COMMUNISME

Dictature du prolétariat pour l'abolition du travail salarié

Organe central en français du Groupe Communiste Internationaliste (GCI)


COMMUNISME No.29 (Octobre 1989)



Quelques notes sur le rapport de force mondiale entre les classes

* * *

Introduction: du début du siècle à aujourd'hui

L'activité des militants révolutionnaires est totalement déterminée par les antagonismes irréconciliables entre bourgeoisie et prolétariat, et cela dans toutes les époques. Cependant nul ne saurait douter que la façon dont s'exprime ces antagonismes varie en fonction des périodes historiques, c'estàdire en fonction du RAPPORT DE FORCE ENTRE LES CLASSES.

Ce rapport détermine l'ouverture ou la fermeture de certaines possibilités. Si donc les fondements de l'antagonisme et les tâches des militants révolutionnaires ne varient jamais, les possibilités et l'importance RELATIVE de chaque tâche varient quant à elles.

C'est donc l'assumation de la totalité des tâches la déterminées par l'antagonisme social qui caractérise la militance révolutionnaire, mais cet te réalité est relativisée par le rapport de force entre le classes.

Le but du présent travail est de mettre en avant un ensemble d'éléments permettant de mieux saisir la période historique présente, pour mieux s'y situer pratiquement. Il s'agit de donner un cadre plus précis et plus rigoureux à notre activité en mettant en avant les possibilités actuelles.

Il n'est pas question pour nous d'aligner ici les chiffres de l'OCDE pour "prouver" que nous vivons dans une période de crise et induire par là un lien mécanique entre crise économique du Capital et la lutte de classe.

Lorsque nous parlons de la situation internationale, il ne s'agit pas de définir les rapports entre les différents impérialismes, de décrire les courbes de croissance, ou encore de comparer les Produits Nationaux Brut,... mais bel et bien d'évaluer la situation du prolétariat mondial dans la lutte qui l'oppose incessamment à la bourgeoisie; autrement dit, il s'agit de déterminer, d'évaluer, de vérifier la capacité du prolétariat à être sujet de sa propre histoire.

Et s'il est vrai que cette réalité est influencée par la crise économique (et nous verrons comment), l'affrontement social la lutte de classes donc n'en demeure pas moins le facteur essentiel, central, primordial, celui à partir duquel il est possible d'expliquer les autres, précisément parce qu'il les a façonnés. La crise impose évidemment des décisions à la bourgeoisie et ces décisions découlent directement de l'affrontement social entre les classes: le développement de l'austérité et les idéologies antiouvrières sont des exemples de ce que, sur base de la lutte de classes, la bourgeoisie doit développer comme action contre le prolétariat. Mais il est ridicule, sur base des efforts que fait la bourgeoisie pour compenser les effets de la crise, et sur base aussi de la résistance qu'offre le prolétariat aux mesures prises, d'en déduire que la crise est le sujet de l'histoire.

Il est évident que l'analyse que nous tentons de faire du rapport de force entre les classes prend comme référence l'histoire du prolétariat, c'estàdire les moments où celuici a su s'imposer comme sujet de sa propre histoire. Nous nous référons à la lutte de notre classe, à la fois du fait de l'évident parti pris qui est le nôtre, mais aussi parce que la lutte prolétarienne est, en tant qu'action sur le monde, l'explication du monde bourgeois, de sa réalité inhumaine et de son caractère transitoire. Au plus notre classe, par sa pratique révolutionnaire remet en cause la paix sociale, au plus apparaît clairement la nature réelle du monde bourgeois, au plus apparaît l'omniprésence de l'irréconcialiable antagonisme entre les classes, tel qu'il ne peut se résoudre que dans la révolution communiste.

Pour avancer dans la question qui nous est aujourd'hui posée par la réalité à savoir, la situation du prolétariat que nous considérons comme très mauvaise et déterminer les moyens de changer cette sinistre réalité, nous devons nous baser sur l'expérience la plus profonde qu'ait connu notre classe: la vague mondiale de lutte de 1917 à 1923, la plus riche en leçons de toutes sortes. Nous nous basons également, à un deuxième niveau, sur la vague de lutte de 1967 à 1973 qui fit une lézarde dans le mur de la contrerévolution érigée sur les ruines du mouvement révolutionnaire écrasé en 1923. Au travers de ces expériences, nous réaffirmons l'invariance des déterminations sociales du mouvement communiste et donc de ses points de passages obligés.

Il peut sembler étrange de prendre comme référence, dans cette introduction, le début du siècle, et ce point de repère pourrait donner à penser (pour ceux qui n'auraient jamais lu nos revues) que nous croyons à l'existence d'un changement de nature quelconque dans le capitalisme. Nos lecteurs savent à suffisance que nous connaissons et dénonçons l'imbécillité de toutes les théories décadentistes qui ne servent qu'à justifier, pour les reproduire, l'ensemble des faiblesses de la classe ouvrière dans le passé, et qui ont donc pour fonction la défense de pratiques bourgeoises.

Nous savons que le Capital n'a pas changé de nature, qu'il ne changera pas de nature et qu'il doit être détruit par le prolétariat. Au travers de ces contradictions mortelles, l'ensemble des antagonismes n'a cessé de croître et ne peut connaître de solutionnements que dans la révolution.

Cependant, le rythme du mouvement révolution/contrerévolution, ainsi que les tendances qui y sont apparues, permettent de mettre en avant différents éléments pour déterminer les limites, les faiblesses et les point de force des luttes à venir. Loin d'être produits de la conscience et de la volonté des militants ou des chefs révolutionnaires, les points de force ou de faiblesse sont produits des formes de développement que prend l'antagonisme social dans une période historique donnée et sont déterminés par les lignes générales du développement du capitalisme et de la lutte ouvrière.

Et si nous parlons ici du début du siècle, c'est parce qu'au travers du développement des contradictions, au travers du développement de la révolution et de la contrerévolution, il semble que la période actuelle aie plus d'un point commun avec cellelà. Cette affirmation, nous la faisons à contrecourant de ce que la situation immédiate donne à voir, à contrecourant donc des idéologies bourgeoises. Cellesci tentent de nous faire croire, sur base de changements concrets réels mais secondaires, que la nature des choses a changé, que la question du bouleversement révolutionnaire de la société ne se joue plus, si ce n'est peutêtre pour certaines "dictatures fascistes", etc.. Il s'agit à la fois de cacher la nature réelle des mouvements révolutionnaires du passé et de "boucher" l'avenir de notre classe. Face à cela, nous revendiquons et tirons les leçons des luttes de notre classe dans le passé, et nous affirmons que le développement d'une vague mondiale de lutte ouvrière remettant en question l'ensemble de l'ordre bourgeois est de plus en plus à l'ordre du jour, et cela malgré d'immenses difficultés que nous ne devons pas nous cacher.

Nous nous trouvons, en effet, à la conjonction de deux facteurs fondamentaux qui peuvent permettre le dépassement d'un ensemble de limites que la bourgeoisie imposent par la violence à nos luttes. Et si nous précisons "peuvent permettre", c'est parce que si ces facteurs sont bien indispensables, il n'en reste pas moins que LE facteur déterminant qui les transformera en réelles conditions de la révolution reste, bien entendu, la pratique révolutionnaire de notre classe et de ses avantgardes. Ces deux facteurs sont d'une part, le développement rapide d'une crise économique extrêmement profonde qui détermine un appauvrissement tout aussi rapide de la classe ouvrière et qui ne peut déboucher que sur une guerre généralisée, et d'autre part, l'existence d'un prolétariat qui, pour l'instant, est assez peu rattaché positivement au char de l'Etat bourgeois. La réalité du monde bourgeois est qu'en dehors de la lutte, les prolétaires n'ont pas d'autres choix que d'être liés à ce monde et à son Etat, ne seraitce que par le travail. Et cela nous oblige à mettre les différentes formes de relativisation en avant. Nous allons éclairer immédiatement notre propos en l'élargissant. Cet élargissement nous le ferons en comparant la période actuelle avec trois moments "clé" de ce siècle. La guerre et la vague de lutte de 1723, la guerre de 3945, et enfin, la vague de 6773. L'analyse de ces périodes démontre à elle seule l'imbécilité de ceux qui prétendent faire une liaison mécanique entre crise, paupérisme et lutte de classe mondiale. Si bien évidemment, la paupérisation que subit le prolétariat avant, et surtout pendant la guerre de '14, fut un des facteurs du développement des luttes ouvrières, la misère, mille fois plus importante et les destructions, mille fois plus généralisées de la guerre de '39'45, engendrèrent quant à elles, des luttes beaucoup moins importantes; d'un autre côté, le développement de la vague de lutte de 1967-1973, qui sera beaucoup plus profond que les luttes qui se déroulèrent pendant et après la "seconde" guerre mondiale, se fait sur base d'une situation générale beaucoup moins pénible en terme relatif et absolu que la crise des années 30 et la guerre qui s'ensuivit. La différence fondamentale est que le prolétariat est totalement écrasé, détruit, atomisé, à la sortie de la vague de lutte de '23 par l'écrasement de celleci. L'ampleur de la lutte, la peur qu'elle a causé àla bourgeoisie mondiale, a déterminé une répression sans limite, provoquant l'assassinat de tous les cadres prolétariens, la destruction de différentes manières de toutes ses organisations et une repolarisation interbourgeoise de toute la société.

Sur base de cet écrasement, toute l'histoire des luttes qui l'ont précédé est réécrite. Sur base de cet écrasement, leur nature réelle est annihilée. Sur base de cet écrasement, de nouvelles et formidables barrières sont érigées contre la lutte ouvrière et cela notamment par la cooptation d'ouvriers, voire d'organisations ouvrières entières, au sein de l'Etat bourgeois. C'est tout autant le massacre physique de tous ceux qui résistent à cette formidable vague contrerévolutionnaire que le développement des syndicats "rouges", que la "bolchévisation" des partis qui furent communistes, que la création de partis "communistes" directement contrerévolutionnaires, ou encore, le développement imposé du "parlementarisme révolutionnaire", du "syndicalisme rouge", de la création des partis "communistes" de masses,... qui expriment la profondeur de la contrerévolution. C'est enfin la formidable polarisation entre les "pays socialistes", la "démocratie" et le "fascisme" (de fait entre parlementarisme et bonapartisme, futil "ouvrier"), qui achève d'atomiser le prolétariat.

Sur les ruines de la plus formidable expérience du prolétariat, la bourgeoisie a pu reconstruire tout son appareil de domination, en le consolidant et en le rendant plus fort encore et plus compact qu'auparavant. C'est face à ce niveau de terreur bourgeoise que se trouve confronté un prolétariat, sans lien et pratiquement sans contact ni organisation, lorsqu'il va subir toutes les rigueurs de la crise dans les années 2030 et la guerre qui s'ensuivit. Cela explique pourquoi les luttes glorieuses qu'il a menées durant cette période sont restées tellement isolées. Pourtant, entre '67 et '73, réapparaît une vague mondiale de lutte où le prolétariat va réussir, pour la première fois depuis l'écrasement de 1923, à redevenir sujet de sa propre histoire, à remettre en question l'ordre bourgeois et cela malgré que la situation économique soit beaucoup moins désastreuse qu'aujourd'hui, qu'en 1917 ou que dans les années '30, toutes proportions gardées bien entendu.

Or, la question de la profondeur de la crise économique n'est pas de peu d'importance. Elle détermine ou non, par exemple, l’homogénéisation de la situation immédiate du prolétariat, de même qu'elle détermine les cartes qu'en cas de développement massif de la lutte et de l'associationnisme ouvrier, la bourgeoisie pourra jouer pour essayer de diviser et d'atomiser la classe ouvrière.

Les années '60 ont vu le développement d'une paupérisation qui bien que brutale n'en restait pas moins globalement RELATIVE. C'est ce qui permit à la bourgeoisie d'augmenter les salaires réels de la classe ouvrière dans certains pays (évidemment beaucoup moins vite que l'exploitation) pour briser des luttes. Cela a également déterminé de profonds décalages dans les luttes ouvrières dans le monde: la remise en question du monde était très violente et totalisante en Amérique Latine; au Moyen Orient, par contre, les luttes restèrent assez faibles au cours de la même période; et en Europe, malgré la ferveur des médias et le spectacle qu'en firent les gauchistes, les affrontements restèrent très limités. Ces décalages s'expliquent par tout un ensemble de conditions (la faiblesse des luttes au Moyen Orient, par exemple, s'explique notamment par la défaite des luttes dans les années '50 et les campagnes de polarisation arabes/sionistes), mais dont la plus déterminante est sans conteste, la capacité que la bourgeoisie avait encore de moduler ses attaques antiouvrières. Et si, à terme, les mêmes mesures devaient bien évidemment être prises partout, la profondeur, le rythme, la forme, le moment où ces mesures devaient être prises, pouvaient varier de pays à pays, ou même de régions à régions, mais aussi entre différentes franges du prolétariat vivant dans un même pays, etc.

Or, précisément, l'ensemble de ces décalages diminue avec l'approfondissement de la crise. Les mesures que prend la bourgeoisie tendent de plus en plus à développer la paupérisation de l'ensemble de la classe ouvrière, et cela partout dans le monde, même si des décalages existent toujours puisqu'il s'agit d'un mouvement qui, loin de les faire disparaître d'un coup de baguette magique, les atténuent progressivement. Tout ce mouvement se déroule alors que l'ensemble des idéologies que la bourgeoisie a mis en avant à la fin de la vague révolutionnaire de 1923, ont partiellement perdu de leur force. C'est ce qui explique que si le prolétariat est lié à l'Etat, simplement par sa nonlutte actuelle, cet enrôlement est beaucoup moins fort qu’il ne le fut.

II s'agit beaucoup plus de subir la répression de la bourgeoisie que de soutenir activement, de participer à ses campagnes. Encore que, comme de bien entendu, et nous allons en reparler, la bourgeoisie mette énormément d'énergie à changer cet état de chose. Mais aujourd'hui en tous cas, elle ne possède pas une alternative RADICALE ET VIERGE pour encadrer les prolétaires et les transformer en agents actifs de leur assassinat massif. Cela ne signifie évidemment pas que la bourgeoisie ne puisse créer quelque chose en ce sens: les tentatives actuelles de préencadrer tout mouvement surgissant dans des structures alternatives, telles les coordinations dont la plupart ont d'emblée et totalement un contenuréactionnaire, en sont les meilleures preuves. Mais aujourd'hui, des structures de ce type ne peuvent avoir toute la formidable puissance, toute l'aura qu'avaient les partis et l'Internationale "Communiste" après l'écrasement de 1923.

Si donc la défaite de 1973 a pu donner une relance à la contrerévolution amorcée en 1923, et si dans différents pays, elle a permis (à l'image de l'importance de la remise en question de la société dans ces pays) le massacre généralisé des prolétaires et la dispersion de l'avantgarde qui tentait de surgir de ces luttes, voire même la recrédibilisation partielle de la société (cf. la "démocratisation", l'amnistie, etc., en Amérique Latine), l'importance relative des différents éléments de la révolution et de la contrerévolution donne néanmoins à penser que la défaite de 1973 sera moins lourde et ce, notamment dans le temps que celle de 1923, même si cette défaite comporte, comme nous l'avons souligné, toutes les marques de la contrerévolution (disparition des cadres, rupture de la continuité organique entre les générations de révolutionnaires, etc.). Pour resynthétiser, il s'agit plus, à partir de 1973, de la relance d'un cycle de contrerévolution, avec toutes les conséquences que cela peut avoir, que de l'ouverture d'un nouveau cycle de contrerévolution.

Mais quelles étaient donc les bases du développement des luttes dans les années '60? Le cadre en était:

  1. Le développement rapide du taux d'exploitation; la paupérisation relative qui s'accroît partout dans le monde.
  2. L'existence d'un prolétariat qui a connu les luttes de l'aprèsguerre et la destruction des rêves et idéologies que la bourgeoisie a mis en avant pour écraser cellesci (prospérité pour tous, diminution à courtterme du temps de travail…).
  3. Comme concrétisation particulière de ce dernier point, le développement de la guerre du Vietnam venant démentir de façon flagrante le mythe de "la dernière guerre pour sauver l'humanité du fascisme". Les prolétaires aux USA voyaient très mal l'utilité de mourir dans un pays qu'ils étaient pour la plupart incapable de situer sur une carte. En ce sens, la guerre du Vietnam fut un élément concret très puissant pour montrer l'absurdité de la guerre, l'absurdité de l'effort de reconstruction et du mythe du "bonheur enfin trouvé".
  4. La déception des prolétaires, dont les luttes des années '50 furent encadrées par les luttes de libération nationale qui, très vite, dans la réalité quotidienne de la classe ouvrière, devaient montrer leurs caractères profondément antiprolétariens.
La lutte dans les années 67-73 s'est développée d'une manière extrêmement rapide et brutale. Le prolétariat a remis massivement la société en question sans avoir eu le temps de forger des liens, de développer son associationnisme. Il a posé la question de la destruction de l'Etat bourgeois et de toutes ses structures sans avoir eu le temps de se réapproprier son histoire, dont la profondeur de la contrerévolution l'avait pratiquement totalement coupée. Le surgissement de la lutte, mais aussi de la répression bourgeoise, fut tellement rapide que le prolétariat n'a pas eu le temps de forger la direction que le mouvement révolutionnaire nécessite. Les rares groupes ouvriers qui ont essayé de maintenir le lien avec le passé, et qui ont tenté de tirer le bilan de la vague de 17-23 avaient déjà, soit disparu, soit étaient dépassés par la vague et s'avérèrent incapables de lui donner une direction centrale et centralisatrice. Cette réalité fut d'autant plus forte que l'espace économicopolitique dont disposait la bourgeoisie lui permis de séparer le prolétariat et de le battre région par région. Et si le déploiement formidable de la violence bourgeoise fut, certes, un facteur de la défaite ouvrière, c'est bien parce qu'existait un terrain social permettant de séparer les masses ouvrières de ses éléments les plus décidés, que cette même violence pu s'exprimer à cette échelle. Les cadres révolutionnaires furent assassinés et torturés sur une échelle jamais connue, la bourgeoisie utilisant les disparitions comme moyen de gouvernement. Or, en mettant en avant, parallèlement à cela, un certain nombre de réformes, la bourgeoisie a pu empêcher que se développe une continuité dans les luttes qui aurait chaque fois rendu plus indispensable et possible, la réappropriation du passé de notre classe, la réémergence des liens internationaux du prolétariat, de sa presse, etc.

A partir de ce court tableau du cadre et des conditions dans lesquelles le prolétariat a lutté et a été vaincu au début des années '70, quelques remarques s'imposent en terme d'évaluation et de perspectives pour la période actuelle.

Depuis les années '60 et les luttes qui se déclenchèrent durant cette période, le seul changement qui se soit réalisé, est constitué par L'APPROFONDISSEMENT DE TOUTES LES CONTRADICTIONS. La bourgeoisie n'a réussi à mettre aucune réforme en avant qui ait transformé qualitativement la situation, et cela non pas parce qu'elle en est incapable, mais parce que la seule réforme qui, dans cette période historique, permettrait un changement qualitatif de la situation est la guerre généralisée à l'ensemble de la planète. Or celleci est prématurée. Prématurée dans les besoins d'abord, puisque la bourgeoisie peut encore puiser un sursis dans l'aggravation des conditions de vie du prolétariat mondial, mais prématurée également dans les possibilités, parce que le prolétariat, soumis, atomisé et défait comme il l'est aujourd'hui, n'est pas encore prêt à partir la "fleur au fusil". L'austérité massive, avec sa défense de l'entreprise puis de la patrie dans la concurrence mondiale, avec le développement de la concurrence individuelle et individualiste au sein des prolétaires, avec le développement accéléré de la répression des "traîtres, des saboteurs, des hooligans, des parasites, des agents de l'impérialisme...", constitue bien entendu un moment indispensable au renforcement de l'union nationale et donc un pas important dans le sens de la préparation à la guerre.

Mais le développement de l'ensemble des facteurs qui ont poussé aux luttes des années '60 était également constitué par le développement des guerres, par le développement de la misère de plus en plus généralisée, par le fait, toujours plus évident, que la seule perspective envisageable pour réformer le monde soit la guerre mondiale sur une échelle jamais connue. Un ensemble de caractéristiques qui ont poussé aux luttes des années 6773 se retrouvent donc aussi dans les explosions de luttes ouvrières de ces dernières années, qu'il s'agisse du Maroc, de l'Algérie, des pays de l'Est (Pologne, Kosovo, Russie,...), de l'Argentine (Cf. le texte dans cette revue), de la Birmanie (Idem) ou de la Corée. Mais si ces luttes ont certaines des caractéristiques de celles de la vague 6773 et notamment le fait d'être des explosions extrêmement rapides et brutales qui, bien souvent, surprennent la bourgeoisie dans un premier temps, l'absence totale de perspectives révolutionnaires et l'absence dramatique d'organisation et de direction de la lutte en ce sens, sont des différences notables et inquiétantes d'avec les mouvements des années '60. De plus, l'écrasement extrêmement rapide de ces explosions ouvrières, écrasement dû, entre autre, à l'incapacité organisationnelle du prolétariat à généraliser ses luttes, ne laisse pas au prolétariat le temps nécessaire à la réémergence des indispensables liens révolutionnaires qui furent détruits par la contrerévolution des années '20, renforcée par celle des années '60, bref par presque 70 ans de contrerévolution triomphante quasi ininterrompue. Une expression de l'inexistence de ces liens est l'absence de presse ouvrière massive, symptôme dramatique du fossé qui sépare encore le prolétariat de la révolution.

Une phase révolutionnaire ne peut s'ouvrir qu'avec un développement de l'organisation, de la conscience, de la direction, et cela est impossible sans la réappropriation théorique et pratique du passé du prolétariat, sans la réapparition de sa centralisation mondiale et ce, à un niveau supérieur, puisque non seulement le niveau le plus élevé du passé se révèle insuffisant, mais qu'en plus la bourgeoisie a tiré des leçons du passé, or, on ne peut discerner aujourd'hui, des éléments donnant à penser que les luttes futures se développeront sur un canevas autre.

Les explosions actuelles de rages ouvrières, qui mettent très rapidement en question l'ensemble des structures et idéologies de la société, entraînent des réactions extrêmement brutales de la part de l'Etat et la généralisation des méthodes de gouvernement les plus atroces, qu'il s'agisse des disparitions massives, de l'envoi de gosses sur le front, de la torture ou du bombardement des villes ou quartiers ouvriers. Cette répression renforce encore la nonorganisation, la désorganisation du prolétariat. Le décalage entre le niveau d'expérience, de préparation et d'organisation de la bourgeoisie, et celui du prolétariat apparaît encore plus profondément, et cela d'autant plus que DE TOUT TEMPS, LA BOURGEOISIE S'EST ORGANISEE DIRECTEMENT ET ESSENTIELLEMENT CONTRE LE PROLETARIAT, et dispose donc d'une expérience historique bien plus large.

Ce décalage prend d'autant plus de poids dans ces luttes qui (comme en Argentine, en Chine et en Algérie) explosent très vite et très fort et où le prolétariat se trouve immédiatement face à un développement très brutal de l'affrontement social, et de la répression, sans structure ni direction. Toutes ces difficultés révèlent de façon plus aiguë encore, la nécessité du travail de préparation que mènent les fractions communistes depuis toujours.

Mais cela serait bien défaitiste que de ne mettre que cet aspectlà en avant sans souligner un autre aspect plus encourageant pour le futur. Si, dans les années '70, la bourgeoisie possédait encore des cartes économicopolitiques à jouer (augmentation du salaire réel dans certaines régions du globe par exemple) qui ont permis d'isoler les avantgardes ouvrières et de les réprimer, ces cartes n'ont cessé de diminuer. Aujourd'hui, la bourgeoisie ne peut plus espérer trouver un sursis important dans des réformes quelconques. Elle se trouve contrainte d'augmenter très rapidement toutes les mesures antiouvrières et de préparer la généralisation à l'échelle mondiale de la guerre. Et de fait, elle homogénéise rapidement la situation du prolétariat mondial, tout en limitant les alternatives bourgeoises. La dégradation permanente des conditions de vie du prolétariat s'accélérant, même après une défaite importante, celuici n'a plus d'autre alternative que de reprendre la lutte ou se laisser massacrer que cela soit par la faim ou par la guerre. Cette réalité le pousse à reprendre rapidement la lutte, renforçant les possibilités pour que la classe tire les leçons des luttes précédentes. De plus, les luttes qui se déroulent à un endroit du globe peuvent d'autant plus servir d'exemple que la situation qui les a déclenché fait de plus en plus directement écho à la situation du prolétariat partout ailleurs; les prolétaires en Argentine viennent de le prouver en suivant l'exemple de leurs frères de classe au Brésil et au Venezuela. La façon dont les classes s'affrontent fait également et directement écho à la façon dont elles se sont affrontées ailleurs. En cela, et dans l'existence de chaque lutte de prolétaires ayant vécu les luttes précédentes et ayant tiré des leçons de différents types comme par exemple sur les partis politiques de la bourgeoisie, sur sa gauche et ses syndicats se trouvent les possibilités de développement qualitatif et quantitatif des luttes. Il devient également de plus en plus clair que chaque fraction de la bourgeoisie qui vient au gouvernement prend exactement les mêmes mesures que la fraction qui là précédait. Le mouvement de décrédibilisation de toutes les fractions bourgeoises que cela implique, se renforce encore du fait même de la lutte et de sa répression par toutes ces fractions.

Maintenant, il ne s'agit pas non plus de s'illusionner: s'il est vrai que l'homogénéisation dans la répression et la défaite peut constituer, à partir de la similarité d'expérience, un facteur renforçant la conscience prolétarienne de l'universalité de sa situation, une défaite ouvrière peut, par son ampleur, remettre l'avenir des luttes en question. Le déclenchement de la guerre est, par exemple, d'abord un facteur d'écrasement du prolétariat même si cela peut ensuite devenir un facteur de renforcement des luttes ouvrières.

Ces difficultés ne rendent que plus évident la nécessité de préparer dès aujourd'hui ce qui sera le point de passage obligé des luttes du futur (comme ce fut le cas pour celles du passé): l'indispensable travail de préparation des minorités d'avantgarde. Seule cette préparation, cette organisation peut permettre à chaque moment de la lutte ouvrière d'exprimer l'ensemble de ses potentialités et de diminuer donc les conséquences de la contrerévolution, permettant de la sorte à la révolution de resurgir chaque fois plus forte, chaque fois plus massive et décidée.

Avec l'exacerbation de toutes les contradictions, telles que nous les avons ici énumérées, nous pouvons donc mettre en avant un relatif optimisme pour ce qui est des luttes à long terme: le Capital a largement développé et concentré son fossoyeur historique le prolétariat ainsi que toutes les conditions de sa lutte historique. Nous sommes cependant beaucoup plus pessimiste en ce qui concerne le court terme, dans la mesure où le prolétariat a laissé détruire tous les liens qui l'unissent à luimême, à son passé et à son devenir. Les explosions de rage ouvrière de ces dernières années, et dont nous tirons des leçons de quelques unes d'entre elles dans cette même revue, laissent voir en lettre de feu et de sang toutes leurs faiblesses: inorganisation, apolitisme, individualisme.

Les premières grosses luttes ouvrières déclencheront sans doute une contrerévolution compacte et puissante et qui, en révélant plus crûment encore la réalité de ce monde, ouvrira à coup sûr la possibilité d'un dépassement révolutionnaire de ces limites.

Le regroupement militant et la centralisation de notre communauté de lutte sont indispensables dès aujourd'hui parce qu'ils constituent des moments essentiels de la réappropriation de notre totalité, parce qu'ils permettent l'indispensable préparation préalable à cette réappropriation, parce qu'ils forment la base réelle sur laquelle devront se tisser les liens du prolétariat.

Plus la vie du Capital sera longue et plus l'enfantement du communisme risque d'être douloureux. Il n'empêche que, quoiqu'en rêvent les bourgeois, le communisme s'imposera comme nécessité de ce monde. C'est inscrit en lettres indélébiles dans l'acte de naissance de leur société de mort.

La situation actuelle: crise et contre-révolution

La concurrence

Il nous faut maintenant analyser la situation de notre classe sur un terme beaucoup plus court. C'estàdire voir comment s'exprime le rapport de force de façon beaucoup plus immédiate et comment il peut évoluer dans les quelques années à venir. Il nous faut mettre en avant un autre niveau des conséquences de la crise. Si au niveau le plus général et à long terme la crise détermine des luttes de classe, vu l'exacerbation des contradictions sociales, au niveau plus particulier et immédiat, elle détermine évidemment une détérioration des conditions de vie du prolétariat. Mais cette détérioration implique aussi une plus grande difficulté à entrer en lutte, pas seulement parce que les sacrifices consentis deviennent plus lourds, mais aussi parce que la concurrence entre ouvriers augmente, parce que la débrouille individuelle contre les autres se développe. Il est clair que dans une situation où il n'est pas possible d'imposer par un rapport de force collectif le respect de nos besoins, nombreux sont ceux qui essayent à tout prix de garder leur place, acceptant les baisses de salaires, la détérioration des conditions et de l'ambiance du travail, etc. La débrouille individuelle, c'est la loi de la jungle capitaliste: "chacun pour soi contre les autres".

Dans un premier temps la crise a pu pousser les ouvriers à se détacher des structures de l'Etat, notamment les partis et les syndicats, en montrant pratiquement que ces derniers n'empêchaient ni les baisses de salaires, ni les expulsions, ni les licenciements massifs, en montrant que les "grèves" qu'ils organisaient ne signifiaient que des pertes de salaires et que tous les partis au pouvoir prenaient exactement les mêmes mesures antiouvrières (et que les autres proposaient fondamentalement les mêmes pour arracher un petit bout de pouvoir à ronger, en exhibant leurs capacités à prendre toutes les mesures antiouvrières qui s'imposent).

Ce type de décrédibilisation de l'Etat était d'évidence un pas en avant du prolétariat, un premier refus du consensus national, une des bases du développement des luttes contre l'austérité. Mais, comme toujours, cette situation ne pouvait prendre son sens réel qu'en se développant, qu'en se transformant en refus actif, en lutte contre la société. N'importe quelle réaction ouvrière se doit de se donner une direction tant en terme formel qu'en terme réel sans quoi la bourgeoisie lui impose une direction qui va évidemment directement à l’encontre de ses buts premiers.

Les réactions de "dépolitisation" et de "désyndicalisation" devaient se transformer en actions ouvrières sous peine de devenir de l'indifférentisme, de l'égoîsme individuel, du réalisme, un refus de "la" politique en général et donc un refus de la lutte. Pire, elles devaient servir de base à la réorganisation des prolétaires encore plus atomisés au sein de et pour l'Etat bourgeois. Tant sur le plan "économique" que sur le plan "politique", c'est donc directement la débrouille individuelle, la concurrence, le "chacun pour soi" dans et donc pour le système qui s'est largement développé!!

La concurrence signifie directement pousser l'autre au bas de l'échelle (sociale) pour garder sa place. La dépolitisation qui partait de : "tous les hommes politiques disent et font la même chose" s'est transformée en: "je m'occupe de mes affaires, le reste du monde peut crever!!".

Les "nouvelles" mesures économiques

Si cette réalité est évidemment basée sur la misère grandissante, elle est aussi le produit de la gestion assurément intelligente, par les bourgeois, de la crise et des nécessités économiques qu'elle impose. En premier lieu figure une gestion de la force de travail mieux appropriée aux besoins de cette période, et cela signifie nécessairement le développement de mesures d'austérité drastiques partout dans le monde. C'est encore une fois contre la classe ouvrière que la bourgeoisie se trouve contrainte de montrer l'homogénéité de son monde, la nature mondiale du mode de production capitaliste qui détermine directement la nature mondiale de notre classe et de la révolution.

Ces mesures, nous pouvons rapidement les résumer en prenant quelques exemples partout dans le monde:

La France a connu un développement massif du travail précaire et des sousemplois, soidisant "de formation",sous payés. Emplois précaires et sousemplois qui permettent tout juste de survivre à condition de se passer de tout, et qui s'accompagnent de licenciements et d'expulsions massives, d'une réduction des allocations et du temps de chômage, etc.

En Hongrie, la reconnaissance officielle du chômage cette année a été proclamée "acquis ouvrier"! Il s'agit en fait avec la reconnaissance du statut de chômeur et l'octroi d'allocations pendant quelques mois, de préparer des vagues de licenciements d'ouvriers "improductifs". Ce pays a également introduit un impôt de 10% sur les revenus (grande première à l'Est) qui est censé être compensé (mais alors où serait son intérêt?) par des augmentations de salaires de plus ou moins 8%!! Ce que l'Etat ne dit pas, c'est que les heures supplémentaires, les 2ème et 3ème boulots (2ème travail après les heures prestées pour l'entreprise et/ou travail en noir) ne sont évidemment pas augmentés alors qu'ils forment l'immense majorité du salaire réel.

Au Maroc, en Tunisie, en Algérie c'est l'heure du "réajustement structurel". Il s'agit en fait de plier les prolétaires aux exigences d'austérité du FMI. Cela se marque par "l'accentuation de la production vers le marché extérieur, (et) un coup de frein à la consommation intérieure". Au Maroc, entre '79 et '86 les prix du lait, du gaz, de la farine, du sucre ont augmenté de 133%, les salaires de... 53%. En Tunisie, les produits de première nécessité connaissent une augmentation continue alors que les salaires ont diminué de 15% en termes réels et ce rien qu'entre '83 et '87. Officiellement, le taux de chômage est de 17,5% en Algérie, en fait il est une fois et demi, voire deux fois plus important dans les trois pays. Là aussi, c'est de plus en plus les petits boulots journaliers, les petits trafics qui permettent de survivre au jour le jour.

En Equateur le chômage et le sousemploi touchent 50% de la population active. Et ce tant dans les villes, où les licenciements et fermetures d'entreprises se succèdent, que dans les campagnes où les paysans se trouvent démunis de terre. Encore et toujours, ce sont les emplois précaires, le travail en noir, la contrebande qui sont les seuls moyens de survie.

Nous pourrions continuer longuement cette sinistre énumération mais cela n'aurait que très peu d'intérêt. Il nous semble plus intéressant de montrer à travers un exemple le travail des enfants et trois pays clés la Chine, les USA, et la Russie la nature profonde de ces mesures et ce qu'elles vont permettre (outre les économies sur le capital variable) comme réformes "politiques":

Les USA: la bourgeoisie américaine se gargarise aujourd'hui de sa "relance" et des créations d'emplois! Il s'agit là d'une de ces "vérités" bourgeoises qui, bien qu'ayant une base réelle, servent avant tout à cacher la réalité totale. Car s'il est vrai que le chômage a reculé en chiffres bourgeois, s'il est vrai que ces toutes dernières années il y a eu plus d'emplois crées que supprimés, cela n’est compréhensible que lorsque l’on sait de quels emplois avec quels salaires il s’agit! Et de fait, l’ensemble des nouveaux emplois créés rapporte un salaire global largement moindre que celui des emplois supprimés, bien que ceuxci soient nettement moins nombreux. A titre d'exemple chiffrés: avec l'augmentation du coût de la vie, une personne travaillant plein temps au salaire minimum garanti touche 60% de ce qui est considéré comme le seuil de pauvreté!! De 1978 à 1984, le nombre ceux que la bourgeoisie dénomme "pauvres" ou "misérables" qui travaillent même à plein temps, a augmenté de 66%! Par ailleurs, 77% des "hispanoaméricains" considérés comme pauvres travaillent. De plus, les licenciements ont lieu dans les secteurs "traditionnels": textile, sidérurgie, charbon,... où fermetures et restructuration se succèdent, ce qui signifie licenciements, investissement et augmentation de l'intensité du travail. Les embauches (momentanées) se font de plus en plus (88% des nouveaux emplois) dans les petites entreprises (moins de 20 personnes) où les salaires sont les plus bas, le contrôle patronal le plus fort et l'isolement le plus grand. De plus, on embauche de plus en plus "a la' tâche", et les estimations parlent de 8.000.000 de prolétaires "flottants" d'un emploi à un autre entre deux périodes de chômage. Cela signifie donc un gigantesque développement de la précarité du travail, des emplois sous payés et du chômage. L'exemple des USA le clame: la relance, c'est la misère ouvrière!!

En Chine: depuis le début des années '80 l'Etat met progressivement fin à la politique du "bol de riz en fer". Or celleci consistait en ce que tous les citoyens aient droit au minimum pour survivre, et ce, qu'ils soient considérés comme productifs ou non. N'en étaient privés "que" ceux que l'Etat ne considérait pas comme citoyens, et notamment des Gardes Rouges qui durant la "révolution culturelle" s'étaient autonomisés des fractions bourgeoises pour, plus ou moins clairement, affronter l'Etat. Ce sont eux également qui dans les années '80 ont mené des luttes violentes contre ce même Etat. La politique du "bol de riz en fer" était un frein au développement de l'exploitation, notamment parce que les ouvriers savaient que même en travaillant comme des fous, ils n'obtiendraient rien de plus que ce minimum vital; les différenciations des salaires étaient faibles, il a fallu les renforcer, en les diminuant tous évidemment, et plus encore, les plus misérables. De surcroît cette politique interdisait les licenciements. Sa suppression et la reconnaissance du chômage ont permis des vagues gigantesques de licenciements. L'Etat a clairement annoncé qu'il s'agissait de faire la chasse aux "abus", aux "sabotages" et à "la paresse endémique de certains profiteurs". Les ouvriers "non productifs" perdent maintenant leurs emplois par dizaines de milliers et aussi leur droit au "bol de riz en fer". C'est par la faim que l'Etat en Chine entend faire pression sur les ouvriers (et leur salaire), les contraignant à plus d’heures de travail et plus de productivité. La concurrence entre les ouvriers s'en trouve monstrueusement exacerbée. Cette politique n'a pu être réalisée que grâce à la terreur sans limite qu'a essayé d'imposer l'Etat par l'intermédiaire de contrôleurs (protégés par l'armée) dans les entreprises. Ces contrôleurs ont souvent essuyé la colère ouvrière et certains d'entre eux le payèrent de leur vie. Pour "éviter les excès de toutes parts", la bourgeoisie a autorisé la création de syndicats "libres". Ceuxci doivent permettre de réagir aux excès des patrons qui voudraient renvoyer abusivement des ouvriers. En "échange", les syndicats doivent contrôler les ouvriers et les empêcher de sortir de la légalité.

En URSS: La campagne menée actuellement par Gorbatchev, audelà de ses effets médiatiques, est avant tout une campagne d'austérité et de développement de la productivité. Il s'agit d'une restructuration de l'économie en URSS. La reconnaissance des "difficultés du peuple" sert d'abord à dénoncer les carences économiques du système. Le message, en clair, est: "Développez énormément la productivité par l'augmentation de l'intensité et des heures de travail, et les salaires réels de ceux qui le méritent augmenteront (un tout petit peu)". Entre temps s'organise la chasse systématique au "nonméritant". Les licenciements se développent et la chasse à "la paresse, aux sabotages, aux récupérations dans les entreprises s'organise". Par ailleurs, le développement de l'autofinancement des entreprises signifie avant tout le développement de la misère ouvrière. Si le message officiel est: "Diminuez vos coûts, augmentez la productivité et vos gains, et l'entreprise survivra", il signifie en clair: "Diminuez les salaires, augmentez l'exploitation et l'entreprise survivra"! L'Etat demande à tous et à chacun de participer à l'effort national pour reconstruire l'économie. Et comme toujours, cette demande est appuyée par les baïonnettes dans le dos des prolétaires. Si la bourgeoisie parvient de la sorte à plus ou moins remettre en marche certains mécanismes économiques depuis longtemps enrayés, les salaires, eux, n'ont cessé de diminuer. On trouve encore moins de choses dans les magasins, il faut toujours des années de salaires pour payer une voiture et attendre entre 10 et 15 ans pour avoir un logement.

Le travail des enfants: Un des chiffres qui illustre le mieux les mesures que prennent toutes les fractions bourgeoises est celui du travail des enfants et de la dégradation des conditions de celui-ci. Le Bureau International du Travail annonçait 52 millions d'enfants au travail pour l'année 79 et 200 millions pour 88. Et tout le monde s'accorde sur l'optimisme irrationnel des chiffres. En Grande-Bretagne, plus de 30% des enfants au travail y ont été blessés. En URSS, il y avait officiellement 31.000 enfants hospitalisés pour accidents de travail en '84 et 35.000 en '86. En outre, les brimades en tous genres, les coups et les tortures sont de plus en plus fréquents pour forcer les gosses à travailler. Il est clair que le développement du travail des enfants est un produit direct et "naturel" de la crise du système. D'une part cette maind’œuvre totalement sous payée et plus malléable est toujours plus demandée par les patrons partout dans le monde; d'autre part, les parents sont toujours forcés de mettre leurs enfants au travail pour que la famille puisse simplement survivre. Et il s'agit évidemment d'une spirale parce que cette maind’œuvre sous payée (comme les femmes, les immigrés, les vieux,...) augmente la concurrence entre ouvriers et permet de diminuer encore les salaires. Ce qui contraint de travailler encore plus, de mettre encore plus femmes, vieux, enfants au travail. Le paradoxe, tellement intéressant pour la bourgeoisie, c'est qu'au moment même où le chômage s'étend, où l'offre de travail diminue, cette même diminution et celle des salaires qu'elle entraîne poussent à un développement de la demande de travail, à un développement de l'offre de bras.

Ces quatre derniers exemples sont intéressants à plus d'un titre parce qu'ils montrent, plus clairement que d'autres, à la fois la brutale dégradation des conditions de vie de notre classe, ce que cela détermine pour celleci et comment la bourgeoisie essaye de la faire accepter. Aspect que nous développerons plus longuement ultérieurement.

Pour l'instant on peut voir qu'il s'agit d'une paupérisation absolue généralisée à tous les prolétaires, au travail ou non. Bien qu'évidemment la nécessité de diviser la classe ouvrière fait peser plus fortement et rapidement celleci sur des franges précises: femmes, enfants, immigrés, chômeurs, vieux,... Ensuite, on voit que la tendance est au développement d'une maind’œuvre sous payée et extrêmement mobile. Cette maind’œuvre, dont le manque de formation peut largement être comblé par le nombre (vu la petitesse des salaires), doit répondre aux besoins de force de travail à l'endroit et pour un temps déterminés par les exigences du capital pour se retrouver au chômage une fois cette nécessité rassasiée. Peu importe le moyen (travail au noir, esclavage,…) grâce auquel cette nécessité est imposée; il faut que se développe une maind’œuvre sous qualifiée et sous payée dont l’existence même fait pression sur les salaires d’ouvriers plus qualifiés!

Cette gestion de la force de travail a plus d'un avantage pour le capital : elle permet une brutale dégradation des salaires et de surcroît une individualisation beaucoup plus poussée de la condition ouvrière. La tendance est de plus en plus à "un ouvrier, une situation", même si cela ne peut être qu'une tendance. Il y a ainsi les ouvriers qui travaillent en continu, les ouvriers qui travaillent par intermittence, et ceux qui sont condamnés au chômage chronique. Mais même dans ces "catégories" existent d'évidentes différenciations : par exemple les traditionnelles différences de qualification et de salaire, le développement de cellesci par le biais des primes qui forment une partie toujours croissante du salaire. L'intérêt du fonctionnement par primes, de même que celui du salaire aux pièces dont il s'inspire (et qui est en pleine recrudescence), est de lier encore plus l'ouvrier aux intérêt de l'entreprise (1). Dans l'ensemble des travailleurs précaires existent également plein de situations différentes puisque selon le niveau de qualification, les périodes prestées seront plus ou moins longues et régulières et plus ou moins rétribuées. C'est l'expression parfaite de la jungle capitaliste où chacun doit jour après jour se battre sur le marché de l'emploi pour mériter sa maigre pitance. Et bien sûr cette bataille a lieu entre prolétaires puisque pour chacun il s'agit de se vendre mieux que les autres. Au chômage les différences sont tout aussi importantes entre ceux qui touchent ou non des allocations, ceux qui ont droit à des aides et ceux qui sont exclus de tous circuits. Même dans ces "sous catégories" existent encore des différences puisque l'allocation dépend souvent (quant au montant et à la période) du travail effectué avant, de la durée et de la rémunération de celuici, de la composition familiale, etc. De la même façon, parmi ceux qui n'ont droit à rien existe par exemple des clandestins menacés à tous moments d'expulsion, et ce dans presque tous les pays du monde.

Ce que tout cela traduit, c'est le perfectionnement de l'individualisation et de l'atomisation (notamment impulsés par la crise), la tendance à transformer encore plus chaque prolétaire en citoyenindividu à la situation unique et particulière que le plus de choses possibles distinguent, éloignent, voire opposent aux autres. L'Etat se charge de gérer cette masse de citoyens atomisés, notamment en faisant le tri entre les "productifs" et les "paresseux", les "bons citoyens" et les "profiteurs" etc. Mais se n'est pas tout, un autre bénéfice pour la bourgeoisie de ce type de mesure est la situation dans laquelle se retrouvent directement des masses toujours croissantes de prolétaires : si l'alternance boulot/chômage sert à diminuer le coût global de la force de travail, il sert aussi à prévenir les explosions sociales! Sous le couvert des discours sur "le partage du temps de travail" et de la "solidarité entre travailleurs", c'est bel et bien le partage de la misère et la solidarité avec l'Etat qui se réalisent. Et ce partage a au moins trois avantages pour le capital:

  1. Il permet que de nouvelles masses ouvrières ne soient pas brutalement et totalement affamées! les petites périodes de boulots font "bol d'air", permettant de tout juste survivre jusqu'au prochain petit job. Les ouvriers ne sont donc pas brusquement et entièrement rejetés dans un désespoir sans fond qui risquerait trop de les pousser à des révoltes violentes contre la faim et l'Etat.
  2. De surcroît cette situation fait que des périodes chômées ne peuvent plus qu'être des périodes de recherche avide d'un emploi à n'importe quel prix. Cela oblige chacun à ne plus se consacrer, au boulot comme au chômage, qu'à sa survie et à celle de sa famille.
  3. Chacun étant contraint de s'investir à fond dans le travail (y compris en période de chômage), que ce soit pour en trouver ou pour y rester le plus longtemps possible, l'idéologie du travail s'en trouve renforcée! Chacun est obligé de voir dans le travail le Salut!
C’est sur cette base que peuvent se renforcer une série d'idéologies:"l'ouvrier méritant qui s'est 'fait' à la force du poignet", "l'individu selfmademan qui se réalise seul" en marchant sur la tête des autres et assujetti uniquement à l'Etat, etc. Il ne reste plus d'autre morale, plus d'autre principe que la conquête sauvage de la survie selon les lois du libéralisme économique.

Enfin, comme on a pu le voir avec l'exemple de la Chine et l'URSS, (et dans ce dernier cas principalement, car les médias font un battage incroyable sur cette question), ces réformes économiques sont directement accompagnées de réformes politiques qui sont censées en être la contrepartie, "l'achat", "l'acquis ouvrier". Mais en fait, elles ne sont qu'un moment de la dégradation de nos conditions de vie et de l'enchaînement du prolétariat à l'Etat. La transparence est offerte en échange de la restructuration, mais en vérité la transparence est une condition de la restructuration: connaître les "saboteurs" pour en débarrasser l'économie nationale! Le syndicat est offert "contre" des licenciements, mais en vérité les syndicats permettent et organisent les licenciements en contrôlant, ou du moins en essayant de contrôler les réactions ouvrières!!

Les grandes campagnes de la bourgeoisie

Sur base de ces réformes nécessaires pour repousser les effets de la crise (le temps de préparer le prolétariat mondial à la guerre), la bourgeoisie mondiale a édifié une gigantesque construction idéologique. Les fondements de tout ceci sont, rappelonsle encore, les besoins économiques immédiats : besoin d'un prolétariat soumis, peu mobile; besoin d'une plus grande liberté dans les déplacements de tout: marchandises et capitaux!

Mais des prolétaires bon marché, mobiles, soumis, ne suffisent pas à rendre l'économie nationale concurrentielle, il est beaucoup plus important que les prolétaires veuillent travailler, tiennent à participer à l'effort national, se sentent partie prenante de l'Etat! Il faut que la masse des ouvriers soutienne activement l'effort productif de "sa" nation, qu'elle croie vraiment qu'en liant son sort à celui de l'entreprise et de la nation, elle s'en sortira mieux. Plus sa cohésion nationale est forte, plus un pays sera concurrentiel sur le marché mondial. En plus, cette tentative d'enchaînement des prolétaires à l'Etat est une préparation directe à la guerre mondiale: Défendre "son" entreprise et "sa" nation c'est déjà défendre "sa" patrie et la souveraineté nationale!

La réalité de l'atomisation ouvrière avait deux aspects interdépendants: d'une part l'atomisation accrue par le développement de la concurrence et de la débrouille individuelle, d'autre part la réalité de la transformation du refus de la politique en "chacun pour soi". Mais cette atomisation restait trop faible pour la bourgeoisie. Son aspect passif ouvrait la possibilité à un retournement de l'égoïsme individuel en égoïsme de classe. La bourgeoisie ne peut pas"librement" choisir le mode d'encadrement des prolétaires. Elle est, elle aussi, déterminée par la réalité sociale. C'est donc bien cet individualisme apolitique qu'il lui fallait transformer en organisation pour l'Etat. C'est bien ce rejet des syndicats et des partis qu'il fallait dépasser et organiser pour le capital en créant un autre type de lien entre les prolétaires et l'Etat; un lien qui dépasse les partis et les syndicats. La bourgeoisie a du alors organiser pour le capital une réaction instinctive, mais très limitée, du prolétariat contre celuici. Un des axes de cette campagne a été la reprise, par les structures centrales de l'Etat, des campagnes menées depuis '68 par certaines de ses fractions plus périphériques, à savoir les gauchistes, écologistes, pacifistes, etc.

Cette réalité de l'utilisation, par les fractions centrales de l'Etat, des réformes proposées depuis 20 ans par les fractions plus "radicales" pour encadrer, détourner, détruire les luttes ouvrières est vraie à l'Est comme à l'Ouest, dans les pays "développés" comme dans ceux du dit "tiersmonde". Le but de ces campagnes est proclamé haut et fort par la bourgeoisie ellemême: il s'agit avant tout d'obtenir "la participation de populations pour développer la productivité et ainsi répondre aux besoins". Ce que tait évidemment la bourgeoisie, c'est que cela signifie développer l'exploitation pour répondre aux besoins du capital. Et là, c'est vrai que la participation de la population est indispensable et que le premier temps de cette participation consiste à approfondir, autant que possible, la négation du prolétariat, sa transformation en masse de citoyens!!

Les grandes campagnes actuelles visent donc à renforcer l’atomisation, la citoyennisation et, pardessus tout, à développer la fausse communauté d’intérêts des citoyens au sein de et pour l’Etat bourgeois!

Pacifisme et antiterrorisme

La grande vague de manifestations pacifistes en Europe de l'Ouest, qui connut un important battage médiatique, est, en tant que telle, aujourd'hui retombée. Finies les manifestations de masse! Les organisateurs de ces démonstrations, gauchistes, pacifistes, se sont largement fait déborder par les gouvernements des grandes puissances qui ont repris et dépassé, parfois même réalisé, les slogans et revendications de ces mouvements. Ceuxci avaient pour but de recéer une union nationale plus importante en montrant l'intérêt commun de toutes les franges du peuple: riches et pauvres, catholiques et athées de droite et de gauche,... contre la guerre! Il s'agissait, et il s'agit toujours, de noyer le prolétariat dans la masse des "individus effrayés par la guerre". Et ces campagnes n'ont jamais d'autre but que réellement préparer la guerre en enfermant tous les individus dans un grand consensus national!

Chaque bourgeoisie clame que, comme son peuple, elle ne veut que la paix, qu'elle ne fera la guerre que contrainte et forcée par les agressions. Elle appelle le dit peuple à adopter la même logique, et en conséquence, à s'apprêter à partir au front défendre "notre pacifique nation contre les barbares"! Quant aux "barbares", chaque nation a évidemment les siens. Tout cela pendant que la guerre économique ne cesse de faire rage et que quotidiennement la bourgeoisie appelle à faire des efforts pour l'économie nationale, pour que "notre pays" soit plus concurrentiel dans la guerre que se livrent sans cesse les différentes fractions bourgeoises.

Ce "front patriotique" ne se construit pas seulement idéologiquement, il existe un important allerretour entre la pratique quotidienne de développement de la productivité (contre l'ennemi extérieur, les autres pays, et l'ennemi intérieur les "paresseux", les "saboteurs", les grévistes,...) et les discours pacifistes! Ils se conditionnent, se développent et se renforcent mutuellement.

Il s'agit donc encore et toujours de développer la citoyennisation en faisant que chaque prolétaire se considère luimême comme citoyen de la nation et comme responsable de son bon fonctionnement et de sa défense, qu'il garantit aujourd'hui par son travail acharné et qu'il défendra demain sur le front.

Ces campagnes ont été reprises des mains des gauchistes, pacifistes, etc. qui dès lors pestent contre cette "concurrence déloyale" qui les empêche de prendre le contrôle de certaines franges de la classe ouvrière qu'ils auraient pu ensuite troquer contre leur participation à l'un ou l'autre gouvernement. Et en plus, elles ont été gigantesquement médiatisées et pas un jour ne se passe sans que l'on ne nous bassine avec les petits pas de danse que font Gorbatchev et Reagan, et aujourd'hui Bush, sur le thème du désarmement. Cela pendant que le pape fait la tournée des "hommes de bonne volonté de gauche comme de droite" pour appeler à la "réconciliation nationale"!

Dans le premier cas, il nous est impossible d'ignorer que les démantèlements militaires ne touchent que des armes de peu d'utilité dans la guerre à venir; dans le second, que "réconciliation nationale" signifie paix sociale pour le développement de l'austérité (comme d'ailleurs les campagnes pacifistes ellesmêmes). Ces deux campagnes se relayent extrêmement bien et grâce à leur "condamnation de principe de toute violence", en servent une troisième qui les complète et les renforce: la campagne antiterroriste. Celleci poursuit différents buts qui rejoignent évidemment ceux des deux premières. Il s'agit toujours de rassembler les citoyens derrière l'Etat, mais cette foisci par la peur. L'ennemi n'est plus seulement extérieur, il est aussi dans "nos" murs, ce sont ces terroristes qui, se glissant dans "nos" défenses sous l'apparence de bons citoyens, essayent de déstabiliser l'Etat. Méfions-nous donc les uns des autres et demandons tous aide et protection à l'Etat!!

Outre cet aspect, il s'agit bien sûr d'imposer violemment que l'Etat ait le monopole de la violence, toute autre violence étant assimilée à celle des "terroristes". La violence ouvrière est de la sorte niée idéologiquement et militairement parce que partout dans le monde, ces campagnes terroristes de l'Etat servent à justifier la répression toujours plus clairement violente de la bourgeoisie. Chaque fois qu'un prolétaire tombe sous les balles d'un parti de l'ordre, c'est en tant que "pillard", "provocateur", "voyou" ,"terroriste"!! La bourgeoisie dit (et c'est vrai) qu'il s'agit d'un ennemi de la démocratie. Par contre, elle ne dit pas qu'en le condamnant à la prison ou à la mort pour des actions terroristes qui mettent en danger la démocratie, elle tente de s'approprier par la violence le monopole de celleci.

A travers cette campagne, la bourgeoisie proclame la "profonde nonviolence de la sociétés démocratique", nonviolence transgressée uniquement lorsqu'on essaye de remettre en question sa domination qui est violence quotidienne! Violence quotidienne du travail et du chômage, de la faim, de l'absence d'abri, de la guerre,... Violence à laquelle nous sommes censés être habitués, qui est naturalisée par sa quotidienneté! Violence que la bourgeoisie tente de nous faire passer pour un produit naturel de "l'égoïsme inné de l'Homme" alors qu'elle n'est rien d'autre qu'un produit de son mode de production. Par contre, la violence ouvrière qui est (contre la violence bourgeoise) un produit révolutionnaire de cette société et de ses contradictions, puisqu'elle participe au mouvement de destruction de celleci et avec elle, à la destruction de toute violence , nous est présentée comme monstrueuse, folle, destructrice, inhumaine. Alors, contre cette "violence monstrueuse et aveugle", la bourgeoisie, "pour le bien de tous", est "contrainte de devenir violente" (en fait, de montrer sa nature violente en la faisant passer de potentielle à cinétique). Pour ce faire, il est nécessaire, au moyen de campagnes antiterroristes, d'assimiler toute violence autre que celle de l'Etat à des actionsqui n'ont rien à voir avec les intérêts de la classe ouvrière. La bourgeoisie parvient de la sorte à :

Chaque nation a ainsi ses terroristes servant d’épouvantail démocratique : que ce soit l'OLP, les Libyens ou les différents groupe réformistes armés. L'importance de cette campagne est d'approfondir le verrouillage et le cadenassage idéologique et militaire de la société, de participer aux campagnes pacifistes/nonviolentes, de mettre en avant la protection de l'individucitoyen et d'habituer celui-ci à la répression la plus féroce pour la défense de la démocratie.

La campagne parlementariste

Campagne pacifiste et campagne antiterroriste sont ellesmêmes encadrées dans et par une autre, beaucoup plus générale tant dans l'espace et dans le temps que dans ses implications politiques. Plus générale dans l'espace car elle concerne pratiquement toutes les nations du monde; plus générale dans le temps parce que sa validité est plus large et qu'elle pourra continuer à remplir son rôle pendant la guerre; et plus générale politiquement en ce sens qu'elle permet, et a pour but principal, la recrédibilisation du système dans son ensemble.

Cette campagne, c'est celle qui recrédibilise la démocratie et qui passe, selon les pays, par des croisades pour le "syndicalisme libre", le pluralisme,..., pour le parlementarisme sous différentes formes.

Depuis le milieu des années '70, ce mouvement de réformes politiques est observable au travers de la succession, toujours accélérée, de "chutes de dictatures". Il suffit de citer pour exemples l'Espagne, le Portugal, le Pérou, Haïti, les Philippines, l'Uruguay, le Brésil, le Venezuela, l'Argentine,... Toutes ont été remplacées par des régimes parlementaires (souvent de centregauche), ou par des gouvernements préparant, avec plus ou moins de "bonne volonté", le passage au parlementarisme. Changements opérés bien sûr sous la pression directe et claire des fractions dominantes de la bourgeoisie mondiale. Mais ce mouvement s'est également réalisé sous d'autres formes comme le multipartitisme, dont un des meilleurs exemples est le Mexique où, après des décennies de gestion de tout le pouvoir, le Parti Révolutionnaire Institutionnel, face à sa décrédibilisation, laisse d'autres partis se présenter aux élections. Et ce pour deux raisons:

C'est directement sous la houlette de la bourgeoisie américaine que ce mouvement a eu lieu. Celleci tolère difficilement le risque que le mécontentement ouvrier ne se transforme en lutte juste devant ses portes, d'autant que la situation en dégradation constante des ouvriers des deux cotés de la frontière, ouvre des perspectives d'extension aux USA de mouvements qui naîtraient au Mexique.

Ce type d'évolution est plein d'avantages et de risques pour la bourgeoisie. Avantage en ce qu'elle permet une recrédibilisation globale du système, l'ouverture de soidisant "voies de changements", sans devoir jeter, du jour au lendemain, la fraction au pouvoir, donc sans perturber la gestion du système. Ces pseudovoies de changements ont toujours signifié un renforcement de l'Etat. Parfois après ce processus, la fraction au pouvoir, décrédibilisée par des années de "régime totalitaire", doit céder sa place à une autre qui, par exemple au travers d'un processus électoral, a su prouver qu'elle contrôlait les ouvriers, ceuxci ayant voté pour elle. Le risque, c'est que ces changements ont souvent eu lieu après des luttes ouvrières qui démontraient dans la pratique l'effritement de la crédibilité de la fraction au pouvoir. Ce type de situation place la bourgeoisie devant une alternative : soit la répression la plus féroce (qui a souvent entraîné une radicalisation des luttes), soit un changement de fraction, mais celuici passe généralement pour un signe de faiblesse de la bourgeoisie et encourage le prolétariat à approfondir sa lutte. D'autant plus que l'on ne satisfait pas avec quelques réformes politiques un prolétariat qui, pour la satisfaction de ses besoins, a affronté les balles, les chars.

Tant économiquement par la paralysie de la production, que par le mauvais exemple qu’il donne au prolétariat des autre pays, ce type d'évolution comporte un gros risque pour la bourgeoisie.

Le clivage se situe donc de moins en moins entre partis politiques qui ont largement perdu de leur crédibilité mais plutôt entre ceux qui, pardessus leurs "antagonismes politiques", "semettent d'accord pour le bien de la patrie ", et ceux qui, "alors que l'heure est grave", restent sur "le terrain mesquin de leur politique". Le spectacle de ces bourgeois qui se mettent d'accord, qui "cohabitent", qui "s'ouvrent", qu'il s'agisse de Reagan/Gorbatchev, ou Mitterrand/Barre, sert à dire aux ouvriers: "Dans ces heures difficiles pour la nation, nous faisons un effort, nous participons à la remise en route de l'économie nationale malgré, et contre, nos intérêts égoïstes de politiciens que nous sacrifions! Faites de même, oubliez vos intérêts, participez à l'effort, sacrifiez vos besoins !!". Et c'est vrai que dans ce mouvement, ils s'unissent réellement pour l'économie nationale contre nos besoins parce que cette unification, qui est rendue crédible par ses "vilains petits canards" nonparticipants, est la meilleur manière de gérer la force de travail, d'annihiler la classe ouvrière, de faire participer les ouvriers!

Il ne s'agit donc plus de faire participer les ouvriers à un parti, mais directement à l'Etat, à la société. Cette participation est impulsée par différents biais: la reconnaissance de partis et syndicats libres là où c'est encore possible (Chine, pays de l'Est, gouvernements de type bonapartiste,...); celle d'un individu, ou d'un groupe d'individus, ailleurs. Cependant, la confiance ne va pas tellement aux personnes ou aux partis et syndicats "libérés", mais plutôt directement à l'ouverture, au rapprochement, à la démocratisation, à la transparence, etc. Ce, même si cet espoir doit évidemment être incarné par des individus ou des fractions précises. Cellesci ne sont reconnues que si elles acceptent le jeu de la "réconciliation avec les forces vives du pays pardessus les querelles du passé".

La fausse communauté d'intérêts que l'Etat tente de reconstruire pour encadrer les prolétaires largement atomisés et individualisés c'est directement l'Etat-Nation, garant des intérêts individuels, et sa défense. Ceci n'est en rien le produit du hasard, c'est cette structure qui appelle les ouvriers à participer et qui, en contrepartie, leur offre les "droits et libertés démocratiques". La bourgeoisie veut que les ouvriers soient organisés en son sein car c'est elle qui représente le mieux le nécessaire mouvement de cohésion nationale, la meilleure organisation pour l’austérité et la guerre. Il faut garder les ouvriers aussi atomisés, aussi individualisés que possible mais directement sous le boisseau de l'Etat. Il s'agit de montrer, de faire que la seule organisation "valide", la seule qui puisse défendre les intérêts de tous, ouvriers ou non, est l'Etat. Chacun doit d'une part rester totalement seul à se débattre pour sa survie, et en même temps donner toute sa confiance à l'Etat qui garantit le respect des règles du jeu de la libre concurrence entre individusmarchandises! Parce que, qu'on ne s'y trompe pas, audelà des discours, ce qui a été libéralisé avant tout c'est la circulation de toutes les marchandises, leur vente/achat à leur juste valeur grâce à cette libre circulation. Et tant pis si la valeur de la force de travail dégringole à toute vitesse!! Les mesures gorbatcheviennes ont, comme la "démocratisation" chinoise, deux aspects: d'une part, exiger la participation de chaque ouvrier à l'effort de production; d'autre part, essayer de trouver un accord avec les partenaires du monde entier pour développer le commerce mondial. La demande de convertibilité du rouble sur les marchés de change internationaux, la volonté de devenir membre du FMI, comme celle de la réactivation de l'ensemble des marchés de l'Est (avec des nuances, cf. la Roumanie) et de la Chine aux capitaux, entreprises et marchandises de l'Ouest, ne marquent pas autre chose! Et la bourgeoisie attend de cette participation et de ce développement du commerce mondial un ralentissement des effets de la crise qui permettra de développer l'encadrement du prolétariat pour la guerre (que cette participation est déjà)!

C'est donc de tous les côtés que le processus de citoyennisation se renforce, et il porte en son sein la répression directe de toute action prolétarienne! On a vu que les campagnes antiterroristes sont un moment de cette répression, tant par la négation de la violence ouvrière que par le processus d'assimilation. On sépare, de la sorte, des militants du reste de la classe et on justifie leur condamnation par la condamnation de la violence en général. Le processus de citoyennisation et d'adhésion à l'Etat bourgeois permet de renforcer encore cette répression. L'Etat présente ensuite ceux qui luttent pour leurs besoins comme des saboteurs du processus de normalisation, de détente ou de démocratisation, comme des traîtres à la patrie, ce qu'ils sont, et, de la sorte il les différencie de la masse du peuple. Cette séparation est déjà la caution de leur massacre. Le processus de démocratisation parlementarisation représente donc un moment du renforcement de l'Etat, ce qui explique le développement de la répression. C'est ainsi qu'aux USA, les emprisonnements et les condamnations à mort se développent rapidement contre les ouvriers qui ne respectent pas la propriété privée; que l'armée en URSS met le HautKarabakh en état de siège et tabasse des grévistes connus; que l'armée israélienne déporte, détruit les habitations et torture les prisonniers qui ont participé aux affrontements; qu'en Chine, les saboteurs sont passibles de la peine capitale; que dans différents pays, dont le très démocratique Pérou, mais aussi au Venezuela, aux Philipines, en Iran, en Irak, les assassinats massifs et, de plus en plus, les disparitions systématiques font partie des méthodes quotidiennes des gouvernements. Si ce processus de citoyennisation/répression a fait reculer beaucoup de luttes ouvrières, il ne saurait les arrêter. La situation sociale, la dégradation des conditions de vie de toute notre classe déterminent sans cesse un regain des luttes. Le fait que les luttes ouvrières aient continué après l’arrivée au pouvoir de Cory Aaquino, après la chute de Duvaliern durant la persetroîka, malgré les syndicats libres de Chine,… marque, mieux que tous les discours, les limites de réformes actuelles. Et ce, malgré le fait que nous devons en tenir compte pour les détruire!

Les luttes ouvrières

Nous ne pouvions bien sûr pas terminer ce texte sans donner une analyse générale succinte des luttes ouvrières aujourd'hui. Nous avons mis en avant un certain optimisme à long terme, tandis que nous sommes plutôt pessimistes quant au court terme des luttes ouvrières.

Nous devons cependant relativiser notre optimisme pour au moins deux raisons:

Notre pessimisme est, lui aussi, relatif pour deux raisons également: Les éléments de "parlementarisation/démocratisation" se retrouvent évidemment dans les luttes ouvrières, puisque ce sont elles qui en ont nécessité l'apparition et qui furent le premier terrain d'essai. Nous ne pouvons faire ici l'analyse de toutes les luttes qui ont éclatées ces dix dernières années. Nous voulons seulement essayer de mettre en avant leurs forces et leurs faiblesses.

Déjà en 1981, citant un de nos textes plus ancien encore, nous disions à propos du Nicaragua (le Communiste n°18): "Dans les différents pays d’Amérique centrale, où les gouvernements à tête ouvertement militaire contiennent de plus en plus difficilement la lutte, la mascarade des droits de l'homme apparaît comme une nécessité générale pour maintenir la domination capitaliste". Depuis, ce verdict n'a cessé de démontrer sa réalité. Le développement des luttes de classe a contraint la bourgeoisie à étendre cette réalité à l'ensemble de la planète. Les luttes de notre classe ont ainsi poussé la bourgeoisie à consolider son système au travers de réformes telles que celles mises en place en URSS, au Mexique, au Brésil, au Nicaragua, au Venezuela, au Salvador, en Roumanie, en Yougoslavie, en Corée, au Japon, en Pologne, en Birmanie, en Afrique du Sud, en Tunisie, au Maroc, en Algérie, et dans une moindre mesure, en France, au Danemark, en Hollande, etc, etc. Cette liste, qui n'est pas exhaustive, montre mieux que tous les discours, pourquoi c'est dans le monde entier que la bourgeoisie a mené, tambour battant, d'aussi importantes campagnes antiouvrières. Le prolétariat, sans être capable de l'assumer pratiquement, a démontré là SA REALITE MONDIALE, la réalité mondiale de la domination capitaliste et le fait que la révolution sera mondiale ou ne sera pas!!

En dehors et contre les structures de l'Etat bourgeois!

De fait, si nous considérons la plupart des luttes que nous venons d'évoquer, nous devons constater leur caractère éminemment spontané. La majorité d'entre elles se sont déclenchées très brutalement, sans qu'aucune fraction bourgeoise n'ait pu, préventivement, appeler à un rassemblement quelconque. Elles ont donc, d'emblée, dépassé toutes ces fractions et leurs mots d'ordre nationalistes, réformistes, gestionnistes, leurs appels au calme, au "respect des biens d'autrui", à faire preuve de "responsabilité". La bourgeoisie ellemême est forcée de le proclamer, comme par exemple au Maroc où elle disait: "Les auteurs des dégradations ne semblent pas être organisés politiquement, et les formations syndicales et politiques ne disposent d'aucun moyen de pression sur eux."

Mais cette vérité a été démontrée cent fois. Ainsi en Roumanie où des affrontements sans précédent éclatèrent (Octobre '82) sans que personne ne les ai appelés, et que personne ne put immédiatement contrôler. De même en Pologne, où les appels au calme et à la grève de solidarité ont plusieurs fois été bafoués avant que l'Etat ne parvienne finalement à reprendre la situation en main. Nous n'allons pas ici faire un compterendu de toutes les situations où les diverses franges de la bourgeoisie ont été contraintes de courir après le mouvement. Ils sont légions. Cela a souvent déterminé d'importants aspects de la lutte, c'est à dire, le dépassement de certaines limites que les syndicats arrivent à imposer lorsqu'ils contrôlent le mouvement au départ, lorsqu'ils le déclenche préventivement. Ce qui ne signifie pas que ces lutteslà ne donnent jamais lieu, elles aussi, à des débordements du cadre imposé par les syndicats!

Les explosions spontanées de luttes sont souvent caractérisées par d'incroyables flambées de colère et de violence prolétariennes. Et nous précisons tout de suite que ce que nous soutenons n'est évidemment pas la violence en soi, mais la défense des intérêts de notre classe qu’elle soit violente ou non. Ce qui n'a rien avec le déploiement de fractions réformistes bourgeoisie soit pour se recrédibiliser, soit pour faire pression (ou se débarrasser) d'une fraction concurrente, ce qui en général, va de pair. Nous parlons de l'usage de la violence par les prolétaires du Maroc pour libérer nos frères de classe, otages de la bourgeoisie, qui croupissaient dans les geôles de l'Etat; nous parlons de la violence des prolétaires du Brésil, d'Argentine et du Venezuela qui pillèrent les magasins pour se procurer de quoi ne pas crever de faim, comme le firent aussi, mais de façon plus organisée, les prolétaires d’Angleterre lors des émeutes. Nous parlons de la violence déchaînée contre les commissariats, les parlements, les sièges des partis dans différents pays tels l'URSS, la Roumanie ou la Pologne. Bien sûr cette violence n'est pas le seul élément de rupture contenu dans ces luttes. Le rejet pratique de l'économie nationale, de la solidarité avec l'Etat, du respect de la propriété s'est mille fois marqué. Que ce soit par les prolétaires d'Ursus, en Pologne, qui, même après la défaite que devait clôturer les accords de Gdansk, entravaient pratiquement la production, renforçant encore la banqueroute de l'Etat, ou ceux qui ont éteint les hauts fourneaux, ou les mineurs de GrandeBretagne qui restèrent un an en grève, ou les prolétaires des industries textiles d'Inde dont la grève dura 9 mois, ou encore les cheminots d'Afrique du Sud qui, malgré les licenciements, malgré les balles de police, ont bloqué tous les transports par train; comme les mineurs qui, dans ce même pays, ont entravé des dizaines de fois toute extraction et se sont, affrontés aux jaunes, à la police, à l'armée... Dans tous ces cas, presque jamais les appels au calme, à la responsabilité, au soutien de l'économie nationale n'ont ébranlé la détermination des ouvriers en lutte.

C'est presque systématiquement l'impossibilité d'imposer un rapport de force suffisant pour résister encore à la répression de l'Etat qui arrête les grèves ou les affrontements. En outre, le développement d'idéologies syndicales voulant présenter la reprise du travail, le retour au calme, etc, comme une victoire ouvrière reste très marginal. Non pas parce que les syndicats cessent de le proclamer, mais parce que, dans les luttes, cela n'a pas réussi à s'imposer comme réalité sociale. Pour les mineurs d'Angleterre, il était à ce point clair qu'il s'agissait d'une défaite que nombre d'entre eux refusèrent de retourner au travail dans ces conditions. Mille fois les prolétaires ont arrêté la lutte avec le goût amer de la défaite ou la conviction qu'il faudrait sans doute recommencer encore plus fort. Même s'il est arrivé qu'une fraction de la bourgeoisie parvienne, malgré tout, à présenter comme "sauveur", tel Bourguiba expliquant que les augmentations des prix incombaient à ses ministres qui l'avaient mal conseillé, et que dès lors les prix reviendraient à leur précédent niveau. Bien sûr, cela dura le temps de casser le mouvement, puis, une fois que la répression eut fait son boulot, les prix s'enflammèrent à nouveau. Rares sont les vagues "d'enthousiasme populaire" pour quelque fraction que ce soit. L'attitude la plus "positive" du prolétariat envers l'Etat reste un prudent "On verra". L'exemple des dockers d'Amsterdam est marquant, ils ont refusé les augmentations de salaires dérisoires que leur "offrait" la bourgeoisie après une très âpre lutte, en expliquant que le rapport de force leur imposait l'arrêt du mouvement pour garder leurs forces, pour pouvoir imposer ultérieurement de réelles augmentations de salaires. Même s'il est vrai que depuis ils n'ont plus mené de luttes aussi dures.

Cet aspect de force, que l'on peut constater dans de nombreuses, luttes du passé proche de notre classe, a aussi, malheureusement, ses faiblesses. En effet, la désyndicalisation qui s'est opérée ces dernières années, et qui explique partiellement le peu de contrôle des syndicats sur les luttes, s'est accompagné d'un apolitisme d'abord contre les partis de la bourgeoisie, ensuite plus général. Ce désintérêt est positif car la participation des prolétaires aux élections est de plus en plus réduite malgré les efforts de la bourgeoisie. Mais il a aussi un coté négatif car il accroît la difficulté de créer les organisations nécessaires à la lutte au profit de rassemblements spontanés, éphémères dans l'action. Cette faiblesse est importante parce qu'elle entraîne pratiquement l'impossibilité de développer le refus instinctif des syndicats en critique de ces derniers, en lutte contre eux!

Or, le fait de ne pas s'organiser contre eux implique qu'on les laisse distiller leur poison antiouvrier dans la lutte. Petit à petit, ils réussissent à y réimposer une série de limites, à la détourner de ses buts classistes. De la sorte, on les laisse faire leur travail contrerévolutionnaire: isoler les plus combatifs, les réprimer directement ou les désigner, voire les livrer à la répression armée d'un autre corps de l'Etat. Progressivement, avec l'affaiblissement de la lutte sous le poids de l'épuisement, de la répression (renforcée par un relatif isolement sur lequel nous reviendrons), les syndicats, par le biais des structures syndicales ou par celui des syndicalistes de base, plus "radicaux" et en pseudoconflit avec la direction, les "bonzes", parviennent, tant bien que mal, à reprendre la direction de la lutte, de son écrasement. Pour la bourgeoisie, l'enjeu est d'importance: il consiste non seulement à intervenir dans le mouvement pour, en se décrédibilisant le moins possible, le freiner et accélérer son écrasement; mais aussi à lui donner, sur le moment même pour les ouvriers qui ont participé comme pour le futur et pour les autres ouvriers, un contenu différent. C'estàdire: faire disparaître les leçons réelles du mouvement, faire oublier qu'il s'agissait d'un mouvement contre l'Etat et non contre une forme de gouvernement; faire oublier que les syndicats ont été parmi les plus importantes structures de répression de l'Etat, etc. De plus en plus, l'avenir des mouvements passe par la reconnaissance du fait que les syndicats non seulement ne défendent pas nos intérêts de classe, mais qu'en plus, ils représentent et défendent directement les intérêts de la bourgeoisie.

Il ne suffit pas de lutter en dehors des syndicats, il faut S'ORGANISER EN DEHORS ET CONTRE EUX. Ceci, d'autant plus que toujours lorsque le prolétariat ne se donne pas de direction, tôt ou tard la bourgeoisie lui en impose une: la sienne.

Le prolétariat: une et une seule classe internationale et internationaliste

Dix fois, cent fois ces 15 dernières années, le prolétariat a fait et fait encore preuve d'une incroyable combativité; nous en illustrons trois exemples dans cette même revue. Mais, dix fois, cent fois, notre classe s'est fait battre dans ses luttes. L'une des raisons de ces défaites successives est l'isolement dans lequel les franges de notre classe ont, les unes après les autres, mené ces combats.

Si les explosions de luttes ouvrières partout dans le monde ont démontré le caractère mondial de la domination et de l'exploitation capitaliste, et, en retour, le caractère mondial de la lutte de notre classe, jusqu'ici notre classe n'a pas été capable de dépasser les frontières nationales. C'est d'autant plus dramatique que cela a, à chaque fois, permis à la bourgeoisie de concentrer ses forces là où le prolétariat mettait son ordre en danger pour l'écraser paquet par paquet, mais également pour tenter d'imposer le fait que ces luttes n'apparaissent pas contre la bourgeoisie mondiale mais contre une forme de gouvernement. Et il s'agit là de beaucoup plus qu'une idée!! C'est une voie pour tenter d'imposer une pratique réformiste à la classe ouvrière; tenter d'imposer que si le prolétariat, à ce momentlà, ne lutte que dans ce payslà, c'est parce que la situation y est différente. Ce qui est, bien sûr, la faute de la fraction qui est au pouvoir que l'on qualifiera dès lors de fasciste, d'irresponsable, d'incapable ou de profiteuse et non plus de la bourgeoisie mondiale et de son système de mort. A cette réalité s'ajoute le poids des organisations "démocratiques" qui profitent du développement de la lutte de classe pour essayer d'arracher un morceau de gouvernement, et qui, pour ce faire, organise une pseudolutte parfois violente contre la fraction au pouvoir. Existe également la tentative de créer un amalgame entre les intérêts d'une fraction bourgeoise et ceux du prolétariat pour, de la sorte, nier ceuxci et contraindre ce dernier à se soumettre. Or, le fait que les luttes restent enfermées dans le cadre national empêche l'apparition pratique et théorique de la solution prolétarienne aux contradictions qui ont déterminé cette lutte, à savoir: la révolution mondiale. Dès lors, le prolétariat ne peut se diriger dans cette voie et, lorsque la lutte reflue, il se soumet, bien que sans grande conviction, à ces pseudosolutions bourgeoises. C'est d'autant plus important que l'extension à différents pays ouvre la porte à un changement non seulement quantitatif, mais aussi qualitatif des luttes. L'extension audelà des frontières est la plus claire démonstration de l'intérêt commun du prolétariat et de l'absence de solutions dans ce monde puisque, quel que soit le mode de gestion, les luttes éclatent part out. Ce changement qualitatif, c'est l'encouragement mutuel que détermine la coexistence des luttes; c'est la possibilité de généraliser les leçons tirées en un endroit; c'est l'expression de la nature sociale de la lutte de classe! Dépasser les frontières nationales est primordial car la révolution sera mondiale ou elle ne sera pas, mais aussi parce que franchir ce pas ouvre et montre la seule voie pour le prolétariat: la révolution mondiale!

Cela révèle qu'il n'existe de solution ni dans le cadre national, ni dans les luttes de libération nationale, ni dans les changements de fractions ou de forme de gouvernement, ni dans la "démocratisation",... C'est pourquoi, ce dépassement est un pas indispensable et essentiel aux luttes de notre classe. Mais il ne s'agit encore que d'un pas. Si l'existence de luttes ouvrières concomitantes est de première importance, c'est aussi et surtout parce qu'elle ouvre la porte à l'apparition de la classe ouvrière mondiale et à sa centralisation mondiale, en s'érigeant en classe donc en parti.

Ce qui signifie la soumission de la classe ouvrière à ses propres intérêts historiques et mondiaux. Soumission qui passe par l'organisation, la centralisation d'une direction; centralisation qui permet à la fois d'éviter que se perdent les leçons tirées par notre classe mais aussi qu'elle ne se fasse écraser paquet par paquet. C'est au travers de son unification pratique par, pour, et dans la lutte que nous pouvons réapproprier pratiquement le passé de notre classe, nous rattacher à toutes ses expériences et reprendre la lutte là où elle s'est arrêtée pour pouvoir la mener à son but: le communisme!

L’état actuel

Aujourd'hui, du fait même de la dispersion dans le temps et dans l'espace des luttes, cette réalité n'apparaît pas. Le prolétariat, s'affrontant paquet par paquet à l'Etat, se retrouve face au développement d'une répression insensée, et le travail des réformistes, additionné à l'isolement et à la répression toujours plus féroce, le repousse dans les bras de la contrerévolution. Il est clair que c'est l'égoïsme dominant qui fait que les ouvrierscitoyens se désolidarisent de leurs frères de classe dans d'autres pays. C'est également lui qui fait queces ouvriers atomisés ne profitent pas des luttes en cours pour, eux aussi, s'affronter à l'Etat. En conséquence, la bourgeoisie à les mains libres pour massacrer encore et toujours. Nous devons encore insister sur le fait que la vague de parlementarisation est une vague de TERRORISME ANTIOUVRIER!

Le massacre systématique est un produit et un facteur de ces vagues de parlementarisation, et viceversa. La parlementarisation permet l'isolement et le massacre de tous ceux qui ne la suivent pas, comme le massacre a permis une fausse polarisation et, donc, un développement du parlementarisme. C'est pourquoi, partout, l'Etat gouverne par la torture, la prison, l'isolement, les massacres,... et parle de démocratisation, de liberté, etc. Face à cela, souvent, les prolétaires, quand ils se rendent compte de l'impossibilité de résister, se tournent encore vers ce qui se présente comme alternative. Contradiction incroyable des ouvriers de Pologne qui acceptent de transformer leur grève pour des conditions de vie et de travail meilleures en grève pour la reconnaissance du syndicat libre et indépendant!! Et ce, alors même que la minorité dit simultanément qu'en négociant avec l'Etat, Walesa et Solidarnosc "trahissent" les intérêts ouvriers. Tout le monde s'accorde sur le fait que ces derniers ont perdu énormément de crédibilité lors des récentes et éphémères grèves. Contradiction mortelle des jeunes prolétaires en Cisjordanie ou à Gaza qui ne suivaient que fort peu les mots d'ordre de l'OLP, qui critiquaient le refus de passer à des opérations plus violentes alors que l'Etat les assassine, et qui, dans le même temps, revendiquent une "Palestine libre" alors que les luttes sont évidemment nées des conditions de vie lamentables. Contradiction des ouvriers en Birmanie qui, luttant contre la misère, reprennent peu à peu le mot d'ordre "d'élections libres" posé comme alternative à la répression dont il est un moment.

On peut encore donner des exemples de ces contradictions où, bien souvent, dominent les aspects de liberté, de parlementarisme, de multipartitisme, de démocratie parce que ces campagnes mondiales de la bourgeoisie, hypermédiatisées, posent cela comme le redéveloppement de l'union nationale donc de la productivité, contre la misère et la répression.

Si, petit à petit, les ouvriers ont accepté tout cela dans différentes luttes, cette cohésion, indispensable à l'Etat, reste faible. Et ce sont les ouvriers qui, reprenant la lutte malgré et contre la parlementarisation, les élections, les libertés,... au Brésil, au Pérou, à Haïti, en URSS,... démontrent encore une fois que, s'il existe un encadrement important de luttes prolétariennes aujourd'hui, si les prolétaires s'avèrent encore incapables de s'organiser contre toutes les structures de l'Etat, et principalement celles nationales, s'ils subissent donc encore la répression démocratique fasciste et/ou antifasciste paquet par paquet, ils sont très loin d'être écrasés par le capital et que l'avenir est à la révolution communiste mondiale contre toutes les limites bourgeoises.

Note

(1) Cfr. aussi le développement de la participation des ouvriers à l'actionnariat des entreprises qui se développe massivement à l'Ouest comme à l'Est, réforme capitaliste type, qui implique le retour d'une partie du salaire à l'entreprise sous forme d'actions qui font soidisant accéder les ouvriers à la propriété de leur boite. Or il est évident que le seul but est de les intéresser au développement de la production puisqu'une partie de leur salaire est versée sous forme de dividendes des actions. Dividendes qui dépendent des bénéfices, donc de la productivité, donc de l'intensité du travail! Enfin, les ouvriers ont alors intérêt à défendre l'entreprise car ces actions perdraient toute valeur en cas de faillite.

Annexe – A propos d'une réunion internationale de travail

Conformément à ce que nous avions annoncé dans nos revues, et dans le cadre de nos perspectives de toujours, nous avons organisé une réunion internationale de travail contre la guerre et la terreur d'Etat, et particulièrement contre son développement brutal en Iran et en Irak.

Pour notre groupe dont la perspective est internationale et internationaliste, et dont même le travail interne est international, ce type de réunion de travail n'est pas une chose extraordinaire. Elle s'inscrit dans la ligne générale de notre groupe; elle est une des concrétisations de l'activité centralisatrice que nous avons constamment mené. La seule particularité de cette instance est de s'être concentrée sur un axe particulier (mais d'une importance décisive: la lutte contre la guerre et la terreur d'Etat) de la lutte révolutionnaire et d'avoir fixé comme axe, une région particulière (également d'une importance décisive dans les luttes récentes et à venir: l'Iran et l'Irak).

La perspective de cet axe de travail se situe pleinement dans le cadre de notre lutte générale internationale, (en cohérence avec notre "Propuesta" de 1981 (1), ainsi que dans celui de ses premières concrétisations, telle la "Propuesta" approuvée en Uruguay en 1986 avec Militance Classiste Révolutionnaire (MCR) et Emancipation Ouvrière (EO) (2). Nous maintenons les axes de travail, fixés lors de la "Propuesta", indépendamment du fait que certains de ces militants (ou groupes) sincèrement intéressés par les buts de la "Propuesta", se soient (plus ou moins) enfoncés dans le marais démocratique des échanges d'idées et du spectacle de la "confrontation" théorique. Malgré cela, la "Propuesta" n'en a pas moins gardé sa pleine et entière raison d'être.

De la même façon, quelques soient les résultats des différentes concrétisations, nous maintenons la ligne générale des tâches que nous nous sommes fixées et ce, dans la mesure de nos trop faibles forces.

Les forces et les faiblesses des minorités révolutionnaires sont l'expression des forces et faiblesses de la classe a laquelle elles appartiennent et cela est vrai malgré le fait que la lutte de Parti soit fondamentalement une lutte contre le courant.

Nous avons pu vérifier cette réalité dans toutes les phases de la réunion que nous avons organisée, et cela, quelques fois, malgré nos espoirs beaucoup trop optimistes (et cela aussi, c'est une caractéristique générale des révolutionnaires) par rapport à la triste réalité actuelle.

La caractéristique centrale de l'époque actuelle n'est pas l'absence de luttes prolétariennes, mais bien plutôt le manque de luttes organisées, centralisées, conscientes, avec une perspective claire, la faiblesse des minorités communistes, l'absence presque totale d'appropriation du programme communiste de la part de la masse des prolétaires en lutte.

Dans la phase préparative de la réunion, nous avons constaté cette triste réalité. Toute l'information que nous possédions permettait de vérifier le niveau très élevé du terrorisme d'Etat, mais également le niveau élevé d'affrontement contre la guerre en Iran et en Irak (3). Mais si cet affrontement s'exprimait par des niveaux élémentaires d'organisation de la résistance contre l'Etat, de structuration de la désertion massive et, la paix venue, de non adhésion à la politique d'austérité et de reconstruction, le renversement de la praxis n'en restait pas moins très faible comme partout dans le monde et les groupes qui voyaient un peu plus loin que cette organisation immédiate de la résistance et de la survie, restaient rares (nous avons déjà cité quelques uns de ces groupes exilés en Europe, cfr. "Le Communiste" n°27, page 23 et suivantes).

Avec la préparation et la réalisation d'une telle réunion, nous visions à coordonner l'activité internationaliste avec ce type d'organisation prolétarienne et contribuer ainsi à donner une cohérence et une perspective explicite au programme que contient même s'il ne le sait pas la lutte prolétarienne surgie des nécessités de survivre.

Ainsi, par exemple, à propos de l'information sur les luttes, il existe différents canaux de circulation, que cela soit en Iran, en Irak, dans les prisons ou les camps de réfugiés des pays de la région, ou même encore en Europe. Ces "canaux" sont pour la plupart des groupements occasionnels, formés par la famille ou les amis, et constituent en général le point de passage obligé pour une centralisation à un niveau supérieur; c'est en effet dans la vie quotidienne que se tissent les liens qui font du prolétariat une classe, mais cela ne suffit pas! Ces canaux d'information remplissent une certaine fonction, mais ne permettent pas toujours la circulation systématique de l'information parmi le prolétariat en lutte; ils ne permettent pas non plus de contrecarrer réellement la falsification des faits opérées par le Capital, ou encore de développer une action cohérente et efficace. Avec la réunion internationale, nous prétendions donner un petit pas dans ce sens, avec certains groupes et contacts, (ou pour mieux préciser, avec ceux qui pouvaient participer à une réunion en Europe ce qui, de fait, excluait une partie des forces qui aurait pu participer à la réunion, et ce par manque de moyens, ou pour d'autres difficultés) et ainsi structurer un comité de centralisation dont la mission fondamentale devait être l'organisation de ce comité et la répercussion de son activité dans un réseau croissant d'organisations et de militants en lutte.

Pour ce qui concerne, par exemple, le réseau de survie économique des prolétaires en lutte, persécutés, exilés, emprisonnés, il existe là une totale prédominance de la démerde individuelle, familiale, ou "amicale", et ce de façon plus générale en ce qui concerne la solidarité interclassiste, ce qui a comme conséquence de favoriser l'exil organisé par la contrerévolution. Avec nos faibles forces et celles des groupes et militants proches, nous prétendions organiser, à partir de cette réunion internationale, et à partir également d'une délimitation clairement prolétarienne, la création d'une adresse ou d'une boîte postale où s'adresser, la création d'une caisse de fond pour les cas urgents et la constitution d'une équipe pour coordonner l'action face à telle ou telle nécessité, etc.

Et plus largement que les exemples que nous donnons ici à propos de l'information et du réseau de contact et d'entraide économique face à l'ennemi, notre groupe était ouvert à la discussion de toute proposition d'action visant les mêmes objectifs: généraliser, organiser, rendre conscient, structurer, diriger, la lutte du prolétariat surgie spontanément dans le cours du mouvement.

Mais la réunion de Berne nous a permis de constater (une fois de plus) le manque de réceptivité et de compréhension vis à vis de notre "Propuesta" en général, et des propositions qui la concrétise en particulier. Non seulement les réponses convergentes, encourageantes furent peu nombreuses (problème auquel nous pouvions nous attendre en regard de la phase actuel le d'antiorganisation, de sectarisme,de non concrétisation/cristallisation de la tendance du prolétariat à se constituer en Parti), mais même parmi les camarades et groupes qui manifestèrent leur volonté de participer à une telle initiative, et parmi ceux qui participèrent à la réunion, peu nombreux furent ceux qui virent plus loin que les discussions de connaissance mutuelle et réussirent a dépasser l'attitude passive consistant a "voir ce que les autres allaient proposer". Et si cela handicapait déjà beaucoup la possibilité de faire une véritable réunion organisative, la présence de plusieurs militants qui n'avaient pas participé au travail organisatif préalable, qui ignoraient notre conception de la communauté de lutte et qui n'avaient jusqu'alors pas développé d'action commune avec nous, ce à quoi il faut encore ajouter de sérieux problèmes de langue et de manque de connaissances mutuelles, tout cela donc a, bien malgré nous, limité la portée de cette réunion.

Il serait juste d'ajouter que les réactions de solidarité aux prolétaires en lutte en Iran et en Irak, tout comme la lutte de ceuxci, nous avaient fait surestimer, dans une certaine mesure, les possibilités réelles d'obtenir une concrétisation de nos propositions de toujours, ici et maintenant, et de ce point de vue, il faut reconnaître que nous étions trop peu nombreux. Mais du point de vue de la présence des camarades qui n'étaient pas au courant du cadre de la réunion, nous pouvons affirmer (sans aucun préjugé négatif sur la capacité révolutionnaire de ces militants) que nous étions trop nombreux, et que nous en sommes en partie responsables.

En effet, comme tous les lecteurs le savent, il n'a jamais été question pour nous de faire une réunion "publique", non plus qu'une conférence d'échanges d'avis sur la situation, mais bien d'inviter différents groupes et camarades ayant une activité commune contre la guerre et la paix en Iran et en Irak, à faire une réunion de travail organisatif contribuant à centraliser l'action directe. Des réunions préparatives en vue de clarifier cette situation avaient été organisées préalablement, et nous espérions avoir suffisamment débroussaillé le terrain pour qu'il soit possible d'en arriver d'emblée a discuter sur la situation et les perspectives de lutte existantes et déterminer nos possibilités d'action. Malheureusement, cette position ne semble pas avoir été assez explicite dans la mesure où les camarades en question furent invités par des camarades qui travaillaient avec le groupe lors de la préparation de la réunion.

Nous nous considérons donc partiellement responsables des problèmes ayant découlé de cette situation, étant donné que nos camarades avaient comme tâche d'assurer les critères de filtrage à Berne. Tout cela a directement entravé le respect de l'ordre du jour. Ces camarades, et nul ne peut leur donner tort sur ce point, ont voulu en savoir plus sur les positions de l'ensemble des camarades présents et des groupes que certains représentaient. Mais, au cours d'un week end, ce type de présentation, et les questions qui s'ensuivent ainsi que les explications sur la communauté de travail et le pourquoi de l'invitation de tel groupe ou non... ne pouvaient que prendre beaucoup trop de temps par rapport aux buts fixés qui euxmêmes exigeaient déjà l'éclaircissement d'un certain nombre de points.

Après une première tentative de présentation brève des groupes et camarades présents, nous avons voulu reprendre les discussions de fond et notamment l'exposé sur la période actuelle et sur les campagnes bourgeoises, discussions qui devait servir de cadre pour aborder les luttes de classes en Iran/Irak et leurs perspectives. Mais les camarades qui n'avaient pas participé au travail préalable se trouvaient de fait dans une position qui les contraignait à poser sans cesse des questions qui nous faisaient systématiquement sortir du sujet alors que pour tous les autres, du fait de contacts préalables parfois anciens, ces choses étaient plus claires. Il en allait ainsi à propos des positions présentes sur la guerre et le défaitisme de façon générale ou sur tel ou tel groupe noninvité pour des raisons qui semblaient évidentes à l'ensemble des autres participants.

Nous avons alors proposé de faire deux niveaux de réunion qui tiendraient compte du niveau d'implication commune passée. Cela impliquait que certains camarades quittent la réunion pour travailler, accompagnés de camarades moins impliqués dans l'organisation et le suivi de la réunion, pour répondre à l'ensemble de ces questions, et ce sans entraver le déroulement de la réunion. Malheureusement,cette proposition n'a pas du tout été comprise; ce qui démontre encore une fois la difficulté de rompre avec la démocratie, y compris dans les secteurs d'avantgarde révolutionnaire.

Il nous semble important de souligner cela pour montrer en quoi dans cette réunion, comme presque toujours et partout, ce qui passait pour la ligne radicale révolutionnaire était le nivellement démocratique par le bas. Ce n'est pas que nous mettions des cotations aux camarades, mais bien que nous reconnaissions, de fait, qu’il existait réellement différents niveaux, comme c’est le cas dans toute les tentatives d’associationnisme ouvrier et sans que cela résulte d'un quelconque choix. Dans ce type de situation, la tendance est presque toujours d'essayer de mettre en avant le "plus petit commun dénominateur pour être les plus nombreux possibles". Le critère n'est plus alors déterminé par les intérêts de la classe ouvrière mais bien par la situation immédiate de certains militants. On passe d'un critère révolutionnaire qui tient compte des nécessités et du devenir de notre classe à un critère démocraticonumérique.

Ainsi, certains participants ont défendu qu'il s'agissait d'une proposition sectaire, d'un refus de travailler avec ces camarades. Or il s'agissait précisément de la seule proposition qui, tenant compte de la situation, permettait de réellement travailler avec ces camarades, sans qu'ils ne freinent notre activité ni qu'ils en soient pratiquement rejetés du fait des différences de niveaux. Le travail de débroussaillage que nous nous proposions de mener avec eux était indispensable pour pouvoir effectivement travailler ensemble. S'il s'était s'agit, par contre, de faire de grandes déclarations contresignées par différents groupes, ce type de différenciation de niveaux n'aurait évidemment pas été nécessaire. Le sectarisme aurait consisté à accepter une présence formelle quitte à essayer de se mettre majoritairement d'accord avec (et donc aussi contre!) un tel ou un tel. Encore une fois, nous avons préféré mettre en avant les critères de lutte en essayant de déterminer le type d'activité révolutionnaire possible avec chacun pour, dans cette activité, essayer de converger toujours plus fort et clairement vers les intérêts et nécessités de notre classe.

Les réactions négatives à notre proposition imposèrent(outre le fait de mettre en évidence les limites dans la rupture avec la démocratie "ouvrière" de certains des participants), bien malgré nous et en tant que rapport de force incontournable, les limites de la réunion. Nous avons donc demandé à ces camarades de garder leurs questions plus générales sur les positions de tout un chacun, et particulièrement du GCI, pour des discussions annexes, de telle sorte que la discussion prévue puisse avancer. Malgré les accords sur ce point cela a posé, et ne pouvait que poser des problèmes, ces points généraux surgissant évidemment dans les autres questions et particulièrement dans toutes les questions concernant les activités futures que nous devions tenter de mettre sur pied.

Malgré toutes les difficultés que cela a entraîné, il faut reconnaître que cette mise en avant très pratique et concrète de l'influence de la démocratie au sein des groupes révolutionnaires et de leurs activités, et des discussions et réflexions que cela a pu susciter, permit de renforcer certains points de notre critique de la démocratie et de remettre en avant que celleci se concrétise en tant qu'autocritique pratique du prolétariat dans son activité contre le vieux monde; que la démocratie viendra sous ses différentes formes les plus radicales, essayer d'entraver chaque pas de l'activité et de l'organisation révolutionnaire; que c'est le biais, avoué ou caché, pour que chaque niveau de centralisation prolétarienne se dilue dans un niveau qui lui est inférieur, jusqu'à "aller là ou sont les masses" et rentrer dans les syndicats ou les partis "réformistes ouvriers", comme mille fois on a pu le voir dans le mouvement ouvrier.

Nonobstant ces importantes limites, la réunion s'est poursuivie en se concentrant sur la discussion de la situation en Iran et en Irak. Il nous faut souligner les apports importants au niveau de l'information, ainsi qu'au niveau de la discussion sur la situation du prolétariat que la réunion a permis. Nous sommes parvenu à déterminer notre accord global sur la situation dans la région (bien que certains aient préféré insister sur le haut niveau de destruction actuel du prolétariat) et sur les perspectives qu'elle traçait. Pour rappel, le cessezlefeu venait d'être signé et nous avons tous clairement perçu qu'il était produit d'une forte lutte de classe que l'Etat se devait de rapidement contrôler, et que donc il ne signifiait rien d'autre qu'un renforcement de la guerre contre le prolétariat, un renforcement de la répression. Mais il n'était pas évident que cette paix momentanée n'allait pas déterminer aussi un renforcement de la lutte de classe dans la mesure où la paix signifiait, et signifie toujours, l'effort de reconstruction, la répression, démontrant par la encore plus clairement, la totale absurdité POUR LE PROLETARIAT de ces 8 années de guerre de ces millions de blessés, de mutilés, de ce million de morts, de toute cette misère. Il semble clair AUJOURD'HUI que c'est l'Etat bourgeois qui a renforcé sa position grâce à ce cessezlefeu, comme le soutenaient certains camarades à Berne. Mais l'existence même de ce cessezlefeu montrait que l'Etat en Iran et en Irak n'était pas très sûr de lui et se gardait, et se garde toujours d'ailleurs, bien que cela ce joue moins, la possibilité d'une reprise de la guerre.

Sur base de ces accords, nous avons mis en avant des perspectives de travail, bien que trop rapidement, vu les limites de temps et les problèmes que nous avions rencontré. Différentes propositions furent faites, allant de la simple proposition de boîte postale commune pour recueillir de l'information, jusqu'à la proposition d'une revue commune, en passant par un comité permanent de contact.

Nous voulons souligner ici l'attitude correcte du groupe qui est à l'initiative de la proposition de revue commune, et, au delà de cette proposition, le fait qu'il soit venu à la réunion avec une proposition de travail concrète et préparée. Cependant, nous n'avons appuyé cette proposition qu'avec réserve, dans la mesure où l'état actuel des forces de cette communauté de lutte risquait de transformer une telle proposition en une revue/tribune d'échanges d'idées, d'exposés des positions de chaque groupe, type de revue à laquelle nous sommes totalement opposés (cfr. nos remarques à la note d'éclaircissement d'EO dans notre texte sur la "propuesta" in Le Communiste n°25).

Conscients unanimement des faiblesses de la réunion, c'est une proposition beaucoup plus modeste qui a été adoptée et retenue: à savoir, la création d'un comité pour rassembler les informations sur la lutte de classe dans le monde et plus particulièrement au Moyen Orient, ainsi qu'une récolte de fond pour aider notamment des révolutionnaires dans cette région à échapper à la répression.

Mais même cette modeste proposition concernant la centralisation de l'information et d'un réseau de survie économique pour les révolutionnaires persécutés s'avère, dans les circonstances actuelles, très difficile dans son application, chose que nous avons pu vérifier après la réunion de Berne. Ainsi, par exemple, certains camarades présents à la réunion et ayant approuvés la création de ce type de structure continuent malgré cela à ne pas centraliser l'information et à utiliser des critères individuels pour l'envoi d'argent aux réfugiés irakiens et iraniens concentrés dans les camps. Il ne fait aucun doute que ce qui prédomine là sont plus les critères de copinage et d'amitié que les critères collectifs et programmatiques que nous mettons en avant.

La dégradation de la situation sociale et politique du prolétariat, le développement accru de l'atomisation et de l'individualisme ne facilitent pas l'activité militante. Et plus les liens (aggravés par des questions de distance, de langues, de coût de communication, de voyages) et les accords (aggravés par la vague de dépolitisation générale (4)) sont lâches, plus il est difficile de maintenir une activité commune continue. La proposition approuvée A Berne, bien que ce soit une proposition très modeste, est très difficile dans son application à l'heure actuelle.

Mais cette proposition approuvée a une validité beaucoup plus générale que les résultats immédiats que nous attendons. En effet, l'activité de notre groupe et celle d'autres camarades proches en Europe a eu, depuis notre premier Manifeste contre la guerre en Iran/Irak, des répercussions importantes, soit parce que des groupes de militants ont reproduit et fait circuler nos matériaux (parfois même sans contact direct (5) avec nous), soit parce que l'ennemi de classe répondait publiquement à nos positions et menait des opérations/provocations pour réprimer notre activité en Europe. Et la réunion que nous venons de réaliser, malgré toutes ses faiblesses, a une validité qu'on ne peut réduire aux faibles forces qui y ont participé directement. Les camarades qui n'ont pu y participer pour des raisons de distance ou d'autres, le soulignent également dans leur correspondance.

C'est pour cela que le GCI a décidé de continuer à impulser les résolutions de la réunion de Berne, malgré l'isolement et d'autres difficultés d'applications auxquelles nous faisons face. Nous avons donc appuyé l'ouverture d'une boîte postale et d'un compte courant en Grande Bretagne (6).

NOUS APPELONS TOUJOURS LES CAMARADES QUE LA LUTTE POUR LA SOLIDARITE DE CLASSE, LA LUTTE CONTRE L'ISOLEMENT INTERESSENT, A PRENDRE CONTACT ET A ENVOYER DES INFORMATIONS, DES PRISES DE POSITIONS, DE L'ARGENT POUR TENTER DE CENTRALISER A CE NIVEAU, UNE ACTION COMMUNISTE. Là aussi, un pas réel dans la centralisation de nos forces, dans la coordination de nos efforts vaut mieux que mille discours sur la solidarité et l'internationalisme.

Notes

(1) Cette "propuesta" était organisée en alternative et contre les conférences internationales du milieu pseudorévolutionnaire (cfr. "Contribution au regroupement des révolutionnaires" in Le Communiste, n°7).
(2) Cfr. "Proposition internationale" in Le Communiste n°25.
(3) Cfr. "Massacre à Hallabja" in Le Communiste n°27.
(4) Nous ne nous référons pas ici à la "dépolitisation" en tant que désertion massive des prolétaires dans les organisations gauchistes, les syndicats, ni au désintérêt général pour les élections, etc.. qui sont autant de points positifs dans la situation actuelle du prolétariat; mais bien à la dépolitisation dans le sens plus abstrait du dés intérêt général concernant la perspective révolutionnaire, au manque de discussions sur la révolution à venir, sur le programme communiste, etc. De ce point de vue, la si tuât i on est la plus grave que ce que n'a jamais vécu le prolétariat depuis des décennies, et dans certaines régions depuis plus d'un siècle.
(5) Ce même phénomène s'est déroulé également en Amerique Latine et particulièrement en Colombie (où les contacts directs ont été rompus) et au Salvador (où nous n'avions pas de contacts directs)
(6) Ecrire à: Alexandre
BOX 35 - 37 STOKES CROFT
BRISTOL BS1 3PY



Algérie: sursaut prolétarien!

(octobre 88)

* * *

Octobre 1988: Les prolétaires en Algérie ont secoué, une semaine durant, le carcan de leur misère; pendant trois jours, ils ont brisé la paix sociale, la soumission, ont attaqué l'ordre établi. Contre le monde inhumain que nous impose la bourgeoisie aux quatre coins du monde, ... la seule réponse de notre classe, c'est celle que les prolétaires ont, malgré toutes les limites de l'époque, remis en avant en Algérie: LA LUTTE.

La survie au quotidien en Algérie

La fraction bourgeoise au gouvernement en Algérie (FLN) chargée de faire régner et de gérer l'austérité, a dû, comme ses consorts du monde entier, accentuer cette austérité pour faire face à l'impitoyable concurrence que se livrent les bourgeois entre eux. Considérée par le FMI comme un élève exemplaire, l'Algérie, ou plutôt ses dirigeants, sûrs d’eux et de leurs méthodes drastiques, se sont même permis de refuser un prêt de 2 milliards de dollars que leur proposait le fond monétaire peu de temps avant les émeutes d'Octobre.

Car en effet, depuis plus de 10 ans, le gouvernement impose une austérité exemplaire, où rationnement d'eau, pénurie de marchandises, absence de transports en commun, problème de logement, etc... sont le lot quotidien des prolétaires. Cette situation catastrophique pour le prolétariat aentraîné sur place une spéculation monstrueuse et un marché noir encore plus florissant.

Il s'agit évidemment là d'une nécessité de gestion capitaliste. N'allons pas croire qu'il s'agisse d'un problème de gouvernement, d'un manque de démocratie, ou que la faute en reviendrait à une fraction bourgeoise méchante qui pourrait, si elle était moins rapace, offrir un avenir aux prolétaires. Non, le problème de toute fraction bourgeoise au gouvernement est la gestion du système capitaliste. Le problème est donc de faire face et au prolétariat et à la concurrence internationale. Ainsi, lorsqu'un gouvernement invoque la chute du prix du pétrole, le remboursement de sa dette, etc..., il s'agit de problèmes réels de gestion du Capital mais toujours avec comme conséquence plus de misère, plus de restrictions pour tous les prolétaires du monde.

C'est contre l'accumulation de conditions de survie insupportables, l'austérité drastique imposée depuis des années, en Algérie comme ailleurs, que ces luttes ont explosé.

Et en Algérie plus particulièrement, sur le marché, les marchandises sont de plus en plus frelatées et à des prix incroyablement élevés, la spéculation si forte qu'il devient presque impossible de trouver de quoi manger. Les magasins d'état sont vidés par les spéculateurs et les marchandises stockées, de façon a être vendues au marché noir de trois et quatre fois le prix officiel. Les magouilles, la débrouille, le vol restent la seule manière de trouver de quoi remplir son assiette. Sans piston, sans appui,... il faut payer le prix fort! Après le travail (pour ceux qui en ont), c'est la recherche désespérée, exaspérante de nourriture, c'est la file, des heures durant, pour quelquefois ne rien trouver. Ce sont les interminables attentes de bus ... de plus en plus rares. Ce sont les coupures d'eau quotidiennes, qui obligent les prolétaires à prendre leur bain ou faire leur lessive à 3 heures du matin, ou encore à aller chercher de l'eau loin de la ville (et ceux qui n'ont pas de voiture --la majorité--n'ont plus qu'à se passer d'eau!). Ce sont les coupures de téléphone quasi permanentes. Ce sont les déraillements de train presque quotidiens par manque de personnel ou d'entretien. C'est la spéculation sur les logements, réduisant les prolétaires à vivre à 10 et parfois à 20 dans de minables deux pièces, sans espoir de changement à court terme, car la reprise d'un appartement coûte de 20 à 30 millions de Dinars alors que le salaire moyen est de 1500 à 2000 Dinars par mois!! (au marché officiel, 1FF=1D, au marché noir 1FF=3D). Cette situation de surpeuplement de l'appartement familial contraint les jeunes à ne pas se marier, à ne pas avoir d'enfants. Quant à ceux qui fuient le surpeuplement, ils doivent se démerder pour trouver où dormir, rechercher de quoi bouffer, abandonner des études qui ne mènent à rien... devenir des "gardiens des murs", des chômeurs. Aucune perspective non plus pour trouver du travail et sur les 200.000 jeunes qui chaque année, en sortant des études, recherchent un emploi, moins de la moitié en trouvent, alors que les 2/3 de la population a moins de 25 ans. Et c'est enfin la flambée des prix des marchandises de base, avec une augmentation de 30 à 40 % du jour au lendemain, qui pousse à voler, ou alors à se serrer toujours plus la ceinture!!! Et dans le sud du pays, alors que la faim fait mal au ventre, les prolétaires commencent à attaquer systématiquement les camions transportant la semoule, pour se la redistribuer.

Pas de présent, pas d'avenir pour la majorité des prolétaires ! Les conditions de survie impossibles qu'impose la bourgeoisie, la misère et l'ennui, le "no future" ont fait sauter le bouchon!!!

Une seule alternative: la lutte

Si la bourgeoisie mondiale parle de jeunes "désoeuvrés en manque de démocratie", nous, nous parlons de prolétaires en lutte s'affrontant à l'Etat, de prolétaires n'ayant d'autre choix que celui de crever de misère, d'ennui ou bien lutter. Les prolétaires en lutte en Algérie montrent qu'il n'y a rien à respecter de ce système de mort: la destruction de ce qui les détruit n'est pas aveugle, leurs attaques sont ciblées et claires: l'Etat capitaliste et ses gestionnaires.

C'est pourquoi ils s'en prennent systématiquement aux mairies, aux commissariats de police, récupérant les armes, détruisant les fichiers de police ou les redistribuant aux prolétaires concernés, aux voitures des représentants du gouvernement (voitures dont la plaque rouge détermine l'appartenance de ses occupants au FLN), aux symboles de l'ordre bourgeois, de l'argent: hôtels d'impôts, banques, palais de justice (avec récupération et destruction des archives et registres de casiers judiciaires). Des compagnies aériennes sont mises à sac, ainsi que les hôtels de luxe, les collèges. Des magasins d'état sont pillés, les marchandises stockées et récupérées, puis redistribuées dans la population: "On rentre, on se sert, on partage!" La plupart des actions sont déterminées, ponctuelles et violentes: replis, dispersion rapide et réapparition soudaine des émeutiers... un peu plus loin. Elles sont organisées par petits groupes et lorsque le couvre-feu va être imposé, c'est la nuit que les émeutiers vont agir.

A Alger, Oran, Mostaganem, Tiaret, Annaba, Blida, Boufarik, Sidi-Bel-Abès, ... c'est la traînée de poudre. La révolte part de la rue et non d'une entreprise précise, ce qui ne laisse pas la possibilité au syndicat de prendre sa place habituelle de casseur de luttes. Partout des manifestations spontanées se forment, démarrent des quartiers prolétaires, remontent vers les centres villes, cassent tous les symboles du fric et de l'Etat sur leur passage. Pendant les trois premiers jours, la bourgeoisie a très peur. Aucun mot d'ordre n'est scandé, aucune banderole déployée: "On ne sait pas ce qu'ils veulent, ils cassent tout et n'expliquent pas pourquoi". "Tout fout le camp!" va dire un citoyen algérois; "En Europe au moins, les gens sont encadrés. Il y a des syndicats, les journaux expriment l'opinion, le mécontentement des gens. S'il y a des manifestations, des grèves, elles sont organisées, il y a un service d'ordre. Ici, rien de tout cela (...) et quand les gens sont descendus dans la rue, personne n'avait d'autorité sur eux. Les voyous en ont profité pour casser (...)". Et ce citoyen d'exprimer la peur de la bourgeoisie face au chaos, au "débordement", face à ce qu'elle ne peut contrôler et qui veut la détruire, et de réclamer bien sûr plus de contrôle, plus de liberté d'expression, plus de structures encadrantes, plus de... démocratie, et ce pour éviter le "pire", pour éviter ce que tout bourgeois redoute et craint,... la remise en question de l'exploitation.

Le gouvernement socialiste massacre les prolétaires en lutte

La réaction de la bourgeoisie va être à la mesure de la peur qu'elle aeue et de l'ampleur de la lutte: à la terreur ouvrière, le gouvernement va répondre par la terreur bourgeoise. Si la bourgeoisie a été surprise et effrayée par la lutte des prolétaires, ce n'est pas tant qu'elle ne s'y attendait pas, mais surtout qu'elle ne s'attendait pas à une telle violence prolétarienne. Depuis des mois la révolte couvait, des grèves surgissaient un peu partout dans les entreprises (à Rouiba-Reghaïa, El-Harrach Bouira, Annaba,...), dans des usines de camions, dans les postes, ... mais elles restaient encore encadrées par les syndicats. Le gouvernement a bien senti qu'il lui fallait réagir avant que l'explosion ne devienne tout à fait incontrôlable. Ainsi, Chadli et sa clique ont préparé un plan de réformes (économiques et politiques) tandis que des perquisitions, arrestations et saisies de documents préventives avaient lieu avant même que le premier pavé n'éclate la première vitrine. Mais cela ne va pas suffire a empêcher le déferlement prolétarien dans les rues.

Aucune promesse de changement n'aurait suffi à arrêter la haine des prolétaires, haine de ce système de misère n'engendrant que l'ennui et le "no future": "en luttant, on a retrouvé notre dignité", "si on doit mourir, on mourra, tous ensemble comme des frères, on n'a rien à perdre". Aucun appel au réalisme n'aurait pu arrêter une telle détermination.

Seule la répression féroce (force principale de dissuasion; sans elle, le bla-bla-bla n'arrête rien) va réussir à désamorcer la révolte. Et l'électro-choc, les tirs à la mitrailleuse lourde, les balles explosives, les chars, les arrestations massives (jusqu'à aller chercher les blessés dans les hôpitaux), vont être les armes efficaces de la bourgeoisie. Le simple fait de porter des baskets est suspect aux yeux de la police qui procède alors à des arrestations. Les prisonniers sont entassés dans les stades ou les arènes avant d'être dirigés dans des casernes, des camps militaires, des endroits secrets où sont menés les interrogatoires (tortures, chantages,...). Les enlèvements et disparitions d'émeutiers, les pressions sur les familles, les jugements expéditifs et clandestins,... tout ceci mieux que n'importe quel discours va permettre le rétablissement d' un certain calme. Et ce ne sont pas des bavures! C'est en effet le mode de gestion normal du Capital qui, coûte que coûte, doit rétablir la paix sociale lorsqu'elle est en danger. Et ce, indépendamment de la fraction bourgeoise qui porte le chapeau: ici Chadli et son armée, là Jaruzelski et Walesa, là encore Alfonsin et Menem. On a bien essayé de nous faire croire que Chadli n'avait rien à voir avec les massacres et qu'une fraction rivale de l'armée se serait autonomisée. Mais les prolétaires en Algérie ont bien vu, senti, compris, à travers leur lutte et face à la répression, que la bourgeoisie "socialiste" utilise les mêmes méthodes que celles utilisées par toute la bourgeoisie, et notamment, la bourgeoisie française, il y a 30 ans. Certains prolétaires vont être torturés à quelques mètres de l'endroit où le fut, à l'époque, leur père.

En Kabylie, la région est encerclée préventivement par l'armée et les chars. Partout dans les villes et les campagnes, des militants du FLN sillonnent et, à l'aide de mégaphones, appellent au calme et au soutien du gouvernement. Avec des slogans tels que: "Pendant le printemps berbère (avril '80), les autres régions ne vous ont pas soutenues, maintenant faites-en autant", ils prônent et organisent la division de notre classe.

Le FLN va organiser ou plutôt tenter d'organiser des manifestations de soutien à Chadli et son gouvernement, mais elles se solderont par des bides complets. Non seulement aucun prolétaire n'accepte de s'y associer, mais de plus, ces manifestations ne regrouperont que quelques militants du parti, que les prolétaires chasseront à coups de pierres.

Pourtant la lutte des prolétaires a contraint la bourgeoisie à faire des concessions; les villes insurgées sont réapprovisionnées. Tout ce qui faisait défaut dans les magasins d'état réapparaît comme par miracle et au prix "officiel". Des camions font la navette entre le Maroc et l'Algérie. L'eau revient comme par enchantement, etc ... Mais il n'y a aucun miracle dans ces réapparitions, ce sont bien entendu des réappropriations prolétariennes, qui rappellent aux prolétaires du monde entier cette évidence: contre les promesses des bourgeois, seule la lutte paye! Nous savons aussi que l'arme est à double tranchant puisque ces réapprovisionnements sont le plus souvent provisoires, et surtout que la bourgeoisie s'en sert pour tenter de calmer les émeutiers et court-circuiter l'extension de la lutte aux mécontents indécis, non encore mobilisés par la rue. Mais cela peut aussi servir d'exemple aux autres prolétaires et déclencher des luttes ailleurs. C'est ce qui se passe actuellement avec une série de grèves qui viennent d'éclater.

Après la répression monstrueuse, Chadli tient un discours (attendu par toutes les fractions bourgeoises du monde). Et comme il fallait s'y attendre avec un tel rat de sa classe, ce discours est très clair: "Je ne laisserai pas le pays livré à l'anarchie" (...) "Nous regrettons les pertes humaines et matérielles. Il était de mon devoir en tant que responsable de la nation de prendre (...) les mesures nécessaires pour protéger cet Etat et cette Nation, quelles que soient les circonstances et les difficultés". En sous-entendu, ceux qui sont morts l'ont bien cherché!

Comme Chadli n'est pas tout à fait un âne (bien que les émeutiers aient peint les crinières des ânes en blanc pour symboliser les cheveux blancs de Chadli), il va savoir allier la fermeté à "l'auto-critique": "nous devons reconnaître nos erreurs", il promet ainsi moultes changements, un futur train de mesures économiques, des sanctions à l'encontre "des responsables des déficiences du système qui n'ont pas assumé leurs tâches comme il le fallait" --entendez, trouver les boucs émissaires!--,... et un prochain référendum. En échange de la mort, de l'emprisonnement, de la torture de milliers de prolétaires, la bourgeoisie offre aux autres prolétaires des réformes lui permettant de continuer à les exploiter.

Maintenant que la tempête sociale qui bouleversa le pays durant quelques jours semble calmée, la bourgeoisie met donc en place quelques réformes. Des têtes bourgeoises tombent et sont remplacées par d'autres ayant une image moins "kaki" et encore un peu crédibles (vieux schéma connu). Mais les prolétaires sont moins bêtes que ce que la bourgeoisie voudrait le croire, et les promesses ne rachèteront jamais les morts dans la mémoire du prolétariat insurgé. Les armes volées n'ont pas été récupérées, le soutien au gouvernement et les illusions quant aux changements prévus restent très relatifs: "De toute façon, s'ils ne changent rien, cela repartira comme avant! (...) Il y aura des bagarres et cette fois, les parents sortiront, même si les militaires tirent. (...) Ils nous embobinent, si cela se calme, c'est provisoire".

Quant à la participation dite majoritaire suite au référendum, la victoire bourgeoise est toute relative, car une personne qui ne se présente pas au bureau de vote n'a plus droit à sa carte d'électeur ce qui signifie en clair qu'il n'a plus droit non plus à recevoir les papiers officiels dont il peut avoir besoin (passeports, livret de mariage, certificat de naissance,...) et pleins d'emmerdements à la clef lui sont d'ailleurs garantis.

Les fractions bourgeoises des pays avoisinants (Maroc, Tunisie,...), effrayées par la radicalité du mouvement et la possibilité qu'il puisse faire tache d'huile, vont faire connaître leur soutien inconditionnel à Chadli et sa clique. Très régulièrement éclatent des émeutes au Maroc, en Tunisie, en Egypte,... et les prolétaires d'Algérie ont réveillé la trouille viscérale que les bourgeois ressentent au souvenir de ces explosions. D'autres fractions bourgeoises du monde vont invoquer "le manque de démocratie en Algérie", "le non respect des droits de l'homme", "le droit légitime des jeunes au travail",... d'autres encore parleront du danger du grand méchant loup intégriste. Or, à aucun moment les prolétaires n'ont été mobilisés par le drapeau intégriste: "Ils tentent de récupérer le coup, mais mercredi, jeudi, vendredi, on ne les a pas vus... Ils courent derrière le mouvement et n'ont rien à voir avec nous. Nous, on ne veut pas passer notre temps dans les mosquées, on veut vivre librement, c'est tout...". Bien sûr, les Mitterand et compagnie vont "regretter" publiquement les morts en Algérie et verser quelques larmes de crocodile, mais tous vont être d'accord pour parler de grandes victoires de la démocratie puisque aujourd'hui en Algérie, on parle de pluripartisme, de civils au gouvernement,... et que la mort de milliers de prolétaires n'a pas été inutile "car les Algériens ont dorénavant plus de droits constitutionnels".

Le battage médiatique dans les autres pays, concernant les "bienfaits de la démocratie", s'adresse avant tout aux prolétaires afin qu'ils restent calmes et silencieux et ne prennent exemple de la lutte de leurs frères de classe. Ces campagnes veulent prouver que, s'il y a des révoltes, c'est parce qu'il n'y a pas assez de démocratie, qu'ici, on est mieux que là-bas. Ils nous susurrent à l'oreille qu'il n'est pas nécessaire de nous révolter, que nous avons tout pour être heureux: du travail, le droit de vote,... bref, des droits! Jamais au grand jamais, aucun droit, quel qu'il soit, ne garantira rien au prolétariat qui lutte pour ses intérêts. Au Brésil, en octobre 1988, en même temps qu'était proclamé le droit de grève (qui, officiellement, n'existait plus depuis des années), la bourgeoisie tirait sur les ouvriers sidérurgistes en grève à Volta-Redonda, faisant 5 morts au moins, et ce, au nom de la "lutte contre les provocateurs", parce que "ce n'était pas une grève, mais une rébellion, voire une guérilla urbaine", et entre deux séances de négociation avec les ouvriers, le président Sarney participait à une cérémonie "en hommage aux travailleurs brésiliens"!!!

La bourgeoisie a réussi à désamorcer le mouvement d'Octobre en Algérie mais l'exemple est maintenant clairement donné aux autres prolétaires. Et depuis, les grèves, les émeutes ne cessent de se répéter. En mars, avril, mai 1989, à Alger, Oran, Constantine, Tizi-Ouzou, des grèves surgissent (chez les éboueurs, dans les stations de distribution d'essence, chez les commerçants,...). En mai, à Souk-Ahras, dès émeutes ont éclaté contre les magouilles sur les redistributions de logements et, comme en octobre, tous les symboles de l'Etat, du FLN en ont fait les frais.

En octobre, la bourgeoisie mettait en avant la nécessité d' "ouverture politique" pour essayer d'enrayer le mouvement; en mars '89, elle mettra en avant cette même "ouverture démocratique" pour organiser la répression, en disant que "certaines personnes exploitent les difficultés du monde du travail (...et que) d'autres veulent sans doute affaiblir l'Etat pour démontrer que l'expérience démocratique actuelle ne convient pas..." dixit Merbah (le nouveau chef du gouvernement). Mais de la répression, on en entendra pratiquement pas parler. Il faut savoir que les affaires ont repris de plus belle (cfr. les accords à propos du gaz algérien avec la France, la Belgique, ... et cfr aussi les promesses d'aide financière de Mitterrand).

Dans les luttes des prolétaires en Algérie, certains n'y verront qu'une révolte minoritaire de jeunes excités, qu'une révolte désordonnée sans parti,... qu'une révolte contre la misère ne cherchant à améliorer une vie immédiate en suspens,... comme si dans chaque lutte du prolétariats'opposant directement à l'Etat capitaliste, n'était pas contenu l'hydre de la révolution communiste. Contre tous ceux qui s'imaginent que chaque lutte doit passer par un schéma précis, ouvriériste (luttes partant nécessairement d'une usine, grèves votées à la majorité en assemblée démocratique, manifestations syndicales, ordonnées, démocrates (cf en Pologne), contre tout cela nous affirmons que les luttes des prolétaires en Algérie ont une fois de plus (comme au Maroc, en Tunisie, en Birmanie, au Pérou,...) écrit une page d'histoire supplémentaire à l'expérience du prolétariat dans sa lutte pour l'abolition de son esclavage. Et cela, jusqu'au jour où les prolétaires en lutte feront le saut qualitatif de dépasser les frontières jusqu'à ce qu'ilss'arment et s'organisent toujours plus clairement contrenos ennemis de toujours. Jusqu'à la révolution communiste mondiale.



Birmanie: des émeutes et des luttes à retenir!

(Printemps 1988)

* * *

Introduction

Nous allons essayer dans ce texte de tirer les leçons des émeutes qui ont explosé en Birmanie au printemps '88. Soulignons avant tout deux ou trois points pour replacer ces événements dans leur contexte local et international.

Si l'on considère, d'un point de vue mondial, les dix dernières années écoulées, on peut affirmer sans erreur qu'il y a eu des luttes, des affrontements, des tensions sociales qui confirment, si besoin en est, que même dans une période de paix sociale profonde, le prolétariat n'est jamais tout à fait écrasé; qu'il ne disparaît jamais complètement de la scène de l'histoire. Bien sûr, en y regardant de plus près on voit rapidement que ces explosions de colère sont faibles, rares, aux revendications peu claires, etc. Les mêmes faiblesses se retrouvent presque à chaque fois et les affrontements en Birmanie n'échappent pas aux caractéristiques des luttes actuelles: sporadicité, limitation aux frontières nationales, alternance (par opposition à concomitance) des luttes dans différents pays, enfermement dans les frontières sectorielles, nationales ou autres. Le lecteur intéressé pourra trouver dans nos revues différentes tentatives pour comprendre, analyser et tirer les leçons de mouvements, de luttes de notre classe. Citons pour exemples les émeutes de la faim au Maroc en 1984 et en Tunisie en 1986, celles de Constantine, les conflits à Gaza et en Cisjordanie et récemment encore en Algérie et en Argentine. Citons également les luttes en Pologne, la guerre Iran/Irak, la grève des mineurs en Angleterre,...

En ce qui concerne la lutte du prolétariat en Birmanie, nous tenons à souligner quelques différences qualitatives importantes par rapport à d'autres luttes qui lui sont proches dans le temps. Une importance relative bien sûr. Une importance à mettre en relation avec le contexte actuel de calme social, d'anesthésie de notre classe.

La lutte en Birmanie se distingue, primo, par sa durée: sept mois, au minimum; secundo, par l'importance de la lutte, sa massivité. En effet, même si nous savons parfaitement que jamais dans son histoire le prolétariat n'a été défait par manque d'effectifs (la carence n'est pas quantitative mais qualitative), il faut souligner qu'ici il ne s'agit pas d'un ou deux secteurs, de l'une ou l'autre usine qui tiendrait le devant de la scène, même si le mouvement, ici comme ailleurs, a démarré ainsi. En Birmanie, très rapidement, tout ce que la presse bourgeoise appelle "la population" s'engage dans la lutte: certains, en cachant les insurgés, en leur procurant abri et nourriture; d'autres, en manifestant dans les rues, en pillant les magasins, et en attaquant tous les signes de richesse; d'autres enfin, tels certains soldats, en refusant de tirer ou en désertant. Les grèves générales furent très suivies et des villes entières paralysées.

Enfin, le troisième point important de cette lutte concerne l'organisation des insurgés. Nous savons que des villes entières et des ports ont été vidés de leurs administrateurs et dirigés pendant plusieurs jours par les insurgés. Nous savons que les cibles des pillages n'étaient pas déterminées par le hasard d'un parcours de manifestation, ou encore que face à la terreur bourgeoise s'est organisée une contre-terreur prolétarienne: des milices d'auto-défense se sont mises sur pied, des pillages de commissariat de police ont eu lieu, la défense de quartiers entiers dans la banlieue de la capitale a été assumée,... Nous croyons pouvoir affirmer qu'il y eut ces dernières années, différentes tentatives pour diriger d'un point de vue prolétarien ces luttes.

Mais hélas, dans ce cas, plus encore qu'en ce qui concerne la lutte en Iran/Irak, nous dépendons des informations que filtre la presse bourgeoise. Nous avons donc tenté de rassembler le plus d'informations possibles du plus grand nombre de journaux. Nous avons consulté la presse d'au moins sept pays différents, de la Chine à la France en passant par Cuba et l'Allemagne, l'Angleterre et l'Italie. Cependant aucune de ces informations n'est fiable et le résultat n'est évidemment pas le même que si nous avions pu nous rendre sur place ou obtenir des informations par des canaux militants.

Depuis octobre '88, les informations se sont faites de plus en plus rares et sont devenues si maigres que nous sommes dans l'impossibilité de savoir ce qui se passe sur place depuis plus ou moins le mois de décembre 1988.

Cependant cela ne veut pas dire que l'ordre bourgeois soit rétabli ou que le mouvement soit mort, écrasé. L'expérience nous a appris qu'en général la mort d'un mouvement de lutte contre l'Etat est louée, clamée, par la bourgeoisie comme une nouvelle victoire de la démocratie sur telle ou telle dictature, comme le triomphe d'un mouvement populaire de libération nationale sur un gouvernement à la solde de telle puissance ou de tel bloc. Le retrait des troupes, la création d'un Etat indépendant, la promesse d'élections prochaines, la reconnaissance de l'opposition, etc, marquent généralement la défaite du mouvement, l'hallali de la lutte. Rien de tel en ce qui concerne la Birmanie: la publicité que la bourgeoisie
aurait pu faire de ces formes d'écrasement n'est pas clairement apparue.

Le black-out bourgeois, la disparition pure et simple du sujet "Birmanie" de l'ensemble de la presse, couvre d'ailleurs toute la réalité d'un voile pudique. Lequel sert clairement à détourner l'attention de tous ceux qui se sentent, ou pourraient se sentir, concernés par cette lutte. Pour la bourgeoisie, les ouvriers en Birmanie donnent, en effet, un très mauvais exemple à leurs frères de classe partout dans le monde. Sur place, l'Etat bourgeois se charge à l'intérieur de réprimer le mouvement en soutenant les bourgeois birmans, puisque ceux-ci s'en montrent encore incapables, et, à l'extérieur, d'étouffer son exemple à l'aide de ses tout-puissants médias. Mais le silence de mort qu'essaye d'imposer la bourgeoisie ne signifie pas que tout soit rentré dans l'ordre bourgeois en Birmanie. La situation sociale et la haine de l'Etat sous toutes ses formes sont telles, que l'équilibre qu'essaye d'imposer la bourgeoisie par la terreur est extrêmement précaire: les prolétaires sont contraints, pour survivre, de nier les lois et de s'affronter à la bourgeoisie. Le prolétariat en Birmanie a tiré, de cette vague de luttes et de celles qui l'ont précédée, un ensemble de leçons qui lui permettront sans doute de se situer à l'avant-garde du prolétariat mondial dans cette région pour les grands combats à venir.

Le contexte historique de l'explosion sociale

Les 26 ans de pouvoir du général Ne Win à la tête du "Parti du Programme Socialiste Birman" (PPSB) n'ont fait qu'accélérer et catastrophiquement approfondir les effets dévastateurs de la crise capitaliste mondiale. La Birmanie, gros producteur et exportateur de riz dans les années 50, est devenue aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres de la planète. Les conditions de vie du prolétariat se sont extraordinairement, fortement et rapidement détériorées. Le revenu annuel par habitant était de 690 $ en 1960. Il est aujourd'hui de 190 $ et est donc plus faible que celui de la Chine!

Dans la région, la Birmanie est cependant un pays un peu "à part". Au début des années '50, la bourgeoisie y applique une politique social-démocrate, pseudo anti-impérialiste et stalinienne, avec nationalisation et parti unique (le PPSB). Le leader U Nu met en avant une politique de nationalisme virulent. Il participe d'ailleurs à la lutte contre les Anglais durant la colonisation. Pendant la courte période où il reste au gouvernement, U Nu met en avant une sorte de synthèse entre "marxisme" et bouddhisme. Il va d'ailleurs être le premier traducteur de Marx en Birman. Cette ligne bouddhisto-social-démocrate et pseudo anti-impérialiste amorce alors un fort renforcement de "l'Etat national indépendant", et permet l'écrasement du prolétariat au nom de la nation et de la démocratie (méthode mondialement employée des Philippines au Nicaragua, en passant par l'Europe, la Chine, etc). U Nu, renversé par le général Ne Win en 1962, s'exile, puis revient finalement au pays pour y diriger "l'opposition démocratique".

La situation économique, qui n'a fait que se détériorer, est aujourd'hui vraiment catastrophique. Le salaire moyen d'une personne, pour une famille qui en compte trois, équivaut à une tasse de thé par jour. Le marché noir est le seul moyen pour survivre. De plus, en septembre 1987, le gouvernement va retirer, sans avertissement ni compensation, 70% des billets en circulation, ce qui signifie que tous ceux qui possédaient quelques billets vont se retrouver du jour au lendemain sans un sou.

Pourtant, le prolétariat en Birmanie ne vit pas dans des conditions de misère aussi extrêmes que nos frères du Bengladesh ou des Indes. La concentration rapide de capital, de l'exploitation y ont, en effet, déterminé un développement du prolétariat et de ses luttes; même si celles-ci s'y sont trouvées contrôlées et réprimées par une union nationale de type stalinienne. De là découlent à la fois un prolétariat "éduqué", "syndiqué", mais aussi des traditions de lutte plus importantes que dans les autres pays voisins. Ceci explique aussi que l'explosion de colère du prolétariat va être plus brutale et plus profonde.

En Birmanie, la religion n'a que peu de poids. Mais il est intéressant et caractéristique de constater que, comme en URSS par exemple, la fraction au gouvernement entretient la religion (ici le bouddhisme) alors que son influence idéologique sur le prolétariat reste faible (ce qui n'est par exemple pas le cas aux Indes). La religion constitue donc une carte de réserve pour la bourgeoisie. Pendant les derniers mois du soulèvement, les moines bouddhistes vont remplir la tâche à laquelle les destine la bourgeoisie: pacifier le mouvement, imposer le drapeau de la non-violence et de la démocratie en combattant (parfois physiquement) les manifestations violentes du prolétariat.

La lente recrudescence de la militance ouvrière de ces dernières années (qui s'exprime violemment notamment dans les années '70) a été déterminée par la rapide dégradation des conditions de vie. Face à cela, la bourgeoisie s'est vue contrainte de développer une variété croissante de fractions rivales, avec leurs idéologies propres, et avec comme but, la canalisation, l'enrôlement des prolétaires dans des luttes étrangères à leurs besoins. Les plus efficaces jusqu'ici ont été les différents mouvements de guérillas, groupes nationalistes prochinois, pro-indien, pro-anglais ou pro-russe,... (1).

Et pendant 20 ans, ces groupes vont suffire pour encadrer le mécontentement des prolétaires, et les tuer lentement dans des combats entre groupes autonomistes et armée gouvernementale. Mais au sein de cette dernière commence alors à se développer un mécontentement croissant du fait de la dégradation des conditions de vie, de la lassitude, de l'usure dans ces combats sans fin. L'équilibre précaire en Birmanie qu'exprimait une relative stabilité de la paix sociale avec, d'une part, des combats continuels cantonnés dans les montagnes et le long des frontières et, d'autre part, l'imposition violente de la paix du travail dans la majorité du pays et plus particulièrement dans les grandes villes; cet équilibre précaire donc, ne va continuer à se maintenir que grâce à (et dans) un contexte de relative stabilité économique.

Mais avec l'approfondissement de la crise mondiale dans les années '70, les problèmes commencent à se développer. La compétition s'accroît entre les différents groupes capitalistes, l'exploitation augmente rapidement alors que les prix subissent de soudaines et violentes hausses. En Birmanie, la fraction dirigeante est alors coincée dans un dilemne: s'adapter aux changements des conditions internationales, tout en faisant face à la réelle menace que constitue la classe ouvrière. Ce phénomène devient de plus aigu du fait que face au développement de la colère ouvrière, la bourgeoisie a déjà été contrainte de mettre en avant sa fraction radicale. Or, si d'un côté, le réformisme stalinien (présenté comme violant "les normes générales du capitalisme") est nécessaire pour lutter contre la classe ouvrière, d'un autre côté, la présence de staliniens, comme fraction dirigeante du pouvoir bourgeois est une carte importante que la bourgeoisie brûle, la rendant ainsi inutilisable pour la suite. Les gouvernements staliniens sont donc particulièrement coincés quand il s'agit, pour faire face à la crise mondiale, d'envisager des réformes. Ils sont contraints de bouleverser quelque peu le statu quo rigide dans lequel ils se complaisent pour éviter l'affaiblissement de leur pays dans la compétition internationale. Mais ils savent d'expérience que bousculer leur forme de gouvernement extrêmement statique et monolithique risque toujours d'entraîner des troubles plus grands encore, car le prolétariat peut y voir une brèche et s'y engouffrer.

La bourgeoisie n'est pas prête d'oublier l'exemple de la "déstalinisation" en Russie d'où résultèrent des "débordements" dont elle se serait bien passée! Les forces "conservatrices" qui respectent à la lettre le dogme stalinien, refusent toute réforme (considérée comme "détournement du socialisme", "compromission avec le capitalisme") car leur peur du prolétariat est supérieure au poids de la nécessité de rendre le pays compétitif sur le marché mondial (cfr. Brejnev, Ceaucescu,...); les "réformistes" choisissent plutôt une réforme générale des structures économiques, et donc politiques, penchant toujours vers une "occidentalisation" (cfr. Yeltsin, Poszgay...). Finalement, c'est le plus souvent la fraction pragmatique qui l'emporte (cfr. Gorbatchev, Grozs, Ne Win,...), entreprenant les réformes sans conviction tout en essayant de conserver l'essence de l'ancienne version.

Bien sûr, ce n'est pas une question de choix entre une "meilleure" et une "pire" solution; c'est une question d'urgence dans le contexte d'approfondissement de la crise mondiale. Une des expressions de tout ceci est le mouvement de balancier, le mouvement d'oscillation à "gauche" puis à "droite"; le mouvement de pendule entre l'application de mesures, de réformes, puis leur retrait; le pas dans le sens de "l'occidentalisation de la politique économique", puis au contraire le pas vers le renforcement du contrôle central; la mise en place de mesures visant à changer les structures politiques et ensuite (sous forme de "contre réformes" ou parfois de coup militaire) la mise en place d'autres mesures, opposées (dans le sens mais non dans l'essence, bien sûr!), pour consolider les anciennes structures.

Dans les années '70, ce mouvement de balancier était caractéristique en Birmanie: politique d'ouverture avec emprunt sur le marché financier international, ouverture du commerce, encouragement à apprendre l'anglais,... et ensuite, retrait isolationniste avec efforts décuplés pour rembourser la dette, contrôle central accru de la vie politique, interdiction des cours d'anglais dans les écoles,... Mais tout ceci n'a pu empêcher les effets locaux de la crise mondiale et la dégradation de la situation sociale. La bourgeoisie, quelle que soit son idéologie, doit nécessairement diminuer le salaire social, augmenter l'exploitation, détériorer les conditions de travail, augmenter les prix directement ou indirectement (pénuries), renforcer la terreur d'Etat au nom de la démocratie (réformes) ou de la "démocratie populaire" (nommée "dictature du prolétariat" par les staliniens).

Rappelons que la situation de classe est tendue en Birmanie depuis les années '50, ce qui entraîne, dès avant l'approfondissement de la crise mondiale, l'accentuation de la militarisation locale du pouvoir et de l'économie.

Pour la bourgeoisie, la détérioration de la situation sociale signifie l'accumulation de problèmes dans la production industrielle et agricole (c'est en 1987 que celles-ci vont diminuer le plus fortement, et les exportations se limiter au minimum à cause des tensions dans le pays), le poids de la dette,... Alors que la fragile stabilité disparaît du fait de l'augmentation des prix, de l'accroissement de la pression du capital sur la classe ouvrière, la situation de cette dernière en devient insupportable. Pour le prolétariat, la vie est de plus en plus chère et les salaires insuffisants pour nourrir les familles, ce qui force les ouvriers à travailler toujours plus pour ramener du riz.

Pour donner un exemple: officiellement, en août 1988, un dollar vaut 6 à 7 kyats (monnaie birmane) tandis que sur le marché noir, il s'échange contre 40 kyats. Sur l'année '88, le prix du riz augmente de 400% et l'on peut alors imaginer la situation du prolétariat dont le salaire moyen est de 10 kyats alors qu'il en faut 50 pour nourrir une famille!

De plus, tous les commerces d'Etat se mettent à vendre leurs marchandises au prix du marché noir, c'est à dire 6 fois plus cher à peu près. Bref, pour le prolétariat, il est devenu impossible d'éviter l'approfondissement de la pauvreté; même les magouilles et les heures supplémentaires ne suffisent plus.

Du point de vue de l'ordre capitaliste, la solution de toujours pour sortir de la crise est la destruction massive de marchandises (dont principalement les prolétaires, parce que la plus dangereuse). C'est cette destruction qui permet ensuite, comme une goulée d'air frais, de réinvestir, reconstruire, donner du travail,... Il lui fallait donc, à cet ordre capitaliste, massacrer les prolétaires: "pacifiquement", par la faim si possible, sinon, en les tuant rapidement et efficacement dans des guerres internes ou contre un pseudo-ennemi extérieur.

En Birmanie, le salaire est donc passé très en dessous du niveau nécessaire à la survie quotidienne et cette situation, constante en Inde et au Bengladesh, provoque ici un réel choc. Le décalage entre aujourd'hui et il y a 20 ans est d'autant moins supportable que tout espoir de redressement de la situation s'est peu à peu affaissé. D'autre part, la situation des prolétaires sous l'uniforme suit évidemment les mêmes chemins: problème de nourriture, guerre permanente contre les autonomistes, familles ruinées par la crise et au bord de la famine, etc. Ces éléments vont d'ailleurs conditionner les désertions et le refus de tirer sur les manifestants.

Les luttes

En février et mars 1987, plus de 200 officiers de Rangoon (la capitale) et de Mandalay (la deuxième ville) sont mis aux arrêts pour avoir critiqué, dans le mess des casernes, la politique économique du "bol de riz vide" de Ne Win (détournement ironique des déclarations et des objectifs du général Ne Win qui prétendait donner un bol de riz à chaque citoyen). Puis, en mars 1988, éclatent des émeutes suite au meurtre d'un étudiant par la police lors d'une manifestation violemment réprimée. Les affrontements durent plus d'une semaine et les motifs initiaux des émeutes se transforment en une protestation contre la décision gouvernementale de retirer de la circulation tous les billets supérieurs à 15 kyats (pour lutter contre le marché noir). Cette drastique mesure d'austérité a déjà souvent été appliquée et laisse, à chaque fois, le prolétariat exsangue. Les émeutiers incendient alors des magasins et attaquent ceux qu'ils considèrent comme riches et pillent leurs biens.

En mai et Juin '88: nouvelles grèves et manifestations, nouveaux pillages. Le général Ne Win impose la loi martiale et le couvre-feu. Comme cela se passe souvent, le mouvement social a démarré en Birmanie dans le secteur "étudiant", ce qui n'est pas étonnant au vu de la minceur des espoirs de trouver du travail et de la noirceur du futur qui attend ces prolétaires pas encore lancés dans l'arène de l'emploi. Mais l'aggravation de la situation économique amène rapidement des milliers de personnes à descendre dans la rue, aux côtés des jeunes prolétaires "étudiants". Le général Ne Win mobilise alors ses troupes d'élites dans la capitale.

Au fil des mois, le nombre d'émeutiers augmente. En août '88, on parle de millions de manifestants, de plusieurs postes de police tombés entre leurs mains et pillés. La bourgeoisie birmane réagit par un mélange bien connu de promesses et de répression. Elle promet d'introduire de grandes réformes dans l'économie et, comme c'est l'habitude dans les pays à gouvernement stalinien, met l'accent sur "l'occidentalisation" qui "apportera le bien-être au peuple". Simultanément, la police et l'armée tirent sur les foules, tuant plusieurs manifestants.

Depuis juillet, les prolétaires sont passés à l'offensive. De plus en plus fréquemment à Rangoon, mais aussi dans d'autres grandes villes telle Mandalay, les émeutiers mènent une bataille active contre l'Etat et la propriété privée. Ils se battent avec des matraques en fer, des rayons de roues de vélo aiguisés, des couteaux et des épées, des machettes,... Ils décapitent des militaires et des policiers, pillent des magasins, attaquent les villas de certains membres du gouvernement etc.

Dans le port de Rangoon, les bateaux restent chargés à cause des grèves. Ceux qui contiennent de la nourriture sont attaqués et pillés. La poussée insurrectionnelle est telle que le général Ne Win démissionne le 23 juillet '88 et est remplacé par le général Sein Lwin, dit "le Boucher de Rangoon", l'homme responsable de la répression sanglante des émeutes de mars. Il avait alors ordonné à ses soldats: "Frappez pour tuer, tirez pour tuer". En cette fin juillet, Sein Lwin promet une totale remise en question de l'économie et l'introduction du multipartitisme en Birmanie. "La réputation de brutalité du général Sein Lwin a été, ces dernières semaines, contrebalancée (sic) par un show de pragmatisme dans la promotion de réformes" dira "The Guardian".

Bien que la presse essaye (et essayera toujours) de sous-estimer les éléments insurrectionnels des manifestations, soulignant (comme elle le fera toujours) les aspects démocratiques de la lutte, celle-ci atteint, fin août, une violence telle, que la presse n'en parle plus du tout. Seules quelques lignes filtrent ça et là, comme par exemple le fait que les maisons de 36 ministres et députés ont été incendiées par des manifestants en colère.

Le mois d'août est un mois d'émeutes ininterrompues. Le prolétariat prend le pouvoir dans différentes villes. Dans le port de Kowsong, les habitants prennent d'assaut les bâtiments officiels et menacent d'y mettre le feu. Ils chassent les fonctionnaires et les forces de l'ordre. A Pegu, les soldats se joignent aux insurgés et empêchent l'arrivée des renforts militaires venant de la capitale. Ici aussi les autorités s'enfuient. A Prome, les soldats refusent de tirer sur la foule. A Toungoo, un officier aurait même été tué par ses soldats qui refusaient eux aussi de tirer. A Rangoon même, différentes unités de soldats, exprimant l'affrontement social au sein de l'armée, se tirent dessus et tous les accès à la ville sont fermés pour empêcher les habitants d'autres villes de venir en aide aux insurgés de la capitale. Le clergé bouddhiste intervient et en appelle au gouvernement pour qu'il cède aux revendications et améliore les conditions de vie de la classe ouvrière. Le 10 août, fait révélateur de la profondeur et de l'ampleur de l'affrontement social, un avion lâche sur la capitale des tracts menaçant la population de bombarder la ville si elle continue à résister à l'armée.

Le 14 août, un diplomate en poste à Rangoon dit: "C'est la faim qui est le moteur du soulèvement, la démocratie vient après", et "Libération", le 30 de ce même mois, d'ajouter: "La Birmanie est à la dérive. L'insurrection qui a gagné l'ensemble du pays est aux portes de la capitale...". Il est significatif que le gouvernement accuse (et donc reconnaisse l'existence de) "un réseau d'organisation clandestine qui alimente et coordonne le mouvement". "L'instabilité actuelle, dit-il, est due à l'organisation et à l'intervention de ces fauteurs de troubles" (Libération le 14/8/88). "Le mouvement est structuré en cellules très compartimentées, ne rassemblant que quelques individus se connaissant et se faisant confiance" (idem). Des contacts ont été pris avec d'anciens étudiants qui ont participé aux mouvements des années '70 en Birmanie, et '73 en Thaïlande (mouvements qui s'inscrivent directement dans la vague de lutte mondiale "1967-1973"). La presse, parle d'au moins 6 groupes clandestins agissant de concert, ou encore, de 30 dirigeants secrets agissant au travers du syndicat étudiant créé le 17 mars 1988 et immédiatement interdit. Et là où parfois la bourgeoisie met en avant spectaculairement des aspects d'organisation et de direction de la lutte qui n'existent pas forcément, mais qui soutiennent alors une campagne de presse visant à faire peur aux citoyens (cfr. l'article sur l'Argentine dans cette même revue), ici, il est clair que ce même type de campagne se repose sur de réels aspects d'organisation et de direction de notre classe.

En ce mois d'août '88, des centaines de manifestants sont massacrés par l'armée. On parle de 3000 morts en une semaine. Le général Sein Lwin démissionne, incapable, malgré ses promesses et ses massacres, de calmer les affrontements. Le 12 août, lui succède l'avocat Maung Maung. La bourgeoisie tente de calmer les affrontements en plaçant à la tête du gouvernement, une marionnette dénuée de galons. Aussitôt, ce dernier en appelle à la paix et à la tranquillité, condition sine qua non de la reprise économique. Il supprime la loi martiale pour preuve de sa volonté de pacification (bien que l'armée évidemment continue à tirer dans les manifestations et rassemblements). Maung Maung est soutenu, dans sa lutte contre le prolétariat, par une partie de "l'opposition démocratique", dont le général Aung Gyu, militaire réformiste qui avait accusé les précédents gouvernements de corruption et avait été arrêté en juillet pour "attaque contre l'Etat". Fort de la "bonne image" que lui vaut son passé "d'opprimé du régime", ce général prône alors le respect de la non violence tant du côté militaire que populaire "pour éviter l'anarchie et que plus de sang ne soit versé", dit-il. Maung Maung amnistie des centaines de prisonniers dont la majorité (mais cela resta secret) sont des membres des fractions bourgeoises bâillonnées par le régime militaire: des démocrates, des nationalistes, des libéraux,... Des centaines de prolétaires restent par contre en taule, ce qui va mener plus tard au plus gros massacre de cette période en Birmanie.

Il est important de souligner que les efforts communs du gouvernement (promesses de réformes, amnisties et terreur policière) et de l'opposition (discours contre l'anarchie, participation à des manifs "pour la non violence et le respect de la propriété privée") vont être incapables, à ce moment-là, de calmer, pacifier, ou d'écraser le mouvement de résistance et de refus qui menace de s'élargir en une insurrection générale.

L'opposition soutient le gouvernement et coopère avec l'armée en soulignant toujours plus fortement l'importance de "protestations pacifiques contre la dictature" et la nécessité d'éviter le chaos. Les moines aussi participent à leur manière à la lutte contre la subversion en appelant l'armée pour défendre une usine attaquée par "un gang de plus de 500 criminels". Ils se chargent ensuite d'organiser un "système alternatif" autogestionnaire clamant haut et fort leur soumission aux intérêts des émeutiers! Une autre figure de l'opposition entre alors en scène: Daw Aung San Kyi, surnommée par les médias la Cory Aquino birmane, la fille du leader du mouvement d'indépendance du pays qui fut tué en 1947 par une fraction birmane rivale. Auréolée de ce prestige, elle lutte pour la démocratie et le multipartitisme avec toute la bonne conscience des humanistes bourgeois, bourreaux de la classe ouvrière en lutte.

Fin août, l'insurrection gagne du terrain dans l'armée et dans d'autres institutions capitalistes. Les défections sont de plus en plus massives, les soldats se retournent contre leurs officiers. Au même moment, dans plusieurs prisons du pays, les prolétaires se révoltent. Certains parviennent à s'évader mais d'autres, par centaines, sont massacrés. A 13 Km de la capitale, dans la prison d'Insein encerclée par l'armée, les émeutiers mettent le feu aux bâtiments et tentent de percer le cordon militaire pour s'évader. Entre 200 et 600 réussissent, les autres, au moins 1000, sont tués par la fusillade ininterrompue de l'armée qui les empêche d'échapper aux flammes. Suite à ces émeutes, le gouvernement accorde une nouvelle amnistie et libère le reste des prisonniers. Ce qui reste encore des prisons,... les ruines, devient de toutes façons inutilisable et incontrôlable. En août et septembre, de plus en plus de soldats sont vus aux côtés d'autres prolétaires; en plus, des fusils font leur apparition dans "l'arsenal" des émeutiers, bien que les machettes restent l'arme la plus commune, et la décapitation, la façon la plus courante de tuer les bourgeois.

A ce stade-ci, il est important de parler plus en détail des différentes fractions bourgeoises, et de la façon dont la presse internationale va rapporter les événements. Deux sortes de pacifismes, de discours non violents, émergèrent:

1/ Le premier va consister en la traditionnelle propagande pour la non-violence: "Nous manifestons pacifiquement, nous demandons des réformes, des droits, l'amnistie, le changement de gouvernement, et cela, d'une façon toute pacifique" (même les nonnes et les curés catholiques en septembre finissent par se joindre aux manifestations, avec comme slogan: "Jésus aime la démocratie"; le suprême patriarche bouddhiste, quant à lui, appelle à la modération pendant que les troupes poursuivent les manifestants jusque dans les hôpitaux, tirant sur tout le monde).

Mais très vite, les événements vont dépasser cette sorte de propagande. Les prolétaires ont résisté très longtemps aux massacres et aux tentatives de dévoyer leur lutte. C'est pourquoi l'opposition bourgeoise au gouvernement commence à se radicaliser et à accepter, et même à encourager, la violence contre la fraction dominante, poussée en cela par la nécessité de rester crédible. La propagande précédente, les discours pour l'absolue non violence, ont fait maintenant place à une propagande pour une "violence différenciée".

2/ "L'autre" pacifisme va se vouloir plus... violent! "On peut décapiter des soldats et des policiers défendant ce gouvernement car ce dernier n'a pas le droit d'exister; le terrorisme d'accord, mais uniquement comme moyen d'instaurer une démocratie pluraliste. Par contre, voler dans les magasins et les bureaux, piller les maisons des riches, etc, sont des activités 'contre-révolutionnaires'. Les 'criminels' qui prennent des biens ne leur appartenant pas seront exécutés". Voilà, en résumé, le discours et l'idéologie de ces démocrates "radicaux".

Dans certaines villes où le pouvoir de l'Etat central a été chassé par les insurgés, des forces démocratiques locales, appuyées par la bourgeoisie commerciale, les intellectuels et les moines, organisent l'autogestion des structures pour maintenir le fonctionnement de la production et du marché, et la défense de la propriété privée, dévoyant de la sorte, vers les intérêts bourgeois, les tentatives de direction prolétarienne. Pourtant, le prolétariat n'est pas encore battu et conserve une force de lutte marquée notamment, par la constitution de milices d'auto-défense et d'organisations prolétariennes dans les quartiers ouvriers des banlieues et même dans des viles entières.

Les deux stars de l'opposition, Daw Saung San Kyi et le général Aung Gyi, lancent alors un appel pour la création d'un "gouvernement provisoire" afin de "donner la démocratie au peuple". L'appel reste sans effet, les pillages ne cessent de s'étendre et dans la plupart des cas les cibles sont les sources de nourriture (le riz principalement). Pour parvenir à bout de la résistance prolétarienne, la bourgeoisie recourt aux massacres, aux bains de sang.

Tensions sociales dans l'armée

Au sein de l'armée, réputée pour être l'une des plus disciplinée d'Asie, les dissensions sont de plus en plus vives. Les conditions de vie des soldats, tout en étant meilleures que celles des autres prolétaires, sont loin d'être bonnes. Le service militaire obligatoire est long et pénible, la solde est maigre, la cantine rationnée, la discipline de fer, le copinage et la corruption, monnaies courantes. De plus, l'armée est en guerre permanente contre les différents groupes de guérilla. Cette situation entraîne un mécontentement croissant. La tension est si grande qu'en août '88 "des éléments de l'armée viennent retirer de la Banque Nationale de Commerce, sous la menace de leurs armes, une somme de 600 millions de kyats (=600 millions de FF) pour distribuer aux soldats" (Libération du 9/9/88).

Le mécontentement et la résistance des prolétaires sous l'uniforme croît de jour en Jour. Des soldats participent aux pillages. Des mutineries éclatent dans différentes bases militaires. Dans trois villes au moins, les soldats passent aux côtés des émeutiers. Des manifestants chantent l'hymne de l'armée devant les soldats venus les réprimer, et les interpellent: "Tirez, grands frères!". Mais même avec tout ela, l'armée ne se décompose pas; elle reste toujours maître du terrain et, malgré les désertions et les mutineries, le prolétariat ne parvient pas à émerger en-dehors et contre cette structure de l'Etat bourgeois.

Le pouvoir a besoin de l’opposition

La nécessité vitale, pour la bourgeoisie, de nier l'affrontement de classe qui se joue en Birmanie, s'exprime de différentes manières. Pour les uns, il s'agit uniquement de "manifestations étudiantes" ou de "groupes de gens" défendant "leurs intérêts spécifiques"; pour d'autres, c'est la défense des "intérêts généraux du peuple", c'est la "démocratisation", qui est revendiquée. Pourtant, durant l'été '88, la difficulté à cacher la "tendance" du prolétariat à "l'anarchie" (2) pousse les médias à se centrer non plus sur les événements mais sur les "aspects politiques". Les rengaines sur le danger du chaos et de l'anarchie cèdent progressivement la place aux discours et déclarations des fractions de l'opposition, des filles de héros de l'indépendance et autres généraux à la retraite. Début septembre, le gouvernement rejette l'appel à un "gouvernement d'intérim". Le président Maung Maung comprend l'intérêt prépondérant, primordial de sa classe: préserver, soigneusement à l'écart du gouvernement, une opposition dont l'influence sur le mouvement commence à se faire sentir. Ni le Capital mondial, ni ses managers locaux n'ont intérêt à détruire (en lui ouvrant l'accès au gouvernement) la crédibilité naissante de l'opposition.

De surcroît, il est plus que vraisemblable que cette ouverture prématurée n'aurait pas suffit à canaliser le mouvement, alors même qu'elle risquait d'affaiblir la bourgeoisie locale, la désorganisant dans un moment clef. Loin de cette compréhension, Daw Aung San et son copain le vieux général, de même que Thant, le fils de l'ex-secrétaire général des Nations Unies, de même que d'autres démocrates, sont prêts à perdre leur influence en échange du pouvoir. Mais pour la bourgeoisie dans sa globalité, c'eût été une réelle stupidité de laisser les choses se dérouler ainsi. Il est beaucoup plus utile que la grève générale, qui paralyse plusieurs villes et qui continue toujours à Rangoon, reste une "action de protestation" revendiquée par ces "forces démocratiques" qui viennent de sauter dans le train en marche. U Nu, leader anti-fasciste des années '60, forme alors un "anti-gouvernement de transition" avec son groupe "Ligue pour la Paix et la Démocratie", rejoignant ainsi Daw Aung San pour tenter de canaliser le mécontentement général vers la revendication d'un système multipartiste, de la démocratie et des droits de l'Homme, des droits du bon citoyen, patriote fidèle, bon ouvrier, bon père de famille!

A ce stade, le capitalisme mondial a déjà commencé à préparer les futurs arrangements et les luttes inter-imperialistes qui suivront le massacre de l'insurrection prolétarienne. Depuis longtemps déjà plusieurs pays, dont le Japon et l'Angleterre, se sont disputés le territoire entouré par les frontières birmanes et restent toujours intéressés par les possibilités d'y implanter des bases militaires le long de l'océan Indien.

L'opposition s'unit pour se débarrasser du gouvernement

Alors que des émeutes continuent dans plusieurs endroits du pays, les démocrates s'activent pour reprendre les choses en mains. Pendant ce temps, l'armée protège le ministère de la défense, la station de radio, les principaux ponts de chemins de fer, les quartiers résidentiels,... Peu à peu tout est mis en place pour le "dernier" massacre de prolétaires, tant militaire qu'idéologique. Avant de passer à l'action, la bourgeoisie achève les derniers préparatifs pour diviser le prolétariat en "criminels" d'un côté, et "démocrates" de l'autre.

Le 11 septembre, le parlement décide de ratifier la promesse d'élections libres et d'établir un système multipartiste (3). Le New York Times rapporte (le 13/9/88) que les manifestants ne suivent pas la ligne de démocratisation officielle ni les groupes d'opposition, lesquels ne peuvent "offrir aucune direction ni organisation immédiate" acceptables pour les insurgés. U Nu, le "self made leader" du "gouvernement rival" semble avoir été ignoré par les manifestants. U Tin Do, précédent ministre de la défense, maintenant transfuge du PPSB (parti au gouvernement), Daw Aung San Kyi et Aung Gyi en appellent à la patience des manifestants, soutenant que "le peuple doit continuer les manifestations pacifiques, en utilisant l'arme du courage moral…"!! Vers la mi-septembre, ainsi que le Times l'écrit, la Birmanie se trouve "au bord de l’anarchie" car bien que "le gouvernement ait accepté des élections, les manifestations continuent". Pendant ce court laps de temps, le rapport de force entre bourgeoisie et prolétariat semble suspendu, la lutte semble être à un moment clé où tout acte importe et pèse sur le cours futur des événements.

L'armée ne cesse de renforcer ses positions. Le gouvernement fait des promesses, les fractions d'oppositions prêchent la démocratie et la tolérance ainsi que la nécessité d'éviter l'anarchie. Arrive alors l'appel à la grève générale "pour réclamer la démocratie immédiatement": tentative désespérée de récupérer au moins le contrôle apparent des événements qui, dans les faits, évoluent vers le refus général du travail. Ce qui se joue en Birmanie est semblable à la situation sociale de la Pologne en 1981: Solidarnosc, pour protéger l'Etat et canaliser la radicalisation des luttes, est acculé à menacer le gouvernement de déclencher la grève générale. Cette menace produit une vaste opération de répression militaire: le coup d'Etat. En Pologne comme en Birmanie, la déclaration de grève générale suit un mouvement qui, dans ses actes, a déjà depuis longtemps refusé le travail et organisé les grèves.

L'opposition tente donc de récupérer la lutte et de la transformer. Mais le calme ne revient pas dans les villes, les habitants refusent de rentrer chez eux, et les prolétaires de retourner sagement au boulot. La bourgeoisie se tourne alors vers son alternative. Après l'échec des tentatives de récupération par la "douceur", le balancier du pendule s'en va vers l'autre pôle, l'autre face de la médaille: après la carotte, le bâton! Le 18 septembre a lieu le coup d'Etat du général Saw Maung qui impose le couvre-feu. La veille, un groupe d'insurgés s'est affronté à l'armée en face du ministère du Commerce. Les prolétaires ont capturé des soldats qui avaient tiré dans la foule. Ils voulaient les tuer, mais des leaders de l'opposition sont intervenus et ont plaidé pour la paix. Les soldats ont eu la vie sauve. La voix de l'opposition est de plus en plus écoutée au sein des prolétaires.

Rien de pacifique par contre dans les méthodes de l'armée qui a alors plus d'une raison de pratiquer la plus dure des répressions: d'une part, il est de l'intérêt général de la bourgeoisie d'en finir avec l'état insurrectionnel du pays (sans doute en partie à cause des répercussions et des contagions possibles dans les régions voisines, voire dans d'autres endroits du monde où les prolétaires peuvent facilement identifier leur situation à celle de leurs frères birmans); et d'autre part, compris dans cet intérêt général, il est impératif pour l'armée, d'arrêter les défections en son sein. Selon la presse, dans la seule semaine précédant le coup d'Etat, quelques 6000 soldats de l'armée de l'air, de mer et de terre ont rejoint le camp de insurgés.

D'autres facteurs entrent également en ligne de compte et poussent la bourgeoisie à adopter la méthode "forte": la colère des vieux généraux face au refus de collaboration des fractions d'opposition; ainsi que la nécessité de mettre le holà à la violence qui se déchaîne contre l'armée, la police et tous les signes de richesses.

A partir du coup d'Etat (véritable carnage, est-ce nécessaire de le préciser?), les grèves et les manifestations sont interdites. Le coup d'Etat, de même qu'en Pologne et ailleurs, n'est pas un réel changement de gouvernement (au sens de remplacement d'une fraction par une autre) mais seulement une purification de l'Etat, poussé par la nécessité d'aller droit à l'essentiel: se protéger du désordre et de l'anarchie.

Le général Saw Maung, chef du comité militaire, qui a déjà été ministre de la défense antérieurement (gouvernement de Ne Win, poste qu'il retrouvera plus tard), s'engage rapidement, exactement comme le fit Jaruzelski 8 ans avant lui, "à poursuivre" les réformes, la démocratisation,... Par la suite, le général déclarera qu'il n'aurait agi de la sorte que "dans le but d'arrêter le chaos social birman et d'assurer que des élections seraient organisées". Les fractions d'opposition protestent mollement, puis réclament des pourparlers avec Saw Maung. Elles repoussent les offres de soutien de la part des groupes autonomistes. Les moines bouddhistes mettent également la main à la pâte en publiant un texte appelant "au dialogue" (cfr. le rôle de l'église en Pologne). Au même moment, la capitale est investie et quadrillée par les blindés et les patrouilles tirent sans avertissement sur tout rassemblement de plus de 5 personnes.

Pourtant, le prolétariat de plus en plus affaibli, ne se déclare toujours pas vaincu. Le 20 septembre, la banlieue de Rangoon est toujours l'un des bastions de résistance les plus solides des insurgés. L'armée ne parvient pas à y pénétrer, pas plus qu'elle ne réussit à démanteler "les barricades faites de tuyaux de canalisation et d'arbres coupés. Ces positions sont défendues à l'aide de lances en bois, de bouteilles d'acide mélangé à du gravier, de cocktail molotov et de 'jinglees' (catapultes à fléchette)." - Libération du 20/09/88.

Le lendemain du coup d'Etat, des groupes de prolétaires pillent des postes de police de Rangoon, volent armes et munitions. La radio parle même d'une mobilisation rassemblant 1000 personnes qui ont attaqué les forces de l'ordre et tué 7 policiers dont 2 commandants. Une immense fouille est organisée pour retrouver les coupables mais l'armée ne réussit pas "à déloger les extrémistes".

Pourtant le 21 septembre (3 jours après le coup d'Etat), "les barricades de la banlieue ouvrière d'Okkalapa, un des bastions de la résistance, sont tombées". Les exécutions sommaires sont innombrables et les crématoriums du pays fonctionnent à plein rendement pour effacer au plus vite les traces du massacre.

Ce qui se passa par la suite, nous n'en avons jamais plus eu le détail. Le blocus des médias devint impénétrable. Mais malgré ce silence, nous savons que la violence s'est encore accrue contre notre classe; nous savons que la bourgeoisie, flairant l'affaiblissement, enivrée par l'odeur du sang et de la victoire toute proche, a redoublé de cruauté et de vigueur.

Qu'en est-il aujourd'hui? Nous ne pouvons le dire mais nous craignons le pire.

En guise de conclusion temporaire

La presse bourgeoise a rempli sa fonction: à la fois cacher, transformer la réalité du mouvement social, (qui de révolutionnaire devint "étudiant", puis démocratique, etc.) pour ensuite simplement cacher la réalité de la terreur bourgeoise. Mais au-delà de l'horreur, au-delà du cannibalisme de la contre-révolution, ce que la presse a essayé de cacher, c'est la force de la révolution: la bourgeoisie a eu énormément de mal à faire quitter au prolétariat en Birmanie son terrain de lutte. La force du prolétariat a déterminé l'ampleur des moyens mis en place par la bourgeoisie mondiale pour la répression.

La difficulté de la bourgeoisie à écraser le prolétariat montre, plus clairement que tout discours, le fait que le prolétariat ne luttait pas pour "plus de démocratie", "pour changer de fraction au pouvoir" (changer de bourreaux, en fait), mais bel et bien pour la défense de ses intérêts exclusifs de classe. Face à cela, la bourgeoisie a répondu, et répondra toujours, par un déluge de feu et de sang, le tout enrobé de grands discours sur les "nécessaires réformes". Le refus clair du prolétariat en Birmanie a contraint la bourgeoisie au développement immédiat d'une répression très large. Mais il ne lui a pas été possible d'isoler les avant-gardes les plus combatives et radicales grâce à "l'octroi" de réformes et d'acquis sociaux. Cette solution aurait permis l'isolement de cette avant-garde pour la massacrer, et écraser ainsi politiquement le prolétariat pour, une fois ces conditions remplies, massacrer, réprimer, torturer massivement. Cette solution comporte l'avantage, pour la bourgeoisie, d'opposer une frange du prolétariat contre d'autres, d'imposer ses leçons, d'essayer de faire croire que la répression, occasionnée par un secteur particulier de la bourgeoisie (armée, fascistes...), a été causée par les excès d'une minorité de prolétaires irresponsables (voyous, "terroristes", agents à la solde de l'ennemi, provocateurs,...).

Cet échec partiel est très encourageant pour notre classe et ses luttes futures. Il donne à penser que des leçons de ce mouvement restent présentes pour bon nombre de prolétaires. Et si c'est le cas, ces leçons permettront aux luttes de repartir d'emblée, ou d'accéder beaucoup plus vite à un plus grand niveau de force (centralisation, clarté politique, refus des divisions et des réformes, connaissance des méthodes de l'ennemi et des nécessités de la lutte révolutionnaire, etc.). De plus, il est possible, voire probable, que certaines des structures (clandestines) que le prolétariat a mises sur pied durant ces 7 mois d'affrontement, soient passées au travers des mailles de la répression et qu'elles travaillent au maintien de l'indispensable continuité entre les différents moments de l'affrontement social qui ne peut que se développer. La force du prolétariat, qui n'a pas été suffisante pour empêcher la répression (et ne pouvait être suffisante dans un seul pays), l'a été probablement suffisamment pour qu'en vendant chèrement leurs peaux, les prolétaires aient ralenti, diminué celle-ci. La situation dans laquelle la bourgeoisie peut développer SANS LIMITE sa répression est précisément la situation dans laquelle le prolétariat a perdu toute capacité de résistance. La bourgeoisie, face à un mouvement de cette ampleur, est obligée de ramener la paix sociale au moyen de la répression. Mais lorsque le prolétariat reste fort, précisément pour empêcher que le mouvement ne reparte contre la répression, elle est obligée de moduler celle-ci, voire de la limiter.

La situation en Birmanie reste très explosive. L'économie, qui fut totalement paralysée des mois durant, après les moments forts de la lutte, et même après la répression, reste instable. Carburant et électricité font totalement défaut, et pour cette raison aussi, nombreux sont ceux qui ne sont pas retournés travailler ou qui furent licenciés, arrêtés pour leur participation aux grèves.

L'ensemble de ces facteurs et la profondeur de la crise économique et sociale empêche que les prolétaires, pour survivre, puissent même respecter les lois. "De toute façon, les paies sont dérisoires, les magasins d'Etat vides, et le prix des denrées, sur le marché libre, exorbitants. Les rues de Rangoon sont envahies par les mendiants et l'armée continue de tirer sur des pillards qui bravent même le couvre-feu nocturne pour voler un sac de riz ou une plaque de tôle ondulée" ("Le Monde" du 22/10/88).

L'importance de cette lutte dans une région qui, à différents titres, peut être considérée comme cruciale dans le développement des affrontements interclassistes (concentration de prolétaires, proximité de la Chine et donc, point de contagion possible des luttes d'un bloc à l'autre,...), nous détermine à en dire et à en répéter l'importance. Elle clame bien fort ce qu'à de multiples reprises nous avons exprimé: IL N'EXISTE PAS UN CENTRE DE LA REVOLUTION, lequel devrait, soit servir de référence pour les luttes des prolétaires de tous les pays, soit servir de direction, de guide.

Ces conceptions (divisions entre pays "développés" et pays "sous-développés", "socialistes" ou non, "agresseurs" et "moins agresseurs", "progressistes", etc.) sont moralistes, progressistes et racistes. Elles servent uniquement à diviser le prolétariat mondial et à ralentir sa lutte. Comme des dizaines de fois en d'autres temps et d'autres lieux, le prolétariat en Birmanie a prouvé qu'il n'existe qu'une seule classe ouvrière et une seule voie pour faire triompher le projet révolutionnaire de notre classe; il tire sa force, non pas des donneurs de leçons, ou de l'expérience du "prolétariat évolué" de telle ou telle zone, mais bien de sa lutte pratique contre la bourgeoisie, pour se réapproprier toute sa propre histoire.

Plutôt que de chercher des zones privilégiées et ainsi introduire des séparations au sein de notre classe, il est beaucoup plus valide de saisir que l'émergence pratique de notre classe et de son avant-garde partout dans le monde, est historiquement et mondialement déterminée par l'antagonisme bourgeoisie/prolétariat.

Le développement de l'affrontement social, lorsqu'il prend un caractère aigu comme ce fut le cas en Birmanie, tend à prendre comme axe de gravitation la question de l'affrontement armé. Mais autant cette question est essentielle pour le prolétariat, dans la mesure où il est contraint de transformer les armes de la critique en critique par les armes (ne serait-ce que pour empêcher le cannibalisme de la contre-révolution), autant cela présente le danger de la transformation de l'affrontement social en affrontement militariste interbourgeois. Dans sa lutte, le prolétariat en Birmanie, poussé par les nécessités, a su assumer la contrainte de la riposte armée à la bourgeoisie et cela tant pour satisfaire ses besoins que pour se défendre. De façon de plus en plus générale et globale, il a assumé l'affrontement militaire et sa préparation contre les forces de l'ordre. C'est ainsi que se sont créées des structures organisées et armées pour l'auto-défense des quartiers ouvriers, pour l'attaque de bâtiments de l'Etat, pour les pillages et les réappropriations. Il est important de souligner les nombreuses tentatives d'organisation du prolétariat en Birmanie. A travers l'ensemble des informations qui ont filtré, il semble clair que des structures organisatives multiformes ont surgi. Si, conformément à sa vision machiavélique de l'histoire, la bourgeoisie parle toujours d'un centre unique de la subversion, il semble au contraire (et nous ne pouvons que le regretter tout en le comprenant) que ces structures soient restées fortement décentralisées. Si cela s'explique notamment par la volonté de résister par le cloisonnement à une répression extrêmement violente, il n'empêche cependant que cela disperse le prolétariat, et ralentit ou entrave sa constitution tendancielle en une seule force centralisée.

Ainsi, n'ayant pas perdu de vue les leçons du passé, le prolétariat en Birmanie a très rapidement pratiquement mis en avant la nécessité de s'organiser et de se protéger. Mais cette vigilance contre la répression, qui exprime un certain niveau de compréhension de la nature réelle de l'antagonisme, la réalité de la bourgeoisie, doit être dépassée en structurant différents niveaux de contacts, de centralisations qui permettent de renforcer la lutte en la centralisant, en tendant à lui donner une direction unique. Si au départ, c'est principalement l'homogénéité des conditions de vie, la famine et l'horreur qui ont déterminé le développement rapide et l'extension des luttes; très rapidement aussi des tentatives de généralisation, des prises de contacts entre différentes villes, sont apparues. Il est plus que probable que ces différentes structures ont aussi participé au refus des solutions proposées par la bourgeoisie.

Des dizaines de structures se sont mises en places, des militants ont été demander conseil sur les nécessités de la lutte à des militants des vagues précédentes de lutte. Et bon nombre d' organisations ainsi créées se sont opposées à la Chine, aux USA, à Cuba, à l'URSS,... les mettant tous sur le même pied, où ils se trouvent de fait, même si ce fut malheureusement parfois, pour leur opposer "la volonté d'indépendance du peuple birman" (4).

Lors des violentes explosions de rage ouvrière qui se sont succédées ces derniers temps (Algérie, Venezuela, Maroc, Tunisie, Mexique,...), le prolétariat affrontait les forces de répression bourgeoises armées de mitrailleuses et munies d'autos blindées avec, comme seules armes, des cailloux, des couteaux ou des bouts de bois. En Birmanie, ce ne fut pas le cas. Notamment grâce à la continuité qu'il a donné à ses luttes, le prolétariat a su tirer des leçons et a refusé de se faire massacrer, désarmé. Les prolétaires en lutte se sont d'abord servis d'armes dérisoires, puis, dans le développement du mouvement, ils ont montré qu'il ne s'agissait pas pour la bourgeoisie de massacrer des moutons bêlant mais bien des prolétaires en lutte, décidés à défendre leurs luttes les armes à la main. C'est notamment cette détermination, et les morts dans l'armée bourgeoise, qui ont poussé de plus en plus de prolétaires sous l'uniforme, à refuser d'assassiner leurs frères de classe, à déserter, à passer à la lutte ouverte contre l'Etat.

Cela permettait de la sorte aux prolétaires de se procurer des armes, mais cela accentuait aussi la déstabilisation de l'Etat. Cependant, il est clair que la lutte de classe en Birmanie a déstabilisé l'armée, au point que des militaires (prolétaires sous l'uniforme) s'affrontent à d'autres militaires, il n'en reste pas moins vrai que cette déstabilisation ne fut jamais assez profonde que pour réellement mettre l'Etat en danger. Pour imposer un changement de cette situation, il faut que la lutte dépasse aussi un ensemble d'autres limites et, par exemple, qu'elle s'internationalise pratiquement et directement, bousculant de la sorte un ensemble d'idéologies, telles la "mauvaise gestion", la fausse opposition entre "socialisme" et capitalisme, les problèmes "spécifiquement nationaux", etc.

D'autre part, dans sa lutte contre l'Etat et sa répression, le prolétariat en Birmanie n'a pas seulement refusé de s'affronter les mains nues à l'Etat; il a, dans un premier temps, choisi ses cibles en fonction de ses besoins: les besoins de sa lutte. Il a refusé d'aller systématiquement au devant des mitrailleuses de l'armée, où toutes les forces de l'opposition, des anciens membres du régime aux moines, l'appelaient. Cette organisation de la lutte, exprime le passage de la réaction contre la misère à l'action organisée contre l'ensemble de la société et ses mécanismes (un de ces "mécanismes" est le massacre des prolétaires insurgés!), et manifeste indéniablement un pas important en avant pour le prolétariat. Mais c'est un pas auquel il est d'autant plus difficile de donner une continuité que l'isolement du prolétariat en Birmanie est profond. C'est pourquoi, s'est ouverte pour la bourgeoisie la possibilité de transformer l'affrontement social en affrontement purement militariste interbourgeois, appareil contre appareil, terrain sur lequel la bourgeoisie reste aujourd'hui évidemment largement dominante. Dans un développement de ce genre-là, ce sont, petit à petit, des "spécialistes militaires" (groupes armés de libération nationale, guérilleristes) qui reprennent la direction du mouvement contre ses intérêts propres.

* Décembre 1988 *

Notes

(1) Il y a en Birmanie plusieurs minorités ethniques qui luttent pour l'indépendance de leur lopin de terre. Ces groupes autonomistes sont généralement basés le long des frontières et mènent une guerre de guérilla au gouvernement central depuis plus de 20 ans, tout en se faisant perpétuellement la guerre. Les plus nombreux sont les "communistes" du PCB lequel s'est fait particulièrement discret pendant les luttes. Ensuite viennent les Karens, véritable Etat dans l'Etat avec son armée bien sûr, mais aussi un service militaire obligatoire, des flics, des universités, des lois propres, des avocats, un réseau de production et d'échange très développé, etc. Ils occupent plus ou moins 600 km de territoire le long de la frontière thaïlandaise et sont à peu près 2 millions dont 4.000 en permanence en armes. Ils constituent la deuxième force de guérilla après le "PC" qui, lui, est basé le long de la frontière chinoise. Leurs principaux revenus proviennent de la contrebande de toutes marchandises, excepté la drogue (le "triangle d'or" est tout proche) qui est prohibée tant pour le commerce que pour la consommation. Celle-ci, ainsi que l'adultère, sont punis de mort! Dès le début du mouvement, les Karens auraient tenté de tisser des liens avec les insurgés et de former des "activistes" au combat. Pourtant, alors qu'à la suite du coup d'Etat, 5.000 à 10.000 jeunes rejoignaient les Karens pour se former au maniement des armes à feu, à aucun moment de la lutte n'apparurent de revendications autonomistes ou soutenant tel groupe contre tel autre. Il y a au moins 9 groupes différents sensés être unis au sein du Front National Démocratique rassemblant plus ou moins 30.000 combattants armés, mais qui s'entredéchirent.
(2) Derrière ces "tendances à l'anarchie", nous entendons l'irrespect envers la propriété privée, la loi, etc. Nous entendons l'irrespect des valeurs bourgeoises et de ceux qui les enseignent et les défendent et nous soutenons cette anarchie-là et la revendiquons comme lutte de notre classe pour la satisfaction de nos besoins.
(3) Ces déclarations n'ont eu que peu d'effet sur les manifestants. Aucune trace d'apaisement, de contentement ou de satisfaction ne s'exprima.
(4). Il est quasiment certain que, tout comme les campagnes de l'opposition et les massacres sanglants du gouvernement, les groupes autonomistes et guérilléristes ont participé à l'écrasement du mouvement, en récupérant en leur sein les militants qui avaient pu échapper à la répression. Ainsi encadrés, ces militants détournent leur haine de la bourgeoisie en haine de la fraction au gouvernement, et entrent en guerre contre elle. Les groupes séparatistes dévoient ainsi la lutte armée de notre classe en lutte militariste interbourgeoise pour l'autonomie nationale de tel ou tel territoire.



Argentine: Des pillages contre la faim!

(mai 1989)

* * *

La Démocratie affame!

L'ordre démocratique semble se renforcer à mesure que les conditions de sa destruction s'accentuent. La crise mondiale du Capital n'a jamais été aussi proche de révéler son essence catastrophique. Et pourtant, aujourd'hui encore, la bourgeoisie arrogante ne tremble pas. Elle organise pour nous manifestations, réunions, concerts, campagnes,... et fait anser les foules aux sons de ses accents favoris: "atomisation-individualisme-concurrence", pour entamer en apothéose son hymne international: "Démocratie-démocratie".

A la télévision, à la radio, dans les journaux, c'est le spectacle de la paix sociale qui est donné avec, d'un côté, des images de mort, de désolation, de terreur et de violence (où implicitement est mise en cause la fatalité, ou la folie subite de certains individus, ou encore quelques irresponsables, mais le plus souvent des terroristes extrémistes,... seuls
responsables possibles de tels actes), et d'un autre côté, face à cette "incompréhensible violence", des images apaisantes, des paroles "courageuses" et "sensées" de chefs d'Etats en lutte pour la Démocratie, la Transparence, la Restructuration,...

Ce spectacle se déroulerait sans trop de problèmes si le Capital ne véhiculait pas une série de contradictions qui poussent les classes sociales à s'affronter, et déterminent le prolétariat à lutter violemment face à l'exploitation et à la mort à laquelle le contraint la bourgeoisie.

OUI, c'est donc bien le prolétariat la cause de tous ces "pillages", "saqueos", "émeutes de la faim",... oui, c'est bien l'expression du prolétariat luttant en réponse à la faim et à la misère engendrée par la bourgeoisie. Ce fut le cas en Argentine, au Venezuela et en Algérie ces derniers mois, comme ce le fut également il y a quelques temps en Tunisie, au Maroc, en Egypte.

Mais il faut bien constater que toutes les luttes de notre classe portent encore les marques terribles de la période. De ces mouvement spontanés, vite écrasés dans le sang, encore isolés et peu généralisés, ressortent peu de perspectives et un niveau très faible d'organisation. L'affrontement qui vient de se dérouler en Argentine comporte l'ensemble de ces faiblesses, ce qui contraste avec le passé et notamment la période de lutte 1968-1973.

La faim a poussé les prolétaires à affronter le terrorisme bourgeois: par petits commandos de dizaines ou de centaines de personnes, des milliers de prolétaires ont tenté, face aux flics et aux commerçants, de s'emparer des biens de consommation nécessaires à leur simple survie. Mais cette unité momentanée contre la propriété privée fut rapidement écrasée dans le sang. Quelques heures, quelques jours après les "saqueos", sans perspectives plus larges, sans direction précise, les mêmes prolétaires, qui hier étaient unis dans l'affrontement à la marchandise, constituaient maintenant des "barrages de protection", des barricades... pour se protéger des éventuels "ennemis" du quartier voisin!!!

Ainsi, à peine défaits sous les coups de la répression bourgeoise, les prolétaires sans perspectives, sans affirmation de notre projet social, se réatomisent derrière les oppositions mises en place par les bourgeois pour noyer le prolétariat dans de fausses polarisations.

L'Argentine a toujours été considérée, en utilisant la terminologie de nos ennemis, comme le pays "le plus riche de l'Amérique Latine". Plus d'un s'est donc étonné de la rapidité avec laquelle l'inflation a "dévoré" (pour la régénérer!) l'économie nationale. Cela n'a pourtant véritablement surpris que les quelques idéologues économistes illuminés par (et payés pour promouvoir!) la sainte croyance en la pérennité du Capital. Les capitalistes pragmatiques, qui ont poussé à l'application des mesures inflationnistes, savaient, quant à eux, que le terrible poids que l'inflation fait porter au prolétariat n'est qu'une mesure économique dictée par leur insatiable besoin de plus-value. L'inflation sert ainsi à baisser le salaire social du prolétariat et donne, de cette manière, un court répit aux difficultés catastrophiques auxquelles le Capital est confronté. L'inflation est pourtant moins le fait du gouvernement et de "sa" politique, que celui d'un être qui le dépasse --le Capital--qui, pour se revaloriser, se maintenir, "ajuste" le capital variable (c'est-à-dire les salaires) en faveur de ses propres intérêts, et ce, même si le prix en est... la mort de faim des prolétaires.

Ainsi, dès août 1988, se produit une hausse généralisée des prix en Argentine. Le mécontentement qui s'ensuit est immédiat et à tel point menaçant qu'en septembre la CGT (Confédération Générale des Travailleurs) n'a d'autres solutions pour encadrer et casser le mouvement que d'organiser une manifestation sur la place de Mai. La répression ne se fait pas attendre. Elle va se solder par de nombreux morts et blessés, et bien entendu, en parallèle, par d'hypocrites appels au calme de la part de tous les partis et organisations politiques. La bourgeoisie en profite alors pour mettre au point les derniers détails de son "Plan Primavera" consistant en la mise en place des vieilles mêmes méthodes pour abaisser le salaire social des ouvriers. On commence par geler les salaires et on réajuste, à la hausse (!), les prix des services "publics" (gaz, électricité, téléphone,...). On tente de "justifier" ces mesures en décidant de geler (beaucoup plus tard!) les prix des marchandises; et là où toute demande de hausse de salaire est refusée et réprimée, les prix des marchandises, eux, continuent à être l'objet de "réajustements" périodiques. Pratiquement, cela signifie que l'on utilise un autre mot pour hausser les prix et faire ainsi baisser le salaire des ouvriers sous couvert d'une campagne idéologique "où tout le monde participe de l'effort, et se sert la ceinture pour sauver l'économie nationale".

Les vacances arrivent (décembre 1988), et tandis que la situation semble calme, les prix des services publics et ceux des marchandises augmentent encore. A la rentrée commence alors le cirque électoral. De la droite à la gauche, tous les partis en appellent à la paix électorale. Prévues pour la fin du mois de mai, les élections constitueront à partir de ce moment, la matière idéologique avec laquelle la bourgeoisie cimentera la paix sociale, imposant ainsi de longs mois de silence au prolétariat, alors que ses conditions de vie, avec les mesures inflationnistes imposées par le gouvernement, subissaient de terribles agressions.

En février, se produisent les événements de La Tablada où un groupe armé occupe durant 36 heures une caserne en appelant la population à se joindre à eux pour empêcher l'organisation d'un coup d'Etat militaire qui leur a été annoncé. On ne sait pas encore trop clairement jusqu'à quel niveau ces militants ont été ou non manipulés par les services secrets argentins, mais ce qui est sûr, c'est que cette occupation et le massacre par l'armée des militants qui occupaient, furent le point de départ d'une campagne antiterroriste de défense de la démocratie où chaque citoyen fut appelé publiquement à participer de l'effort national pour chasser les "sorcières subversives" en les dénonçant aux autorités. Un "Conseil de Sécurité Nationale" fut mis sur pied, pour oeuvrer au nettoyage de tous ces subversifs qui manifestaient leur impossibilité à survivre face à la hausse des prix et au blocage des salaires.

En avril 1989, le nouveau ministre de l'économie, mis en place par Alfonsin, "libère" les prix (mais non les salaires, encore une fois!) et permet ainsi aux supermarchés de réajuster sauvagement les prix, certaines marchandises augmentant jusqu'à 3000%!!! La faim réapparaît massivement, d'abord aux périphéries des villes et dans la province, et ensuite aux centres mêmes des grandes villes. Image oubliée de ces dernières années en Argentine, il n'est plus rare de voir traîner dans le centre de Buenos Aires des enfants, sac sur le dos, entrant dans les bars pour demander quelques tranches de jambon ou ouvrant les portes des taxis pour obtenir quelques "australs" (la monnaie locale) de leurs passagers.

Pendant cinq longs mois donc, le prolétariat va subir la campagne bourgeoise pour la paix électorale et contre le terrorisme. Pendant cinq longs mois, les prolétaires vont voir dégringoler d'une façon inimaginable leur niveau de vie. Pendant cinq longs mois, la bourgeoisie va tirer un profit extraordinaire de l'inflation pour compenser la crise de son système. Pendant cinq longs mois, enfin, la bourgeoisie va tenir fermé le couvercle des plaintes, en mettant en avant que les élections de mai sont "les premières de toute l'histoire argentine, où un président élu va sans doute remettre légalement son mandat à un autre président élu". Cette campagne pour la paix électorale combinée à sa campagne antiterroriste va réussir à retarder l'inéluctable explosion sociale jusqu'au... lendemain des élections!!!

La lutte paye

Et voici venu le temps des élections. Le 14 mai, c'est la victoire du péronisme et de son clown à rouflaquettes Menem. Voici également venu le temps des comptes. Le prolétariat qui avait été rendu inoffensif durant ces longs mois se réveille face à la réalité du Capital: toujours plus de travail, toujours moins de salaire, toujours plus de misère. Et alors que tous les affameurs se penchent sur le problème de la dette, de l'inflation, essayant de masquer le fait que l'inflation n'est rien d'autre qu'une manoeuvre de la bourgeoisie pour contrer, sur le dos du prolétariat, la baisse tendancielle de son taux de profit, pendant ce temps-là donc, les prolétaires crèvent de faim.

Les pillages qui vont se dérouler quelques jours après les élections ne surprennent en réalité personne. La bourgeoisie avait déjà commencé à s'armer contre la possibilité d'une explosion sociale. Les journaux bourgeois en parlaient. Vigiles et policiers organisaient des rondes devant les banques et les supermarchés. Le premier à en faire mention officiellement est le candidat de l'UCR, Eduardo Angeloz qui, dans un de ses discours, dénonce des "provocateurs", "montoneros" rôdant aux alentours des supermarchés, s'emparant de marchandises, et dont le but est de "...conduire à la panique, au chaos et à la déstabilisation, non seulement l'économie, mais aussi la démocratie... ". Il est clair que durant le mois de mai, il y eut déjà des vols, des réactions isolées face aux poches et aux ventres vides. Comme toujours, la bourgeoisie accusera, dès ce moment et par une campagne mieux élaborée plus tard, des extrémistes de gauche, uniques responsables des événements. Les vieux fantômes réapparaissent exprimant la peur de la bourgeoisie face au spectre du communisme.

Les élections qui avaient contenu, freiné le prolétariat par l'espoir du "miracle" démocratique, par l'illusion qu'un bout de papier jeté dans l'urne résolve les contradictions, n'empêchent plus rien. Et le vendredi 26 mai, date anniversaire du Cordobasso (cf plus loin), dans la ville de Cordoba (à 750 km de Buenos-Aires) ont lieu les premières attaques massives de supermarchés. Très vite la police et la gendarmerie sont sur place et contrôlent toute la ville. Mais le ton est donné et dès le lendemain, le 27 mai donc, les mêmes faits se reproduisent à Mendoza (1000 km de B-A), à Rosario (370 km de B-A), et dans quelques quartiers de Buenos-Aires (San-Miguel, Martinez...). Par grands groupes de dizaines, voire de centaines de personnes, les prolétaires, bien souvent menés par des femmes et des enfants, envahissent de force les supermarchés et s'emparent de la nourriture. Sur leur chemin, des vitrines, des stands de commerce, des caisses enregistreuses, des véhicules sont détruits et des camions de nourriture dévalisés.

Les actions se déroulent généralement de manière spontanée avec parfois l'aide d'un petit coup de pouce organisateur. Dans cette "villa miseria" (l'équivalent des favellas brésiliennes), est annoncée l'organisation d'une soupe populaire, un peu en dehors de la "villa", "dans telle rue, juste en face du supermarché". Le bouche à oreilles fait le reste. Et quand bon nombre des habitants du quartier se retrouvent réunis, des cris fusent: "Mais où est la soupe? Où se trouve la nourriture?". Un seul regard va suffire ! Les grilles du supermarché sont forcées, la nourriture emportée.

Et si, comme il l'est écrit plus haut, le premier jour, à Cordoba, la bourgeoisie parvient encore à contrôler le mouvement par l'intervention des flics, par la fermeture des magasins, par la distribution de nourriture,... trois jours plus tard, le 28 mai, malgré déjà de nombreux blessés, plus d'une centaine d'établissements pillés, 600 arrestations, le mouvement prend encore de l'ampleur et se généralise à d'autres villes et provinces d'Argentine.

Face à cette situation, le lundi 29 mai, après un week-end chaud, Alfonsin exige l'état de siège face aux troubles et "aux délinquants anti-sociaux" qui attaquent les supermarchés. A partir de maintenant, on peut emprisonner sans raison, sans ordre judiciaire; les réunions et les circulations de personnes sont interdites, etc. L'état de siège est donc proposé par Alfonsin qui assure la transition avant que Menem ne le remplace quelques mois plus tard, mais ces mesures sont décidées par l'ensemble du Congrès, droite et gauche confondues, Menem et Alfonsin, main dans la main. Pour les naïfs qui avaient cru que l'arrivée des péronistes allait modifier quelque chose à la situation, la désillusion est amère!

C'est que la bourgeoisie a peur et ce n'est pas une coïncidence si ces événements se déroulent, jour pour jour, vingt ans après le déclenchement d'un des plus forts mouvements révolutionnaires dans la région: le Cordobazo. En effet, en mai 1969, liée à la vague de lutte '68-73, eut lieu une insurrection en Argentine dont le centre était la ville de Cordoba. Cette insurrection déclenchée le 29 mai 1969 durera une dizaine de jours. S'attaquant à tout ce qui représentait l'ordre, le pouvoir, la répression bourgeoise, cette insurrection fut écrasée dans un bain de sang, après que le prolétariat aie tenu la ville durant plus d'une semaine avec comme mot d'ordre central: "Ni coup d'état, ni élections, Insurrection!"

Alors qu'aujourd'hui la période mondiale est toute différente, la bourgeoisie craint encore le souvenir qu'a pu laisser cet affrontement dans la tête des prolétaires et, terrorisée à l'idée que les prolétaires ne viennent mêler cet anniversaire insurrectionnel aux pillages qui se déroulent au même moment, elle dépêche, à Cordoba, des camions entiers de nourriture pour stopper le mouvement. Cette mesure calmera d'ailleurs relativement le prolétariat localement, et l'épicentre des pillages se déplacera dès lors dans un autre lieu de lutte historique du prolétariat en Argentine: Rosario.

Là, les camions de nourriture (la carotte) ne suffisent pas plus que l'état de siège (le bâton) à arrêter les prolétaires affamés. Et le même jour, toujours le 29 mai donc, dans plusieurs fabriques, les ouvriers débraient. Inquiets pour leur famille, désireux de ne pas rester isolés, ils vont aux nouvelles et participent aux "saqueos".

Le plus souvent, des petits groupes se concentrent face à un dépôt de nourriture ou un grand magasin d'alimentation et attirent ainsi les flics qui accourent en masse. D'autres groupes en profitent alors pour attaquer un autre dépôt qui se trouve à quelques pâtés de maison de là. En quelques minutes, le magasin est pillé et lorsque les flics arrivent... c'est au tour du magasin laissé sans surveillance que les prolétaires s'attaquent!

Cet exemple s'est reproduit spontanément des dizaines de fois avec la participation de milliers de personnes. Il n'y a en réalité aucune "gigantesque coordination", comme le dénoncent les médias, mais tout se passe effectivement comme s'il y en avait.

C'est à Rosario donc (où le couvre-feu avait déjà été imposé avant la déclaration de l'état de siège de toute la République) et dans sa province que le mouvement est le plus fort, c'est-à-dire le moins contrôlé, mais il va toucher également Tucuman et d'autres provinces. A Buenos Aires également, les pillages s'étendent, spécialement dans ce que l'on appelle le grand Buenos Aires, à la périphérie de la capitale: des pillages ont lieu à San Miguel, Moron, Moreno, Castelar, Haedo, Villa Martelli, Ciudadela, Ramos Mejia.

La répression devient plus dure et le 30 mai les flics ouvrent le feu faisant 14 morts à Rosario où le mouvement reste très fort. Là, le couvre-feu est décrété à partir de 18 heures, mais cela ne suffit pas à calmer les quartiers les plus combatifs. C'est à ce moment qu'est montée une véritable opération de contre-information par la bourgeoisie pour "recibler" les ennemis auxquels s'affrontent les prolétaires: partout circulent des rumeurs, rapidement intégrées par les "pilleurs", comme quoi "tel quartier se prépare à attaquer tel autre, et qu'il faut se défendre", etc. Les mêmes flics auxquels on s'affrontait quelques heures auparavant sont accueillis maintenant en sauveurs!!!

A Buenos Aires, le même jour, une bombe explose dans la rue principale où se concentrent les banques dans le centre de la ville. Les magasins et les banques ferment. Le mouvement semble déborder les tentatives de la bourgeoisie pour le contrer. On envoie dans la région de Rosario des troupes de différents coins du pays pour casser le mouvement, parce que les flics locaux, démasqués par les manifestants qui les connaissent et les interpellent par leur prénom, n'osent pas réprimer. Dans les quartiers les plus durs, la police n'ose pas se montrer, ou doit fuir. Ainsi, par exemple à San Miguel (un quartier de Buenos Aires), alors que des prolétaires attaquent un supermarché, une camionnette de police arrive. Les flics (5 ou 6) accompagnés par des chiens arrêtent quelques jeunes et les enferment à l'intérieur du combi. Rapidement une foule se forme autour d'eux. Aux cris de "Qu'on les relâche", elle commence à jeter des pierres sur le véhicule. Terrorisés, les policiers se réfugient dans la camionnette et en relâche un et puis encore un autre. Mais la foule est toujours là, menaçante. Finalement, pour pouvoir se tirer sans trop d'ennui, les flics les laisseront tous partir et s'enfuieront rapidement.

Cette information, extraite d'un journal brésilien, indiquait encore que les journalistes sur place avaient dû également fuir, les prolétaires étant en rage contre tous ceux qui représentaient l'Etat. Cette situation semblant ne pas se calmer et craignant la généralisation du mouvement, la campagne bourgeoise pour dénoncer le mouvement comme étant le fait de provocateurs fut dès lors particulièrement pourrie et agressive.

Que les "pauvres" aient un coup de sang et volent quelques marchandises, cela était presque compréhensible. Mais que dans le débordement et la généralisation de ce type de récupération réapparaisse son vieil ennemi, le prolétariat, voilà qui lui pose de plus sérieuses peurs! La presse va dès lors dénoncer sans arrêts les provocateurs et les terroristes comme étant à la tête du mouvement.

Parallèlement à cela, la bourgeoisie emprisonnera systématiquement les plus combatifs des prolétaires en dénonçant spectaculairement l'utilisation d'armes pour corroborer sa thèse d'une tentative de "déstabilisation de l'Argentine avec l'aide de terroristes venus de l'étranger". Pour compléter leurs mesures de répression d'un peu de "compréhension", et surtout pour protéger leurs richesses, les capitalistes à la tête des chaînes de supermarchés vont proposer de bloquer pour dix jours les prix de certaines marchandises alimentaires de base. Ils essayent par tous les moyens de convaincre les prolétaires qu'ils font cause commune avec leur situation en indiquant à l'aide d'une pancarte à l'entrée des magasins, que "cette entreprise collabore directement avec le peuple". Mais ils ne négligent pas non plus de se préparer à l'affrontement en créant des milices armées pour défendre leurs biens.

Le cannibalisme de la Démocratie!

Début juin, la contre-attaque bourgeoise se fait de plus en plus précise, organisée et efficace. La répression policière s'accentue. On dénombre déjà plus d'une centaine de morts, des centaines de blessés et plus de deux mille arrestations. Une campagne de presse bien orchestrée dénonce de plus en plus les pillages comme faisant partie d'un complot contre l'état et la démocratie. C'est qu'il fallait, pour étayer ces thèses, trouver rapidement des coupables, faire peur et enlever toute envie de généralisation de ces actions, surtout dans les
quartiers encore calmes. Il fallait aussi justifier la répression, les arrestations massives, les balles, les morts. il fallait encore masquer les réelles causes des événements et les condamner, en y dénonçant l'oeuvre de quelques extrémistes.

La bourgeoisie va identifier plus facilement ces "extrémistes" à la gauche, tout en n'oubliant pas de brandir également la menace "fasciste", et faire jouer la peur du "coup d'état". Mais ce sont principalement le MAS (mouvement argentin pour le socialisme) et le PO (parti ouvrier), deux organisations légales, social-démocrates version trotskiste, qui vont avoir la vedette. Les dirigeants du PO en prison, on a là des coupables rêvés parce qu'ils sont directement et facilement présentables à l'opinion publique (1), et qu'en plus, potentiellement, ils représentent toujours une force capable de canaliser et de freiner un éventuel débordement social nettement plus dangereux. Le gouvernement va donc présenter spectaculairement ses vedettes gauchistes à l'opinion pour tenter de faire oublier que la seule et véritable cause des pillages est la faim. En même temps, elle place sans publicité des milliers d'anonymes de tout âge, dans ses geôles.

Mais pour stopper les pillages, seules la police et la presse ne vont évidemment pas suffire. La bourgeoisie organise alors des distributions gratuites de nourriture, surtout dans les quartiers restés calmes, mais susceptibles de se joindre au mouvement, réintroduisant ainsi l'appel à la charité publique. On organise donc des soupes populaires, des distributions en tout genre, sous le contrôle de partis politiques.

Sur place, ce type d'intervention de l'Etat a parfois provoqué des discussions, des réactions, comme dans cette "villa miseria", où se présentent les "envoyés" de l'Etat, avec du lait et de la farine. Une mère de famille refuse ces "dons": "Je ne veux rien recevoir de votre part". Son fils lui reproche son refus: "Tu devais accepter. Cette bouteille de lait, c'est autant d'heures de travail pour le père. Ils ne nous offrent rien, ce que nous recevons, c'est à ceux de Rosario que nous le devons".

Et il est évident que c'est la lutte des prolétaires de Rosario et d'ailleurs qui obligea certains supermarchés à ne plus augmenter leurs prix et le gouvernement à distribuer de la nourriture,... Mais il est clair également que, si au cours de périodes révolutionnaires, ce type de concessions arrachées à la bourgeoisie a pour effet d'encourager le prolétariat à aller plus loin, à continuer sa marche en avant vers la lutte finale, dans des périodes comme celles d'aujourd'hui, ces "cadeaux" de la bourgeoisie trop rapidement perçus comme de grandes victoires, ont pour effet de briser l'élan d'un mouvement.

Et de fait, les réactions de la bourgeoisie réussissent ainsi, quelques jours seulement après les premiers pillages, à arrêter le mouvement. Quelques camions de nourriture, l'assassinat d'une centaine de "pilleurs", l'emprisonnement des plus combatifs, une campagne de presse anti-terroriste et le blocage-spectacle de quelques denrées de base auront suffit momentanément à stopper la révolte des prolétaires en Argentine.

En regard de la vague de lutte des années '68-'73, le prolétariat paraît bel et bien défait aujourd'hui. L'affrontement à l'Etat, en Argentine, par exemple, n'a jamais semblé aussi faible en termes de l'absence totale de direction, de perspectives et de projets prolétariens. Là où, en 1970, à Cordoba, Rosario, Buenos Aires,... on parlait de révolution sociale, d'abolition de l'argent; là où, en cette période et en ces lieux, le drapeau rouge et le drapeau noir faisaient office de symboles pour l'affirmation et la lutte pour la dictature du prolétariat; là où les prolétaires s'affrontaient les armes à la main à la propriété privée, à la bourgeoisie et à l'Etat, afin de manifester la puissance de leur programme et de leur projet d'abolition des classes,... on ne trouve plus aujourd'hui que la révolte élémentaire de notre classe contre l'insupportable poids de misère que la bourgeoisie fait peser contre elle. Mais au delà de cette révolte contre la faim, le communisme n'apparaît encore que comme spectre, c'est-à-dire qu'il ne se matérialise pas dans un rapport de force marqué par l'émergence de la révolution et de la classe qui la porte.

La misère absolue a ainsi touché, en quelques mois, des millions d'ouvriers en Argentine. Dans le grand Buenos Aires uniquement, ce sont près de 36 % de la population, soit plus de trois millions de prolétaires qui ne peuvent soudainement plus faire face au besoin élémentaire qu'exigé la simple survie humaine. Menem lui-même --qu'on ne peut supposer vouloir gonfler les chiffres de ses propres crimes-- reconnaît qu'aujourd'hui en Argentine, 9.000.000 de personnes (25 % de la population) vivent dans la misère absolue! On comprend que dans ces conditions, et en rapport à la brutale chute de leurs conditions de vie, les prolétaires se soient révoltés.

Mais il faut bien voir l'extrême faiblesse de cette explosion à laquelle tout le monde s'attendait. A aucun moment, la bourgeoisie n'a eu à s'affronter à un niveau d'organisation et d'affirmation des perspectives prolétariennes. A aucun moment --et cela nous semble une marque de la terrible période que nous traversons--, à aucun moment donc, le prolétariat n'a donné l'impression d'être capable de l'organisation, de la direction, de la préparation et de la détermination qui en font une classe.

Evidemment, dans le cours de la lutte, certains éléments d'organisation semblent toujours émerger. La bourgeoisie s'y attaque d'ailleurs directement en dénonçant ce minimum d'action commune, comme la preuve de l'existence de "coordinations secrètes",... Mais la réalité n'est malheureusement pas aussi élevée que ce que dénonce la bourgeoisie pour tenter d'effrayer le citoyen et, comme nous l'avons décrit plus haut, les prolétaires en lutte en Argentine n'ont pu passer du stade des "coups de main" et du "bouche à oreille", à un niveau d'organisation impliquant la centralisation des informations, la généralisation des attaques contre la propriété privée, la direction de l'affrontement à l'Etat, la perspective insurrectionnelle et révolutionnaire, comme ce fut le cas dans le passé, comme ce fut le cas en '17-21, en '68-73.

Les pillages qui ont recommencé avec autant de virulence quelques semaines plus tard, alors que Menem assumait déjà, comme candidat de la gauche, la présidence de l'Argentine, semblent relativiser, au moins en terme de décrédibilisation de toutes les fractions de la bourgeoisie, les faiblesses que nous décrivons ci-dessus.

Et de fait, la rapidité avec laquelle les cartes de rechange parlementaires de la bourgeoisie sont brûlées, donne à penser que le temps n'est peut-être plus si loin où, enfin désillusionnés des tonnes de belles paroles vomies par les bourgeois de tout bord, les prolétaires se reconstitueront comme classe et, profitant des leçons tirées de l'histoire, se regrouperont autour d'une seule force centralisée mondialement, pour abattre définitivement ces monstruosités de l'histoire humaine que sont le Capital et sa Démocratie.

Note

(1) Le candidat officiel du PO pour les élections présidentielles alla se plaindre de l'emprisonnement des militants de son parti auprès du ministre de l'Intérieur. Il insista longuement pour que soit respectée la démocratie. Ses exigences furent clairement entendues puisqu'il fut... arrêté sur le champ, à la sortie même des bureaux du ministre, devant les caméras de la télévision! Ce petit spectacle joué entre deux acteurs de la Démocratie devrait pourtant, à terme, profiter à la carrière du malchanceux candidat présidentiel, qui aura trouvé là un bien beau support recrédibilisant pour ses futurs appels à une démocratie... toujours plus démocratique!