue centrale du GCI en hongrois
* * *
En juin 1991, notre groupe a publié le premier numéro de la nouvelle revue centrale du GCI, en langue hongroise. Conformément à nos autres revues centrales, son titre est KOMMUNIZMUS (Communisme), et son sous-titre, "Proletárdiktatúra a bérmunka megszüntetéséért!" ("Dictature du prolétariat pour l'abolition du travail salarié!"). KOMMUNIZMUS paraîtra deux fois par an (au printemps et en automne). Cette nouvelle publication du Groupe Communiste Internationaliste (GCI) est un facteur et un produit direct de l'activité de notre groupe dans la région appelée "Europe de l'Est". Le hongrois est une langue parlée par relativement peu de prolétaires: 10 millions en Hongrie, 3-4 millions dans les pays voisins --Russie /Ukraine/, Tchécoslovaquie, Autriche, Yougoslavie, Roumanie--, 1 autre million de prolétaires dispersés un peu partout dans le monde, des Etats-Unis à l'Australie, à quoi il faut encore ajouter quelques millions supplémentaires de prolétaires dont la langue maternelle n'est pas le hongrois, mais qui connaissent cette langue grâce à des relations de famille, d'amitié, etc., dans les pays mentionnés de l'Europe de l'Est. Cependant, la dispersion du hongrois signifie l'existence d'une langue de communication entre prolétaires, présente dans toute une région où l'affrontement ouvert entre bourgeoisie et prolétariat devient chaque fois plus important.
Dans les régions mentionnées, les publications communistes ont été pratiquement inexistantes depuis les années 20. Ainsi, au-delà de la nécessité d'avoir une revue centrale dans une langue qui est directement ou indirectement accessible pour la majorité des militants, sympathisants et contacts du GCI en Europe de l'Est, et au-delà du fait que cette revue représente un nouveau pas dans le cadre des efforts de notre groupe international et internationaliste, pour renforcer la centralisation organique de la lutte prolétarienne même en cette époque de contre-révolution triomphante, KOMMUNIZMUS remplit une fonction historique, en tant que première concrétisation régionale, sous la forme d'une revue, de la réémergence de l'action organisée, consciente et volontaire, de l'avant-garde du prolétariat en lutte contre le Capital.
Bien sûr, l'apparition de cette revue n'est qu'une petite avancée dans cette gigantesque lutte, et le GCI est déterminé à donner une continuité aux efforts produits dans cette direction. En ce sens, les structures du GCI en Europe de l'Est préparent des matériaux dans d'autres langues importantes de la région (surtout en russe et en allemand). A court terme, notre groupe planifie la publication des "Thèses d'orientation programmatique" en hongrois et en russe, et à moyen terme, nous entendons publier les premiers matériaux en langue allemande.
Nous appelons les révolutionnaires internationalistes à prendre contact avec nous pour collaborer à cette importante tâche historique !!!
Lisez, distribuez KOMMUNIZMUS !!!
oOo
KOMMUNIZMUS
Proletárdiktatúra a bérmunka megszüntetéséért !
Mais l'obligation du travail, son extension et son intensification, ne se sont imposées que progressivement, au fur et à mesure du développement du Capital et de la classe qui le représente. Un exemple: c'est la bourgeoisie qui détient l'immense privilège d'avoir véritablement libéré le travail. Alors que sous l'Ancien Régime, les lois de l'Eglise garantissaient au travailleur 90 jours de repos (52 dimanches et 38 jours fériés) pendant lesquels il était strictement interdit de travailler, la dite "Révolution Française" a, en effet, aboli les jours fériés et remplacé la semaine des sept jours par celle des dix jours! Telle est la cause principale de l'irréligion de la bourgeoisie! Sa haine des jours fériés n'apparaît que lorsque la bourgeoisie industrielle prend corps et se développe, entre les XVème et XVIème siècles. La nouvelle classe dominante entendait imposer son progrès en affranchissant les ouvriers du joug de l'Eglise, pour mieux les soumettre à celui du Travail!
Mais l'origine des mots nous en dit énormément plus encore sur la façon dont la bourgeoisie a petit à petit réussi à transformer la connotation complètement négative du travail, en une valeur à défendre!
Ainsi, étymologiquement, "travail" vient du mot latin "tripalium", instrument de torture; en latin classique, on trouve "tripalis" qui signifie "à trois pieux". Le verbe "travailler" vient de "tripaliare" et apparaît aux environs de 1080 de notre triste millénaire: il signifie "torturer avec le tripalium". "Travaillé" en latin, signifie alors être "très fatigué".
Quant au terme "travailleur" ("travailleor"), il renvoyait... au tortionnaire, à celui qui fait souffrir, au bourreau! On voit à propos de ce dernier mot, qu'une "amusante" inversion d'usage a transformé le bourreau d'alors en victime actuelle!
A l'origine donc, le mot "travail" ne signifie rien d'autre qu'"instrument de torture". Ce n'est que par extension que la souffrance de l'exploité, soumis à un effort comparable aux horreurs qu'enduraient les suppliciés du "trepalium", finit par devenir synonyme de "travail". Le "trepalium" disparut alors petit à petit,... le travail demeura. Mais même à ce moment, aux environs de 1200, "travail" résonne encore uniquement aux oreilles des hommes, comme l'état de celui qui souffre, qui est tourmenté, qui effectue une activité pénible.
Personne, parmi ceux qui en subissent les torts, ne songe à le défendre comme valeur!
Il faudra cette libération du travail effectuée par la bourgeoisie à laquelle nous avons fait allusion plus haut, pour que la classe honnie nous impose finalement le sens dominant qu'on lui donne aujourd'hui. L'écrivain et Comte de Vigny dira:
"Le travail est beau et noble. Il donne une fierté et une confiance en soi que ne peut donner la richesse héréditaire."On suppose qu'il entendait ainsi encourager les prolétaires à trimer pour qu'ils oublient l'origine de sa propre richesse, et ne s'attardent surtout pas sur les raisons qui permettaient au Comte de ne pas avoir à travailler!
Mais c'est chez Anatole France que nous trouvons un des plus beaux éloges de l'aliénation:
"Le travail est bon à l'homme. Il le distrait de sa propre vie."Sans commentaires!
Il est intéressant de noter également que les Romains désignaient sous le terme de "Sordidae Artes" (les "Arts Sordides"), les métiers qui appartenaient de droit aux esclaves; les Romains considéraient l'agriculture et la guerre comme les seules activités "libres et nobles".
Le mot "labeur", qui donnera "laborieux" par extension en français, et qui est également à la racine de bon nombre de mots espagnols, portugais ("laboral", "laborante",...) et même anglo-saxons ("labour"), vient également du latin, et signifie littéralement "peine": un labeur est un travail pénible et soutenu.
De même, le mot allemand "Arbeit" est un dérivé de "orbho" qui signifie dans les langues indogermaniques, "petit", "pauvre", "bas", "orphelin", "serf". Ici, l'origine du mot a l'avantage de clarifier la situation, la condition des hommes auxquels était infligée cette torture qu'est le travail!
L'oubli actif des origines du mot "travail" pour la bourgeoisie, trouve un intéressant prolongement dans l'occultation savamment entretenue par les maoïstes, trotskystes staliniens, et autres salopes teintes en rouge, pour les mots d'ordre d'abolition du travail prononcés par les communistes, et en tout premier lieu, chez celui qu'ils ont tenté de récupérer en en faisant une icône, Karl Marx.
Non content de ne jamais faire allusion au programme d'abolition du travail, formulé à de multiples reprises, en long et en large, par le vieux Charlie (cf. les extraits des "Manuscrits de 1844", dans cette même revue), ces apologues du travail vont jusqu'à trafiquer les traductions qu'ils effectuent des textes de Marx, et n'hésitent pas à y adjoindre, lorsque leurs falsifications risquent vraiment d'être trop visibles,... leurs propres commentaires sur "ce que Marx voulait dire"!!!
Ainsi, à la suite de cette citation que nous laissons ici en conclusion de notre petit parcours étymologique, et au terme de laquelle Marx précise une fois de plus que le programme du prolétariat contient l'abolition du travail...:
"Par conséquent, tandis que les serfs fugitifs voulaient seulement développer et affirmer librement leurs conditions de vie déjà existantes, et n'aboutirent, en fin de compte, qu'au travail libre, les prolétaires doivent, eux, pour faire valoir leur personnalité, abolir la condition d'existence qui fut jusqu'ici la leur, et qui est en même temps celle de toute l'ancienne société: ils doivent abolir le travail."... les Editions Sociales nous expliquent que "plus tard, Marx, précisant cette notion de travail, préconisera l'abolition du seul travail salarié" (in "L'idéologie allemande" des Editions Sociales - 1976, pg. 64)!!!-Karl Marx, in "L'idéologie allemande"-
Non merci, staliniens, quelques 2000 ans d'exploitation, ça suffit! Mais nous n'oublierons pas! Et lorsque notre classe en aura fini avec cet immonde esclavage auquel vous n'êtes pas les derniers à nous soumettre, lorsque nous imposerons enfin la dictature de nos besoins, et avant de jeter définitivement le "Travail" aux orties (pauvres orties!), alors bourgeois, jusqu'à l'extinction de cette activité mortelle, à vous de crever au travail! Allez-y! Bossez! Marnez! Trimez! Chiadez! Bûchez! Grattez! Turbinez! Boulonnez!
"En refusant de considérer le rapport direct entre l'ouvrier (le travail) et la production, l'économie politique cache l'aliénation qui marque le travail. Certes, le travail produit des merveilles pour les riches, mais le dénuement pour l'ouvrier, il produit des palais mais pour l'ouvrier il n'y a que des tanières. Il produit la beauté, mais l'ouvrier est estropié. Des machines remplacent le travail, mais une partie des ouvriers est rejetée dans un travail barbare, l'autre est elle-même transformée en machines. Il produit l'esprit, mais, pour l'ouvrier, c'est l'imbécillité et le crétinisme. (...)Nous n'avons considéré jusqu'ici l'aliénation, la dépossession de l'ouvrier, que sous un seul aspect, celui de son rapport aux produits de son travail. Or l'aliénation n'apparaît pas seulement dans le résultat, mais aussi dans l'acte de la production, à l 'intérieur de l'activité productrice elle-même. Comment l'ouvrier ne serait-il pas étranger au produit de son activité si, dans l'acte même de la production, il ne devenait étranger à lui-même? En fait, le produit n'est que le résumé de l'activité, de la production. Si le produit du travail est dépossession, la production elle-même doit être dépossession en acte, dépossession de l'activité, activité qui dépossède. L'aliénation de l'objet du travail n'est que le résumé de l'aliénation, de la dépossession, dans l'activité du travail elle-même.
Or, en quoi consiste la dépossession du travail?
D'abord, dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son être; que, dans son travail, l'ouvrier ne s'affirme pas, mais se nie; qu'il ne s'y sent pas satisfait, mais malheureux; qu'il n'y déploie pas une libre énergie physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. C'est pourquoi l'ouvrier n'a le sentiment d'être à soi qu'en dehors du travail; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il n'est pas lui. Son travail n'est pas volontaire, mais contraint. Travail forcé, il n'est pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. La nature aliénée du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la peste. Le travail aliéné, le travail dans lequel l'homme se dépossède, est sacrifice de soi, mortification. Enfin, l'ouvrier ressent la nature extérieure du travail par le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas; que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas à lui-même, mais à un autre. Dans la religion, l'activité propre à l'imagination, au cerveau, au coeur humain, opère sur l'individu indépendamment de lui, c'est-à-dire comme une activité étrangère, divine ou diabolique. De même, l'activité de l'ouvrier n'est pas son activité propre; elle appartient à un autre, elle est déperdition de soi-même.
On en vient donc à ce résultat que l'homme (l'ouvrier) n'a de spontanéité que dans ses fonctions animales: le manger, le boire et la procréation, peut-être encore dans l'habitat, la parure, etc.; et que, dans ses fonctions humaines, il ne se sent plus qu'animalité: ce qui est animal devient humain et ce qui est humain devient animal.
Sans doute, manger, boire, procréer, etc., sont aussi des fonctions authentiquement humaines. Toutefois, séparées de l'ensemble des activités humaines, érigées en fins dernières et exclusives, ce ne sont plus que des fonctions animales.
Nous avons considéré l'acte par quoi l'homme aliène son activité pratique, c'est-à-dire le travail, sous deux aspects: 1/ Le rapport de l'ouvrier au produit du travail comme objet étranger qui le tient sous sa puissance. Il se trouve dans le même rapport au monde extérieur sensible qu'aux objets de la nature, c'est un monde étranger, qui lui est contraire et hostile. 2/ Le rapport entre le travail et l'acte de production à l'intérieur du travail; c'est le rapport de l'ouvrier à sa propre activité comme activité étrangère, qui ne lui appartient pas; c'est l'activité comme passivité; c'est la force comme impuissance, la procréation comme émasculation; c'est sa propre énergie physique et intellectuelle, sa vie --car qu'est-ce que la vie, sinon l'activité?-- comme activité dirigée contre lui-même, indépendante de lui, ne lui appartenant pas. C'est l'aliénation de soi venant après l'aliénation de l'objet."
Extrait du chapitre "Le travail aliéné", des "Manuscrits de 1844" de Karl Marx.
"Une
autre source de l'immoralité des travailleurs, c'est le fait qu'ils
sont des damnés du travail. Si l'activité productrice libre
est le plus grand plaisir que nous connaissons, le travail forcé
est la torture la plus cruelle, la plus dégradante. Rien n'est plus
terrible que de devoir faire, du matin au soir, quelque chose qui vous
répugne. Et plus un ouvrier a des sentiments humains, plus il doit
détester son travail, car il sent la contrainte qu'il implique et
l'inutilité que ce travail représente pour lui-même."
-F. Engels, in "La situation de la classe laborieuse en Angleterre"- |
"Le
'souci' n'est rien d'autre que ce sentiment d'oppression et d'angoisse
qui, dans la bourgeoisie, accompagne nécessairement le travail,
cette vile activité du gagne-pain besogneux. Le 'souci' fleurit
sous sa forme la plus pure chez le brave bourgeois allemand: il est pour
lui chronique et 'toujours égal à lui-même', misérable
et méprisable, tandis que la misère du prolétaire
prend une forme aiguë, violente, le pousse à engager un combat
à la vie et à la mort, le rend révolutionnaire et
produit, par conséquent, non le 'souci' mais la passion. Or, si
le communisme veut abolir le 'souci' du bourgeois tout comme la misère
du prolétaire, il va de soi qu'il ne peut le faire sans abolir la
cause de l'un et de l'autre:
le travail."
-K. Marx, in "L'idéologie allemande"- |
"Nous
sommes bien amoindris et bien dégénérés. La
vache enragée, la pomme de terre, le vin fuchsiné et le schnaps
prussien savamment combinés avec le travail forcé ont débilité
nos corps et rapetissé nos esprits. Et c'est au moment-même
où l'homme rétrécit son estomac et où la machine
élargit sa productivité, que les économistes nous
prêchent la théorie malthusienne, la religion de l'abstinence
et le dogme du travail? Mais il faudrait leur arracher la langue et la
jeter aux chiens."
-P. Lafargue,in "Le droit à la paresse" -1848- |
"Si,
déracinant de son coeur le vice qui la domine et avilit sa nature,
la classe ouvrière se levait dans sa force terrible, non pour réclamer
les Droits de l'homme, qui ne sont que les droits de l'exploitation
capitaliste, non pour réclamer le Droit au travail qui n'est
que le droit à la misère mais pour forger une loi d'airain,
défendant à tout homme de travailler plus de trois heures
par jour, la Terre, la vieille Terre, frémissant d'allégresse,
sentirait bondir en elle un nouvel univers..."
-P. Lafargue, in "Le droit à la paresse" -1848- |
A propos de l'apologie du Travail |
Généralement d'ailleurs, ce sont surtout ceux qui ne travaillent pas qui tiennent ce genre de discours. D'abord, parce que les règles sociales proscrivent en principe, de faire sa propre éloge, ensuite, parce que tenu par le travailleur, ce discours équivaudrait à vouloir créer, perfectionner l'instrument de la torture (le travail est une torture!) que lui impose son propre tortionnaire, et enfin, parce que ce type de discours correspond à la nécessité pour le Capital de maintenir les prolétaires en tant que simples ouvriers (2), subsistant pour travailler, pour cracher de la plus-value, et consacrer le reste de leur "vie" à reconstituer leur force de travail... pour continuer à travailler.
Plus encore que celui qui le dit, le discours autour du "vive le travail" est tenu par le Capital, ce monstre social, véritable et unique sujet de cette société. En effet, le Capital n'est pas seulement de la valeur qui se valorise, un rapport social d'exploitation du travail salarié: en tant que valeur en procès, il a subsumé l'homme et a fait de lui l'exécutant de ses intérêts. Le Capital se transforme ainsi en sujet suprême de la société transformant en même temps ses exécutants en simples marionnettes (3).
Quand le discours est tenu par un patron, un Gorbatchev, un Georges Bush, un président d'entreprise ou un dirigeant syndical, cela correspond entièrement à ses intérêts et le Capital parle, pour ainsi dire, de sa propre bouche.
"Travaillez", "augmentez votre rythme de travail", "le travail rend libre" (4), "vive les héros du travail",... sont des mots d'ordre qui ne constituent ni plus ni moins que l'intérêt réel, intégral de la classe sociale qui vit de l'extorsion de la plus-value et qui s'est organisée en Etat "national", "socialiste", "populaire",... Sa participation à la plus-value est en rapport direct avec son habileté dans la gestion du Capital, ou ce qui revient au même, avec sa capacité de contrôle de la classe ouvrière, car en dernière instance, les meilleurs capitalistes sont ceux qui assurent le mieux la reproduction du travail salarié. Les propriétaires réels des forces productives (la bourgeoisie), décident économiquement de leur utilisation, et parmi eux, les plus capables sont ceux qui réussissent à faire en sorte que l'esclave salarié se sente content de son esclavage.
Que celui qui vante le travail soit un ouvrier est d'autant plus important pour le Capital car celui-ci est plus utile encore, comme idiot, pour convaincre les autres ouvriers à se résigner au travail et à l'exploitation. Du point de vue de la lutte de classe, sa position est sans équivoque du côté du Capital, car en agissant objectivement pour augmenter le rapport entre la plus-value et le capital variable (et en se situant par conséquent contre les intérêts immédiats de la classe ouvrière en lutte contre le taux d'exploitation), simultanément (6), il agit en défendant globalement le travail aliéné, véritable fondement de cette société d'exploitation de l'homme par l'homme; il se place ainsi contre les intérêts historiques du prolétariat.
Ce discours reste au fond un discours essentiellement bourgeois, non seulement parce qu'il sert le Capital, mais en plus parce qu'il est tenu par le Capital, et cela malgré qu'il le soit par l'intermédiaire d'une autre voix.
En effet, c'est le Capital lui-même qui dans son propre procès d'industrialisation mondiale, de procréation de la richesse et de la misère qui le caractérise, développe chaque fois plus les techniques pour faire travailler ses esclaves, pour que ceux-ci augmentent leur rendement, pour qu'ils laissent leur vie dans les choses qui en dernière instance sont leur non-propriété, un monde aliéné de choses qui s'oppose à eux, les exploite et les opprime.
Nouvelles méthodes, nouvelles machines, musique fonctionnelle, ascension dans le parti, discours syndicalistes et politiques, contrôle des temps et mouvements, promotion dans le syndicat, "vive le travail" (même affirmé par les travailleurs eux-mêmes!),... signifient: tout pour exploiter plus et mieux.
C'est le Capital lui-même qui s'est perfectionné et qui a perfectionné ses méthodes d'intensification de l'exploitation. Pour cela rien de plus utile qu'un travailleur qui lance: "travaillez!". En cela, celui-ci ne se révèle rien de plus qu'un cheval de trait, qu'une bête de somme dépensant une énergie brute, générale, indifférente, abstraite pour la transformer en puissance oppressive, c'est-à-dire en capital exigeant à nouveau du sang frais de cette même bête de somme pour qu'il se change en capital. Processus qui nécessite encore plus de travail, plus de dépense musculaire, de bras, de corps. Ce nouveau capital exige à son tour de sucer la vie pour être toujours plus capital, en intensifiant l'effort de ses propres pantins. Ainsi, il est impossible de renouveler sans cesse le capital, sans nécessairement tuer les prolétaires au travail. Le Capital ne peut exister et perdurer qu'en se transformant toujours plus en capital. Comme reproduction élargie de l'exploitation du travail, il est impérieux pour le Capital, pour son essence de travail mort, de tuer le travail vivant pour être plus capital. C'est ce qui le fait se mouvoir. Pour cela, il doit amasser les cadavres, les montagnes d'objets, qui n'ont d'autre utilité que la destruction. Ce qui, finalement, n'est jamais qu'une double manière d'accumuler le travail mort. Le Capital ne peut faire autre chose que devenir plus de capital en se servant du travail, en l'accumulant comme travail mort, et, notamment, en se servant des idiots utiles qui l'adulent en criant "vive le travail"... Ce cycle infernal ne peut avoir comme fin que la dictature contre le Capital et la société d'esclavage salarié.
Avec la formation et le développement du prolétariat et de son Parti historique (7), ces revendications ne sont pas abandonnées, mais se développent et se précisent. Le communisme, en tant que mouvement du prolétariat organisé, lutte pour la réduction générale du travail à son expression minimale (tant en intensité qu'en extension), et pour l'appropriation du produit social par le prolétariat. Mais il déclare ouvertement que ces revendications ne peuvent être réellement et intégralement réalisées qu'avec la dictature révolutionnaire du prolétariat, laquelle dirigera le monde contre toutes les normes actuelles (dictature contre la valeur d'échange), et en fonction des nécessités de l'humanité en formation. Contre tous les socialismes bourgeois qui prétendent que le travail est inhérent à l'être humain, et qui conçoivent le socialisme comme un simple procès de distribution des biens pris aux "riches", pour les répartir entre les "pauvres", le communisme érige la nécessité non seulement de révolutionner la distribution (qui en dernière instance n'est qu'une conséquence indissociablement unie à la production), mais aussi de détruire les fondements même du mode de production. En cela, il révolutionne fondamentalement l'objectif même de la production, pour que celle-ci ne se décide pas en fonction du taux de profit, mais pour améliorer la vie, pour alléger le travail, et ainsi travailler moins; ce qui implique à la fois la liquidation tant de l'argent, que du mercantilisme, ou du travail salarié. Seule cette destruction peut créer les bases pour que le travail cesse d'être du travail, pour que l'activité productive en général soit réintégrée à la vie-même de l'homme.
Le développement du capitalisme, c'est le développement simultané et contradictoire de la bourgeoisie et de la contre-révolution, d'un côté, et du prolétariat et de son programme, de l'autre. La lutte contre le travail, pour l'appropriation du produit social, pour la révolution est générée par le Capital, lequel génère en même temps le développement et la fortification de la réaction. Toute réduction du temps de travail est chaque fois compensée par les augmentations de la productivité du travail et par sa plus grande intensité: de la manufacture à l'usine et de celle-ci à la production en chaîne, le taylorisme,... jusqu'aux "nouvelles méthodes d'administration du travail". Parallèlement et en parfaite concordance avec ce procès, se développent les partis social-démocrates, les partis du travail, du syndicalisme bourgeois, le travaillisme et plus récemment le stalinisme, le national-socialisme, le populisme (dans toutes ses variantes, y compris le péronisme, le castrisme...); c'est-à-dire l'ensemble des forces et partis bourgeois, qui pour encadrer les travailleurs et les mettre à leur service prennent comme centre idéologique de leurs campagnes: l'apologie du travail.
Le parti de Lassalle, la social-démocratie allemande, et plus tard la social-démocratie internationale, seront les exemples types des partis bourgeois (par leur programme, leur vie, leur action...) à composition majoritairement ouvrière, qui feront de l'apologie du travail et des travailleurs le point fondamental de leur programme. L'idéologie bourgeoise du travail, comme source de toute richesse (8), est le centre de la théorie et l'objectif du parti et du socialisme; "l'émancipation du travail" y est revendiquée comme mot d'ordre, et est toujours accompagné d'autres consignes telles celle de "la constitution d'un Etat populaire et libre" (9). Et de la même manière que plus l'Etat se libère, plus il opprime la société civile, l'émancipation du travail ne peut être autre chose que la fortification du capitalisme (10).
Après la mort de Marx, la social-démocratie sans changer fondamentalement son programme lassallien d'apologie du travail, cherchera à se faire "marxiste". Elle supprimera, falsifiera, tout ce qu'il y a de révolutionnaire et de subversif dans l'oeuvre de Marx, créant ainsi ce qui s'appellera (et continue de s'appeler aujourd'hui) "marxisme": c'est-à-dire la plus répugnante apologie du travail et des travailleurs qui existe.
Peu à peu, ce qui dans l'oeuvre de Marx est considéré comme une calamité, l'être travailleur, le travail, et qui y est dénoncé comme le summum de la bestialisation, de l'inhumanité, de la bassesse... en est venu à être pour les "marxistes" du monde entier une nécessité, un honneur... et c'est au nom des travailleurs, que ces partis du travail en feront la propagande comme synonyme de la réalisation de l'homme ("le travail libère l'homme"). D'ici aux camps de travail de Staline et d'Hitler, il n'y a plus qu'un pas!
Et ce pas sera allègrement franchi avec la défaite de la révolution internationale de 17-23. Dans la Russie-même, au même rythme auquel s'impose la contre-révolution par la liquidation du prolétariat révolutionnaire et de son avant-garde communiste, se consolide une véritable armée du travail. Sur base de la théorie social-démocrate défendue par Lénine et selon laquelle le développement du capitalisme est une avancée réelle jusqu'à la révolution, tout est subordonné à la production capitaliste, au travail salarié, avec les rythmes qui leur sont propres. Mais comme l'Etat National Capitaliste exige d'être compétitif, il est nécessaire d'appliquer les méthodes plus modernes d'exploitation du travailleur. Le taylorisme (11), que le Lénine d'avant l'insurrection dénonçait comme "l'esclavage de l'homme par la machine", en arrive à être considéré par Lénine administrateur du Capital et de l'Etat, comme une panacée; par conséquent, prisonnier de l'idéologie social-démocrate, il considère l'augmentation de l'intensité du travail, non comme l'acte le plus anticommuniste qui puisse se concevoir, mais comme un terrain neutre qui selon lui peut aussi bien servir le socialisme que le capitalisme (12)!
Cette oeuvre de soumission au travail à un rythme forcé, qui en Russie atteignit des niveaux paranoïaques, fut dirigé par ces grands chefs du bolchevisme que sont Lénine, Zinoviev, Trotsky, Staline,..., lesquels se montrèrent alors les plus sanguinaires dans l'application de ces nouveaux rythmes et méthodes que le capitalisme nécessitait pour sa réorganisation en Russie: Zinoviev se convertit en chien sanglant de Petrograd, organisant la répression ouverte de toute lutte contre le travail et l'Etat; Trotsky fut le porte-drapeau de la militarisation du travail, de la création de camps de travail forcé et fut le chef des corps répressifs dans les moments décisifs...; enfin Staline (qui plus tard sera accusé de tout!) portera cette oeuvre à son point culminant avec les camps de travail. Camps par lesquels passèrent plus de 15.000.000 de travailleurs. Et, pour représenter la direction d'une société dans laquelle le Capital liquide jusqu'à l'extrême toute forme de lutte contre l'exploitation, "travailler", et surtout "travailler à un rythme exemplaire", se transforme pour la première fois (en même temps qu'en Allemagne, en Italie, etc.), lié en cela à la propre figure de Staline, en une idole, un Dieu, une bête sacrée et intouchable: c'est le règne funeste des Stakhanovs (13).
En tant que socialisme national, le régime de Staline, contrairement à ce que l'on veut nous faire croire, a exactement le même programme et effectue à la base les mêmes réalisations que le national-socialisme de son ancien allié Hitler. Et cela non pas en fonction du fait qu'ils aient pu ou non coïncider selon les époques, sur le plan de la politique nationale ou internationale, mais surtout fondamentalement parce qu'ils ont basé la gestion de la société sur un projet national de socialisme. L'idéologie centrale se trouve être le travail, dans un parti du travail. Il est évident qu'il y a des nuances dans les discours, et si Hitler base son ascension sur la défense d'un socialisme qui lutte "contre le capital financier et usurier international (14), contre le gouvernement, la ploutocratie et pour un véritable socialisme de la nation allemande", Staline préféra dire que son socialisme (dans un pays) luttait contre les "pays capitalistes" et pour les "démocraties populaires"; mais dans les deux cas, tant Staline qu'Hitler concentrent leur programme sur un gigantesque effort laborieux, sur la grande industrie, et plus particulièrement sur l'infrastructure des communications et de l'énergétique et sur les constructions "pour le peuple travailleur". Au centre de chacun des régimes se trouvent les Services du Travail, les camps de travail, l'apologie du travail et l'obligation du travail présenté comme un honneur:
"Le service obligatoire du travail doit être un honneur pour la jeunesse et un service proposé au peuple. Il ne doit pas procurer de la main-d'oeuvre économique à l'industrie privée ni se convertir en une entreprise concurrente à l'Etat. Il doit procurer une armée de travailleurs pour mener à bien les travaux publics aux fins économiques, culturelles, et de plus, de politique nationale." (15)
Aujourd'hui, face à une situation dans laquelle tous les régimes du monde appellent, "au nom des travailleurs", à travailler plus en mangeant moins, (surtout dans les endroits où l'on trouve à la direction de l'Etat un parti de socialisme national, un parti du travail (16), comme par exemple à Cuba), il est très important de mettre en évidence que cette politique n'a au fond rien d'original par rapport à leurs prédécesseurs que sont stalinisme et nazisme. C'est pourquoi il faut surtout insister sur ce dernier, sans aucun doute beaucoup moins connu que les autres. Le nazisme n'est pas un exemple parmi d'autres de parti du travail, il est sans doute le plus perfectionné du genre, que ses successeurs honteux (car ils ne peuvent le reconnaître) ne font guère plus qu'imiter (qu'ils le sachent ou non).
En réalité, il n'y a aucune originalité dans les discours et les réalisations d'un Fidel Castro. Même pas quand celui-ci prétend que son parti représente la lutte des producteurs manuels et intellectuels contre la bourgeoisie, ou qu'avec l'accès au pouvoir des travailleurs (représentés évidemment par le parti socialiste), ceux-ci conquièrent la possibilité d'administrer les affaires de l'Etat.
"La bourgeoisie politique est expulsée de la scène politique et à sa place nous voyons s'avancer les producteurs manuels et intellectuels, les forces de travail qui vont entreprendre leur mission historique. Il ne s'agit pas simplement d'une question d'heures de travail et de salaires, bien que ces revendications soient essentielles et représentent chaque fois la plus importante des manifestations de la volonté socialiste, mais que ce qui importe le plus c'est l'intégration d'un corps social puissant et responsable dans l'administration des affaires de l'Etat et peut-être même la prise en charge du rôle principal dans l'avenir politique de notre patrie."
Ce n'est pas un discours de Fidel Castro, mais bien celui du célèbre nazi Goebbels, lequel avec autant de cynisme que l'autre n'a pas peur d'ajouter:
"Nous ne sommes pas une oeuvre de charité, mais un parti socialiste de révolutionnaires." (17)
Dans ce qui suit, nous nous référons presque exclusivement aux nazis. Rendre à chaque fois le parallélisme explicite avec des citations et des références aux "réalisations" des socialistes n'est pas nécessaire, chaque lecteur retrouvera dans son entourage, ces socialistes et castristes qui par malheur s'efforcent depuis cinq décades d'imiter les nazis.
Toute la propagande du régime nazi se basait sur les bénéfices qu'aurait obtenu selon eux le peuple travailleur avec ce régime. Elle insistait avant tout sur l'élimination complète du chômage qui s'opposerait à la "décadence du capitalisme corrompu". Quand la France fut occupée, on était déjà passé d'un chômage de plus de 6 millions de personnes au recrutement systématique de travailleurs "volontaires" hors d'Allemagne pour pallier la pénurie de force de travail. En réalité, cette prétendue "élimination du chômage", ne fut ni plus ni moins que l'obligation pour les chômeurs de travailler, situation générale dans le monde qui fut appliquée avec des succès divers par tout le Capital, de Staline à Roosevelt. Ce fut la reconnaissance généralisée de la nécessité de recourir à la politique des dépenses publiques (théorisée plus tard par Keynes), des grands travaux, de la militarisation exacerbée de l'économie, jusqu'à la guerre impérialiste. Pour le travailleur allemand, comme pour n'importe quel autre travailleur à qui est imposé le travail capitaliste, quand le capitalisme ne peut offrir que du chômage, c'est alors du travail mal payé, régimenté, militarisé qui le conduit à la guerre et à la mort. Mais à l'époque les choses étaient présentées différemment, les pauvres types qui allaient dans les camps (18), racontaient qu'ils partaient, contents d'échapper au chômage et à la décadence, pour aller "travailler"! Les nazis basaient leurs campagnes sur les réalisations "concrètes", sur les constructions pour ouvriers, sur les maisons et lieux de tourisme pour travailleurs, sur la liquidation de l'analphabétisme et les campagnes d'éducation populaire, etc., et que de nombreux socialistes latino-américains, ou d'ailleurs, se soient appropriés ces tâches en tant que programme pour le socialisme, ne fait que montrer les choses telles qu'elles sont! Ainsi, le programme du Parti National Socialiste désirait-il "donner une patrie au travailleur allemand, construire des logements salubres avec de la lumière, de l'air, du soleil pour la jeunesse vigoureuse" (19), et le "Gramma" ou le "Barricada" (20) de l'époque, qui s'appelait "Völkische Beobachter", d'apporter les éléments "concrets" (21) de réalisations de maisons, constructions de "quartiers ouvriers modernes", de "nouvelles installations dans les quartiers de travailleurs", etc. Dans sa rubrique permanente intitulée "Le socialisme dans les actes", ce journal présentait la purée démagogique classique des idiots utiles au service de l'Etat. David Schoenbaum exemplifie ainsi le contenu de cette rubrique (22):
"(on) racontait que les employés d'une usine textile du sud de l'Allemagne avaient été volontaires pour faire des heures supplémentaires et verser le produit de leur travail à une caisse d'aide aux accidentés du travail fondée par les nazis,... que les paysans avaient offert au Bureau d'aide sociale des Jeunesses Hitlériennes des possibilités d'hébergement de vacances pour cinquante mille enfants et que le groupement des femmes national-socialistes de Mannheim en avaient fourni sept cent de plus... que les employés municipaux de Dresde avaient créé un fonds pour le financement d'une escadrille de cinq avions destinés au gouverneur de Saxe pour pallier aux difficultés financières des S.A. et des S.S. (...) enfin, qu'ils avaient donné 1% de leur salaire pour le soutien de l'effort national (Fürderung der nationalen Arbeit)... Dans la même série, on trouvait, entre autres histoires modèles, la réalisation de logements de banlieue, le partage d'une fraction des bénéfices de la Preussisen Zeitung d'Erich Kohl entre ses employés... Pour les fêtes de Noël, des fonctionnaires du parti dressèrent des tables dans les quartiers populaires du nord de Berlin pour distribuer des cadeaux à toute la population y compris les anciens communistes (!!! NDLR). Ce qui conduira Scheumburg Lippe, adjoint de Goebbels à déclarer: "Voilà le socialisme que je cherchais (non, contrairement aux apparences ce n'est pas Fidel Castro qui fait ces déclarations -NDLR) et c'est un honneur pour moi que de l'avoir servi de toutes les fibres de mon être." (23)
"Les lauréats étaient considérés comme les champions des jeux olympiques ou comme des grands acteurs de cinéma, ils étaient conduits en grande pompe à Berlin et photographiés aux côtés de Ley et de Hitler en personne." (25)
Il est évident que cette "promotion sociale" s'accompagnait d'un battage publicitaire intensif. Dans la presse, abondaient les exemples de travailleurs qui, le jour avant, ne savaient pas où se coucher, ou encore de "paysans" licenciés qui n'avaient rien. Il n'est pas besoin d'insister sur la théâtralisation des situations personnelles que la presse décrivait "avant" et "après" avoir "triomphé". Schoenbaum commente:
"Etant donné que la moitié des lauréats provenait des familles de salariés et que 80% de ceux-ci n'avaient pas atteint le niveau de l'enseignement secondaire, le régime réussit, du moins par ces moyens, à faire sur le plan de la propagande une glorification spectaculaire de ses classes laborieuses." (26)
Toute cette "glorification indifférenciée du "travailleur" reposait sur une invocation incessante de la mobilité sociale, mettant agressivement l'accent sur l'égalisation sociale" (28). Comme dans tous les autres domaines, l'exemple de Hitler en personne était avancé. Comme tout régime de travail, il n'y a rien de meilleur que démontrer que son meilleur représentant est un travailleur qui vient de la "classe laborieuse". Et ici Hitler gagnait tous les prix (29). Dans le parti national-socialiste était récité un véritable catéchisme qui disait ainsi: "quelles professions a exercé Adolf Hitler?" Réponse: "Adolf Hitler a été ouvrier du bâtiment, artiste et étudiant". Et chaque fois qu'il le pouvait (et que l'auditoire le lui demandait!), Hitler rappelait sa qualité "d'ouvrier exemplaire et persévérant":
"Moi aussi dans ma jeunesse, j'ai été ouvrier, et petit à petit je me suis hissé au sommet à force de travail, d'étude et aussi, je crois pouvoir le dire, de faim." (30)
"... le 3ème Reich proposait une idéologie du travail, faisant appel simultanément et en proportions égales à la fierté, au patriotisme, à l'idéalisme... L'élément central du système était une éthique du travail reposant, non pas tant sur les travailleurs, que sur le travail lui-même... L'un des motifs préférés de l'art officiel était celui que l'on retrouvait dans la gigantesque sculpture de José Thorak pour un monument d'autoroute avec, en guise de Sisyphe, trois colosses musclés soulevant un énorme rocher. Les plus grandes entreprises édifièrent même des chapelles dont la travée centrale aboutissait à un buste d'Hitler, placé sous l'emblème du Front du Travail, flanqué de personnages prolétariens de dimension héroïque: c'étaient de véritables petits temples au Dieu national-socialiste du Travail." (34)
C'est dire que, comme pour Staline, ou tant d'autres de ses successeurs actuels, le héros travailleur n'est pas celui qui lutte contre sa propre condition, qui conspire et qui, comme tel, existe tel qu'il s'est toujours présenté dans l'histoire, grand ou petit, avec des lunettes ou sans, femme ou homme, en bleu de travail ou en cravate, immigrant ou "national", vieux ou jeune, rachitique ou gros,... mais c'est la bête laborieuse, celui qui soutient avec la force de ses bras tout le régime, le baraqué, exactement le même personnage que mettent à la mode tous les régimes de travail forcé (macho, jeune, fort, national, nationaliste, travailleur (35)). La publicité délivre également partout dans le monde ce même type d'archétype de l'ouvrier beau, jeune, pétant de santé et costaud.
Hitler pouvait se vanter de maintenir tous les mythes qui permirent une importante augmentation de l'exploitation dans son socialisme nationaliste:
"le peuple travaille avec décision et allégresse et il sait qu'il ne s'engage pas dans une lutte pour le capital de quelques égoïstes, mais pour le bien-être de la collectivité." (36)
Le plus grand succès de la KdF était son organisation de tourisme pour les travailleurs. Ici aussi tous les travailleurs et socialistes patriotes postérieurs ne sont guère que de vulgaires imitateurs. La KdF parvint à organiser le temps libre de millions de travailleurs en les envoyant en vacances organisées (il n'y a pas besoin de beaucoup d'imagination pour se faire une idée de celles-ci!) et en portant le secteur du tourisme, grâce au tourisme subventionné, vers une expansion sans précédant dans le monde. Son expansion, provoquée par les nécessités du capital industriel, se répercutait favorablement dans l'industrie étant donné que la KdF impulsera l'industrie des transports, à travers la construction de deux énormes paquebots et le développement de l'industrie automobile, appelée KdFwagen et plus tard Volkswagen. Comme on le sait tout cela servait directement à la préparation de la guerre et plus tard à la guerre elle-même (37).
A travers la promesse de popularisation des autos (qui en grande partie ne cesse pas d'être nominale) et surtout du tourisme, qui à l'époque étaient considérés comme les symboles de la richesse, comme les possibilités exclusives de la bourgeoisie, le nazisme sema l'illusion de la disparition des classes. Ce mensonge énorme et absurde que tous les grands représentants du régime se chargeaient de propager était cependant profondément enraciné dans la société allemande. A propos du tourisme, R. Ley déclarait:
"Le travailleur comprend parfaitement que nous voulons vraiment élever sa position dans l'échelle sociale. Il voit bien que ce ne sont pas les classes prétendument cultivées que nous envoyons représenter la nouvelle Allemagne à l'étranger, mais bien le travailleur allemand lui-même, dont nous faisons notre messager dans le monde entier."
Et à la Conférence Internationale sur la politique des loisirs et des temps libres (38), Ley déclarait officiellement:
"Il n'y a plus de classes en Allemagne. Dans les années à venir l'ouvrier perdra les dernières traces des complexes d'infériorité que peut lui avoir laissé le passé." (39)
Mais comme dans n'importe quel autre régime socialiste patriote qui cherche la plus grande exploitation et la meilleure chair à canon pour la guerre impérialiste, les dirigeants ont une conscience claire de ces objectifs, et il y en a quelques uns qui, de temps en temps, ont le courage, ou l'inconscience, de les divulguer. Ainsi Starcke, attaché de presse du Front du Travail déclare avec la plus grande désinvolture:
"Nous n'envoyons pas nos ouvriers en croisière sur nos propres bateaux et nous ne construisons pas de grands équipements de vacances au bord de la mer pour le plaisir, ni pour nous-mêmes, ni pour tous ceux qui ont la chance d'en profiter. Nous le faisons parce que nous voulons maintenir en bon état la force de travail de l'individu pour qu'il reprenne son poste avec des forces renouvelées." (40)
Dès lors, il travaille le moins possible et s'il le peut, il ne travaille pas, ou quand cela se révèle possible, il travaille en essayant au moins de vivre un peu (si cette vie atrophiée peut s'appeler "vie"), il s'attarde aux toilettes, fume une cigarette, "dérègle" la machine, essaye de communiquer avec un autre travailleur, ralentit le rythme, essayant toujours -et à l'encontre des faits- de se comporter comme un homme et non comme une machine, comme s'il pouvait retrouver une existence humaine en communiquant avec un autre quand le chef ne le voit pas, durant les pauses du travail, ou en cachette aux toilettes. L'un s'absente quand c'est possible, l'autre tombe "malade"; il lui vient subitement un mal de dents, de tête, ou aux épaules, mal que personne ne peut vérifier (ce n'est pas toujours une invention, parce que parfois par dégoût du travail, l'un ou l'autre finit par se blesser gravement) et tout confirme que ce sont les lundis matins et les lendemains de vacances pendant lesquels les travailleurs tombent le plus souvent malade.
L'absentéisme va en se généralisant dans tous les endroits du monde, les saboteurs de la production sont dénoncés, répondant comme ils peuvent à toutes les inventions pour augmenter le rythme de travail; dans toutes les usines et bureaux, des milliers de contre-inventions se sont développées pour les contrecarrer...
Ne pas voir dans ces faits apparemment sans lien une lutte obscure, mais ô combien réelle, entre les deux classes antagoniques de la société, serait se fermer les yeux; dans chacun de ces actes s'opposent la lutte contre le travail pour la société communiste, contre le maintien de l'esclavage salarié.
Tels sont les faits, indiscutables, vivants, qui démontrent la putréfaction d'une société basée sur le travail, et la haine qui se concentre contre celle-ci en chacun de ses esclaves salariés... comme c'est aussi un fait que la "fainéantise", la "paresse", qui dans le fond ne sont que de timides tentatives de résistance humaine et intuitive contre le travail, sont chaque fois plus considérées comme des délits, pour ne pas encore parler des camps de travail destinés aux "parasites sociaux" ou aux "délinquants dangereux", ce qui à Cuba est par exemple le synonyme de ceux qui sabotent la production.
Cependant, dans la phase actuelle de contre-révolution de laquelle le prolétariat a beaucoup de mal à se défaire, ces faits ne sont pas encore assez souvent globalisés. Même ceux qui font leur possible, qui vivent en escroquant chefs, patrons, Etat, ne sont pas capables de comprendre la portée révolutionnaire de leur propre action, et dans certaines circonstances, ces mêmes types non seulement ne se joignent pas aux revendications ouvrières et à la lutte, mais même le mot d'ordre révolutionnaire "contre le travail" leur paraît sans signification et, quand ils vantent une autre personne, ils ont recours aux slogans bourgeois du genre "c'est un brave homme, c'est un travailleur", "c'est un travailleur exemplaire"...
Tous les jours nous rencontrons dans notre vie quotidienne des exemples pareils, dans lesquels il se trouve des personnes pour se prendre la tête en clamant qu'il s'agit d'"un mensonge". L'action contre le travail bien qu'elle soit socialement massive se fait seule ou avec un petit groupe (41). La conscience des travailleurs reste en général atrophiée par l'idéologie bourgeoise du travail, et les acteurs même de la lutte contre le travail, condamnent cette dernière quand il leur est dit ouvertement qu'ils se battent d'abord et avant tout contre le travail.
Mais il n'y a pas lieu d'avoir peur de cette situation. Au contraire, c'est la situation de toujours dans laquelle luttent les communistes, contre le courant, contre la pensée et la conscience des majorités, mais pour l'action et les intérêts de celles-ci, cherchant à rendre conscientes les méthodes de lutte qui surgissent spontanément. Le plus important, pour être précisément subversif, c'est de mettre en évidence que dans ces actes isolés de sabotage du travail que nous vivons quotidiennement, est enfermée la puissance révolutionnaire qu'il est nécessaire de libérer pour faire voler en éclats toute cette société. C'est pourquoi il est impérieux aujourd'hui, non seulement de lutter pour travailler moins, mais de crier clairement "à bas le travail!", "vive la lutte contre le travail!".
Quand des révolutionnaires disent "vive le prolétariat!", il ne s'agit pas simplement de quelque chose de différent mais de l'exact opposé, tant dans ses prémisses que dans son contenu et ses conséquences! Comme prémisse, car pour vivre, le prolétariat doit lutter. En effet, si pour les "marxistes" le prolétariat représente la somme sociologique des hommes qui travaillent, pour nous le prolétariat existe dans son affrontement avec la bourgeoisie, et cette opposition existe dans la lutte générale pour la vie, depuis la production d'objets matériels jusqu'à l'organisation en parti et la lutte armée. Comme contenu parce que la vie du prolétariat ne se trouve pas dans le travail, parce que le prolétaire vit en reconnaissant, chez lui-même et ses camarades, des être humains, et il ne peut le faire que dans la lutte contre le travail. Enfin comme conséquence, car le prolétariat, contrairement à la bourgeoisie, n'a pas d'intérêt à prolonger son existence, mais au contraire, contient son existence comme opposition au Capital. Son développement, jusqu'à sa transformation en classe dominante, a pour objectif la suppression de toutes les classes et par conséquent son auto-suppression.
En résumé, tandis que les vivats adressés au prolétariat par nos ennemis sont des cris signifiant "vive la situation actuelle des prolétaires", le "vive le prolétariat" des communistes signifie: "vive l'organisation du prolétariat en classe, en classe dominante pour sa propre suppression, pour liquider totalement la situation actuelle, pour abolir le travail salarié, pour que l'activité productive cesse une fois pour toutes d'être du travail et devienne la vie humaine, pour que l'humanité puisse enfin commencer sa véritable histoire comme communauté humaine".
A propos des mots d'ordre de:"défense
du travail"
"défense
du poste de travail"
"défense
de l'entreprise"
"défense
de l'économie nationale"
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L'intérêt du prolétaire, c'est de satisfaire ses besoins humains, de s'approprier une part moins misérable du produit social, d'être moins dépossédé du produit de son travail (l'intérêt du prolétariat, en tant que classe, est clairement de s'approprier tout le produit social --passé et présent--, d'abolir l'exploitation, l'Etat et de s'auto-supprimer en tant que classe en abolissant toutes les classes sociales). Quand la bourgeoisie licencie, le prolétaire a pleinement conscience de ce que ça le sépare toujours plus de ses moyens de vie et que dès ce moment, il sera toujours plus privé que par le passé de ce dont il a besoin. Les militants révolutionnaires connaîtront toujours des difficultés pour pouvoir exprimer nos intérêts en mots d'ordre clairs, percutants et agitatoires. Cette difficulté est relativement simplifiée lorsque sont directement revendiquées des choses comme par exemple, du "pain" dans la Russie révolutionnaire, des "logements" dans le Chili d'Allende ou encore à Naples, il y a plus de dix ans; dans ce cas, l'intérêt du prolétariat s'exprime directement pour ce qu'il est, avec toujours la même conséquence, une attaque directe contre la propriété privée, car la cause de toutes les privations des prolétaires, c'est bien le fait qu'ils soient privés de tous les moyens de vie et de leur production.
Mais dans la majorité des cas, l'intérêt du prolétariat est filtré par l'idéologie dominante et camouflé par ses agents, spécialement les syndicalistes, les journalistes, par le biais d'un ensemble de médiations qui apparaissent au prolétariat comme nécessaires (dans le sens qu'il doit en être ainsi), le défigurant jusqu'à le transformer en son contraire: la défense du travail, de l'entreprise, de l'usine,... Il est important d'expliquer ce processus de transformation idéologique par lequel l'attaque de la propriété privée est récupérée et transformée en son contraire, c'est-à-dire en la défense de la propriété privée de nos propres exploiteurs, parce que bien qu'il faille toujours différencier la lutte réelle du prolétariat, basée sur ses intérêts, des drapeaux ou mots d'ordre qui émergent, ceux-ci se transforment objectivement en faiblesses de cette lutte. En effet, la lutte du prolétariat où s'expriment des drapeaux bourgeois est facilement récupérable et détruite en tant que telle; les drapeaux bourgeois impliquent dans toute lutte ouvrière une faiblesse (presque toujours) mortelle.
Ce qui d'emblée apparaît au prolétariat comme naturel, c'est que pour obtenir les moyens de vie dont il a besoin, il ne peut les prendre à ceux qui les détiennent, alors que ce qui serait naturellement plus humain, c'est-à-dire s'emparer de ce dont il a besoin pour satisfaire ses nécessités en tant qu'être humain, ne lui passe même pas par la tête (et si tel est le cas, il en est immédiatement dissuadé par tout l'appareil de terreur étatique). Dans la dissociation brutale entre les moyens indispensables à sa survie et son être, dans cette séparation bestiale et sanguinaire, le prolétariat n'y voit pas d'agression mais quelque chose de "naturel". Cette naturalisation de la relation sociale de privatisation est le produit de siècles d'exploitation et de la transmission de générations en générations de l'idéologie de la propriété privée.
L'absence de conscience vis-à-vis de l'aliénation pratique développe pratiquement la conscience aliénée. Avec la même naturalité sociale qui assimile cette séparation, l'argent est accepté en tant que médiation indispensable; c'est-à-dire que de la même manière qu'apparaît naturel à l'espèce humaine de ne pouvoir utiliser les moyens de vie dont elle a besoin, qu'elle produit et qui sont à la portée de ses mains, elle considère naturel que pour en jouir il faille disposer d'argent pour les acheter. Une relation sociale historique aussi spécifique que l'argent devient ainsi naturelle et nécessaire. Dans la mesure où l'argent apparaît indispensable pour se procurer les moyens de vie, il apparaît alors comme le symbole de tous les objets de la vie, et de la vie elle-même.
Cependant la question ne s'achève pas là car si l'argent représente pour le prolétaire une médiation nécessaire, celui-ci n'en possède pas. Et n'importe quel prolétaire sait -même si son aliénation ne lui permet pas de saisir plus- que pour se le procurer (en faisant de nouveau abstraction de l'attaque générale -la révolution-, ou particulière -la récupération-, à la propriété privée), il n'a pas d'autre recours que d'aller travailler. Cela n'implique pas seulement le fait d'être disposé à vendre sa marchandise force de travail (des centaines de millions de prolétaires n'en trouvent d'ailleurs pas d'acheteurs) mais aussi de rencontrer un acheteur, quelqu'un donc effectivement disposé à lui remettre de l'argent pour la vente de la seule chose qu'il possède: sa force de travail.
Non seulement il considère naturel de ne pas s'approprier ce dont il a besoin et qui est sa création propre et exclusive (1), non seulement il considère l'argent naturellement nécessaire, mais c'est maintenant jusqu'à son travail, de fait la torture, qui le sépare de son activité réellement humaine (2), qui apparaît comme quelque chose d'indispensable, d'inhérent à la réalisation de sa vie. L'aliénation de sa vie, la vente de soi-même et de son humanité, devient dès lors du point de vue de la conscience aliénée un acte de liberté, de liberté de vendre sa force de travail. Les syndicalistes, les politiciens... ne font rien d'autre que façonner dans de jolis mots d'ordre cette conscience aliénée: "Défendons le travail", "Luttons pour le travail libre" (3), "Nos lois garantissent la liberté de chacun",...
Il est évident que le prolétaire est pour le moins conscient de ne pas travailler parce que tel est son désir, mais plutôt parce qu'il n'a pas d'autres solutions (4), que le travail n'est pas la réalisation de sa vie mais un moyen indispensable pour vivre et que ce qu'il associe à sa véritable vie est toujours hors du travail; pourtant, cela ne l'empêche pas de considérer le travail comme une médiation nécessaire pour posséder les objets dont il a besoin pour vivre.
Dans beaucoup de cas, la conscience aliénée va encore plus loin. Pour vivre, il faut consommer; pour consommer, il faut pouvoir acheter; pour pouvoir acheter, il faut disposer d'argent; pour disposer d'argent, il faut travailler; pour travailler, il faut rencontrer un patron prêt à acheter le force de travail,... mais la possibilité qu'il y ait des patrons disposé à acheter la force de travail dépend de la rentabilité de l'entreprise, du bon fonctionnement de l'économie nationale... C'est ainsi qu'à toutes ses médiations s'en ajoutent d'autres qui finissent par faire de l'esclave salarié le plus servile défenseur non seulement de l'esclavage en général (vive le travail!) et par conséquent, des intérêts historiques de la bourgeoisie (la perpétuation du système d'esclavage salarié), mais aussi des intérêts immédiats de son ennemi immédiat, son patron, son exploiteur, la fraction nationale du Capital qui l'exploite: "Défendons l'entreprise", "Prenons soin des machines", "Pas trop de revendications sinon l'entreprise pourrait fermer", "Sacrifions-nous pour l'entreprise et pour l'économie nationale", "Produisons français". Le patron, le syndicaliste, le politicien n'ont en réalité même pas à argumenter que toutes ces médiations sont considérées comme nécessaires pour obtenir "un bon travail", ce travail pour obtenir de l'argent, de l'argent pour se procurer les moyens de vivre,... car des siècles et des siècles de production de conscience aliénée font de chacune de ces médiations (en réalité fausses, ou non nécessaires du point de vue historique) quelque chose d'aussi naturel que la rencontre du spermatozoïde et de l'ovule permettant la reproduction de l'espèce humaine, impliquant l'existence d'hommes et de femmes.
Lorsque l'entreprise ou la mine ferme ou menace de le faire car elle n'est plus rentable, la société des ouvriers porteurs de cette conscience aliénée atteint des niveaux suprêmes. "La défense du travail", "du poste de travail",... "de l'entreprise" se concrétise par d'autres propositions de sacrifices. L'expérience récente nous a montré que même lorsque surgit une véritable lutte prolétarienne en riposte à une fermeture d'usine dans une période comme celle que nous traversons, cette lutte ne s'assume pas pour ce qu'elle est réellement, une lutte contre l'augmentation de la misère ouvrière et, que de manière presque générale, persiste parmi les ouvriers en lutte, cet ensemble de mots d'ordre typiques du prolétariat aliéné, c'est-à-dire propres à une classe dominée reproduisant l'idéologie de sa propre domination et exploitation.
Une fois exposé le processus de naturalisation idéologique par lequel la conscience aliénée assume la privatisation et l'aliénation comme quelque chose de nécessaire et de naturel, et mis en évidence l'ensemble des médiations qui étant des produits historiques précis se consolident idéalement en tant que médiations éternelles et indispensables entre l'homme et la satisfaction de ses besoins, nous devons nous demander quel est le devoir des militants révolutionnaires dans telles situations face à de tels mots d'ordre?
Les communistes participent à tout mouvement prolétarien même s'ils s'opposent (et ils doivent le faire ouvertement en critiquant sans pitié toutes les expressions idéologiques de la bourgeoisie au sein du mouvement prolétarien, parce qu'en cela se joue l'avenir du mouvement) aux drapeaux ou aux dirigeants formels qui, en général, sont l'expression non du mouvement réel, mais des drapeaux. Cela signifie que si le mouvement continue à lutter contre le patron qu'il a en face de lui, contre l'Etat, contre le Capital en général... malgré qu'il s'exprime sous des mots d'ordre tels "défense du poste de travail", il reste vivant et l'essentiel est une question de direction, de perspective. Mais, ces mots d'ordre finissent presque toujours par tuer le mouvement. Quand la conscience aliénée commence à dicter toutes les actions et que le mouvement se transforme réellement en la défense de l'entreprise, de la mine, de l'économie nationale, en l'acceptation de sacrifices,... la rupture avec les révolutionnaires est totale et le maximum auquel ils peuvent alors aspirer, c'est de gagner un petit groupe de militants, et de commencer un bilan sur la vie et la mort du mouvement.
Mais encore faut-il se demander si, dans le mouvement même, les révolutionnaires critiquent de manière égale tous les mots d'ordre incorrects, ou dit autrement si entre les différents drapeaux que nous avons pu mentionner dans ce texte, tous sont de la même manière néfastes pour le prolétariat. La réponse est négative; il y a différents niveaux d'aliénation de la conscience qui correspondent aux différentes médiations que nous avons analysées.
Les intérêts immédiats et les programmes historiques des deux classes sociales s'affrontent en polarité. Les mots d'ordre totalement corrects du point de vue révolutionnaire sont ceux qui exposent sans détour, ouvertement et directement, les nécessités prolétariennes (et par conséquent humaines), donc lorsqu'aucune médiation n'est acceptée comme naturelle, mais bien comme historique et maintenue directement par l'Etat. Dans ces cas, la propriété privée et l'Etat sont directement attaqués et la polarisation sociale entre révolution et contre-révolution est inévitable. A l'extrême opposé, toutes ces médiations sont considérées naturelles, les esclaves défendent leur esclavage, les moyens de leur esclavage et jusqu'aux esclavagistes. Pire encore, la défense de l'entreprise, de l'économie, les auto-sacrifices augmentent la concurrence que se font les ouvriers entre eux, augmentent le taux d'exploitation mondial et détruisent le prolétariat comme classe, le transformant en une multitude d'atomes du Capital qui s'entre-tuent (le capitalisme est la guerre de tous contre tous!).
Mais le plus difficile, ce qui a posé les plus grands problèmes aux militants, ce sont les cas intermédiaires. Quand dans leur lutte contre le Capital, les prolétaires, au lieu de lutter directement contre l'exploitation, cherchant à s'approprier une part plus grande du produit social et attaquant massivement la propriété privée, réclament plus d'argent (augmentation des salaires, des allocations de chômage, des allocations sociales,...), alors les mots d'ordre correspondent au contenu prolétarien du mouvement, les intérêts du Capital sont de toutes manières attaqués et les intérêts du prolétariat sont revendiqués. Comme tel, le développement de cette lutte et de ces mots d'ordre contient la lutte révolutionnaire (5). Mais il ne fait pas de doute que l'acceptation de ces premières médiations comme naturelles est une faiblesse certaine que nous devons critiquer et corriger, et qui ont dans la pratique un ensemble de conséquences qui peuvent être néfastes.
En premier lieu, lorsque la médiation de l'argent est admise, il y a une tendance toujours présente à accepter les autres médiations que nous vivons. En second lieu, la revendication même fait apparaître celui qui accepte de faire une concession --patron ou Etat-- non plus comme quelqu'un qu'il faut détruire mais comme un interlocuteur. En troisième lieu et dérivant de ce qui précède, particulièrement dans le cas des allocations de chômage ou de la sécurité sociale, l'Etat apparaît même comme une médiation nécessaire pour obtenir ce dont nous avons besoin (tenons compte que dans le passé ce genre de miettes pour maintenir la force de travail n'étaient pas versées par l'Etat, mais dépendaient de la solidarité interne au prolétariat). En quatrième lieu, l'expression en argent par opposition à l'expression en part du produit social contient un ensemble de défigurations idéologiques propres qui tendent à convaincre le prolétaire qu'il a amélioré sa situation alors qu'en réalité, elle a empiré (6). Ce dernier point, d'une énumération qui n'est pas exhaustive, n'est pas pour autant le moins important: le salaire en argent peut être augmenté alors que diminue le salaire en objets (dû à l'inflation, problème entre salaire nominal et salaire réel); de même, le salaire en objets peut augmenter dans le même temps où le taux d'exploitation s'accroît, ce qui implique une diminution de la participation du prolétariat au produit social (dû à l'augmentation de la productivité du travail approprié par le Capital, problème entre salaire réel -et nominal- et salaire relatif). Face à tout cela, les militants révolutionnaires (7) agissant dans ces mouvements, n'oublient jamais la critique et l'affirmation des intérêts de l'ensemble de la classe (la lutte contre la propriété privée, pour l'abolition du travail salarié), en même temps qu'ils critiquent toute fixation possible sur ces mots d'ordre insuffisamment clairs. En ce qui concerne spécifiquement le salaire, la lutte pour l'augmentation des salaires (8), le militant révolutionnaire dénonce les pièges grossiers (augmentation des salaires nominaux) ou subtils (augmentation des salaires réels) qu'utilise la bourgeoisie pour faire passer une augmentation du taux d'exploitation et de la misère sociale de l'ouvrier comme si c'était une augmentation de son bien-être et axe son action et ses mots d'ordre sur l'exigence d'une attaque réelle contre le taux d'exploitation, seule lutte réelle du prolétariat qui dans le même temps porte jusqu'à ses dernières conséquences la lutte pour l'augmentation des salaires, rendant son caractère inséparable de la lutte pour l'abolition du salariat.
Si nous passons du pôle prolétarien, des mots d'ordre ouvertement prolétariens aux mots d'ordre bourgeois ouvertement contre-révolutionnaire, donc si nous avançons en incorporant ces médiations qui dans la conscience aliénée apparaissent comme naturelles, il y a nécessairement un point, un moment où se produit un saut qualitatif. Nous ne prétendons pas que les mots d'ordre en soi qui surgissent de cette conscience soient ou bien la garantie prolétarienne, ou bien la garantie contre-révolutionnaire, nous avons déjà exemplifié qu'il peut y avoir un mouvement prolétarien avec des mots d'ordre totalement bourgeois. La difficulté réside par conséquent dans le fait de situer le saut de qualité par lequel une lutte prolétarienne est liquidée et où les ouvriers en mouvement se transforment objectivement en agents du Capital, non seulement dans le sens productif (ce qui est toujours le cas) mais aussi dans le sens de la défense de l'esclavage salarié et des intérêts immédiats de la bourgeoisie (défense de sa propriété privée, de ses moyens de production, de son taux d'exploitation). Et en particulier, situer à chaque moment spécifique de la lutte de classe, ce saut de qualité sans le faire dépendre linéairement des mots d'ordre et en même temps en considérant les mots d'ordre comme part du mouvement réel.
Ainsi, par exemple, quand sont revendiquées la "défense du travail", "la défense de l'entreprise", "la défense de la mine", le mouvement (s'il y en a encore un) se tue. Et il faut dénoncer cela clairement, c'est une des tâches les plus importantes des révolutionnaires qui participent à la lutte. Mais nous insistons sur le fait que nous avons vu apparaître mille fois des mots d'ordre bourgeois au sein des mouvements objectivement prolétariens contre la bourgeoisie.
Quand l'ouvrier crie "défense du travail", "défense de l'entreprise",... (comme nous l'avons vu à travers l'analyse des médiations), ce qui l'intéresse vraiment n'est pas le travail, contre lequel bien souvent il crache toute la journée, ou la sombre tombe qu'est pour lui la mine ou l'entreprise, mais ce dont il a besoin pour vivre mieux. Pourtant, il ne vas pas s'enhardir jusqu'à proclamer ses propres intérêts, la société lui a appris que cela ne se fait pas. Le syndicaliste radical, le gauchiste, le trotskyste, dira que même si ces mots d'ordre ne sont pas les meilleurs, il vaut mieux s'en tenir à eux "parce que sinon nous allons nous isoler des masses"(!!??), ou parce que l'opinion publique accepte mieux le fait "qu'ils ne revendiquent pas pour leurs intérêts égoïstes, mais bien pour les intérêts de toute la nation". Le devoir des révolutionnaires est précisément l'inverse, faire en sorte que le mouvement assume ses propres intérêts. Cela n'a rien à voir avec la prétendue transformation d'une lutte économique en une lutte politique, ni avec l'introduction de la conscience politique dans la lutte économique comme le préconise la social-démocratie dans toutes ses variantes, mais de rendre conscients dans la lutte même des intérêts réels que contient ce mouvement pour les nécessités prolétariennes.
Lorsqu'il y a réellement un mouvement prolétarien contre le Capital (on ne peut transformer une non lutte ouvrière en une lutte ouvrière par l'introduction de n'importe quel type d'idées!!), le problème-clé du mouvement est de s'assumer en tant que tel, de rompre avec toute la toile d'araignée idéologique. Réapparaît ainsi le problème de savoir quels mots d'ordre opposer à ceux de la bourgeoisie. La réponse, nous l'avons faite apparaître à travers tout le texte. Tous les mots d'ordre bourgeois partent d'une présentation naturelle et logique de ce qui est social et, en termes humains, absurdes, et tout au contraire, les mots d'ordre qui font avancer la lutte sont ceux qui, même s'ils apparaissent socialement comme illogiques et absurdes, partent des nécessités du prolétariat en tant qu'être humain, et donc de tout ce qui signifie l'amélioration réelle du prolétariat en tant qu'être humain, et donc de tout ce qui signifie l'amélioration réelle de son niveau de vie, au détriment de la bourgeoisie et de l'économie nationale.
La réponse n'est par conséquent pas compliquée. C'est au contraire la contre-révolution qui complique tout: elle réussit à nous présenter comme illogique et absurde jusqu'à nos propres besoins et tout ce qui nous fait souffrir aux plus profonds de nos tripes, et en même temps, elle nous montre comme ce qu'il y a de plus naturel et humain, notre sacrifice sur l'autel de l'économie nationale.
La réponse se trouve, pour l'exprimer brutalement, dans les tripes de tous les prolétaires qui luttent. Les mots d'ordre et les drapeaux corrects varieront au gré des circonstances, mais ils ne peuvent jamais consister à accepter ces médiations comme naturelles, à accepter le sacrifice des besoins, tout au contraire, ils seront l'expression effective de ces besoins.
S'accrocher aux besoins humains, contre toute tentative de la part des intellectuels bourgeois d'introduire la conscience dans les rangs prolétariens, ce n'est pas seulement la ligne d'action qui conduit à la révolution, mais ce qui dicte aux militants révolutionnaires la manière d'agir.