Et malheur à ceux qui mettent en doute cette euphorie triomphaliste à propos du bien-être futur de l'humanité, euphorie basée une fois de plus sur l'illusion de la fin de la lutte de classes... Pour ceux-là, la réponse de l'Etat démocratique, en Occident et en Orient, au Nord et au Sud, a été, reste et restera le terrorisme d'Etat.
On n'a jamais autant parlé d'"échec de la révolution", d'"évolution du socialisme vers la démocratie" et de la "fin du communisme". Mais dans la vie réelle, on ne peut pourtant vraiment plus dissimuler qu'il s'agit à chaque fois d'un même ajustement des ceintures que partout, le capitalisme tente d'imposer. Hier, c'était en parlant des "acquis de la révolution" et en se peignant en rouge que le capitalisme imposait plus de misère, plus de travail et plus d'exploitation; aujourd'hui, les mêmes capitalistes, pour sauver leur capitalisme peint en rouge et leur fameuse "économie internationale", n'ont pas assez de mots pour parler de "l'échec" de leur pseudo-révolution.
Diplomatie et spectacle, discours interminables, conférences, réunions bilatérales et multilatérales, réception de ministres, de présidents et de papes,... Toute cette incroyable mise en scène est relayée par les moyens de fabrication de l'opinion pour nous vendre "le meilleur des mondes" dans lequel tous trinquent à une société du futur, faite de paix, de démocratie et de responsabilité, et où la lutte de classe et le communisme aura été enterré pour toujours,... Mais pour cela, ils disent qu'il faut se sacrifier maintenant, qu'il faut retourner au travail, respecter l'ordre et la démocratie,... et manger un peu plus de merde!!!
Non, la situation n'est pas uniquement explosive en Amérique Latine, au Moyen Orient et en Afrique du Nord, régions qui sont caractérisées ces dernières années par de constantes révoltes prolétariennes. En Orient, mais aussi tout spécialement dans l'ensemble des pays d'Europe de l'Est, la crise du capitalisme est arrivée à un tel niveau d'explosion potentielle qu'elle pousse la bourgeoisie à tenter d'imposer sa vieille politique (l'unique politique en période de crise!) de serrage des ceintures accompagné du vieil artifice de la "démocratisation". Et demain, le caractère explosif de la situation dans ces endroits se retrouvera également en Amérique du Nord, dans le reste de l'Afrique et de l'Europe,... et partout dans le monde, avant la généralisation de la catastrophe capitaliste, que les prochaines explosions financières et dépressives rendront inéluctables.
Et pendant que dans les bals d'ambassades et les cocktails de ministres, les généraux, les chefs de syndicats et de partis politiques, les curés et les ayatollahs lèvent leurs verres et fêtent la fin du communisme et de la lutte de classe, le communisme --le seul et véritable communisme existant!-- réémerge lui, dans chaque révolte du prolétariat. Il n'existe (ni n'a jamais existé!) pas plus de communisme en Chine qu'en Argentine ou au Venezuela.
En Russie ou en Hongrie, la société était et est tout aussi capitaliste qu'au Mexique, ou qu'en Espagne. La contradiction existant entre le prolétariat et la bourgeoisie est exactement la même en Colombie, à Cuba, au Brésil ou en Roumanie. Le communisme est une société sans classes sociales, sans exploités et sans exploiteurs, sans travail salarié, sans marchandise, sans Etat... Le communisme n'a donc rien à voir avec ces caricatures idéologiques qu'on nous vend comme telles. Le communisme n'appartient PAS au passé pas plus qu'il n'a été "dépassé" comme le serine la presse bourgeoise. Il se trouve devant, dans le futur, en tant que négation violente de la catastrophe capitaliste que nous subissons.
Ce qui a été aujourd'hui barré de l'histoire n'est pas le communisme mais bien une forme particulière de gestion du Capital. La crise du système est une, et cela malgré le fait qu'elle se manifeste sous la forme de catastrophes successives, régions par régions, pays par pays; c'est ce qui fait d'ailleurs que la politique économique que certains rejetaient hier comme "monétariste", est aujourd'hui appliquée --au nom du réalisme-- par ceux-là même qui la dénonçaient. L'identité de crise oblige à l'identité de politique et laisse peu de marge de manoeuvre. Même les discours se font monotones et identiques: Gorbatchev récite sans honte les mêmes chapelets que Thatcher, Walesa patronne le même serrage de ceinture qu'Andrès Perez, et tout comme ce dernier, fera sans doute aussi bientôt tirer sur les prolétaires. Fidel Castro, Carlos Menem et Alan Garcia répètent les mêmes vieilles promesses pour imposer les sacrifices et sauver la nation; quant à Deng Xiao Ping, il chante les mêmes couplets qu'entonnaient hier Khomeiny et Pinochet pour appeler à la "reconstruction nationale", une fois imposée la paix des tombes.
L'époque actuelle se caractérise pour ce qui concerne l'économico-social, par la simplification de tous les conflits et la délimitation chaque fois plus claire de deux camps ennemis: celui de la préservation de la société capitaliste actuelle et celui de la révolution communiste, celui de l'ordre démocratique et de l'Etat, d'un côté, et celui de la révolte prolétarienne et de la réémergence du communisme, de l'autre côté; mais l'époque actuelle se caractérise également par la confusion de tout avec tout.
Le communisme qui nous intéresse, le seul qu'il soit sensé d'appeler ainsi, celui du futur, celui qui existe dans les luttes et les révoltes prolétariennes en tant qu'objectif final, personne ne le nomme par son nom; il est comme suspendu et n'existe pas comme drapeau de la lutte prolétarienne actuelle.
L'époque actuelle se caractérise principalement par la faiblesse des drapeaux que le prolétariat lève dans sa lutte et par le très faible niveau d'organisation et de concrétisation de son autonomie classiste dans les dizaines de révoltes prolétariennes qui ont éclaté ces dernières années. Les luttes que mène le prolétariat viennent irrémédiablement buter contre ces années d'infernale hégémonie de l'idéologie de l'individu bourgeois et de la démocratie, caractérisées par l'inexistence du drapeau de la révolution et du communisme dans les luttes ouvrières et par l'absence tout aussi tragique de discussions sur l'objectif final des luttes que nous menons aujourd'hui contre nos exploiteurs. En effet, bien qu'on ait chanté l'Internationale dans le cours de certaines révoltes (Chine, Allemagne de l'Est,...), cela ne s'est jamais fait en assumant conséquemment la rupture avec le Capital et l'Etat dans ces pays, ce qui permet que les récupérateurs de tout poil soulignent le caractère "bon enfant" d'un mouvement qui, réellement, n'arrive pas à la subversion de l'ordre actuel et qui dans le fond ne met pas en question la structure sociale et étatique du capitalisme.
Dans la grande majorité des révoltes, les drapeaux que dresse le mouvement sont même très explicitement bourgeois et complètement étrangers aux intérêts du prolétariat en lutte: démocratie, liberté individuelle, liberté religieuse, liberté syndicale, élections libres, multipartisme,...
Affirmons le clairement: tout cela n'est pas une simple contamination idéologique externe du prolétariat, comme se l'imagine tout puriste idéaliste; il s'agit du fait qu'effectivement, le prolétariat n'a pas réussi à s'autonomiser de la bourgeoisie et que l'ensemble des défaites subies à la suite de la vague mondiale de luttes des années 1968-1973, l'ont réellement transformé (en utilisant la vieille expression de Marx et Engels) en aile gauche de la bourgeoisie démocratique...
Il y a 20 ans, dans les révoltes prolétariennes en Chine ou en Argentine, des milliers de prolétaires organisés de façon autonome, mettaient à l'ordre du jour la dictature du prolétariat et discutaient comment détruire l'argent, la propriété capitaliste, le travail salarié, l'Etat,... Aujourd'hui, dans ces mêmes pays, la bourgeoisie domine à ce point le prolétariat qu'elle l'amène à ne réaliser que des révoltes contre la faim (incapables de se doter de directives révolutionnaires) ou des luttes dans lesquelles l'objectif ne semble être que le changement de tel ou tel gouvernement. La presse révolutionnaire est quasi inexistante et ignorée par les prolétaires en lutte. Les murs eux-mêmes ne reflètent plus les consignes audacieuses et révolutionnaires d'il y a vingt ans, mais les mots d'ordre conservateurs et réformistes.
Le spectre du communisme hante le monde et dans chaque révolte prolétarienne s'exprime ce mouvement qui a pour objectif la destruction totale de l'ordre établi; mais cela ne rendrait service qu'à notre ennemi de faire une apologie aveugle du mouvement présent et de ne pas prendre conscience des faiblesses de notre classe, faiblesses soulignées en lettres de sang dans chaque défaite.
Dans le numéro précédent de "Communisme", nous avions présenté différents articles sur différentes révoltes prolétariennes qui ont brisé la sacro-sainte paix sociale internationale, ces deux dernières années (Birmanie, Argentine, Algérie). Nous présentons ici un texte à propos de la lutte et de la défaite des prolétaires en Chine, suivi de quelques commentaires à propos du caractère explosif de la situation en Europe de l'Est --et plus particulièrement, en Allemagne de l'Est-- et des chemins que la bourgeoisie emprunte pour empêcher l'éclosion d'un mouvement prolétarien. Dans tous ces textes, nous parlons des déterminations communes de ces révoltes, de leur caractère explosif, de la rapidité de la généralisation,... ainsi que d'un ensemble de faiblesses indiscutables du mouvement, quant à ses drapeaux, ses perspectives, son organisation, sa conscience,... La critique de ces faiblesses est une nécessité impérieuse et toute apologie acritique serait criminelle.
On nous dira que tous ces textes semblent coulés dans un même moule et de fait, si ce ne sont quelques différences réelles qui sont soulignées, il en est bien ainsi. Cela n'est pas uniquement dû au fait d'être le résultat d'un travail organiquement centralisé par le même cadre programmatique, mais bien principalement à la coïncidence de forces et de faiblesses du prolétariat partout dans le monde.
Dans la période actuelle, dans les luttes actuelles et à venir, le devoir des communistes, n'est pas d'idéaliser le prolétariat, mais, tout au contraire, d'agir au sein du mouvement présent en mettant en évidence les faiblesses qui l'empêchent de donner le saut qualitatif pour l'indépendance de classe et l'autonomie révolutionnaire; la tâche des communistes est de pousser par tous les moyens à une rupture classiste et de dénoncer toutes les idéologies bourgeoises que supportent les prolétaires, dénoncer toutes les tentatives de dissolution des avant-gardes révolutionnaires dans les majorités démocratiques de l'ensemble des ouvriers ou du peuple,... Il s'agit enfin, pour les communistes, sur base de la CRITIQUE CAMARADE, de mettre en évidence le fait que CHAQUE REVOLTE PROLETARIENNE --même si ses propres protagonistes n'en sont pas conscients-- CONTIENT LE MEME OBJECTIF FINAL: LE COMMUNISME.
Les prolétaires ont violemment exprimé, à travers toute la Chine, leur ras-le-bol de leurs conditions de vie et ce par le biais des manifestations, grèves, sabotages, réappropriations de nourriture dans les magasins, tentatives d'armement et fraternisations avec les soldats; mais le manque d'organisation autonome des prolétaires et l'absence de perspectives communistes données à la lutte, ont trop souvent ramené l'organisation de cette révolte sous les divers drapeaux tendus et lancés par la bourgeoisie de Chine et du monde entier; à savoir, la lutte pour leur sacro-sainte démocratie, la lutte contre les excès et autres dysfonctionnements du régime. Le fait que les prolétaires eux-mêmes aient porté et reproduit ces drapeaux bourgeois, exprime surtout la faiblesse d'une classe qui ne parvient pas à s'autonomiser, à défendre ses propres intérêts de classe, et qui tombe dès lors, dans la défense et le soutien de la fraction radicale, "plus à gauche", "réformiste" de la bourgeoisie.
A tout moment, se sont donc opposés dans ces affrontements:
* les intérêts non organisés et donc défaits du prolétariat;
* la résistance et la répression directe de la bourgeoisie, lesquelles furent amplement facilitées par les faiblesses de son ennemi dans la lutte.
La Chine en tant que pays producteur et reproducteur du système capitaliste, est en crise et ce, au même titre que tous les autres pays du monde (avec pour chacun d'entre eux des spécificités et une intensité propres en fonction des caractéristiques du pays: géographiques, historiques, sociales, économiques, etc...). L'Etat en Chine, et son porte-parole Deng Xiao Ping, ont été contraints d'y faire face par le biais de réformes, comme partout ailleurs dans le monde. Ces réformes, entamées il y a dix ans, ont été menées dans le cadre d'une campagne pour les "quatre modernisations" connectée à celle de la prétendue "ouverture sur le monde extérieur" -comme si l'Etat en Chine avait jamais été fermé au développement et à la participation au marché capitaliste mondial! Les réformes en Chine ont touché les secteurs de l'industrie, de l'agriculture, de la science, de la recherche et de l'armée, modifiant ainsi réellement une série de caractéristiques secondaires de la "Chine socialiste". Partout la bourgeoisie présente ces réformes comme "révolutionnaires", comme garantes du changement de fond en comble du vieux système "communiste". Mais si la bourgeoisie présente ces réformes de façon aussi spectaculaire, c'est bien parce qu'il ne s'agit pas de transformations fondamentales, dont l'objectif serait autre que l'éternelle course au profit.
Ces réformes n'ont fait que dégrader les conditions de vie des prolétaires de tout un continent par l'organisation accrue du système d'exploitation. La première vague de réformes a transformé les formes organisationnelles de la production agricole: à savoir, les vieilles structures de la "collectivisation" -les vieilles "communes" de Mao- qui assuraient l'illusion du plein emploi (avec bien sûr, de nombreux chômeurs) dans les campagnes et une grande mobilité de la force de travail, tout en garantissant un simple et efficace contrôle sur le prolétariat rural. Ces vieilles structures ont été largement éliminées et remplacées par "des systèmes de production agricoles de type familial", plus productives. Ces nouvelles formes d'organisation se définissent par une structure plus décentralisée mais plus coercitive de l'organisation de la production agricole. Le contrôle de l'Etat est assuré indirectement, par un cadre administratif (lequel, entre autres mesures, fixe les prix) et la tâche qui consiste à augmenter sans cesse la pression sur le travail est passée des mains des directeurs des "communes" à celles des directeurs des "fermes familiales".
Depuis, le mythe du "plein emploi" dans les campagnes, tant vanté jadis par l'Etat chinois, a craqué face à la cruelle réalité: 50 millions (!!!) de prolétaires ont quitté leur village et vivent comme des vagabonds sur les routes des campagnes, ou comme "squatters" (immigrants illégaux) dans les taudis des villes. Et même pour les familles plus fortunées qui sont parvenues à des revenus plus élevés cette augmentation a été, et reste largement neutralisée par l'inflation.
Pendant ce temps, la propagande officielle et la presse mondiale ont popularisé les réformes agricoles chinoises, les décrivant comme l'histoire d'un succès éclatant. La presse mondiale a spécialement mis en exergue l'existence et la multiplication de "paysans riches". La réalité est que, dans la plupart des cas, quelques familles de paysans sont parvenues au prix d'efforts disproportionnés à acheter quelques moyens de production, comme des camions. Cela leur a permis d'obtenir des revenus suffisants pour garantir la dynamique de leur propre exploitation. Dans d'autres situations, un certain nombre de "fermes familiales" qui ont "réussi", se sont directement réfugiées dans la spéculation ou dans des activités de "petit capitalisme" industriel ou encore dans le commerce.
En dépit de la publicité internationale bourgeoise (favorable ou défavorable!) autour de l'ancien système du "chacun son bol de riz en fer", la vague de distribution égalitaire n'a jamais existée en Chine: la différence -et en conséquence, la concurrence-- entre les prolétaires a toujours été encouragée par des méthodes sophistiquées de prétendus "avantages", telle la location de matériel aux individus, ou aux familles,... Pour l'ensemble du prolétariat agricole en Chine, de toute façon, le processus de réformes a mené à l'exacerbation de leurs problèmes: moins de sécurité d'emploi, baisse des salaires, d'avantage de pression sur un travail dur; bref, les réformes ont signifié pour les prolétaires une véritable et effective "modernisation", et cela dans le sens le plus terroriste du mot. La situation des prolétaires s'est à tel point aggravée que des révoltes ont été menées à certains endroits au nom du retour au système archaïque des "communes" à la Mao, considérées comme moins oppressives que le "système moderne d'agriculture familiale"!
La restructuration industrielle a commencé beaucoup plus tard, mais a mené aux mêmes résultats. Le chômage urbain existait déjà avant en Chine, et est devenu un phénomène de grande envergure à cause de la rationalisation de la production effectuée dans de nombreuses entreprises. L'émigration des campagnes a également joué un rôle: dans la province de Sechuan, par exemple, la population de la capitale, Chengdu, a augmenté de 3,8 millions, et le nombre de chômeurs d'un million.
Les opérations d'investissement étranger sont beaucoup plus limitées que ce qui est suggéré par la propagande; de toute façon, les accords (joint-ventures) et les firmes étrangères ont joué et jouent un rôle important dans l'aiguisement des contradictions et des tensions sociales, de la même façon que la multiplication des accords commerciaux à l'échelle internationale (la fameuse "ouverture sur le monde extérieur") a rendu la nature contradictoire de "la modernisation" beaucoup plus visible.
Quant à la compétitivité des produits chinois sur le marché mondial, elle est assurée principalement par les salaires extrêmement bas. En quelques années, les salaires réels dans la Chine urbaine ont diminués de 40% (!), pour ne pas parler de la baisse des salaires relatifs.
En ce qui concerne la modernisation de l'éducation et des sciences, la pression pour la concurrence est devenue tout à fait insupportable dans les écoles secondaires et dans les universités. Les perspectives de travail pour les étudiants sont mauvaises; seuls les enfants des bourgeois peuvent espérer s'attendre à un travail lucratif après avoir terminé leurs études. Dans le même temps, les conditions de vie des étudiants sont devenues pires que jamais: des écoles et des internats surpeuplés, la nourriture dégueulasse, etc... On voit déjà ici que les déterminations dans la lutte des prolétaires aux études n'avaient pas pour origine le simple "désir de démocratie"!
Les mêmes constatations peuvent être faites à propos de l'armée qui concentre un grand nombre (3 millions) de prolétaires. A l'exception des troupes d'élite, les soldats de "l'Armée Populaire de Libération" ont généralement le même -si pas plus bas- niveau moyen de vie que les travailleurs des villes et des campagnes; leur salaire de 50 yuan -ou moins- par mois ne suffit même pas à payer les frais de la nourriture. Le service militaire est obligatoire en Chine.
La restructuration générale des méthodes de gestion capitalistes en Chine a mené à un élargissement de la corruption (c'est-à-dire, essentiellement qu'elle devenait de plus en plus visible). La propagande bourgeoise tend à confondre, par rapport à cela, deux phénomènes complètement différents: d'un côté, les efforts des prolétaires acculés et criminalisés par leurs conditions de vie insupportables et qui essayent de survivre en trafiquant, volant ou pillant (surtout les jeunes prolétaires des villes), et d'un autre côté, les magouilles des bourgeois qui exploitent les nouvelles (mais partielles) possibilités de profit à partir de la spéculation à grande échelle, ainsi que celles des petits capitalistes individuels en étroite liaison avec des cadres de l'Etat et du parti.
Les campagnes contre la "corruption" servent ainsi à occulter le fait que c'est le système capitaliste en lui-même qui provoque le chaos de la crise et les conditions de vie infernales auxquelles sont soumis la majorité des hommes. De plus, en emprisonnant quelques petits capitalistes, on justifie la répression globale sur les tentatives nécessairement illégales des prolétaires qui, face à la misère, n'ont d'autres solutions que d'essayer d'arracher par la force ce que l'Etat défend dans ses magasins, ses propriétés, ses usines, etc.
En même temps, il serait idiot de ne voir les changements et développements capitalistes en Chine que durant la dernière décade. Les nouveaux pôles de concentration capitalistes ont rejoint les anciens; un tas d'usine ont été construites et, dans le cadre de "l'ouverture au monde extérieur", même les structures de consommation ont commencé à changer. Mais tous ces développements et transformations combinés à un phénomène de crise profond n'ont conduit qu'à une exacerbation des contradictions: la poursuite de l'industrialisation à grande échelle a concentré des masses de plus en plus grandes de prolétaires dans les villes, avec des conditions de logement déplorables et des salaires misérables; le plus grand choix de marchandises de consommation (par exemple, la grande variété de vêtements, les télévisions, même les vidéos, etc...) qui rendaient les visiteurs étrangers enthousiastes à propos des "réformes chinoises radicales", n'a eut pour effet que d'augmenter l'angoisse des prolétaires du coin, incapables de s'offrir quoi que ce soit, à l'exception d'un peu de nourriture, de quelques mètres carrés à louer pour dormir, et d'une bicyclette pour aller bosser; à l'exception donc, du minimum nécessaire à la reproduction de leur force de travail!
Les réformes de l'appareil productif étaient nécessaires en Chine, pour que les capitalistes locaux restent compétitifs sur le marché. L'illusion maoïste s'est écroulée. Une masse humaine armée de petites cuillers pour exploiter les rizières, ne pourra jamais remplacer la nécessité capitaliste de constamment renouveler ses moyens de production pour rester concurrentiel sur le marché mondial. Le Capital est le seul et véritable maître et l'a encore une fois démontré ici, en soumettant à ses lois tous ceux qui prétendaient en diriger l'économie. Les conséquences des réformes en Chine se sont violemment abattues sur les prolétaires et c'est dans ce contexte, que les premières réactions ouvrières sont apparues.
A Changsha (capitale de la province de Hunan), "des émeutiers et des pilleurs" envahissent la ville le 22 avril. Des jeunes gens, pour la plupart chômeurs, mettent en pièce des magasins de luxe, mettent le feu à des voitures, prennent d'assaut des restaurants. Au même moment à l'autre bout du monde, en Argentine et en Allemagne de l'Ouest, les mêmes pillages et affrontements ont lieu avec les flics, contre la misère et la paupérisation galopantes!
Des trains et des magasins sont pillés dans plusieurs villes du pays. Un peu plus tard, les prolétaires dressent des barricades à Shangaï, et paralysent tout le réseau des transports publics. Dans d'autres villes, les attaques sont menées contre des bâtiments du parti et du gouvernement, contre des entrepôts, des trains, des centres commerciaux, etc...
Comme on le voit, il s'agit d'une lutte très globale, déterminée par une misérabilisation de tous les secteurs du prolétariat, et menée donc aussi, par l'ensemble des "catégories" de la classe ouvrière.
Nous insistons sur ce point parce que les médias internationaux ont tenté de restreindre les événements en Chine, à une lutte pacifiste des seuls "étudiants". Les feux de l'information bourgeoise se sont braqués sur la place Tian An Men pour donner des luttes qui se déroulaient dans toute la Chine -et aussi sur la place Tian An Men!-, un éclairage, une version très "responsable", insistant sur les drapeaux et revendications pourries de la "coordination étudiante", cet embryon de nouveau gouvernement, encore dans l'opposition.
Cette mise en exergue spectaculaire des objectifs réformistes et démocratiques que les leaders étudiants tentaient d'imposer -et qu'ils réussirent globalement à imposer- sur la place Tian An Men, a une fonction précise. L'idéologie bourgeoise vise à occulter le fondement commun des régulières explosions de colère qui secouent le monde ces dernières années et c'est ainsi que la presse transforme les prolétaires en lutte dans le monde en "étudiants" pour la Chine et la Birmanie, en "habitants de bidonvilles" en Amérique Latine, en "nationalistes" en URSS, en "démocrates d'opposition" en Europe de l'Est, en "frères musulmans" en Syrie, en "jeunes chômeurs" en Algérie, etc... La classe qui encaisse la crise est ainsi noyée dans un océan de drapeaux et de catégories confuses qui l'empêche de reconnaître la situation commune qui l'unit partout, qui l'empêche plus largement de reconnaître ses frères de classe dans les explosions de colère ouvrière qui se succèdent.
Le spectacle du monde donné par les canaux de désinformation bourgeois, apparaît aux yeux des prolétaires comme un incompréhensible chaos, où chaque catégorie (nationale, professionnelle, sectorielle,...) dans laquelle la bourgeoisie les a enfermé, est complètement distincte de la catégorie voisine.
La combativité des jeunes prolétaires à Pékin, parce qu'elle fut trop facilement encadrée par la "coordination étudiante" et ses drapeaux réformistes, ne fut pas suffisante pour affirmer l'indispensable liaison avec les prolétaires partis en lutte auparavant, dans d'autres régions de Chine. C'est sur cette base que la bourgeoisie a développé un reportage des événements en Chine, en insistant sur le caractère strictement "étudiant" du mouvement, sa volonté de changer démocratiquement le système de gestion en place, ce qui du coup, n'avait plus rien à voir avec ce qui se passait dans le reste de la Chine.
Un autre élément important à souligner est le cadre dans lequel se sont déclenchés les mouvements de lutte. En Chine, comme partout ailleurs, la bourgeoisie est contrainte d'appliquer des réformes drastiques pour tenter de contrer la baisse de plus en plus effective de son taux de profit et restructurer son appareil productif (c'est ce que nous avons développé dans le 1er chapitre). Qu'on nomme ces réformes "perestroïka" en Urss, "modernisation" en Chine, "plan printemps, été,..." en Amérique Latine ou "restructuration" en Europe, elles ont toutes une essence commune liée à la nécessité capitaliste mondiale de compenser la chute des taux de profit capitalistes par une réduction du salaire social de la classe ouvrière. Ces réformes sont terrorisantes pour le prolétariat et sont accompagnées de puissantes campagnes idéologiques visant à lui faire accepter l'incroyable dégradation des conditions de vie qu'il subit.
Face à tout le spectacle qui a été ultérieurement donné par les médias mondiaux quant aux objectifs réformistes que poursuivait le mouvement, il s'agit donc bien de rappeler que les luttes se sont initialement déclenchées à la suite et contre les réformes entamées une dizaine d'années plus tôt par Deng Xiao Ping, réformes saluées, tout au long de leur mise en place, par l'ensemble de la bourgeoisie mondiale!
Le fait qu'à Pékin principalement, les luttes se soient petit à petit engouffrées dans les velléités de réformes politiques portées par la "coordination étudiante" a évidemment complémentairement servi la bourgeoisie pour mettre tout-à-coup en avant le fait que les réformes de Deng Xiao Ping n'allaient pas assez loin et redonner une perspective d'une réforme "plus radicale, "politique". Le drapeau de la "réforme politique" servait ainsi d'étendard pour "faire oublier" que l'origine du mouvement trouvait ses sources dans l'opposition aux réformes, parce que cette opposition recèle en elle-même la vérité qui veut qu'aucune réforme du système capitaliste n'améliorera jamais le sort de la classe ouvrière!!!
La mort de Hu Yaobang, un des "réformistes" en disgrâce du PCC, ne sera ainsi qu'un prétexte de plus pour donner un coup d'ampleur à l'agitation qui se développe à Pékin et culmine par des manifestations de 100.000 personnes. C'est à partir de ce moment que les médias internationaux vont braquer les feux de l'actualité sur la Chine, attirant l'attention sur la responsabilité et la volonté de changement pacifique des "étudiants", occultant les mouvements qui s'étaient déroulés dans la province et qui étaient à l'origine de l'agitation contre les réformes, transformant les luttes locales contre les réformes en une mise à mort du "communisme" et un hymne à la libre entreprise et au libre marché.
Le 27 avril a lieu une énorme manifestation: près de 400.000 personnes défilent en criant... "vive le parti communiste"!!! Et c'est une illusion terrible que de croire que l'affrontement à l'Etat en Chine puisse se faire en trouvant l'appui de ses structures! Tout au long des luttes qui vont se dérouler à Pékin, les prolétaires vont se bercer des mots d'ordre démocratiques lancés par les aspirants-gouvernants que constitueront rapidement les membres de la "coordination étudiante". C'est ainsi qu'à Shangaï, 6.000 étudiants de l'université de Fudan ont porté aux autorités locales une pétition pour la démocratie (!).
Comme nous l'avons souligné plus haut, la presse n'a de cesse d'exemplifier l'expression de cette réelle soumission des prolétaires aux mots d'ordres démocratiques et ne fera en tout cas jamais la publicité de la violence des attaques de groupes de prolétaires, étudiants et autres, contre le parti et les maisons de l'Etat dans les grandes villes comme Shangaï, etc.
Le 8 mai 1989, les dix mille étudiants de Pékin reprennent la grève. Le groupe des représentants étudiants pour le dialogue, nouvellement constitué, lance au pouvoir un nouvel appel à la négociation.
Le 15 mai 1989, Mikhaïl Gorbatchev arrive en Chine. Symbole mondial actuel de la démocratisation, personnification idéale du réajustement économique, social et politique du système capitaliste, Gorbatchev venait saluer les réformes lancées par Deng Xiao Ping. On assiste ainsi à la rencontre des deux compères qui tous deux prennent, depuis un certain temps, les mesures nécessaires à la modernisation de l'exploitation, ne craignant en retour que les foudres d'un prolétariat pressuré de toutes parts. Gorbatchev, si grand symbole qu'il soit ne vient rien apprendre au représentant de l'Etat bourgeois en Chine car celui-ci a déjà pratiquement démontré depuis plusieurs années sa grande capacité à réformer les anomalies ou écarts d'un système productif qui est en retard sur les nécessités mondiales pour l'augmentation de son profit.
A cette occasion, le gouvernement chinois annonce l'ouverture envers ce qu'il se complait d'appeler la "contestation estudiantine". Le premier ministre Li Peng reconnait le droit de manifester aux étudiants et le leader du Parti, Zhao Ziyang, demande aux étudiants grévistes de la faim d'arrêter leur mouvement, promettant en échange, que le gouvernement ne prendra pas de mesures de rétorsion contre les étudiants et qu'il mettra sur pied "des mesures concrètes de nature à promouvoir la démocratie et la loi, et à combattre la corruption".
La réponse des dirigeants étudiants va être la mise sur pied d'une charte en 12 points, sorte de cahier de doléances, qui sera transmise à l'Assemblée nationale populaire, au Conseil d'Etat et au Comité central du parti, puis reproduit in extenso par le China Daily. Ce manifeste à la démocratie propose une négociation basée sur le choix des délégués, l'égalité de temps de parole entre les deux parties, la couverture en direct des débats par les médias chinois et étrangers, etc.., bref tout ce qui constitue la base du programme classique d'une opposition bourgeoise démocratique. Les dirigeants étudiants y rappellent encore qu'il ne s'agit toujours pas de s'écarter du système socialiste, ni de remettre en cause les fondements mêmes sur lesquels il repose.
C'est au moment où les prolétaires présentent le plus massivement leur force potentielle, au moment où le gouvernement tente de faire pression pour calmer l'effervescence (démontrant pratiquement sa crainte de voir le mouvement basculer dans un rapport de force en sa défaveur!), que la direction organisée et contrôlée du mouvement avance un cahier de doléances demandant d'avoir une place à part entière dans ce système de merde!
Mais en même temps, deux millions de prolétaires manifestent à Pékin exigeant la démission de Deng Xiao Ping et de Li Peng. Cent mille personnes défilent à Shangaï, et des milliers d'autres à Chengdu, Wuhan Qingdao,... Ce qui démontre à suffisance l'extension du mouvement, et non sa limite à la seule place Tien An Men tant médiatisée par la bourgeoisie.
Le gouvernement quant à lui, se prépare militairement et masse des troupes autour de la capitale. Toutefois, certains régiments (dont le 38ème, qui est en contact direct et constant avec les prolétaires) refusent de marcher!
A tout moment la lutte va osciller entre d'un côté, l'affirmation des intérêts du prolétariat, contre la démocratie, contre les réformes, contre le système qui les fait crever; et de l'autre la soumission aux idéologies de la bourgeoisie, les prolétaires relayant eux-mêmes tous les drapeaux de merde (égalité, droits, liberté, démocratie) qui les écartent de la lutte pour leurs propres intérêts de classe.
Pour forcer la démagogie, Li Peng, puis Zao Ziyang (il faut que la bourgeoisie sorte toutes ses cartes, de la plus conservatrice à la plus radicale) se rendent au chevet des grévistes de la faim, les abjurant de cesser leur mouvement pour "l'unité du pays". C'est en effet au moment où le gouvernement insiste sur les conséquences économiques de la crise pour stigmatiser la gravité de la situation, que les étudiants annoncent l'arrêt de la grève de la faim et invitent les ouvriers à cesser le mouvement de grève!
De plus, pour démontrer les intentions pacifistes du mouvement, les délégués des organisations étudiantes vont appeler les prolétaires à remettre les armes en leur possession et à "s'engager à rester dignes et responsables dans la confrontation aux autorités"!!! Ces délégués, véritables syndicalistes, sont ceux qui à tous moments vont freiner saboter et casser le mouvement de lutte. Ce sont eux qui, en bons démocrates, ont donc désarmé les prolétaires en lutte, les laissant mains nues face à la terreur militaire bourgeoise. Ce sont également eux qui remirent aux flics (et condamnèrent donc à mort!) les quelques prolétaires qui maculèrent le portrait du bourgeois Mao, sur la place Tian An Men, action qui concentrait en elle-même une perspective de rupture qualitative d'avec la démocratie en Chine, et le cirque maoïste dont elle se pare.
De plus en plus, la bourgeoisie va affermir son pouvoir. Li Peng proclame la loi martiale à Pékin, tout en disant vouloir continuer à discuter, et achemine des renforts de troupe plus sûres vers la capitale. Ensuite, il lance un appel aux troupes "pour punir les meneurs ayant créé des organisations non officielles, et pour faire retourner les étudiants sans conditions vers leur campus". Mais très vite les troupes rencontrent des barrages de prolétaires les invitant à fraterniser, et interdisant la progression des camions militaires.
Quand Li Peng lance son ultimatum, à savoir l'évacuation de la Place Tien An Men sous peine d'intervention militaire, des millions de prolétaires partout en Chine continuent à descendre dans les rues, bravant la loi martiale.
L'armée appelée pour faire le ménage et mater l'"agitation" est divisée: face à une caste d'officiers jouissant des plus grands privilèges, la base, faite de recrues démotivées est mal nourrie, logée dans des conditions précaires et en butte à un total manque de considération, d'où sa bienveillance par rapport au mouvement. Partout, des fraternisations entre des "soldats" et des "civils" ont lieu, unissant dans la lutte des prolétaires ayant les mêmes intérêts.
C'est par crainte de voir augmenter les désertions au sein de l'armée et de voir se démultiplier les scènes de fraternisations que le 38ème régiment, trop en contact avec les manifestants, a été prudemment laissé au repos, et son chef limogé, alors que le 27ème corps, plus fiable s'est mis en marche. Pékin est interdit pratiquement de circulation par des barrages faits de bus, de semi-remorques, de camions, mais aussi par l'intervention de véritables marées humaines qui se mettent en place pour interdire l'éventuelle progression des troupes. Des centaines de manifestants ont empêché ainsi la sortie de milliers de soldats armés, arrivés en gare par trains spéciaux. Quinze mille prolétaires ont aussi bloqué un convoi de 41 camions chargés de fantassins à 17 km à l'Est de Tien An Men, l'obligeant à rebrousser chemin après que des scènes de fraternisation aient eu lieu. Des scènes similaires se déroulent en banlieue; certains gradés refusent également d'utiliser la manière forte. Finalement, l'armée se déclare prête "à agir sans hésitation en conformité avec la loi martiale". La chasse aux prolos est ouverte, la boucherie va pouvoir commencer!
Le 3 juin, l'armée se heurte aux prolétaires. Des milliers de soldats sans armes sont conspués par plus ou moins un million de prolétaires descendus dans la rue et qui résistent. A Nanjing, une manifestation de 100.000 personnes a lieu pour protester contre l'assaut de Pékin. A Shangaï, les prolétaires dressent des barricades et bloquent des autobus. Des manifestations ont lieu dans la plupart des villes de province. Des affrontements opposent des unités militaires hostiles et favorables à la répression.
Afin de limiter les fraternisations, les troupes chargées de la répression viennent de toutes les régions de la Chine (empêchant pratiquement la fraternisation entre soldats et prolétaires, ceux-ci ne parlant pas la même langue!) et interviennent après avoir été privées d'information pendant deux semaines. Le 27ème corps responsable de la répression s'est affronté au 38ème corps hostile qui tentait de s'opposer au massacre.
Des soldats désaffectent leurs rangs, rejoignent les prolétaires en lutte et utilisant ensemble leurs armes, ils brûlent des colonnes entières de blindés et de camions militaires. La lutte s'étend à toute la Chine. Des émeutes éclatent un peu partout: Wuhan, Shangaï, Harbin, Chengdu. Le pouvoir réplique en lançant des campagnes de délation à la télévision, en utilisant des images des manifestations. Tout Pékin est quadrillé par l'armée. La répression s'organise, et les arrestations se multiplient. Les frontières sont verrouillées.
Plusieurs milliers de prolétaires sont morts sous les balles, sous les chars, condamnés par les tribunaux; d'autres croupissent dans les geôles et autres camps de rééducation.
1. L'origine des révoltes en Chine se situe directement dans le contexte de la crise capitaliste mondiale et des réactions du prolétariat face à la restructuration des forces productives que cette même crise impose partout. Face aux réformes et à la violente baisse des conditions de survie imposée par les forces d'exploitation, le prolétariat s'est spontanément soulevé un peu partout en Chine, s'attaquant à la propriété privée et à ses défenseurs directs -les représentants du gouvernement en place et les forces de répression locale-. Ces luttes se sont d'abord déclenchées dans la province et furent le fait de l'ensemble des "catégories" du prolétariat. Ce n'est qu'ultérieurement que les choses ont également bougé dans la capitale et là, la Démocratie a rapidement pris le dessus sur la lutte du prolétariat.
Ce soulèvement spontané trouve sa limite dans le manque de conséquence organisationnelle dont ont fait preuves les prolétaires en colère. Les ouvriers n'ont pas tenté de se doter d'un centre organisé capable de faire surgir une direction à la lutte, à la fois en termes de généralisation du soulèvement, et à la fois en termes d'affirmation des perspectives autonomes du prolétariat.
2. Comme dans la plupart des révoltes qui secouent le monde ces dernières années, le prolétariat en lutte en Chine, ne réussit pas à se donner un centre organisé, il ne dresse pas ses propres drapeaux et n'affirme pas ses intérêts autonomes de classe. Dès lors, la Démocratie remplit ce vide. Pékin, où la situation est plus contrôlée, parce que les forces démocratiques sont beaucoup plus centralisées et concentrées, -Pékin, donc, se substitue, comme spectacle, comme centre formel, comme référence médiatique,..., aux mouvements de lutte qui s'étaient déclenchés en province.
A partir de là, la Démocratie va désarmer le prolétariat, et ce en fonction de trois axes:
* mondialement, les médias entament une désinformation internationale qui, en désaxant géographiquement les événements autour de Pékin, noie également politiquement les luttes contre les réformes et les attaques du prolétariat contre la propriété, dans la demande pacifique de réformes politiques du système de gestion capitaliste en place, demande formulée par une opposition démocratique rassemblée autour de "coordinations étudiantes".
* la transformation en force matérielle de cette désinformation bourgeoise, combinée avec la faiblesse du prolétariat dans l'affirmation de ses propres buts, va donner la direction de la lutte à cette opposition démocratique, sous forme principalement de leaders étudiants regroupés dans la "coordination étudiante"; c'est cette coordination qui va, au sens propre, désarmer le prolétariat.
* le gouvernement de Deng Xiao Ping, des plus réformistes aux plus conservateurs, prépare la répression en endormant le prolétariat par la négociation avec les opposants démocratiques et regroupe pendant ces temps des forces sûres pour écraser le mouvement.
3. Le monde reste sans nouvelles de ce qui se passe dans les provinces où, -s'il faut en croire la presse bourgeoise-, les réactions de colère ne sont plus conditionnées que par ce qui se passe à Pékin. Dans le même temps, le moment crucial sur la place Tian An Men se joue lorsque, quelques jours avant le massacre, la "coordination étudiante" demande aux manifestants présents sur la place de rendre les armes (1). Face à cela, le prolétariat se soumet globalement et, plutôt que de s'organiser contre ceux qui les désarment (gouvernement et opposition confondus), ils obéissent pour la plupart aux consignes des démocrates. C'est à ce moment-là que tout s'est joué. Quelques centaines de prolétaires organisés et déterminés à en découdre avec la bourgeoisie sous toutes ses formes, auraient pu permettre un saut qualitatif dans l'organisation de la résistance face à la répression, tant du point de vue de la lutte armée sur place, en associant et en dirigeant les millions de personnes prêtes à se battre à Pékin, que dans l'organisation du défaitisme ambiant au sein de l'armée. Cette dynamique de centralisation des luttes et la claque qu'elle impliquait pour les forces de la bourgeoisie regroupées à Pékin, aurait sans doute permis en retour une généralisation, une jonction avec le mouvement dans l'ensemble de la Chine. Mais le prolétariat n'a pas pris l'initiative; il s'est naïvement laissé désarmer en contemplant la Statue de le Liberté érigée sur la place, plutôt que de suivre l'exemple des quelques courageux camarades qui s'étaient mis à balancer des pots de peintures sur le portrait de Mao!
4. C'est dans la défaite qu'a ressurgi le prolétariat. Face à l'armée qui intervient pour terminer le travail de ceux qui avaient désarmé les ouvriers, le prolétariat tente de s'armer, fraternise avec les déserteurs, exécute ses assassins et reporte plusieurs fois le massacre. Mais il est trop tard: ce n'est plus maintenant que se joue la possibilité d'inverser le rapport de force. Le prolétariat n'a pas été vaincu au moment où l'armée a commencé à tirer -au contraire, à cette occasion il a démontré tout son potentiel de combativité-, mais bien lorsqu'il s'est fait le "supporter" de la Démocratie et de la Liberté, soutenant l'aile gauche de la bourgeoisie dans ses efforts pour libéraliser le marché.
La bourgeoisie au gouvernement en Chine a vaincu très momentanément. Pas plus que les milliers d'autres tyrans que l'histoire a connu et qui s'imaginaient rester éternellement aux commandes, Deng Xiao Ping ne résistera à la haine de ceux qu'il soumet. Mais l'Etat en Chine est bien plus que la fraction Deng Xiao Ping, et si l'on peut être assuré que dans un futur très proche, il culbutera dans les oubliettes de l'histoire, il est d'autres fractions qui s'imposeront pour maintenir le capitalisme en place. C'est sans doute parmi ceux qui, au sein des "coordinations étudiantes", ont fait preuve de leur pleine allégeance face au Capital et à sa Démocratie en assurant le désarmement du prolétariat, que la bourgeoisie recrutera ses futurs gestionnaires.
Ainsi, de plus en plus, avec la généralisation des démocraties parlementaires partout dans le monde, avec la restructuration mondiale des forces productives et l'exacerbation de la concurrence qu'elle produit, avec l'approfondissement de la crise économique mondiale et les guerres qui se prépareront pour la résoudre, -avec cette universalisation chaque fois plus marquée, donc, des conditions dans lesquelles le prolétariat est exploité- se prépare et s'aiguise la plus grande déflagration révolutionnaire que le monde ait connu. Mais avant cela, le prolétariat devra nécessairement passer par une phase de discussion internationale autour des leçons que son histoire a permis de formuler, et affirmer la Démocratie -sous toutes ses formes-, comme son pire ennemi.
Qu'il se rappelle alors qu'en Chine, -et plus particulièrement à Pékin-, en 1989, la Démocratie a pris l'allure de ces leaders démocrates étudiants qui, en bons élèves du capitalisme organisés dans des "coordinations étudiantes", ont cassé les élans du prolétariat, de la naissance du mouvement de lutte à son écrasement sanglant. Déjà le 23 avril, au tout début du mouvement à Pékin, alors qu'en fin d'après midi des centaines de prolétaires se lançaient à l'assaut du Palais du peuple, siège de l'Assemblée nationale populaire, désignant dans cet élan spontané l'ennemi mortel du communisme, les chefs étudiants intervenaient pour empêcher la réalisation d'une telle action. Sur la place Tian An Men, ces mêmes démocrates organisèrent le maintien de l'ordre en collaboration directe et avouée avec les flics de Deng Xiao Ping, inondant les manifestants présents de propagande non violente, remettant les armes présentes sur la place aux autorités officielles et allant même jusqu'à donner à la police les ouvriers qui avaient maculé le portrait du bourgeois Mao! Crève la Démocratie!
Un mur tombe et la misère continue! |
La crise du Capital n'a pas de frontières... mais elle s'exprime différemment selon la façon qu'ont les bourgeois locaux de l'endiguer! L'économie des pays de l'Europe de l'Est est ruinée, effondrée. Des informations recueillies çà et là illustrent l'absence de travail et la faiblesse de la productivité: tel ouvrier, en Tchécoslovaquie, dit que dans son imprimerie "on ne travaille réellement que deux jours par semaine"; tel autre, toujours en Tchécoslovaquie, dit que les ouvriers "perdent parfois la moitié de leur temps de travail à cause d'une mauvaise organisation". D'ailleurs, là-bas, les prolétaires appellent leur paie un "soutien au chômage" car ils se considèrent tous à moitié chômeurs; telle ouvrière en RDA, parle de 5O% d'absentéisme dans les usines. Un ouvrier russe résume bien la situation par cette boutade: "on fait semblant de travailler et l'Etat fait semblant de nous payer"!
L'hypocrisie démocratique s'illustre encore une fois particulièrement à travers les "cris du coeur" des médias: "il faut aider la Pologne à passer l'hiver!". Comme si le Capital laissait une place à l'aide, à la solidarité, à la fraternité! La seule raison pour laquelle les bourgeois lâchent du pain, est leur peur de voir la faim se transformer en une remise en question violente de leur ordre terroriste. Les émeutes de la faim en Argentine viennent encore de nous montrer récemment la vitesse avec laquelle les bourgeois savent se montrer généreux lorsque le prolétariat s'énerve: quelques heures après la première émeute, des camions entiers de nourriture étaient envoyés dans les quartiers ouvriers!
Le protectionnisme relatif défendu à l'Est ainsi que la structure rigide de l'Etat dans cette zone, a eu comme effet que dans la guerre impitoyable que se livrent les bourgeois entre eux, les constellations capitalistes et fractions aujourd'hui dominantes que représentent, par exemple, la CEE ou les USA ont pris le dessus et ont dicté leur loi aux accents plus franchement libre-échangiste.
Il était donc d'une nécessité criante pour ces nations d'Europe centrale de restructurer "leur" économie, à la fois pour compenser, par la baisse du salaire social des ouvriers, les pertes capitalistes, et à la fois pour empêcher que les prolétaires ne se révoltent et ne rejettent tout réformisme, toute alternative bourgeoise. Ici encore, la bourgeoisie a su s'adapter avec une rapidité et une souplesse incroyable.
Les vieilles oligarchies staliniennes sont déboulonnées avec une facilité qui montre bien à quel point il était vital pour l'ensemble du système qu'une équipe réformiste prenne le relais. Le schéma est presque formellement le même pour tous ces pays où l'opposition et l'aile gauche des PC nationaux gèrent les réformes et la transition au multipartisme, aux élections libres, etc. Et l'on voit ainsi le POUP et Solidarité, le SED et le Nouveau Forum, le PC de Hongrie -devenu PS- et le Forum Démocratique,..., faux "frères ennemis" d'hier, brandir aujourd'hui, ensemble, dans un touchant élan, le drapeau de leur économie nationale et discuter de la fin du stalinisme, de la réalisation de l'idéal démocratique commun, de la nécessité de sauver le pays,... et appeler ensemble les prolétaires au calme et au refus de l'emploi de la violence. A Prague, Vaclav Havel et Dubcek (du Forum Civique) serrent la main à leurs anciens geôliers staliniens. A Moscou, les assassins d'hier reconnaissent aujourd'hui officiellement l'invasion de Prague comme une "erreur". Les cartes de rechange de la bourgeoisie assument leur fonction, et, alors que tous ces "jokers" ont bien évidemment toujours été d'accord sur l'essentiel -le maintien de l'ordre capitaliste marchand!-, on les fait ressortir du jeu de carte pour nous faire croire que cette "opposition" serait une opposition aux réels problèmes qui engendrent la misère, la répression et la terreur.
Les prolétaires à l'Est sont ainsi éclaboussés des slogans qui ont fait le bonheur de l'ordre "multipartiste" en Occident. L'heureux futur et la réponse pleine d'espoir qui leur sont aujourd'hui vendus c'est la liberté d'association, de presse, de culte, les élections libres, les syndicats libres, les droits de l'homme, l'ouverture du marché, bref des droits, des droits... et encore des droits, mais toujours pas de pain! Comme si le fait d'associer légalement dans un même parlement différentes fractions de la bourgeoisie changeait quelque chose au fait qu'à l'Est comme à l'Ouest, l'ordre démocratique, l'exploitation continue à régner. Et de fait, la réalité de la continuité capitaliste fera bien vite déchanter ceux qui, trop crédules face aux promesses de l'Etat à l'Est, pensent que la situation va s'améliorer. Il ne faudra même pas attendre que les forces démocratiques des différents "Forum" arment la défense de leurs réformes et tirent sur les prolétaires, pour se rendre compte qu'ils défendent les mêmes intérêts que les staliniens. Tout comme cette ménagère russe qui déclarait cyniquement ne pas trouver la "perestroika" quand elle ouvrait son frigo, les prolétaires à l'Est déchanteront vite face à l'impossibilité pour le Capital, quelle que soit la fraction qui le gère, d'offrir quoi que ce soit d'autre que l'approfondissement catastrophique de sa crise et la baisse conséquentielle des conditions de vie du prolétariat.
Là où les chars ont écrasé les prolétaires en lutte à l'Est, on espère aujourd'hui calmer le caractère explosif de la situation par le biais du droit... à se faire exploiter, doublé maintenant de la liberté d'élire ses exploiteurs! C'est cela l'alternative bourgeoise aux décennies de stalinisme rude et austère contre lequel se dressent les prolétaires. Elle ne tiendra pas dix ans!
Dans le même sens et provoqués par la même terreur de voir les prolétaires s'approcher des armes qui les mettront à bas, les bourgeois est-allemands ont fait désarmer les unités de milice présentes dans les usines, parce que les armes dont ces milices sont pourvues (canon sans recul, DCA, lance-grenades, véhicules blindés,...) représentent une tentation énorme pour tous ceux qui, au-delà de tout le cirque démocratique que l'opposition met en place, rêvent d'en découdre militairement avec l'ennemi de classe. Les fractions bourgeoises de tous bords ont peur de l'explosion et rassemblent préventivement les armes. Les démocrates de Neue Forum sentent le "danger" (le prolétariat!) venir et complètent le désarmement en appelant au calme. L'Eglise protestante souligne, quant à elle, que "si la colère des habitants était compréhensible (...), aucune violence n'était excusable (...) et qu'il ne faut pas céder à la haine".
La bourgeoisie court ainsi à perdre haleine pour empêcher la situation d'exploser. Et peu importe les idéologies qui animaient hier les distinctes fractions bourgeoises. Les mêmes staliniens "de droite" d'hier, commanditaires et exécuteurs des massacres de 1953 (Egon Krenz, par exemple, dauphin désigné de Honecker,...), se posent aujourd'hui à l'avant-garde des réformes et restructurent à tour de bras, tandis que l'opposition (Neue Forum,...) agit de concert et complémentairement en transformant chaque poussée de "ras-le-bol" venue de la base en une demande responsable pour plus de démocratie, pour un véritable "socialisme". Donner un "visage humain" à l'inhumain, faire admettre aux prolétaires une image acceptable de leur l'exploitation et de leur misère, voilà le projet qui détermine la panique bourgeoise actuelle et les retournements de veste "politiques" en RDA (mais aussi en Tchécoslovaquie,...). Dans d'autres pays socialistes, en Algérie et en Chine, par exemple, la bourgeoisie a réagi trop tard et n'a pu éviter le bain de sang.
Mais il est un autre fantôme que la bourgeoisie ressort à l'occasion de la restructuration en Allemagne de l'Est: celui de l'Allemagne réunifiée. Il est clair qu'il n'y a pas de "problème allemand", de notre point de vue de classe. La question de la réunification des deux pays a pour fonction de détourner et de transformer la lutte des prolétaires pour l'amélioration de leurs conditions de vie, en une défense d'un état concentrant et centralisant des forces productives plus importantes que celles dont disposent les capitalistes des nations concurrentes. Cela n'a rien à voir avec la volonté des prolétaires en Allemagne de l'Est de retrouver des parents et amis de l'autre côté du mur, ou encore avec le fait que des ouvriers viennent en Allemagne de l'Ouest à la recherche de meilleurs salaires, ou de marchandises introuvables à l'Est. Mais l'Etat utilise cette réalité pour encourager au nationalisme et y noyer l'affirmation d'intérêts prolétariens.
Et, de fait, dès septembre 89, les Allemands de l'Est fuyaient une nation pour une autre, où les attendait... du travail! A peine arrivés, ils faisaient l'expérience des joies du marché libre "à l'occidentale" sous forme de dizaines de petits et grands patrons venus leur faire des propositions d'embauche, tout intéressés par l'afflux nouveau d'une main d'oeuvre bon marché. Il n'y avait pas non plus de travail pour tout le monde et les ouvriers, venus solidaires en Allemagne de l'Ouest, se sont retrouvés en concurrence avec leurs frères de classe.
Si donc, la tendance au monopole et aux grandes concentrations économiques (tendance qui s'accentue en temps de crise parce qu'il s'agit d'être plus forts face à la concurrence) pousse à une probable Allemagne réunie, celle-ci se fera de toute façon contre les intérêts actuels et futurs des ouvriers.
En tant qu'aire de valorisation du capital, la RDA est déjà, et depuis longtemps, dépendante de la RFA: exonération d'impôts aux exportations, relations commerciales privilégiées, aide en nature de 3,3 milliards de DM par an (non-remboursables) etc. Ne dit-on pas que, de fait, la RDA est le 13ème membre de la CEE? De plus, cette aide s'est intensifiée depuis la levée du rideau de fer, en novembre 1989. Mais ce soutien n'a, bien évidemment, rien de philanthropique. Les prolétaires en RDA n'ont pas eu leur ordinaire amélioré grâce à cette "aide". Les capitaux prêtés ne concernent que les gestionnaires du capital.
La question d'une Allemagne réunifiée, le multipartisme et les élections libres, l'abolition de l'article confiant le rôle dirigeant au PC, l'ouverture du Mur,..., toute la misère de cette bimbeloterie démagogique des droits et de la liberté retrouvée se retrouve dans cette réflexion d'un supporter de football est-allemand: "maintenant on peut aller supporter notre pays à l'extérieur"! A part cela, comme le soulignaient de nombreux prolétaires en visite à l'Ouest, c'est le droit de pouvoir lécher les vitrines, qu'ils ont surtout gagné, parce que pour ce qu'il en est de la possibilité d'acheter des marchandises, ce n'est pas vraiment de vitrines dont l'ouvrier en Allemagne de l'Est a besoin, mais d'argent pour pouvoir s'en procurer! Un mur est tombé, mais la misère continue!
La réunification des "deux" Allemagne, et le premier pas que constituait en ce sens l'ouverture du mur, n'a d'ailleurs pas que ses supporters. Ainsi, les vues démago-électoralistes d'une fraction de la bourgeoisie intéressée par l'Allemagne réunifiée se heurte à un "protectionnisme" européen (SPD-Verts) se méfiant de la "poussée démographique orientale". Sans effets de langage, les gouvernements européens ont peur de l'afflux de chômeurs dans leur pays. Et de rappeler à ce propos la "poussée démographique méditerranéenne". La réalité semble inoffensive dans les euphémismes ouatés des politologues.
Le problème pour la bourgeoisie en Allemagne de l'Est, confrontée à une situation aussi explosive, est et reste qu'une utilisation massive de la répression armée, tel le massacre de Tiananmen, est impossible (ou du moins très risquée) pour plusieurs raisons. D'abord, parce que l'utilisation du gendarme local (les 380.000 soldats soviétiques stationnés en RDA) est quasi impossible sous peine de compromettre l'ensemble de la campagne de réformes lancée par la bourgeoisie pour garder le contrôle du prolétariat dans toute cette zone est-européenne; ensuite, parce qu'un massacre de l'ampleur de celui qui a eu lieu en Chine poserait de graves risques de généralisation à la bourgeoisie: c'est non seulement les prolétaires de l'Allemagne de l'Ouest qui risqueraient de bouger -de nombreux liens les unissent à leurs camarades de l'autre côté du "Mur"- mais beaucoup plus largement, cela susciterait de violentes amorces de réactions de lutte et de solidarité de l'ensemble des populations est-européennes excédées par la crise économique et la situation d'infernale austérité qu'ils subissent.
Les bourgeois en Occident, toutes fractions confondues, ont d'ailleurs bien pigé ce qui se joue derrière les manifestations de ras-le-bol à l'Est. Alors qu'ils n'arrêtaient pas de nous emmerder à l'Ouest sur la nécessité d'en finir avec le "socialisme", alors qu'ils ne rataient pas l'occasion de nous proposer d'y aller faire un tour "si nous n'étions pas contents ici", voilà tous ces mêmes salopards qui nous jouent maintenant le chapitre de la "solidarité" face aux problèmes que rencontrent les nations est-européennes! Le premier ministre belge (était-ce une blague?) résumait l'avis des bourgeois européens en appelant à faire tout ce qu'il était possible de faire "pour que l'URSS garde le contrôle de ses pays satellites". Existe-t-il demande plus claire pour que l'URSS continue d'assumer sa fonction de gendarme local? De même, c'est d'un commun accord que les deux grandes alliances militaires internationales que sont l'OTAN et le Pacte de Varsovie ont opté pour le maintien tel quel des alliances. Les bourgeois en Occident, et plus largement partout dans le monde, n'en finissent pas de prôner le statu quo, l'équilibre, la réforme en douceur,... Ils n'ont que le mot "stabilité" à la bouche parce que derrière "instabilité", c'est le nez de la vieille taupe qu'ils voient poindre! Le spectre du communisme hante toujours l'Europe!
Face à cette sombre perspective, et corollairement aux critiques des faiblesses du prolétariat que nous avons développées dans notre éditorial, nous pouvons néanmoins faire preuve d'un relatif optimisme, non pas, bien sûr, en regard du manque tragique de préparation pour les affrontements futurs, mais par rapport à l'uniformisation chaque fois plus évidente, à la fois des conditions de vie du prolétariat, mais aussi des discours que les bourgeois utilisent pour justifier la crise. Il n'y a plus un bourgeois qui n'aie le mot "Démocratie" à la bouche pour faire passer son programme. Et si la démocratie, comme discours, comme idéologie mystificatrice, fait encore aujourd'hui illusion auprès de masses de prolétaires trop crédules, l'impossibilité dans laquelle se trouvent objectivement les "démocrates" d'offrir quoi que ce soit d'autre comme perspective que de la misère, ne peut que pousser le prolétariat à déchirer le mythe démocratique et à faire apparaître la Démocratie pour ce qu'elle est universellement, au-delà de tout discours, et indépendamment du "régime" en place localement: le mode de vie terroriste du Capital! Devrons-nous, en effet, attendre encore longtemps avant que le prolétariat ne se retrouve face aux armes des flics de Walesa? Et quand les Forums "Nouveaux", "Démocratiques", "Civiques" ou "Socialistes" enverront les forces de défense de la Démocratie tirer sur ceux qui n'accepteront plus les discours sur la nécessité des "sacrifices", etc,... faudra-t-il encore de longues argumentations pour démontrer l'essence démocratique commune aux "dictatures avec parti unique" et aux "régimes multipartistes"?
Le piège du pseudo-socialisme étant tombé, que reste-t-il aux bourgeois de l'Est pour dénaturer, canaliser les luttes? Le nouveau credo de Gorbatchev, la "solidarité économique" pour relever le pays, ne fonctionne pas. De plus en plus et partout, seule la voix des chars se fera entendre au prolétariat en lutte. L'uniformisation des conditions d'exploitation et des pièges idéologiques ne peut que renforcer l'uniformisation du prolétariat et donc, de ses réponses en terme de lutte.
Ce qui apparaît donc aujourd'hui comme une victoire de la bourgeoisie (qui semble suffisamment forte pour prévoir et casser un mouvement de révolte) pourrait bien en fait se retourner contre elle et devenir un renforcement de la classe ouvrière. Vas-y vieille taupe, creuse encore!
Terrorisés et réduits au silence depuis de nombreuses années, les prolétaires en Roumanie se sont soulevés d'un bloc contre Ceaucescu et sa clique d'assassins. Nous reviendrons ultérieurement sur les leçons à tirer de la lutte à mort qui s'est engagée entre le prolétariat et son ennemi de classe en Roumanie, l'Etat, longtemps personnifié par Ceaucescu, mais qui ne se limite malheureusement pas à lui. La force de la lutte sera de ne pas se limiter à la chute de ce sanglant guignol et de généraliser ce combat à l'ensemble des rapaces capitalistes, prêts à prendre sa place. Salut aux prolétaires en lutte en Roumanie!
Aujourd'hui à nouveau, les médias du monde entier se saisissent de ces événements pour tenter de faire croire que la dictature capitaliste en Roumanie est un cas isolé et archaïque, et séparer ainsi les prolétaires de Roumanie du reste du monde. Ces campagnes ont aussi pour but, à force d'images de désolation et de martyrologie, de faire rentrer dans la tête des citoyens qu'ils ont intérêt à défendre leurs élections, leurs exploiteurs, leurs partis... leur misère!
Nous verrons que l'oeuvre de Marx se situe aussi en opposition totale à l'économie vulgaire. Quant à l'économie politique, même si certaines de ses critiques à l'encontre de l'économie vulgaire peuvent ressembler sur certains points à celles de Marx, l'oeuvre de Marx se détermine cependant comme une totalité antagonique, critique et destructive de l'économie politique. C'est ainsi que l'oeuvre de Marx s'intitule et est une critique de l'économie politique.
Nous commencerons par rendre explicite dans ce texte cet antagonisme fondamental qu'est celui existant en général entre la critique de l'économie et l'économie elle-même avec toutes ses doctrines (depuis le "marxisme" jusqu'à l'économie néo-classique), en reprenant les mêmes cinq points par lesquels l'économie politique s'oppose à l'économie vulgaire et en expliquant le contenu essentiellement différent que leur donne l'oeuvre de Marx. En réalité, il s'agit seulement d'introduire l'exposition de notre conception que nous commencerons à aborder véritablement dans ses aspects centraux, dans la prochaine "Contribution à la critique de l'Economie".
Aujourd'hui, dans les moyens de fabrication et de diffusion de l'opinion publique, dans les syndicats, dans les universités, dans les publications académiques,..., on entend par marxisme et par économie marxiste, ce qui est en réalité une branche de l'économie politique (branche qui n'est, bien entendu, pas exempte non plus, de la conception vulgaire en économie).
En effet, il suffit aujourd'hui qu'un auteur, un écrivain, un chef syndicaliste, un économiste,... parle de luttes de classes, de plus-value, de théorie de la valeur travail, et qu'il reconnaisse des lois objectives dans l'économie... pour que (même s'il ne l'a pas fait explicitement) la société le mette dans une case appelée "marxisme".
La majorité de ces auteurs (nous nous concentrons maintenant sur ceux qui s'occupent spécifiquement de l'activité économique) acceptent volontiers cette classification et se proclament d'eux-mêmes "économistes marxistes". En tenant compte des grandes branches dans lesquelles ces économistes marxistes se divisent et s'organisent (1), nous pouvons affirmer qu'ils considèrent et acceptent tous, comme définitions caractéristiques de leur marxisme, principalement (et dans certains cas exclusivement), l'ensemble des points forts que nous avons signalés comme étant les caractéristiques fondamentales de l'économie politique, dans son opposition à l'économie vulgaire, à savoir (et nous allons utiliser ici la même énumération qu'à la fin du chapitre précédent, paru dans "Le Communiste" No.27):
Ce qui est fondamental, c'est de constater l'identité de base entre l'économie politique et l'économie -dénommée- marxiste. Cette identité est aujourd'hui une réalité idéologique de la société que nous constatons objectivement et dont l'explication se trouve dans l'idéologisation du marxisme, c'est-à-dire dans l'extraordinaire capacité d'épurer de la théorie de Marx tout ce que celle-ci avait de révolutionnaire et de la transformer en une idéologie de plus, en une partie de l'économie politique, jusqu'à même en faire une religion d'Etat! Sans faire de ce sujet un problème de dénomination, il nous paraît conceptuellement adéquat de considérer (et d'appeler) tous ces marxistes (les économistes marxistes, donc) comme des économistes, comme partie intégrante de l'économie politique (3).
Marx signale expressément cela dans chacune de ses oeuvres se référant à l'activité économique. C'est pourquoi "Le Capital" est sous-titré "Critique de l'Economie Politique", les Grundrisse s'intitulent "Fondements de la Critique de l'Economie", la Contribution est une "Contribution à la Critique de l'Economie Politique", et Marx a entamé également une "Critique des Théories de la Plus-value" (traduit et mieux connu en français par "Les doctrines économiques", oeuvre qui restera inachevée), etc...
Quelques économistes marxistes, moins idiots ou plus conscients du fait que rompre jusque dans la forme avec la tradition représentait une erreur tactique, ont, à partir de cette évidence, essayé de rectifier quelque peu le tir, mais non sans se contredire à chaque instant.
Ainsi, par exemple, Delleplace (4) établit clairement l'identité de base de toutes les théories économiques du capitalisme et en particulier entre toutes les théories néo-classiques et les théories classiques, insistant sur le fait que, dans tous les cas, il y a une naturalisation des catégories sociales et historiques. Il essaye ensuite de démontrer que le marxisme a comme point de départ le "rejet de l'économie politique" et ne manque pas de souligner un ensemble de points intéressants dans la rupture entre l'oeuvre de Marx et les économistes (considérer le mode de production capitaliste comme mode spécifique de socialisation). Cela constitue évidemment une exception parmi les marxistes et un mérite de l'auteur qui, cependant, n'arrive jamais à saisir les éléments essentiels de la rupture. En effet, bien qu'il arrive à remettre en question l'idéologie matérialiste naturaliste propre à toute l'économie marxiste dans toutes ses variantes, il fait de la théorie de Marx une "théorie de la société actuelle", une "théorie du capitalisme" d'où dériveraient tous les autres aspects théoriques, sans se rendre compte que l'essence de la rupture n'est pas l'étude de la société actuelle, mais celle de la destruction de la société actuelle, que le fondement de la rupture n'est pas la biologie du Capital, mais sa nécrologie; c'est-à-dire qu'il perd justement de vue la négation (ou si l'on veut la révolution) comme l'élément nodal de tout l'édifice théorique. Comme critique de cette vision, nous pourrions dire que de la même manière que le pré-capitalisme ne peut être compris que dans l'optique du capitalisme, le capitalisme --"la théorie de la société actuelle"-- est un sous-produit du communisme (mais n'insistons pas ici car nous sommes en train d'introduire des éléments dont nous parlerons dans le prochain texte).
Un autre exemple est celui d'Ernest Mandel qui, lui, arrive à reconnaître que la critique de l'économie conduit à la fin de l'économie politique et même que c'est là une affirmation de tout ce qu'il considère être la trajectoire marxiste: "Marx en personne, suivi par Rosa Luxembourg, Hilferding, Boukharine et Préobrajensky est formel à ce sujet. L'économie politique s'éteint en même temps que les catégories économiques qu'elle s'efforce de révéler" (5). Mais cela n'empêche pas moins Mandel d'intituler son livre: "Traité d'Economie Marxiste"!
Mais ce problème formel est le reflet d'un problème de fond, substantiel (6): tandis que Marx fut objectivement un critique de l'économie, tous ces économistes qui prétendent être ses épigones sont les défenseurs de l'économie (en général, défense implicite du mode de production) et de son expression théorique "l'économie politique".
Il nous sera sûrement répliqué que Marx lui-même se reconnaîtrait dans chacun des points d'antagonisme par rapport à l'économie vulgaire. Cela est en principe superficiellement vrai, et pourrait pour cela faire figure d'argument, mais si nous approfondissons la réalité, cet argument est démoli. Effectivement, dans ce type d'énumération de points antagoniques avec l'économie vulgaire, l'oeuvre de Marx pourrait être reconnue comme celle de David Ricardo, de la même manière que si nous définissons la critique de l'idéalisme (prenons Hegel) à partir de l'oeuvre d'un matérialiste (prenons Feuerbach) (7), cela nous amènerait à reconnaître des aspects communs entre Feuerbach et Marx. C'est fondamentalement dû à ce que les deux reconnaissent le matérialisme et que, par conséquent, ils ont comme point de départ l'observation expérimentale. C'est sans aucun doute un terrain commun, l'unique terrain commun par lequel l'oeuvre de Marx s'approprie la réalité et s'occupe par conséquent également de la lutte des classes, étudie les lois objectives, sociales et historiques de l'activité économique, pose la découverte du travail comme la substance de la valeur, adopte, comme méthode, l'abstraction et la concrétisation progressive et réalise la critique du statu quo. Mais comme nous le verrons, ce terrain commun n'est pas autre chose qu'un champ de bataille, un champ de guerre ouverte; chacune des deux conceptions se salit dans la boue de la lutte des classes, et lorsque le combat se fait sanglant, alors que l'économie vulgaire fait abstraction de la vie elle-même, non seulement l'oeuvre de Marx, en tant que critique de l'économie politique subsiste en tant que la seule anti-thèse générale face à celle- ci, mais en plus, l'économie politique, pour ne pas périr, épouse l'économie vulgaire jusqu'à adopter ses propres conceptions.
Par conséquent, s'il est vrai que l'oeuvre de Marx se reconnaît dans ces points fondamentaux --qui ne sont en réalité rien d'autre que ceux de toute conception matérialiste--, c'est sans oublier que l'oeuvre de Marx n'est pas matérialiste "tout court", mais bien matérialiste dialectique, ce qui implique une négation générale et radicale de tout le matérialisme précédent, de sorte que:
Nous exposerons explicitement dans le texte que nous publierons dans un prochain numéro, et qui développe la Critique de l'Economie Politique, la rupture fondamentale entre celle-ci et sa critique, c'est-à-dire le point 2. Ce pour quoi le premier point nous sera utile, bien sûr.
L'étude de la réalité économique, et donc de la lutte de classes, par laquelle l'économie politique s'oppose à l'économie vulgaire, est, contrairement à ce que celle-ci dit, une nécessité générale de la bourgeoisie et c'est pourquoi nous rencontrons ce genre d'analyse chez tous les économistes classiques. Dans cette mesure, nous pouvons définir l'économie politique comme la science du Capital s'auto-analysant, en opposition à l'économie vulgaire qui devra se définir: "techniques d'une administration efficace". Les économistes ("marxistes"), ignorant volontairement ou involontairement cette réalité, présentent quasiment Marx comme celui qui aurait découvert la lutte des classes. Du point de vue de la critique de l'économie politique, c'est-à-dire de notre propre conception, l'important n'est pas l'analyse de la lutte des classes en soi (il n'y a aucune frontière, aucune rupture), mais de comprendre que l'existence des classes est une phase transitoire dans l'histoire de l'humanité, que celles-ci n'ont pas toujours existé et que leur nécessaire suppression historique est sans équivoque, ou mieux dit, inexorablement, déterminée dans la société présente. Ce point fondamental de rupture --maintenant réelle-- entre tous les économistes et la critique de l'économie est indissociablement lié à la compréhension de ce que la lutte des classes conduit nécessairement et impérativement à la dictature du prolétariat et à l'abolition de toutes les classes. Souvenons-nous de la lettre de Marx à Weydemeyer. Il répondait déjà de manière catégorique aux interprétations marxistes:
"En ce qui me concerne, je n'ai ni le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la société contemporaine, ni celui d'avoir découvert leur lutte entre elles. Longtemps avant moi, des historiens bourgeois avaient exposé le développe ment historique de cette lutte des classes, et des économistes bourgeois, l'anatomie économique des classes. Ce que j'ai fait de nouveau, c'est d'avoir démontré: 1. que l'existence des classes ne se rattache qu'à certaines phases historiques du développement de la production; 2. que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat; 3. que cette dictature n'est elle-même que la transition à la suppression de toutes les classes et à la société sans classes." (10)Un aspect fondamental de la falsification de l'oeuvre de Marx (de là notre insistance) est celui par lequel la rupture est présentée là où elle ne se trouve pas afin de l'occulter là où elle réside. C'est pourquoi à chaque moment historique décisif où la nécessité de reconstituer les bases programmatiques de la critique de l'économie se concrétise positivement dans une poignée d'hommes (contre les grands idéologues du marxisme), ceux-ci se virent forcés de commencer par éclaircir ces aspects fondamentaux: c'est le cas du Lénine de "L'Etat et la Révolution", des revues Bilan et Prometeo dans les années '30, ou plus proche de nos jours, de Camatte,... Lénine dit par exemple:
"Limiter le marxisme à la doctrine de la lutte des classes, c'est le tronquer, le déformer, le réduire à ce qui est acceptable pour la bourgeoisie. N'est marxiste que celui qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu'à la reconnaissance de la dictature du prolétariat." (11)Ce n'est par conséquent pas la reconnaissance de la lutte des classes, ni celle de sa nécessité historique qui est essentielle et qui marque une rupture dans l'oeuvre de Marx (cette reconnaissance résulte de la constatation phénoménologique la plus élémentaire), mais au contraire, justement, celle de la nécessité historique de la suppression des classes et de leurs luttes (12). Les marxistes qui ne comprennent pas la confirmation de cette nécessité dans le présent (13) et qui croient se situer dans la ligne historique de l'oeuvre de Marx pour considérer et analyser les luttes de classes, non seulement ne comprennent pas ce qu'il y a d'essentiel dans celle-ci, mais, en outre, se situent objectivement dans la ligne historique de l'économie classique (et vulgaire).
L'analyse de la réalité, l'activité économique, la lutte des classes qui est une réalité par définition sociale et en mouvement historique, donne un caractère objectif, social et historique aux lois de l'économie en tant que science. Tous les représentants de la société intéressés par une compréhension matérialiste de celle-ci, comme le firent les classiques, les physiocrates, ou les marxistes et néo-ricardiens aujourd'hui, essayeront d'exprimer de telles lois, sans jamais parvenir à retrouver la rupture entre Marx et la critique de l'économie politique; et bien entendu, ce n'est pas par la reconnaissance en soi (qui, en dernière instance, est faite formellement) de ces caractères que nous pourrons comprendre cette rupture.
Les choses changent complètement quand nous tenons compte de la totalité de l'oeuvre de Marx; le caractère objectif, le caractère social, le caractère historique signifient autre chose. Voyons quelques cas importants qui éclairciront l'opposition des sens.
"Objectif" ne veut pas seulement dire que la chose a une existence matérielle, réelle, ce que le sujet de la science reconnaît comme loi indépendante de la volonté des hommes, et que comme tel, le matérialisme identifie à la "vérité" (14); un mensonge validé socialement, une idée matérialisée, une mystification transformée en force sociale, etc..., --toutes choses que le matérialisme et le positivisme considèrent comme de simples représentations et par conséquent non objectives--, peuvent tout aussi bien être objectives. Ainsi, par exemple, face à l'argent qui apparaît comme la valeur réelle de toutes les choses, l'économie politique se contente de découvrir que c'est une marchandise comme toutes les autres (avec un ensemble de fonctions spécifiques: moyen de paiement, d'échange, mesure des valeurs, moyens de thésaurisation, monnaie universelle), mais elle est incapable de saisir qu'en tant que communauté fictive, l'argent constitue une réalité sociale et objective.
"Malgré sa subtilité, l'économie politique moderne qui s'oppose au système monétaire ne peut remporter une victoire décisive. Pris dans la superstition de leur économie grossière, le peuple et les gouvernements s'accrochent au magot concret, tangible, visible, croyant en la valeur absolue des métaux précieux, en leur possession, seule réalité de la riches se. Arrive l'économiste éclairé et informé, et il leur démontre que l'argent est une marchandise comme une autre (...). On lui répond alors fort justement: la vraie valeur des choses, c'est la valeur d'échange, et celle-ci en dernière instance réside dans la monnaie, incarnée par les métaux précieux; donc, c'est l'argent qui est la vraie valeur des choses et, partant, il est la chose la plus désirable."
Marx - Notes de lecture (1844) in La pléiade, éco II, p.18.Et précisément dans les sociétés aliénées, dans les sociétés de classe, qui sont pratiquement les seules qu'analyse l'économie politique (et déjà nous voyons comment le caractère historique de l'économie politique se métamorphose en son con traire), les socialisations ne se réalisent qu'à partir des lois objectives comme celles-là, c'est-à-dire en tant que mystification transformée en force, comme communauté fictive, que ce soit le cas de la religion ou de l'argent en tant que religion. Mais comme l'économie politique ignore cette réalité objective, car elle la considère en tant que représentation absurde (comme le fait tout le matérialisme vulgaire avec la religion ou avec n'importe quelle autre représentation), elle ignore la réalité de l'unique socialisation existante, qui ne peut à l'évidence être autre chose que la généralisation de l'aliénation. Le caractère objectif et social de la socialisation lui échappe en tant que loi de l'économie politique car sa reconnaissance impliquerait de reconnaître l'aliénation en tant que loi. De même, vis-à-vis du mercantilisme (et l'économie politique ne sort jamais vraiment du mercantilisme pas plus que du nationalisme), nier l'aliénation comme loi, c'est admettre la socialisation mercantile comme communauté humaine ou autrement dit concevoir l'échange comme complément mutuel de la vie de l'espèce, comme vie véritablement humaine. C'est précisément ce que fait l'économie politique qui, par là, finit aussi par rompre fondamentalement avec le caractère historique des lois de l'économie.
Malgré ses nombreuses déclarations où elle considère les lois de l'économie comme historiques, l'économie politique se trahit toujours d'elle-même et est toujours a-historique. Cela signifie qu'il y a toujours pour elle des parties spécifiques du cycle historique universel (du communisme primitif au communisme intégral), des parties différentes selon les auteurs, qui sont considérées comme supra-historiques, générales ou bien naturelles ou encore comme la dernière station de l'histoire. De la sorte, leurs lois tendent à être a-historiques et dans presque tous les cas, les économistes se voient administrer ou conseiller la société, ce qui par cette voie les conduit également à renoncer même au caractère objectif et social des lois de l'économie, et à permettre --dans la logique du choix, dans la morale, dans la praxéologie--, que toute l'économie politique se vulgarise.
Dans le cas des économistes classiques, ceux-ci rompent avec le caractère historique des lois de l'économie politique quand ils parlent de l'individu, de l'homo economicus, sans être capables de le concevoir en tant que produit historique. Ils rompent plus brutalement encore avec l'histoire quand ils considèrent le système économique capitaliste comme la conclusion de l'histoire de l'humanité. L'économie politique se vulgarise totalement et rompt même avec le caractère social et objectif des lois économiques à partir des robinsonnades propres aux classiques.
A l'heure actuelle, l'économie politique (marxiste ou non) rompt avec le caractère historique des lois économiques quand elle envisage des éléments historiquement contingents comme attachés à la nature humaine, quand, d'une manière ou d'une autre, elle cherche dans le monde présent des aspects du stade final de l'histoire de l'humanité, quand, par exemple, un pays est appelé socialiste (ou communiste!), quand le mode de production d'une zone du monde --qui de toute évidence continue d'être un mode de production mercantile-- est considéré comme le but de l'histoire,... idées autour desquelles toute l'économie politique est construite. Un autre exemple, tout à fait généralisé, est de considérer l'argent, les classes sociales, l'Etat, la famille, etc. comme historiques, mais d'estimer le travail inhérent à la nature humaine, "général à toutes les formes de production". Il ne manque pas non plus d'économistes qui s'imaginent le communisme avec le travail. Dans tous les cas, les projections naturalistes de la société, présentes sur la société future, se font également sur le passé, et sur toutes les autres sciences sociales, naturelles et exactes, niant ainsi l'histoire réelle de l'humanité. Ainsi en est-il du "travail", comme si celui-ci avait toujours existé et qu'il dépassait même le cadre de l'existence humaine pour exister, par exemple, dans la physique; mais il en va également ainsi de tous ces produits historiques que l'économiste s'imagine inhérents à l'homme et qui participent de ses valeurs sans qu'il ne s'en rende compte. C'est pourquoi l'individu lui-même, tel que nous le connaissons aujourd'hui (15) n'est pas compris dans sa dissolution future, ni non plus dans son surgissement en tant que produit historique. Il ne manque pas non plus d'économistes marxistes qui sans le vouloir ni le savoir introduisent des robinsonnades dans leur analyse. C'est jusqu'à la dictature générale du Capital, c'est-à-dire la démocratie, qui acquiert chez certains auteurs ce caractère naturel et a-historique et est présenté comme le but de l'histoire, comme si celle-ci pouvait co-exister, se concilier, se fusionner avec le communisme.
De là le fait que la compréhension de la substance générale du Capital et des fondements de l'actuelle critique de l'économie sont inséparables de la critique de ces "matérialisations" opérées par le marxisme.
Selon l'économie marxiste, Marx aurait fondamentalement adopté (avec certaines modifications selon les auteurs) la théorie de la valeur inventée par les économistes classiques et que David Ricardo a portée à son expression maximale. D'après ceux-ci, la véritable rupture de Marx consisterait dans le fait d'avoir découvert la plus-value, c'est-à-dire dans le fait d'avoir découvert qu'il y a une partie de la valeur créée par l'ouvrier qui est appropriée par le capitaliste.
Tout d'abord, la théorie de la valeur travail (telle que la considèrent et l'appellent les économistes marxistes) jointe à la compréhension de ce que le travailleur ne reçoit pas tout le produit de son travail mais qu'une partie aboutit chez ceux qui le dominent et l'exploitent (part que sous le capitalisme Marx appelle la plus-value (ou sur-valeur)), --tout cela n'est absolument pas une invention des classiques, ni encore moins de Marx. Ces affirmations se succèdent durant toute l'ère capitaliste, et pour retrouver l'origine de cette compréhension matérialiste et objective de la valeur, nous devons remonter à plus de 20 siècles. Ainsi par exemple, Men Tse, qui vécut approximativement dans les années 380 à 290 avant J.C., qualifiait "le travail comme source unique de la valeur" et, en bon prédécesseur des économistes politiques, il reconnaissait ouvertement l'exploitation et exposait les faits du monde de son époque comme les données du meilleur des mondes possibles: "Ceux qui sont maintenus dans l'ordre par les autres les nourrissent, ceux qui maintiennent les autres dans l'ordre sont alimentés par eux. C'est là le devoir de tous sur la terre" (16). Il n'est pas intéressant ici de multiplier les exemples historiques à ce sujet; l'important, c'est de comprendre qu'entre cette théorie de la valeur travail de Men Tse, Platon,... et celle qu'adopteront plus tard Smith, Ricardo, il n'y a pas de rupture fondamentale; que dans tous les cas, la valeur des choses est constituée par le travail qui est physiquement incorporé; bien que ces notions soient interprétées différemment (17). La véritable rupture se trouve, entre toutes ces théories de la valeur travail d'un côté, et la conception de Marx, de l'autre.
Encore une fois, la rupture est cachée là où elle se trouve et est présentée à un autre endroit.
Pour beaucoup d'économistes marxistes, la théorie de la valeur de Marx serait une affirmation améliorée de celle qui affirme que le travail est la source de toute la richesse, affirmation que Marx partagerait en dernière instance avec Smith, Ricardo ou Men Tse (18). En réalité, pour Marx, au contraire, le travail n'est pas la source de toute la richesse, ni en général des produits. Marx lui-même se charge de le dire explicitement:
"Dans sa production, l'homme ne peut point procéder autrement que la nature elle- même, c'est-à-dire il ne fait que changer la forme des matières. Bien plus dans cette oeuvre de simple transformation, il s'appuie encore constamment sur les forces naturelles. Le travail n'est donc pas l'unique source des valeurs d'usage qu'il produit, de la riches ses matérielle."
Le Capital - Livre I.De son côté, Marx affirmera que le travail abstrait est celui qui constitue la substance de la valeur, et ce n'est pas seulement là une affirmation différente, mais carrément opposée. De plus, la première affirmation recouvre toutes les sociétés, la seconde, au contraire, recouvre exclusivement la seule société où existe le travail abstrait, la seule société mercantile généralisée: le capitalisme.
D'autres marxistes plus intelligents, qui "disent" au moins distinguer valeur d'usage et valeur d'échange (19), lorsqu'ils ont à définir la théorie de la valeur de Marx, l'identifie dans les faits à celle de Ricardo --et sans le savoir à celle de Men Tse--, en identifiant la "valeur" avec le travail incorporé dans la marchandise. Bien qu'ils ajoutent "travail nécessaire" (tout comme Ricardo), ou se réfèrent en paroles au travail abstrait, leur conception reste fondamentalement Ricardienne, c'est-à-dire physiologique et non sociale et historique comme l'est celle de Marx. Et cela ne les préoccupe pas trop de s'imaginer en "Robinson produisant des valeurs d'usage et des valeurs d'échange ou valeurs", étant donné que leur conception est totalement compatible avec cette vulgarisation. En général, cette théorie de la valeur se révèle intégralement pour ce qu'elle est quand elle finit par conceptualiser la "valeur individuelle" (20) et la théorie de l'échange inégal, qui conclut son apologie du système en transformant le concept même d'exploitation non plus en une relation entre classes mais entre pays!
En réalité, la ruptures entre toutes ces théories de la valeur travail, fondamentalement a-historiques par le fait d'être physiologiques, et la conception de Marx est totale et embrasse de multiples aspects que nous ne pouvons ici qu'énoncer:
Ce n'est pas ici le lieu pour faire une exposition en soi des lois du mouvement de la matière sociale, c'est-à-dire de la dialectique historique (26); contentons-nous donc d'ajouter aux observations déjà réalisées quelques points fondamentaux par lesquels l'économie politique met en évidence la vulgarité de son matérialisme:
Il en est de même avec toutes les analyses de l'impérialisme qui, d'une manière ou d'une autre, utilisent un ensemble de catégories que Marx a systématisées, les vidant de tout leur contenu général, mondial en les appliquant aux relations entre nations et/ou aux analyses de l'économie nationale, transformant ainsi leur marxisme en une théorie de l'exploitation d'un pays par un autre et leur critique du statu-quo en prise de parti pour un des camps généraux de la lutte inter-impérialiste à travers ce qu'elles appellent la libération nationale.
Cette critique du statu-quo n'est donc pas seulement misérablement réformiste, elle fait fondamentalement partie de la guerre concurrentielle entre les différentes fractions du Capital mondial, guerre qui est avant tout la seule alternative sérieuse pour continuer à reproduire la société capitaliste contre son fossoyeur, le prolétariat.
Si l'on fait abstraction de l'appropriation de la terminologie marxiste, les économistes marxistes ne font en général leur aucun des aspects fondamentaux de l'oeuvre de Marx, oeuvre qui se trouve en totale opposition, implicite et explicite, avec toute l'économie politique, comme nous l'avons vu et comme il s'agira de mieux l'établir dans les textes suivants.
Mais le "marxisme" n'occupe pas n'importe quelle place dans l'économie politique actuelle, car ses représentants les plus radicaux (et bien que cela paraisse fondamental il faut pour les trouver dans certains cas remonter à la social-démocratie internationale: Kautsky, Plékhanov,...) sont les expressions les plus extrêmes et conscientes que l'économie politique puisse produire; c'est-à-dire, qu'ils sont les Ricardo et les Smith de notre époque, de là l'importance fondamentale de connaître le "marxisme", pour réaliser la critique de l'économie politique.
Mais de plus, aucune lecture correcte de Marx ne peut être réalisée sans connaître la conformation historique et sociale du marxisme en tant qu'idéologie et s'approprier théoriquement les fondements mêmes de cette falsification historique qui a permis que l'oeuvre de Marx soit présentée aux générations actuelles comme partie de l'économie politique, non seulement dans le verbe mais dans la plus prosaïque réalité.
C'est pourquoi Barrot a pleinement raison quand il dit:
"Pour se réapproprier la théorie de son mouvement, le communisme n'a pas seulement besoin de lire les classiques, et en premier lieu Marx. Plus exactement, cet te lecture ne peut porter pleinement ses fruits que si elle s'accompagne d'une ana lyse et d'une compréhension globales du phénomène appelé 'marxisme'." (36)Aujourd'hui, n'importe quelle contribution à la critique de l'économie politique doit embrasser la critique du "marxisme" transformé en partie décisive de l'idéologie du Capital.
"Le marxisme est désormais partie intégrante de la tendance de l'idéologie capitaliste à devenir unitaire, à englober toutes les critiques et toutes les contestations, d'abord pour les neutraliser, et surtout pour s'approprier ce qu'elles expriment de vrai et d'important sur la société capitaliste." (37) |